"Omar la fraise" est un film ambitieux certainement, peut-être pas tout à fait abouti mais porteur d’une étrange et sulfureuse fascination. Notre critique.
Le premier long d’Elias Belkeddar est avant tout une émouvante déclaration d’amour à l’Algérie, et à sa capitale plus particulièrement. Jamais en effet cette ville n’aura autant mérité que dans ce film le nom d’Alger la blanche.
Adroitement, le réalisateur fait glisser sa caméra des toits aveuglants de la ville à l’azur de la Méditerranée. C’est aussi une manière de filmer la mer comme une frontière, voire un obstacle… De fait le scénario nous présente un duo de bras cassés assez hauts en couleurs. Il y a Omar (Reda Kateb comme à son habitude impérial de sensibilité), c’est pour lui que la Méditerranée est une frontière à ne plus franchir.
Gangster parisien, il a fui l’Hexagone afin d’échapper à la prison. La justice vient d’ailleurs de le condamner par contumace à 20 ans. Roger (Benoît Magimel), son frère d’embrouilles multiples et d’amitié indéfectible, l’a suivi. C’est son ange gardien car si Omar se fait pincer par la police algérienne, c’est le gnouf direct.
Malgré la luxueuse villa qui les abrite, même si la piscine est à sec, il faut bien vivre et montrer que l’on se met dans le droit chemin. Un ami lui trouve un poste à la sécurité d’une biscuiterie industrielle tenue par Samia (Meriem Amiar, la révélation du film, lumineuse, envoûtante).
Tout cela sert de décorum à un autre film, celui qui parle de la nostalgie pour Omar d’un pays qui l’a vu naître, la France, d’un autre dans lequel plonge ses racines, l’Algérie, de cette incapacité pour lui de s’approprier ses origines séculaires. Elias Belkeddar, au travers de lumières littéralement somptueuses, nous trace le portrait de personnages divers.
Les frérots, égarés dans leur vie, les jeunes Algériens déjà perdus dans leur avenir, Samia, volontaire et engagée dans des perspectives plus constructives, tout cela dans une conjugaison habile de comique irrésistible et… de violence insoutenable. Ainsi est la vision du réalisateur.
Un film ambitieux certainement, peut-être pas tout à fait abouti mais porteur d’une étrange et sulfureuse fascination.
Vers un renouveau du cinéma ? ·« Qu’avons-nous fait de notre indépendance ? » « Que sommes-nous devenus depuis et qu’aurions-nous pu être ? » 52 ans après la liesse de juillet 1962, ces questions à la fois politiques et identitaires hantent les Algériens et pèsent lourdement sur le devenir de leur pays. Et c’est à ces interrogations que se confronte, avec succès, L’Oranais du réalisateur algérien Lyes Salem, sorti en salles le 19 novembre. Cette oeuvre serait-elle le signe d’un renouveau du cinéma algérien ?
La trame de L’Oranais s’articule autour de deux amis, Hamid et Djaffar, montés ensemble au maquis pour combattre la France coloniale et que le destin finira par séparer, bien longtemps après l’indépendance. Entre les deux hommes, il est aussi question de secret inavouable, de trahison et de renoncements aux idéaux de la Thawra (« la Révolution », c’est-à-dire la guerre d’Algérie).
Coproduction franco-algérienne, cette fresque mémorielle échappe au piège habituel de l’exhaustivité. La guerre d’Algérie, puis l’indépendance et ses lendemains désenchantés, en sont bien sûr la toile de fond. Mais Lyes Salem prend soin de les raconter à sa manière en privilégiant l’angle de la destinée individuelle. Et c’est déjà une façon de se colleter avec une histoire officielle qui se méfie, aujourd’hui encore, de l’individu, préférant glorifier la collectivité, à l’image du slogan « un seul héros, le peuple ». D’ailleurs, de nombreuses péripéties du film peuvent être lues comme un pied de nez aux dogmes mémoriels ou identitaires encore en vigueur dans l’Algérie du XXIe siècle. Djaffar, par exemple, ne rejoint le maquis que parce que les circonstances et le hasard décident pour lui (pour échapper à un ratissage de l’armée française, il tue de manière presque involontaire un garde-champêtre). On est dans le récit à hauteur d’homme, loin de l’épopée héroïque.
L’Oranais, 2014
Bande-annonce — YouTube
Par la suite, l’itinéraire des deux amis diverge. Hamid sert la Révolution à l’extérieur tandis que Djaffar, dont le rôle est interprété par Lyes Salem, passe plusieurs années dans le maquis. Après l’indépendance, le premier, marié à une Américaine, devient un grand ponte du système, installé dans une belle demeure — un « bien vacant », c’est-à-dire un bien immobilier abandonné par des Européens — tandis que l’autre hérite la direction d’une entreprise de menuiserie. Et même si l’amitié et l’affection demeurent, l’érosion de l’espérance va produire ses effets négatifs. Au fil des scènes, on voit changer l’Algérie, Hamid et Djaffar. L’unanimisme brutal au profit du parti unique s’installe. L’affairisme ne tarde pas à faire son apparition, l’identité berbéro-arabe est sacrifiée au dogme de l’arabo-islamisme le tout dans un contexte où les « services », comprendre la sécurité militaire, peuvent embarquer n’importe qui à n’importe quel moment. Dans les propos de Hamid, on sent peu à peu poindre le mépris pour un peuple qui n’a de cesse de revendiquer sa part du gâteau. Dans certaines scènes, notamment celle d’une balade en mer, on ne peut s’empêcher de penser que Hamid, Djaffar et leurs amis ont pris la place des anciens colons…Dès lors, seule une issue dramatique peut clore les relations entre les deux hommes.
LE LEGS COLONIAL
L’Oranais est surtout une allégorie de la question de l’identité algérienne et de ses liens avec la France. En montant au maquis, Djaffar ignore, contrairement à Hamid qui gardera ce secret, que son épouse a été violée en représailles par le fils du garde-champêtre qu’il a tué. À son retour, il apprend que sa femme — peut-être le symbole de ce qu’aurait pu être l’Algérie indépendante — a donné vie à un garçon puis qu’elle est morte, sa santé s’étant étiolée faute de nouvelles de son mari. Après quelques hésitations, Djaffar décide d’élever l’enfant comme son propre fils, comme la « chair de sa chair ». Cet enfant, prénommé Bachir, « celui qui porte la (bonne) nouvelle », est le symbole de ce que la France a laissé aux Algériens. Un legs, fruit d’un viol originel — celui de la colonisation — qu’il ne sert à rien d’occulter, voire de rejeter. Il en va ainsi de la langue française mais aussi du reste, de la manière de penser, du cartésianisme, de la croyance aux valeurs universelles : autant d’éléments qui sont remis en cause, alors qu’ils ont contribué à faire de l’Algérie une singularité à la fois politique mais aussi culturelle et intellectuelle dans le concert des nations décolonisées.
