Le dossier judiciaire des deux journalistes de RFI assassinés au Mali voici dix ans, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, a commencé à livrer quelques pistes troublantes qui mèneraient, pour certaines, vers les services algériens soucieux de contrôler le Nord Mali sans qu’aucun journaliste puisse enquêter sur leurs réseaux et leurs manipulations.
l y a dix ans que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal. Le 2 novembre 2013, ils étaient en reportage lorsqu’un commando de quatre personnes les a enlevés puis assassinés à quelques kilomètres de la ville. Un assassinat revendiqué par al-Qaïda au Maghreb islamique. Huit ans plus tard, de nombreuses zones d’ombres subsistent toujours. L’enquête judiciaire se poursuit en France et au Mali. Il ne reste désormais plus qu’un ravisseur encore en vie.
La justice a continué son travail de fourmi et auditionné de nombreuses personnes. Si rien n’a filtré de ces entretiens pour des raisons de secret de l’instruction, ils ont en tout cas ouvert de nouvelles pistes puisqu’ils ont motivé une série de demandes d’acte de la part des parties civiles qui réclament de nouvelles auditions et l’accès à certains documents. Huit ans après les faits, l’enquête judiciaire est donc encore loin d’être terminée.
Selon un document signé des juges en décembre 2017, explique le journaliste français de « l’Express », Laurent Léger, dans une enquête fort instructive, les investigations judiciaires ont permis de cibler six suspects. Qu’il s’agisse des quatre membres du commando ayant enlevé et exécuté les deux Français en reportage à Kidal ou des deux possibles commanditaires.
Le premier commanditaire serait Abdelkrim le Touareg, un émir lié à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), « neutralisé » depuis par la DGSE, c’est à dire abattu par un commando ou un drone. Le second serait le patron d’Ansar Dine, Iyad ag-Ghali, supérieur d’Abdelkrim le Touareg, dont les initiatives belliqueuses en janvier 2013 depuis Mopti au Nord Mali, furent à l’origine l’intervention militaire française, dite « opération Serval » et don on sait qu’il est protégé depuis toujours par certians clans au sein des services algériens.
Le journal « l’Express » raconte comment un journaliste d’investigation malien qui connaissait bien Ghislaine Dupont, a été entendu le 4 octobre dernier, par un juge français. Une de ses sources, explique-t-il, lui a récemment confié que « quelqu’un dans le commando était en relation avec un officiel malien ». Une piste étayée, dit-il, par un contact ultérieur avec un « ancien officier français ».
Autant de sources sérieuses qui évoquent, une conversation téléphonique entre un membre du commando, Baye ag-Bakabo, et l’ancien ministre de la Défense malien devenu Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, décédé depuis et qui aurait été interceptée par les Américains.
Fait troublant, le Premier ministre malien, dont l’influence grandit à Bamako, passe pour un proche d’Alger. A peine nommé, il se rendait en Algérie. On le découvrait aussi en déplacement officiel dans le Nord du Mali, et cela sans difficulté majeure, alors que cette partie du territoire est généralement jugée dangereuse par les membres du gouvernement de Bamako qui y risquent un attentat hostile.
Notons aussi que Ag Ghali, mis en cause dans l’assassinat des deux journalistes, a toujours été en contact étroit avec les services algériens. Au point qu’il semble bien, d’après des sources sérieuses, que ce chef terroriste a pu échapper aux forces françaises en 2013 grâce à une intervention d’Alger auprès de Paris, un épisode dont personne ne parle volontiers. Le journaliste Seidik Abba écrivait récemment dans « le Monde Afrique »: « C’est un geste de courtoisie diplomatique et militaire dont on se souviendra longtemps au ministère français de la défense. En 2014, alors qu’elle avait Iyad Ag-Ghali, chef du mouvement djihadiste malien Ansar Eddine à portée de fusil, la France a choisi de prendre l’avis d’Alger avant d’agir, plutôt que de le « neutraliser » ou de le capturer vivant ». Et d’ajouter: « Pas si peu fiers de cette marque de considération, les Algériens envoient à Paris un message aussi clair que l’eau de roche : « Ne vous occupez pas d’Iyad. Nous en faisons notre affaire ».
Autant d’indications qui amènent à s’interroger sur le rôle dans l’assassinat des journalistes de l’ancien DRS (services algériens) qui avait fait longtemps du Mali son pré carré, où il rêgnait en maitre. En 2013, les patrons du DRS ont vu d’un fort mauvais oeil l’intervention française au Mali qui a été rendue possible grâce à la bonne entente qui rêgnait alors entre les présidents Bouteflika et Hollande mais contre laquelle ils étaient vent debout.
De là l’hypothèse, non confirmée à ce jour, que l’assassinat des deux journalistes aurait pu être un message clair des services algériens à Paris sur la présence peu souhaitée des Français au Nord du Mali…
https://mondafrique.com/limage-du-jour/la-piste-algerienne-dans-lassassinat-des-journalistes-de-rfi/
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Rédigé le 21/08/2023 à 19:44 dans Alger, France | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 16/08/2023 à 16:28 dans Alger | Lien permanent | Commentaires (0)
De-l-amiraute-a-tipasa 1
Rédigé le 01/07/2023 à 08:21 dans Alger | Lien permanent | Commentaires (0)
En 1516 en Algérie, le pirate Aroudj Barberousse libère Alger de la tyrannie des Espagnols et prend le pouvoir sur le royaume. Selon la rumeur, il aurait assassiné le roi Salim Toumi, malgré leur alliance. Contre toute attente, une femme va lui tenir tête: la reine Zaphira. Entre histoire et légende, le parcours de cette femme raconte un combat, des bouleversements personnels et politiques endurés pour le bien d’Alger.
