La nouvelle politique d’Itamar Ben-Gvir consistant à distribuer des armes aux juifs israéliens encouragera davantage les milices à menacer la vie des Palestiniens.
Ben-Gvir en train de dégainer une arme face à des Palestiniens dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est occupée, le 13 octobre 2022 (Twitte
sraël a récemment introduit ce qu’il croit être une arme meurtrière pour imposer son hégémonie sur la patrie du peuple palestinien : la légalisation de la possession d’armes à feu pour sa population juive.
Il s’avère que ceux qui se présentent en masse pour déposer des demandes de possession d’armes à feu sont des partisans du parti d’extrême droite Otzma Yehudit (Force juive), qui s’organise depuis plus d’un an en tant que milices opérant dans le Naqab (Néguev) et le long de la côte.
Leur slogan – également adopté par les colons juifs et leurs gangs terroristes tels que les « jeunes des collines » – est de « rétablir l’ordre ». Il ressort clairement des documents publics que la majorité des demandeurs de permis de détention d’armessont ces mêmes colons.
Depuis qu’Itamar Ben-Gvir a pris le contrôle du ministère de la Sécurité nationale – avec le soutien du Premier ministre Benyamin Netanyahou – et à la suite des deux incidents survenus à Jérusalem le 27 janvier, c’est comme si le mélange explosif de violence d’État et de violence de rue s’était imbriqué en un seul système.
La violence des gangs armés a toujours été appréciée par l’État israélien, chaque ministre violant de manière flagrante les droits des Palestiniens
Cependant, ce projet de loi n’a pas été initié par Ben-Gvir, mais a été vivement promu par l’ancien ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan. Les discussions à ce sujet ont pris de l’ampleur à la suite du « soulèvement de la dignité » (« karamah ») en mai 2021, certains politiciens faisant pression pour en faire une question de politique d’État.
En effet, la violence des gangs armés a toujours été appréciée par l’État israélien, chaque ministre violant de manière flagrante les droits des Palestiniens dans le cadre de son ministère respectif.
Ce climat permet aux gangs armés d’enfreindre ouvertement les droits des Palestiniens, créant tout un système d’auteurs non tenus de rendre des comptes, et présentant leur terrorisme comme des émeutes entre deux parties égales en statut et en responsabilité.
Cette violence des gangs change également les règles : désormais, les victimes de ce racisme incontrôlable ne sauront pas qui les attaque, ni quel parti, tandis que la police et le Shin Bet ne feront que tenir les victimes pour responsables, les soumettant à des procès et des condamnations injustes.
Guérilla
La guérilla – guerre non conventionnelle menée contre une armée permanente conventionnelle dans des circonstances avantageuses pour les guérilleros – a toujours fait partie de l’histoire sioniste en Palestine.
C’est le même type de guerre à long terme, de petite échelle mais continue, menée par des mouvements révolutionnaires contre des régimes oppressifs avec des armées qui les dépassent plusieurs fois en nombre. Ils ont adopté des stratégies pour drainer le système oppressif dans le but de le renverser.
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Après la défaite des armées arabes en 1967, le Mouvement de libération nationale palestinien dans les années 1970 était considéré comme faisant partie de la résistance de guérilla révolutionnaire qui a mis la question palestinienne au premier plan, consacrant le droit du peuple au retour, ainsi que sa libération et son autodétermination.
Les institutions israéliennes de sécurité et de recherche ont dépensé énormément de ressources pour comprendre le mouvement et son impact.
Les colons sionistes en Palestine, passés et présents, ont utilisé la guérilla à leurs propres fins coloniales. Afin de contrôler et d’occuper la terre et d’en expulser la population autochtone, ils infiltrent les communautés palestiniennes en se faisant passer pour des « moustaarabine », des Arabes vivant à leurs côtés.
Ils définissent leur tactique comme servant un mouvement de libération contre les « envahisseurs » palestiniens et qualifient la guérilla et la légitime défense palestiniennes de « terrorisme ».
Crimes historiques
En 1948, des gangs juifs tels que la Haganah ont assumé le rôle d’une armée d’État, mais ont occupé des villes et déplacé leur population, ce que n’aurait pas pu faire une armée régulière.
Le rôle de ces gangs était de commettre des cambriolages et des pillages, et de s’emparer d’un grand nombre de maisons, de magasins, d’équipements publics, de mosquées, d’églises et de tous leurs biens.
L’objectif de cette stratégie était double : enrichir financièrement la communauté juive, y compris les soldats, et empêcher le retour des Palestiniens expulsés dans leurs foyers et leurs villes. En cas de retour, ils auraient retrouvé leurs maisons saccagées et occupées par des pillards, voire complètement détruites.
Des membres de la Haganah fouillent deux Palestiniens à la porte de Tel Aviv, le 20 janvier 1948 (AFP)
Ces gangs n’étaient soumis à aucune responsabilité légale et leurs activités criminelles étaient en fait approuvées par l’État nouvellement créé. Ils lançaient aussi des attaques armées contre les Palestiniens, telles que le largage de barils explosifs sur les marchés des villes côtières, les soumettant au déplacement, à l’expulsion et au nettoyage ethnique.
Ce modèle de violence a été adopté à plusieurs reprises dans les universités israéliennes, qui ont été témoins d’attaques sanglantes contre des étudiants arabes dans les années 1970 et 1980, alors que les forces de police et le Shin Bet fusionnaient pleinement.
Lorsque les étudiants arabes se sont organisés, la police et les forces de sécurité lourdement armées ont pris d’assaut leurs universités avec des gangs terroristes à leurs côtés. Alors que la droite fasciste attaquait les étudiants arabes avec des chaînes de fer et des couteaux, la police restait là, spectatrice.
La police, les gangs de droite, le Shin Bet et les gardiens des universités se sont regroupés en une seule unité lors d’affrontements avec des étudiants. Ces groupes sont entrés sur les campus et comme ils ne faisaient pas partie des étudiants, ils n’ont pas été soumis à des tribunaux disciplinaires et personne ne les a interrogés.
Armement des milices
Ce schéma s’est également vu lors du soulèvement de la dignité, lors duquel la police et des bandes armées ont fait équipe pour réprimer les manifestations palestiniennes. Les gangs se sont comportés comme l’arme extrajudiciaire de la police, perpétrant des attaques de quartier, des violations de domicile et des agressions physiques contre des résidents sans défense.
Plus de 3 000 Arabes palestiniens qui défendaient leurs quartiers ont été arrêtés, plusieurs centaines ont été inculpés et condamnés à de lourdes peines, tandis que l’État israélien fermait les yeux sur ces gangs terroristes.
La récente décision de Ben-Gvir de distribuer des armes sous licence israélienne menace les Palestiniens et révèle le mépris du gouvernement pour leur vie
Au lendemain du soulèvement de la dignité, le projet visant à établir des milices terroristes semi-officielles et permanentes a été introduit par le parti Otzma Yehudit, à partir du Naqab et de Beersheba jusqu’aux villes côtières.
Les dirigeants du parti fasciste se sont organisés aux côtés des municipalités et de la police sous prétexte de rétablir « l’ordre public » mais, en réalité, ont mené une guerre judiciaire contre les citoyens palestiniens d’Israël.
Afin d’empêcher que le soulèvement ne se répète, le gouvernement israélien s’est attelé à des préparatifs pour établir une « Garde nationale » composée de milliers de volontaires, formés dans les unités de combat de l’armée d’occupation. Son objectif est de soutenir les efforts de la police dans le ciblage et la répression des citoyens palestiniens d’Israël tout en protégeant les forces judaïsantes dans le Naqab.
La récente décision de Ben-Gvir – soutenue par Netanyahou – de distribuer des armes sous licence israélienne parmi la population juive est dangereuse pour les Palestiniens. Elle menace leur existence et expose le mépris du gouvernement pour leur vie et leurs droits.
Des Palestiniens inspectent une voiture en feu à côté de leur maison après qu’elle a été incendiée par des colons juifs, dans le village de Jalud, près de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 30 janvier 2023 (Reuters)
Cela crée un climat propice aux crimes racistes et au nettoyage ethnique, et il est peu probable que le cours des choses s’inverse avec un quelconque futur changement au sein de la coalition au pouvoir.
Cette nouvelle politique de distribution d’armes aux juifs israéliens encouragera davantage les milices armées à menacer la vie des Palestiniens et à violer leur sécurité et leurs droits, tout en échappant à la justice.
En fin de compte, le gouvernement israélien dirigé par Netanyahou et sa coalition d’extrême droite portera la responsabilité d’avoir soumis les Palestiniens au terrorisme de cette guérilla parrainée par l’État.
- Ameer Makhoul est un activiste palestinien de premier plan et journaliste au sein de la communauté des Palestiniens de 1948 (citoyens d’Israël). Il a dirigé Ittijah, une ONG palestinienne en Israël. Il a été emprisonné par Israël pendant dix ans.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Ameer Makhoul is a leading Palestinian activist and writer in the 48 Palestinians community. He is the former director of Ittijah, a Palestinian NGO in Israel. He was detained by Israel for ten years.
Au moins un Palestinien a été tué et une centaine d’autres blessés lorsque des colons ont attaqué et incendié des maisons de la ville de Houwara alors que leurs habitants étaient encore à l’intérieur.
Une photo partagée sur Twitter de la ville de Houwara, dans le nord de la Cisjordanie, lors d’une attaque organisée par des colons après le meurtre de deux Israéliens quelques heures plus tôt (Twitter)
Des colons israéliens ont incendié de grandes parties de la ville de Houwara, dans le nord de la Cisjordanie occupée, dimanche soir, après qu’un Palestinien a tué deux Israéliens quelques heures plus tôt.
Au moins un Palestinien, identifié comme Sameh Hamdullah Mahmoud Aktech, a été tué lors de l’attaque, selon le ministère palestinien de la Santé. Il a reçu plusieurs balles dans l’abdomen.
Des maisons, magasins, voitures et terres agricoles ont été incendiés dans celle ville située juste à la sortie de Naplouse. Ses habitants accusent les forces d’occupation israéliennes d’avoir accordé aux colons un libre accès à la ville.
Selon Ghassan Daghlas, un militant palestinien qui surveille l’expansion des colonies israéliennes dans le nord de la Cisjordanie, à 21 h 15 (heure locale), plus de 30 maisons et 15 voitures avaient été détruites, en plus d’un magasin incendié.
« Ce que font les colons ce soir, ce sont des crimes de guerre similaires aux événements de la Nakba et aux attaques des gangs sionistes », témoigne Daghlas à Middle East Eye, en référence à la « catastrophe » de 1948 qui a conduit à la création de l’État d’Israël.
Neuf familles palestiniennes ont dû être secourues de leurs maisons en flammes, selon la chaîne israélienne Channel 12 news.
« Nos vies sont en danger »
Un habitant de Houwara, Ziyad Dmaidi, raconte à MEE qu’il a juste eu le temps de mettre sa famille en sécurité avant que sa maison ne soit incendiée.
Dmaidi rentrait du travail lorsqu’il a vu un groupe de colons se diriger vers chez lui, dit-il, décrivant le sentiment de panique qui l’a assailli alors qu’il se précipitait à l’intérieur pour porter secours à ses proches.
En quelques minutes, « des dizaines de colons » ont commencé à briser les fenêtres, pénétrant par effraction dans la maison. La famille s’est échappée juste au moment où des pneus en caoutchouc enflammés étaient jetés à l’intérieur. Son domicile a été entièrement détruit.
« Pas un seul moment n’ai-je pensé à la maison ou à toutes nos affaires, je ne pensais qu’à mes enfants et comment les sauver de ce cauchemar », déclare-t-il.
« Mes enfants se sont mis à pleurer et j’ai essayé de les calmer, mais les bruits des attaques étaient plus forts que tout : jurons en hébreu, bris de vitres, incendie de véhicules, de maisons et de magasins... C’était terrible »
- Fida Hamad, habitante de Houwara
« Nous sommes sortis de la maison et nous nous sommes mis en sécurité avec l’aide des ambulanciers qui ont également été attaqués alors qu’ils tentaient de nous évacuer. Nos vies sont en danger et tout ça pendant que les soldats israéliens restent là à attendre pour protéger uniquement les colons. »
Fida Hamad, une autre habitante de Houwara, indique à MEE que cette attaque est la plus importante qu’elle ait jamais connue et que des maisons ont été incendiées alors que leurs occupants étaient toujours à l’intérieur.
