Dans la " noria " qui fonctionnait à plein pour la guerre d'Afrique du Nord Il y avait la formation de cadres issus des Corps de Troupe ou de la Préparation Militaire Supérieure.Rien que pour l'Infanterie, il " sortait " chaque année, entre St Maixent et Cherchell de 2500 à 3000 sous-lieutenants, aspirants ou sergents appelés à remplir les responsabilités de chef de section.
L'un de ceux-ci se rappelle les bons et mauvais souvenirs de cette formation c'est Jacques Langard. il a rédigé le texte ci-dessous, l'autre a retrouvé ses photos couvrant cette période, c'est votre serviteur Jean Morel à L'Huissier il en a fait l'illustration.
LE PARCOURS DU CON BATTANT :) HA HA HA
Le parcours du combattant, heureusement des moniteurs sont là, nous sommes ici pour apprendre ! ! !
Mustapha Saâdoun honoré par le cosmonaute russe Youri Gagarine
Mustapha Sâadoun (1918-2009) était un moudjahid et journaliste d’Alger-républicain, originaire de Cherchell. Son parcours était marqué par des actes courageux et héroïques pendant la guerre de libération nationale contre le colonialisme français en Algérie. Il a joué un rôle significatif dans la lutte pour l’indépendance de son pays.
Mustapha Sâadoun était le dernier survivant du fameux accrochage du 5 juin 1956. Cet affrontement avait opposé un commando algérien aux miliciens du bachagha Boualem, soutenus par l’armée coloniale, dans la région du Djebel Deraga, à El Karimia (Chlef).
Il était connu pour être ami avec des Français qui avaient rejoint la cause nationale, tels que Fernand Yveton, Maurice Laban, Henri Maillot et Henri Alleg.Mustapha Sâadoun a vécu dans la clandestinité en tant que membre de l’Armée de Libération Nationale (ALN).
Un document datant d’avril 1953 et signé par le commissaire de la police coloniale française, Yves Coste, mentionne une critique virulente de Sâadoun lors d’une réunion de militants algériens. Dans ce document, il exigeait la paix au Vietnam, l’abolition des communes mixtes et du caïdat, et revendiquait l’officialisation de la langue arabe. Il critiquait également la politique de paix poursuivie par la Russie et dénonçait l’impérialisme américain, anglais et français.
Sâadoun Mustapha a également critiqué des personnes qui empêchaient la tenue de rassemblements pour les populations algériennes et a dénoncé la misère dans sa commune de Cherchell. Il a pointé du doigt la construction d’une villa coûteuse au profit de l’administrateur-adjoint de la commune et l’exploitation des terrains agricoles du Chenoua par le maire Baretaud, le garde-champêtre et des chefs de fraction des douars de la commune.
Il connaissait personnellement les militants des maquis des montagnes de l’Atlas blidéen, du Dahra, de la Mitidja et du Chenoua. Il a été celui qui a réceptionné les armes détenues par l’aspirant Henri Maillot et a réussi à échapper à un mitraillage des soldats français en 1956.
Il s’est ensuite replié vers la base Ouest de l’ALN au Maroc, dans la région d’Oujda.
En 1961, Sâadoun Mustapha a été invité au Kremlin à Moscou pour être décoré par le célèbre cosmonaute Youri Gagarine, qui revenait de son voyage dans l’espace. Les responsables russes ont exprimé leur reconnaissance envers ce combattant algérien qui avait sacrifié sa vie pour l’indépendance de son pays.
Le commandant de l’ALN et chef de la wilaya IV, Lakhdar Bouregâa, entretenait un lien fort avec Sâadoun Mustapha. Une rencontre historique a eu lieu à Cherchell, enrichie par une anecdote jamais révélée ailleurs.
Il est dommage que l’ignorance des responsables locaux de l’Organisation Nationale des Moudjahidine (ONM) continue à affecter la reconnaissance de l’histoire de cette partie de la wilaya de Tipasa. Le président Tebboune a cependant insisté sur l’importance d’écrire l’authentique histoire du pays.
Est-ce la ville qui fait ses hommes ou est-ce les hommes qui font leur ville ? Si les hommes d'aujourd'hui n'arrivent même pas à gérer leur ville, autrefois, des hommes sont sortis de l'anonymat pour faire de Cherchell une ville d'art et de culture.
Il est dommage que Cherchell connue pour ses musées et ses vestiges ne soit plus gérée par ses hommes de culture mais par ceux qui préfèrent la couleur du béton à l'odeur du jasmin et la pollution de l'air à l'écoute de la musique et ses airs. Heureusement que cette ville a laissé des hommes de lettres et des artistes pour la défendre avec leurs moyens ancestraux : la plume, le pinceau ou le plectre.
Qui, mieux que les Cherchellois notamment ses hommes de lettres et ses artistes, pourraient la défendre et lui rendre ses lettres de noblesse ? Parmi les enfants de cette ville romaine, certains, tels que le plus ancien des herboristes Kamel Djebbour, écrivent des poèmes pour se défouler en attendant des jours meilleurs pour la ville de leurs ancêtres et d'autres, comme Kamel Bouchama, un ancien ministre et ambassadeur, décident de revenir sur l'histoire de Cherchell et de ses habitants connus pour avoir été de grands hommes de science et de culture.
Les érudits de Cherchell
Kamel Bouchama a consacré son avant-dernier livre De Lol à Caesarea à… Cherchell à sa ville natale.
Dans son ouvrage, l'ex-ministre et homme de culture (il a écrit une quinzaine d'ouvrages en arabe et en français) a tenu à rappeler les noms de Juba II qui fut architecte et homme de lettres, Priscianus Caesaeriensis qui était un grand grammairien ayant enseigné à Constantinople et Sidi Brahim El Ghobrini, le saint patron de Cherchell, un maître reconnu en théologie.
L'histoire culturelle et artistique ne s'est jamais arrêtée, car les bonnes graines sont toujours fécondes.
