Décidement, la France n’est pas pour rien le pays de la mode : après les années hidjab, les étés burkini, nous voilà donc face à une rentrée abaya.
Après les années hidjab, les étés burkini, nous voilà donc face à une rentrée abaya. Notre connaissance du vestiaire islamique devient encyclopédique : la France n’est pas pour rien le pays de la mode. D’ailleurs, on a vu, la même semaine que la polémique sur ces tuniques longues, le retour remarqué de LVMH, en la figure du contesté Johnny Depp, égérie du groupe de luxe, parmi les annonceurs du « Journal du dimanche » (« JDD ») nouvelle formule. Celui de Geoffroy Lejeune et des batailles culturelles sans fin pour rasseoir les concepts d’une suprématie blanche au rang des théories politiques acceptables. Ce « JDD » qui, selon Sarkozy demeure un bastion du centre droit, même dirigé par le journaliste qui avait fait de « Valeurs » un fanzine zemmourien. Les obsessions identitaires, autrement dit, sont au cœur de notre pacte républicain. Et l’abaya de passer, en quelques cases habilement jouées, d’un magazine d’extrême droite au discours de rentrée du nouveau ministre de l’Education nationale, qui a décidé de l’interdire à l’école.
Les demi-habiles ont dénoncé un contre-feu destiné à masquer des problèmes autrement plus criants, quant à la pérennité du pacte républicain, affectant l’école. Je ne crois plus qu’on en soit là, à dénoncer l’usage politique du racisme et de l’islamophobie. Je crois, en cette affaire, le ministre et son gouvernement parfaitement sincères.
On a répété que l’interdiction de l’abaya allait engendrer des ruptures graves du pacte républicain – car comment distinguer une abaya d’une tunique longue, sinon en habillant celle-ci d’intentions invisibles, ce qui aurait mécaniquement pour conséquence qu’on laissera passer les filles blanches, mais qu’on soumettra les « Arabes » à un interrogatoire poussé sur leurs choix vestimentaires et préférences religieuses. L’Etat, censé garantir la liberté de conscience, vient de réinventer le confessionnal : il prendra place dans les bureaux des proviseurs ou, mieux, par une ironie sordide et vengeresse, dans ces guérites en verre blindé qui protègent désormais les établissements scolaires des intrusions terroristes.
Le président, gêné l’autre jour par les relances de HugoDécrypte, a eu beau insister sur le fait qu’il ne faisait pas de parallèle entre le port de l’abaya et la mort de Samuel Paty, il a néanmoins attribué aux deux événements une cause commune : le mépris des règles de la laïcité.
En colère ou désabusés, les enseignants sont nombreux à regretter que le gouvernement mette l’accent sur l’interdiction de l’abaya à l’école plutôt que sur d’autres sujets tels que la pénurie de professeurs.
Une jeune femme porte une abaya à Nantes, le 31 août 2023. (LOIC VENANCE / AFP)
« Il ne nous manquait plus qu’avoir à faire la police du tissu… »Gilles Vervisch, professeur de philosophie dans un lycée d’Eaubonne, dans le Val-d’Oise, n’arrive pas à voir un quelconque intérêt à l’annonce faite dimanche dernier par le ministre de l’Education Gabriel Attal de l’interdiction de l’abaya à l’école dès le lundi 4 septembre.
A cette date, ce vêtement traditionnel féminin couvrant le corps, porté par certaines élèves musulmanes, sera banni des établissements scolaires publics.
Le ministre a envoyé jeudi 30 août au soir, veille de prérentrée des enseignants, une note de service aux chefs d’établissements au sujet de l’interdiction de l’abaya et du qamis, leur assurant son « devoir absolu d’être toujours à [leurs] côtés ». Pour autant, les professeurs ne sont pas convaincus. Et regrettent que ce sujet occulte de plus importantes problématiques en cette journée de rentrée.
les filles s’habiller comme elles le souhaitent ? »
« Il est nécessaire d’apporter des clarifications sur le respect de la laïcité à l’école », souligne Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-Fsu et professeure de SES dans un lycée de l’Essonne. Pour autant, le sujet n’est pas pour elle « une priorité » en cette rentrée, et elle craint que cette mesure symbolique ne s’avère contreproductive : « Sur le terrain, on se rend bien compte que, dans 95 % des cas, ces situations se dénouent d’elles-mêmes par le dialogue. Ça permet d’éviter que ces élèves et ces familles quittent l’école publique et aillent dans le privé confessionnel. Ce serait alors une véritable défaite pour l’école de la République. »
De son côté, Gilles Vervisch juge cette interdiction « sortie de nulle part ». « L’année dernière c’était le “crop top”, cette année l’abaya… Les vêtements ne doivent être pas trop courts, ni trop longs… Quand laissera-t-on les femmes et les filles s’habiller comme elles le souhaitent ? », s’insurge-t-il. D’autant plus que cette tenue n’est pas considérée par le Conseil français du Culte musulman (CFCM) comme un vêtement religieux ostentatoire.
« Pourquoi aller chercher un signe religieux dans un habit traditionnel ? Dans ce cas, il faut aussi interdire les serre-tête pour les catholiques. Si on cherche à interdire tous les signes de culture arabo-musulmane, on ne fera que renforcer la stigmatisation… »
Un avis partagé par Paul*, enseignant en lettres et histoire dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, qui voit dans la mesure « une dimension raciste ». « Il existe des robes larges qui sont “fashion” et qui ne posent aucun problème à personne. L’abaya, parce qu’elle est associée à la culture musulmane, est combattue pour récupérer des voix. » Et de conclure que, pour lui, l’interdiction n’est rien d’autre qu’une mesure « populiste ».
« C’est toujours sur les profs que ça tombe »
La détermination entre ce qui est une abaya et ce qui est une robe ample et longue sera laissée au personnel éducatif, et notamment aux directeurs d’établissements, qui devront statuer sur ce qui est « religieusement acceptable ».
Sauf que, dans les faits, les enseignants craignent que cette tâche ne leur incombe. « De toute façon, c’est toujours sur nous, les profs, que ça tombe », lâche, laconiquement Eric*, enseignant dans un lycée public des Hauts-de-Seine. « Le directeur ne fait jamais la grille à l’entrée [l’accueil des élèves en début de journée, NDLR]. Ce sont les surveillants et les profs qui vont devoir juger la tenue des élèves », regrette de son côté Paul. Une surveillance qui s’ajoute aux missions, déjà nombreuses, des professeurs.