RÉALISME SANS CONCESSION
Dans le même temps, ce film est aussi un bel hommage à l’Oranie, région de l’ouest algérien, à sa joie de vivre et à sa musique, à un mode de vie qui a pratiquement disparu ou, pour être plus précis, qui n’a plus sa place dans une Algérie de la bigoterie et de la pratique de plus en plus ostentatoire et ritualiste de la religion. Dans le film, les personnages principaux boivent de l’alcool, des femmes ne portent pas le haïk et encore moins le hijab, quasiment inconnu jusqu’à la fin des années 1970. On y parle l’algérien. Non celui, incompréhensible, des discours officiels lénifiants, mais une darja (langue algérienne souvent qualifiée de « dialecte ») vivante, vigoureuse, qui se pratique au quotidien, avec ses fulgurances, ses captures de mots français et ses insultes imagées. En cela, L’Oranais est, malgré quelques maladresses et longueurs, un film « vrai », y compris dans le choix des figurants. Un film qui ne fait pas de concession au « politiquement correct » à l’algérienne mais qui, aussi, évite soigneusement les concessions auxquelles se sont pliés de nombreux créateurs maghrébins désireux de faire entendre leur voix en France. Point de « c’était mieux du temps des colons car tout le monde vivait bien ensemble ». De même, le Front de libération nationale (FLN) de la guerre d’Algérie est décrit tel qu’il a été, c’est-à-dire une organisation révolutionnaire avec un but précis à atteindre. Point donc, à ce sujet, de digressions sur la terreur qu’aurait imposée la djebha (le Front) à la population pour l’obliger à rejoindre ses rangs et à le soutenir. Une thèse qui renvoie dos-à-dos les deux acteurs du conflit et que font mine d’épouser quelques écrivains algériens désireux d’entrer en grâce auprès des milieux germanopratins.
LA « FAMILLE RÉVOLUTIONNAIRE » GRINCE DES DENTS
Comme il fallait s’y attendre, le film n’a pas été du goût de tout le monde en Algérie. La première salve est venue du cheikh Chamseddine, un célèbre téléprédicateur salafiste, qui a reproché au film de mettre en scène des moudjahidines (terme qui désignait aussi les soldats de l’Armée de libération nationale) en train de boire du vin. Un reproche repris à l’identique par l’Organisation nationale des enfants de chouhadas (les martyrs de la Guerre d’indépendance) et d’autres figures de ce que l’on appelle en Algérie, parfois non sans ironie, « la famille révolutionnaire ». Comme l’ont relevé de nombreux journalistes, ces mises en cause ne portent pas sur le fond et ne concernent qu’un élément du film : la consommation d’alcool, un phénomène réel qui a permis à de nombreux Algériens d’avaler maintes couleuvres de l’après-indépendance. Plus important encore, les appels à en interdire la diffusion du film en Algérie et à l’étranger (!) sont souvent venus de personnes n’ayant vu que la bande-annonce…
Pour l’heure, et contrairement à ce qu’exigent les détracteurs du film, les autorités algériennes n’ont décidé aucune interdiction ni censure officielle. Toutefois, Nadia Laabidi, ministre de la culture, a ainsi déclaré « comprendre les critiques de la famille révolutionnaire » et laissé entendre que le réalisateur se serait éloigné du scénario déposé pour obtenir un financement.
UNE PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE EN PANNE
Du coup, la responsable a annoncé des modifications à venir dans les futurs cahiers des charges en matière de soutien à la production cinématographique. Une perspective qui inquiète les professionnels d’un secteur qui vient de traverser plus de trente années de disette. Ils espéraient l’amorce d’un renouveau avec la sortie de films comme L’Oranais ou Le Crépuscule des ombres du réalisateur Lakhdar Hamina (Palme d’or 1975 du festival de Cannes avec le célèbre Chronique des années de braise). De fait, et pour reprendre un constat très célèbre en Algérie, le pays « compte plus de réalisateurs que de salles et plus de salles que de films réalisés ». Dans les grandes villes comme Alger ou Oran, nombre de cinémas sont à l’abandon, transformés parfois en aires de stockage. De manière récurrente, les autorités promettent la relance du secteur et une réhabilitation des salles sans pour autant abandonner les contraintes administratives qui pèsent sur la création cinématographique. Pourtant les attentes sont nombreuses. De jeunes réalisateurs profitent du développement des réseaux sociaux pour diffuser de courts métrages réalisés avec des moyens de fortune. De même, des festivals sont organisés dans de nombreuses villes du pays, à l’image des Rencontres cinématographiques de Béjaïa. En 2011, la réalisatrice algérienne Mounia Meddour a présenté un long métrage consacré au nouveau souffle du cinéma algérien. À l’époque, déjà, le constat était le même : dans un contexte marqué par un retour à la paix civile, de nombreuses énergies créatrices attendaient de l’État qu’il libéralise le secteur à défaut de s’engager financièrement comme il le faisait dans les années 1970, période faste du cinéma algérien.
AKRAM BELKAID
Journaliste et écrivain algérien. Journaliste au Monde diplomatique et membre du Comité de rédaction d’Orient XXI,… (suite)
Le docu-fiction La Reine Cléopâtre produit par la réalisatrice Tina Gharavi et produit par Jada Pinkett Smith pour Netflix a suscité de vives controverses dès la sortie de sa bande-annonce, à cause du choix d’une actrice afro-américaine pour interpréter la reine. Depuis le début de sa diffusion le 10 mai, les Égyptiens dénoncent, non sans racisme, une appropriation culturelle. Quant au camp adverse, il pointe du doigt une négrophobie parée d’arguments culturels.
Le docu-fiction produit par Jada Pinkett Smith s’insère dans la mouvance « Black Royalty » ou « Black is King » (titre d’un film musical produit par Beyoncé en 2020). Au-delà d’une récupération militante de figures historiques, c’est une volonté de construire une dignité noire, de contrer des siècles de subalternité et d’humiliation et de bien faire comprendre que l’Afrique « noire » a une histoire et des civilisations millénaires, notamment à travers la mise en scène d’une royauté noire. La figure de la royauté est une forme d’utopie décoloniale, un roi étant l’absolu opposé d’un esclave, et permet de se réapproprier une histoire décimée par la « blanchité » coloniale.
En effet, l’eurocentrisme, dont la fondation est le suprémacisme blanc, a inventé et reproduit l’histoire de ses dominés, principalement pour rendre « naturelle » sa domination et donc, la subalternité des colonisés. Le colonialisme européoaméricain n’aurait pu exister sans l’invention de la race, la hiérarchisation raciale qui a suivi ayant permis de « naturaliser » le fait colonial. Dans sa continuation, nous vivons dans un monde où la production du savoir reste prisonnière de l’eurocentrisme de l’Histoire, bien que de plus en plus contesté. L’infériorisation de la « blackness » pour les besoins de la traite transatlantique ayant permis l’essor du capitalisme et des économies du Nord, ne produit pas simplement du racisme dans sa compréhension classique. Elle influe sur la manière dont la cartographie du continent noir est imaginée encore aujourd’hui.