La preuve est donnée par Assia Djebbar qui a gagné sa place à l'Académie française. Avant de devenir académicienne, Assia Djebbar, de son vrai nom Fatma Zohra Imalayène, a écrit des nouvelles, des poèmes, des romans et même réalisé des films. C'est dire que cette romancière est une artiste complète.
Le premier docteur en médecine
Il est à rappeler que le premier médecin algérien à obtenir un doctorat d'une faculté européenne est un enfant de Cherchell. En effet, Mohamed Sghir Belarbey (Belarbi) a eu son doctorat avec la mention «excellent» à Paris en 1884, alors que le premier tunisien l'a obtenu en 1897. Le président du jury lui aurait déclaré : «Nous vous rendons aujourd'hui, ce que nous avons emprunté à vos aïeux.»
Il est à noter que l'un des frères de Mohamed Sghir était médecin au palais du Bey à Tunis alors que le second était interprète. Côté artistique, la beauté de cette ville n'a jamais cessé d'inspirer les artistes. Même si la plupart sont restés méconnus à cause de l'éloignement et du manque de communication, beaucoup ont pu s'imposer au niveau national.
Nora, Nardjess et les autres
C'est le cas de la grande chanteuse Nora qui a obtenu le disque d'or Pathé Marconi en 1970. Mariée au compositeur Kamel Hammadi, Nora a chanté en arabe, en kabyle. L'interprète de Ya Teyyara, Houa Houa a enregistré l'un des rares duos des années 1960 Ya Bensidi avec le regretté Ourad Boumediène. Elle a également chanté et enregistré six chansons en langue française dont la plus connue est Paris dans mon sac.
Dans la chanson hawzi, Nardjess qui vient de faire son retour après une longue absence est actuellement la vraie représentante de ce style aux côtés de la grande Seloua qui est également originaire de cette ville romaine.
Les habitants de Cherchell qui tiennent à garder ce patrimoine pratiquent cet art au sein d'associations très actives telles que Errachidia. Un des descendants de Sidi Brahim El Ghobrini fait partie de cette association qui fut dirigée pendant une longue période par le chanteur Smaïl Hakem qui, malgré ses connaissances n'a pu se détacher de l'imitation de Dahmane Benachour.
Andalou, chaâbi et moderne
Dans le chaâbi, malgré un petit défaut de langue, feu Saïd El Ghobrini, également descendant du saint patron de la ville, avait pu se classer parmi les meilleurs chanteurs de chaâbi des années 1960- 1970. Mohamed Cherchali est aussi un chanteur, parolier et compositeur. Il a écrit des dizaines de chansons pour des chanteurs dont Redha Doumaz.
La chanson Chahlet Laâyani écrite par Abdelhakim Garami, qui était également un chanteur de talent, reste toutefois la plus connue puisqu'elle a été reprise et diffusée dans les pays arabes. Côté musique, tous les spécialistes reconnaissent encore le grand talent du banjoïste Kaddour Cherchali qui fut un véritable maître de l'andalou et du chaâbi.
Pour la chanson moderne, deux artistes sont sortis de Cherchell pour s'imposer au niveau national. Le premier Baâziz, le provocateur à la guitare sèche et harmonica et le second Cheb Bilal, un artiste connu pour son humanisme.
Placée sous la bénédiction de Sidi Brahim El Ghobrini, dont le mausolée mérite une Destauration et une meilleure gestion, Cherchell ne cessera jamais de nous gâter d'art et de culture.
https://www.djazairess.com/fr/letemps/14772
Nostalgie, quand tu nous tiens...
Uue reste t-il de ma belle ville... Et de son cadre si charmant ? Que restera t-il de l'ilot Joinville... De sa petite plage au sable d'argent ?
Que reste t-il de ses allées... Bordées de fleurs à l'ombre des muriers ? Que reste t-il de son passé... Que de souvenirs de mes rèves premiers.
Que reste t-il de ses jardins fleuris... De "mer et soleil" ce p'tit coin de paradis ? Que reste t-il de ses mausolées... De "Ain Qsiba" cette autre oubliée.
Que reste t-il de son forum punique... D'ou cette foule chantait de joyeux cantiques ? Que restera t-il de ses ruines, colonnes et cirques ? Que sera le destin de ma capitale antique ?
Que restera t-il à ce symbole de ma fierté.. De ce phare tel un géant face à cette immensité ? Au pied de ce "bel-ombra" sans défense je maudissais... Ces engins de mort et cette mer qui reculait.
Sans scrupule "ils" ont terni ta gracieuse image... A vouloir éffacer toute ton histoire... Ceux qui t'ont connue, aimé garderont cet espoir... Revenir un jour, méditer sur ton rivage.
Alors ! que reste t-il donc de CHERCHELL ? Accepteriez-vous cette vérité ? Toujours aussi belles... Sa place romaine et sa mosquée...
Cherchell Coésaréa Aux bords des flots bleus, sous une ombre exquise Cherchell enchanteur, sourit aux passants Nulle par ailleurs aussi fraîche brise Peut-il exister cadre plus charmant ?
L’ombre du passé monte de la terre Coésarée l’antique clame son renom Ruines bouleversées d’une ville entière Colonnes de marbre, buste d’Apollon
Vous, que le hasard conduit à nos portes Et que demain le destin emporte Rappelez-vous que les douceurs de la vie A jamais ne s’arrêtent …… Quand reviendrez-vous ?
La première épouse du roi Juba II était une princesse égyptienne, la huitième des Cléopâtres, fille de Cléopâtre VII, reine d'Egypte.
Le mariage de Juba II et Cléopâtre Séléné eu lieu vers 20 ou 19 av. J.-C. Séléné est qualifiée de BACCIAICCA KEOIIATPA (reine Cléopâtre), marqué exclusivement en grec, sur la plupart des monnaies portant son effigie, ce qui ne se faisait nullement pour les reines qui n'exerçaient pas de pouvoir politique. C'est donc une véritable souveraine qui allait diriger le royaume auprès de son mari.