« Nous étions à la maison quand soudain, nous avons entendu des explosions et des cris de panique. Nous avons appris que les colons attaquaient la ville », témoigne-t-elle.
« Mes enfants se sont mis à pleurer et j’ai essayé de les calmer, mais les bruits des attaques étaient plus forts que tout : jurons en hébreu, bris de vitres, incendie de véhicules, de maisons et de magasins... C’était terrible. »
Le Croissant-Rouge palestinien a confirmé qu’au moins 100 personnes avaient été blessées lors de l’attaque. Un Palestinien a été grièvement blessé à la tête après avoir été touché par des pierres, selon Haaretz.
Dans un communiqué, le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a accusé le gouvernement israélien de l’entière responsabilité de l’attaque à Houwara et exhorté la communauté internationale à assurer la protection de la population civile.
La membre palestinienne de la Knesset israélienne Aida Touma-Suleiman a également condamné les attaques, tweetant : « Les colons commettent un crime horrible ce soir à Huwara – incendier des maisons alors que les familles sont à l’intérieur et faire des ravages. »
« Ils agissent dans l’esprit du gouvernement fasciste », a déclaré Touma-Suleiman. « J’ai parlé à plusieurs ambassadeurs et je leur ai demandé d’intervenir ».
Au moins un camion de pompiers palestinien qui tentait de répondre aux incendies a été attaqué, ses vitres brisées. Plusieurs ambulances ont aussi été endommagées selon des informations relayées sur Twitter.
Les colons « cherchent à se venger »
Plus tôt dimanche, Hillel et Yagel Yaniv, deux frères de Har Bracha, une colonie illégale de Cisjordanie occupée, ont été tués par balle dans leur voiture alors qu’ils traversaient Houwara.
L’agresseur a percuté leur véhicule, avant de tirer sur les deux hommes et de s’enfuir. L’armée israélienne a déclaré être à la recherche de l’auteur.
Cette attaque faisait suite à un raid de l’armée israélienne mercredi à Naplouse, qui a coûté la vie à onze Palestiniens et blessé une centaine d’autres – l’incursion la plus meurtrière en Cisjordanie depuis la fin de la seconde Intifada en 2005.
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Après la mort des deux Israéliens dimanche, des colons ont lancé des appels pour organiser une marche vers Houwara sur les réseaux sociaux afin de « chercher à se venger ».
La Cisjordanie occupée abrite environ 2,9 millions de Palestiniens ainsi que quelque 475 000 colons juifs qui vivent dans des colonies approuvées par l’État israélien bien que considérées comme illégales au regard du droit international.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a publié une déclaration conjointe après le meurtre des deux Israéliens dimanche, pour annoncer que la Knesset avait adopté une loi approuvant la peine de mort pour les Palestiniens reconnus coupables d’infractions terroristes contre des Israéliens.
« En ce jour difficile où deux citoyens israéliens ont été assassinés dans une attaque terroriste palestinienne, il n’y a rien de plus symbolique que d’adopter une loi sur la peine de mort pour les terroristes », indique le communiqué.
Pendant ce temps, les dirigeants israéliens et palestiniens ont entamé des pourparlers en Jordanie pour tenter de garantir le calme en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Depuis le début de l’année, au moins 62 Palestiniens ont été tués par des Israéliens, soit plus d’un mort par jour.
La violence a connu une forte augmentation en 2022, année durant laquelle au moins 167 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, le bilan le plus élevé dans ces territoires en une seule année depuis la deuxième Intifada.
Traduit de l’anglais (original).
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Les dirigeants israéliens devraient tirer les leçons de la victoire du peuple algérien contre l’oppression coloniale.
De jeunes Algériens défilent devant les facultés d’Alger, brandissant des drapeaux algériens, le 2 juillet 1962, au lendemain du référendum d’autodétermination sur l’indépendance de leur pays (AFP/photo d’archives)
Il y a peu, l’Algérie a célébré ses 60 ans d’indépendance après plus d’un siècle de colonialisme français. La guerre génocidaire française contre le peuple algérien a fait selon des estimations algériennes plus de 1,5 million de morts et de blessés.
Les Français ont dépeint leur conquête de l’Algérie comme un retour de l’Empire romain et la reconquête des territoires romains. En 1962, l’Algérie comptait plus d’un million de colons français – un neuvième de la population algérienne.
Des cinq colonies européennes établies dans des pays arabes, seules l’Algérie et la Palestine sont encore colonisées au début des années 1960
En privé, Charles de Gaulle s’inquiétait, en cas de non-indépendance de l’Algérie, que la France soit incapable d’« absorber 10 millions de musulmans qui deviendraient bientôt 20 millions, puis 40 millions ». Il craignait que la France cesse d’être ce qu’elle est – « un peuple européen de race blanche, de culture gréco-latine et de religion chrétienne » – et que les églises soient remplacées par des mosquées.
Déjà, il mettait en garde un député gaulliste : « Vous vous voyez marier vos filles à des Arabes ? »
L’indépendance aurait amené l’égalité entre les colons et les Algériens indigènes, mais les colons ne voulaient pas de ça. Horrifiés par la perspective de l’égalité et la perte des privilèges raciaux et coloniaux, ils ont opté pour un retour en France, où leur privilège blanc serait préservé.
Des cinq colonies européennes établies dans des pays arabes depuis le XIXe siècle (Tunisie, Libye, Maroc, Algérie et Palestine), seules l’Algérie et la Palestine sont encore colonisée au début des années 1960.
Une colonie à terre
Lorsque l’Algérie a été libérée en 1962, l’opinion publique arabe jubilait : une colonie européenne était à terre, plus qu’une ! La colonie italienne de Libye avait été la première à tomber lors de la Seconde Guerre mondiale.
En 1911, les Italiens ont envahi les territoires ottomans de « Tarablus al-Gharb » (traduit par les Italiens « Tripolitaine »), Barqa (rebaptisée « Cyrénaïque ») et Fezzan ; et ils se sont mis à appeler ce territoire, à la suite du géographe Federico Minutilli, par son ancien nom gréco-romain : « Libia ». L’Italie a immédiatement annexé la Libye et s’est lancée dans une colonisation de peuplement.
Comme les Français, les Italiens présentaient leur colonisation comme un « retour » aux anciens territoires de l’Empire romain. La Libye était désignée comme la « quatrième côte » de l’Italie. La colonisation s’est accélérée sous le régime fasciste et, en 1940, on dénombrait plus de 110 000 colons, soit 12 % de la population.
Quand les alliés ont vaincu les Italiens, ceux-ci avaient déjà provoqué la destruction à grande échelle de villes et villages, sans mentionner les famines et les maladies, qui, couplées aux meurtres de masse des résistants libyens, ont éliminé près des deux tiers de la population libyenne.
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À la fin de la guerre, il restait environ 50 000 colons italiens. La Libye a obtenu officiellement son indépendance en 1951. Le nouveau statut juridique des colons exigeait qu’ils choisissent la nationalité italienne ou libyenne avant 1960. Rejetant totalement l’égalité et la perte de privilèges raciaux et coloniaux, la majorité d’entre eux sont partis. En 1970, ceux qui étaient restés avaient été rapatriés en Italie.
En ce qui concerne la Tunisie, elle a obtenu son indépendance en 1956, cinq ans après la Libye, à la suite d’une combinaison de guérilla anticoloniale et de négociations. La Tunisie était occupée par la France depuis 1881 et des dizaines de milliers de colons s’étaient installés dans le pays.
En 1956, on comptait 180 450 colons français et 66 909 colons italiens. Au moins la moitié des colons étaient alors nés en Tunisie. Mais en 1957, la moitié des colons français avait quitté le pays. Refusant une fois de plus d’accepter l’égalité avec la population native, les colons avaient commencé à partir rapidement. En 1970, ils n’étaient pas plus de 18 000 colons français et 7 000 colons italiens, dont la plupart allait partir dans les années suivantes.
Le Maroc, que la France a envahi et occupé en 1907, a obtenu son indépendance en mars 1956, même mois que la Tunisie, après une longue lutte anticoloniale.
En 1952, le Maroc recensait 539 000 Européens. Les colons ont commencé à perdre leurs privilèges dans la décennie qui a suivi. Rejetant toute égalité, la plupart sont rentrés en France, où leurs privilèges raciaux étaient préservés.
Une alliance étroite
Étant donné qu’elles étaient les deux dernières puissances coloniales européennes dans le monde arabe, la France et Israël ont noué une alliance étroite pour coordonner la préservation de leurs colonies.
Comme la France et l’Italie, les sionistes juifs européens prétendaient être les descendants des anciens hébreux de Palestine et ne faire que « retourner » sur leurs terres ancestrales. Israël, qui a établi une majorité juive en chassant la majorité du peuple palestinien en 1948, a voté contre la résolution 1952 de l’ONU reconnaissant les autodéterminations tunisienne et marocaine.
L’alliance militaire de la France avec Israël et son hostilité envers le président égyptien Gamal Abdel Nasser s’est renforcée, en particulier quand le dirigeant égyptien est devenu synonyme de force derrière le Front national de libération (FNL) algérien.
Le président égyptien Gamal Abdel Nasser, en visite en Algérie le 3 mai 1963, et le président algérien Ahmed Ben Bella saluent la foule depuis le pont du yacht du raïs (AFP)
Cela se combinait à l’antisoviétisme des socialistes au pouvoir en France, Nasser s’étant rapproché de l’URSS en 1955 après avoir été snobé par l’administration Eisenhower, qui conditionnait leurs bonnes relations à la normalisation des relations entre l’Égypte et Israël.
Le nationalisme panarabe socialiste était fustigé par les Français comme réactionnaire et cherchant à rétablir les gloires « islamiques ». À l’inverse, le panjudaïsme du sionisme européen, qui cherchait à recréer les gloires « judaïques » des Hébreux palestiniens, dont on a fait les ancêtres des convertis européens au judaïsme, était dépeint comme progressif et socialiste.
Par exemple, l’institution coloniale ashkénaze juive du kibboutz n’était pas vue comme un exemple de socialisme de la race des maîtres mais comme une alternative progressiste au stalinisme. À cette époque, la France fournissait à Israël des avions de combat modernes Mystère IV, utilisés contre l’Égypte en 1956.
L’alliance entre la France et Israël
Malgré les négociations secrètes entre les Français et les dirigeants du Front de libération nationale (FLN) basés au Caire, l’armée française a mené, le 22 octobre 1956, le deuxième acte de piraterie aérienne de l’histoire.
Les Français ont intercepté au-dessus de l’Algérie un appareil transportant les dirigeants politiques du FLN qui ralliaient le Maroc à Tunis, parmi lesquels Ben Balla, pour l’une de ces réunions secrètes. Les cinq dirigeants capturés du FLN n’ont pas été relâchés avant 1962.
Les généraux français expliquaient que leur alliance avec Israël faisait partie du combat contre les Algériens, et contre Nasser
Et les Français ont adopté la tactique de détournement d’avion de leurs alliés, car le premier acte de piratage aérien a été la capture par Israël d’un avion civil de Syrian Airways en décembre 1954. Les pirates israéliens ont forcé l’avion à atterrir à l’aéroport de Lydda et ont retenu ses passagers en otage, exigeant la libération de cinq prisonniers de guerre israéliens en Syrie, une pratique dans laquelle les Israéliens ont continué à exceller pendant les décennies suivantes.
Dans ce contexte, la France a lancé son invasion de l’Égypte avec les Britanniques et les Israéliens en 1956, aventure qui s’est achevée sur leur défaite et n’a fait qu’accroître la popularité de Nasser.
Frantz Fanon, qui avait rejoint le FLN, expliquait les motivations de la France : « L’expédition de Suez visait à frapper la tête de la révolution algérienne. L’Égypte, accusée de diriger la lutte du peuple algérien, a été bombardée de manière criminelle. »
L’alliance précoce de la France avec Israël s’est renforcée en 1952 lorsque son ambassade a ouvert à Tel Aviv. Que les deux pays demeurent les seules colonies européennes en territoire arabe était capital dans leurs calculs.
