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Rédigé le 24/11/2023 à 21:18 dans Algérie, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
Marie Gillain et Pascal Elbé, deux des comédiens du dernier film d'Alexandre Arcady, Le Petit Blond de la Casbah, actuellement au cinéma, nous confient quelques secrets de tournage et bien plus encore.
Il y a des films qui s'imposent et qui sont d'une grande importance historique. Le Petit Blond de la Casbah d'Alexandre Arcady en est un. Il raconte le retour d'un réalisateur à Alger, accompagné de son fils, pour présenter son nouveau long métrage. Celui-ci retrace l’histoire de son enfance et de sa famille dans l’Algérie des années 60. Le cinéaste déambule dans sa ville natale et, à travers les souvenirs du petit garçon qu'il était, fait revivre aux spectateurs les moments de bonheur, de rires et de larmes dans un temps singulier.
"Ce que je trouve très beau dans le film, c'est le point de vue des enfants. On voit qu'il y a le monde des adultes avec la guerre qui se prépare. Il y a plein d'injustice, d'incohérence dans le système qui a été mis en place en Algérie. Mais on voit aussi ces enfants qui se parlent, qu'ils soient juifs, arabes, italiens ou espagnols. Ça cohabite, les portes sont ouvertes, ça circule, explique Marie Gillain qui interprète Dinah. C'est un film sur la nostalgie d'une époque, d'une enfance. Ce qui est très fort dans ce film, c'est que ce sont les derniers moments d'insouciance de ces enfants, de cette famille et de cet immeuble." "Dans le film, les enfants ne comprennent pas et les adultes ne comprennent pas. Il y a une incompréhension du début à la fin et on y peut rien. On ne peut pas changer le cours de l'histoire qu'on nous impose. Et on est obligé de se séparer, ajoute Pascal Elbé qui prête ses traits à Jacob dans Le Petit Blond de la Casbah. Ça devient parfois fratricide, car ce sont des frères à la base. Moi quand je vois un film comme cela, j'ai envie de pleurer."
Le personnage incontournable du film est bien mamie Lisa, la grand-mère du petit Antoine dans le film. Et parti pris d'Arcady, c'est Jean Benguigui qui la joue. "Il s'est dit (NDLR : Alexandre Arcady) : 'je ne vais pas la trouver cette grand-mère que j'ai connue, qui ne pouvait pas descendre d'un étage, qu'il faut treuiller.' Le donner à un homme, c'est une proposition de cinéma, c'est aller au bout d'un principe. Et on y croit", partage Pascal Elbé. "Moi, je me rappelle que je lui remontais ses bas, ces espèces de bas de contention qui avaient tendance à tomber sur ses pantoufles, où apparaissaient les effets spéciaux du costume, car Jean n'est pas aussi gros. J'ai adoré passer des moments à côté de lui, parce qu'il a plein de petites phrases en arabe. Et comme dans l'histoire, la grand-mère d'Arcady était berbère, elle parlait arabe. Donc, il m'insufflait plein de petits mots et des expressions", raconte Marie Gillain.
"Et oui, notre culture est mêlée de plein de mots en arabe, ça nous permet de se retrouver aussi comme ça. C'est notre Makrout de Proust, comme je disais à Arcady. Vous voyez l'ignorance ravage tout. Si la vraie culture, la culture populaire, celle de la rue, on l'avait préservée, cela aurait difficile de mettre des murs entre nous", rétorque l'acteur. Une vraie leçon de vie.
par Céline Peschard
Crédits photos : Céline Peschard
https://www.voici.fr/news-people/le-petit-blond-de-la-casbah-marie-gillain-et-pascal-elbe-evoquent-linsouciance-de-lenfance-face-a-une-guerre-incomprise-771343
Pascal Praud revient pendant deux heures, sans concession, sur tous les sujets qui font l'actualité. Les auditeurs sont invités à réagir, par téléphone ou via les réseaux sociaux aux grandes thématiques développées dans l'émission du jour. Aujourd’hui, il s'intéresse à la sortie du nouveau film d'Alexandre Arcady, intitulé "Le Petit Blond de la Casbah".
https://www.dailymotion.com/video/x8pog9b
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Rédigé le 18/11/2023 à 20:21 dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
Des ruines, encore et encore. Immeubles béants, murs troués, portes ouvertes sur le vide, façades écroulées, vitres brisées, blocs de béton, verre cassé, ferraille. Monticules de gravats d’où surgissent des objets épars singulièrement, miraculeusement rescapés — jouets d’enfants, meubles, matelas, papiers, bidons d’eau… C’est à Gaza en 2023, sous les bombes israéliennes. Du moins l’imagine-t-on ainsi, car nous devons reconvoquer dans nos mémoires les images perdues d’autres guerres, tant celles qui nous parviennent sont aujourd’hui le plus souvent fabriquées par des drones1. Les caméras survolent en plan-séquence, lentement, Gaza City détruite, dans un no man’s land de cendres grises ; elles filment froidement une sorte de fait accompli, comme une catastrophe naturelle, ou pire : comme un jeu de guerre en ligne — victoire d’un joueur, défaite de l’autre ou de l’intelligence artificielle. Et après ? What’s going on ?, pour reprendre le titre de l’une des rares fictions de Jocelyne Saab (sortie en 2010).
Les ruines, ce fut aussi, ces vingt dernières années, Homs et Alep, Fallujah et Mossoul. Mais à Beyrouth en 1976, il n’y avait pas de drones et sous la caméra de Jocelyne Saab, les images se libéraient du simple constat amer de la désolation pour être inscrites dans l’histoire sous forme de signes, de traces témoignant d’un monde en voie de disparition, mais d’où la vie pouvait encore ressurgir, et l’espoir, pour peu qu’on les relie entre elles en reconstruisant un ordre, une architecture, une logique, un sens disparus. La magie de Jocelyne Saab, c’est d’avoir su marier la violence des images à leur allégorie même, celle du cycle permanent de la mort et de la vie, et ce faisant, de les avoir placées au plus haut, dans ce qu’elles ont à nous transmettre.
Ainsi la cinéaste franco-libanaise née à Beyrouth en 1948 a-t-elle, pendant plus de quarante ans, « traversé les ruines et les révoltes, caméra au poing ». Et filmé « avec rigueur et obstination, avec humanité surtout, les grandes déroutes du XXe siècle : au Liban et en Égypte principalement, mais aussi en Syrie, au Golan, en Iran, en Irak ou au Kurdistan… »2.