Son portrait sculpté sur du beau marbre blanc découvert dans sa capitale nous la révèle l'air digne mais sévère, coiffée à l'égyptienne. Une femme mythique que cette Cléopâtre de Maurétanie, de la même essence que sa mère la reine d'Egypte et de Sophonisbe, la célèbre épouse des rois Syphax et Massinissa.
Séléné influença considérablement le roi en éveillant une vive passion pour leurs traditions ancestrales. Elle jouera un rôle prépondérant dans la construction du royaume et de la capitale en participant aux grandes orientations politiques de la vie religieuse, économique et sociale. La reine fut associée officiellement au trône d'après le témoignage des monnaies de Caessarea. D'ailleurs, la seule connaissance de la physionomie de la reine nous est offerte par l'effigie monétaire. Que cela soit sur les émissions monétaires ou dans l'art, les symboles de l'Egypte sont toujours présents en Maurétanie. Séléné mourut trop jeune pour Juba II, à l'âge de trente-cinq ans. Sa mort nous est rappelée par des vers rédigés en son honneur dans lesquels un poète vante la beauté et la grâce de Séléné et dont la mort coïncida avec une éclipse lunaire au début de la soirée du 22 mars de l'année 5 avant l'ère chrétienne.
« La lune elle-même en se levant un soir s'est obscurcie,
Elle a voilé des ténèbres de la nuit sa douleur et son deuil,
Lorsqu 'elle vit la gracieuse Séléné, du même nom qu 'elle,
Descendre sans vie dans la sombre demeure de Pluton.
De même qu 'elle lui avait communiqué l'éclat de sa belle lumière,
Elle voulut aussi unir ses ténèbres à son trépas. »
Crinagoras de Mytilène (70 av. J.-C. à 18 ap. J.-C.)
Source : Mahfoud Ferroukhi, Nos ancêtres les Rois Numides ou les Aguellids des Imazighen, édition Dalimen,Alger, 2009.
Dans l'émission "Historiquement vôtre", Stéphane Bern fait lundi le récit de l'histoire tragique et méconnue d'un personnage oublié de la grande histoire, pourtant fille aînée des célèbres Cléopâtre et de Marc Antoine : Cléopâtre Séléné. Une princesse seule rescapée de la dynastie et condamnée à l'interdiction de se souvenir de sa famille.
Vous pensiez tout connaître de l'Egypte ? Mais connaissez-vous Cléopâtre Séléné, grande oubliée de l'Histoire et unique fille de Cléopâtre ? Tout commence sous un soleil de plomb, le 15 août 29 av. J.-C. Trois jeunes enfants défilent à Rome lors du triomphe d'Octave, futur premier empereur romain sous le nom d'Auguste. Mais pourquoi ont-ils les larmes aux yeux ? N'est-ce pas un événement heureux ? Pour eux, vraiment pas. Enchaînés, ils sont en train de vivre une terrible humiliation, celle réservée aux vaincus.
Leurs parents ont été défaits par Octave à la bataille navale d'Actium deux ans plus tôt. Ils sont les enfants des amants les plus célèbres de l'Antiquité, Marc-Antoine et Cléopâtre. Trimballés dans les rues de la capitale, sous les insultes des Romains, les enfants suivent une statue de leur mère. Celle qui nous intéresse aujourd’hui, du haut de ses 10 ans, porte justement le même prénom qu'elle. C'est Cléopâtre Séléné. Elle est l'aînée de la fratrie, place qu'elle partage avec un frère jumeau.
"Séléné", c'est son surnom, du nom de la déesse de la lune dans la mythologie grecque. Son frère, c'est Alexandre Hélios, le dieu du soleil. Pourquoi des références aux divinités grecques, alors que leur mère est reine d'Égypte ? Tout simplement parce que ces enfants sont nés au carrefour de deux des plus grandes civilisations de l'Histoire.
La "damnatio memoriae", l'interdiction du souvenir
Leur mère, Cléopâtre VII, appartient à la dynastie lagide, aussi dite des Ptolémée, ces pharaons d'origine grecque qui règnent sur l'Égypte depuis le 3e siècle. Elle descend d'Alexandre le Grand et, après avoir été la compagne de Jules César, est devenue l'amante du général romain Marc-Antoine. Ensemble, ils règnent sur l'Égypte depuis la somptueuse capitale Alexandrie.
Cléopâtre Séléné y grandit dans de luxueux palais, où elle reçoit la même éducation que ses frères. Des récits qui bercent son enfance, elle retient particulièrement ceux d'Homère et les exploits d'Hercule. À l'automne 34 av. J.-C., Marc-Antoine, qui veut partager l'Empire entre les enfants qu’il a eus avec Cléopâtre, la fait reine de Cyrénaïque, région de l'actuelle Libye. Une décision qui n’aide pas à apaiser les tensions, déjà violentes, entre l'Orient et l'Occident depuis la mort de César.
À Rome, Octave, le fils adoptif de César, ne l'entend pas de cette oreille. C'est à Actium, qu’il vainc Marc-Antoine et Cléopâtre en 31 av. J.-C. Pour ne pas tomber aux mains des Romains, les amants se suicident tandis que Césarion, le fils de César et Cléopâtre, le frère aîné de Séléné, est égorgé.
Voilà donc une orpheline de 10 ans, Cléopâtre Séléné, qui passe du faste de la belle Alexandrie à l'humiliation romaine. En 30 av. J.-C., l'Égypte devient une province de Rome. Et pour couronner le tout, ses parents sont victimes d'une épreuve encore pire que la mort : la damnatio memoriae. C'est la condamnation de la mémoire, l'interdiction du souvenir.
Mais Cléopâtre Séléné sait. Elle n'oublie jamais d'où elle vient, quand bien même elle grandit chez l'ennemi. Son éducation est confiée à Octavie, la sœur d'Octave, qui a été mariée à son père Marc-Antoine. Elle grandit donc aux côtés de ses deux demi-sœurs. Ses frères sont tous tôt ou tard assassinés par le vainqueur romain. Cléopâtre Séléné est désormais la seule rescapée de la dynastie des Ptolémée.