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Les généraux français expliquaient que leur alliance avec Israël faisait partie du combat contre les Algériens, et contre Nasser. Une grande partie des renseignements reçus par Paris sur les expéditions d’armes égyptiennes au FLN venait d’Israël, ce qui a permis à la France en octobre 1956 d’arraisonner l’Athos, navire battant pavillon soudanais qui transportait des armes pour le FLN, dans les eaux internationales au large du Maroc. L’alliance était telle qu’Israël a même participé à des manœuvres militaires conjointes avec la France sur le territoire algérien.
Après son séjour de treize mois en tant que gouverneur général de la France en Algérie, Jacques Soustelle a participé à la création et la direction du lobby pro-Israël Alliance France-Israël en 1956. Cela faisait suite à l’invasion tripartite de l’Égypte.
Pendant ce temps, le grand rabbin de France a fait pression sur le New York Times pour le compte des Français contre l’indépendance algérienne et a obtenu la « promesse d’un rédacteur du New York Times de continuer à soutenir fidèlement la ligne française lors des débats à l’ONU ».
En 1958, Soustelle a enjoint non seulement Israël mais les communautés juives du monde à soutenir l’apartheid colonial français en Algérie : « Nous croyons que, étant donné l’influence que non seulement Israël mais, par-dessus tout, les communautés juives à travers le monde exercent sur l’opinion internationale, les fruits de cette alliance nous seront bénéfiques. » Soustelle a rejoint l’organisation coloniale terroriste Organisation Armée Secrète (OAS) en 1960 pour combattre l’indépendance algérienne.
Adoption des tactiques israéliennes
Cette alliance n’a pas seulement fourni des armes et une formation aux militaires israéliens, elle a permis aux Français eux-mêmes d’apprendre les techniques israéliennes, notamment celle du « bombardement de convoi » ensuite utilisée par la France en Algérie.
Les officiers français ont été envoyés en Israël pour apprendre les techniques de guerre psychologique. Le général Maurice Challe, commandant en chef des forces armées françaises en Algérie (1958-1960), insistait sur le fait que les Israéliens étaient de « véritables artistes » dans la gestion des Palestiniens.
Challe espérait faire du kibboutz raciste le modèle de son programme de pacification en Algérie, mais l’indépendance a empêché son projet de se concrétiser. Des missions d’études israéliennes se sont rendues en Algérie pour apprendre comment les Français utilisaient les hélicoptères pour combattre la guérilla algérienne.
Challe, comme d’autres généraux amis d’Israël, a participé à la tentative ratée de coup d’État des colons en avril 1961 contre le gouvernement français et a été poursuivi par un tribunal militaire. Le témoignage d’au moins un participant au coup d’État manqué précise que ses responsables s’attendaient à un soutien du « Portugal, de l’Afrique du Sud, de [certains pays de] l’Amérique du Sud, et peut-être d’Israël ».
Des milliers d’Algériens armés de bâtons descendent sur les quartiers européens d’Alger, le 11 décembre 1960 (AFP)
L’OAS a renoncé à son antisémitisme traditionnel pour établir un front populaire antimusulman. Les membres de l’OAS faisaient valoir qu’accorder l’indépendance à l’Algérie s’inscrivait dans une conspiration internationale visant à « étrangler l’État d’Israël » et respirait l’antisémitisme. N’étant pas en reste, le Premier ministre d’Israël David Ben Gourion avait conseillé aux Français en 1958 de ne pas faire confiance aux Algériens arabes, « qu’importe leur degré d’assimilation ».
Des Algériens juifs opposés à Israël ont contribué financièrement à la libération de leur pays et ont rejoint ses rangs
Mécontent de son isolation en tant que dernière colonie européenne dans le monde arabe, Israël a fourni un soutien logistique aux colons français, notamment un appui à Soustelle, qui avait le soutien de Ben Gourion et a été financé par de riches Américains de confession juive, de droite et pro-israéliens qui s’opposaient à de Gaulle et à l’indépendance algérienne.
Des Algériens juifs opposés à Israël ont contribué financièrement à la libération de leur pays et ont rejoint ses rangs, notamment des médecins et des avocats.
En 1956, les Algériens juifs contre la colonisation ont salué les déclarations officielles du FLN à l’attention des dirigeants de la communauté juive proclamant leur appartenance à la nation algérienne. Des petits groupes d’Algériens juifs ont affirmé en réponse qu’ils ne faisaient qu’un avec leurs compatriotes musulmans et qu’ils soutenaient de tout leur cœur la libération.
D’autres groupes ont néanmoins formé des commandos juifs algériens et se sont organisés à Oran contre les musulmans algériens. Ils souhaitaient la partition de la colonie en fonction des « races ».
Des supporters algériens brandissent le drapeau palestinien comportant le message « le trophée est un cadeau du peuple algérien pour notre famille en Palestine » lors de la finale de la Coupe arabe de la FIFA, le 18 décembre 2021 (AFP)
Ils se seraient inspirés dans leur quête de la politique du gouvernement israélien. Israël a réquisitionné au moins un juif algérien, qui avait rejoint l’OAS, dans son réseau d’espions. Il s’agissait de l’un des dirigeants de l’OAS, Jean Ghenassia, qui avait des contacts avec des agents israéliens, ce qui lui a valu d’être ensuite poursuivi par les Français.
Encerclement de l’Algérie
Après l’indépendance, l’Algérie est devenue le plus grand partisan de la résistance mondiale au colonialisme, en Palestine et à travers l’Afrique : en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud, en Namibie et en Rhodésie (aujourd’hui Zambie et Zimbabwe).
Entre l’Algérie et la Palestine, il y a bien plus que de la politique
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Bien que mal avisée, la réunion organisée par les dirigeants algériens lors des célébrations du 60e anniversaire de l’indépendance du pays en juillet entre le dirigeant du Hamas Ismaël Haniyeh et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, qui collabore avec Israël, était motivée par le soutien continu de l’Algérie à la lutte palestinienne.
Ces dernières années, la normalisation des relations d’Israël avec le Maroc et le Soudan ainsi que son travail en coulisses pour normaliser ses relations avec la Tunisie et certains dirigeants libyens font partie de sa stratégie pour encercler l’Algérie, qui refuse catégoriquement d’abandonner la lutte palestinienne et de normaliser ses relations avec Israël.
La terreur ressentie par les Israéliens après la victoire du peuple algérien était telle que le plus important général d’Israël, Ariel Sharon, conservait un exemplaire du récit classique de la lutte algérienne écrit par Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie, sur sa table de chevet.
Peut-être que d’autres dirigeants israéliens devraient tirer les leçons de la libération algérienne.
- Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’Université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Parmi ses ouvrages figurent Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan ; Desiring Arabs ; et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a publié Islam in Liberalism. Son travail a été traduit dans une douzaine de langues.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Joseph Massad is professor of modern Arab politics and intellectual history at Columbia University, New York. He is the author of many books and academic and journalistic articles. His books include Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan; Desiring Arabs; The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians, and most recently Islam in Liberalism. His books and articles have been translated into a dozen languages.
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Joseph Massad
Mercredi 17 août 2022 - 11:29 | Last update:5 months 3 weeks ago
Je ne vous demande pas d’être propalestiniens mais au moins d’être objectifs et de cesser de cautionner les crimes de l’occupation israélienne
Un Palestinien pleure la mort de l’une des neuf victimes tuées lors d’un raid israélien sur le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie le 26 janvier 2023 (AFP/Jaafar Ashtiyeh)
Je vous adresse cette lettre en tant que professeur de français à l’université de Gaza, moi qui enseigne à mes étudiants les principes de la démocratie et de la liberté d’expression, moi le simple citoyen palestinien qui vis le blocus, la souffrance et l’horreur dans cette prison à ciel ouvert qu’est Gaza.
J’ai suivi votre couverture et votre analyse des derniers événements tragiques dans les territoires palestiniens et, comme d’habitude, vous avez recouru avec insistance à des termes qui montrent votre partialité : attaque palestinienne terroriste dans une synagogue à Jérusalem, escalade des violences dans la région, violence sans précédent, missiles palestiniens, réponse de l’armée israélienne, partie annexée de Jérusalem, représailles, etc., autant d’expressions qui montrent que vous êtes globalement alignés sur le récit israélien.
Sans prononcer un seul mot sur le massacre israélien à Jénine la veille qui a fait neuf morts palestiniens dont deux enfants et une femme âgée ainsi que des dizaines de blessés, sans oublier la destruction de cinq maisons et un club social et sportif dans cette ville de Cisjordanie occupée souvent attaquée par les soldats israéliens, ni sur les quinze raids israéliens sur la bande de Gaza le même jour avec des bombardements intensifs qui ont horrifié la population civile vers 3 heures du matin, ni des mesures atroces de l’occupation israélienne contre les civils palestiniens au quotidien.
Une réalité que personne ne pourra cacher
De plus, pendant ces événements, vous n’avez pas donné l’occasion aux Palestiniens ou aux sympathisants français de la cause palestinienne de s’exprimer sur cette situation, au contraire, vous avez donné la parole aux proches de la partie israélienne, et parfois au porte-parole officiel de l’armée israélienne ou du gouvernement israélien.
Vous avez oublié que l’attentat s’est déroulé dans une colonie israélienne illégale au regard du droit international.
En vous enfermant dans cette politique de soutien inconditionnel à une occupation illégale, vous participez au maintien d’une situation aussi injuste qu’explosive
Permettez-moi de vous dire qu’en vous enfermant dans cette politique de soutien inconditionnel à une occupation illégale, vous participez au maintien d’une situation aussi injuste qu’explosive. Car, vous le savez, le nouveau gouvernement israélien d’extrême droite a un projet : annexer les terres de Cisjordanie qu’il n’a pas encore colonisées, chasser un maximum de Palestiniens, y compris en les tuant.
Dans les territoires palestiniens occupés, il y a une réalité que personne ne pourra cacher, il y a une occupation qui opprime et assassine les civils palestiniens, il y a des colonies illégales installées dans des territoires reconnus occupés par les Nations unies, il y a la démolition des maisons palestiniennes à Jérusalem et en Cisjordanie occupées, des colons israéliens qui détruisent des tentes de bédouins dans la vallée du Jourdain, des soldats israéliens qui détruisent des villages construits avec l’argent de la France et de l’Europe, des incursions militaires dans des villes palestiniennes autonomes, des colons qui déracinent des oliviers appartenant aux Palestiniens.
Il y a des exactions de l’armée d’occupation et des colons israéliens tous les jours dans tous les territoires palestiniens sans aucune réaction de vos antennes.
Depuis le début de cette année, 35 Palestiniens ont été assassinés en Cisjordanie occupée par des colons et soldats israéliens. Et en 2022, ce sont au moins 220 Palestiniens qui ont été assassinés par des soldats ou civils israéliens.
Arrestations arbitraires de jeunes et d’enfants, barrages et check-points qui rendent la vie de tout un peuple très compliquée.
Un harcèlement systématique.
Les provocations incessantes sur l’esplanade de la mosquée al-Aqsa par des ministres israéliens et des colons avec la protection de l’armée israélienne, sans réactions de votre part.
Une couverture médiatique biaisée
En tant que professeur de français à l’université de Gaza, comment puis-je justifier cela devant mes étudiants qui me disent toujours que les médias français ont pris le parti des Israéliens ?
Vous négligez l’existence d’un large mouvement de solidarité avec le peuple palestinien et sa juste cause en France, notamment le peuple français et ses diverses associations.
Israël-Palestine : glossaire des termes problématiques utilisés par les médias
Vous n’utilisez jamais le mot « apartheid » ; or des organisations internationales comme Amnesty International ont qualifié le gouvernement israélien de régime d’apartheid et les crimes commis par l’occupation de crimes de guerre.
Les prisonniers palestiniens, vous n’en parlez jamais, ce sont 5 000 prisonniers politiques toujours détenus dans les geôles israéliennes dans des conditions très difficiles, parmi eux des personnes âgées et malades qui sont derrière les barreaux depuis plus de 30 ans, parmi eux des enfants et des femmes.
Même l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, qui a passé des années en détention administrative illégale dans différentes prisons israéliennes, et qui a été expulsé fin 2022 de sa ville natale de Jérusalem vers la France, vous n’osez pas l’inviter pour parler de sa souffrance et de celle de ces prisonniers.
Le blocus de Gaza dure depuis plus de seize ans, mais vous parlez de la bande de Gaza uniquement quand il y a des roquettes lancées par la résistance.
Tout cela, vous ne pouvez pas l’ignorer.
Le temps n’est-il pas venu d’évoquer la réalité telle qu’elle est ?