UNE PARTITION COLONIALE DE L’AFRIQUE
L’Afrique telle que nous la vivons est le produit d’une partition coloniale en trois parties, conceptualisée par le philosophe allemand Friedrich Hegel : une Afrique « européenne », celle du nord, une Égypte « asiatique », et la « véritable » Afrique, celle que l’on nomme aujourd’hui subsaharienne, mais qui, à l’époque coloniale, se nommait simplement « Afrique noire ». Pour Hegel, cette dernière est « une terre anhistorique et non développée, encore imprégnée de l’esprit de la nature ». Une traduction quotidienne de cette cartographie radicalisée du continent est la pratique consistant à nommer « Africain » un subsaharien en Afrique du Nord. Cette tendance à ne pas se penser africain, et à assimiler l’africanité au fait d’être noir nourrit la négrophobie arabo-africaine. La campagne lancée contre le documentaire en Égypte s’est d’ailleurs largement focalisée sur la « pureté » de l’ADN égyptien et sa dissociation de l’ADN « africain ». Ainsi, un communiqué du ministère égyptien du tourisme et des antiquités datant du 27 avril dénonce les traits « africains » d’une Cléopâtre censée avoir « la peau claire » et argue l’assimilation historique de tout « trait étranger » aux Égyptiens. Le mythe d’une nation (racialement) homogène, cimenté par les constructions nationales post-indépendance rejoint ainsi un déni d’africanité, cette identité étant toujours perçue comme rattachée à une Afrique noire primitive et en marge de la modernité.
Ironiquement, la négrophobie en Afrique du Nord se fonde sur le déni de toute origine noire à la région, déni affectant notamment l’écriture de l’histoire africaine par des africanistes occidentaux ayant intériorisé la partition hégélienne du continent et opérant une analogie numérique entre la traite transatlantique et la traite transsaharienne, comme Humphrey Fisher, Ralph Austen, John Hunwick et Philip Curtin. Selon cette vision, les noirs africains en Afrique du Nord ne peuvent être que des descendants d’esclaves formant une sorte de « diaspora africaine en Afrique ». L’éminent universitaire kenyan Ali Mazrui prévenait pourtant que considérer que « rien n’est africain à moins qu’il soit noir, c’était justement tomber dans le sophisme de l’homme blanc »1.
Face à cela, la théorie de l’afrocentrisme fait d’une Égypte « noire » la pierre angulaire de sa rhétorique. Dans le monde francophone, la théorie d’une Égypte négro-africaine, berceau des civilisations subsahariennes, fut lancée par le penseur sénégalais Cheikh Anta Diop. Elle est emblématique de la disjonction du continent africain au lendemain de l’espoir suscité par les indépendances et l’espace permis pour la circulation de figures et théories de la libération radicale du Sud, notamment avec le séjour d’un nombre d’intellectuels afro-américains au Caire au début des années 1960, et la « Mecque révolutionnaire » que fut Alger pour un nombre de mouvements radicaux, dont les Black Panthers.
C’est d’ailleurs l’argument d’une « réappropriation imminente » d’une Afrique du Nord « colonisée » que l’on pensait propre aux « guerres culturelles » (cultural wars) américaines qui a nourri en février-mars 2023 la psychose à l’encontre des migrants subsahariens en Tunisie, instrumentalisée par un groupuscule fasciste qui a eu l’oreille du pouvoir. Partout, on pouvait entendre un racisme des plus abjects justifié par un soi-disant plan de colonisation du Maghreb par les migrants subsahariens.
HÉGÉMONIE AMÉRICAINE ET POST-COLONIALISME
Or, l’afrocentrisme doit tout d’abord être compris comme une réaction à la rhétorique coloniale selon laquelle l’Afrique subsaharienne ne possédait pas d’histoire avant sa colonisation par l’Europe, et que toute trace de civilisation lui serait forcément exogène, lui venant d’Orient, des Berbères, des Arabes ou de l’Europe. C’est donc un mouvement qui vise à retourner le stigmate et à écrire l’Histoire du point de vue de l’Afrique, qui ici se confond souvent avec le point de vue afro-américain sur l’Afrique, l’afrocentrisme étant né de la réflexion d’intellectuels afro-américains à partir du contexte racial étatsunien.
Notre manière de penser la race, et donc le racisme, reste intrinsèquement liée à la sémantique et au vécu des afrodescendants de la traite transatlantique. Depuis l’avènement des études postcoloniales et décoloniales, des chercheurs du Sud évoluant au sein d’universités nord-américaines comme Hassan Mohamed, Ali Mazrui ou plus récemment Abdelmajid Hannoum et Hisham Aïdi ont mis en garde contre une lecture « américanisée » de la traite arabo-berbère, et contre la partition radicalisée de l’Afrique. Ils prônent la nécessité de situer la race dans la modernité occidentale. Pourtant, pour ce qui est de « désaméricaniser » la race, le pari est loin d’être gagné : d’abord parce que la traite transatlantique a été déterminante pour l’expansion du capitalisme, du racisme et de la mise en équivalence de la figure du « noir » avec celui de l’esclave. Ensuite, parce que les afrodescendants aux États-Unis ont joué un rôle fondateur dans la formation et l’expansion de l’idéologie panafricaniste. Enfin, parce que les États-Unis exercent une hégémonie culturelle sur le monde qui permet aux représentations et enjeux nés en leur sein de s’exporter et de devenir hégémoniques, notamment à travers les médias de masse et les productions académiques.
Ces représentations qui promeuvent la dignité noire doivent être encouragées et célébrées. Elles sont salvatrices pour nos subjectivités postcoloniales, et permettent de nous imaginer au-delà du regard du colonisateur. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue la question du pouvoir. Une réappropriation de l’Histoire ne doit pas se faire aux dépens d’une autre communauté de destin, elle aussi dominée.
La Reine Cléopâtre s’ouvre sur les mots d’une professeure d’études africaines : « Ma grand-mère m’a dit, peu importe ce qu’ils t’enseignent à l’école, Cléopâtre était noire ». Dans le documentaire, ce n’est pas seulement Cléopâtre qui est représentée comme noire, mais l’Égypte entière, rappelant l’imaginaire d’une Égypte berceau des civilisations négro-africaines. Cette représentation serait peut-être passée inaperçue si le documentaire n’était pas produit par Netflix, et donc disponible au plus grand nombre.
PACIFIER LES CONTESTATIONS
Ces dernières années, les structures néolibérales telles que les plateformes de streaming ont eu massivement recours au tokénisme, pratique consistant à (sur)représenter des minorités raciales, de genre et sexuelles afin de se targuer d’inclusivité, et d’invisibiliser la violence structurelle à laquelle ces minorités font face. Depuis l’assassinat de George Floyd en mai 2020 et l’émergence du mouvement Black Lives Matter, une contre-révolution s’est mise en place afin de pacifier un mouvement questionnant le racisme structurel aux États-Unis et dans le monde. La volonté d’une plateforme comme Netflix de produire un documentaire tel que celui de Jada Pinkett Smith doit être comprise dans ce contexte.
Ceci dit, ce n’est pas tellement l’Amérique blanche qui est ici attaquée, mais un autre groupe dominé : les Arabes, plus particulièrement les Égyptiens qui ont dénoncé un blackwashing2, se voient confisquer une représentativité par deux fois : une actrice américaine blanche — Elizabeth Taylor — ayant interprété Cléopâtre en 1963 dans le film de Joseph Mankiewicz, et une actrice noire américaine en 2023. L’intervention de l’humoriste en exil Bassem Youssef dans un talkshow américain concernant la polémique est en ce sens révélatrice d’un malaise, lorsqu’il dénonce l’appropriation de la culture égyptienne pour les besoins d’un narratif afro-américain, celui de la surreprésentation d’une minorité aux dépens de l’invisibilisation d’une autre. L’effacement de l’historicité des Nord-Africains non noirs reproduit la narration coloniale, mobilisée par exemple par la colonisation française au Maghreb pour opérer une distinction ethnolinguistique binaire entre Berbères autochtones et Arabes envahisseurs, et rattacher ainsi ses colonies à une identité méditerranéenne.
