Cet été, l’édition du soir vous propose une plongée dans l’histoire des chansons mises à l’épreuve de la censure. Pour ce cinquième volet, on se penche sur la chanson Le Déserteur, écrite par le romancier et musicien Boris Vian. Longtemps censurée pour son supposé antipatriotisme, elle fait désormais partie du patrimoine de la musique française. Son interdiction puis son autorisation coïncident avec les guerres menées par l’armée française en Indochine et en Algérie.
Voici très certainement l’une des chansons françaises les plus sulfureuses de son temps. Le Déserteur, poème écrit par Boris Vian en 1954 puis mis en musique, a beau avoir été modifié, édulcoré pour mieux plaire aux autorités, il n’a pu échapper à la censure.
Ce texte antimilitariste, contant la volonté d’un jeune homme de ne pas répondre à la mobilisation militaire et rédigé durant les derniers mois de la Guerre d’Indochine, est devenu, au fil du temps, l’un des plus célèbres de son auteur. Par son histoire, donc, mais aussi par sa beauté et son impact politique.
Une version pacifiste
Retour en arrière : en février 1954, l’armée française est définitivement embourbée dans une guerre face au Việt Minh qu’elle ne peut plus gagner, retranchant près de 50 000 hommes dans la vallée de Diên Biên Phu, au nord de l’actuel Vietnam. Quelques jours plus tard, une ultime bataille sanglante verra les forces françaises totalement défaites. En attendant, Boris Vian, déjà auteur des romans J’irai cracher sur vos tombes (1946), L’Ecume des jours (1947) ou encore L’Arrache-cœur (1953), et qui s’est lancé dans une carrière de chanteur, écrit ce poème, Le Déserteur, qui démarre par une phrase devenue célèbre : « Monsieur le président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps. » Il s’achève par une promesse aux « gendarmes », jurant qu’ils peuvent venir le chercher, qu’il sera armé, terminant son texte par : « Et que je sais tirer. »
cette chanson
Marc Robine - Le Déserteur (Version non censurée)
Boris Vian propose Le Déserteur à plusieurs chanteurs en vue, mais tous refusent d’entonner ce brûlot. Si ce n’est Marcel Mouloudji, artiste engagé, qui accepte tout en demandant quelques modifications à Boris Vian. Pacifiste convaincu, il propose notamment de changer les derniers vers, les transformant en : « Si vous me poursuivez / Prévenez vos gendarmes / Que je n’aurai pas d’armes / Et qu’ils pourront tirer », ôtant son arme au protagoniste et supprimant la probable fin violente de cette désertion.
Le jour même où l’armée française est défaite à Diên Biên Phu, à savoir le 7 mai 1954, Mouloudji chante pour la première fois ce texte sur scène avant de l’enregistrer sur disque deux mois plus tard. Malgré l’adoucissement des paroles, et dans un contexte de défaite et de patriotisme exacerbé, le puissant Comité d’écoute radiophonique en interdit la diffusion, empêchant certes son passage sur les ondes, mais pas Mouloudji de l’interpréter une seule fois à la radio, sur France Inter, en octobre 1954.
Huit ans d’attente
En 1955, Boris Vian décide finalement de se réapproprier le texte. Il change quelques paroles précédemment modifiées avec Mouloudji, rédigeant les paroles finales qu’il enregistre au mois d’avril, en 45 tours. Présent sur un album nommé Chansons impossibles, sa diffusion est très limitée par le label Philipps, qui préfère ne pas faire de remous en raison du caractère contestataire du contenu. Rien n’y fait : Le Déserteur version Boris Vian est, comme celle de Marcel Mouloudji, censurée à la radio pour antipatriotisme. Trois ans plus tard, c’est même la commercialisation de l’enregistrement qui est stoppée par les autorités culturelles, Boris Vian devant attendre jusqu’en 1962, et donc la fin de la Guerre d’Algérie, pour voir son ode pacifiste enfin libérée de toute censure. Plus de huit ans après sa rédaction initiale.