Si la véritable histoire de Zaphira, l'épouse du roi, oscille entre légende et réalité, elle marque depuis toujours l'imaginaire des Algériens. Au fil des siècles, ce personnage fut contesté puis soutenu par les historiens. Lui consacrer un film a permis aux deux réalisateurs, Adila Bendimerad et Damien Ounouri, de mettre l'accent sur l'invisibilité des femmes dans l'histoire, en particulier à une époque peu représentée de l'histoire algérienne.
>> A voir: la bande-annonce de "La dernière reine"
Cette reconstitution ample, intime et impressionnante ne cache pas sa dimension anticolonialiste et féministe. "Retourner dans cette époque, en 1500, permettait de faire resurgir un monde englouti, explique à la RTS Damien Ounouri, l'un des co-réalisateur. Il y a l'effacement historique de la grande histoire, notamment par la période coloniale française. Et il y a aussi l'effacement des femmes.(...) Le personnage de cette reine contestée ou soutenue selon les historiens devenait un véhicule pour parler d'Alger au XVIe siècle".
"La dernière reine" s'impose comme une sorte d'exception dans le cinéma d'Afrique du Nord. Car en dehors du film "Le destin" de l'Egyptien Youssef Chahine (1997), dont l'action se situe au XVIIe siècle, les films d'époque dans cette région sont inexistants. Les deux co-réalisateurs de "La dernière reine" ont endossé cette responsabilité avec rigueur, en prenant soin de chaque détail.
Initié en 2020, le tournage du film a été arrêté après deux jours seulement en raison de la pandémie. Il a failli ne jamais reprendre pour des raisons financières. Diffusé dans les cinémas français en avril et depuis le 14 juin en Suisse romande, des doutes ont longtemps plané sur la sortie du film en Algérie. Montrer le côté cosmopolite de l'Alger de l'époque n'allait pas de soi. Mais finalement, "La dernière reine" peut être vu sur grand écran en Algérie depuis le 23 juin.
https://www.rts.ch/info/culture/cinema/14132695-la-derniere-reine-magnifique-fresque-historique-dans-lalger-de-1516.html
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Rédigé le 28/06/2023 à 07:03 dans Alger, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
C’est dans les pas d’un narrateur dont on ne sait que peu de choses, si ce n’est qu’il vient d’Alger et qu’il est écrivain, et qui se dévoile au gré des pages du roman pour apparaître dans toute sa vérité à la fin du livre, que nous invite à marcher, ou plutôt rouler, Kebir Mustapha Ammi. À travers les États-Unis, que ce mystérieux narrateur sillonne dans ses moindres recoins, à la recherche d’un tout aussi mystérieux Glitter Faraday, l’auteur installe les codes de la Beat Generation, ce mouvement littéraire américain incarné par Jack Kerouac.
«À la recherche de Glitter Faraday» est donc un roman qui se visualise et s’écoute. Dans une explosion de détails colorés, témoignant de l’amour de l’auteur pour la peinture, dans le vrombissement du moteur d’une vieille Buick rouge à toit ouvrant, achetée pour six cents dollars dans les faubourgs de Detroit, le roman déroule sa trame sur les routes américaines, avec pour bande-son du jazz, évidemment. Mais pas n’importe quel jazz, principalement celui du subversif génie qu’était Charlie Mingus.
Dans cette Amérique de 2017, le narrateur part en quête de Glitter Faraday, un homme qui aurait en sa possession un manuscrit que lui aurait remis, avant de mourir, un homme à Alger, quarante ans auparavant. Mais comment trouver un homme marginal, qui fait figure de légende urbaine, dans un pays si vaste? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin! Le narrateur s’en remet aux hasards de la vie et trace le chemin qui le mènera à Glitter Faraday au gré d’une multitude de rencontres fortuites. Dans la pénombre des motels miteux et des bars glauques où il fait escale, il fait la rencontre de femmes, souvent meurtries par la vie, mais toujours animées par le rêve et l’espoir qui, tels des anges gardiens, lui indiquent la route à suivre.
Grâce à elles principalement, il retrouve enfin Glitter Faraday, mais son but n’est pas atteint pour autant et le mystère, loin de se dissiper, s’épaissit davantage. Sa rencontre avec cet homme noir, âgé de 65 ans, brisé par cette Amérique blanche et raciste qui a tôt fait d’oublier son statut de héros de la guerre du Vietnam quand il a eu le malheur d’aimer une femme blanche, ouvre un deuxième roman dans le roman, dans un autre espace-temps.
En quête du précieux manuscrit
Entre les deux hommes se dessine une connexion invisible et un point commun, Alger. Cette ville, l’ancien héros de guerre devenu SDF à San Francisco la connaît bien. C’est là où les Black Panthers et les révolutionnaires de tous bords ont trouvé un Eldorado dans les années 1960, peu de temps après l’indépendance de l’Algérie. Dans cette terre nord-africaine, qu’ils idéalisent comme étant la terre promise, les Afro-Américains en lutte contre l’oppression de l’Amérique blanche et raciste ont installé leur base arrière. Accueillis dans un premier temps à bras ouverts, ils se sont identifiés à la lutte de leurs frères algériens contre le colonisateur, y voyant leur propre lutte contre l’oppresseur impérialiste.