Un "power couple" avec le roi Juba
En 27 av. J.C., à Rome, Octave prend le titre d'Auguste. C'est le début de l'Empire romain qui comprend, entre autres, le royaume de Maurétanie. Attention, rien à voir avec la Mauritanie ! Cette région antique correspond à un ensemble que formeraient aujourd’hui le Maroc et l'Algérie. Auguste nomme Juba roi de Maurétanie. Cet officier berbère d'une vingtaine d'années est fils de l'ancien roi de Numidie (aujourd'hui le Constantinois).
Mais bien qu'originaire de la région, Juba ne la connaît pas. Son père a été tué lors d'une guerre contre Jules César, qui cherchait à étendre son influence et se battait pour les ressources naturelles d'Afrique du nord. Juba, prisonnier à l'âge de trois ans, a été élevé à Rome chez la femme de l'assassin de son père, Calpurnia. Son parcours ressemble beaucoup à celui de Cléopâtre Séléné.
Et maintenant que la Maurétanie a un roi, il lui faut une reine. Sur une idée d'Octavie, qui s'est attachée à sa prisonnière, Cléopâtre Séléné est envoyée auprès de Juba. Elle a 20 ans, il en a huit de plus. Si elle ne croit pas avoir hérité de la beauté de sa mère, elle rayonne, elle aussi, par son intelligence.
Les époux règnent sur les berbères en terre de Maurétanie. Ils font de leurs origines différentes une force. Elle parle grec et égyptien, mais pas berbère. Lui est kabyle et parle le punic, langue de Carthage, le libyque et le grec. Très éduquée et lettrée, Cléopâtre Séléné veut assouvir sa soif de vengeance contre Rome. Pas dans la guerre, ni dans le sang. C'est d'abord une revanche culturelle et religieuse qui est à sa portée. En mettant en avant sa culture égyptienne et grecque, elle s'émancipe de Rome.
Une aura culturelle internationale
Leurs représentations sur les pièces de monnaie témoignent de la richesse et de la diversité de leurs cultures. Ils sont les seuls à avoir des monnaies d'or comme les Romains. Et ils n'hésitent pas à afficher leurs origines. En légende pour lui, il est écrit "Rex Juba", en latin donc, tandis qu'elle fait écrire "Cleopatra Basilissa", en grec. Elle se fait représenter avec des éléments de chez elle : crocodiles des eaux du Nil, fleurs de lotus, cornes de la déesse Hathor, grand aigle d'Alexandrie, ou bien avec la coiffure à tête d'éléphant qui symbolise l'Afrique.
Dans l'architecture, c'est pareil. Ils font de Césarée, l'actuelle Cherchell en Algérie, la capitale de la Maurétanie. Et ils y font construire un palais aux colonnes venues d'Egypte et un phare, alors que le seul phare à l’époque est celui d'Alexandrie. Ils perpétuent le culte égyptien en faisant construire un temple d'Isis. Les époux développent aussi leurs cités du Maroc, comme Volubilis, qui voit sortir de terre forums, thermes et temples de Saturne et d'Hercule, des dieux locaux. Et ce n'est pas tout.
En épousant Juba, Cléopâtre Séléné espère perpétuer la dynastie des Ptolémée. Pour cela, il lui faut s'assurer une descendance. De son union avec Juba naît, après plusieurs enfants morts en bas âge, un fils, en 5 ou 6 av. J.-C.. Comment l'appeler ? Ptolémée, tout simplement !
Quand disparaît Cléopâtre Séléné ? Nous l'ignorons. Elle meurt, selon certains historiens, en 5 ou 6 après Jésus Christ. Selon d'autres, c'est entre 14 et 17, quand le poète Crinagoras de Mytilène publie une épigramme funèbre en l'honneur d'une mystérieuse Séléné. A moins qu'elle n'ait vécu autant que ses demi-sœurs, lesquelles verront trois Empereurs se succéder à la tête de l'Empire romain.
Une descendance elle aussi maudite
En 23, Ptolémée succède à son père à la tête du royaume de Maurétanie. Mais encore une fois, pour des questions de rivalités et de jalousie, le destin de la famille bascule. Quelques années plus tard, Ptolémée est convié à Rome par son cousin, l'empereur Caligula. Il accepte l'invitation et franchit la Méditerranée. Mais au cours d’un spectacle de gladiateurs, il ose un terrible affront en portant un manteau de pourpre, la couleur impériale. Et d'une pourpre plus belle que celle de l’Empereur, de surcroît.
Caligula, qui est un empereur fou et jaloux, le fait immédiatement assassiner. Ainsi disparaît le fils de Cléopâtre Séléné, dernier descendant des Ptolémée d'Égypte. Les Romains annexent alors la Maurétanie.
Aujourd’hui, les cultures marocaines et algériennes ne gardent quasiment aucune trace de Cléopâtre Séléné, ou même de la présence romaine dans leurs régions. Dès leur indépendance, au 20ème siècle, les pays de l'ancienne Maurétanie vont faire débuter leur Histoire à l'avènement de l’islam.
Au détour de Tipaza, en Algérie, on trouve aujourd'hui un tombeau royal magistral. Haut comme une petite pyramide pharaonique mais de forme arrondie, il s'inspire des architectures funéraires grecques et berbères et illustre l'incroyable diversité culturelle qu'incarna Cléopâtre Séléné, fille de Cléopâtre.
L'académicienne franco-algérienne dévoile dans son autobiographie réussie l'histoire de son déchirement entre les deux pays.
