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Les hojas, ou Cogias bachis, ou grands écrivains sont les secrétaires d’État. Il y en a quatre: le plus ancien tient les livres de la paye, &des dépenses ordinaires & extraordinaires & ; le deuxième ceux de la douane; le troisième ceux des revenus de l’État; & le quatrième ceux des affaires étrangères & extraordinaires. Ils sont toujours assis dans un même rang devant une table ou bureau, du côté droit du dey, pendant tout le temps qu’il est sur son siège, pour répondre, vérifier, écrire, ou enregistrer tout ce qui est de leur département.
Lorsqu’un consul va porter plainte au dey de quelque tort fait aux gens de sa nation, ou de l’infraction de quelque article du traité de paix de la part des algériens, le dey ordonne au secrétaired’État qui a le registre des traités de l’ouvrir, & de répondre aux plaintes du consul. Le secrétaire lit tout haut l’article, que le consul prétend avoir été enfreint, il est suivi à la lettre, & sans aucune interprétation. Si le consul a raison, on lui rend justice ; mais s’il se plaint sur quelque interprétation favorable de l’article en question, on lui refuse ce qu’il demande, & l’affaire est réglée dans un instant, de quelque conséquence qu’elle soit.
Les grands écrivains sont nommés par le dey. Ils ne décident de rien que par son organe; mais comme ils sont de sa main, que ce sont les premiers conseillers, & qu’ils sont toujours auprès de lui, ils ont un grand pouvoir, & leurs avis sont toujours d’un grand poids. Ils le donnent ordinairement en particulier, & parlent rarement en présence des parties.
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Le Cadi est nommé & envoyé par la Porte ottomane, après avoir été approuvé par le grand mufti ou patriarche ottoman à Constantinople. Il n’a aucun pouvoir dans le gouvernement, & ne peut s’en mêler en aucune façon. Il juge & décide généralement de toutes les affaires qui regardent la loi, & doit rendre ses jugements sans frais & sans appel. Mais comme un cadi ne vient à Alger que pour s’enrichir, & qu’il lui en coûte des présents à la porte, pour avoir cet emploi, il se laisse aisément corrompre par les parties. Il est obligé de rester toujours chez lui, sans pouvoir en sortir que par la permission du dey. Ce dernier fait souvent juger par son Divan des affaires litigieuses qui sont de la compétence du cadi, lorsqu’elles sont de quelque conséquence, & en ce cas il appelle tous les gens de la loi. Il y a aussi un cadi maure, qui rend la justice aux gens de sa nation, lorsque le dey les renvoie à lui. Il n’a aucune paye, & est entièrement subordonné au cadi turc.
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Le hazenadar, ou cazenadar, est le trésorier général de l’État. C’est lui-même qui reçoit en présence du dey, les fonds provenant des revenus du royaume, & qui les met aussi en sa présence & celle des quatre grands écrivains, dans le hazena ou trésor, qui est une chambre dans la salle du Divan où on l’enferme. Ce trésorier doit tenir un compte général des dépenses de la république; mais on n’y regarde pas toujours de si près, puisqu’il y a de ces trésoriers qui ne savent point écrire ni même lire. Il ne fait ses opérations qu’en présence du Divan ordinaire, soit qu’il reçoive de l’argent ou qu’il en donne. Il a avec lui un commis qu’on appelle contador, qui est un turc chargé de tout l’argent tant de la recette que de la dépense. Ce turc a deux aides pour cela, & deux juifs auprès de lui: un pour visiter les monnaies douteuses, qui en ce cas sont refusées, l’autre pour peser; & à mesure qu’il reçoit ou qu’il paye, il crie à haute voix ce qu’il fait. Alors le grand écrivain, ou secrétaire d’État, écrit ce qui se passe dans son registre courant.
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Le Chekelbeled est l’échevin de la ville. Il a soin de la police en ce qui concerne les réparations de la ville, les rues & autres choses semblables. Il est à la nomination du dey. C’est la maison du Chekelbeled qu’on met en arrêt les femmes de bonne réputation qui ont mérité quelque punition, & elles y sont châtiées secrètement, comme les turcs dans la maison de l’aga. Lorsque le dey a pour esclaves des femmes ou des filles de quelque distinction, dont il attend une bonne rançon, il les envoie dans la maison du chekelbeled & sous sa garde, & leur fait donner tout le nécessaire & de l’ouvrage pour s’occuper, si elles le souhaitent ; & elles restent là jusqu’à ce qu’elles soient rachetées.