Elle nous a quitté·es en 2019, nous laissant plus de quarante films dont la plupart sont des documentaires, exception faite de quatre fictions.
Après une courte carrière de pigiste à la radio et à la télévision libanaises, elle est engagée en 1973 à la télévision française qui l’envoie sur le terrain en Libye, dans le Golan syrien, en Irak, couvrir la guerre d’Octobre, la guerre du Kurdistan, la lutte des Palestiniens au Liban et en Syrie. Son reportage sur les femmes combattantes dans les rangs de la résistance palestinienne (Les Femmes palestiniennes) est rejeté par Antenne 2. Un mal pour un bien, puisqu’elle réalisera désormais tous ses films en indépendante.
Le 13 avril 1975, dans un quartier chrétien de Beyrouth, les occupants palestiniens d’un bus sont massacrés par les milices phalangistes. Elle décide de couvrir la guerre qui s’annonce et rentre au Liban, au début d’un conflit fratricide qui durera quinze ans. Sur le vif, Jocelyne Saab s’attache à proposer un contrepoint à ce que les médias dominants exposent :
Les gens en ont marre de la violence. J’avais montré la violence et cette guerre n’est que de la violence, mais je refuse de la montrer au premier niveau, tu la vois par une image détruite. J’ai refusé des images à sensation. J’ai pris le parti contraire 3.
Le parti contraire est d’abord celui de la subjectivité. Elle fait entrer son histoire personnelle dans l’histoire de Beyrouth, apparaît à l’écran, comme en ouverture de Beyrouth, ma ville (1982), le micro à la main devant les ruines de sa maison ancestrale détruite par les bombardements durant le siège de la ville par l’armée israélienne.
Le regard est empathique, « qui dénonce la souffrance infligée aux peuples, les injustices impardonnables des conflits intercommunautaires et la violence de l’armée israélienne contre les peuples arabes »4.
Cette subjectivité assumée la conduit dès 1976, avec Beyrouth, jamais plus à chercher un style beaucoup plus onirique et poétique. Ainsi choisit-elle Etel Adnan, peintre et poétesse elle aussi d’origine libanaise, pour en écrire le commentaire, image après image.
Lorsqu’elle s’éloigne de Beyrouth, c’est pour couvrir les luttes d’autres peuples — les pauvres Égyptiens qui viennent de se soulever contre la hausse du prix du pain par Sadate en 1977 (Égypte, cité des morts, 1977), les Sahraouis du Front Polisario qui se battent pour l’indépendance de leur territoire (Le Sahara n’est pas à vendre, 1977) ou les Iraniens deux ans après leur révolution (Iran, l’utopie en marche, 1981).
Quand la forme « documentaire » ne peut plus que répéter ad nauseum la douleur et l’absurdité d’une terrible guerre fratricide, elle se tourne vers la fiction avec Une vie suspendue (1985)5, une histoire d’amour tournée au cœur de Beyrouth en guerre, comme une sorte de défi à la violence et à la mort.
Réalité et fiction, réalité et allégorie : avec elle, les images froides des guerres ont un devenir qui ne peut être pire que le présent. Elles finissent par faire renaître l’espoir, dans les traces de vie, l’émotion, les affects, la solidarité, la vie des rescapés au milieu des ruines. Et dans la mémoire.
Après la guerre, il lui semble urgent que l’on se souvienne de Beyrouth autrement que par cet amas de ruines. Elle rassemble sous le projet « 1001 images » plus de quatre cents films réalisés sur Beyrouth par des cinéastes libanais ou étrangers, et en fait restaurer trente. Elle réalise elle-même Il était une fois Beyrouth, histoire d’une star (1994) en combinant des images d’une trentaine de ces films, ressuscitant le Beyrouth vivant « d’avant ».
Elle s’est par la suite tournée vers l’art vidéo et la photographie, s’est engagée dans la création d’un festival de cinéma au Liban (Cultural Resistance International Film Festival of Lebanon, 2013–2015) et la réalisation d’un livre de photographies, Zones de guerre (éditions de l’œil, 2018), pour dire autrement ce qui lui semblait devoir être transmis.
« Elle a vu la fin d’un monde, la fin de l’idéologie arabe. Elle est de la génération de ceux qui ont cru et qui ne peuvent pas accepter qu’on ne peut plus croire à rien. Il s’agit maintenant de regarder les images de plus près », raconte Mathilde Rouxel, curatrice de la rétrospective dédiée par le Macam (Modern and Contemporary Art Museum) au travail de Jocelyne Saab, à Byblos, et programmatrice de l’édition 2023 du Festival du film franco-arabe de Noisy-Le-Sec.
De celle qui est devenue un modèle pour des générations de jeunes cinéastes et artistes libanais·es, son amie de toujours Etel Adnan disait :
Sa liberté de penser, et d’agir lui a coûté très cher. Par moments ce fut une question de vie et de mort. Peu de gens, hommes ou femmes, ont autant souffert pour demeurer dignes d’eux-mêmes, pour survivre d’une façon qui ait un sens, dans un monde si hostile ou si indifférent que celui qui est le nôtre6.
Pour rendre compte de la destruction de Gaza et de la souffrance de ses habitants à laquelle nous assistons impuissant·es et la mort dans l’âme, Jocelyne Saab nous manque. Définitivement.
Rédigé le 17/11/2023 à 08:51 dans Cinéma, Israël, Palestine | Lien permanent | Commentaires (0)
https://cdn.i24news.tv/upload/image/afp-3d7342fc69c92bedc33ea9554a10e233158fe53b.jpg?width=1000
"Je raconte une Algérie où il faisait bon vivre ensemble malgré la guerre qui frappait à la porte"
Réalisateur de succès des années 1980 comme "Le grand pardon" ou "L'union sacrée", Alexandre Arcady ranime la mémoire perdue des juifs d'Alger dans "Le Petit Blond de la Casbah", en salles le 15 novembre, un film autobiographique et pittoresque sur son enfance dans la Casbah.
Six décennies séparent le réalisateur qui reçoit dans un confortable bureau à deux pas des Champs-Elysées, et le gamin juif de la rue du Lézard, son paradis perdu.
Une enfance dans son souvenir "lumineuse" et populaire, entourée de personnages hauts en couleur, de toutes confessions et de toutes origines, où le regard insouciant d'un enfant peut à peine distinguer l'injustice de la colonisation - présente en arrière-fond dans le film. Jusqu'à ce que la guerre déchire la carte postale. Dans le fracas de l'indépendance, la famille Arcady, comme l'essentiel de la communauté juive d'Algérie présente depuis des siècles, part en catastrophe pour la métropole.