Cette petite fille aux yeux verts, élevée dans l'antique Césarée, aujourd'hui appelée Cherchell l'algérienne, se dévoile, loin des images qu'on pouvait attendre d'une « vie sous la colonisation ». La petite Fatima, qui ne s'était pas encore attribué le pseudonyme d'Assia, si pleine de vie, n'a pas cessé de rêver d'aventures. D'abord en littérature... française. Elle a pleuré avec Sans Famille, a reçu Baudelaire et son Invitation au voyage, comme « une invitation à la beauté des mots français, à leur respiration secrète », a découvert l'amitié et dévoré la Correspondance de Jacques Rivière-Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes...
Lectures banales pour une jeune Française vivant dans l'Algérie française des années 1950. Mais Fatima la jeune berbère est musulmane. Elle sera l'une des rares « Arabes » qui étudieront dans les écoles françaises d'Algérie et de France grâce à un père omniprésent, l'austère Tarak, au même regard vert que sa fille. Un instituteur « indigène », le mot de l'époque, qui ne s'en laissait pas conter. « Toi là-bas, tu as fait pleurer mon fils ? », l'interpelle, un jour, un parent pied-noir. - « Toi ici, répliqua aussitôt mon père, raconte Assia. À qui crois-tu parler ? À ton berger peut-être ? À ton esclave ? - Tu oses ? », réagit le Français (...) prêt à la bagarre. « J'ai posé mon cartable. Je lui ai fait face. Le provocateur a reculé. Il a soudain réalisé que j'avais quinze centimètres de plus que lui ou simplement que mon regard ne cillait pas », racontera plus tard le père à sa fille. Tel était Tarak qui donna la liberté d'étudier à Fatima après l'avoir empêchée, enfant, de faire de la bicyclette parce que l'on « voyait ses jambes »...
Dans cette Algérie des années 1950, Tarak a laissé sortir Fatima pour l'école, plus tard pour le pensionnat. L'aventure est venue ensuite, par la rencontre de jeunes étudiantes françaises. Celles-ci lui apprirent lors de longues discussions tard le soir au dortoir, les mots « flirt », « accompagnée » qui entouraient, à l'époque, toute jeune fille qui avait un amoureux. Mag et Jacqueline l'initieront à la liberté, interdite à une jeune musulmane. Leurs portraits, comme pris sur le vif, gais, admiratifs, assurent que les deux camps, jeunes filles françaises et arabes, pouvaient se donner la main, loin des histoires de mésentente, d'indifférence ou d'ignorance. Mag et Jacqueline apprirent à Fatima à contourner l'interdit sans penser aux dangers qu'elle courait. Elles lui firent franchir le Rubicon en voulant la faire vivre comme elles. Fatima eut ses amoureux, tous platoniques, Ali « le Saharien », puis Tarik, le descendant d'aristocrates turcs venus s'installer en Algérie. Magnifiques portraits. Mais avec le dernier, ce fut le drame. Fatima prit peur à l'idée de se promener le soir dans Alger avec celui qu'elle appelait pour elle toute seule « le fiancé ». L'ombre de son père Tarak la poursuivait. Un soir, craignant qu'il l'apprenne, elle roula sous un tramway d'Alger. Tentative de suicide déguisée. Elle ne serait bien désormais, dit-elle, « nulle part dans la maison de mon père ». Coupée en deux entre l'Algérie, ses traditions, et la France, son aventure. Une déchirure.
FEMMES PUISSANTES DE L’HISTOIRE ANCIENNE (4/5). Son esprit et son charisme ont séduit César et Marc-Antoine. Mais qui était donc Cléopâtre, cette reine exceptionnelle dont on n’a voulu retenir que la beauté supposée ?
« Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé »,écrivait Blaise Pascal. Une phrase qui a été trop souvent prise au pied de la lettre alors qu’il s’agissait d’une illustration philosophique de ce que l’on nommerait aujourd’hui l’effet papillon. Pascal se moquait probablement de la taille de l’appendice nasal de la reine égyptienne comme de sa première vinaigrette. On ne va pas ici débattre de l’attrait supposé de Cléopâtre : les canons de beauté changent avec les pays et les époques et ce n’est pas son physique qui a fait l’essentiel de sa séduction – contrairement à ce qu’Hollywood a voulu nous présenter. L’atout numéro un de Cléopâtre était son esprit.
Les auteurs antiques ne manquent jamais de souligner son intelligence et son charisme. « On prétend que sa beauté, considérée en elle-même, n’était pas si incomparable qu’elle ravît d’étonnement et d’admiration : mais son commerce avait un attrait auquel il était impossible de résister ; les agréments de sa figure, soutenus des charmes de sa conversation et de toutes les grâces qui peuvent relever un heureux naturel, laissaient dans l’âme un aiguillon qui pénétrait jusqu’au vif, »écrit Plutarque dans ses « Vies des hommes illustres ».
Ces qualités, cette vivacité d’esprit associés à un sens politique aiguisé, ont pu mettre César et Marc Antoine à ses pieds.
Les enfants de la dynastie lagide (ou ptolémaïque) étaient très tôt plongés dans la politique et tout ce qui touche aux affaires de l’Etat – y compris la diplomatie et l’économie. Cléopâtre était une femme extrêmement cultivée, parlant couramment neuf langues – dont le grec, bien sûr, mais aussi l’égyptien, la langue des pharaons qu’elle avait fait l’effort d’apprendre. A cette époque, les monarques ptolémaïques, à l’image des patriciens romains, recevaient une éducation variée allant de la philosophie à la médecine en passant par la littérature, les mathématiques et l’astronomie. Cléopâtre connaissait probablement davantage de géométrie qu’un titulaire contemporain du brevet des collèges et savait, au contraire d’un conspirationniste d’aujourd’hui, que la Terre est ronde – après tout, sa circonférence avait été calculée à Alexandrie.
Elle est aussi l’héritière d’une culture qui, au contraire des autres contrées antiques, laisse toute leur place aux femmes. « Les femmes égyptiennes avaient le droit de faire leurs propres mariages », détaille Stacy Schiff, autrice d’une biographie de Cléopâtre.