C’est dans cet Alger, terre des exilés venus des quatre coins du monde, que Glitter Faraday, au lendemain de la guerre du Vietnam, traîne ses guêtres de rêveur avant de fuir ce pays où le pouvoir va changer de visage pour devenir celui de l’oppresseur. Là où il pensait trouver des combattants jouissant enfin des fruits de leur lutte pour la liberté, il fait la rencontre d’âmes meurtries tout autant que lui, trahies par un pouvoir militaire qui ne supporte aucune entorse à ses diktats. Dans cette Algérie au lendemain de son indépendance si durement acquise, les héros d’hier sont devenus les parias d’aujourd’hui, à l’instar de Houria, sa logeuse, qui a vu ses mains et ses rêves brisés, et de Sellam, ce poète amoureux d’une Algérie libre, reclus dans une cave en raison de ses idéaux, qui lui remettra son précieux manuscrit avant de mourir sous les yeux de Glitter Faraday, dans une sombre ruelle, sous les coups du régime en place.
Lire aussi : Un road trip entre Alger et l’Amérique: parution de «À la recherche de Glitter Faraday», de Kebir Mustapha Ammi
Ce manuscrit, c’est précisément celui que recherche intensément le narrateur... Le retrouver relève d’un enjeu existentiel que le lecteur ne comprendra qu’à la toute fin du roman. Qui est ce mystérieux narrateur? Retrouvera-t-il l’objet de sa quête? Quel impact cela aura-t-il sur le cours des choses? Et enfin, pourquoi tous les chemins mènent-ils à Glitter Faraday?
«À la recherche de Glitter Faraday » est un roman sur les hommes, ce qui les divise et ce qui les unit, dans ce qu’ils ont de meilleur et malgré le pire dont ils sont capables. Des États-Unis à l’Algérie, deux pays que l’auteur maroco-algérien né à Taza connaît bien, l’histoire s’écrit sur deux lignes parallèles qui se rejoignent inexorablement. Car d’un continent à un autre, les injustices nourries de violences meurtrières ont fait couler le sang, sans pour autant parvenir à briser les rêves.
«À la recherche de Glitter Faraday», de Kebir Mustapha Ammi. Éditions Project’îles. À paraître en juin 2023 au Maroc
Rédigé le 18/06/2023 à 19:06 dans Alger, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Ferrandez est né en 1955 à Alger dans le quartier de Belcourt, ce quartier qui a vu grandir le jeune Albert Camus. Le dessinateur n’a aucun souvenir de ses premiers mois en Algérie, mais cette coïncidence, cette proximité avec le Prix Nobel de littérature l’a probablement incité à chercher à comprendre ce pays qui les a vu naître. Il écrivait en conclusion de Entre mes deux Rives (1) :
« Je suis comme un enfant trouvé de la Méditerranée, ballotté d’un bord à l’autre. Je suis né sur la rive sud, j’ai vécu sur la rive nord. Les deux m’appartiennent. J’appartiens aux deux ».
Sa rive nord, Nice en l’occurrence, sera notamment l’univers de Giono (voir Le Chant du monde). Sa rive sud sera celle de Camus et de sa série Les carnets d’Orient, entamée en 1986, composée de dix tomes (cinq initialement prévus) qui est devenue une BD de référence présente dans les bibliothèques des bédéphiles, comme dans de nombreuses écoles, voire universités. Ferrandez a su, dans cette saga familiale, transmettre d’abord la lumière, celle qui éclaire à jamais la baie d’Alger, la blancheur aveuglante de la Casbah. Et par des histoires individuelles qui recoupaient la grande histoire, il a offert une multiplicité de points de vue qui expliquent des destins collectifs algériens et français de 1830 à 1962. Octave, Saïd, Noémie, Samia pour expliquer la colonisation, les massacres de Sétif, la guerre d’indépendance.
Dans la dernière page de Terre Fatale, ultime ouvrage paru en 2009, Octave promettait à sa mère, sur le quai du départ du port d’Alger en 1962, « Oui on retournera. Je te le promets ». Il aura donc fallu à Ferrandez, douze ans pour tenir la promesse de son personnage et reprendre l’histoire là, où elle s’était arrêtée : l’indépendance algérienne.
Plus exactement, la BD commence avec le Hirak, le 37e vendredi consécutif de manifestation depuis le 22 février 2019, un saut complet pour dire hier et aujourd’hui.
« Je voulais démarrer avec le Hirak, parce que c’est l’élément saillant qui permet de reconsidérer toute cette histoire de l’Algérie contemporaine ».
Ce sont deux chauffeurs de taxis, comme porte-paroles de la population, à plus de cinquante ans d’écart qui vont servir de témoins relais pour expliquer l’après indépendance. Nous sommes en terrain connu, des prénoms ressurgissent, mais le format est différent et la structure narrative de l’histoire se morcèle en épisodes de vie de différents personnages permettant, à chaque fois, à Ferrandez d’exposer les multiples points de vue. C’est, avec la beauté de son dessin, léger et bleu comme l’air de la méditerranée, l’autre qualité essentielle du dessinateur : exposer des situations les plus complexes de la manière la plus simple, sans manichéisme, ni parti pris.
Deux temps forts sont privilégiés : le coup d’État de Boumédiène en 1965, et les manifestations réprimées de 1988 qui annoncent la montée du Front Islamique du Salut (FIS). Avec l’éclairage de ces deux évènements majeurs, la situation algérienne post coloniale apparait clairement, situation qui fait dire à un personnage citant Danton:
« En révolution, le pouvoir reste toujours aux mains des plus scélérats ».