Il y a des exactions de l’armée d’occupation et des colons israéliens tous les jours dans tous les territoires palestiniens sans aucune réaction de vos antennes
Heureusement qu’il existe des médias alternatifs, les réseaux sociaux qui informent les citoyens sur la situation actuelle dans les territoires palestiniens occupés en toute objectivité.
Je ne vous demande pas d’être propalestiniens mais au moins d’être objectifs.
Nous sommes pour une paix juste et durable, une paix qui passera avant tout par l’application des décisions internationales et par la création d’un État palestinien libre et indépendant.
Je terminerai ma lettre par ces mots :
Tous les citoyens du monde, de toutes origines, attachés au respect des droits de l’homme, du droit international et de la justice dénoncent sans relâche l’occupation des territoires palestiniens qui perdure depuis des décennies et qui menace gravement la paix dans le monde.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Ziad Medoukh est un professeur de français, écrivain et poète palestinien d’expression française. Titulaire d’un doctorat en sciences du langage de l’Université de Paris VIII, il est responsable du département de français de l’Université al-Aqsa de Gaza et coordinateur du Centre de la paix de cette université. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant la Palestine, et la bande de Gaza en particulier, ainsi que la non-violence comme forme de résistance. Il a notamment publié en 2012 Gaza, Terre des oubliés, Terre des vivants, un recueil de poésies sur sa ville natale et son amour de la patrie. Ziad Medoukh a été fait chevalier de l’ordre des Palmes académiques de la République française en 2011. Il est le premier citoyen palestinien à obtenir cette distinction. En 2014, Ziad Medoukh a été nommé ambassadeur par le Cercle universel des ambassadeurs de la paix. Il a remporté le premier prix du concours Europoésie en 2014 et le prix de la poésie francophone pour ses œuvres poétiques en 2015.
Ziad Medoukh
Mardi 31 janvier 2023 - 10:03 | Last update:1 week 1 day ago
Que ressent un Sud-Africain, ancien militant contre l’apartheid quand il se rend en Israël et dans les territoires palestiniens occupés ? Classification de la population, liberté du choix de lieu de résidence et de mouvement, importance de la sécurité : se fondant sur les trois moteurs centraux de la séparation, Na’eem Jeenah considère que l’apartheid israélien est pire que celui de l’Afrique du Sud.
Le gouvernement israélien a jusqu’au 1ᵉʳ février pour présenter à la Cour suprême un plan visant à raser la zone, un projet resté en suspens depuis 2018 face à la pression de la communauté internationale, qui conteste de nouveau.
Vue aérienne du village de bédouins de Khan al-Ahmar, le 23 janvier. HAZEM BADER / AFP
Les 4 x 4 s’avancent prudemment sur le chemin de poussière. Pour rejoindre le hameau de Khan Al-Ahmar en voiture, il faut passer sous l’autoroute qui relie Jérusalem à la vallée du Jourdain, à l’est, coupant les collines désertiques de Judée, en Cisjordanie occupée. Aux yeux d’Israël, la quarantaine de baraques de tôle, bois et bâches en plastique sont illégales, car construites sans permis. Le gouvernement israélien a jusqu’à mercredi 1er février pour expliquer à la Cour suprême ce qu’il entend faire des 38 familles palestiniennes qui y vivent – quelque 200 personnes. En 2018, les juges avaient confirmé la destruction des « structures illégales à Khan Al-Ahmar ». Les Bédouins avaient présenté un plan alternatif pour rester ; ils ont été déboutés, mais, sous la pression de la communauté internationale, la décision est restée en suspens.
A la veille d’une nouvelle audience, les diplomates sont de retour. Lundi, une trentaine de représentants européens, dont la France, d’Australie, d’Amérique latine et d’Afrique du Sud ont visité le hameau, accueillis par la communauté et l’ONG israélienne anti-occupation B’Tselem. Les gamins palestiniens regardent sans étonnement le ballet des voitures, caméras et micros : ils ont l’habitude de ces visites officielles dictées par le calendrier judiciaire israélien.
Le chef de la mission de l’Union européenne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, Sven Kuhn von Burgsdorff (au centre) salue les membres du village bédouin de Khan Al-Ahmar (Cisjordanie), le 30 janvier 2023. AHMAD GHARABLI / AF
Le dirigeant de la communauté, Eid Abou Khamis, casquette sur la tête et fine moustache, prend la tête du cortège : d’abord un tour par l’école, financée par l’Union européenne, puis il fait asseoir les diplomates sur sa terrasse. « Ces constructions, ce bois, ces matériaux, tout ça a été financé par les Etats européens. Allez-vous protéger cela ? », demande-t-il.
En 2018, après l’arrêt de la Cour suprême, la pression internationale a permis de repousser la destruction. « C’était probablement l’effort international le plus réussi pour protéger les communautés palestiniennes », souligne le directeur exécutif de B’Tselem, Hagai El-Ad. Dans une résolution du 13 septembre 2018, le Parlement européen mettait en garde Israël : « La démolition de Khan Al-Ahmar et le transfert forcé de ses résidents constitueraient une grave violation de la loi humanitaire internationale. » Le gouvernement israélien a préféré éviter la confrontation.
Emplacement stratégique
Mais, depuis, les colons sont passés à l’attaque. L’ONG Regavim, cofondée par l’actuel ministre des finances, le suprémaciste Bezalel Smotrich, a sollicité la Cour suprême pour qu’elle fasse appliquer sa décision. Jusqu’à aujourd’hui, l’exécutif avait demandé des délais, prenant prétexte de l’instabilité politique et même de la guerre en Ukraine. Il semble peu probable que le nouveau gouvernement d’extrême droite, acquis à la cause de la colonisation, fasse de même.
Après l’évacuation par l’armée d’une colonie israélienne sauvage – construite illégalement même aux yeux d’Israël – le 20 janvier, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a de nouveau exigé la démolition de Khan Al-Ahmar. Dans la foulée, deux députés du Likoud, le parti du premier ministre Benyamin Nétanyahou, Yuli Edelstein et Danny Danon, se sont rendus sur place. « Plus d’excuses, a lancé M. Edelstein. Khan Al-Ahmar doit être évacuée maintenant, le plus tôt sera le mieux. »
Si le sort de ce hameau est si médiatisé, c’est qu’il occupe un emplacement stratégique. Pour les Israéliens, sa destruction va permettre d’étendre la colonisation dans cette zone, baptisée E1, isolant encore davantage Jérusalem-Est de la Cisjordanie. L’histoire de Khan Al-Ahmar est similaire à celle de dizaines de communautés bédouines menacées de transfert forcé par Israël en Cisjordanie occupée. Après la conquête du désert du Néguev lors de la création de l’Etat hébreu, les familles ont été expulsées de leurs terres dans les années 1950. A Khan Al-Ahmar, elles se sont établies sur des terres privées palestiniennes, après un accord avec les propriétaires, dans les années 1960, explique Eid Abou Khamis.
Les parcelles sont convoitées par les colons. D’où un harcèlement depuis des décennies, dit-il : entre 2010 et 2018, les Israéliens leur ont confisqué plus de 500 structures. Depuis la conquête de la Cisjordanie par l’Etat hébreu, en 1967, les Israéliens ont démoli plus de 50 000 habitations et structures palestiniennes, selon Amnesty International. Les autorités israéliennes veulent reloger les Bédouins sur un terrain près d’une décharge, en lisière de la ville d’Al-Azariya, plus à l’ouest. Les animaux ne pourraient pas y paître et le transfert casserait le mode de vie traditionnel, rétorquent les habitants.
Annexion de facto
Israël considère Khan Al-Ahmar comme illégale, car construite sans permis sur des terres en zone C, sous son contrôle total selon les accords d’Oslo. Or il est quasi impossible pour les Palestiniens d’y obtenir un permis. Le reste du monde lit la situation à travers le droit international et considère la Cisjordanie comme un territoire occupé : les colonies israéliennes y sont donc illégales et le transfert forcé de population, comme à Khan Al-Ahmar, interdit.
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Au bout d’une petite heure, les diplomates se dispersent. Certains s’aventurent en direction des chèvres pour prendre quelques photos. En face, sur la colline, la colonie de Kfar Adoumim surplombe la scène ; à droite, sur un talus, flotte un immense drapeau israélien. L’annexion de facto, que l’actuel gouvernement devrait encore accélérer, est en marche depuis longtemps. « En tant que diplomates, nous pouvons seulement gérer les questions qui sont sur la table », indique Don Sexton, le représentant irlandais.
Devant l’école, droit dans sa longue robe noire, Youssef Abou Dahuk observe le cortège qui se prépare à partir. « Bien sûr que je suis angoissé, je suis humain ! dit ce père de quatre enfants. Peu avant la visite, il y avait une voiture de police près de la colline. On sent que l’étau se resserre. » Plus loin, à l’abri des regards des diplomates, Hasna, 45 ans, se lève du matelas où elle était assise au soleil pour chasser les chèvres, et pointe le ciel venteux. « Nous n’avons qu’Allah. Les Israéliens vont venir et détruire. Que vont-ils leur faire, les diplomates, hein ? Rien ! C’est juste des séances photo, en vain. »
Par Clothilde Mraffko(Khan Al-Ahmar (Cisjordanie), envoyée spéciale)
Après le massacre de Palestiniens à Jénine par l’armée israélienne, Orient XXIa interviewé Mustafa Sheta, directeur du Freedom Theater de Jénine et Abdelarrahmane Younes, journaliste palestinien à Ramallah.
Mustafa Sheta, directeur du Freedom Theater de Jénine :
Ce sont de nouveaux groupes. Ils ne sont pas liés aux partis palestiniens, ce sont des groupes indépendants. Ils sont le produit de leur condition misérable, ils sont sans espoir. Ces gens ne croient plus dans les discours politiques ou aux promesses de dirigeants palestiniens. Nombreux parmi eux ont été arrêtés ces deux dernières années. Il y a eu beaucoup de blessés et d’assassinés, des jeunes ! Donc, la nouvelle génération qui a grandi en colère contre Israël et contre l’occupation essaie de s’en sortir en joignant de nouveaux groupes militaires. Ils sont prêts à se battre contre Israël et contre l’occupation.
Après la mort de dix Palestiniens dans le camp de réfugiés de Jénine (Cisjordanie), tués le 26 janvier 2023 par les troupes de Tel-Aviv au cours d’une incursion militaire, M. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a annoncé la suspension de la coopération entre ses services de sécurité et l’armée israélienne — une menace régulièrement brandie par le « raïs » de Ramallah pour tenter de peser sur la scène diplomatique.
Décriée par la quasi-totalité des Palestiniens, cette collaboration sécuritaire représente aux yeux d’Israël et des Occidentaux un gage de « stabilité » dans les territoires occupés, soumis à une répression sanglante depuis des mois. En 2014, Olivier Pironet s’était penché sur les rouages et le fonctionnement de cette coopération bilatérale issue des accords d’Oslo.
Une Autorité policière à défaut d’Etat
En bombardant Gaza durant cinquante jours, les Israéliens ont provoqué des dégâts sans équivalent depuis 1967, avec plus de deux mille morts, dont cinq cents enfants. Dans le même temps, en Cisjordanie, l’Autorité palestinienne maintient sa coopération sécuritaire avec l’armée d’occupation, malgré l’absence de progrès dans la construction d’un véritable Etat.
En arrivant à Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, une odeur âcre de pneus brûlés envahit les narines. Les volutes de fumée noire dégagées par le caoutchouc en flammes et les pierres jonchant le sol obligent le chauffeur du taxi collectif à ralentir. Plusieurs dizaines de Palestiniens, en majorité des chebab (« jeunes »), se sont rassemblés pour protester contre le meurtre, deux jours auparavant, d’Alaa Awad, un commerçant de 30 ans. Ce père de deux enfants a été abattu par des soldats israéliens alors qu’il passait à pied devant le poste militaire de Zaatara — un des fortins installés par Israël aux abords de Naplouse pour « protéger » les colonies juives qui entourent la ville (1) —, près duquel il devait aller récupérer une livraison de téléphones portables. « Ils disent qu’il leur a tiré dessus et qu’ils ont riposté, mais c’est faux. Ils racontent ce qui les arrange. C’est toujours comme ça », peste le chauffeur, approuvé par nos compagnons de route.