« Au fil du temps, leurs libertés s’étaient étendues à des niveaux sans précédent dans le monde antique. Elles héritaient équitablement et avaient le droit de propriété de façon indépendante. Les femmes mariées ne se soumettaient pas au contrôle de leurs maris. Elles avaient le droit de divorcer et de recevoir un soutien après leur divorce… Elles prêtaient de l’argent et commandaient des barges. Elles servaient comme prêtresses dans les temples locaux. Elles faisaient des procès et embauchaient des joueurs de flûte. En tant que femmes, veuves ou divorcées, elles étaient propriétaires de vignobles, champs de papyrus, bateaux, parfumeries, équipement minier, esclaves, maisons, chameaux. Jusqu’au tiers de l’Egypte ptolémaïque a pu être dans les mains de femmes. »
Buste de marbre dont les spécialistes pensent qu’il représente Cléopâtre, exposé à l’Altes Museum de Berlin. Il date probablement de son passage à Rome entre -46 et -44. (Louis le Grand / Wikimedia Commons) (LOUIS LE GRAND / WIKIMEDIA COMMONS)
Elle sort d’un sac pour rencontrer César
Il faut se représenter le monde occidental à l’époque de Cléopâtre. Rome avance partout, conquiert, écrase tout souverain qui ose faire preuve d’un peu de puissance. Le seul royaume encore indépendant dans le pourtour méditerranéen, c’est l’Egypte. L’Egypte, alors un grenier à blé – qui deviendra celui de l’Empire romain – a plus ou moins acheté cette indépendance sous Ptolémée XII, le père de Cléopâtre. Lorsqu’elle accède au trône, à 18 ans, co-pharaon avec son frère Ptolémée XIII qui devient son rival, elle ne peut pas avoir ignoré que la puissance de Rome et son appétit de conquêtes figuraient au premier plan des préoccupations internationales de son pays. Et qu’elle doit trouver un moyen sinon de vaincre Rome, du moins de l’apprivoiser.
C’est dans ce contexte que se déroule la fameuse scène « du tapis » : on est en pleine guerres civiles, au pluriel. César et Pompée d’un côté, Cléopâtre et son frère-époux Ptolémée XIII de l’autre. Fuyant après sa défaite à Pharsale (Grèce), Pompée est assassiné à son arrivée en Egypte sur ordre de l’entourage de Ptolémée, au grand désarroi de César. Alors qu’il poursuit les dernières troupes de Pompée, César décide de jouer les arbitres dans la querelle égyptienne et invite frère et sœur à une conférence pour régler leurs problèmes. Ptolémée XIII s’arrange pour en interdire l’entrée à sa sœur. Pour passer outre, celle-ci décide de se faire livrer incognito à César enroulée dans un tapis selon la légende – plus probablement dans un sac de toile grossière pour passer inaperçue.
On ne sait pas dans quel état elle en est sortie, sûrement passablement ébouriffée. Mais le résultat, que ce soit à cause de sa personnalité rayonnante ou de l’assassinat de Pompée par le camp de Ptolémée – qui avait choqué César – est que ce dernier prend parti pour Cléopâtre. Et en tombe amoureux.
César étant toujours un brillant stratège, il parvient à prendre le dessus sur ses opposants. Mais il est assassiné à Rome alors que la reine d’Egypte y séjourne. Elle rejoint Alexandrie et doit gérer son royaume au travers de plusieurs crises – dont une climatique. Elle se trouve aussi prise dans les guerres civiles romaines, avec les héritiers de César d’un côté, ses assassins de l’autre. Elle poursuit cependant ses efforts pour faire reconnaître leur fils – surnommé Césarion – comme son héritier légitime, mais César a déjà un héritier même s’il n’est que son fils adoptif : son petit-neveu Octave, que l’on appellera plus tard Auguste.
Les deux grandes racines de la défaite de Cléopâtre sont sans doute là : l’appétit de puissance de Rome et le désir d’un homme de succéder à celui qui était à deux pas du trône et ne l’a pas pris. Octave ne pouvait pas s’allier à Cléopâtre parce qu’ils étaient des ennemis naturels dans la succession de César. Et Rome ne pouvait pas ne pas conquérir l’Egypte. Elle pouvait cependant échouer, et Cléopâtre s’est employée à cela, avec l’aide de Marc Antoine.
Cléopâtre et César, peinture de Jean-Léon Gérôme en 1866 (Wikimedia Commons) (WIKIMEDIA COMMONS)
Le rêve d’un empireoriental
La République romaine mourante attendait son maître. La mort de César porte au pouvoir un triumvirat désireux de poursuivre et châtier ses assassins, mais c’est bien là leur seul point commun. Octave a l’Occident, Antoine l’Orient – dont l’Egypte – et le troisième homme, Lépide, contrôle la province d’Afrique – peu ou prou l’actuel Maghreb. Comme tout triumvirat, il finit par éclater après la défaite des derniers meurtriers de César. Lépide est mis hors-jeu, et le conflit entre Octave et Marc Antoine peut éclater au grand jour.
Cléopâtre fait de nouveau preuve de son sens politique et du décorum : sa première rencontre avec Marc Antoine, en réponse tardive à ses multiples convocations, se fait sur une barge richement parée, où elle déploie un mélange de charme et de diplomatie. Antoine est conquis. Malgré les fréquents allers-retours de ce dernier à Rome et des triangles amoureux avec Octavia, demi-sœur d’Octave et épouse officielle d’Antoine (du moins jusqu’à ce que le conflit ouvert éclate avec Octave) la liaison entre les deux amants se poursuit. Ils finissent par former un couple de pouvoir qui organise l’est méditerranéen, planifiant un empire du Levant qui pourrait contrecarrer la puissance de Rome.
On retrouve ce dessein dans les Donations d’Alexandrie, un plan de partage de ce monde oriental (y compris de territoires restant à conquérir) entre les héritiers d’Antoine et Cléopâtre : Césarion, fils de César, et leurs trois enfants communs – les jumeaux Cléopâtre Sélène, Alexandre Hélios, et le plus jeune, Ptolémée Philadelphe. Comme certains de ces territoires font partie de la République romaine, le Sénat s’y oppose, tout naturellement. C’est le dernier casus belli entre Octave et Antoine… Mais Cléopâtre n’est pas au second plan dans ces manœuvres politico-militaires, bien au contraire.
