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A force d’être traînés dans les futilités, nous avons oublié jusqu’au sens des choses. Nous côtoyons le temps, nous rasons l’espace comme d’autres rasent les murs et nous passons d’un jour à l’autre sans trop savoir si cela a servi à quelque chose que d’avoir vécu le jour d’avant.
D’avenir, il n’est presque plus question, tant nous fonçons tête baissée, sans regarder où nous jetons nos pieds. Ce n’est pourtant pas faute d’occasions. Les haltes qu’il est donné de faire, aussi bien en tant qu’individus que sociétés, sont innombrables.
Le Mawlid Ennabaoui compte bien parmi ces haltes que nous devrions, vu notre état, saisir pour reprendre notre souffle, pour évaluer les distances parcourues et celles qui restent à parcourir et, surtout, pour vérifier si le chemin emprunté mène bien quelque part.
Samedi sera donc un jour férié. Nous le célébrerons la veille, chacun avec ce qu’il peut, tous avec de la viande forcément, des bougies et des... pétards. Dimanche, nous reprendrons le travail comme au lendemain d’un jour férié, ou d’une fin de semaine quelconque.
Nous ne nous rendrons même pas compte qu’il s’agit là d’un des repères essentiels que nous sommes en train de perdre dans la marche implacable du temps. Nous ne penserons pas un seul instant au sens à donner à cet évènement, ni dans quel temps le lui donner et encore moins dans quel espace.
Comment pourrions-nous alors que la course derrière les futilités nous emporte avec plus de force que les torrents déchaînés ? Comment le pourrions-nous alors que, les yeux rivés sur le ventre, nous nous tuons à trouver un sens aux bêtises les plus insensées ? La seule trace qui nous reste de la notion du Mawlid Ennabaoui, ce sont les bougies, rien que des bougies auxquelles la modernité a ajouté des pétards que, bizarrement, nous n’arrivons même pas à interdire du commerce. Comment peut-il en être autrement alors que, à chaque Mawlid Ennabaoui, on nous raconte la même chose que celle qu’on a racontée à toutes les générations depuis quinze siècles. La naissance du Prophète (QSSL), la mort de son père, celle de sa mère, son passage chez Halima, ensuite chez son oncle Abou Talib, son mariage avec Khadidja et la Révélation.
Mais pourquoi faudrait-il que nous soyons toujours dans le rôle de l’idiot qui regarde le doigt lorsque le sage montre la lune ? Est-ce donc à cela que nous réduisons la venue et le message de notre Prophète (QSSL) ? Serions-nous donc incapables de retenir du miel autre chose que sa couleur ?
Non, l’incapacité des hommes à saisir le sens des choses n’altère en rien celles-ci. Et ceux qui continuent à faire de l’Islam un ensemble d’histoires, parfois version «mousselsel oriental» n’ont rien compris à la grandeur ni à la portée du message de celui qui a été choisi pour opérer les plus profonds des bouleversements dans la nature des hommes.
Mohammed (QSSL) a réussi à modifier le comportement des hommes, à faire une société basée sur le respect de l’autre, sur l’égalité de tous ses membres devant la justice, et il a réussi à mettre en place une organisation érigée sur la compétence et sur les valeurs. Où sommes-nous par rapport à cela ? N’est-ce pas parce qu’on a passé notre vie à raconter des histoires que nous avons laissé passer et le temps et les occasions ?
Il est triste de constater l’écart qui nous sépare du reste du monde. Un écart qui ne nous honore point et que nous continuons à creuser inconsciemment, comme frappés par une malédiction que nous sommes, nous-mêmes, allés chercher dans la corruption des hommes et du monde.