Lui assure d’ailleurs qu’il ne serait « absolument pas à l’aise » de demander à une élève de ne pas porter d’abaya. Gilles Vervisch non plus : « Je ne suis pas sûr que je le ferai, indique-t-il. Je ne vais pas sortir mon mètre à couture pour savoir si la longueur de la robe est bonne. J’ai d’autres chats à fouetter. »
Une décision qui masque les « vrais » problèmes
Tous s’accordent cependant à dire que cette mesure sortie du chapeau est en réalité l’arbre qui cache la forêt. Et qu’interdire l’abaya détourne le débat « des vrais problèmes » auquel est confrontée l’Education nationale. Pour Eric :
« C’est une polémique habilement lancée par Gabriel Attal, notre nouveau ministre de l’Education. Comme ça, on ne parle pas des vrais sujets de l’Education nationale : le besoin de réévaluer les salaires, les difficultés à recruter, etc. »
Sophie Vénétitay rappelle en effet que la rentrée de ce lundi sera marquée par un « manque de professeurs » et « des classes surchargées ». Selon les chiffres du ministère de l’Education nationale, début juillet, sur plus de 23 800 postes ouverts en 2023 dans le public, 3 163 n’ont pas été pourvus. Le nombre de postes non pourvus s’élève à 1 315 dans le premier degré (maternelle et élémentaire) et 1 848 dans le second degré (collèges et lycées).
Faut-il recruter les professeurs autrement ?
Autre sujet d’importance, la revalorisation des salaires. Les responsables syndicaux portent ainsi un regard sévère sur le « pacte enseignant » mis en place par Pap Ndiaye, le prédécesseur de Gabriel Attal, et garantissant une hausse de 10 % des salaires des professeurs en contrepartie de nouvelles missions, comme l’aide aux devoirs. « On est très loin de cet objectif de 10 %. Actuellement, pour la moitié des professeurs, la revalorisation n’est que de 90 euros sans contrepartie. S’ils veulent plus, les enseignants doivent travailler davantage, ce qui nous semble inadmissible », soulignait ainsi Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUIPP-FSU, syndicat majoritaire des enseignants du premier degré, à « l’Obs ».
La France paraît plus que jamais déchirée par des fractures identitaires, entretenues au-delà de l’extrême droite et des racistes patentés. Depuis cinq ans, le débat sur l’islamophobie est devenu très âpre, moins académique et plus politique. Sur la base de son expérience universitaire aux États-Unis, Jocelyne Cesari analyse l’affaire Florence Bergeaud-Blacker. Elle met en lumière une guerre des cultures à la française, facteur significatif de la polarisation du débat sur les études islamiques.
Paris, le 2 juin 2023. L’anthropologue française Florence Bergeaud-Blackler, chercheuse au CNRS, quitte l’université de la Sorbonne sous escorte policière après une conférence.
Viestes pare-balles, caméras de surveillance ultraperformantes, serrures électroniques, agents de sécurité… À Montréal, les prières dans les mosquées et les synagogues se font sous haute sécurité. Juifs et musulmans prennent des mesures considérables pour se prémunir contre les actes haineux, relativement peu nombreux jusqu’ici, mais chaque fois troublants.
Quatre jours plus tôt, un automobiliste tente de percuter des fidèles musulmans rassemblés à l’extérieur d’une mosquée à Scarborough, en Ontario. Il y a deux ans, à 200 km de là, une attaque à la voiture-bélier avait tué quatre membres d’une même famille musulmane, dont une adolescente.
Au Canada, comme ailleurs dans le monde, les crimes haineux se suivent et ne se ressemblent pas. Leur nombre a atteint un record au pays en 2021 avec 3360 cas signalés, dont 884 visant des membres de communautés religieuses. Une hausse de 72 % depuis 2019, selon les dernières données de Statistique Canada.
Bien qu’elle ne représente que 0,9 % de la population canadienne, c’est la communauté juive qui est la plus visée avec 487 cas recensés. La communauté musulmane, qui compte pour 4,9 % de la population, a quant à elle connu la plus forte progression (+71 %) du taux de crimes haineux en un an, le nombre de cas passant de 84 à 144.
Mentionnons aussi qu’en 2021, plusieurs églises dans l’Ouest canadien ont, elles aussi, fait les frais des crimes haineux à la suite de la découverte de centaines de sépultures non marquées sur des sites d’anciens pensionnats pour Autochtones.
À Montréal, les crimes haineux visant les communautés religieuses ont connu une légère hausse de près de 4 % entre 2020 et 2021, leur nombre passant de 70 à 73. Ce chiffre a toutefois chuté de 31,5 % en 2022 avec 55 crimes signalés, selon les données du SPVM. Toronto, quant à elle, a recensé 75 cas en 2021, soit une hausse de 30 % en un an.
Ces chiffres sont toutefois à prendre avec des pincettes, selon la police, puisque plusieurs victimes ou témoins n’osent pas dénoncer ce genre d’incidents aux autorités.
« Notre grand défi, c’est d’amener les victimes à porter plainte. Certaines personnes à Montréal ne savent même pas qu’elles sont victimes d’un crime ou d’un incident haineux. »
Des exemples de crimes haineux
S’attaquer physiquement à une personne en raison de la couleur de sa peau;
Proférer des menaces envers une personne en raison de sa confession religieuse;
Vandaliser un domicile ou un endroit d’intérêt (ex. : un lieu de culte) par des graffitis à caractères haineux de type antisémite ou autre.
Des exemples d’incidents haineux
Diffuser du matériel offensant ciblant un groupe ethnique;
Insulter ou injurier une personne sur les réseaux sociaux, ou autrement, en raison de son orientation sexuelle;
Poser des gestes vexatoires envers une personne en raison de sa religion.
Radio-Canada s’est entretenue avec une vingtaine d’intervenants de milieux divers − religieux, communautaires, policiers et gouvernementaux − pour dresser un portrait de la situation sécuritaire dans les lieux de culte à Montréal.
Les communautés musulmanes et juives étant les plus ciblées, c’est dans les mosquées et les synagogues que l’on trouve les mesures de sécurité les plus importantes.
En plus de systèmes d’alarme, la quasi-totalité des 150 synagogues et mosquées de la métropole sont dotées de caméras de sécurité, dont certaines sont ultraperformantes et capables de traquer les mouvements et de filmer la nuit en haute définition.
La plupart de ces lieux de culte sont également protégés par des portes munies de serrures électroniques qui ne peuvent être activées qu’avec une carte à puce ou un code d’accès.