Stationnés à quelques centaines de mètres et à l’abri des jets de pierre dans leurs imposantes Jeep blindées, les soldats israéliens observent les manifestants d’un œil goguenard tout en restant sur leurs gardes. L’attroupement sera dispersé après plusieurs tirs de grenades lacrymogènes.
Constamment harcelés par l’armée et par les colons
Parmi les chebab descendus dans la rue pour exprimer leur colère, certains sont issus du camp de réfugiés de Balata. Nous y retrouvons M. Fayez Arafat, l’un de ses responsables. Ce cinquantenaire, père de neuf enfants, dirige le centre culturel Yafa, qui « fournit un soutien social, éducatif et psychologique aux jeunes du camp et tâche de les sensibiliser à la question du droit au retour des réfugiés palestiniens ». Construit en 1950 pour accueillir des villageois expulsés de la région de Jaffa, près de Tel-Aviv, Balata se trouve en zone A, l’aire administrative délimitant les secteurs de la Cisjordanie « gouvernés » par l’Autorité palestinienne mais où l’armée israélienne opère à sa guise, en dépit des accords d’Oslo (lire « Autonomie limitée »).
Le camp offre un condensé des problèmes qui affectent les réfugiés palestiniens. Ici, la pauvreté (55 % des habitants), le chômage (53 %, dont 65 % sont de jeunes diplômés), la promiscuité et l’insalubrité touchent presque tous les foyers. Près de vingt-huit mille habitants, dont 60 % ont moins de 25 ans, s’entassent sur un kilomètre carré — un record en Cisjordanie, en termes de densité de population. Ils vivotent dans des logements de béton pour la plupart exigus, bâtis les uns sur les autres le long de ruelles poussiéreuses dont certaines sont si étroites — seulement quelques dizaines de centimètres de large, parfois — que la lumière du jour peine à s’y faufiler.
Connu pour son engagement contre l’occupation dès 1976, qualifié par les Israéliens de « bastion terroriste » et très surveillé, le camp a payé un lourd tribut ces dernières années : « Environ quatre cents morts depuis le déclenchement de la deuxième Intifada [2000-2005], et des milliers de blessés. Près de trois cents résidents du camp sont actuellement incarcérés en Israël », nous indique M. Arafat, qui a lui-même été emprisonné à plusieurs reprises. L’armée israélienne envahit régulièrement Balata pour « arrêter ceux qui ont participé à des manifestations ou sont recherchés pour leur activisme politique, ou bien encore pour “sécuriser” le quartier, du fait de la proximité du tombeau de Youssouf » — un mausolée vénéré par les juifs comme par les musulmans.
Harcelés par l’armée d’occupation et par les colons, les habitants sont « à bout », lâche M. Arafat. « Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Quand les Israéliens surgissent pour faire des perquisitions ou pour capturer des militants politiques, nous tentons de nous interposer, mais nous sommes impuissants. Il y a encore des armes ici, mais les gens ne les utilisent plus. La police palestinienne devrait nous protéger des colons — très nombreux autour de Naplouse, et parmi les plus agressifs —, mais elle ne fait rien. »
En vertu des accords sécuritaires israélo-palestiniens, élaborés en 1993, la police de l’Autorité palestinienne n’a pas le droit d’utiliser la force contre les colons en cas d’attaque, mais doit s’en remettre aux autorités israéliennes. Elle est aussi tenue de coopérer pour cibler et interpeller les militants palestiniens constituant un « danger potentiel » vis-à-vis d’Israël — essentiellement des membres du Hamas, la formation islamiste, du Jihad islamique et du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP, extrême gauche), mais aussi des dissidents du Fatah, le parti du président de l’Autorité, M. Mahmoud Abbas.
« L’armée d’occupation, les colons, mais aussi les forces de sécurité palestiniennes maintiennent une pression constante. Il est donc aisé de comprendre pourquoi les gens sont en colère, poursuit M. Arafat. Nous sommes comme un volcan prêt à entrer en éruption. Les responsables de la “Sulta” [“Autorité”, en arabe], qui n’ont plus aucun crédit à nos yeux, pourraient aussi en faire les frais. »
Même constat et mêmes griefs dans le camp de réfugiés d’Aïda, à Bethléem, une enclave de quatre kilomètres carrés (2) adossée au mur de séparation construit par Israël, qui enserre une grande partie de la ville et atteint par endroits huit mètres de haut. Environ six mille personnes y résident, parmi lesquelles plus de la moitié ont moins de 25 ans. « Cent cinquante de nos jeunes — dont un gamin de 13 ans — sont actuellement détenus dans les geôles israéliennes, sans compter les prisonniers qui y croupissent depuis plusieurs décennies. Nombre de cadres politiques et de combattants de la résistance ont également été arrêtés pendant la deuxième Intifada », indique M. Nidal Al-Azraq, coordinateur des activités du centre des réfugiés, à Aïda, et frère cadet d’un militant libéré en 2013, après vingt-trois ans d’incarcération.
L’armée israélienne, dont l’un des miradors surplombant le camp a été incendié l’année dernière par les chebab, y « mène des opérations nocturnes presque quotidiennement », ajoute M. Al-Azraq. Il y a quelques mois, au mépris des accords d’Oslo, « les autorités d’occupation ont décidé de placer Aïda non plus en zone A mais en zone C, c’est-à-dire sous leur contrôle exclusif, puis ont décrété son périmètre “zone militaire fermée” », nous apprend M. Salah Ajarma, le directeur du centre. La police palestinienne n’a plus le droit d’y entrer, ni de patrouiller alentour. Le pourrait-elle, d’ailleurs, qu’elle se heurterait aussitôt à l’hostilité des réfugiés, avec lesquels les rapports se sont détériorés en raison des nombreuses arrestations d’opposants effectuées ces dernières années — « parfois directement sur ordre des Israéliens », selon M. Ajarma, qui a connu la prison dès l’âge de 14 ans. « Comment peut-on lui faire confiance alors qu’elle est soumise au bon vouloir de l’occupant et constitue même une menace pour nous ? » Début 2013, les habitants ont détruit le poste de police présent dans le camp et chassé les policiers. « Nous avons l’impression, au fond, que seul le drapeau [palestinien] sous lequel ils servent les différencie des soldats israéliens », assène-t-il.
Ces critiques trouvent un écho auprès de larges franges de la société palestinienne et des principaux partis politiques, y compris au sein du Fatah. Pour autant, la suspension de la coopération sécuritaire entre la police de l’Autorité et l’armée israélienne n’est pas à l’ordre du jour, comme l’a rappelé M. Abbas, le 28 mai dernier, devant un parterre de journalistes, de militants pacifistes et d’hommes d’affaires israéliens réunis à Ramallah : « La coordination sécuritaire est sacrée, sacrée. Et elle continuera, que nous soyons en désaccord ou non avec les Israéliens (3) » — des propos qui ont embarrassé une partie des responsables du Fatah.
Des forces de l’ordre qui comptent environ trente mille hommes
Inscrite dans les accords d’Oslo de 1993, cette coopération bilatérale a été mise en œuvre après l’accord signé au Caire en mai 1994 (Oslo I). Celui-ci stipule que les forces de l’ordre palestiniennes doivent « agir systématiquement contre toute incitation au terrorisme et à la violence » vis-à-vis d’Israël, « empêcher tout acte d’hostilité » contre les colonies et « coordonner [leurs] activités » avec l’armée israélienne, notamment à travers l’échange d’informations et d’opérations conjointes (4). Suspendue pendant la deuxième Intifada, puis réactivée par M. Abbas après son élection à la tête de l’Autorité, le 9 janvier 2005, cette politique a pris un nouvel élan avec la réforme des services de sécurité engagée par l’ancien premier ministre Salam Fayyad (2007-2013) (5).
Pléthoriques, les diverses forces de police et de gendarmerie regroupent environ trente mille hommes — soit un agent pour quatre-vingts habitants en Cisjordanie, l’un des ratios les plus élevés du monde (un pour trois cent cinquante-six en France). Elles ont été profondément remaniées sous la supervision des Américains, qui ont formé des unités spéciales et les ont dotées de véhicules modernes, de matériels de pointe et d’armes sophistiquées. Les services de sécurité, financés en partie par Washington et les Européens (6), absorbent plus de 30 % du budget annuel de l’Autorité — établi à 3,2 milliards d’euros en 2014 —, une enveloppe qui dépasse la part cumulée des dépenses affectées à l’éducation, à la santé et à l’agriculture (7). « Ils sont la cheville ouvrière de l’Autorité palestinienne, explique le sociologue palestinien Sbeih Sbeih. Les accords d’Oslo ont transformé celle-ci en sous-traitante de l’occupant israélien. » N’était-ce pas d’ailleurs l’un des objectifs ? En 1993, le premier ministre israélien Itzak Rabin déclarait que le transfert de certaines tâches sécuritaires aux Palestiniens devait permettre de « dispenser — et c’est le plus important — l’armée israélienne de devoir les accomplir elle-même (8) ».
Accaparement des richesses par les grandes familles
Aux commandes du dispositif de coopération sécuritaire de 2009 à 2014, l’ancien ministre de l’intérieur palestinien Said Abou Ali a une vision toute différente. Il nous reçoit entouré de deux de ses conseillers dans son vaste bureau du palais ministériel, à Ramallah. « La politique de coordination est un succès pour les deux parties », affirme, débonnaire, M. Abou Ali. « Les efforts que nous avons déployés pour rétablir l’ordre, ces dernières années, nous ont permis de garantir une certaine stabilité en Cisjordanie et de juguler le terrorisme et l’extrémisme. Certains condamnent la coopération de nos services avec Israël ou nous accusent de “collaboration”, mais ça n’a absolument rien à voir. Notre objectif est de construire un Etat, et la sécurité en est un des piliers fondamentaux. »
Une « stabilité » et une « sécurité » relatives : en 2013, plus de quatre mille six cents civils palestiniens ont été arrêtés en Cisjordanie par l’armée israélienne, au cours de quelque quatre mille interventions. Et une trentaine ont été tués. Cette même année, les violences commises par les colons (trois cent quatre-vingt-dix-neuf incidents) ont augmenté de 8 % par rapport à 2012, faisant une centaine de blessés, principalement des paysans palestiniens (9) ; la police de l’Autorité, quant à elle, est régulièrement accusée d’exactions et maintient en détention arbitraire des opposants politiques (tout comme son homologue dirigée par le Hamas à Gaza).
Par ailleurs, Israël mène chaque année plusieurs centaines d’opérations en coordination avec les services palestiniens (10). « Cette politique sécuritaire, que nos dirigeants justifient au nom de l’Etat à venir, sert en réalité à donner des gages à la “communauté internationale”, dont l’Autorité dépend financièrement, et à empêcher tout embrasement dans les territoires, estime Abaher El-Sakka, professeur de sociologie à l’université de Bir Zeit (Ramallah). Mais elle a pour effet de susciter le ressentiment d’un nombre croissant de Palestiniens. »
La situation sociale du pays ne contribue pas à l’apaisement. La population s’est fortement mobilisée en 2011 et 2012, notamment pour dénoncer la politique économique du gouvernement. Les réformes libérales introduites par M. Fayyad à partir de 2007, soutenues par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les pays donateurs, ont placé des pans entiers de l’économie du petit territoire sous la coupe du secteur privé. Au nom de la croissance, et pour attirer les investisseurs, l’ancien premier ministre a mis en place une « thérapie de choc » : suppression de quarante mille postes de fonctionnaire (estimés à cent cinquante mille aujourd’hui), réduction des budgets sociaux, compression des salaires, réaménagement de la protection sociale, réforme du secteur bancaire, etc. Ces mesures ont contribué à l’aggravation des inégalités, détruit des emplois et provoqué une hausse brutale du coût de la vie.
L’envolée de la fin des années 2000 (7 % de croissance en 2008, contre 1,5 % en 2013) — due uniquement à l’aide étrangère, qui couvre la moitié du budget de l’Autorité — n’a été qu’un phénomène en trompe-l’œil. Le « boom économique » du « Tigre palestinien » célébré par les experts occidentaux a débouché sur une crise financière sans précédent dès que se sont taries les contributions des bailleurs de fonds, en 2010. Le taux de chômage est extrêmement élevé (entre 20 et 30 % en Cisjordanie, selon les sources, et plus de 40 % à Gaza), la pauvreté frappe près d’un quart de la population (20 % des Palestiniens de Cisjordanie vivent avec moins de 1,50 euro par jour), tandis que les revenus des plus riches ont crû de 10 % entre 2007 et 2010 (11).