En peu de pages, Ferrandez réussit à évoquer notamment la situation des femmes, le volontarisme des « pieds rouges », ces Français venus aider le gouvernement socialiste naissant par opposition aux « Pieds noirs », les Harkis, les « Nord-Africains » devenus « Algériens » dans le bidonville de Nanterre. Les pièces d’un puzzle historique et sociologique se mettent en place dans une construction chronologique éclatée, mais parfaitement fluide.
Aussi, et surtout, sans aucune caricature, l’auteur met au grand jour les multiples contradictions auxquelles chacun dans son camp doit faire face. Pour ce faire il utilise des personnages connus dans les albums précédents et en créé de nouveaux qui agissent comme des révélateurs de ces contradictions historiques. Privilégier la démocratie ou abattre l’islamisme extrême ? Aider les femmes algériennes à se libérer en s’asservissant soi-même ? Accepter la présence cachée de la France ou admettre l’implantation des pays de l’Est ? La liste est infinie et vertigineuse. L’ouvrage s’arrête en 1992 avec la mort du président Boudiaf et la lutte de l’armée contre les Islamistes vainqueurs des élections de 1991. Un deuxième tome en préparation racontera la suite qui confirmera certainement la nouvelle place importante accordée aux femmes qui ne sont « plus juste celles dont les hommes tombent amoureux ».
En gardant ses qualités de conteur, Ferrandez demeure un formidable passeur historique qui pour la première fois se dessine en couverture sous les traits d’un personnage de fiction. Comme un lien entre les « deux rives », lui, quittant provisoirement la rive nord pour mieux comprendre la rive sud. Où il est né.
(1) Entre mes deux rives de Jacques Ferrandez. Editions Mercure de France. 2017. À lire absolument pour en savoir plus sur l’auteur.
https://www.unidivers.fr/bd-suites-algeriennes-jacques-ferrandez/
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Rédigé le 29/05/2023 à 19:26 dans Alger, Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le président Abdelmadjid Tebboune clôture ce mercredi 24 mai une visite d’Etat de trois jours au Portugal entamée lundi, d’où il a lancé de nombreux messages.
Une visite à enjeux multiples dans le contexte mondial et régional actuel qui suscite des réactions hostiles au Maroc où elle est suivie avec un intérêt particulier de la part des médias.
La visite du président algérien au Portugal était peut-être prévue de longue date, mais ce n’est qu’à la dernière minute qu’elle a été annoncée.
Ces derniers mois, la presse et la communication officielle ont plutôt évoqué régulièrement les visites programmées du président à Paris et Moscou. Cette visite au Portugal était complètement inattendue pour l’opinion publique et les observateurs.
La visite traduit la nouvelle stratégie de la diplomatie algérienne, qui est de privilégier le renforcement du partenariat avec les pays qui entretiennent de bonnes relations politiques avec l’Algérie et de mettre les atouts économiques du pays au service d’une plus grande influence politique et stratégique.
Cela a été notamment le cas avec l’Italie avec laquelle il y a eu un échange de visites de haut niveau depuis 2021, une multiplication des investissements italiens en Algérie et des contrats supplémentaires de production et de fourniture de gaz.
Le niveau du partenariat économique avec l’Italie est plusieurs crans au-dessus, mais les relations politiques de l’Algérie avec le Portugal ont toujours été également bonnes.
Elles sont aussi ancrées dans l’histoire. A plusieurs reprises, le président Tebboune a rappelé le soutien de l’Algérie indépendante à l’opposition démocratique à la dictature portugaise dans les années 1960 et au début des années 1970.
Une forte délégation d’opérateurs économiques algériens a accompagné Tebboune à Lisbonne et des annonces ont été faites de part et d’autre pour un renforcement significatif du partenariat entre les deux pays.
Cette visite à Lisbonne survient dans un contexte de crise entre l’Algérie et l’Espagne, voisin immédiat du Portugal.
Si rien ne va aujourd’hui avec Madrid, c’est à cause du revirement historique du gouvernement de Pedro Sanchez sur la question du Sahara occidental en mars 2022.
L’Algérie a depuis procédé à la suspension du traité d’amitié et de bon voisinage et les échanges commerciaux hors hydrocarbures entre les deux pays. Les pertes engendrées par ces mesures pour les entreprises espagnoles sont colossales.
Visite de Tebboune au Portugal : un « cauchemar » pour le Makhzen
Lorsque les pays de la rive sud de la Méditerranée ont sollicité de l’Algérie d’augmenter ses flux de gaz, après le déclenchement de la guerre en Ukraine, Alger avait clairement exprimé sa préférence pour l’Italie au détriment de l’Espagne, et c’est ce qui a été fait.
A Lisbonne, le président Tebboune et son homologue portugais Marcelo Rebelo de Sousa ont réaffirmé leur attachement au traité d’amitié qui lie les deux pays depuis 2005.
Le sens du message ne peut pas échapper à Madrid où la pression va crescendo sur le gouvernement de Pedro Sanchez pour l’amener à « réparer » les dégâts qu’il a occasionnés à la relation avec un partenaire important.
Comme lors des visites échangées avec l’Italie, les responsables algériens et portugais ont mis l’accent sur la « convergence de vues » sur les questions de politique internationale dont celle, importante pour toute la région, du Sahara occidental.
Le président de Sousa a rappelé la position « constante » de son pays qui est de soutenir « le rôle des Nations Unies et leurs résolutions vis-à-vis de la question du Sahara occidental » et d’œuvrer à « réaliser les principes de la démocratie en la matière ».
Le Portugal reste donc loin de la ligne adoptée par l’Espagne sur le Sahara occidental et qui a poussé l’Algérie à geler le traité d’amitié avec ce pays.