Une caméra de sécurité sur une mosquée de Montréal.PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS
Parmi les autres mesures instaurées, on trouve aussi :
des vitres pare-balles;
des vitres protégées par des pellicules de sécurité contre les vols et intrusions;
des blocs de béton aux entrées pour empêcher les tentatives d’attaques de véhicules-béliers;
des agents de sécurité privés ou des bénévoles pour assurer la surveillance;
dans des cas plus rares, des portes contrôlées à distance afin de pouvoir enfermer un suspect qui a fait effraction.
Les mesures ont été considérablement renforcées au cours des dernières années, notamment depuis l'attentat de la grande mosquée de Québec en 2017 pour les musulmans (6 morts et 8 blessés) et la fusillade dans la synagogue de Pittsburgh en 2018 pour la communauté juive (11 morts et 6 blessés).
C’est d’ailleurs à la suite de cette attaque aux États-Unis que la Fédération CJA, un organisme d’aide à la communauté juive, a lancé son programme de Réseau de sécurité communautaire (RSC) dont la principale mission est d’assurer la protection des synagogues et des écoles juives dans la grande région de Montréal. En tout, ce sont 38 institutions qui font partie de ce réseau, dont environ 20 synagogues.
Le modèle, qui existe ailleurs au Canada et aux États-Unis, a été mis sur pied à Montréal par une poignée d’experts en sécurité de haut calibre, dont Michael Masters, un ancien capitaine de la Marine américaine, Jacques Bisson, un commandant retraité du SPVM, et David Zarfati, un ancien agent de renseignements israélien qui était responsable de la sécurité du consulat de l’État hébreu à Montréal avant de rejoindre la Fédération CJA.
Le choix de ces experts était intentionnel, affirme Yair Szlak, PDG de la Fédération CJA. C’est important d’avoir les meilleurs cerveaux dans le domaine de la sécurité pour assurer la protection de la communauté.
« La fusillade de Pittsburgh a représenté un tournant. Nous nous sommes demandé si nos écoles et nos synagogues étaient préparées si un tel incident devait survenir à Montréal. La réponse était non, nous n’étions pas assez protégés. »
Une synagogue à Montréal. Des blocs de béton lui assurent une certaine protection.PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS
C’est alors que l’organisme a organisé une levée de fonds pour lancer son réseau sécuritaire et a réussi à récolter près de 6 millions de dollars en 2019.
Les coûts [des mesures de sécurité] sont faramineux!, s’indigne M. Szlak. On parle d’un investissement de près de 5 millions de dollars par année pour les synagogues, les écoles et autres institutions juives uniquement à Montréal.
Selon lui, la part du lion du budget revient aux agents de sécurité, soit un investissement annuel de 50 000 $ à 100 000 $ pour avoir un ou deux gardiens aux entrées des écoles et des synagogues, explique M. Szlak.
Du côté de la communauté musulmane, il n’existe pas d’équivalent au Réseau de sécurité communautaire juif. Chaque mosquée est ainsi responsable de sa propre sécurité et les investissements peuvent aller de 15 000 $ à 80 000 $, selon le niveau de fréquentation et la taille de chaque lieu de culte.
Depuis 2007, les communautés religieuses peuvent toutefois compter sur le Programme de financement des projets d’infrastructures de sécurité pour les collectivités à risque (PFPIS) du gouvernement fédéral qui permet de couvrir 50 % des coûts liés à la sécurité, jusqu’à concurrence de 100 000 $ par projet.
À part les lieux de culte, deux autres catégories d’organisations sans but lucratif sont admissibles au programme, notamment les établissements d’enseignement privés, y compris les écoles, et les centres communautaires.
En 2021, le ministère de la Sécurité publique du Canada, qui gère ce programme, a reçu un total de 118 demandes, dont 84 provenant de lieux de culte à travers le pays, dont 33 mosquées, 9 synagogues et 27 églises. Tous ont obtenu un financement, sauf une seule mosquée.
Selon Magali Deussing, porte-parole du ministère de la Sécurité publique, « le PFPIS a alloué près de 6,5 millions de dollars à des projets visant à soutenir les organisations à but non lucratif menacées par des crimes motivés par la haine » entre avril 2021 et mars 2023.
Depuis 2017, on constate une hausse de 10 % des demandes à chaque appel de demandes, résume-t-elle. Face à [cette] augmentation, [...] le PFPIS est passé d’un appel de demandes ouvert toute l’année à une période de dépôt de demandes définie de deux mois.
Samer Elniz est porte-parole de l’Association musulmane du Canada, qui gère quatre mosquées à Montréal.PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS
Dans une lettre ouverte publiée en févri
Le programme n’est pas préparé pour recevoir des dizaines et des dizaines de demandes, explique Steven Zhou, porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens et l’un des signataires de cette lettre. Le processus est trop lent, certaines mosquées doivent attendre plus d’un an avant de recevoir des fonds.
« Avec la montée de l’islamophobie, [...] les mosquées cherchent à se protéger en faisant appel à ce programme. C’est un gros problème, surtout qu’avec la pandémie, plusieurs mosquées ont dû fermer leurs portes sans être en mesure de récolter des fonds de la communauté. »
Dans un courriel, le ministère de la Sécurité publique dit examiner des solutions visant à accélérer les interventions en cas d’incident grave.
Si pour la communauté juive de Montréal, c’est la situation au Moyen-Orient, et en Israël plus particulièrement, qui influence la poussée des actes antisémites visant les synagogues, la communauté musulmane, quant à elle, s’inquiète surtout de la montée de l’extrême droite au Canada et ailleurs dans le monde, ainsi que de l’impact de certaines politiques locales qu’elle juge discriminatoires à son égard.
Le sentiment de malaise et d’insécurité peut être déclenché à tout moment, dit Youssouf Talha, responsable d’une mosquée à Saint-Léonard. Il déplore un climat politique et médiatique qui contribue à alimenter la haine, faisant allusion à la loi 21 qui interdit le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité, y compris les enseignants du primaire et du secondaire. Une loi qui, pour plusieurs musulmans interrogés, stigmatise les femmes voilées.
Toutes les mesures de sécurité dans les mosquées sont le résultat d’un sentiment d’insécurité, nuance de son côté Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien.
« Il y a des fidèles qui ont peur d’aller à la mosquée. D’autres y restent à peine cinq minutes pour prier. C’est vraiment dommage, nous sommes au Canada, pas dans un pays en guerre. »
Digicode de sécurité à l'entrée d'une mosquée.PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS
Les actes haineux sont souvent liés à l’actualité, explique de son côté Louis Audet Gosselin, directeur scientifique et stratégique au sein du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence. Quand une communauté est associée à un élément de l'actualité, ça entraîne presque toujours des actes haineux ciblant les membres de cette communauté-là [...] et les lieux de culte sont des cibles assez courantes et vulnérables parce qu’ils sont identifiables.