J’habite une ville si candide Qu’on l’appelle Alger la Blanche Ses maisons chaulées sont suspendues En cascade en pain de sucre En coquilles d’œufs brisés En lait de lumière solaire En éblouissante lessive passée au bleu En dentelle en entre-deux En plein milieu De tout le bleu D’une pomme bleue Je tourne sur moi-même Et je bats ce sucre bleu du ciel Et je bats cette neige bleue de mer Bâtie sur des îles battues qui furent mille Ville audacieuse Ville démarrée Ville marine bleu marine saline Ville au large rapide à l’aventure On l’appelle El Djezaïr Comme un navire De la compagnie Charles le Borgne
C’EST LA MÊME CHANSON (1/5). On pourrait croire les chansons définitivement gravées, sur un vinyle, un CD ou en streaming. Mais rien n’est plus vivant qu’une chanson. « Le Déserteur » de Boris Vian en est la preuve, depuis près de soixante-
00Boris Vian. (AFP - L’OBS)
Elle n’en finit pas de coller aux basques de l’actualité. Elle raconte l’histoire sans fin d’une humanité qui se déchire, se combat, s’entretue, comme s’il n’y avait rien à apprendre du passé. Elle reste dramatiquement d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en France, en Europe et plus loin encore. Régulièrement, on ressort « le Déserteur » pour dénoncer, comme on hurle dans le désert, l’absurdité de la guerre. Ecrite par Boris Vian (et composée avec Harold B. Berg), elle a été gravée dans le marbre de la Sacem au matin givré du 15 février 1954. Pour Boris Vian, « le Déserteur » n’est ni pacifiste ni antimilitariste. La chanson existe, et c’est l’essentiel, comme un appel à la paix, ce vœu pieux.
Il en existe plusieurs versions, à commencer par celle de Marcel Mouloudji, qui était, pour les amnésiques, auteur, compositeur, interprète, acteur, peintre et écrivain actif au XXe siècle. C’est une première version, plus édulcorée. Mouloudji adresse cette lettre aux « Messieurs qu’on nomme grands », les puissants, qui envoyaient la jeunesse se faire tuer au front, la fin de la guerre d’Indochine (avec la défaite de Diên Biên Phu) et le début de la guerre d’Algérie, pour la seule année 1954, celle de l’appel poignant de l’abbé Pierre à la solidarité.
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En scène, sur les routes, avec sa voix de trémolos, Mouloudji déclame :
« Il faut que je vous dise, les guerres sont des bêtises, le monde en a assez. »
Il ose appeler à la désertion dans un climat extrêmement tendu :
« S’il faut verser le sang, allez versez le vôtre, messieurs les bons apôtres, messieurs qu’on nomme grands. »
Il conclut :
« Si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes, que je n’aurais pas d’armes et qu’ils pourront tirer. »
Mouloudji racontera que le public sera divisé à l’écoute des paroles : ceux qui hurlent au scandale contre ceux qui applaudissent.
Ensuite, parce qu’il y a une suite, Boris Vian lui-même entre en studio pour donner une autre version de son « Déserteur », en avril 1955. Elle s’adresse directement à « Monsieur le président » et appelle à déserter en temps de guerre: « Je mendierai ma vie, sur les routes de France, de Bretagne en Provence, et je dirai aux gens : “refusez d’obéir, refusez de la faire, n’allez pas à la guerre, refusez de partir”. C’est cette dernière version qui sera le plus souvent reprise. A commencer par Serge Reggiani, le comédien qui aura beaucoup chanté du Boris Vian au moment de devenir chanteur sous l’impulsion de Barbara. En introduction, Reggiani récite un « le Dormeur du val » de Rimbaud.
Après ? Après la chanson a tracé son chemin, ressortant des caves de la mémoire si besoin, autrement dit assez souvent. Au milieu des années 1960, le trio folk américain Peter, Paul and Mary l’a reprise sur scène ; comme l’engagée Joan Baez qui, des années 1980 à aujourd’hui, lâche régulièrement sa guitare sur scène pour envoyer a cappella, de sa voix vibrante, cet appel à tous les cessez-le-feu.
Jean-Louis Trintignant, amateur de poésie libertaire, qui de son propre aveu ne savait pas chanter, a récité « le Déserteur », accompagné à l’accordéon par Daniel Mille, cette fois dans une version censurée, et contradictoire, celle dont Mouloudji ne voulait pas, parce qu’elle s’achève par cette parole de résistant, cette menace : « Prévenez vos gendarmes, que je possède une arme et que je sais tirer. »
On trouve aussi, quelque part dans les archives, une version approximative du « Déserteur » par Georges Brassens, qui cherche ses mots au son de l’harmonium. Brassens qui disait de Vian :
« Un temps viendra comme dit l’autre, où les chiens auront besoin de leur queue et tous les publics des chansons de Boris Vian.