« La majeure partie de l’économie du pays se concentre entre les mains de grandes familles et de nouveaux riches, liés pour la plupart au pouvoir et profitant de ses réseaux, explique le professeur El-Sakka. Ils se trouvent à la tête d’entreprises qui contrôlent les secteurs de la téléphonie, de la construction, de l’énergie, de l’alimentation, etc. Certains d’entre eux investissent sur le marché israélien et dans les colonies industrielles. En retour, ils bénéficient de privilèges octroyés par Israël, comme la possibilité de passer prioritairement aux barrages militaires, au même titre que les officiels de l’Autorité (12). » A Ramallah, en particulier, ces « VIP » que l’on peut voir parader en centre-ville au volant de leurs voitures rutilantes habitent dans des quartiers huppés qui sont à mille lieues de l’univers des camps de réfugiés.
Par-dessus tout, le développement économique de la Cisjordanie reste entravé par l’occupation, le mur de séparation et le système des barrages qui quadrillent le territoire. Dans le cadre du protocole de Paris (1994), versant économique et financier des accords d’Oslo, les Israéliens exercent aussi leur mainmise sur les activités commerciales des Palestiniens — lesquels importent 70 % de leurs produits d’Israël et y exportent plus de 85 % de leurs marchandises. Les autorités de Tel-Aviv collectent également les taxes douanières revenant à l’Autorité. Elles peuvent les confisquer à loisir, par chantage ou en guise de représailles. « Nous sommes soumis à une double occupation, militaire et économique, déplore Sbeih. La politique sécuritaire et l’oppression économique constituent les deux aspects d’une même logique, à l’œuvre depuis Oslo. »
M. Naba Alassi vit dans le camp de réfugiés de Dheisheh (Bethléem). Ce trentenaire qui a vu l’un de ses amis mourir dans ses bras, tué par des soldats israéliens au cours d’une manifestation, s’emporte contre « l’Autorité et ses protégés » : « Les élites et les capitalistes de Ramallah, qui paradent dans leurs grosses Mercedes et leurs 4 x 4, ne nous représentent pas ! Ils nous traitent de “terroristes” et d’“extrémistes” alors que nous ne faisons que résister à l’occupation ! Nous devons démanteler l’Autorité. Elle ne sert à rien, sinon à mener de vaines négociations, qui sont au fond sa seule raison d’être, son business ! »
Depuis vingt ans, sommets, conférences, tables rondes et tournées diplomatiques ont vu fleurir les déclarations de principe, les résolutions internationales et les promesses solennelles. Mais toutes sont restées lettre morte. « A quoi cela rime-t-il de poursuivre le dialogue avec nos ennemis, de poser tout sourire à leurs côtés sur les photos destinées à la “communauté internationale”, et de leur serrer la main pendant qu’ils maintiennent leur emprise sur notre territoire ? A qui profitent ces négociations stériles, sinon aux Israéliens ? », demande M. Ajarma. « Nous devons à chaque fois nous contenter des miettes qu’on nous jette sur la table et dire merci. La question d’un Etat indépendant ne figurait même pas au menu des dernières discussions, comme si l’occupation était un fait allant de soi », ajoute M. Abdelfattah Abusrour, directeur du centre socio-culturel Al-Rowwad, à Aïda.
Les derniers pourparlers (juillet 2013 — avril 2014) entre Israël et l’Autorité palestinienne, placés sous la médiation du secrétaire d’Etat américain John Kerry, n’ont pas dérogé à la règle (13). Mais n’étaient-ils pas voués à l’échec, Israël ayant refusé de geler la colonisation dans les territoires occupés et Washington ayant renoncé à faire pression sur Tel-Aviv ? « Les Etats-Unis n’ont réussi à mettre en œuvre aucun accord depuis Oslo. Du côté israélien, on ne peut rien attendre d’un gouvernement totalement acquis à la cause des colons », analyse M. Nabil Chaath, un haut responsable du Fatah et ancien négociateur en chef, qui fut l’un des artisans des accords de paix et notamment de leur volet sécuritaire. « Avant même que les discussions ne reprennent, j’avais fait part de mon scepticisme à Mahmoud Abbas et lui avais demandé pourquoi il acceptait de retourner, dans ces conditions, à la table des négociations. “Je n’ai pas le choix”, m’avait-il répondu. » « Pour notre part, nous étions totalement opposés à la reprise des pourparlers. Israël les utilise pour nous manipuler et créer des faits accomplis sur le terrain », nous dit M. Hassan Youssef, l’un des principaux dirigeants du Hamas en Cisjordanie, rencontré à Ramallah quelques jours avant son arrestation par les Israéliens, le 16 juin 2014.
« Nous resterons sur cette terre qui nous a vus naître »
La poursuite de la colonisation, le maintien du régime d’occupation militaire, l’échec des négociations et le discrédit frappant l’Autorité alimentent les spéculations sur une troisième Intifada. Celle-ci « est peu probable à court terme », considère néanmoins le Pr El-Sakka. Pour trois raisons : les forces de sécurité palestiniennes, qui, quoique laissant se dérouler des manifestations ponctuelles et circonscrites, font tout pour empêcher un soulèvement général ; les divisions internes, persistantes malgré la formation d’un gouvernement d’entente, en juin 2014, issu de la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas ; l’absence de projet et de stratégie politiques capables de mobiliser la société palestinienne. « Nos seuls espoirs, pour le moment, résident dans la campagne mondiale de boycott contre Israël (14)et dans l’éventuelle possibilité de saisir les instances juridiques, comme la Cour pénale internationale, pour pouvoir faire juger ses responsables militaires et politiques, estime le sociologue. Mais il suffirait d’une étincelle, d’un événement catalyseur, pour qu’éclate une nouvelle Intifada. »
« Nous sommes voués à l’Intifada », confirme M. Ayman Abu Zulof, ancien militant du FPLP, emprisonné six fois entre 1989 et 1993, aujourd’hui guide et interprète. Sa maison, située à Beit Sahour, une bourgade chrétienne jouxtant Bethléem, fait face à la colonie israélienne de Har Homa, établie sur les terres de sa commune. Cette forteresse de béton se dresse au sommet de la colline autrefois recouverte d’une forêt où il aimait jouer dans son enfance. Les Israéliens l’ont rasée en 1997, après avoir annexé les lieux.
Bethléem, la ville qui a vu Jésus venir au monde, selon la tradition, est encerclée par une vingtaine de colonies dont l’expansion va bon train. « Ils construisent, mais nous construisons aussi et nous continuerons à construire, dit M. Abu Zulof en contemplant la vallée parsemée d’oliviers. Nous resterons ici, sur cette terre qui nous a vus naître et a vu naître nos ancêtres. Nous nous y accrocherons, envers et contre tout. C’est notre façon de lutter au quotidien. »
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L’armée israélienne mène une vaste opération dans les territoires occupés. Depuis un an, 194 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, un bilan inédit depuis la seconde Intifada.
Vingt-neuf morts, plus qu’un par jour en ce mois de janvier. Au total, 194 Palestiniens ont été tués par l’armée ou par des colons israéliens depuis un an en Cisjordanie occupée, selon le ministère de la santé palestinien. Cette violence a atteint un niveau inégalé depuis la fin de la seconde Intifada (2000-2005).
« Briser la vague », c’est le nom de l’opération lancée au printemps 2022 par l’armée, après plusieurs attaques menées contre des civils en Israël. Elle visait dans un premier temps à casser une nouvelle résistance armée palestinienne. Des combattants regroupés en deux mouvements, les Brigades, à Jénine et les Lions, à Naplouse, inspirent ailleurs des loups plus solitaires. Ils sont jeunes, transpartisans, bien armés ; ils vont à l’affrontement, attaquent des soldats et des colons en Cisjordanie, des civils en Israël. Trente Israéliens ont ainsi été tués. Dans leur ombre, un mouvement monte : le Jihad islamique, groupe islamiste qui se veut rassembleur et n’aspire pas au pouvoir.
Au fil des mois, l’opération de l’armée se mue en une répression massive, qui touche le moindre hameau. Ses effets sont aggravés par les violences perpétrées par les colons, enhardis par le retour au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en décembre 2022, à la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. La Cisjordanie vit tétanisée par un déferlement quotidien de drames et d’incidents divers, qui ne peuvent se raconter un à un. Ils disparaissent dans la masse. Au fil d’une semaine cependant, une série d’épisodes, parmi les plus saillants, résument cet état de guerre ordinaire.
Mardi 17 janvier : un loup solitaire sur la route 60
Mardi 17 janvier au matin, Hamdi Abou Dayyeh a traversé à pied l’étroite vallée où s’effiloche sa ville, Halhul, au nord d’Hébron. Il a longé vignes et potagers jusqu’à un poste militaire israélien qui domine la route 60, la principale artère de Cisjordanie. Là, il a brandi un « Carlo », une arme artisanale grossière de métal noir à courte crosse. Il a tiré sur des soldats sans parvenir à les blesser. Les militaires l’ont abattu, puis ont emporté son corps. Sa famille ignore quand il leur sera rendu.
Nadwa Abou Dayyeh et sa fille Laura, 12 ans, chez elles à Halhul, à 5 km au nord d’Hébron (Cisjordanie), le 18 janvier 2023, après la mort de leur mari et père, Hamdi Abou Dayyeh, 40 ans, abattu par l’armée israélienne. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Hamdi Abou Dayyeh était en cavale depuis le dimanche. Capitaine de police âgé de 40 ans, gratte-papier de l’administration d’un commissariat de Bethléem, il avait tiré sur un bus de colons israéliens, sur la route 60, sans faire de victimes. Il avait incendié sa voiture et s’était caché près d’Halhul.
Le chef de la police palestinienne en Cisjordanie, Youssef Al-Hilou, gêné que l’un de ses officiers ait ainsi pris les armes, a attendu lundi 23 janvier pour rendre visite à la famille en deuil. La force continuera de verser son salaire, l’équivalent de 1 000 euros par mois, à son épouse, Nadwa, atteinte d’un cancer du sein, et à leurs trois enfants.
Ancien prisonnier en Israël durant la seconde Intifada, Hamdi Abou Dayyeh était un policier honteux, déçu par l’Autorité palestinienne, qui paraît hors jeu dans les violences actuelles, liée par ses accords de coopération sécuritaire avec l’Etat hébreu. Hamdi la percevait comme un simple supplétif d’Israël. « La seule chose qui le satisfaisait encore dans le métier, c’était son salaire, raconte son frère aîné, Mohammed Abou Dayyeh. Il vivait branché constamment sur les actualités. Tout s’accumulait, les violences israéliennes, les martyrs [les victimes de l’armée, selon la phraséologie palestinienne]. C’était trop pour lui. »
La police aux frontières israélienne arrête un colon israélien ayant bâti un nouvel avant-poste sur des terres palestiniennes privées dans la ville de Jourish (Cisjordanie), le 20 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
En secret, il avait rédigé son testament dès le 10 octobre. Il l’a publié sur les réseaux sociaux deux heures avant sa mort. Il s’y proclame nationaliste, se dit déçu par toutes les factions palestiniennes. « On ne peut pas vivre sans dignité, écrit-il. Notre seul espoir, ce sont les loups solitaires. »
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Moustapha, son collègue au poste de police de Bethléem, soupire. Cet officier de la brigade antidrogue « comprend » sa lassitude, sa « honte » de policier. Nombre de ses voisins au camp de réfugiés de Dheisheh, dans le sud de la ville, travaillent aussi pour les forces de sécurité. Ce camp est le fief de Majed Faraj, chef du renseignement palestinien.
Moustapha porte deux deuils. Son cousin, Amro Al-Khmour, a été tué, lundi 16 janvier, par l’armée israélienne. Il avait 14 ans. Les soldats sont entrés dans le camp pour arrêter une Italienne réputée liée au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation de gauche classée comme terroriste par l’Union européenne. Le jeune Amro, surnommé « Baklava » (une pâtisserie au miel), est réveillé par les tirs, au moment de la prière de l’aube. Il se précipite dehors, où des jeunes lancent des pierres sur les soldats. « Cinq minutes plus tard, il est mort. Une balle de sniper à la tête. Il n’était pas armé », insiste son père, Khaled.