Conscient des répercussions que peut avoir l’actualité sur son travail, le Module des incidents et des crimes haineux (MICH) du SPVM a mandaté deux agents pour examiner les tendances mondiales et établir des liens avec ce qui se passe sur le territoire, explique la commandante Anouk St-Onge. Ces agents sont aussi chargés de créer des ponts avec les différentes communautés culturelles et religieuses de Montréal.
Mais Montréal reste une ville de paix, relativise le président d’une synagogue qui a été vandalisée au cours de la dernière année. Ce n’est pas comme en Europe, où des lieux de culte doivent se cacher ou se faire protéger par des hommes armés. Ici, au moins, on s’affiche.
C’est l’heure de la prière dans la mosquée Al-Omah al-Islamiah. Des dizaines de fidèles commencent à arriver, un par un, deux par deux.
Dans un geste quasi automatique, chacun sort une clé magnétique de sa poche et déverrouille la porte d’entrée sous les lentilles bienveillantes des caméras de sécurité.
Ces mesures sont malheureuses, mais nécessaires, réagit l’un.
C’est un lieu de méditation ici, on ne devrait pas ressentir le besoin de nous protéger, rétorque un autre.
On est protégés, lui répond un troisième. Dans la maison de Dieu, on est protégés.
UN TEXTE DE RANIA MASSOUDPHOTOGRAPHIES : IVANOH DEMERS
Arrestation d’un mineur pour des agressions à caractère haineux dans Outremont
Le jeune suspect s'est rendu lui-même aux policiers.
PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-CLAUDE TALIANA
Radio-Canada
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a arrêté jeudi un jeune homme soupçonné d'avoir agressé gratuitement deux membres de la communauté juive hassidique en pleine rue, le 20 janvier dernier, dans l’arrondissement d’Outremont.
Les enquêteurs du Module incidents et crimes haineux (MICH) du SPVM ont procédé à l’arrestation du suspect après que ce dernier, un mineur, se fut rendu de lui-même aux autorités, jeudi matin. L'adolescent était recherché pour voies de fait depuis les événements.
Ce soir-là, le suspect aurait d’abord invectivé un passant, membre de la communauté hassidique, vers 21 h 50 au coin des avenues Van Horne et Bloomfield, avant de s’en prendre physiquement à lui en le projetant violemment au sol.
Sur des images captées par une caméra de surveillance et publiées temporairement par le SPVM, on aperçoit une personne prendre la fuite en courant pour aller rejoindre un groupe de personnes apparemment du même âge qui l’attendaient sur l’avenue Van Horne, un peu plus loin.
Deuxième agression
Une trentaine de minutes plus tard, vers 22 h 25, l’individu aurait récidivé en s’en prenant à un autre membre de la communauté hassidique, cette fois au coin des avenues Bernard et d'Outremont.
La victime, qui circulait à pied, a aussi été projetée au sol en pleine rue, cette fois après avoir reçu un violent coup de pied dans le bas du dos.
L'agresseur avait cette fois pris la fuite en empruntant l’avenue Wiseman et en allant, une fois de plus, rejoindre un groupe qui l’attendait un peu plus loin.
Le suspect a été libéré sous conditions j
usqu’à sa comparution, le 5 mai prochain, devant la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec.
L’édition 2023 de l’étude « Immigrés et descendants d’immigrés » publiée par l’Insee révèle le rôle central joué par la famille dans la reproduction de l’appartenance religieuse. Les recherches menées sur le terrain confirment ces données, mais elles rendent aussi compte d’un autre facteur : la stigmatisation des musulmans finit par renforcer l’identité religieuse.
Des musulmans arrivent pour se rassembler dans une salle à Bordeaux, pour les prières de l’Aïd al-Fitr, le 25 juin 2017
Mehdi Fedouach/AFP
La sécularisation est souvent considérée par les milieux académiques et politiques comme une tendance en constante progression dans les différentes sociétés occidentales. L’Europe, et plus particulièrement la France, a été à l’avant-garde de ce mouvement en croyant que la religion était soluble dans la modernité. Toutefois, les chiffres récemment publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dans l’étude « Immigrés et descendants d’immigrés »1, largement basés sur ceux de la deuxième édition de l’enquête « Trajectoires et origines » réalisée entre 2019 et 2020 nuancent l’idée d’une sécularisation, en particulier chez les musulmans et les juifs.
Cette enquête a été menée sur un échantillon représentatif de 27 200 personnes. Réalisée en pleine période de pandémie, elle ne prend certes pas en compte l’impact de celle-ci sur la vie spirituelle des personnes interrogées, alors qu’il est probable que la crise sanitaire a eu un effet significatif sur les comportements et les croyances. Par ailleurs, l’âge des personnes interrogées se situe entre 18 et 59 ans, ce qui exclut la partie la plus âgée de la population qui est, selon d’autres études, la plus tournée vers la religion. Néanmoins, cette enquête s’avère riche en enseignements.
UNE FORTE TRANSMISSION DANS LES FOYERS
L’étude de l’Insee révèle que le catholicisme reste la première religion en France ; 29 % de la population s’en revendique. Cependant, l’islam connaît une croissance importante : 10 % de la population se déclare musulmane, ce qui confirme sa position de deuxième religion en France.
L’enquête met par ailleurs en évidence l’importance de la pratique religieuse chez les immigrés et leurs descendants. Certes, les individus âgés de 18 à 59 ans sont de plus en plus nombreux à ne pas se réclamer d’une religion. Mais, alors que 58 % des personnes sans ascendance migratoire se disent sans religion, c’est le cas de 19 % seulement des immigrés arrivés après l’âge de 16 ans et de 26 % des descendants de deux parents immigrés. En revanche, seulement 14 % des descendants d’immigrés issus de couples mixtes et 1 % de la population sans ascendance migratoire se déclarent de confession musulmane.
Concernant les affiliations et les pratiques religieuses au sein des familles immigrées et de leurs descendants en France, l’enquête montre que, tandis que la pratique religieuse des familles chrétiennes diminue fortement, celle des familles musulmanes et juives se maintient. Il ressort également de l’étude que la transmission de la religion est plus forte chez les individus élevés dans une famille musulmane, avec 91 % d’entre eux se considérant appartenir à la religion de leurs parents, contre 84 % chez les juifs et seulement 67 % chez les catholiques.