Les Donations d’Alexandrie : Marc Antoine partage avec Cléopâtre et ses enfants des territoires romains et d’autres qui restent à conquérir. (Howard Wiseman / Wikimedia Commons) (HOWARD WISEMAN / WIKIMEDIA COMMONS)
La guerre perdue… à cause du climat et des eaux-mortes ?
On ne peut en aucun cas résumer l’action de Cléopâtre à l’aune de la politique colonisatrice de Rome. Elle a été avant tout une souveraine compétente et compatissante pour son peuple, même lorsque le climat s’en est mêlé. Joseph McConnell, de l’université de Reno, et ses collègues ont en effet émis une théorie surprenante : l’éruption d’un volcan sur l’île d’Okmok (Alaska) en 43 avant notre ère aurait modifié le climat de l’hémisphère nord et eu des conséquences dramatiques en Egypte. La crue du Nil, dont dépendait l’agriculture du pays, en a été modifiée durant plusieurs années, entraînant famines et maladies.
Cléopâtre géra de son mieux la crise, ouvrant les greniers à blé royaux pour nourrir ses habitants, dévaluant la monnaie… Mais les années - 43 et - 42 auraient été « parmi les plus froides des récents millénaires ». Une décennie entière de mauvaises récoltes et d’épidémies aurait ainsi affaibli le royaume de Cléopâtre au moment où, à l’extérieur, elle et Marc Antoine avaient le plus besoin de ressources.
Les rêves de puissance de Cléopâtre et Antoine s’écroulent en une bataille, dans la baie d’Actium (au nord-ouest de la Grèce actuelle), le 2 septembre de l’an - 31. Leurs flottes combinées subissent en effet une cuisante défaite face aux navires d’Octave. Les bâtiments de ce dernier, plus légers mais plus nombreux, l’ont emporté sur les puissantes galères de ses adversaires. Erreurs stratégiques ? Incompréhensions entre la flotte romaine d’Antoine et la flotte égyptienne ? Beaucoup d’analyses stratégiques ont été émises a posteriori sur la bataille.
Il est même possible que la défaite de leurs troupes ait été dues à un phénomène aquatique particulier : les eaux-mortes. Selon une étude menée par le CNRS, « la variation de la vitesse des bateaux piégés en eaux-mortes est due à des ondes qui agissent comme un tapis roulant bosselé sur lequel les navires se déplacent d’avant en arrière ». Cela pourrait expliquer certains comportements de la flotte égyptienne et sa défaite face à Octave.
Quelques mois plus tard, alors que tout semble déjà perdu et qu’Antoine tente encore de négocier une issue honorable, il montre à quel point il tient à son amante : « Montrant un amour désintéressé pour Cléopâtre, il propose même de se tuer lui-même si cela signifiait que Cléopâtre soit sauvée. Octave ne donna aucune réponse », raconte Diana Preston dans son « Cléopâtre et Antoine ». La suite est inévitable. Octave envahit l’Egypte. Antoine et Cléopâtre se donnent la mort.
On a tout dit sur le suicide de Marc Antoine, se jetant sur sa propre épée, agonisant dans les bras d’une Cléopâtre qu’il avait crue morte dans une scène digne de « Roméo et Juliette ». On a aussi beaucoup écrit sur les poisons que la reine aurait fait tester sur des esclaves avant de choisir le moins douloureux – la peu plausible vipère aspic et son venin fulgurant. Certains ont aussi suggéré que Cléopâtre avait plutôt été assassinée sur ordre d’Octave et que le suicide aurait été une opération de relations publiques. Qu’y a-t-il de vrai et d’imaginaire dans tout cela ? Nous n’en saurons rien.
Leurs vrais visages ? Deniers d’argent datant de 32 avant notre ère, émis du vivant de Cléopâtre et Marc Antoine. (Classical Numismatic Group / Wikimedia Commons) (CLASSICAL NUMISMATIC GROUP / WIKIMEDIA COMMONS)
L’héritage de Cléopâtre
Hormis la légende, que reste-t-il de Cléopâtre ? Son tombeau – et celui de Marc Antoine – n’a pas encore été retrouvé. Les textes anciens le situent dans les environs d’Alexandrie. Certains archéologues, professionnels et amateurs, en on fait l’objectif d’une vie, telle la docteure Kathleen Martinez qui, aux dernières nouvelles, fouillait le site de Taposiris Magna, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest d’Alexandrie. Mais la plupart des archéologues pensent qu’il se trouve désormais sous les eaux, avec la plus grande partie de la ville antique d’Alexandrie, submergée à la fois par les tremblements de terre et la montée du niveau de la mer.
L’héritage qui n’a pas été entièrement accaparé par les Romains, ce sont ses enfants. Si Césarion a été tué, probablement sur ordre d’Auguste, les trois autres, ceux qu’elle a eus avec Marc Antoine, ont peut-être survécu. Cléopâtre Sélène, sa fille, a été élevée par Octavia, la sœur d’Auguste et ex-femme de Marc Antoine. Elle a été ensuite mariée à Juba II, roi de Numidie. Auguste leur a reconnu conjointement la souveraineté sur la Maurétanie (une partie de l’actuel Maghreb), et Sélène a eu la réputation d’une reine bonne et juste. Leurs descendants se seraient liés par mariage à de multiples reprises avec la noblesse romaine.
Son jumeau Alexandre Hélios aurait, lui aussi, été épargné, de même que le plus jeune fils, Ptolémée Philadelphe. S’ils ont survécu, ils ont pu être élevés avec leur sœur et peut-être l’ont-ils accompagnée en Maurétanie. Mais nous n’avons aucune certitude.