Нашият сигнал -1966 година Емил Димитров/Васил Андреев
728 376 vues16 juin 2016
Муз. Емил Димитров, Текс: Васил Андреев, Аранж: Емил Димитров, Продуцент: Емил Димитров Това е първата версия на "Нашият сигнал" - втората песен композирана от Емил Димитров през 1964 година
Sylvie Vartan ( La Maritza / Retour en Bulgarie )
LA BULGARIE DE SYLVIE VARTAN / INVITATION AU VOYAGE / ARTE
Après la mort de Nahel, de nombreux rappeurs ont pris la parole pour exprimer leur soutien et leur colère. « L’Obs » revient sur une relation complexe et incendiaire entre scène rap et forces de l’ordre.
Depuis plus de tente ans, le rap se fait le rapporteur d’un brutal ressentiment dans les quartiers populaires et dénonce une faiblesse persistante des réponses politiques face au racisme et à de violentes pratiques policières. Tandis que le mouvement de révolte se cristallise et s’étend même à la Belgique et à l’outre-mer, focus sur le rôle central des rappeurs dans la prise de conscience autour des violences policières.
Des réactions en chaîne de Jul, SCH…
Leur inimitié à l’égard des forces de l’ordre est de notoriété publique et les rappeurs, depuis la création du mouvement hip-hop, tentent d’éveiller les consciences sur des pratiques policières qu’ils jugent alarmantes. Lorsque surgit un nouveau drame impliquant la police, les personnalités de la scène rap – souvent issues des banlieues – sont parmi les premiers à réagir. Après le décès du jeune Nahel mardi 27 juin, de nombreux rappeurs ont pris parole, outrés par la violence des images diffusées.
Parmi eux, Jul, qui a posté sur Instagram un message de soutien, accompagné d’un lien vers une cagnotte en l’honneur de celui que l’artiste Marseillais appelle « le petit frère ». Un moyen de montrer son soutien à la famille du garçon qui figurait sur son clip « Ragnar », tourné en février 2023 à Nanterre. Dans la foulée, c’est SCH qui s’est fendu d’un message révolté sur Twitter, dénonçant le manque d’« humanité » de certains internautes. Présent sur la scène rap depuis presque trente ans et habitué des prises de paroles polémiques, Booba a quant à lui tenu à répondre à Eric Zemmour, condamnant sur Twitter un geste aussi extrême qu’incompréhensible, symptomatique d’un pays qui « va très mal ».
Twitter - Booba on Twitter
Jeudi 29 juin, une marche blanche était organisée à Nanterre en mémoire de l’adolescent. Dans le cortège, de nombreux rappeurs, à l’instar de Mokobé (membre fondateur du groupe 113), Médine ou encore Dinos. Le rappeur du Val-de-Marne Rohff – qui avait déjà exprimé son choc sur Twitter – était également présent sur plusieurs séquences vidéo tournées en compagnie de la mère du défunt, Mounia. En légende : « Le peuple est avec toi Mounia. Ça fait mal. C’est trop pour une Maman #justicepourNahel ».
Twitter - ROHFF on Twitter
Presque vingt ans après son cri d’alerte contre la marginalisation des quartiers dans « Je revendique », Kery James s’est une nouvelle fois placé en fervent opposant aux violences commises par les policiers. Sur Twitter, le rappeur a relayé quelques lignes rédigées de sa main en 2005, lors des émeutes qui avaient frappé le pays après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. Constat d’une situation similaire et en pleine détérioration.
Twitter - KERY JAMES on Twitter
Inaction sociale dans les banlieues, oppression, racisme, phénomène de ghettoïsation… autant de thèmes qui émaillent et façonnent le discours du monde du rap.