L’ENGAGEMENT DES FEMMES
Cette forte transmission de la religion musulmane pourrait s’expliquer par l’importance de l’encadrement maternel, y compris dans le domaine religieux, au sein des familles immigrées – maghrébines, subsahariennes et turques en particulier. Dans les mêmes statistiques de l’Insee, on remarque d’ailleurs que 78 % des femmes qui se déclarent musulmanes considèrent la religion comme importante dans leur vie, contre 73 % des hommes.
Nos observations empiriques sur le terrain auprès de responsables associatifs musulmans en Île-de-France et à Mulhouse éclairent certaines des données de cette enquête. Elles confirment que la transmission de la religion au sein des familles d’immigrés revêt une grande importance. Elle se fait souvent par le biais de l’engagement des femmes musulmanes dans des associations cultuelles et culturelles, contribuant à la vie de la communauté religieuse.
Warda, enseignante et responsable associative, également en Seine–Saint-Denis, nous a ainsi déclaré :
Si les femmes musulmanes n’étaient pas présentes dans nos structures, de nombreuses associations auraient du mal à réaliser des activités et à être présentes sur le terrain. Ces mamans et sœurs font preuve d’un dévouement remarquable et sont toujours prêtes à s’engager sans contrepartie.
Farid, membre du bureau d’une association cultuelle en Seine–Saint-Denis, en relation avec de nombreuses organisations, nous a quant à lui affirmé :
Les femmes musulmanes sont très nombreuses et actives au sein de nos associations, sans chercher nécessairement à occuper des postes de responsabilité. Elles donnent de leur temps sans compter pour ces associations.
Notons que cette tendance n’est pas propre à l’espace musulman : dans son livre Logiques de genre dans l’engagement associatif2, la sociologue Sophie Rétif souligne que les femmes sont plus impliquées dans les associations que dans les partis politiques ou les syndicats, mais qu’elles occupent rarement des postes de dirigeantes.
Quant à Mokhtar, ancien vice-président de l’Association des musulmans d’Alsace, il considère que l’implication des femmes dans les activités cultuelles, les associations et les mosquées est un moyen d’émancipation pour elles. Selon lui, le fait de se déplacer pour se rendre dans ces structures, que les maris ou les grands frères tolèrent facilement, représente une liberté.
UN SENTIMENT D’ÊTRE « HARCELÉ »
En ce qui concerne la pratique du mois de ramadan, les statistiques montrent que 75 % des musulmans respectent strictement le jeûne, tandis que 15 % le font « plus ou moins ». Mohamed, diplômé en science politique et militant associatif, analyse cette forte adhésion au jeûne en soulignant la démocratisation de la pratique religieuse à travers les réseaux sociaux. Tout en mentionnant par ailleurs le poids de l’héritage culturel, il souligne l’influence de plusieurs personnalités très suivies, tels Karim Benzema, Omar Sy et bien d’autres, qui n’hésitent pas à partager des messages de soutien pendant le ramadan à leurs followers.
Les résultats de l’enquête appellent à être complétés par une analyse approfondie des facteurs de la transmission de l’identité musulmane en France. Parmi ceux-ci, on peut interroger l’impact de la normalisation du discours de l’extrême droite et de la droite réclamant l’assimilation, c’est-à-dire l’abandon de la culture et de la religion d’origine.
Nos recherches montrent que les nombreuses polémiques aboutissant à la stigmatisation des femmes musulmanes, comme celles concernant le voile ou le burkini, ont conduit à l’établissement d’un « bouclier religieux » visant à se protéger. Dans ces circonstances hostiles, la transmission religieuse aux enfants devient une priorité vitale. Les résultats de l’étude sont interprétés ainsi par Mokhtar, le responsable associatif déjà cité : « Vingt ans de médias de masse, portés par les chaînes d’informations en continu, ont vraiment accéléré le sentiment d’être toujours harcelé chez les musulmans. » Il constate qu’un certain nombre de jeunes investissent la pratique religieuse, qui devient une source de fierté et de résistance, face aux nombreuses menaces orchestrées par une certaine classe politique.
Comme l’a souligné Jean Baubérot dans son livre La laïcité falsifiée (La Découverte, 2014), les partisans du slogan « Dieu est mort » ont peut-être sous-estimé la résilience de la religion face aux bouleversements de la société occidentale. L’enquête de l’Insee confirme que les religions, et l’islam en particulier, continuent d’exercer une forte influence sur les individus en France, et qu’elles constituent des outils pour s’adapter et évoluer dans un monde hostile.
Hafsa Altaf a lancé sa marque, Fashion by Hafsa. Elle fait des créations de vêtements, amples et confortables, pour répondre aux besoins de femmes à Winnipeg, notamment de la communauté musulmane.PHOTO : RADIO-CANADA / RADJAA ABDELSADOK
Avec le printemps, plusieurs en profitent pour renouveler leur garde-robe. Cependant, ce n'est pas une mince affaire pour certaines femmes musulmanes qui portent le voile. Plusieurs déplorent que le marché de vêtements adaptés à la mode modeste, ou mode pudique, qui respecte les valeurs religieuses, est insuffisant à Winnipeg.
Originaire d'Algérie, Hadjer Bendifallah est installée à Winnipeg depuis 2020 avec sa famille. Elle dit vivre beaucoup de frustrations en raison du manque de vêtements qui correspondent à son mode de vie. Elle travaille comme ingénieure pharmaceutique.
À chaque fois que je me prépare pour faire du magasinage, je me sens frustrée par rapport à ce point. En trois ans, je n’ai pu trouver et acheter que cinq pièces qui me correspondent, affirme-t-elle.
« J’aimerais que tout le monde prenne en considération qu’il y a une minorité qui porte le voile et que nous avons des besoins de tenues très spécifiques qui respectent nos convictions et qui, à la fois, restent modernes. Toute femme souhaite être présentable en société, quel que soit son mode de vie. »
Hadjer Bendifallah est originaire d'Algérie. Elle est installée à Winnipeg depuis 2020 avec sa famille.
PHOTO : RADIO-CANADA / RADJAA ABDELSADOK
La mère de famille dit que, à Winnipeg, il y a certaines boutiques, mais elles vendent principalement des vêtements traditionnels ou bien portés pour les occasions, affirme-t-elle.
Hadjer Bendifallah affirme que, comme plusieurs de ses connaissances, elle s'approvisionne dans son pays d’origine.