"Ce film était une promesse faite à 13 ans à ma mère. En se tournant vers nous, sur le bateau qui quittait l'Algérie, les larmes aux yeux, elle nous a dit 'j'ai oublié les photos (de famille) dans le buffet'", raconte le réalisateur. "C'est pas grave maman, je te les ramènerai ces photos", lui répond-il.
i24NEWS - AFPdernière modification
https://www.i24news.tv/fr/actu/culture/1699709062-le-18e-film-d-alexandre-arcady-exprime-la-nostalgie-d-un-juif-d-algerie
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Rédigé le 11/11/2023 à 18:24 dans Algérie, Cinéma, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Un film touchant, car il parvient à transmettre l’amour pour un pays et une époque, celle de l’Algérie où le vivre-ensemble prévalait. On apprécie la façon dont il saisit la passion pour le cinéma, où le cinéclub est la messe des cinéphiles.
Le film illustre comment la passion pour l’art peut transformer une personne et changer la perspective des autres sur le monde. C’est une déclaration d’amour envers un pays qui a contribué à façonner l’individu d’aujourd’hui, tout en constituant un récit émouvant sur les Français déracinés.
À travers des citations visuelles, des extraits de films on revoit l’histoire du cinéma, des grands classiques comme film Zazie dans le métro et Babette s’en va-t-en guerre. Des films montrant l’histoire, des héros et des modèles de pensée, dont le cinéphile va peu à peu construire son monde intérieur pour fuir la noirceur du quotidien compliqué et remplit de paradoxe.
Marie Gillain est incroyable et confirme le vrai retour au cinéma en tant que mère devant gérer une grande famille. Léon Campion est la révélation de ce film, tant par la justesse de son rôle, mais aussi pour sa présence à l’écran.
Il y a aussi ce personnage d’ancien légionnaire incarné par Christian Berkel. Son personnage de chef de famille rappelle à quel point la légion étrangère est un monde régit par un code d’honneur. Il est basé sur des valeurs telles que la loyauté, le sacrifice, la discipline et la camaraderie. Les légionnaires s’engagent à servir avec honneur et fidélité, prêts à donner leur vie pour la Légion. Ils font vœu de ne jamais abandonner un camarade au combat et de ne jamais reculer, même face à une mort certaine. La discipline est essentielle, avec un respect strict de la hiérarchie et des ordres. La camaraderie est une valeur fondamentale, où chaque légionnaire est le frère d’arme de l’autre, quelles que soient leurs origines. C’est un code exigeant qui incarne le dévouement total au service, la solidarité et l’intégrité, faisant de la Légion étrangère l’une des unités militaires les plus respectées au monde.
Les Juifs d’Algérie ont vécu une période de profonds bouleversements avec la guerre d’indépendance qui a éclaté en 1954. Avant cela, la communauté juive d’Algérie avait des liens historiques profonds avec le pays, ayant vécu en harmonie avec les musulmans et les Européens. Cependant, la guerre d’indépendance a entraîné des tensions croissantes, des violences et des actes antisémites, poussant de nombreux Juifs à quitter le pays pour échapper à cette situation.
Le film fait la différence entre les Algériens et les Algérois. Elle réside dans la perspective géographique. « Algérien » se réfère à une personne originaire de l’Algérie, quelle que soit la région du pays. En revanche, « Algérois » fait référence aux habitants d’Alger, la capitale de l’Algérie. Cette distinction souligne la diversité culturelle du pays, avec différentes régions et une variété de cultures et de coutumes.
La guerre d’indépendance a également eu un impact sur l’identité des Algériens et des Algérois, marquant un tournant historique dans leur histoire collective. Les Juifs, en tant que composante importante de la société algérienne, ont été profondément touchés par ces événements, marquant la fin d’une époque d’harmonie intercommunautaire et le début d’une nouvelle ère pour le pays et ses habitants. Le film met en avant ce désarroi et cette éternelle question « On vivait bien comment on en est arrivé là », poussant des familles à fuir un pays qui était leur, qui les a vu grandir sur plusieurs générations.
L’exode des Juifs d’Algérie a engendré un profond déracinement et une fracture identitaire au sein de cette communauté. Pour de nombreuses familles, quitter un pays où elles avaient vécu depuis des générations a créé un déchirement douloureux, les privant de leurs attaches culturelles, de leurs traditions et de leur histoire. Cette perte de repères a alimenté un sentiment de déracinement, les laissant dans une quête perpétuelle de leur identité, partagés entre leur héritage algérien et le besoin de s’intégrer dans leur nouveau pays d’accueil.
Cette fracture identitaire, provoquée par l’exil forcé, a laissé des cicatrices profondes dans le tissu social et psychologique de cette communauté, tout en témoignant des bouleversements historiques et culturels de l’époque. En regardant ce film, on en ressort grandi, car même si la nouvelle génération n’a pas vécu directement cela, on comprend mieux les conséquences du déracinement et ce malêtre de certains anciens.
https://direct-actu.fr/2023/11/10/le-petit-blond-de-la-casbah-un-hymne-au-cinema-et-au-vivre-ensemble/
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Rédigé le 10/11/2023 à 20:20 dans Algérie, Cinéma, France, Guerre d'Algérie, Société | Lien permanent | Commentaires (0)
Bloqué depuis cinq longues années, le film sur Larbi Ben M’hidi du réalisateur Bachir Derrais pourrait bientôt être projeté dans les salles en Algérie.
Le gouvernement semble avoir levé toutes les réserves émises sur ce biopic consacré à un des héros les plus prestigieux de la révolution algérienne.
Entamé en 2015, le tournage du film « Larbi Ben M’hidi» a été achevé en 2018. Théoriquement, il devait être projeté dès 2019, mais la commission de visionnage du ministère des Moudjahidines qui devait donner le quitus avait émis plus d’une cinquantaine de réserves sur ce film qui a coûté la bagatelle de plus de 4 millions d’euros.
Entre autres griefs reprochés au réalisateur : évocation des désaccords entre des dirigeants du FLN, notamment entre Larbi Ben M’hidi et Ahmed Ben Bella ainsi que l’association des Oulémas musulmans algériens et le peu de places accordées aux atrocités commises par l’armée coloniale.