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Le pitremelgi, ou bethmagi, qui signifie homme de la chambre des biens, est chargé de s’emparer au nom du dey de tout le casuel, qui appartient à la république par la mort ou l’esclavage de ceux qui n’ont ni enfants ni frère, tant en meubles qu’en immeubles, dont il doit rendre compte exactement. Il a ses offi ciers particuliers, & de peur qu’on ne cache la mort de quelqu’un, nul ne peut-être enterré sans un billet de lui. Cela s’observe d’autant plus exactement, que les sépultures sont toutes hors la ville, & qu’il y a un commis à chaque porte, pendant tout le temps qu’elles sont ouvertes, pour recevoir les billets de permission que le pitremelgi a signés.
Lorsque quelqu’un est mort sans enfant ni frère, le pitremelgi s’empare de tout son bien, dont il paye le douaire à la veuve. Il a soin de faire fouiller dans les maisons du défunt tant à la ville qu’à la campagne, s’il y en a dans l’héritage, pour trouver le trésor caché, étant assez ordinaire à cette nation de cacher de l’argent & de l’or. La raison de cet usage vient de ce qu’un particulier qui passe pour riche est souvent inquiété par le dey, qui lui demande de l’argent sous prétexte des besoins de l’État, ou lui impose des amendes pécuniaires fort considérables, lorsqu’il commet la moindre faute, ou confisque ses biens au profit de l’État, sur le moindre soupçon d’avoir conspiré contre lui. De sorte qu’il aime mieux passer pour pauvre, & avoir un trésor caché, qui est une ressource pour lui ou pour ses enfants, en cas qu’il soit obligé de s’en aller furtivement, & d’abandonner ses biens pour garantir sa vie. Mais il est assez ordinaire que la mort en surprend beaucoup avec le trésor caché, sans qu’ils l’aient déclaré à personne ; ce qui fait que le pitremelgi fait de grandes recherches.
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Le hoja, ou cogia-pingié, est le contrôleur général, qui est chargé de la part ou portion des marchandises qui revient à la république sur les prises faites en mer. Il en tient compte, & les délivre selon l’ordre du dey, soit à l’enchère, soit par vente particulière, dont il rend compte aux secrétaires d’Etat. Il a deux écrivains pour aides.
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Les hojas, ou cogias du deylik sont les écrivains du roi, au nombre de 80. ils ont chacun leurs différents emplois. Les uns commis à la distribution du pain des soldats, les autres de la viande, les uns aux garames ou droits sur les maisons ou boutiques, les autres aux garames des jardins, métairies & autres terres. Il y en a de préposés pour l’entrée des bestiaux, des cuirs, de la cire, des huiles & autres marchandises du cru du pays, & aux différents magasins tant de la terre que de la mer. Il s’en tient toujours deux à chaque porte, quelques-uns auprès du dey pour recevoir ses ordres & ceux des secrétaires d’État, & d’autres s’embarquent sur les gros vaisseaux qui vont en course.
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Le dragoman, ou interprète de la maison du roi, est un turc qui sait lire & écrire en turc & en arabe. Il explique toutes les lettres des arabes & des maures qui viennent au dey des différents endroits du royaume, de même que celles des esclaves algériens dans les pays des chrétiens ; & après en avoir fait la traduction en langue turque, il les présente au dey, qui donne ses ordres en conséquence. Il est dépositaire du sceau ou cachet du dey, qu’il ne quitte jamais, & il scelle en sa présence toutes les dépêches, mandements, traités & autres écrits. Il faut observer que le dey ne signe jamais aucun écrit, & le sceau où il n’y a de gravé que son nom tient lieu de signature. Il est toujours auprès du dey ou dans la salle du Divan, pour servir d’interprète aux arabes & aux maures, tant de la ville que de la campagne, qui viennent porter des plaintes au dey, ou lui donner des avis de ce qui se passe pour ou contre ses intérêts. Il interprète & traduit aussi les lettres qui viennent des royaumes de Maroc & de Tunis, qui sont écrites ordinairement en langue arabe.