Encourager les enfants à apprendre le Coran est une bonne chose, les récompenser la veille du Mawlid ou de la 27ème nuit du Ramadhan est aussi une bonne chose, mais là n’est pas tout. Ce n’est même rien si le comportement des hommes demeure le même. On ne risque jamais de sortir sans se faire agresser d’une manière ou d’une autre, par un comportement révoltant, par une réalité écoeurante, par une déchirure manifeste des hommes. Qu’a-t-on donc retenu de Mohammed (QSSL) ? Celui qui n’a vu que la fumée n’a rien compris au feu. Et, volontairement, pourtant, nous contemplons tous, les uns à côté des autres, la fumée en nous jurant à nous-mêmes qu’il s’agit bien d’un feu ! Non, Mohammed (QSSL) n’est pas une fête qu’on célèbre avec le ventre, mais un repère qu’on regarde avec sagesse. Une sagesse qu’on médite. Une vérité qu’on préserve des instincts dévastateurs qui dominent malheureusement le monde de nos jours. Peu importe si, au fond, on brûle les bougies comme d’autres brûlent des cierges, et si l’on allume les pétards comme d’autres allument les feux d’artifice. Ce ne sont là que des manifestations d’une commodité, une de plus, adoptée par ceux qui ne savent pas célébrer autrement le Mawlid Ennabaoui. A partir d’une société nomade et arriérée, Mohammed (QSSL) a su faire la plus belle des civilisations que l’homme ait jamais connues. Des analphabètes, il a fait les porteurs du savoir au reste du monde. Avec des tribus rustres, incultes et primitives, il a érigé une justice dont l’exemplarité demeure jusqu’à aujourd’hui la plus frappante dans les annales de la justice humaine.
Les sociétés qui se disent de Mohammed (QSSL) et qui comptent sur la main-d’oeuvre non qualifiée étrangère devraient profiter de la halte, non pas pour allumer les pétards et goinfrer à longueur de nuit, mais pour se rendre compte combien est épaisse la couche de la poussière de honte qui les recouvre. Celles qui regardent, impuissantes, leurs enfants partir, faute de travail, sans rien pouvoir faire pour les retenir, devraient mieux se regarder dans le miroir. Celles qui instaurent l’injustice et la hogra comme système social devraient rougir de honte.
Parce qu’il est oeuvre et non biographie, on ne fête pas le Mawlid de Mohammed (QSSL) comme on fête l’anniversaire de Napoléon, en rappelant, à chaque fois, les conditions de sa naissance et son enfance avant d’allumer des bougies et des pétards ! On le fête en regardant, ne serait-ce qu’en cette occasion, le mal qui ronge notre société, l’inconscience des hommes, leur incapacité à garder leur statut de «sociable», leur indifférence les uns vis-à-vis des autres, leur bassesse, leur comportement de plus en plus éloigné des normes et du bon sens. On le fête aussi en ouvrant les yeux sur la corruption qui érode et désagrège jusqu’aux derniers recoins d’une société en décomposition. On le fête en ouvrant les yeux sur notre échec, sur notre incapacité d’avancer, d’améliorer, de redresser, de réformer, de mettre à jour nos idées et nos programmes.
Il en est, parmi nous, qui, figés dans l’espace, ont perdu toute relation avec le temps. D’autres, ceux qui ont préféré le temps, ont perdu tous les repères spatiaux. Nous vivons côte à côte sans être vraiment ensemble. Ceux qui croient qu’une barbe, qu’un kamis ou qu’un bâtonnet de souak suffit pour être bon musulman, ceux qui croient qu’il faut écraser les pieds des autres pour que leur prière soit bonne, ceux qui croient qu’il suffit de mettre à fond les cassettes de récitation du Coran dans leurs boutiques, dans leurs voitures, pour se revendiquer de l’Islam, tous ceux-là n’ont rien compris à Mohammed (QSSL). Ceux qui trouvent les préceptes de l’Islam dépassés, ceux qui lui reprochent l’incapacité de résoudre des problèmes qui ne se posent même pas, ceux qui y voient une mode dépassée, ceux qui tentent de le couler dans des moules politiques récents ou anciens, tous ceux-là non plus n’ont rien compris à Mohammed (QSSL)...
En attendant que nous sachions qui nous sommes, nos enfants joueront... et nous les regarderons jouer. Ils seront contents d’avoir fêté le Mawlid avec des pétards, nous serons contents de ne pas travailler samedi. Une bougie à la main, nous regarderons le temps passer et nos repères s’effriter. Nous avons oublié le sens des choses.
Nous l’avons oublié dans ces
discours usités et obsolètes que reprennent des jeunes à la manière des
vieux, nous l’avons oublié dans ces émissions qu’on dit religieuses
mais qui sont, en réalité, «gaveuses» jusqu’à la nausée et dont nous
bourrent des chaînes dont la religion est le dernier souci.(?)
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Joyeux Mouloud à toute la communauté.
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par Aïssa Hirèche
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