« Faut combien de morts ? »
« Ils veulent pas que ça brûle comme en 2005, pourtant, ils font les mêmes erreurs. » En 2019, c’étaient avec ces mots que SCH et Ninho évoquaient la mort de Zyed et Bouna dans le morceau devenu prophétique « Prêt à partir ». Porte-étendard de la lutte contre la violence dans les banlieues, le rap français a, depuis ses origines, interrogé l’opinion et lutté pour une mise en valeur des zones délaissées par le pouvoir politique. Dans les quartiers populaires où règne parfois le sentiment que rien ne change, résonnent entre les murs les mots de Dinos sur le morceau « 93 mesures » (2020) : « Un peu innocent, un peu coupable, chaque contrôle de police me rapproche de mon feat avec 2Pac » ou ceux de Niro dans « #EF4 Testament Remix » (2019) :
« Et les violences policières, faut faire quoi pour les voir cesser ? Faut combien de morts ? Combien d’insultes à encaisser ? Toujours acquittés, affaires non élucidées, ils disent qu’on s’est suicidé. »
En juin 2022, le collectif S-Crew, emmené par Nekfeu, faisait sensation avec son clip « 22 » s’en prenant directement à la BAC (Brigade anticriminalité). En caméra embarquée dans une voiture de police, les quatre membres du groupe parisien relataient une course-poursuite ténébreuse mettant en exergue les agissements du service de la police nationale. Actualisation d’une parole qui, depuis des décennies, dénonce un système policier.
En France, cette conception politisée du rap a conduit de nombreux artistes à participer à des manifestations, ou à servir de tampon entre jeunes et forces de l’ordre à l’image de Fianso – médiateur à son corps défendant – à la suite de l’affaire Théo. Mais bien avant lui, d’autres ont voulu honorer la devise aux sources du hip-hop : « Peace, Unity, Love and Having Fun ».
Dans les années 1990, le rap encore bourgeonnant intrigue autant qu’il incommode la classe politique. Les condamnations se succèdent pour NTM ou Le Ministère A.M.E.R. (« Sacrifice de poulets », en 1997) au moment où la jeunesse de banlieue se reconnaît dans cette musique et que se cristallise une identité propre d’appartenance aux cités. Tandis que certains dénoncent déjà les violences policières (Assassin ou Kery James reviennent sur la mort de Malik Oussekine) l’opposition à l’institution fait émerger deux scènes, entrant dans le combat chacune à sa manière.
D’un côté, les rappeurs dits « conscients » (Sniper, Scred Connexion, Fonky Family), véritables journalistes des banlieues luttant contre les clichés sur leurs quartiers. Ils chroniquent la vie sociale et dénoncent les injustices, en délaissant les insultes gratuites. En s’adressant à tous, ils abordent des thèmes variés (injustice, racisme, immigration, extrême droite), avec le dessein de redonner des repères aux jeunes des quartiers sensibles. Leurs textes, parfois très virulents contre les symboles du pouvoir, ont fait d’eux les porte-voix des couches sociales dont ils sont issus. En 2007 avec « Qui ça étonne encore ? », le groupe La Rumeur évoque par exemple le sentiment de rejet dans une France toujours fracturée après le passage des émeutes de 2005.
D’autres (Suprême NTM, Lunatic, Mafia K’1 Fry) préfèrent aux discours la voie du rap hard-core très critique et revendicatif, rejetant le système économique et social avec des propos violents et explicites. Ces francs-tireurs, particulièrement agressifs vis-à-vis de la police et des institutions, revendiquent une hostilité à l’encontre de la société établie. Leurs textes crus, nihilistes et engagés témoignent de la dure vie des banlieuesInformatif ou vindicatif, le rap a toujours fait retentir la plainte des banlieues concernant les rapports avec la police. Ayant aujourd’hui embrassé les mœurs et revêtu une apparence plus lisse pour répondre aux attentes commerciales, le rap (musique la plus écoutée en France) n’en a pas pour autant perdu de sa dimension contestataire. Dans ce moment de tension extrême que connaît la France, le gimmick d’un film phare de la culture rap, « La Haine », réalisé par Mathieu Kassovitz en 1995, récit d’un fait similaire, résonne comme un écho particulier : « L’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage ».
Capture d’écran floutée de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et montrant la colère de l’ambulancier, le 27 juin 2023 à Nanterre. (TWITTER)
Jugé jeudi en comparution immédiate pour « outrage » à l’encontre d’un policier, l’ambulancier, dont la colère a fait le tour des réseaux sociaux mardi après la mort de l’adolescent, a été dispensé de peine. Son collègue qui a filmé la scène a été relaxé.