Si, à Madrid, cette visite du président algérien peut accroître les regrets, à Rabat, elle fait fulminer.
Elle constitue une démonstration supplémentaire des trajectoires opposées prises par l’influence algérienne et marocaine sur la scène internationale ces derniers mois, d’où toutes ces réactions hostiles qu’elle suscite dans la presse marocaine qui tente de donner une autre dimension à une vidéo montrant deux ou trois personnes en train de tenter de chahuter la visite. À Alger, on soupçonne la main du Maroc.
« Ce sont des mercenaires marocains qui ont tenté en vain de chahuter la visite du président Tebboune au Portugal. Tout s’est très bien déroulé », affirment nos sources.
Il est aussi curieux que les mêmes relais médiatiques diffusent, alors que Tebboune se trouve à Lisbonne, un faux enregistrement dans lequel des propos peu amènes sur l’Algérie sont attribués au président français Emmanuel Macron.
La parodie, de piètre qualité, sent l’amateurisme. La visite de Tebboune au Portugal a suscité en tout cas un intérêt inhabituel dans les médias marocains, et ce n’est pas sans raison.
Ces médias réputés proches du palais royal prennent la précaution de ne pas critiquer le Portugal, mais ils tentent par tous les moyens de diminuer de l’importance de la visite de Tebboune dans ce pays.
Après l’Espagne, la cible du Maroc était le Portugal, qu’il voulait voir emboîter le pas à Madrid sur la question du Sahara occidental. C’est dans cette optique que s’inscrit la visite effectuée il y a deux semaines au Portugal par le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch.
Avec l’Espagne, le Maroc a eu recours à un long chantage à la « bombe migratoire » et un marchandage sur les enclaves de Ceuta et Melilla.
Avec Lisbonne, il n’a pas autant de leviers et c’est l’Algérie qui semble avoir actionné les siens, moins bruyants, mais autrement efficaces. En somme, la diplomatie algérienne vient de réussir un coup d’éclat par cette visite de Tebboune au Portugal, qui tourne au cauchemar pour le Maroc.
Ryad Hamadi
https://www.tsa-algerie.com/pourquoi-la-visite-de-tebboune-suscite-des-reactions-hostiles-au-maroc/
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Rédigé le 24/05/2023 à 15:46 dans Alger, Maroc, Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
Qu’advient-il lorsqu’on naît à Ajaccio, de père et mère corses, qu’on grandit à lger où l’on passe ses vingt-deux premières années, pour se retrouver à Tours et à Paris où s’échafaude une carrière universitaire et se bâtit un destin ? C’est cette triple appartenance — Corse, Algérie, France —, disons même ces trois identités, auxquelles s’ajoute un attachement sentimental et culturel à l’Espagne, que l’on découvre dans les pages du livre de Jean-Pierre Castellani. Un livre qu’on lit en partageant l’émotion de son auteur, qu’on soit corse, algérien ou « français de France » — comme aime à dire Leïla Sebbar, qui en signe, en grande empathie, la préface. Un ouvrage qu’on pourrait qualifier de testamentaire et qui vient couronner la riche bibliographie de cet universitaire et brillant hispaniste, par ailleurs vice-président de la Société internationale d’études yourcenariennes. On retiendra parmi ses œuvres Goodbye Rabelais ! Figures libres & Yourcenar, Almodóvar et Umbral (éditions Samuel Tastet, 2006), Portraits de Corse, figures emblématiques de la Corse d’aujourd’hui (éditions Colonna, 2016) ou Une enfance corse (avec Leïla
Sebbar, Bleu Autour, 2010).
Mais, primordialement, hommage est rendu aux siens, et ce livre est dédié à Jean-Mathieu et Julie, ses parents corses, instituteurs exemplaires — Hussards noirs de la République, comme on les surnommait pour leur dévouement militant à l’instruction publique — pour qui il consacre un magnifique chapitre sur sa Corse natale et ce village de montagne aux maisons grises qui fut celui de ses vacances et qui représente, certes, son ancrage ancestral :
« LA CORSE A TOUJOURS REPRÉSENTÉ, À MES YEUX, LE TERRITOIRE BÉNI DE L’ENFANCE, DES VACANCES AU VILLAGE, DE L’INSOUCIANCE, MAIS AUSSI UN DÉNI DE L’HISTOIRE DANS LA MESURE OÙ LES CORSES TROUVAIENT AILLEURS LES VOIES DE LEUR DESTIN. »
Tout est dit en cette phrase lapidaire, et l’auteur ne manque pas d’aborder le mouvement Riacquistu, qui signifie « la réappropriation de tout ce qui s’était perdu avec le temps », tout comme il évoque le destin singulier de Pasquale Paoli, le père de la patrie, U Babbu di a Patria, ce qui l’amènera à cette conclusion, englobant tout à la fois la Corse et l’Algérie : « Toute utopie est donc vouée à l’impasse », ce qui ne l’empêche pas de formuler ce vœu pieux : « Il faut toujours essayer de retrouver ce que l’on croit avoir perdu… il faut toujours partir à la recherche de ses utopies perdues… »