Film sur Larbi Ben M’hidi : « On espère cette fois que c’est la bonne »
La commission avait estimé également que l’enfance de Larbi Ben M’hidi n’a pas été suffisamment racontée, tout comme les tortures que le héros de la révolution avait subies.
« La version est interdite de projection et d’exploitation », avait alors décrété la commission.
Depuis, c’est le début d’un bras de fer entre le réalisateur et les ministères des Moudjahidine et de la Culture, coproducteurs du film avec respectivement 28% de participation et 35%, le reste du financement provenant du sponsoring.
Ce n’est que quatre ans plus tard, avec l’arrivée de nouveaux titulaires au portefeuille des Moudjahidine, Laïd Rebiga en remplacement de Tayeb Zitouni et Soraya Mouloudji en remplacement de Azzedine Mihoubi que la situation a commencé à se dénouer.
Au terme de plusieurs séances de visionnage, plusieurs réserves ont pu ainsi être levées. « Il y a des choses retouchées, mais il n’y a pas de scènes coupées », affirme Bachir Derrais, joint ce samedi par téléphone.
« Toutes les réserves ont été levées et on devrait signer un accord incessamment », ajoute-t-il.
Reste que pour le réalisateur, il appartient aux distributeurs exclusivement d’annoncer la sortie du film. « Le ministère des Moudjahidine veut faire croire à l’opinion que le film lui appartient. Or, c’est le fruit d’un montage financier. Il n’a pas respecté l’accord. C’est aux distributeurs d’annoncer la sortie du film. La communication doit être laissée aux professionnels », dit-il.
Même s’il demeure « prudent »,- la sortie du film ayant été annoncée plusieurs fois, ces trois dernières années- Bachir Derrais estime cependant que son éventuelle projection sera une « délivrance ». « On espère cette fois que c’est la bonne. C’est plus une délivrance que de la joie. Car ils ont tué la carrière du film », déplore-t-il.
Par: Karim Kebir
https://www.tsa-algerie.com/sortie-bientot-du-film-sur-larbi-ben-mhidi/
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Rédigé le 08/10/2023 à 18:54 dans Alger, Algérie, Cinéma, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le court métrage «Hamassat El Fadjr» (Murmures de l’aube) du réalisateur Kamel Rouini, produit dans le cadre du soixantenaire du recouvrement de la souveraineté nationale, a été projeté en avant-première, samedi, à la Cinémathèque d’Alger.
Le film de 17 minutes, écrit par feu Mohamed Adlène Bekhouche et produit par le Centre algérien de développement du cinéma (CADC), met en avant la participation et le rôle important des enfants durant la Glorieuse guerre de libération nationale.
Le court métrage raconte l’histoire du petit Hocine, incarné par Abdelfatah Ghouini, qui refuse l’abattage de son chien après la décision des révolutionnaires de se débarrasser des chiens du village dont l’aboiement la nuit attirait l’attention de l’ennemi.
Pour que son chien échappe à ce triste sort, Hocine l’emmène dans une cachette dans la montagne et continue de s’en occuper à l’insu de son père moudjahid.
Une nuit, alors qu’il se rendait dans la cachette pour nourrir son chien, Hocine aperçoit en chemin une patrouille de l’armée française en direction du village où se trouvaient les moudjahidine. Aussitôt, il s’empresse d’en avertir les révolutionnaires et réussit à le faire à temps.
A travers cette première expérience de réalisateur de cinéma, Kamel Rouini a plongé le spectateur dans un univers plein d’humanité, en montrant la contribution des enfants durant la Glorieuse guerre de libération nationale, lit-on sur l’APS.
septembre 3, 2023 - 1:53
https://www.algeriepatriotique.com/2023/09/03/un-court-metrage-sur-le-role-des-enfants-pendant-la-revolution-en-avant-premiere-a-la-cinematheque-dalger/
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Rédigé le 03/09/2023 à 16:53 dans Cinéma, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
2023 08 31
travers "Papicha", la réalisatrice Mounia Meddour défend le combat féministe d’une génération : celle des femmes algériennes des années 90, soumises à l’oppression de plusieurs groupes islamistes pendant les années de guerre civile. Un manifeste féministe et engagé, à découvrir ce jeudi 31 août sur La Trois.
Nous sommes à Alger, dans les années 90. À cette époque, l’Algérie est la proie d’une violente guerre civile qui fera plusieurs dizaines de milliers de victimes. Pour les habitantes du pays, c’est donc une décennie noire qui s’esquisse, à mesure que les groupes islamistes gagnent du terrain. Privées de bon nombre de leurs libertés, celles-ci devront dorénavant lutter pour s’habiller comme elles l’entendent.
Parmi elles, Nedjma, une étudiante en licence de français passionnée par le stylisme, dont la coquetterie lui vaut quelquefois de se faire appeler "papicha". "Un mot qu’on utilisait beaucoup dans les années 90, qui voulait dire jeune et jolie fille, émancipée, coquette…", explique à ce propos la réalisatrice Mounia Medour lors d’une entrevue accordée aux Grenades.
Refusant de porter le hijab, la jeune femme décide d’organiser un défilé de mode clandestin au sein de sa résidence universitaire pour se révolter contre les extrémistes islamistes…
Comme Nedjma, Mounia Meddour a elle aussi été étudiante dans l’Algérie des années 90. Elle a étudié pendant un an à la faculté de journalisme d’Alger, avant de partir s’installer en France avec sa famille. À travers ce film, c’est donc un pan de sa propre histoire qu’elle raconte, même si une part importante du scénario relève de la fiction. Ainsi, elle confie à AlloCiné que la passion dévorante de son personnage pour la mode a avant tout "une dimension symbolique". "Ce que les islamistes voulaient, à cette époque-là, c’était cacher le corps des femmes", rapporte-t-elle d'ailleurs, avant de poursuivre :
Pour moi, la mode, qui dévoile et embellit les corps, constitue une résistance aux foulards noirs.
Dès sa sortie en 2019, "Papicha" connaît un succès retentissant non seulement auprès du public, puisqu’il comptabilise pas moins de 250.000 entrées au box-office, mais également auprès de la critique, qui l’encense de toutes parts.
Présenté au Festival de Cannes dans la catégorie "Un Certain Regard", il est par la suite couronné de nombreux prix, avec notamment le César du meilleur film et le César du meilleur espoir féminin, remis à son actrice principale Lyna Khoudri.