D’emblée, il pleure. Pleure à nouveau. Puis pleure encore, emportant dans le flot de ses intarissables larmes la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Juste en bas, ce jeudi 29 juin après-midi, au pied du palais de justice qui jouxte la préfecture des Hauts-de-Seine, plusieurs milliers de personnes convergent. La marche blanche en hommage au jeune Nahel, 17 ans, tué mardi par un policier lors d’un refus d’obtempérer, s’est élancée un peu plus tôt de son quartier Pablo-Picasso.
Marouane D., lui, n’a pas pu s’y rendre. Il est là, traits tirés et air accablé dans le petit box vitré de cette grande salle aux bancs clairs, sans fenêtre, d’où l’on perçoit le bruit de quelques pétards tirés depuis la rue. Bras croisés et polo marine siglé du nom de sa société, il se tient droit à côté de son collègue Amine Z., en veste manches longues portant le même sigle. Leur tenue de mardi, quand ils ont été placés en garde à vue.
Ils sont jugés en comparution immédiate. Marouane D. pour « outrage » à policier. Amine Z. pour « divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser » un policier, l’exposant à un risque d’atteinte. C’est Marouane D. qu’on voit invectiver un policier sur cette vidéo publiée sur le réseau social Snapchat qui a tant circulé, depuis mardi, au point de largement dépasser le million de vues. C’est son collègue qui l’a filmée et diffusée.
« Tu vas voir ! Tu vas payer ! Je vais t’afficher sur les réseaux sociaux ! Tu ne vas plus vivre tranquille, frère ! » énonce en préambule la présidente pour rappeler les propos valant à Marouane D. d’être jugé. L’ambulancier de 32 ans les reconnaît « totalement ». Il pleure.
Sur les images tournées par son collègue, on le voit aussi s’adresser hors de lui en ces termes à un des policiers présents mardi devant l’entrée des urgences de l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre : « Là, tout le monde est en train de dormir, vous allez voir comment Nanterre va se réveiller. Il a 19 ans [en réalité 17 ans], tu vois qu’il a une gueule d’enfant. Pour un défaut de permis ! Pour un défaut de permis, frère !Je le connais le petit, je l’ai vu grandir ! »
« Amalgame »
Mardi matin, Marouane D. vient de déposer un patient quand un ami l’appelle et lui apprend ce qu’il vient de se passer. Il lui envoie la vidéo. Puis Marouane D. apprend que c’est Nahel, qu’il connaît si bien, qui est la victime de ce tir policier. « Pile-poil à ce moment-là, j’arrive aux urgences, je vois un policier avec l’écusson de la brigade motocycliste et il me dit bonjour, explique Marouane D. mais je ne peux pas dire bonjour à quelqu’un qui a tué quelqu’un que je connais. » Il pleure. « Ce n’est que de l’émotion, madame », dit-il en admettant « avoir fait l’amalgame ».
« On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac, poursuit l’ambulancier en se confondant en excuses, j’ai vidé mon cœur, je regrette, je n’ai jamais voulu en arriver là. » Juste après, devant l’entrée des urgences où il doit récupérer un patient, le jeune homme est plaqué au mur, menotté, interpellé. « On m’a dit “t’as menacé de mort notre collègue”, mais c’était l’émotion », repète-t-il sans cesse.
C’est quand l’officier de police judiciaire lui lit ses propos, en garde à vue, qu’il prend conscience de leur teneur. « J’ai dit des choses assez graves quand même, admet-il, mais à aucun moment je n’ai voulu nuire. Je suis quelqu’un de très discret. » Des larmes roulent encore sur ses joues. Père de famille ayant grandi à Nanterre, l’ambulancier apprécié de ses patients et de son employeur présent dans la salle, qui a obtenu son diplôme haut la main avec une note de 19,5, souhaite se racheter. « Je l’ai accusé pour rien, s’il veut que je refasse une vidéo pour m’excuser… » S’il s’est laissé dépasser par son émotion, dit-il aussi, c’est parce qu’il connaissait si bien Nahel, son ancien voisin.