Et c’est la raison d’être de ce livre où Castellani traite, pour l’essentiel, de l’Algérie, le pays de sa jeunesse. Fidèle en cela à la leçon de Marguerite Yourcenar, autrice vénérée à l’égal de Cervantès et d’Albert Camus, ses dieux tutélaires, et qui, comme eux, lui apprend à voir le monde et guide son regard : « La vie est atroce : nous savons cela. Mais précisément parce que j’attends peu de chose de la condition humaine, les périodes de bonheur, les progrès partiels, les efforts de recommencement et de continuité me semblent autant de prodiges qui compensent presque l’immense masse de maux, des échecs, de l’incurie et de l’erreur. »
Le voilà donc ce jeune homme qui, alors que la terreur s’est abattue sur Alger et que des bombes explosent aux portes mêmes des Facultés — à l’Otomatic, au Milk Bar, au Coq Hardi et, plus haut, au Casino de la Corniche —, massacrant ou mutilant la jeunesse, se range aux côtés d’Albert Camus l’humaniste qui viendra à Alger plaider pour la trêve de l’ignoble engrenage attentats-répression, et pour une solution de partage qui réparerait l’injustice et satisferait à la justice. Et là, parmi ses condisciples exaltés prêts à en découdre et à s’armer de violence à l’encontre de celui qui représente alors la plus grande voix de l’Algérie et de la France mêlées, Jean-Pierre Castellani se dresse et hurle : « On ne touche pas Camus ! », désarmant les factieux. Plus tard, il reconnaîtra en la voix algérienne de l’autrice francophone Maïssa Bey, elle qui voulait avoir « les yeux de Camus », le son même de l’humanisme et de la grandeur de l’auteur de L’Étranger : « Tous les textes de Maïssa Bey sont traversés du même amour et de la même passion de l’Algérie que ceux de Camus. »
Et l’hommage qu’il rendra à cette romancière, bientôt relayée par Kaouther Adimi, jeune autrice inspirée de Nos richesses, est aussi témoignage amoureux et passionnel envers la terre de son enfance dont les écrivains, finalement, se hissent très au-dessus de l’Histoire et de ses médiocres cahots ou ses sanglantes erreurs.
Tout au long de ce livre, que ce soit dans la première partie ou dans les « Cahiers algériens » qui le complètent, nous ne cessons avec le scribe de parcourir la ville aimée. Depuis les hauteurs de la ville où il habitait jusqu’à ce port et sa darse populeuse : là, les cinémas dont Jean-Pierre, vingt ans après, est capable encore de dresser la longue liste (de trente et quarante salles obscures), les salles de spectacle dont ce Majestic aux 4000 places où triomphait sur le ring Marcel Cerdan, l’idole des jeunes sportifs, et où se produisit, à ses débuts, Jacques Brel. Et puis la piscine du RUA, le Racing Universitaire d’Alger, le club d’Albert Camus (qui jouait gardien de but), le sien aussi. Et ces immeubles haussmanniens qui bordent la plus belle baie de la Méditerranée. Et la mystérieuse Casbah aux rues déglinguées. Les retours après l’Indépendance sont exaltants, certes, mais aussi souvent douloureux tant tout est pareil et tellement différent, à l’exception de ce ficus dans la cour de l’école Volta, de somptueuse architecture — « la luxueuse Villa Saulière » —, où l’enfant qui reste en lui fait éclater en larmes l’adulte advenu : « En 2006, mon retour dans la c
Mais l’Algérie d’après l’Indépendance connaît bien des convulsions qu’il n’entend pas occulter, à commencer par la guerre civile des années 90 qui entraîna un autre exode, de tant de jeunes Algériens prometteurs qui surent retrouver en France leurs aînés exilés, qu’on appelait, non sans mépris, des « pieds noirs » (que le maire de Marseille en 1962, voulait rejeter à la mer !). Castellani porte comme une épine au cœur l’affectation, après l’Indépendance, de son glorieux père, instituteur modèle, dans l’académie de Lille, et on en a connu bien d’autres que l’on entendait envoyer le plus au nord possible de l’hexagone, en pensant ainsi les humilier ou les punir, mais de quelle faute ? Celle d’avoir servi comme nuls autres, la langue et la culture française ? « Quand mon père »rentra’’ en 1962, il perdit son école plus que l’Algérie. Il refusa une affectation à… Lille, qu’il interpréta à juste titre comme une humiliation de la part d’un État bien ingrat. »
Mais, pour la bonne bouche, on retiendra cette phrase qui résume ce séjour « en Alger » (comme on disait alors) :
« MES SOUVENIRS D’ALGER SONT ESSENTIELLEMENT LIÉS À DES IMPRESSIONS SENSUELLES, COMME CELLE DE LA LUMIÈRE AVEUGLANTE DE LA BAIE D’ALGER, LA VISION ENCHANTERESSE DE LA VILLE BLANCHE, UN MÉLANGE ENIVRANT D’AFRIQUE ET D’OCCIDENT ».
Mais qu’est-ce qui n’a pas marché, qui a foiré dans cette coexistence des deux communautés — qui, rappelons-le, siégeaient dans deux collèges différents à l’Assemblée Algérienne : les Européens, comme on disait, ayant seuls le pouvoir de décision quand les Indigènes, ainsi appelés, n’avaient que celui d’être consultés —, et pourquoi ce qui a pu se produire aux Amériques, un éventuel melting-pot, n’a-t-il jamais affleuré l’Algérie française ?