Décoloniser la question raciale donc, sans complaisance aucune avec une négrophobie bien ancrée, mais sans pour autant se laisser envahir par des débats américanocentrés, là est tout l’enjeu.
YASMINE AKRIMI
Chercheuse en sciences sociales. Ses recherches portent un regard décolonial sur les constructions nationales post-indépendance au… (suite)
Aussi présenté au Festival de Cannes, le premier long-métrage d’Elias Belkeddar avec Reda Kateb et Benoît Magimel est déjà au cinéma.
Reda Kateb et Benoît Magimel, ici dans « Omar la fraise » d’Elias Belkeddar.
CINÉMA - Omar la fraise n’est pas une nouvelle variété de gariguette, ni le petit frère d’une certaine Charlotte. Non, c’est le nom d’un long-métrage avec Reda Kateb et Benoît Magimel, le premier d’Elias Belkeddar. Et oui, le film, projeté au Festival de Cannes, est aussi drôle que le laisse à penser son titre. Il vient d’arriver sur nos écrans, ce mercredi 24 mai.
Son histoire, elle, c’est celle d’un des plus grands bandits d’Algérie, le dénommé Omar la fraise. Là-bas, tout le monde connaît son nom : c’est une vraie légende. Et alors qu’il vit de petites magouilles dans son pays d’origine, il apprend qu’il vient d’écoper de 20 ans de prison, en France. Pas question d’y remettre les pieds. Il doit se faire tout petit, rester bien au calme, à Alger, et surtout ne plus commettre la moindre infraction.
Le problème, c’est qu’Omar et son acolyte de toujours Robert (Benoît Magimel) aiment beaucoup trop faire la fête et dépenser tous leurs billets dans les soirées, la drogue et les bouteilles de champagne. Loin d’eux l’idée d’en finir avec leur vie de gangsters. Ils ont une réputation à tenir.
En particulier Omar, autour duquel gravitent les mythes les plus fous. D’où vient son nom ? Pour certains, c’est parce qu’il opère comme un dentiste. Pour d’autres, parce qu’il aurait piégé, enfant, un adulte en remplissant des fraises de fines aiguilles à coudre pour se venger d’un rappel à l’ordre en classe.
Les rumeurs qui courent à son sujet sont absurdes, bien loin de son image de truand. Elles nous font en tout cas le même effet comique que les punchlines de Reda Kateb, ses discussions surréalistes avec Benoît Magimel et leurs aventures kafkaïennes.
Découvrez ci-dessous la bande-annonce :
Mais Omar la fraise n’est pas qu’une simple com
Une « histoire de famille, de coeur et d’amitié »
Mais Omar la fraise n’est pas qu’une simple comédie. Si les bains de sang et les bastons dont regorge le long-métrage n’ont rien à envier à Quentin Tarantino, l’intrigue amoureuse avec Meriem Amiar a, elle, tout des codes d’une bonne rom com façon Coup de foudre à Notting Hill.
« C’est un premier film très personnel. Ça parle d’amitié, d’amour et d’un pays, l’Algérie », déclarait Benoît Magimel sur le plateau de Quotidien, le 16 mai. « On voit l’Algérie comme on la voit peu, comme elle a été peu filmée au cinéma ces dernières années », précise à son tour Reda Kateb - dont le père est d’origine algérienne. La jeunesse algérienne est photographiée dans le film de manière inédite, selon l’acteur. Certains lieux, aussi. Elias Belkeddar est, ici, retourné filmer dans la cité Climat de France, comme il l’avait fait pour les besoins du clip de DJ Snake, Disco Maghreb.
Omar la fraise reste, pour lui, « une histoire de famille, de cœur et d’amitié magnifique ». Un film « surprenant », ajoute-t-il. Moins étonnant qu’il soit présenté dans le cadre des Séances de minuit à Cannes, une sélection réputée pour ses films anticonformistes.
Pour « Chronique des années de braise », le réalisateur algérien obtenait la récompense suprême du Festival de Cannes. Le Tunisien Férid Boughedir, lui-même cinéaste, s’en réjouissait, à l’époque, dans JA.
Par Férid Boughedir
Le réalisateur algérien Mohamed Lakhdar Hamina (3e en partant de la gauche), l’acteur grec Yorgo Voyagis (2e à dr.) et l’actrice marocaine Leïla Shenna (3e à dr.) se rendent à la
projection de « Chronique des années de braise », au Festival de Cannes, le 14 mai 1975.
Bien peu de cinématographies nationales peuvent se vanter d’avoir produit, au cours de ces dix dernières années, des cinéastes qui soient, au sens poétique du terme, d’authentiques visionnaires. L’Algérie en possède un depuis peu, et d’envergure. Mohamed Lakhdar Hamina, dont le film Chronique des années de braisea représenté l’Algérie au festival de Cannes, se classe d’emblée aux côtés des maîtres du grand spectacle, sécrétant leur propre univers, que sont le Fellini de Roma, ou le Tarkovski d’Andreï Roublev. Chronique des années de braise réussit en effet cette ambivalence, rare au cinéma, d’être un film historique relatant la naissance d’une nation et de tout un peuple en même temps qu’un film d’auteur, marqué de bout en bout par la forte personnalité de son metteur en scène, dont il demeure inséparable.
L’embrasement de la révolution
Le film, c’est l’histoire de l’Algérie sous la colonisation française (lorsque la braise couvait sous la cendre) et l’histoire du cheminement qui a conduit le peuple algérien à l’embrasement de la révolution de novembre 1954. Ce cheminement, c’est aussi celui que poursuit le personnage principal, Ahmed, un simple paysan qui passe de la misère à la prise de conscience, et de la prise de conscience à la révolte. Quittant son village à cause de la sécheresse, il affronte la ville, où il découvre la condition de prolétaire et l’injustice des colons.
Voyant sa famille décimée par le typhus, il retourne au village et fait sauter un barrage pour que les terres soient de nouveau irriguées. Capturé, il est enrôlé de force dans l’armée française et envoyé au front. C’est la Seconde Guerre mondiale, et des Algériens espèrent la victoire de Hitler (qu’ils surnomment El Hadj) qui viendra les débarrasser des Français. Ahmed, lui, pressent que ce sera kif-kif : Hitler, la France, les Américains… La fin de la guerre voit la défaite des Allemands et les revendications du peuple algérien sont noyées dans le sang lors des massacres de Sétif.
Décoré et écœuré, Ahmed assiste à la mascarade des élections où se présentent les bachaghas algériens, valets du colonialisme. Une tentative de candidature nationaliste algérienne ayant été, elle aussi, noyée dans le sang, Ahmed et ses amis n’ont plus le choix : abandonnant définitivement les mirages du « légalisme », ils passent au maquis. C’est l’explosion de novembre 1954. Ahmed se fait tuer dans un accrochage, mais son fils, qui représente l’Algérie de demain, continuera la lutte.
Les bachaghas, valets du colonialisme
Politiquement, le film va assez loin. Refusant le manichéisme qui opposerait les bons Algériens aux méchants Français, il insiste au contraire sur le rôle des bachaghas. Rappelant qu’aucun colonialisme ne peut durer s’il ne s’appuie sur des intermédiaires locaux et démontrant ainsi que les Algériens étaient colonisés et opprimés, aussi, par d’autres Algériens, le film, loin de finir dans l’exaltation facile de l’héroïsme passé, débouche au contraire sur l’époque actuelle et sur la lutte des classes, prélude à la révolution agraire… Le film ne ménage pas non plus les hommes de religion, jugés trop fatalistes (« Allah a dit : “N’oublie pas ta part dans ce monde !” », réplique le héros à l’imam qui prêche la résignation), ou aux nationalistes à l’ancienne mode qui ne croient qu’à la puissance de leur verbe.