« Nahel, on le surnommait “Michelin” »
« La semaine dernière encore, il était avec ma fille, dit-il au tribunal, ma mère le connaît, mes frères et sœurs le connaissent. » Sa mère gardait Nahel quand il était petit. « Quand il est né, on le surnommait “Michelin” comme le bonhomme parce qu’il était un peu gros », se souvient-il aussi en pleurs. « C’est comme s’il faisait partie de ma famille, c’est comme si on m’avait enlevé mon petit frère », livre-t-il encore. En tant que professionnel de santé, c’est sûr, il aurait dû prendre sur lui : « J’ai dû faire face dans mon métier à des situations difficiles, mais Nahel était vraiment quelqu’un de proche. »
A sa gauche, son collègue Amine Z. est à son tour invité à s’expliquer. « J’ai l’habitude de “snapper” mon quotidien, quand je filme, je ne fais pas exprès, ce n’est pas dans le but de nuire à qui que ce soit », déclare-t-il au tribunal. S’il a filmé la scène, c’est pour « se protéger » : « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de quelque chose que je n’avais pas fait », poursuit-il en affirmant ne pas s’entendre avec Marouane D. et vouloir changer de binôme. « Je suis en insertion, j’ai été addict aux jeux d’argent, j’ai des dettes, j’essaie de m’en sortir en travaillant. »
Ces images, il les a ensuite publiées sur Snapchat « en story privée », soit dit-il à une trentaine de ses contacts. « Je n’aurais pas dû filmer,dit-il, je m’excuse ».« Le problème, c’est que ce qui est sur la toile est indélébile », répond l’avocate du policier, en arrêt de travail depuis, qui défend deux autres agents visibles sur les images, « à un moment un zoom est fait sur le policier, et envoyer ces images à 30 ou 10 000 personnes, c’est la même chose ».
« Conséquences dramatiques »
Le procureur n’est pas convaincu. « Quel intérêt de filmer ? Pourquoi votre première réaction n’est-elle pas de calmer votre collègue ? Et puis filmer pour vous protéger, c’est une chose mais pourquoi diffuser ces images ? Vous saviez, à partir du moment où il était identifié, que cela allait avoir des conséquences dramatiques pour le policier et sa famille. » Le délit reproché à Amine Z., récent, a été créé en 2021 après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Le procureur requiert à l’encontre d’Amine Z. douze mois de prison, à l’encontre de Marouane D. trois mois de prison avec sursis et 600 euros d’amende.
L’avocate de ce dernier, Sarah Mauger-Poliak, elle, n’en revient toujours pas que son client soit là pour cela. « Quand la famille m’appelle et me dit qu’il va être jugé en comparution immédiate, je me dis qu’ils ne sont pas au courant de tout, lance-t-elle à la barre, mais si : il a bien fait 48 heures de garde à vue pour un malheureux outrage qu’il regrette sincèrement. »
A elle, alors, de hausser le ton : « Il est où l’outrage ? C’est “Tu vas voir !”, “Tu vas plus vivre tranquille, frère !” On a combien d’outrages chaque jour ? Quand on connaît l’engorgement des juridictions, s’il fallait venir déférer tous les outrages… » Et d’ajouter : « Fallait-il aussi absolument le menotter ? Ne pouvait-on pas le convoquer ? » Elle demande la relaxe, sinon une dispense de peine.
« Il “snappe” tout »
Sa consœur Mélody Blanc, pour l’autre ambulancier, plaide aussi la relaxe. Pour elle, l’intentionnalité n’est pas caractérisée. « Il “snappe” tout à longueur de journée : ses recettes, ses voyages… Une heure après, quand on lui a dit les proportions que cela prenait, il a supprimé la vidéo. » « Je m’excuse, répète son client, cela va me servir de leçon, je ne savais pas pour la nouvelle loi. »
Son collègue Marouane D. lui emboîte le pas et enchaîne : « Je ne suis pas à l’origine de cette vidéo ni de cet effet boule de neige, dehors on me reconnaît, je n’ai pas les épaules pour cela… Je suis prêt à faire ce qu’il faut pour rétablir la vérité et la dignité de ce policier. »
Le tribunal l’a reconnu coupable, mais compte tenu notamment du contexte et de ses liens avec la victime, l’a dispensé de peine. Son collègue, lui, a été relaxé. Un troisième jeune homme était jugé avant eux pour avoir diffusé, sur Snapchat encore, l’identité et la commune de résidence du policier désormais mis en examen pour le meurtre de Nahel. Avec le commentaire : « C’est le nom de ville du fdp [fils de pute, NDLR] qui a tué notre frère. » Il a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze avec sursis probatoire. A ce moment-là, la marche blanche avait déjà pris fin depuis un moment, une nouvelle nuit de violences débutait.
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