Devant la salle des martyrs du camp de réfugiés de Dheisheh près de Bethléem (Cisjordanie), un jeune homme porte sur son keffieh les photos des derniers morts du camp, le 18 janvier 2023. De haut en bas : Omar Manaa, 22 ans, Adam Ayyad, 15 ans, et Amro Al-Khmour, 14 ans. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Sur les murs de la ville, le portrait de l’adolescent voisine avec ceux de deux autres « martyrs » : Adam Ayyad, tué par l’armée durant un raid le 3 janvier, à 15 ans, et Omar Manna, à 22 ans le 5 décembre. « Nous avons à peine le temps de défaire la tente de deuil quelques jours, et puis nous la remontons au même endroit pour un autre mort », soupire Moustapha.
Est-ce une nouvelle Intifada qui a commencé ? Le frère aîné d’Amro, Mohammed Al-Khmour, n’y croit pas. « Il faudrait que tout le monde soit solidaire et ce n’est pas le cas. Mon frère est mort parce que nous sommes pauvres. Il n’y a que les pauvres qui sortent et qui se battent. Les hommes d’affaires, les gens de l’Autorité palestinienne, les élites vivent sur une autre planète. Ils bénéficient de l’occupation [des territoires par Israël]. Ce n’est pas dans leur intérêt. »
Deux garçons discutent tandis que l’un d’eux tient une affiche de son ami Amro Al-Khmour, 14 ans, tué par l’armée israélienne le 16 janvier 2023, à la salle des martyrs du camp de réfugiés de Dheisheh, près de Bethléem (Cisjordanie), le 18 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Jeudi 19 janvier : raid au camp de Jénine
Des salves sont tirées en l’air à l’arme automatique ; dernier hommage aux « martyrs ». Une longue file d’hommes remonte les étroites allées depuis le cimetière. Il est midi, jeudi 19 janvier. Le camp de réfugiés de Jénine vient d’enterrer un combattant de 26 ans, Adham Jabareen, et un enseignant proche de la retraite, Jawad Bawaqneh, tué devant chez lui alors qu’il tentait de porter secours au premier. Un coiffeur de la rue voisine, Raed Lahlouh, sorti voir ce qui se passait, a été grièvement blessé. « A 2 heures du matin, les forces d’occupation [israéliennes] ont pénétré de tous les côtés, assiégeant le camp, raconte Atta Abou Rmeileh, secrétaire local du Fatah, le parti au pouvoir. Les ambulances et les journalistes ont été empêchés d’entrer. Les blessés se sont vidés de leur sang. »
Devant la maison de Jawad Bawaqneh, un voisin indique une terrasse au loin : « Les snipers étaient postés là-bas », dans l’axe de l’entrée. « En moins d’une minute, ils ont tiré sur notre père six balles dum-dum, celles qui explosent en touchant leur cible. Personne d’autre qu’Israël ne les utilise », raconte Saja, l’une des six enfants de l’enseignant, âgée de 30 ans, les mâchoires serrées de colère. Deux ambulances ont tenté de venir le secourir ; en vain, les soldats israéliens ne les ont pas laissées passer. Une sœur de Saja a dû amener son père dans sa propre voiture à l’hôpital ; il a été déclaré mort à son arrivée.
Atta Abou Rmeileh, dirigeant local et secrétaire du Fatah, dans le camp de Jénine (Cisjordanie), près du cimetière local des martyrs, le 19 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Les magasins et restaurants de Jénine ont baissé le rideau ; la ville se noie dans ses deuils. Les habitants n’en peuvent plus : les incursions de l’armée israélienne y sont quasi quotidiennes depuis le printemps dernier. C’est d’ici que plusieurs assaillants ont préparé leurs attaques perpétrées en Israël.
Le 19 janvier, les militaires étaient venus arrêter Khaled Abou Zeina, commandant du Jihad islamique, et « confisquer une large quantité d’armes », a indiqué l’armée au Monde. L’opération a échoué, les soldats disent avoir riposté à des tirs nourris, un militaire a été blessé. L’armée affirme « examiner » les « circonstances » de la mort de l’enseignant Jawad Bawaqneh – il est douteux qu’une véritable enquête soit ouverte.
La mémoire collective fait remonter l’état de guerre dans le camp à juin 2021 : Jamil Al-Amouri, militant charismatique du Jihad islamique, devenu un héros local, est alors tué à 23 ans par les forces spéciales israéliennes. Depuis, la résistance armée s’est musclée et le désespoir s’est épaissi. Dans une allée près du cimetière, Khalil Abou Atieh déboule, les yeux bouffis. « Personne ne dort », marmonne-t-il. L’armée a tué son frère, Sanad, en mars 2022 ; il venait d’avoir 18 ans. Lui est recherché, il fait partie des Brigades de Jénine, symbole de la résistance, qui se veulent indépendantes des factions traditionnelles. « Quand l’armée arrive, il n’y a plus ni Hamas, ni Jihad islamique ou FPLP : on est tous sous le contrôle de Dieu », explique l’homme de 25 ans. Il navigue entre son métier de cuistot et le cimetière. «Les gamins sortent de l’école pour apprendre à faire des bombes. De toute façon, l’occupation [israélienne] tue aussi les professeurs, les docteurs, les ingénieurs… On aime la vie, mais on veut mourir. Moi, parce que je veux revoir mon frère. »
La cérémonie d’hommage à Adham Jabareen, 28 ans, combattant du Jihad islamique palestinien, et à Jawad Bawaqneh, 57 ans, enseignant et père de six enfants, devant la salle des martyrs de Jénine (Cisjordanie), le 19 janvier 2023. Bawaqneh a essayé de donner les premiers soins à Jabareen, blessé devant sa porte. Tous deux ont été tués par un tireur d’élite israélien lors d’un raid le matin même. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »Rassemblement à l’occasion de l’hommage à Adham Jabareen et à Jawad Bawaqneh devant la salle des martyrs de Jénine (Cisjordanie), le 19 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Au bout de la ruelle, des voisins entrent et sortent d’un petit immeuble étroit, auquel de nouveaux étages ont été ajoutés à la va-vite. Trois frères, dont le père du combattant tué, Adham Jabareen, vivent ici avec leurs familles. La mère d’Adham s’est effondrée dans une chambre. Elle dort, assommée par les calmants. « Notre famille est détruite », soupire Thaer, l’oncle, ancien combattant aux traits usés. Il a déjà perdu deux de ses neveux en 2014 et 2017. Lui et le père d’Adham ont fait plusieurs années de prison, leur génération a été marquée par la destruction du camp en 2002, lors de la seconde Intifada. Leurs enfants portent à leur tour leurs propres deuils. « Cette hémorragie va continuer, ils ont tous 17-18 ans, souffle-t-il. Adham avait perdu une vingtaine de ses amis, il n’avait plus de vie. »
Vendredi 20 janvier : une nouvelle colonie à Naplouse
Une poignée de préfabriqués blancs ont été montés à la hâte, à la faveur de la nuit vendredi 20 janvier, sur une colline ocre, au bord de la route qui relie le sud de Naplouse à la vallée du Jourdain. Un carton sur une pierre indique le nom de cette colonie sauvage toute neuve : Or Haïm (« lumière de Haïm »). Ses fondateurs rendent hommage au rabbin Haïm Druckman, l’un des patriarches du mouvement colon, mort le 25 décembre 2022. Son petit-fils se tient parmi eux.
Leur entreprise est illégale, même selon le droit israélien. Mais ils entendent tester le nouveau gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Ils constatent que sa coalition n’emploie plus que le vocabulaire de la force et de l’annexion. Elle a cessé de prétendre que l’occupation des territoires palestiniens, en vigueur depuis la conquête de 1967, était temporaire. Quelques heures plus tard, ils sont déçus : le ministre de la défense ordonne leur évacuation par l’armée, suscitant la colère de ses alliés d’extrême droite.
Abdelrahman Mansour, 75 ans, propriétaire foncier palestinien, à Jourish (Cisjordanie), qui surplombe la zone où des colons israéliens ont illégalement mis en place un nouvel avant-poste sur des terres palestiniennes à 1 km à l’est du village, le 20 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
L’armée les escorte hors du terrain, sans heurts. Des soldats traînent vers leurs voitures les plus récalcitrants, des gamins à peine sortis de l’adolescence, tantôt hilares, tantôt agressifs. Les préfabriqués gisent brisés à terre. Un peu plus tôt, les colons et les Palestiniens du village voisin, Jourish, se sont lancé des pierres. Le maire palestinien, Raed Abou Jamous, affirme que des colons ont caillassé sa voiture sous ses yeux, pendant que les militaires lui bloquaient le passage. Six Palestiniens et trois Israéliens ont été blessés.
Plus tard dans l’après-midi, le maire réunit chez lui quelques proches et l’édile de la commune voisine, Aqraba. Certains suggèrent de cultiver la terre, vite, pour assurer une présence. Tous ont en tête un précédent : la colonie d’Evyatar, établie en mai 2021 à quelques kilomètres de là. Durant un an et demi de manifestations, sept Palestiniens ont été tués par l’armée. La colonie a fini par être évacuée, mais les terres sont désormais sous contrôle militaire, inaccessibles à leurs propriétaires. Dimanche 22 janvier, les colons sont revenus à Or Haïm. Ils ont été une nouvelle fois évacués.
A une demi-heure de là, plus à l’ouest, c’est la même guerre de position qui se joue à Kafr Qaddum, chaque vendredi depuis 2011. Le village veut récupérer son accès à la route principale, coupée par les militaires. Cette route traverse la colonie de Kedumim, fondée par des proches du rabbin Haïm Druckman, qui ont ouvert la voie dès 1975 à la colonisation du nord de la Cisjordanie.
Raed Abou Jamous (à droite), le maire de Jourish (Cisjordanie), lors d’une réunion de crise à son domicile, le 20 janvier 2023. Des colons israéliens viennent de mettre illégalement en place un nouvel avant-poste sur des terres palestiniennes privées. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Des membres de la Résistance populaire, affiliés au Fatah, inspectent les dommages sur leur camionnette après que des soldats israéliens ont tiré dessus, lors d’une manifestation dans la ville de Kafr Qaddum, près de Naplouse (Cisjordanie), le 20 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
La manifestation est à peine commencée après la prière, qu’elle étouffe déjà sous les gaz lacrymogènes. Des gamins masqués viennent narguer les soldats avec des lance-pierres. Des tirs de balles en métal recouvertes de caoutchouc retentissent. Cinq Palestiniens sont blessés. Un drone surveille la scène. L’armée a arrêté un homme dans le village cette année, huit en 2022.
Les manifestants arborent au front le bandeau jaune du Fatah. Kafr Qaddum est un symbole de la résistance populaire non armée, encouragée par l’Autorité palestinienne. Les résultats sont maigres, la répression violente marque toutes ces familles. Le 12 juillet 2019, Abdel Rahman Shatawi, 9 ans, a reçu une balle à la tête, qui l’a laissé paralysé. Walid Barham a eu la mâchoire brisée par un tir en 2018, et a perdu l’usage de son œil gauche. « Depuis, je perds souvent mon sang-froid. J’ai une douleur qui me lance quand il fait très chaud ou très froid », explique ce père de famille de 55 ans. Son fils a cessé de parler après avoir reçu une grenade de gaz lacrymogène dans la tête, il y a dix ans. Il avait 17 ans. Son aîné alterne blessures et séjours en prison.
Samedi 21 janvier : un mort à la ferme
Une ambulance israélienne emporte le corps de Tareq Maali sur la route 463, entre les collines enchanteresses du centre de la Cisjordanie, escarpées, où l’herbe d’hiver pousse dru. La famille Maali ne sait pas quand le corps lui sera rendu. Samedi 21 janvier, les femmes du village de Kafr Nemeh prennent place autour de l’épouse, qui gémit. Le plus âgé des trois fils a 12 ans. Ils demeurent assis auprès d’un oncle handicapé, Yousouf, qui gobe des médicaments antidouleur pour ses nerfs.