Esthétiquement, ce film est remarquable. Retrouvant et amplifiant le style épique, les images superbes et le souffle généreux du Vent des Aurès, Lakhdar Hamina révèle un sens de la mise en scène et une maîtrise des moyens humains et matériels utilisés que lui envieraient bien des « professionnels » du cinéma à grand spectacle dans le monde. Plus encore que dans ses films précédents, le style de Lakhdar Hamina se caractérise ici par la sobriété voulue : pas de « coquetteries » formelles, pas d’esthétisme, pas de mélodrame, mais l’émotion contenue jusqu’à la dignité. La dignité, obsession de ce cinéaste qui, dans tous ses films, crie au respect de l’homme spolié. Le montage même suit ces principes en coupant très vite une scène avant qu’elle ne devienne complaisante. Avec, parfois, des éclairs romantiques, irréalistes et fantastiques, excessifs et inspirés, dont on trouvait déjà la trace dans Décembre.
En revanche, c’est peut-être au niveau de la construction que Chronique des années de braise montre des imperfections. Le film, qui durait quatre heures et demie, a été ramené à trois heures, et cela n’a pas été sans nuire à son équilibre. Tel quel, il semble souvent prendre toutes les directions à la fois dans la première partie. C’est alors seulement que le rythme s’installe et que le récit cesse d’être décoratif. On pourrait également reprocher au film, muni de héros assez monolithiques, de ne pas adopter le style de psychologie en profondeur et d’adopter le style « images d’Épinal » propre à l’épopée et au récit populaire. Mais là, il semble qu’il s’agisse davantage d’un choix conscient.
Ahmed, symbole de la dignité nationale qui refuse de plier même aux heures les plus sombres de l’oppression, n’est pas, en effet, le héros du film. Le véritable héros est un personnage marginal, Miloud, le demi-fou du village (interprété par Lakhdar Hamina lui-même), qui, dans l’univers du mensonge colonial (où l’on va jusqu’à faire chanter aux Algériens l’éloge du maréchal Pétain), est le seul à oser dire la vérité. Apparaissant comme un contrepoint au récit, servant de mauvaise conscience à tous les protagonistes, ce personnage hausse le film au-delà de l’anecdote historique et le fixe à un autre niveau, moins fugitif : celui de la fable ou du conte traditionnel. Là est sans doute la véritable dimension de l’œuvre.
Longue chaîne de récits
En effet, Chronique des années de braise n’est pas un film uniquement politique, c’est-à-dire circonstanciel. Il a une autre ambition, que j’appellerai culturelle. Redonner au peuple l’image de son passé nié et oblitéré, le faire renouer avec sa continuité historique, et ce à travers les formes de récit et de sensibilité qui le concernent, est plus essentiel actuellement que n’importe quel discours politique, aussi vital que l’air qu’il respire. Il faut féliciter l’Algérie, l’un des rares pays du Tiers monde qui aient compris l’importance de l’enjeu culturel dont découle tout le reste, et qui n’hésitent pas à y engager les importants moyens financiers nécessaires. C’est pourquoi il serait vain de juger le film comme une simple reconstitution documentaire et de le critiquer au nom de l’exactitude et de la vraisemblance des détails. Autant vouloir faire jouer à un sonnet poétique le rôle d’un strict communiqué de presse…
Or, tout, dans le film de Lakhdar Hamina, ton des acteurs, style épique des images, recours au symbole, indique qu’on est au-delà du simple réalisme et que l’on est déjà au niveau du conte. Dans la longue chaîne de récits tissée de toute éternité par la culture populaire et brisée par la nuit coloniale, ce film tente de combler désespérément le maillon qui manque… Il y a, entre Lakhdar Hamina et son pays, on le sent à travers tous ses films, une véritable passion, d’où sont exclus les intermédiaires.
Sabre au clair
Par ce dernier film, il tente la folle entreprise de prendre l’Algérie à bras-le-corps, et de la présenter telle qu’il la voit, lui, à travers ses paysages et son histoire. Mais, ce faisant, il garde la tête froide : l’une des plus belles scènes du film montre la charge des cavaliers algériens à la solde des bachaghas contre la foule, qu’ils attaquent sabre au clair. Et c’est là qu’éclate pleinement le talent du metteur en scène : là où quiconque aurait mis des sons haletants et pleins de violence pour faire « participer » le spectateur à la manière des westerns, la musique, au contraire, reste sereine et limpide, comme pour dire : « Oui, des Algériens massacrent leurs frères, mais c’est déjà de la légende. Ce n’est rien, c’est l’histoire qui passe. » Le maillon retrouvé, la chaîne reconstituée.
Un film algérien qui porte sur la période qui précède la colonisation française, c’est déjà un événement. Par les thèmes abordés, La dernière reine a soulevé un grand débat sur l’histoire du pays, même si les Algériens attendent encore de savoir s’il sera projeté dans leur pays.
Nous sommes en 1516. Enhardie par la chute du dernier royaume musulman de la péninsule (Grenade, 1492), l’Espagne entend désormais dominer l’Afrique du Nord en contrôlant un chapelet de ports maghrébins. Alger, comme Bejaïa, Ténès ou Cherchell (autant de villes antiques) est sous la menace immédiate des troupes espagnoles et de leur puissante artillerie. Salim Toumi, le roi de la ville, n’a pas d’autre choix que de faire appel aux corsaires qui sillonnent l’« Akdeniz », la « Mer blanche » selon la désignation turque de la Méditerranée1 pour leur propre compte et, accessoirement, pour celui du souverain ottoman. C’est à la fois un conflit traditionnel entre l’envahi et l’envahisseur, mais c’est aussi une bataille religieuse entre musulmans et catholiques.
UN FILM FÉMINISTE
Voilà le point de départ de l’intrigue de La Dernière Reine (Al-’Akhira), un film au souffle épique d’Adila Bendimerad et de Damien Ounouri. Vétéran des batailles navales et de la course en Méditerranée, Aroudj Barberousse, dont le rôle est campé par Dali Benssalah, libère donc Alger, mais s’imagine très vite en souverain de la cité. Face à lui se dresse la reine Zafira (Adila Bendimered), l’une des épouses du défunt Toumi, assassiné. Isolée dans un monde d’hommes et de traditions patriarcales, elle tente de préserver son fils et la lignée monarchique qu’il représente. L’intention est manifeste. C’est certes un film d’action — rehaussé par la qualité des costumes et une approche décomplexée vis-à-vis de la langue (les personnages alternent l’arabe classique et la darja) —, mais c’est aussi un film puissamment féministe, même si l’image masculine, marquée par l’omniprésence de la violence, aurait gagné à être plus nuancée.