Surtout l’été, c’est compliqué de trouver des longues tuniques, robes et voiles légers, déclare-t-elle. Alors lorsque je pars en Algérie, je remplis mes valises de vêtements en espérant couvrir mes besoins pour l’année.
Tout le monde parle du « voile islamique » des deux côtés de la Méditerranée, mais qui sait de quoi il parle ? On trouvera la réponse à cette question – et à d’autres soulevées par ceux que taraude l’habit de la musulmane – dans Des mots, des voiles, des femmes en islam, un livre de la Franco-Libanaise Nadia Kantari qui vient de paraître.
Nadia Kantari Des mots, des voiles, des femmes en islam Geuthner, 2023 308 pages 38 euros
Des mots, des voiles, des femmes en islam est une étude savante qui contraste avec l’ignorance des publicistes « voilophobes ». Désireuse d’avoir le cœur net sur ce que prescrit sa religion du vêtement féminin, Nadia Kantari décortique avec compétence et conscience ce qu’en rapportent le Coran, son commentaire exégétique (tafsir), la Sunna, la jurisprudence sunnite (fiqh), les quatre écoles juridiques sunnites et le chiisme jaafarite, en prenant soin de rapprocher ses conclusions de ce que l’on sait des pratiques sociales des sociétés considérées. Il fallait ses talents de traductrice, métier qu’elle a longtemps exercé, sa posture sociologique et sa conscience politique pour parvenir à son résultat clair, édifiant, confondant même : personne ou presque ne sait vraiment de quoi il parle !
LE HIJAB-RIDEAU
Commençons par le voile de tête — hijab —, puisqu’on rencontre le mot dans le Coran. On sait la difficulté extrême de traduire un livre saint qui ne suit pas d’ordre chronologique ni même parfois logique, use d’une langue dont la vocalisation peut prêter à confusion et emploie des mots dont le sens a divergé par la suite. Ainsi en va-t-il pour le hijab du verset 53 de la sourate 33 :
Si vous (les musulmans) leur demandez (aux épouses du Prophète) quelque objet, demandez-le leur derrière un rideau (hijab).
Quelle différence entre le hijab-rideau ou tenture du Coran et le foulard qu’il désigne aujourd’hui ! Remarquons, de plus, qu’il s’agit ici, d’une part, de bienséance et non de dogme et, d’autre part, que l’obligation touche uniquement les épouses de Mohammed, dont la même sourate assure : « Vous n’êtes comparables à aucune autre femme » (verset 32). Le Coran n’astreint donc nulle autre femme à quelque hijab que ce soit et prévient que tout mimétisme irait à l’encontre de ses prescriptions. C’est aussi à ces seules épouses qu’il réserve la claustration édictée au verset 33 (« Restez dans vos foyers ! »).
« DIS AUX CROYANTES DE RABATTRE LEUR KHIMAR SUR LEURS ÉCHANCRURES »
On objectera qu’au-delà de cette homonymie trompeuse, le Coran comporte d’autres dispositions sur le vêtement féminin. On y rencontre effectivement deux habits désignés par les mots khimar et jilbab, mais ceci ne nous avance guère, car nous ne disposons d’aucune description d’époque précisant ce qu’ils recouvrent, au sens propre comme au figuré… Tel est d’ailleurs le cas de beaucoup de noms de vêtements, qui désignent des réalités évolutives. Ces deux appellations sont tombées en désuétude, mais on peut conclure d’autres occurrences dans des textes anciens que le jilbab désignait à l’époque du Prophète une large pièce d’étoffe à enrouler autour de soi, dont les mantes que des femmes arabes revêtent traditionnellement de nos jours s’approchent sans doute. D’origine éthiopienne, le mot n’est pas connoté sur le plan religieux. Le verset 59 de la sourate 33 enjoint les femmes musulmanes de « rabattre sur elles un pan de leur jilbab », sans préciser ce qu’elles doivent cacher, pour se différencier des non-musulmanes, donc dans un objectif communautaire et non dogmatique.
Le khimar semble, quant à lui, avoir désigné le vêtement plus léger porté chez soi ou sous le jilbab quand on sort : « Dis aux croyantes de rabattre leur khimar sur leurs échancrures (juyub, c’est-à-dire entre les seins) et de ne montrer leur zina (parures ou agréments) » qu’aux membres proches de leur famille (sourate 24, verset 31) ! Il s’agit cette fois de pudeur. La première photo jamais prise d’une femme en costume traditionnel du Hedjaz confirme cette double strate, khimar couvert d’un large drap correspondant au jilbab.
Pascal Sébah, « Femme de Djeddah », 1873
in Louis Blin, La Ville d’Ève. Djeddah dans l’iconographie française jusqu’en 1940, Paris Geuthner, 2021
UNE MORALE SOCIALE CONSACRÉE PAR LA RELIGION
On connaît la répartition entre premières sourates mecquoises et sourates médinoises postérieures, relevant d’un contexte influencé par la Bible. Médinoise tardive, la sourate 24 peut ainsi être rapprochée du passage du Nouveau Testament demandant aux femmes de « se vêtir avec pudeur et modestie sans se parer de tresses, ni d’or, ni de perles » (Timothée 2, 9). Elle rappelle les Bédouines coquettes de l’aube de l’islam à l’ordre de bienséance dont le modèle figure dans les traités de l’Église syriaque orthodoxe, diffusés dans l’Arabie de l’époque depuis une société alors plus « moderne ». Il s’agit donc d’une morale sociale consacrée par la religion, en l’occurrence celle de la communauté des croyants en cours de formation, en rupture avec le milieu bédouin.
On trouve dans la poésie bédouine antéislamique un autre atour féminin, le bourqou‘, mince masque de cuir revêtu jusqu’à nos jours par les Arabes du Golfe, qui n’a rien à voir avec la bourqa‘ qui couvre tout le corps en Afghanistan et ne laisse qu’une grille à la hauteur des yeux (il faut encore une fois se méfier des appellations trompeuses).