Des proches de Tareq Maali, 42 ans, pleurent sa mort devant la maison familiale à Kafr Nameh (Cisjordanie), le 21 janvier 2023. L’homme a été abattu le matin même par un colon à Jabal Al-Risan. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Son frère Ashraf descend de voiture en pleurs, de retour de son interrogatoire par le renseignement israélien. Un camion à bétail se gare derrière lui. Quatre hommes debout sur le plateau arrière le débâchent et une voix de forain craquelle dans un micro. Elle annonce que le « martyr » Tareq Maali a été reconnu comme l’un des siens par le Jihad islamique. Le père, Odeh Maali, 64 ans, balaie cette annonce d’une main : « Tareq n’avait plus de liens avec le Jihad depuis qu’il était sorti des prisons israéliennes, après la seconde Intifada. »
Tous ici ont vu Tareq Maali mourir, dans une vidéo filmée par une caméra de surveillance sur la colline voisine. On y voit l’homme se précipiter à toutes jambes vers un colon. Ce dernier le met en joue avec son pistolet. Tareq Maali tombe. Il se relève et court de nouveau vers le fermier israélien qui fuit, puis se retourne et tire. Tareq Maali s’écroule à ses pieds. L’armée affirme qu’il a tenté de poignarder le colon. La presse israélienne a diffusé de mauvaises captures vidéo d’un tournevis dans sa main inanimée.
Dhafer Ataya, adjoint au maire de Kafr Nameh (Cisjordanie), embrasse le frère de Tareq Maali le jour de la mort de ce dernier, devant la maison familiale, le 21 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Cadre dans une usine d’aluminium, Tareq Maali touchait un excellent salaire de 9 000 shekels (2 450 euros). Petit-fils de réfugiés, chassés de la région de Latroun en 1948, à la naissance de l’Etat d’Israël, il avait acquis un petit hectare d’oliviers sur la colline où il est mort. Un chemin de terre y serpente. D’antiques restanques de pierre sèche s’écroulent lentement dans la pente raide.
Au sommet, un colon a établi une ferme à moutons en 2018. Une étoile de David juchée sur un mât l’illumine chaque nuit. Ce berger, Eitan Zeev, patrouille à moto, aidé de miliciens armés. Il bouscule ceux qui osent s’aventurer sur la colline. « Mais Tareq entretenait encore ses arbres tous les vendredis. Il était obstiné », raconte son cousin Dafer Ataya, maire adjoint du village.
En août 2020, M. Zeev a déjà grièvement blessé au fusil un Palestinien. Il a été condamné en justice à une amende. En février 2021, il a tué Khaled Nofal, comptable, père d’un garçon blond de 5 ans. Sa famille possède quinze hectares sur la colline. Elle ignore pourquoi Khaled y était monté en pleine nuit, sans arme. Elle n’a pas porté plainte. « Nous n’avons pas confiance en la justice [israélienne], dit son frère Mohammed, avocat. Tout ce que je sais, c’est que ce colon a volé des terres, qu’il est assis là-haut et qu’il tue quiconque s’approche. »
Eitan Zeev est originaire des colonies d’Hébron. Son épouse, petite-fille du grand rabbin Moshe Levinger, est morte d’un cancer il y a deux ans. L’Organisation sioniste mondiale lui a attribué un terrain, considéré comme terre d’Etat par Israël depuis les années 1980. L’entreprise de bâtiment et travaux publics des colons, Amana, lui a aménagé une route.
Des colons israéliens sont délogés par l’armée et la police des frontières après avoir illégalement mis en place un avant-poste de colonisation sur des terres palestiniennes privées, près de Jourish (Cisjordanie), le 20 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Depuis six ans, Amana a coordonné l’implantation d’une cinquantaine de fermes isolées comme celle-ci, doublant la surface de terres colonisées en Cisjordanie. « Nous avons manifesté pendant six mois. L’armée nous chassait. Elle protège Zeev », soupire Dafer Ataya. En octobre 2022, les voisins sont parvenus à récolter les olives, en montant tous ensemble en même temps, après de longues négociations avec l’armée.
Dimanche 22 janvier : arrestations en série à Silwad
Mahmoud Awad vient de rentrer chez lui, dimanche 22 janvier, après avoir passé trois jours en prison en Israël. Les soldats étaient venus chercher cet ouvrier de 20 ans, la nuit, chez son père, dans leur village de Silwad, au nord de Ramallah. Ils avaient vidé les placards de sa chambre et embarqué l’un de ses pantalons. Ses interrogateurs ont reconnu le vêtement qu’il portait en octobre 2022, une nuit d’émeutes à Silwad. Mahmoud Awad avait été filmé par l’armée alors qu’il jetait des pierres sur les soldats, venus arrêter l’un de ses voisins. Il s’en est tiré avec une amende (300 euros).
En novembre 2022, il avait déjà passé une semaine en prison, pour la même raison. La prochaine fois, son juge lui a promis qu’il resterait derrière les barreaux. Depuis un an, l’armée israélienne paraît réinventer le mouvement perpétuel à Silwad : une arrestation provoque des émeutes, qui suscitent de nouvelles arrestations, et ainsi de suite. Guerre d’usure.
Drapeaux du Front démocratique pour la libération de la Palestine, une organisation marxiste-léniniste palestinienne laïque aussi appelée Front démocratique, à Kafr Nameh (Cisjordanie), le 21 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Il s’agit de savoir qui s’épuisera le premier, les soldats ou les jeunes de Silwad. « Ils utilisent la détention administrative [sans inculpation ni limite de temps] de façon préventive, pour faire peur aux jeunes avant qu’ils ne commettent une action plus sérieuse », affirme Mahmoud Awad.
Plus de 90 habitants (pour 10 000 au total) sont aujourd’hui détenus. Un chiffre impressionnant, à la mesure d’un village très engagé, riche de l’argent qu’envoient ses familles émigrées aux Etats-Unis. La commune, où les islamistes demeurent puissants, résista à l’armée anglaise dès 1932 et vit naître l’un des chefs du Hamas, Khaled Mechaal. En décembre, un habitant de Silwad, Mujahid Hamed, a tiré depuis sa voiture sur des soldats, avant d’être abattu.
« Une nuit d’août, les soldats ont arrêté trente-cinq personnes d’un coup !, détaille Suheil Farès, un cadre local du Fatah. Aujourd’hui, ils ne viennent plus qu’une fois par semaine. Le renseignement appelle les suspects et leur demande de se présenter à la base voisine d’Ofra ou à la prison d’Ofer. Il y a un mois, mon neveu a été convoqué. Il a patienté trois heures devant Ofer, puis ils lui ont demandé de partir, disant qu’ils le rappelleraient. »
Des soldats israéliens bloquent l’entrée de Jabal Al-Risan (Cisjordanie), le 21 janvier 2023, après la mort de Tareq Maali, tué le matin par un colon. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Des militants palestiniens se préparent pour une manifestation à Kafr Qaddum (Cisjordanie), le 20 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Dans le même temps, les barrages militaires ont pris une place démesurée dans la vie du village. L’armée en tient deux, aux entrées sud. Ils sont demeurés en place durant trois mois à l’été. Les cortèges funéraires étaient contraints de passer à pied pour atteindre le cimetière. Les camions à ordures et les citernes des eaux usées ne savaient plus où jeter leurs chargements.
Depuis novembre, ces barrages ne sont plus que temporaires. « Ils les ouvrent vers 3 heures de l’après-midi, quand les gens commencent à rentrer du travail, et pas tous les jours », raconte le maire du village, Raed Hamid. « Si vos papiers indiquent que vous êtes de Silwad, ils vous font arrêter le moteur et prennent votre photo pour leur base de données Blue Wolf [un système de reconnaissance faciale déployé par l’armée en Cisjordanie depuis 2016] », affirme M. Farès, le responsable du Fatah.
Cela crée des embouteillages, parfois des drames. Zaïd Omar, chauffeur de taxi, s’informe chaque jour de ces points de contrôle, sur un groupe WhatsApp animé par des collèges. Le 15 janvier, c’est par ce groupe qu’il a appris la mort de son frère cadet, Ahmed.
Un jeune combattant affilié au Jihad islamique palestinien remplit un chargeur de fusil, à Jénine (Cisjordanie), le 19 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Entrepreneur du bâtiment, Ahmed Omar venait d’aider une femme à changer sa roue crevée. Il patientait devant les soldats, dans sa voiture avec son fils, âgé de 19 ans. « Le point de contrôle est peu visible près d’un pont, sur une route en zigzags. Derrière Ahmed, d’autres automobilistes ne comprenaient pas pourquoi ça n’avançait pas. Ils ont klaxonné », raconte Zaïd Omar.
Un soldat a jeté une grenade assourdissante sur le toit de la voiture d’Ahmed Omar, qui s’en est plaint, selon son frère. Le soldat l’a aspergé de gaz au poivre. Ahmed Omar est sorti de sa voiture aveuglé, assourdi, agressif. Il a été abattu. L’armée a affirmé qu’il avait cherché à poignarder un soldat, puis qu’il avait voulu s’emparer de son arme. De premiers éléments d’enquête diffusés lundi par la presse israélienne indiquent que le soldat aurait fait preuve d’un « sévère défaut de jugement ».
« Le type l’a tué de sang-froid. Froid ! Puis, il a simplement dit à mon neveu : “J’ai tué ton père.” Ça ne lui faisait rien : pour lui, nous ne sommes pas des êtres humains », juge Mohammed Omar, l’aîné de la fratrie. Durant une semaine, l’armée a cessé de barrer cette route. Elle a repris ses contrôles le 21 janvier.
Le village palestinien de Ras Karkar, au nord-ouest de Ramallah (Cisjordanie), le 21 janvier 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Louis ImbertHalhul, Bethléem, Kafr Nemeh, Silwad (Cisjordanie occupée), envoyé spécial
Par Louis Imbert (Halhul, Bethléem, Kafr Nemeh, Silwad (Cisjordanie occupée), envoyé spécial) et Clothilde Mraffko (Jénine, Jourish, Kafr Qaddum (Cisjordanie occupée), envoyée spéciale)
Publié aujourd’hui à 05h30, mis à jour à 18h58https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/26/chronique-d-une-semaine-de-repression-ordinaire-en-cisjordanie_6159360_3210.html.
La réaction américaine à l'autodafé de Stockholm a tempéré à peine les ardeurs anti-Islam d'une Europe drapée dans ses phantasmes et ses culpabilités face à des siècles de pogroms et autres massacres au nom de la religion. Washington a évoqué un acte «irrespectueux et répugnant», après que l'extrémiste suédo-danois eut brûler sous la forte protection des forces de l'ordre un exemplaire du Livre saint de l'Islam. Deux mois plutôt, c'était le Qatar qu'on brûlait, du moins par le verbe et les accusations les plus hypocrites alors même que des milliers d'Occidentaux vivent et travaillent dans les pays du Golfe, en parfaite harmonie, ainsi que dans la majorité des pays arabes où ils trouvent un accueil exemplaire. La haine et le racisme ambiant, cultivés depuis de nombreuses années en Europe, servent des desseins politiques mais ils sont confortés par des lois scélérates qui encouragent les comportements vite qualifiés de «déviants» par des États qui n'hésitent pas, néanmoins, à les «justifier» au nom de la démocratie, de la liberté d'opinion et des droits de l'homme, singulièrement brandis par-ci plutôt que par-là.
Face à cette tartuferie étatique qui fluctue entre les eaux nauséabondes du racisme primaire et les tentations irrésistibles des mannes énergétiques arabes, l'OCI doit faire preuve d'intransigeance en séparant le bon grain de l'ivraie car, en fin de compte, les solutions de certaines tragédies comme l'apartheid sioniste en Palestine et les conditions inhumaines des peuples yéménite, soudanais, syrien ou libanais, pour ne citer que ceux-là, sont aussi tributaires de cette «gestion» malsaine qui voit l'Occident développer un discours et pratiquer une politique contraire.
La haine de l'Islam et du milliard et demi de musulmans cache mal d'autres vindictes, tout aussi criminelles, malgré les prétentions qui disent différencier les uns des autres. Si l'abominable homme de Stockholm avait brûlé la Torah, on imagine sans peine le séisme absolu qui aurait secoué l'Europe et l'Occident, tout entier bouleversé face à «l'horreur extrême» et les sanctions auraient relevé du jamais- vu auparavant! Les Tartuffe ont cet art, en politique comme ailleurs, de «prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages» et leur cynisme a les proportions que lui consentent les réactions timorées de ses victimes, qu'il s'agisse des sociétés ou des États. Les graves dérapages des caricatures danoises ont été oubliés alors que la bête immonde n'a pas cessé, depuis, de monter en puissance, partout en Europe...
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