Pour autant, et à bien des égards, La Dernière Reine est une véritable réussite cinématographique et constitue même un tournant majeur dans la production filmographique algérienne. En effet, c’est l’une des toutes premières fois que l’action concerne un épisode historique n’ayant rien à voir avec la période coloniale française (1830-1962), la guerre d’indépendance (1954-1962) ou les péripéties parfois sanglantes ayant suivi l’indépendance. Les historiens y trouveront peut-être à redire — nul ne sait vraiment si la reine Zafira a vraiment existé —, mais il ne fait nul doute que ce long métrage ouvre la voie à de nouveaux imaginaires et contribue ainsi à l’élaboration d’un roman national algérien jusque-là sous la férule des discours officiels et des omissions délibérées. Dans une société qui demeure profondément marquée par la présence française et ce qu’elle a imposé comme aliénation, notamment linguistique, mais aussi mémorielle, le film est un puissant appel d’air à une exploration fictionnelle de l’histoire médiévale de l’Algérie. Nombreux sont ainsi les Algériens qui n’ont qu’une vague idée des dynasties qui se sont succédé jusqu’à l’arrivée des Ottomans. Comment vivait-on au début du XVIe siècle à Alger ? Les travaux d’historiens à ce sujet ne manquent pas, mais leur traduction en œuvres artistiques destinées au grand public est rare, pour ne pas dire inexistante.
Le film offre à ce sujet quelques enseignements. Entre cités, c’est un jeu d’alliances et de rivalités auxquelles participent les puissantes confédérations tribales de l’intérieur des terres. En 1516, des ports comme Alger sont aussi des lieux cosmopolites où règne l’islam, mais où il n’est pas rare d’y croiser d’anciens esclaves européens convertis. On parle l’arabe, mais aussi le berbère, l’espagnol et diverses langues méditerranéennes. Les corsaires d’origines diverses, qui vont du port marocain de Salé à l’île de Djerba et n’hésitent pas à razzier les côtes européennes, sont eux-mêmes les pièces d’une gigantesque mécanique de recomposition géopolitique où l’empire ottoman joue l’un des premiers rôles.
DES SAUVEURS MUSULMANS
Habituellement, dans la perception algérienne — du moins dans celle que restituent les manuels scolaires et le discours officiel —, Aroudj et ses frères de mer furent avant tout des sauveurs bienvenus. Des sauveurs d’autant plus célébrés qu’ils étaient musulmans et qu’ils servaient un pouvoir musulman (l’empire ottoman). La Dernière Reine se distancie quelque peu de cette vision manichéenne des choses. Des sauveurs, certes, mais aussi des régicides et, in fine, de nouveaux maîtres. Quelques esprits chagrins ont donc critiqué cette vision des événements, notamment l’image négative dont le film affuble les corsaires dépeints en êtres frustes, sanguinaires et opportunistes. Certains ont rappelé qu’Aroudj — Oruç Reis de son nom turc — et ses frères sont considérés comme étant des héros par la Turquie moderne (plusieurs vaisseaux de la marine turque portent leur nom). Mais qu’est-ce qu’un corsaire si ce n’est un pirate qui pille pour la bonne fortune du monarque ?
En arrière-plan pointent deux choses. D’abord, le rapport complexe que nombre d’Algériens entretiennent avec la fiction. Trop souvent cette dernière n’est jugée acceptable que si elle respecte la vérité historique. Question simple : quelle est donc cette vérité et qui en décide ? Cette interrogation est loin d’être insignifiante, car elle influe directement sur la création artistique. Ensuite, il y a cette question qui fait parfois polémique en Algérie, surtout lorsqu’il prend à Recep Tayyip Erdoğan, le président turc, de critiquer le colonialisme français et de se comporter comme si son pays détenait encore une tutelle symbolique sur les pays du Maghreb, du moins l’Algérie et la Tunisie : quel regard l’Algérie contemporaine doit-elle avoir à l’égard des Ottomans et donc, des beys et des deys qui furent l’incarnation de leur pouvoir ?
Par certains côtés, La Dernière Reine montre bien que les élites algéroises de 1516 espéraient préserver leur indépendance. Le pouvoir installé par Aroudj, auquel succèdera son frère Kheireddine, gardera lui-même une certaine indépendance à l’égard de la Sublime Porte en affichant une allégeance de pure forme ; mais qu’en était-il vraiment des rapports entre cette Régence et la population algérienne ? Les Ottomans n’étaient-ils que des protecteurs musulmans bienvenus contre les puissances européennes (et donc chrétiennes) ou étaient-ils des maîtres dont la confession ne saurait faire oublier qu’ils venaient d’ailleurs ? Les successeurs d’Aroudj et de Kheireddine poursuivront effectivement leur combat contre les Espagnols — ce qui vaudra à l’illustre Cervantès, alors qu’il était encore soldat, d’être fait prisonnier et de passer cinq années de détention à Alger (1575-1580). Mais les souverains de la Régence surent aussi se montrer impitoyables contre les tribus de l’intérieur qui refusaient de payer l’impôt. La mémoire collective de certaines régions d’Algérie garde à ce sujet le souvenir de leurs expéditions punitives et des déplacements de population qu’elles imposèrent.
SERA-T-IL DIFFUSÉ EN ALGÉRIE ?
La Dernière Reine a reçu un accueil enthousiaste en France, et nombre d’Algériens espèrent que ce film sera projeté dans leur pays. Les deux réalisateurs ont bon espoir, mais cela n’est guère évident. C’est le paradoxe du renouveau du cinéma algérien. Des films et des documentaires de qualité sont produits chaque année, mais il existe peu de salles pour les accueillir — nombre d’entre elles sont fermées depuis les années noires (1992-2000). S’ajoute à cela une censure tatillonne qui entend préserver les « constantes nationales » et refuse toute interprétation historique qui ne conviendrait pas aux dogmes officiels. Ainsi, le film biographique de Larbi Ben M’Hidi, l’un des fondateurs du Front de libération national (FLN) et protagoniste principal de la Bataille d’Alger (il fut assassiné par le commandant Paul Aussaresses et ses hommes) attend depuis 2018 le feu vert des autorités pour être diffusé. Son réalisateur, Bachir Derraïs ne compte plus les vaines réunions avec les officiels, notamment avec ceux du ministère des moudjahidines (vétérans de la guerre d’indépendance) pour en débloquer la diffusion. Cette censure pesante explique, en partie, pourquoi l’Algérie n’a toujours pas produit « le » film sur la vie de l’émir Abdelkader. Car comment parler de cette grande figure nationale sans prendre le risque d’incommoder tel ou tel courant politique ?
Les maux subis par le cinéma algérien ne s’arrêtent pas là. En avril 2022, le Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique (Fdatic), instrument utilisé pour produire des centaines de films depuis l’indépendance, a été purement et simplement dissous sans qu’aucune solution de rechange ne soit proposée. Et ce n’est pas le projet de loi relatif à l’industrie cinématographique qui rassure les professionnels du secteur. L’un de ses articles en résume la philosophie punitive :
Sans préjudice des sanctions plus graves prévues par la législation en vigueur, est puni d’un emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende d’un million à deux millions de dinars, quiconque, en violation de l’article 4 de la présente loi, finance ou effectue des prises de vue ou produit ou distribue ou exploite des films cinématographiques contraires aux principes édictés par la Constitution ou aux lois de la République ou touchant à la dignité des personnes ou contraire aux intérêts supérieurs de la nation et aux valeurs et constantes nationales.