Dans la foulée, il est même retenu pour représenter l’Algérie dans la course aux Oscars, alors même que le gouvernement algérien refuse qu’il soit projeté en salles sur son territoire…
2023 08 31
Par Elise Vander Goten via
https://www.rtbf.be/article/papicha-le-combat-dune-passionnee-de-mode-face-aux-extremistes-islamistes-11248619
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Rédigé le 31/08/2023 à 14:01 dans Algérie, Cinéma, Décennir noire | Lien permanent | Commentaires (0)
Récit d’apprentissage et comédie douce-amère, le film de Firas Khoury, qui sort en France ce mercredi 30 août 2023, raconte l’éveil de la conscience politique de lycéens palestiniens vivant en Israël. Alam traite de façon légère le lourd sujet de la domination coloniale.
On pourrait croire au début qu’Alam, le premier long-métrage du cinéaste palestinien Firas Khoury, a l’indolence des garçons adolescents qui en sont les protagonistes. Pourtant ce film palestinien traitant du nationalisme et de son symbole le plus commun, le drapeau, celui qui opprime comme celui qui libère ou qui est supposé le faire, a une profondeur qui le rend tout sauf apathique. Au-delà d’un amusant scénario et de dialogues bien sentis, son véritable sujet porte sur l’Histoire, celle que l’on vit comme celle que l’on enseigne, avec son lot de dissimulations et de mensonges. Khoury a une manière en apparence peu sérieuse d’affronter une histoire lourde pour les Palestiniens, et sa caméra n’est pas loin d’évoquer la grâce de celle du jeune Truffaut des Quatre cents coups. Au-delà de la géographie et de la temporalité, mais avec le même souci du contexte social, il raconte l’histoire d’une défaite à hauteur humaine, et on aurait tort de prendre sa fantaisie pour de la nonchalance.
Prenons donc une bande de garçons passablement potaches, occupés à ne rien faire et éventuellement à fumer des pétards. Tamer (Mahmood Bakri) et ses copains Safwat (Muhammad Abed Elrahman) et Shekel (Mohammad Karaki) sont trois jeunes d’une localité quelconque, banale à pleurer. Ils sont palestiniens, mais aussi israéliens, car ils font partie de cette minorité qu’on appelait autrefois les « Arabes israéliens » et qui préfère désormais le qualificatif de « Palestiniens de l’intérieur ». Ils sont les descendants, la quatrième génération déjà, des quelques milliers de personnes qui n’ont pas pris les chemins de l’exil en 1948. Mais les villages de leurs ancêtres ont disparu ; à la place, les Israéliens ont planté une forêt dont ils adorent les arbres de façon grotesque, ce qui permet à une femme israélienne à la figure hallucinée de crier : « On n’est pas en Palestine ici ! » Tout est dit : la colonisation est une expropriation, territoriale comme mentale.
Tamer, Safwat et Shekel sont chez eux, mais pas chez eux, et d’ailleurs c’est le drapeau israélien qui flotte fièrement à l’entrée de leur lycée. Pour le bac, le professeur d’histoire leur assène la version sioniste de l’indépendance d’Israël en 1948, sans évoquer la Nakba, « la catastrophe » en arabe, et ses centaines de milliers de Palestiniens expulsés de leurs villes et leurs villages, ces centaines d’autres massacrés au cours d’opérations restées le plus souvent enfouies. Safwat proteste, réclame « un cours d’histoire, pas d’amnésie », mais le professeur ne sait rien d’autre que débiter ses vérités à géométrie variable. Et d’ailleurs, visiblement, cela lui convient.
Ces trois jeunes, et particulièrement Tamer pour des raisons familiales, sont parfaitement conscients de la domination israélienne sur leurs vies, mais n’ont ni l’envie ni surtout l’énergie de se mobiliser. « Faut toujours qu’on pense à Gaza, y’en a marre », dit par exemple l’un, l’autre répliquant : « T’as qu’à pas y penser ! ».
Ça n’a l’air de rien, peut paraître un peu ridicule pour un spectateur qui ignore que l’affichage d’une manière ou d’une autre du drapeau palestinien est strictement interdit en Israël. Cette action symbolique n’est donc pas sans danger, les Israéliens n’aiment pas beaucoup qu’on touche à leur drapeau et le risque s’ils se font prendre est d’aller en prison. Les esprits de la petite bande vont vite s’échauffer autour de la pertinence de ce projet d’« opération ». « Tu te crois à Hawaï ???? » se moque l’un d’eux. « C’est quoi la prochaine étape ? Libérer Jérusalem ? » ironise le père de Tamer. Mais Maysaa ne manque pas d’arguments très persuasifs ni de conscience politique à vif pour entraîner la petite bande à la suivre envers et contre tout.
Alam est, au fil de ses péripéties, un très bon film sur l’émergence de la conscience militante dans un contexte d’oppression, et pas seulement une charmante comédie aux accents politiques. Firas Khoury se situe à sa manière dans ce grand mouvement de la jeunesse palestinienne depuis quelques années, qui n’accepte plus les lâchetés, les abandons et les duperies de ses parents et grands-parents. Cette jeunesse veut se réapproprier une histoire occultée, refuse de se considérer partie prenante d’un pays qui a pour règle l’apartheid, cherche au-delà des contraintes de la séparation politique, juridique et territoriale à construire des ponts entre celles et ceux des frontières de 1948, de Cisjordanie et de Gaza.
« Le début de la libération, c’est quand tu peux afficher ton drapeau. La fin de la libération, c’est quand tu peux le brûler ! » tout est dit dans cette phrase tonique de Safwat, un camarade de la bande, qui entonne L’Internationale étendu dans le lit aux côtés de Tamer. Le chant sans frontières des peuples, celui qui réclame la lutte finale contre l’oppression et dont l’une des phrases correspond tout à fait au réveil lent mais réel de ces très sympathiques potaches palestiniens : « Nous ne sommes rien, soyons tout ». Et cette jolie pirouette du réalisateur, dans ce contexte israélien pétri de nationalisme, de xénophobie et de racisme, fait chanter finalement un monde sans frontières et donc sans drapeaux, qui ne devrait pas être une utopie.
JEAN STERN
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/alam-les-quatre-cent-coups-en-palestine,6671
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Rédigé le 30/08/2023 à 05:24 dans Cinéma, Israël, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Première écrivaine maghrébine à être élue à la prestigieuse Académie française, Assia Djebar s’est également imposée comme la première cinéaste maghrébine, à une époque où être femme constituait en soi un obstacle majeur en Algérie pour faire du cinéma.