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Les chaoux sont les exempts de la maison du roi. C’est un corps très considérable. Il et composé de douze turcs des plus forts & des plus puissants de la république, & d’un chef appelé bachaoux, ou chaoux-bachi, ou grand prévôt. Il y a eu plusieurs bachaoux qui ont été élus deys. Ils sont habillés de vert avec une écharpe rouge, ils ont un bonnet blanc en pointe, & sont les fidèles porteurs de tous les ordres du dey. Il ne leur est pas permis de porter aucune arme offensive ou défensive, pas même un couteau ni un bâton ; & néanmoins ils arrêtent, lorsqu’ils en ont l’ordre, les turcs les plus puissants & les plus séditieux, sans qu’il y ait aucun exemple qu’on leur ait résisté, quoique ceux qu’ils ont arrêtés aient su leur mort certaine. Les turcs les plus résolus, de quelque qualité qu’ils soient, tremblent & pâlissent dès qu’un chaoux leur a mis la main dessus par commandement du dey, & ils se laissent conduire comme des agneaux chez l’aga de la milice, où ils sont bastonnés ou étranglés, selon les ordres que ce général en a déjà reçus. Ces chaoux ne sont employés que pour les affaires des turcs, étant indigne d’eux de mettre la main sur un chrétien, sur un maure, ou sur un juif. Il y a le même nombre de chaoux maures & un bachaoux de la même nation, qui ont même pouvoir, sur les maures, sur les chrétiens, & sur les juifs, suivant les ordres du dey mais il ne leur est pas permis de porter aucun ordre à un turc.
Les deux bachaoux se tiennent toujours auprès du dey pour recevoir ses commandements, & les faire exécuter par les chaoux qui se tiennent toujours dans la maison du roi.
Lorsque le dey a ordonné de faire venir quelqu’un qui est accusé devant lui, il ne faut pas que le chaoux qui en a l’ordre, s’avise de revenir sans lui. S’il apprend qu’il est à la campagne, il va l’y chercher & l’amène avec lui. S’il ne peut apprendre où il est, il fait publier par un crieur public, que ceux qui sauront où il est aient à le déclarer, sous peine de punition ; & si l’on apprend que quel-qu’un l’ait caché ou l’ait fait évader, celui qui lui a rendu ce bon office est puni très sévèrement & mis à l’amende, & même puni de mort si l’affaire dont il s’agit intéresse le dey ou l’État.
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Les gardiens bachis sont des turcs, qui ont le commandement des bagnes du deylik ou du gouvernement, ils ont le compte & le soin des esclaves. Chaque bagne a un gardien-bachi, & surtout il y a un bachi-gardien-bachi, ou gouverneur général qui fait la revue tous les soirs dans les bagnes, qui répartit les esclaves pour aller en mer, ou pour le travail journalier, qui les fait châtier lorsqu’ils sont jugés dignes de punition, & qui rend chaque jour compte au dey de ce qui se passe dans les bagnes. C’est le bachi-gardien-bachi qui fait ordinairement préparer les vaisseaux pour mettre à la voile, à
cause du nombre d’esclaves du deylik qui y travaillent, & qui sont embarqués pour aller en campagne. C’est un des anciens raïs ou capitaines corsaires, qui occupe ordinairement cette place. Il a beaucoup de pouvoir dans la république.
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Le raïs de la marine, ou capitaine du port, est un officier de grande distinction & de crédit. Il n’est pas nommé par ancienneté de capitaine, mais à la volonté du dey, qui choisit ordinairement pour remplir ce poste, une personne âgée, expérimentée dans la marine, & de bonnes mœurs. Cet officier a plusieurs aides qu’on nomme gardiens du port. Il donne avis au dey, & sur le champ, de tout ce qui se passe. Lorsqu’il arrive des bâtiments, il va à bord avant qu’ils entrent dans le port ; & après avoir pris les informations ordinaires, il va sur le champ rendre compte au dey, du lieu du départ des bâtiments, du chargement, & des nouvelles qu’on lui a données, & il revient aussi incessamment pour porter aux capitaines les ordres que le dey lui a donnés. Dès que les bâtiments sont dans le port, il conduit les capitaines devant le dey, qui les interroge, selon son bon plaisir.
C’est le raïs de la marine qui fait la visite en chef de tous les bâtiments chrétiens, qui sont sur leur départ, afin qu’ils n’enlèvent pas des esclaves.