AKRAM BELKAID
Journaliste et écrivain algérien. Journaliste au Monde diplomatique et membre du Comité de rédaction d’Orient XXI,…
Alors que se tenaient, la veille, les assises sur l’industrie cinématographique algérienne, une mauvaise nouvelle est venue frapper la famille du septième art algérien...
Un des leurs venait de partir à l'âge de 80 ans. Il s'agit du cinéaste Sid Ali Mazif, un grand nom du cinéma algérien, qui s'est éteint mardi laissant derrière lui une riche cinématographie, un vrai témoin de son temps.
Réalisateur discret, Sid Ali Mazif qui avait marqué le septième art avec le long métrage au franc succès, «Leila et les autres «(1978), avait à son actif aussi «Sueur noire» (1971), «Les nomades» (1976), «J'existe» (1981) et «Houria» (1986). Il a également signé le scénario du film «Envers du miroir» de Nadia Cherabi (2007) et produit «Le Patio» (2015) dans le cadre de la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe ainsi que «Les Palmiers blessés» du réalisateur tunisien Abdelatif Benammar. Né en 1943, Sid Ali Mazif a embrassé une carrière dans le 7e art en tant qu'assistant réalisateur au début des années 1960, aux côtés du réalisateur Marc Sator pour son film «Vingt ans à Alger».Il poursuivra ses études dans la réalisation à l'Institut national du cinéma (1964-1967) avant de rejoindre l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (Oncic).
Le réalisateur a participé à la réalisation de plusieurs projets cinématographiques importants, notamment le film «Enfer à dix ans» (1968) qui met la lumière sur les conséquences de la guerre sur les jeunes enfants, outre sa contribution remarquable au film «Histoire de la révolution» (1970). En gros, 50 ans de carrière vouée au cinéma et aux collaborations tous azimuts.
CINÉMA. C'est une Algérie dans les cendres de la guerre civile que la réalisatrice Sofia Djama narre dans son film "Les Bienheureux". Elle s'est confiée au Point Afrique.
Sofia Djama est une réalisatrice heureuse. Son film, Les Bienheureux*, son premier long-métrage, est pourtant un film douloureux. Sélectionné à la dernière Mostra de Venise, il a vu l'une des interprètes, Lyna Khoudri, recevoir le prix de la meilleure actrice. Ce qui y est frappant, c'est la délicatesse de son traitement qui permet de sortir de la sidération qu'a pu engendrer sur toute une société une guerre civile qui a fait, selon les chiffres, entre 100 000 à 200 000 morts et disparus. Depuis l'arrêt du processus électoral le 12 janvier 1992 et l'annulation du second tour des élections législatives, au lendemain de la démission forcée du président Chadli Bendjedid jusqu'au référendum sur « un projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale » le 29 septembre 2005, ce sont treize années d'horreur pour un pays laissé exsangue et sans repère.
Dans Les Bienheureux, Sofia Djama donne à voir deux générations d'Algérois. Amel et Samir (formidables Nadia Kaci et Sami Bouajila) d'abord. Lui médecin gynécologue, qui sous couvert de militantisme, opère de bien lucratifs avortements dans son cabinet. Elle, professeur à l'université, tendue, au bord de la crise de nerfs conjugale et existentielle, dans un pays où elle semble étouffer, lassée de désillusion et de rêves en miettes. Puis la caméra suit aussi la jeune génération. Fahim, le fils d'Amel et Samir, qui affiche un ostracisme religieux mou pour mieux énerver ses parents, à l'athéisme chevillé au corps. Reda, son ami, qui mêle un goût pour l'underground à une spiritualité si épidermique qu'il souhaite se faire tatouer une sourate du Coran à même la peau du dos. Enfin, Fériel, rescapée d'un massacre enfant, auquel sa mère n'a pas échappé. Fériel qui porte sur son cou la trace d'une tentative d'égorgement que toute l'Algérie aura vécu. Les Bienheureux est un film choral, qui mêle unité de temps (un jour et une nuit) et unité de lieu (Alger, filmée de façon amoureuse). On songe à Cassavetes parfois tant la caméra de Sofia Djama laisse la part belle, et cela en est heureux, aux acteurs, dans un jeu tendu, écrit certes au cordeau, mais avec une part de liberté décelable. Les Bienheureux réussit aussi à capter l'esprit d'un peuple, son créolisme linguistique qui mêle en arabe et français en trouvailles spirituelles, son humour aussi, sa dérision et son sens infini de l'absurde. On sort de ce film en réflexion et en empathie. « Bienheureux les faiseurs de paix », effectivement. Rencontre avec une réalisatrice à suivre attentivement et dont le film vient d'être sélectionné au Festival international du film francophone de Namur et au Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier ou Cinémed.
Le Point Afrique : Pourquoi avoir choisi de traiter l'après-décennie sanglante spécifiquement ?
Sofia Djama : À l'origine, c'était une nouvelle que j'avais écrite il y a quelques années. Le film ne reprend pas la trame de la nouvelle originelle. Le scénario ne pouvait pas supporter la structure narrative de la nouvelle. Au fond, j'avais besoin de trahir cette nouvelle à l'origine de ce film et je le fais à travers l'évolution des personnages et leurs interactions. Raconter des événements prenant place en 2008 plutôt qu'en 1995, par exemple, est plus proche de ce que je voulais dire. Il m'a semblé qu'il était plus simple et sans doute plus important de raconter l'impact de la guerre civile sur l'intimité des personnes quelques années après.
Mais le fond littéraire reste, car votre film utilise beaucoup le procédé narratif de l'ellipse. Beaucoup de choses sont suggérées plus que dites.
Si j'avais été frontale, j'aurais tenu un discours et n'aurais pas laissé le public se faire sa propre opinion. Mais je considère que ce film pose une opinion, sans juger. Si je n'étais pas allée vers cette option d'ellipse où j'ouvrais un peu l'espace au spectateur, le film aurait été insupportable. On aurait eu moins d'empathie pour les personnages. Je ne voulais pas qu'on soit dans la certitude et le jugement qu'elle suppose. Pour qu'il n'y ait pas de certitude, il fallait une forme de tendresse dans le regard. Il ne s'agissait pas de prendre la main du spectateur et de le guider, mais de le laisser faire son opinion. J'ai posé des jalons autrement.
Quels jalons ?
Avec Alger d'abord, omniprésente dans le film. J'avais envie de sortir de cette image carte postale et de poser cette ville en tant que personnage de ce film, comme les autres. Je voulais montrer Alger avec le plus de douceur possible. C'est une ville pourtant qui ouvre et ferme à la fois les perspectives. Elle laisse les personnages en errance. Elle arrête la déambulation et tourne le dos à la mer. La mer devient alors un horizon introuvable et indépassable. Ensuite, la structure du film est chorale, j'ai donc posé des jalons par les vies de chacun des personnages qui se croisent et se décroisent. Tout cela crée un sens sans heurter le public. Par nature, les vies se heurtent, il ne s'agissait pas d'en ajouter par un traitement frontal. J'aime chacun de ces personnages, avec une tendresse particulière pour les personnages féminins.
Le titre du film Les Bienheureux appartient presque au langage religieux, celui de la martyrologie. Que dit-il vraiment ?