C’est l’une des plus grandes « blessures » de sa vie, raconte son entourage. Une blessure jamais refermée, même si les honneurs ont plu hors des frontières algériennes. Assia Djebar, de son vrai nom Fatma-Zohra Imalhayène, a marqué de son empreinte unique la littérature mais aussi le cinéma avec deux films majeurs, les deux seuls qu’elle ait jamais pu réaliser : La Nouba des femmes du mont Chenoua (1979) et La Zerda ou les chants de l’oubli (1982).
Première écrivaine maghrébine élue à l’Académie française, elle s’est également imposée comme la première cinéaste maghrébine, un pan de son histoire encore méconnu.
Mais en Algérie, son incursion dans « l’image-son », comme elle nommait cette autre vocation, a suscité un rejet et des entraves tels qu’elle a fini par abandonner le septième art, malgré un talent indéniable, qui aurait fait de cette précurseure, voix de l’émancipation des femmes, à la fois une cinéaste de langue arabe et une romancière francophone.
Assia Djebar, qui voulait allier littérature et cinéma comme le Suédois Ingmar Bergman et l’Italien Pier Paolo Pasolini, l’a souligné avec une lucidité implacable un quart de siècle plus tard, le 22 juin 2006, dans son discours inaugural à l’Académie française : « Malgré mes deux longs métrages, salués à Venise et à Berlin, si j’avais persisté à me battre contre la misogynie des tenants du cinéma d’État de mon pays, avec sa caricature saint-sulpicienne du passé, ou ses images d’un populisme attristant, j’aurais été asphyxiée comme l’ont été plusieurs cinéastes qui avaient été sérieusement formés auparavant. Cette stérilité des structures annonçait, en fait, en Algérie, la lame de fond de l’intolérance et de la violence de la décennie quatre-vingt-dix. J’aurais donc risqué de vivre sourde et aveugle en quelque sorte, parce qu’interdite de création audiovisuelle. »
Les hostilités éclatent lors de son premier film, une heure cinquante-cinq minutes inclassables, où les genres explosent, le documentaire, la fiction, peut-être aussi l’autobiographie : La Nouba des femmes du mont Chenoua.
Assia Djebar met en scène Lila, une jeune architecte qui retourne dans ses montagnes natales du Chenoua, dans la région de Tipaza, au nord du pays, en compagnie de son mari, cloué sur une chaise roulante à la suite d’un accident, et de leur fille. Lila va et vient entre le passé et le présent, écrasée par la mémoire, l’histoire collective, la guerre de 1954 à 1962, les 132 ans d’oppression coloniale, mais aussi par l’enquête sur son frère disparu et, à travers celle-ci, la recherche de l’enfance.
J’ai dit : “Moteur.” Une émotion m’a saisie. Comme si, avec moi, toutes les femmes de tous les harems avaient chuchoté “Moteur”.
La musique du pianiste et compositeur hongrois Béla Bartók (1881-1945), qui a vécu en Algérie en 1913 pour y étudier les chants chaouis, nourrit le film dédié à une femme libre montée au maquis en 1957 : la chahida (« martyre ») Yamina Oudaï, dite Zoulikha, héroïne oubliée de la révolution algérienne, qui sera en 2002 au cœur d’un puissant roman d’Assia Djebar, La Femme sans sépulture.
À Alger, le film, qui montre des vieilles femmes et des fillettes, dedans, dehors, est accueilli par des cris d’orfraie. Même par des féministes. L’écrivaine et militante féministe Wassyla Tamzali se souvient de ceux qui ont envahi, lors de l’avant-première, la cinémathèque, cet espace mythique au cœur de la capitale algérienne, laboratoire de la culture post-indépendance, où le cinéma du monde entier se pressait.
Elle les a consignés dans son dernier livre consacré au cinéma algérien En attendant Omar Gatlato-Sauvegarde (2023) : « Assia Djebar fut violemment attaquée par des spectatrices, des femmes, des féministes. La pensée unique que nous dénoncions dans nos critiques constructives du pouvoir se déchaîna contre elle : “Vous avez eu la chance de faire le premier film en tant que femme et vous avez fait un film personnel au lieu de parler du contexte politique et social, de la révolution agraire, de la participation des femmes à la guerre.” J’étais tellement sidérée que je suis restée sans voix. Assia, elle, écoutait silencieusement les oukases de la salle. »
La réalisatrice et écrivaine affronte, poings serrés, les invectives, comme aux Journées cinématographiques de Carthage en Tunisie, le plus ancien festival de cinéma d’Afrique et du monde arabe, où son film est programmé en sélection officielle. Les réalisateurs algériens présents menacent de quitter la salle si son film est projeté, exigent son interdiction au prétexte que le projet n’est pas celui d’un professionnel du cinéma et qu’Assia Djebar vient de Paris. Ils obtiennent gain de cause. « L’esprit de clan a fonctionné contre Assia Djebar, alors qu’en temps ordinaire, on ne pouvait pas parler de solidarité entre eux », analyse Wassyla Tamzali.
Pour l’avocate, qui des années plus tard, dans un café de Bastille, à Paris, constatera combien ce « traumatisme » hante son amie qu’elle vouvoie, cette violence contre un film et sa réalisatrice ne traduit pas seulement un conflit de genre : « Elle révèle un mal profond, celui d’un système mis en place depuis l’indépendance qui place les réalisateurs dans une concurrence féroce. »
L’écrivaine algérienne Maïssa Bey a, elle aussi, mesuré le « traumatisme » vécu par cette « artiste dans le sens complet du terme », qu’elle admire depuis l’enfance, lors d’une rencontre à la Maison de la poésie à Paris : « Assia Djebar était encore extrêmement blessée par l’accueil réservé à son film trente ans plus tôt et par le rejet des gens de la profession : on lui a dénié le droit de toucher au cinéma, on l’a renvoyée en littérature. »
Depuis que j’ai réalisé le film “La Nouba”, ma manière d’écrire a changé. J’ai alors appris comment écouter les femmes algériennes.