Le mausolée royal de Mauretanie à Tipaza, en Algérie. On dit que Juba II et Cléopâtre Sélène y auraient été inhumés, mais aucun corps n’y a jamais été retrouvé. (Lamine Bensaou / Wikimedia Commons) (LAMINE BENSAOU / WIKIMEDIA COMMONS)
« Déviante, socialement dérangeante »
Il faut cependant être conscients qu’aucun texte ou compte-rendu contemporain de Cléopâtre n’a été retrouvé – et encore moins venant de son propre camp. Les seuls récits proviennent d’historiens qui ont vécu au moins un siècle plus tard, influencés sinon dictés par la volonté des empereurs, Auguste au premier plan. Le rouleau compresseur culturel et historique de 400 ans de monde romain a décidé de l’image de certains personnages du passé qui n’étaient pas du bon côté de Rome. Les vaincus, comme les Gaulois. Ou Cléopâtre et Marc Antoine.
Le personnage de Cléopâtre a donc été façonné par ses vainqueurs, qui avaient tout intérêt à la mettre au rang de puissance malfaisante pour magnifier leur propre victoire et la grandeur de la civilisation romaine. En plus, elle avait l’infortune d’être une femme, ce qui lui a valu une réputation de séductrice impitoyable, de sorcière tentatrice et autres épithètes issus d’une histoire écrite par des hommes.
Le reste est à l’avenant : de l’Antiquité à Hollywood en passant par Shakespeare, c’est une Cléopâtre imaginaire qui s’est ancrée dans les esprits et a sublimé un portrait frisant la caricature. Comme le résume Stacy Schiff :
« Cléopâtre semble la création commune de propagandistes romains et de metteurs en scène hollywoodiens. »
« Elle souffre d’avoir séduit deux des plus grands hommes de son temps alors que son crime était en fait d’avoir scellé les mêmes partenariats dont profitait chaque homme au pouvoir »,analyse l’autrice. « Qu’elle le fasse à l’envers et sous son propre nom la rendait déviante, socialement dérangeante, une femme contre nature. Il ne lui reste qu’à mettre une étiquette vintage sur quelque chose dont nous avons toujours connu l’existence : une puissante sexualité féminine. » A-t-elle été amoureuse des grands hommes qu’elle a séduits ? « On ne sait pas si Cléopâtre a aimé Antoine ou César, mais nous savons qu’elle a fait en sorte que chacun d’eux fasse ses quatre volontés », répond Stacy Schiff.
Dans l’histoire de Cléopâtre, il faut donc savoir lire entre les lignes et le non-écrit semble nous raconter la vie d’une souveraine brillante qui a utilisé tous ses pouvoirs de séduction et de persuasion pour préserver à tout prix la grandeur de son pays et le protéger contre la convoitise romaine. Qu’elle ait échoué dans cette opération ne diminue en rien son mérite.
“La femme sans sépulture” est un roman écrit par Assia Djebar, publié en 2002. C’est aussi la recommandation de la semaine de Mayssa.
Voilà. J’ai fini La femme sans sépulture. Que dire, que dire de ce magnifique roman faisant revivre Zoulikha, héroïne de la guerre de libération, figure estimée de sa ville, Césarée de Maurétanie. « La visiteuse », « l’étrangère pas si étrangère », l’auteure elle-même ? revenue bien trop tard après l’indépendance dans la ville de ses aïeux, retrace minutieusement la vie de Zoulikha, contée par les femmes de la ville : ses filles, sa tante, Dame Lionne. Autant de personnages complexes et étonnants convoqués pour raconter le passé. Chacune se remémorant un souvenir, mis bout à bout pour restituer l’histoire de l’héroïne : « une large fresque féminine » dont Zoulikha est au centre, elle par trois fois épousée, par quatre fois mère, militante locale avant de rejoindre le maquis puis disparue, laissée sans sépulture. Disparue comme tant d’autres combattants, dont les familles n’ont, jusqu’à aujourd’hui pas d’explications, pas de traces malgré des recherches désespérées : une volonté d’effacer ces héros de la guerre d’indépendance.
Ce récit, écrit comme un chant, un conte où plusieurs conteuses prennent la parole lors de veillées féminines est également un voyage. Un voyage dans le temps : des époques romaines, vandales et numides à travers notamment le musée de Césarée, à la guerre de libération, et enfin au retour de « la visiteuse » en juin 1981. C’est également un voyage dans la région natale de l’auteure, les femmes-conteuses nous emmènent à l’antique cité romaine Césarée, actuelle Cherchell, prennent la route de Tipaza, ancienne ville romaine également, passant par des villages de pécheurs et dégustant des grillades de poisson frais, aux villages du mont Chenoua surplombant la douce Méditerranée… Pour qui, comme moi, y est déjà passé, les images des magnifiques paysages défilent au cours de la lecture, comme si j’étais retournée en Algérie les admirer, entre une douce brise marine et un soleil éclatant.
La femme sans sépulture, c’est surtout un hommage, c’est faire vivre le récit d’une femme extraordinaire, par sa complexité et son courage, c’est un remerciement : à tous ces combattants ayant donné leur vie à l’Algérie, et en particulier une mise en lumière du rôle des femmes dans la guerre. Zoulikha n’est en effet pas la seule femme algérienne ayant quitté sa famille, ses jeunes enfants, pour rejoindre le maquis ; ni la seule ayant participé à l’organisation d’un réseau de femmes en ville (dont Dame Lionne, ou Lla Lbia faisait partie), récoltant de l’argent et des vivres pour le maquis, « l’organisation » comme on disait, aidée par des hommes de la ville. C’est aussi une illustration de la vie sous l’occupation : les arrestations, le couvre-feu, les inspections des maisons…
C’est un récit intense, poétique, pour que la femme restée sans sépulture, ne soit jamais oubliée, son ombre flottant au-dessus de Césarée et l’histoire vivant dans les cœurs de ceux qui l’ont connue puis en ceux qui liront ce roman.
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