J'avais trouvé le titre en arabe, en premier lieu, Essouhada, Les Heureux. Le film s'appelait au début La Moutonnière, mais c'est un titre qui n'aurait parlé qu'aux Algérois. « La Moutonnière » est le nom de l'autoroute qui était autrefois le chemin qui servait aux moutonniers. Ils acheminaient leurs bêtes aux abattoirs, aujourd'hui elle est l'autoroute qui permet d'entrer à Alger par l'Est. Il y a plus d'une décennie, un barrage de police s'y est installé et il provoque un ralentissement insupportable. Si bien que je n'ai pas pu m'empêcher de faire le lien entre ces moutons qu'on emmenait à l'abattoir et toutes ces voitures qui espèrent rentrer à Alger. Essouhada est de l'ordre de l'ironie évidemment ; ces personnages cherchent une joie qui leur a été confisquée ou créent cette joie dans l'espace qui leur est laissé. L'aspect « martyr » se retrouve effectivement dans la réplique de l'un des personnages du film qui dit : « Tu n'as rien compris, pour être légitime dans ce pays, il faut être martyr… et encore. »
L’actrice, qui a écrit et réalisé « La Dernière Reine » avec Damien Ounouri, raconte la genèse de ce premier film algérien en costumes et en langues du XVIe siècle.
« La Dernière Reine », d’Adila Bendimerad et de Damien Ounouri. JOUR2FETE
La comédienne algérienne Adila Bendimerad incarne la reine Zaphira dans La Dernière Reine, un film sorti en salle le 19 avril, qu’elle a écrit et réalisé avec Damien Ounouri.
Rencontre avec une actrice-réalisatrice inspirée par « les femmes algériennes avec lesquelles j’ai vécu », par « celles avec lesquelles je vis aujourd’hui ».
Ces dernières semaines, vous avez multiplié les rencontres avec le public en France. Vous attendiez-vous à un tel accueil ?
Adila Bendimerad Cette semaine, douze nouvelles salles accueillent le film et nous en sommes très heureux. Les réactions sont bouleversantes. Algériens vivant en France, Français d’origine algérienne, Français, gens d’ailleurs, tous sont très émus par cette histoire et cette Algérie qu’ils ne connaissaient pas.
Au cinéma, notre pays est encore vu essentiellement à travers la colonisation ou les années du terrorisme. Or on constate que le public se passionne pour cette reine mais aussi pour ce patrimoine qui n’a jamais existé à l’écran. C’est le premier film algérien d’époque en costumes et avec des langues de l’époque qui ne sont pas réduites à des onomatopées. Pour autant ce n’est pas juste un film de burnous et de sabres.
Comment est née cette histoire ?
Nous n’avons pas inventé Zaphira. Aujourd’hui encore, un peu partout en Algérie, des histoires circulent sur cette reine. Elle relève de la légende, fait partie de notre patrimoine immatériel. On aurait pu choisir un personnage historique mieux identifié, plus documenté mais ce qui nous a intéressés, ce sont les zones inexplorées, incertaines de cette histoire.
On est évidemment beaucoup plus informés sur les personnages masculins, comme Aroudj Barberousse (interprété par Dali Benssalah), personnage très romanesque, fort de son bras d’argent, à la fois redouté et redoutable, et libérateur d’Alger face aux Espagnols.
Zaphira, elle, oscille constamment entre la disparition et l’apparition. Elle me fait penser à Alger, à sa Casbah martyrisée, rasée à plus de 80 % pendant la période coloniale. Leurs destins se ressemblent. Elles ont été effacées. C’est finalement la raison de notre obstination avec Damien : mettre fin à ce double effacement d’une femme et d’une ville. C’est poétique et cela permet de créer une mythologie.
Quelle image de Zaphira avez-vous voulu faire passer ?
Celle d’une femme qui improvise, qui évolue. Si le roi Salim Toumi (Mohamed Tahar Zaoui), son époux, n’était pas mort, elle n’aurait probablement pas quitté le palais. Mais les menaces qui pèsent sur Alger, cette nouvelle population qui arrive avec les Corsaires, ce chamboulement de l’histoire au XVIe siècle va lui ouvrir les portes du pouvoir. Elle sort de l’invisibilisation. En sauvant son fils, elle sauve Alger. A ce moment-là, elle devient vraiment intéressante.
Il y a d’autres personnages de femmes dans le film : Chegga, la deuxième épouse du roi, Astrid la femme scandinave d’Aroudj. Que nous racontent-elles ?
Oui, le film aurait pu s’appeler Les Reines. Chegga (Imen Noel) s’inscrit dans la tradition, celle des rois d’Alger qui épousaient toujours une princesse kabyle pour des raisons politiques et militaires. Quand elle apparaît pour la première fois, elle observe les hommes parler de politique derrière son moucharabieh. Elle aimerait intervenir mais ne peut pas.
Et puis, il y a la femme scandinave d’Aroudj (Nadia Tereszkiewicz). A un moment, elle s’exclame : « J’ai voulu nuire à Zafira mais elle me rappelle moi quand j’étais esclave et que je me débattais seule. » Elle a tout fait pour son homme, a œuvré dans l’ombre, mais il la rejette quand il est sur le point d’arriver à ses fins : conquérir Zaphira et Alger.
Vous posez un regard féminin sur un monde d’hommes. Comment s’est-il imposé ?
Nous voulions raconter cette histoire méconnue à travers les femmes. Mais nous avons œuvré à deux. Et là encore, nous ne sommes pas forcément là où l’on nous attend. J’ai écrit la plupart des scènes où les Corsaires se balancent des trucs un peu « gras ». J’ai été élevée avec des garçons, j’avais seulement des frères. Quant aux scènes sentimentales, elles ont essentiellement été écrites par Damien. Lui a grandi au milieu de femmes !
Certaines féministes m’ont d’ailleurs fait remarquer que Zaphira ne l’était pas suffisamment. Mais ce n’est parce que je suis militante que je vais plaquer des discours sur Zaphira. Elle n’a pas théorisé le féminisme. Ce n’est pas facile de déborder du cadre, d’aller dans l’espace public. Celles qui ont osé le faire étaient et sont des originales. Ma source d’inspiration, ce sont les femmes algériennes, celles avec lesquelles j’ai vécu, celles avec lesquelles je vis aujourd’hui. Cela fait un film un peu androgyne.
Vous avez joué dans les films de Merzak Allouache (Le Repenti et Les Terrasses) dans le précédent film de Damien Ounouri, (Kindil El Bhar). Ce sont toujours des rôles de femmes qui tendent vers la liberté. C’est un choix ?
En Algérie, quand on fait du théâtre ou du cinéma, il y a toujours des rôles où la femme est très impressionnante quand elle sort de ses gonds. Dans Kindil El Bahr, celle que j’interprète n’est pas une révolutionnaire. Elle est sur la plage avec ses enfants, chaperonnée par sa mère. Elle attend son mari. Quand elle comprend qu’il ne viendra pas, elle se recentre sur elle-même, entre dans l’eau, commence à faire des figures, à se libérer. C’est déjà une « précréature ». C’est seulement après sa mort qu’elle devient un monstre marin vengeur. J’aime bien ces personnages qui laissent de l’espace à la sensation, à l’entrée du monde en eux et qui en sortent transformés. J’en reviens toujours à ces femmes traversées.
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Propos recueillis par Laetitia Fernandez
Publié aujourd’hui à 18h00, modifié à 18h08https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/27/adila-bendimerad-au-cinema-l-algerie-est-encore-vue-essentiellement-a-travers-la-colonisation-ou-les-annees-du-terrorisme_6171263_3212.htm.
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