En 1979, un an après « le traumatisme » de Carthage, Assia Djebar rafle le prix de la critique internationale en tant que réalisatrice à la Biennale de Venise. « J’avoue que cette distinction, à laquelle je ne m’attendais pas, m’a fait chaud au cœur. Surtout après cette longue année de “contestation” algérienne sur le film. Cela me paraît être une réparation de Carthage. Nous l’avons bien mérité », écrit-elle dans une lettre le 14 septembre 1979 à l’un de ses rares soutiens dans le milieu cinématographique algérien, Ahmed Bedjaoui, animateur du célèbre « Télé-Ciné-Club » de 1969 à 1989, programmateur et responsable des archives à la Cinémathèque algérienne de 1966 à 1971, et un temps directeur du département de production à la RTA (Radiodiffusion-télévision algérienne).
Dans un article publié en 2016 sur la plateforme Cairn, après la mort de la cinéaste, Ahmed Bedjaoui raconte la bronca essuyée après qu’il eut diffusé dans son émission La Nouba des femmes du mont Chenoua.
« Ce soir-là, Assia, terrorisée par les déferlements de haine dont elle se sentait sourdement l’objet, avait préféré s’abstenir. On attendait cinq invités. Tous déclinèrent du haut de leur lâcheté. Un seul d’entre eux viendra, c’était le grand et regretté Abdelhamid Benhadouga [un des plus grands écrivains algériens de langue arabe – ndlr], qui a tenu à manifester son soutien et son admiration à sa consœur, à qui il voulait manifester son respect. Le lendemain, la presse (militante et autoproclamée) et les milieux spécialisés autour de l’entourage de l’Alhambra persiflaient et se moquaient. La cinéaste en fut ulcérée. »
Assia Djebar provoque, dérange, dépasse la hchouma (« la honte » en arabe) en son pays, « l’Algérie tumultueuse et encore déchirée ». Au cinéma comme en littérature, elle met le spectateur, le lecteur en tension, en déroute.
Lorsqu’elle la rencontre pour la première fois en 1974 alors qu’elle se lance dans le tournage de La Nouba des femmes du mont Chenoua, la militante féministe Wassyla Tamzali décrit « un choc heureux » : « Pour la première fois, une jeune femme algérienne tient devant moi un discours de liberté. »
Son film, estime-t-elle, « marque un tournant dans le cinéma algérien et nous bouscule jusque dans nos tabous » : « Le peuple algérien est plongé dans un grand silence vis-à-vis de l’intimité : même entre amis, dans les milieux progressistes, socialistes, révolutionnaires, on ne parle pas en disant “je” d’intimité, de nos amours, de nos corps. On ne parle que de la révolution. Assia vient briser cela. »
Wassyla Tamzali voit dans La Nouba des femmes du mont Chenoua un film sur l’histoire, la mémoire, mais aussi sur la maternité qu’Assia Djebar veut démythifier, sur la sexualité des femmes au travers notamment du personnage central de Lila, qui tourne autour d’un lit vide avec son mari handicapé dans la maison de son enfance.
« Enfin une écriture littéraire mais avec des images de mots étouffés, abonde, enthousiaste, Ahmed Bedjaoui dans son article. Les mâles qui avaient exprimé leur haine contre cette expression libre d’une femme d’esprit, ceux-là allaient en avoir pour leur bave. Le seul homme du film est un impotent cloué sur sa chaise roulante, dans un monde où s’ébattent des fillettes et des femmes mûres, ondulant sur la vague de liberté qui s’achève avant la puberté et recommence après la ménopause : à l’âge où le mâle lâchement se disloque devant l’image vertueuse de sa mère. »
Pour Ahmed Bedjaoui, La Nouba des femmes du mont Chenoua est, avec Nahla de Farouk Beloufa, « le film le plus intelligent et le plus prégnant d’idées cinématographiques que le cinéma algérien ait jamais produit ».
La caméra participe à la quête cathartique de la réalisatrice qui veut donner un corps et une âme à la femme effacée par la domination masculine.
Assia Djebar n’est pas passée de la littérature au cinéma pour y adapter la littérature mais bien pour créer un langage nouveau. « Ses films ne ressemblent en rien à ses livres. C’est du cinéma expérimental, avec une musique omniprésente, personnage à part entière, parfois, un film muet, une succession de tableaux, remarque l’écrivaine franco-algérienne Kaouther Adimi, qui place l’immortelle de l’Académie française dans son panthéon. Elle est l’écrivaine dont je me sens la plus proche. »
La première fois qu’il a vu les films d’Assia Djebar, Sofiane Hadjadj, cofondateur des éditions Barzakh à Alger, avait une vingtaine d’années et n’a pas « tout compris ». « Elle est une cinéaste de la modernité qui s’inscrit dans le cinéma moderne, la nouvelle vague, le cinéma soviétique, tchèque, etc., avec une œuvre météore, charnière et choc concentrée en deux films. On n’est pas face à un cinéma grand public mais proche de l’essai cinématographique, avec une dimension documentaire. La forme de montage heurté, où parfois le son et l’image sont désynchronisés, sert à rendre compte de la violence de l’histoire, de la colonisation. »
« Quand Assia Djebar part en tournage, elle ne prépare aucun plan, aucune prise, écrit dans La Plume francophone le poète et essayiste algérien Ali Chibani. Il n’y a même pas de synopsis. Tout doit émerger de l’instant réel désigné pour être filmé. Parfois, Assia Djebar provoque elle-même cette réalité. Il suffit d’un élément qui lui rappelle son passé pour donner lieu à une séquence. »
Un roman clé s’impose pour comprendre l’essence cinématographique djébarienne : Vaste est la prison, troisième volet du quatuor algérien, avec L’Amour, la fantasia, Ombre sultane et Nulle part dans la maison de mon père, fresque fascinante et complexe d’une vie, sur l’histoire des femmes de son pays et de l’Algérie où se déploient la femme, la mère, l’épouse, l’enfant, l’écrivaine, l’historienne, la réalisatrice…
L’artiste multidisciplinaire y expose notamment dans la troisième partie son expérience de cinéaste. Page 173, elle s’émerveille du « premier plan de [sa] vie » : « Un homme assis sur une chaise de paralytique regarde, arrêté sur le seuil d’une chambre, y dormir sa femme. Il ne peut entrer : deux marches qui surélèvent ce lieu font obstacle à sa chaise d’infirme. »
Elle jouit de son premier « Moteur » : « J’ai dit : “Moteur.” Une émotion m’a saisie. Comme si, avec moi, toutes les femmes de tous les harems avaient chuchoté “Moteur”. Connivence qui me stimule. D’elles seules, dorénavant, le regard m’importe. [...] Ce regard, je le revendique mien. Je le perçois “nôtre”. »
Tourner, pour Assia Djebar, écrit encore Ali Chibani en la citant, c’est « faire une fiction qui n’[est] pas une vraie fiction, qui [est] une reconstitution de ce qui avait travaillé [la] mémoire. C’est un retour à la réalité, mais à la réalité qu’a conservée la mémoire douloureuse des femmes. La caméra participe donc à la quête cathartique de la réalisatrice qui veut donner un corps et une âme à la femme effacée par la domination masculine. [...] La caméra est le lieu où s’effectue l’inversion des rapports homme-femme. La femme, hier interdite de voir et d’être vue, place son œil dans le viseur et observe le monde par “rétroprojection” ».