Castellani, fort judicieusement, montre du doigt l’échec du métissage. Chacun restait sous sa tente, et même au sein de ce qu’on appelait les Provinces de France, on voyait, par exemple, les Catalans se marier entre eux, et aussi les Corses, certes, et même les Poitevins. Chaque année se célébrait, dans la salle Pierre Bordes que Castellani revisite saisi d’émotion, la fête de ces communautés coloniales et chacune avait à cœur d’affirmer sa personnalité : ici l’on dansait la sardane, là se produisaient les Bretons avec leur chapeau rond, ici on dégustait le broyé du Poitou, là on chantait les Allobroges. Et Castellani, remontant au plus haut de la colonisation conclut, en amer regret : « À partir de ce moment, deux peuples vont vivre et cohabiter, l’un à côté de l’autre… Deux civilisations radicalement différentes se développent. Il n’y eut pas de génocide comme en Amérique Latine, mais l’on ne vit pas non plus l’apparition d’un nouveau peuple métissé. C’est peut-être là que naît le problème algérien, qui ne se résolut que dans la victoire de l’un sur l’autre. »
Au terme de cette attachante lecture, de cette réflexion si pleine de justesse et de profondeur, qui éclaire, bien plus que tant de livres d’histoire, le véritable visage de l’Algérie et l’ampleur de la déchirure, le chroniqueur qui partage avec l’auteur pareille éducation et même patrie éclatée, ne peut que répéter cette phrase corse emblématique qu’une lointaine promise de son pays natal lui adressa le jour précédant la chute, et alors que les fruits ne purent passer la promesse des fleurs, pour toutes ces raisons admirablement mises au jour par Jean-Pierre Castellani : ti tengu caru… Je t’aime, et le rideau tomba.
Rédigé le 23/05/2023 à 21:35 dans Alger, Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Un film algérien qui porte sur la période qui précède la colonisation française, c’est déjà un événement. Par les thèmes abordés, La dernière reine a soulevé un grand débat sur l’histoire du pays, même si les Algériens attendent encore de savoir s’il sera projeté dans leur pays.
Nous sommes en 1516. Enhardie par la chute du dernier royaume musulman de la péninsule (Grenade, 1492), l’Espagne entend désormais dominer l’Afrique du Nord en contrôlant un chapelet de ports maghrébins. Alger, comme Bejaïa, Ténès ou Cherchell (autant de villes antiques) est sous la menace immédiate des troupes espagnoles et de leur puissante artillerie. Salim Toumi, le roi de la ville, n’a pas d’autre choix que de faire appel aux corsaires qui sillonnent l’« Akdeniz », la « Mer blanche » selon la désignation turque de la Méditerranée1 pour leur propre compte et, accessoirement, pour celui du souverain ottoman. C’est à la fois un conflit traditionnel entre l’envahi et l’envahisseur, mais c’est aussi une bataille religieuse entre musulmans et catholiques.
Voilà le point de départ de l’intrigue de La Dernière Reine (Al-’Akhira), un film au souffle épique d’Adila Bendimerad et de Damien Ounouri. Vétéran des batailles navales et de la course en Méditerranée, Aroudj Barberousse, dont le rôle est campé par Dali Benssalah, libère donc Alger, mais s’imagine très vite en souverain de la cité. Face à lui se dresse la reine Zafira (Adila Bendimered), l’une des épouses du défunt Toumi, assassiné. Isolée dans un monde d’hommes et de traditions patriarcales, elle tente de préserver son fils et la lignée monarchique qu’il représente. L’intention est manifeste. C’est certes un film d’action — rehaussé par la qualité des costumes et une approche décomplexée vis-à-vis de la langue (les personnages alternent l’arabe classique et la darja) —, mais c’est aussi un film puissamment féministe, même si l’image masculine, marquée par l’omniprésence de la violence, aurait gagné à être plus nuancée.
Pour autant, et à bien des égards, La Dernière Reine est une véritable réussite cinématographique et constitue même un tournant majeur dans la production filmographique algérienne. En effet, c’est l’une des toutes premières fois que l’action concerne un épisode historique n’ayant rien à voir avec la période coloniale française (1830-1962), la guerre d’indépendance (1954-1962) ou les péripéties parfois sanglantes ayant suivi l’indépendance. Les historiens y trouveront peut-être à redire — nul ne sait vraiment si la reine Zafira a vraiment existé —, mais il ne fait nul doute que ce long métrage ouvre la voie à de nouveaux imaginaires et contribue ainsi à l’élaboration d’un roman national algérien jusque-là sous la férule des discours officiels et des omissions délibérées. Dans une société qui demeure profondément marquée par la présence française et ce qu’elle a imposé comme aliénation, notamment linguistique, mais aussi mémorielle, le film est un puissant appel d’air à une exploration fictionnelle de l’histoire médiévale de l’Algérie. Nombreux sont ainsi les Algériens qui n’ont qu’une vague idée des dynasties qui se sont succédé jusqu’à l’arrivée des Ottomans. Comment vivait-on au début du XVIe siècle à Alger ? Les travaux d’historiens à ce sujet ne manquent pas, mais leur traduction en œuvres artistiques destinées au grand public est rare, pour ne pas dire inexistante.
Le film offre à ce sujet quelques enseignements. Entre cités, c’est un jeu d’alliances et de rivalités auxquelles participent les puissantes confédérations tribales de l’intérieur des terres. En 1516, des ports comme Alger sont aussi des lieux cosmopolites où règne l’islam, mais où il n’est pas rare d’y croiser d’anciens esclaves européens convertis. On parle l’arabe, mais aussi le berbère, l’espagnol et diverses langues méditerranéennes. Les corsaires d’origines diverses, qui vont du port marocain de Salé à l’île de Djerba et n’hésitent pas à razzier les côtes européennes, sont eux-mêmes les pièces d’une gigantesque mécanique de recomposition géopolitique où l’empire ottoman joue l’un des premiers rôles.