Il a sa justice particulière pour tous les diffrents qui arrivent dans le port, à l’occasion des bâtiments, avec pouvoir d’absoudre ou de condamner.
Dans les cas de conséquence seulement, il convoque l’amiral & tous les raïs dans le lieu de leur assemblée ordinaire, qui est au bout du môle, & l’affaire est décidée en leur présence, après qu’ils ont donné leur avis, en commençant par les plus anciens. Après quoi, il va faire son rapport au dey, avant que d’exécuter le jugement, qui est toujours approuvé.
Il commande la galiote de garde, qui est armée pendant tout l’été pour faire la découverte sur la côte avant la nuit, & pour aller reconnaître les bâtiments qui viennent pendant le jour.
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L’amiral n’est pas le plus ancien officier de la mer, mais celui à qui plait au dey de donner le commandement du seul vaisseau qui appartient au deylik. Il a le pas & les honneurs devant tous les autres capitaines. Il n’a aucun pouvoir que celui qu’il s’acquiert, en s’attirant l’estime des autres capitaines qui, excepté sur mer, ne dépendent de lui qu’autant qu’il leur plait. Mais lorsqu’il est reconnu pour un homme de poids & de mérite, le dey lui renvoie souvent la décision des affaires de la marine, & les capitaines & les marchands s’adressent volontiers à lui pour régler leurs différents.
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Les raïs, ou capitaines de vaisseau, forment un corps considérable & accrédité, à cause du profit que leurs courses apportent au pays dont ils sont le plus ferme soutien : aussi sont-ils respectés & ménagés par rapport au besoin qu’on a d’eux.
Chaque capitaine est un des propriétaires du bâtiment qu’il commande, & les autres armateurs le laissent maître de l’armement, & d’aller en course quand il veut, à moins que le dey ne juge que le bâtiment est nécessaire au service de l’État. Ils sont fixés à ce poste, & n’ont d’autorité dans le gouvernement que celle qu’ils s’acquièrent par leurs services, leur bonne réputation & leur bonheur. Un capitaine n’a part aux prises que comme armateur, sans avoir des appointements.
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Les soute-raïs sont les officiers majors. Ils sont au choix du capitaine, & n’ont point d’appointements. Ils ont quatre parts sur le revenu des prises.
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Les topigi-bachi sont les maîtres canonniers. Ils commandent l’artillerie à bord. Il y en a un dans chaque bâtiment corsaire au choix du capitaine. Il commande au défaut du raïs par mort ou maladie ; & n’a que trois parts aux prises. Lorsqu’ils ont de quoi s’intéresser à un armement, ils parviennent aisément à avoir un bâtiment, de même que les autres officiers subalternes.
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Le mezouard est le grand bailli & le lieutenant général de la police. Il maintient la paix & le bon ordre dans la ville. Il a une compagnie de gardes à pied, qui ne reçoivent aucun ordre que de lui directement. Il observe & se fait informer de ce qui se passe dans la ville, pendant le jour, fait la patrouille pendant la nuit, & rend compte tous les matins au dey de tous les désordres qui sont arrivés, & de tout ce qu’il a appris par ses émissaires. Il a inspection & plein pouvoir sur les femmes de mauvaise vie ; il en exige une garame ou tribut, dont il paye tous les ans 2000 piastres sévillanes au dey.
Il s’empare de toutes les femmes de joie & les tient enfermées dans la maison, où elles sont distinguées par classes. Dès qu’il découvre quelque femme ou fille qui commence à donner dans l’intrigue, pourvu qu’il puisse une fois la surprendre en flagrant délit, il a le droit de s’en saisir & de la mettre avec les autres, ou de la rançonner. Il les loue aux turcs & aux maures, qui viennent lui en demander, & leur laisse choisir celles qui leur conviennent. Ils peuvent les garder autant de temps qu’ils veulent, suivant la conclusion du marché fait entre le mezouard & eux, & sont obligés de les ramener à la maison où ils les ont prises, lorsque le temps du marché est fini, ou de le renouveler. Celles qui veulent sortir & chercher fortune en obtiennent la permission, en payant chaque jour une petite somme au mezouard pour droit de sortie. Il est aussi le maître bourreau : il fait ou fait faire les exécutions, donne ou fait donner la bastonnade, lorsque le dey lui en donne les ordres.
C’est toujours un maure qui occupe cet emploi, qui est des plus lucratifs & des plus en horreur.
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