Dans une passionnante interview reproduite dans l’ouvrage En attendant Omar Gatlato-Sauvegarde, Assia Djebar explique avoir « conscience d’avoir écrit La Nouba en cinéaste », mais « la chair du film, peut-être pas la structure, a été trouvée sur le terrain. En partant des sons des voix des paysannes [qu’elle] a enregistrées. Et puis, ce qui a été important, c’est l’œil et l’espace ».
Dans le même entretien, elle explicite « deux manières de procéder quand vous faites un film ou un livre d’ailleurs ». « Soit vous prenez une situation de fait et vous l’affrontez en la critiquant – par exemple, vous prenez une héroïne étouffée par la société et vous montrez jusqu’à quel point on peut l’étouffer –, soit vous montrez ce qui devrait être. Moi, au lieu de montrer une dizaine de femmes en train de papoter dans leur cuisine, j’ai pris une jeune femme que j’ai libérée dans l’espace, car c’est là le vrai changement, elle est libérée par mon imagination et par mon espoir, car je souhaite que la majorité des femmes algériennes circulent librement et qu’elles soient bien dans leur peau en circulant – c’est le deuxième problème : bien circuler pour voir et entendre, et n’avoir pas à échapper toujours au regard espion de l’autre. Et pendant que ma caméra circule dans l’espace avec mon héroïne, au fur et à mesure le documentaire est là pour montrer ce qui existe, c’est-à-dire des femmes. »
Assia Djebar a souvent parlé de sa caméra comme d’un œil. « Parce qu’elle est enfermée, la femme observe l’espace interne, mais elle ne peut pas regarder l’espace extérieur, ou seulement si elle porte le voile et si elle regarde d’un seul œil. Donc je me suis proposé de faire de ma caméra l’œil de la femme voilée. » Et l’œil de l’histoire de son peuple. Un regard libéré et libérateur.
Le cinéma, ou plutôt « l’image-son » pour reprendre ses termes favoris, est pour Assia Djebar un outil de dénonciation de l’enfermement des femmes, du patriarcat, mais aussi du colonialisme.
Son deuxième film, La Zerda ou les chants de l’oubli, moins médiatisé que le premier, écrit avec la collaboration du poète Malek Alloula (qui était alors son deuxième mari) à partir d’archives coloniales achetées au prix fort par la RTA auprès de Gaumont et Pathé, en est emblématique.
Présenté en 1982 à Alger puis au premier festival du cinéma arabe à Paris en 1983, prix du meilleur film historique au Festival de Berlin la même année, il déconstruit de manière magistrale le regard colonialiste, orientaliste.
Portée par une bande-son extraordinaire qui donne à entendre, en arabe et en français, cris de révolte, chants, poésies, paroles anonymes ou imaginées de Maghrébins ainsi qu’Assia Djebar en voix off, La Zerda ou les chants de l’oubli fait revivre, au travers des images de propagande coloniale française de 1912 à 1942, les zerdas et les fantasias, la violence de la domination des peuples d’Afrique du Nord, l’humiliation et la folklorisation par le colonisateur de leurs cultures.
La parenthèse cinématographique d’Assia Djebar aura duré dix ans. Seulement dix ans durant lesquels la romancière cesse d’écrire, concentrée sur la caméra comme Kateb Yacine avait choisi le théâtre. Une étape fondatrice de son parcours qui laisse un legs immense et influencera son écriture romanesque. Rien que dans le quatuor, les correspondances, prolongements sont multiples, de L’Amour, la fantasia à Vaste est la prison.
« Depuis que j’ai réalisé le film La Nouba, ma manière d’écrire a changé, disait-elle. J’ai alors appris comment écouter les femmes algériennes. »
Plusieurs fois, Assia Djebar a tenté de revenir à la réalisation, présenté des projets de films aux autorités culturelles et politiques algériennes de l’époque : une adaptation du livre de Fatma Ait Mansour Amrouche, une trilogie sur Mohammed Dib, un scénario sur Youssef Seddik... En vain.
En 2003, elle est invitée à participer à « Djazaïr, l’année de l’Algérie en France », événement culturel initié par feu les présidents français Jacques Chirac et algérien Abdelaziz Bouteflika, visant à « renforcer les liens » entre les deux pays.
Elle accepte. L’occasion de renouer avec son pays, elle qui s’est réfugiée dans l’écriture littéraire et l’exil après tant d’entraves. Elle propose de présenter son opéra, Les Filles d’Ismaël. L’affaire est entendue, Assia Djebar se lance dans la préparation. Peine perdue.
« Au moment de la production, on l’informe que son opéra ne peut pas se faire, car on ne peut pas montrer les femmes du Prophète dans une œuvre algérienne », raconte Ahmed Bedjaoui au quotidien algérien El Watan.
De nouveau la brutalité. De nouveau l’incompréhension de voir une immense artiste davantage reconnue et respectée ailleurs que chez les siens. Écrivaine et cinéaste, première autrice du Maghreb à siéger sous la Coupole.
« Dans tout autre pays, l’admission d’un auteur national à l’Académie française aurait entraîné la rediffusion des deux films pour montrer notre fierté de voir une Algérienne consacrée internationalement. Ailleurs oui, mais pas encore chez nous », se désole encore Ahmed Bedjaoui.
Près d’un demi-siècle après La Nouba des femmes du mont Chenoua et huit ans après la disparition d’Assia Djebar, immortelle pionnière, la blessure reste béante et collective.
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La Nouba des femmes du mont Chenoua, production de la Télévision algérienne, 1978, 1 h 55 min.
La Zerda et les chants de l’oubli, production de la Télévision algérienne, 1982, 59 min.
Rachida El Azzouzi
25 août 2023 à 09h47
https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/250823/assia-djebar-une-cineaste-entravee
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Rédigé le 25/08/2023 à 14:05 dans Assia Djebar, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
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