Habituellement, dans la perception algérienne — du moins dans celle que restituent les manuels scolaires et le discours officiel —, Aroudj et ses frères de mer furent avant tout des sauveurs bienvenus. Des sauveurs d’autant plus célébrés qu’ils étaient musulmans et qu’ils servaient un pouvoir musulman (l’empire ottoman). La Dernière Reine se distancie quelque peu de cette vision manichéenne des choses. Des sauveurs, certes, mais aussi des régicides et, in fine, de nouveaux maîtres. Quelques esprits chagrins ont donc critiqué cette vision des événements, notamment l’image négative dont le film affuble les corsaires dépeints en êtres frustes, sanguinaires et opportunistes. Certains ont rappelé qu’Aroudj — Oruç Reis de son nom turc — et ses frères sont considérés comme étant des héros par la Turquie moderne (plusieurs vaisseaux de la marine turque portent leur nom). Mais qu’est-ce qu’un corsaire si ce n’est un pirate qui pille pour la bonne fortune du monarque ?
En arrière-plan pointent deux choses. D’abord, le rapport complexe que nombre d’Algériens entretiennent avec la fiction. Trop souvent cette dernière n’est jugée acceptable que si elle respecte la vérité historique. Question simple : quelle est donc cette vérité et qui en décide ? Cette interrogation est loin d’être insignifiante, car elle influe directement sur la création artistique. Ensuite, il y a cette question qui fait parfois polémique en Algérie, surtout lorsqu’il prend à Recep Tayyip Erdoğan, le président turc, de critiquer le colonialisme français et de se comporter comme si son pays détenait encore une tutelle symbolique sur les pays du Maghreb, du moins l’Algérie et la Tunisie : quel regard l’Algérie contemporaine doit-elle avoir à l’égard des Ottomans et donc, des beys et des deys qui furent l’incarnation de leur pouvoir ?
Par certains côtés, La Dernière Reine montre bien que les élites algéroises de 1516 espéraient préserver leur indépendance. Le pouvoir installé par Aroudj, auquel succèdera son frère Kheireddine, gardera lui-même une certaine indépendance à l’égard de la Sublime Porte en affichant une allégeance de pure forme ; mais qu’en était-il vraiment des rapports entre cette Régence et la population algérienne ? Les Ottomans n’étaient-ils que des protecteurs musulmans bienvenus contre les puissances européennes (et donc chrétiennes) ou étaient-ils des maîtres dont la confession ne saurait faire oublier qu’ils venaient d’ailleurs ? Les successeurs d’Aroudj et de Kheireddine poursuivront effectivement leur combat contre les Espagnols — ce qui vaudra à l’illustre Cervantès, alors qu’il était encore soldat, d’être fait prisonnier et de passer cinq années de détention à Alger (1575-1580). Mais les souverains de la Régence surent aussi se montrer impitoyables contre les tribus de l’intérieur qui refusaient de payer l’impôt. La mémoire collective de certaines régions d’Algérie garde à ce sujet le souvenir de leurs expéditions punitives et des déplacements de population qu’elles imposèrent.
La Dernière Reine a reçu un accueil enthousiaste en France, et nombre d’Algériens espèrent que ce film sera projeté dans leur pays. Les deux réalisateurs ont bon espoir, mais cela n’est guère évident. C’est le paradoxe du renouveau du cinéma algérien. Des films et des documentaires de qualité sont produits chaque année, mais il existe peu de salles pour les accueillir — nombre d’entre elles sont fermées depuis les années noires (1992-2000). S’ajoute à cela une censure tatillonne qui entend préserver les « constantes nationales » et refuse toute interprétation historique qui ne conviendrait pas aux dogmes officiels. Ainsi, le film biographique de Larbi Ben M’Hidi, l’un des fondateurs du Front de libération national (FLN) et protagoniste principal de la Bataille d’Alger (il fut assassiné par le commandant Paul Aussaresses et ses hommes) attend depuis 2018 le feu vert des autorités pour être diffusé. Son réalisateur, Bachir Derraïs ne compte plus les vaines réunions avec les officiels, notamment avec ceux du ministère des moudjahidines (vétérans de la guerre d’indépendance) pour en débloquer la diffusion. Cette censure pesante explique, en partie, pourquoi l’Algérie n’a toujours pas produit « le » film sur la vie de l’émir Abdelkader. Car comment parler de cette grande figure nationale sans prendre le risque d’incommoder tel ou tel courant politique ?
Les maux subis par le cinéma algérien ne s’arrêtent pas là. En avril 2022, le Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique (Fdatic), instrument utilisé pour produire des centaines de films depuis l’indépendance, a été purement et simplement dissous sans qu’aucune solution de rechange ne soit proposée. Et ce n’est pas le projet de loi relatif à l’industrie cinématographique qui rassure les professionnels du secteur. L’un de ses articles en résume la philosophie punitive :
Sans préjudice des sanctions plus graves prévues par la législation en vigueur, est puni d’un emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende d’un million à deux millions de dinars, quiconque, en violation de l’article 4 de la présente loi, finance ou effectue des prises de vue ou produit ou distribue ou exploite des films cinématographiques contraires aux principes édictés par la Constitution ou aux lois de la République ou touchant à la dignité des personnes ou contraire aux intérêts supérieurs de la nation et aux valeurs et constantes nationales.
AKRAM BELKAID
Journaliste et écrivain algérien. Journaliste au Monde diplomatique et membre du Comité de rédaction d’Orient XXI,…
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/la-derniere-reine-ou-la-veine-romanesque-de-l-alger-medieval,6436
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Rédigé le 12/05/2023 à 07:03 dans Alger, Cinéma, Culture | Lien permanent | Commentaires (0)
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