Les objurgations de la sourate 24 sont de nature sociale et non religieuse. Leur application se heurtera d’ailleurs à la nature rétive à toute autorité des Bédouins, proverbiale dans la littérature arabe. Le Coran prend acte de leur anarchie foncière en ne donnant que de vagues conseils en matière de vêtements et, plus généralement, en admettant que n’existe « nulle contrainte en din » (sourate 2, verset 256), c’est-à-dire dans le « bon chemin choisi » (rouchd, comme mentionné juste après) et non seulement en matière de religion (autre traduction anachronique), y compris en ce qui concerne l’habillement. Mais l’absence de consignes vestimentaires strictes et de toute obligation de se couvrir le visage ou les cheveux dans le Coran s’est avéré un cadeau empoisonné pour les femmes, car elle a laissé la voie libre aux théologiens (masculins) qui s’y sont engouffrés pour sanctifier les us patriarcaux en interprétant le dogme. Les nombreuses musulmanes qui ont adhéré à leur exégèse revêtent de nos jours un hijab malgré l’absence de prescription coranique, aussi persuadées qu’il s’agit d’une obligation canonique que, de leur côté, les religieuses coiffées d’un hijab catholique…
La charia, élaborée bien après le Coran, est passée par là. Et pourtant… Nadia Kantari montre par le détail que ni la Sunna, ni l’exégèse n’édictent de règles précises en matière d’habit féminin, s’étendant d’ailleurs davantage sur celui de l’homme. Pourquoi et comment est-on passé de vagues prescriptions coraniques visant à distinguer les musulmanes des autres femmes dans le but probable de consolider les rangs du petit groupe des premiers convertis, à des règles à prétention universelle ? Comme le Coran sacralise l’infériorité de la femme (cf. notamment les sourates 2, verset 228 et 4, verset 34), tout en améliorant sa condition d’avant l’islam, la musulmane devra se plier aux règles sociales édictées par les hommes, y compris sur le plan vestimentaire.
L’INVERSE DU DOGME
On comprend alors la variation de son habit au fil du temps et de l’espace, mais aussi la tendance de l’homme à rattacher ses injonctions au dogme. En société patriarcale, il y va de son honneur. Certains théologiens exégètes considèreront que les cheveux forment une parure (zina), à couvrir donc, les oreilles et la gorge devenant aussi des éléments de séduction à dissimuler ! Encore leur dévoilement ne serait-il que juridiquement blâmable (makrouh) et non illicite (haram). Rien par contre ou presque sur le voile intégral (niqab), récusé par beaucoup d’oulémas et dont l’occurrence dans l’histoire paraît erratique. L’habit, notamment féminin, semble importer trop pour se plier à des règles religieuses rigides. Tout d’abord, car il est de nature culturelle donc évolutive, à l’inverse de tout credo, la mode étant l’inverse du dogme. Ensuite, car la tolérance en la matière représente une condition nécessaire à l’universalité de l’islam. Une simple visite à la grande mosquée de La Mecque, où se mêlent les fidèles du monde entier, est édifiante à ce sujet. Il n’existe pas plus d’habit islamique que de voile islamique, mais des musulmanes qui s’habillent et se voilent suivant des coutumes variées, mais qualifiées telles.
Tout groupe humain a besoin d’afficher son identité collective. Or, la femme en est la conservatrice et son habit le marqueur, tel un drapeau. On raconte que Mohammed en campagne arborait pour bannière le voile noir de son épouse préférée Aïcha. Considérer le voile féminin comme un drapeau musulman revient à transformer celui-ci en arme politique et la femme en porte-drapeau. Nous ne sommes alors plus dans la religion, mais dans l’histoire, ce qui amène l’autrice à conclure avec philosophie : « Libre à la femme de porter ou non le voile, en connaissance de cause, et non sous les pressions sociale, politique ou patriarcale ! »
Le président Abdelmadjid Tebboune a accordé, lundi 27 février, la nationalité algérienne à l’archevêque d’Alger, le dominicain français Jean-Paul Vesco. Une décision qui dépasse le simple symbole.
Déjà, il affirmait être engagé « à vie » envers l’Algérie. Désormais, le dominicain Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, est aussi lié à ce pays par la nationalité que vient de lui accorder par décret le président Abdelmadjid Tebboune, lundi 27 février.
Âgé de 60 ans, l’archevêque du plus important des quatre diocèses d’Algérie connaît intimement l’Algérie où il vit depuis deux décennies. L’octroi de cette nationalité qu’il avait demandée est à ses yeux un « honneur », mais aussi le symbole d’une « fidélité plus profonde » à ce pays qu’il a choisi et à son peuple.
Un signe pour l’Église algérienne
Au-delà de la dimension personnelle de cette naturalisation, Jean-Paul Vesco insiste surtout sur sa signification pour la petite Église catholique algérienne, d’autant que cette nationalité est rarement accordée à des étrangers. « C’est un signe fort pour notre Église qui se vit pleinement citoyenne. Cela dit qu’elle est reconnue et bienvenue, qu’elle fait partie de la société », souligne-t-il.
Ce « signe de bonne volonté » des autorités algériennes intervient dans un contexte troublé. Sur demande des pouvoirs publics, l’Église catholique d’Algérie avait en effet annoncé, fin septembre 2022, la fermeture inédite de la Caritas. Créé en 1962, l’organe caritatif de l’Église locale avait été contraint de cesser ses activités. Toutefois, malgré cette décision, le dialogue s’était poursuivi entre les représentants de l’Église, qui n’a pas renoncé à aider la population, et les autorités.
Un décret largement relayé par les autorités
Peu après cette décision, Mgr Paul Richard Gallagher, le « ministre des affaires étrangères » du pape, s’est rendu en Algérie fin octobre, à l’occasion des 50 ans des relations diplomatiques entre la République algérienne et le Saint-Siège. L’accueil qui lui a été réservé a témoigné de l’attention portée à la petite communauté catholique d’Algérie. Mgr Gallagher a alors rencontré notamment le chef de l’État, et appuyé la demande de nationalité algérienne de Mgr Vesco, qui dépasse le simple symbole.
En effet, il faut être algérien pour présider l’Association diocésaine d’Algérie, qui regroupe les quatre diocèses et structure l’Église catholique dans le pays. « Il est important que cela soit l’archevêque d’Alger », souligne Jean-Paul Vesco. Jusqu’ici, son prédécesseur, Mgr Paul Desfarges, en assurait la présidence.
Le décret présidentiel accordant la nationalité algérienne à Mgr Vesco a été largement relayé par les autorités, signe de la portée du dossier. « La nouvelle a été annoncée dans les journaux télévisés de 13 heures et de 20 heures et toutes les chaînes l’ont diffusée », indique l’archevêque qui a lui-même appris sa naturalisation par la télévision.
Prier dans un espace public est autorisé en France, sauf en cas de trouble à l’ordre public. L’extrême droite voudrait pourtant que les musulmans ne puissent jouir de ce droit. Ben voyons !
Des musulmans prient dans la rue, un vendredi 8 avril 2011 rue des Poissonniers, à Paris (AFP/Miguel Medina)
Depuis quelques semaines, des militants d’extrême droite se sont trouvé un nouveau hochet islamophobe à agiter : publier sur les réseaux sociaux des photos volées de musulmans, supposés ou réels, en prière dans un espace public en France.
C’est ainsi, notamment sur Twitter, qu’emmenés par deux figures notoires de l’extrême droite, dont un ex-candidat – malheureux – aux législatives, des milliers de sympathisants Rassemblement national et Reconquête ! dénoncent à leur tour ce qui serait une preuve de plus du « grand remplacement », cette thèse raciste et complotiste prédisant la substitution des peuples européens par des populations venues du Maghreb et plus largement d’Afrique, forgée par l’essayiste Renaud Camus et reprise à son compte par l’auteur de l’attentat de Christchurch.
En France, la liberté de pensée, de conscience et de religion autorise chacun à manifester publiquement ses convictions religieuses
Non contents de construire des mosquées en France, d’ouvrir des boucheries halal en centre-ville ou des écoles privées, les musulmans poursuivraient leur entreprise de conquête en grignotant pas à pas, collectivement et individuellement, l’espace public. Ces prières individuelles seraient tout à la fois l’un des derniers avatars et une énième preuve de la volonté des « islamistes » de faire main basse sur la France.
« Provocation », « impunité », « prosélytisme », etc. : à chaque publication d’une nouvelle photo, un certain nombre de commentaires oscillent entre indignation, sincère ou surjouée, et complotisme.
Sans compter bien évidemment les désormais classiques appels à la violence ou à la répression contre les musulmans, à leur mise au pas et leur déportation hors de France. Un internaute, suspendu depuis par Twitter, est allé jusqu’à réclamer la prison immédiate et le rétablissement de la peine de mort.
On trouve aussi des commentaires qui porteraient à sourire, si le sujet n’était pas si grave.
Au-delà de toutes ces réactions sur les réseaux sociaux, qu’elles soient bienveillantes ou non, au-delà des postures morales et de la volonté manifeste de nuire chez les militants d’extrême droite, la seule question qui vaille est la suivante : si prier dans l’espace public est légal, pourquoi les musulmans ne pourraient-ils pas eux aussi jouir de ce droit, au même titre que tout autre individu en France ?
Prier, même dans l’espace public, est un droit
Une polémique, en France, autour de photos de femmes et d’hommes priant, qui dans l’allée d’une bibliothèque, qui dans un couloir à la fac, qui dans une salle de sport, voilà qui sent le réchauffé.
2010. Tous les vendredis, la rue Myrha, dans le 18earrondissement de Paris, est fermée à la circulation en début d’après-midi. Bien trop petite pour recevoir les centaines de fidèles qui s’y pressaient pour la prière hebdomadaire, la mosquée Khalid Ibn Walid débordait sur le trottoir. Il n’en fallait pas moins pour que la droite et l’extrême droite s’emparent du sujet pour, une fois de plus, s’en prendre aux musulmans.
[L’un de leurs objectifs est de] criminaliser la moindre manifestation d’une appartenance à l’islam afin de complexer les musulmans et les contraindre à s’autocensurer
On se souvient de Marine Le Pen qui, alors en meeting pour la présidence du Front national, comparant les musulmans aux nazis occupant la France, déclarait : « Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’Occupation, on pourrait en parler pour le coup. Parce que ça, c’est une occupation du territoire. […] Certes, il n’y a pas de blindés, pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même. »
Si des prières collectives, telles celles rue Myrrha, pouvaient constituer un trouble à l’ordre public ou à la circulation, il n’existe toutefois « aucune législation spécifique concernant la prière dans la rue, qui n’est donc pas illégale », rappelait la préfecture de Paris.
Près de quinze ans plus tard, collectives ou individuelles, les prières, qui plus est lorsqu’elles sont effectuées avec discrétion, à l’écart, ne contreviennent toujours pas à la loi. En France, la liberté de pensée, de conscience et de religion autorise chacun à manifester publiquement ses convictions religieuses ; « individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites », précise l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les agitateurs islamophobes à l’origine de ces campagnes contre les musulmans n’ignorent pas la loi. Contrairement à bon nombre de leurs fidèles abonnés, ils savent pertinemment que prier dans un espace public n’est en rien une pratique illégale. Pour autant, comme à leur habitude, ils se gardent bien de le rappeler, préférant manipuler l’opinion publique, quand il ne s’agit tout bonnement pas de forger des faux.
« L’hydre islamiste » et le virage sécuritaire (et électoraliste ?) d’Emmanuel Macron
Leur objectif, inscrit dans ce qu’ils considèrent relever de « la guerre civilisationnelle », est triple. Tout d’abord, laisser accroire « aux Français » – dont les musulmans ne font pas partie, selon l’extrême droite – que « l’hydre islamiste », pour reprendre une formule chère à Emmanuel Macron, déploie partout tout le temps, aussi silencieusement que sournoisement, ses tentacules.
Ensuite, criminaliser la moindre manifestation d’une appartenance à l’islam afin de complexer les musulmans et les contraindre à s’autocensurer. Enfin, faire disparaître de l’espace public leur visibilité en maintenant une pression constante.
Pour arriver à ces fins, il convient de provoquer le plus de réactions possibles sur les réseaux sociaux. Partages et likes exciteront les algorithmes, lesquels propulseront le sujet polémique en tendance. Il n’y a plus qu’à espérer que les chaînes d’information entrent dans la danse.
En soi, la publication de photos de musulmans priant n’a guère d’intérêt. Ce sont toutes les réactions, des partisans comme (surtout) celles des détracteurs, qui sont importantes, en ce qu’elles participent à la construction du problème musulman : si le débat « fait rage », selon la formule consacrée, sur les réseaux sociaux, c’est bien la preuve que ces prières posent problème. CQFD. Ou comment l’extrême droite gagne toujours, lorsque manipulant le réel, elle réussit à embarquer avec elle ceux-là mêmes qu’elle accuse de tous les maux.
Ne pas faire le jeu de l’extrême droite
Mais pourquoi diable donner à voir une fois de plus les pratiques de l’extrême droite ? En parler, même pour les critiquer, n’est-ce pas faire le jeu de ces prêcheurs de haine pour lesquels il n’y a pas de mauvaise publicité, seulement de la publicité ?
Relayer des propos infamants, c’est souvent leur donner un second souffle, devenir à son corps défendant une des nombreuses courroies de transmission de ces campagnes haineuses. C’est aussi offrir à leurs auteurs un surplus de visibilité. Exprimer son indignation peut se révéler contre-productif, particulièrement lorsque l’on se contente de dénoncer sans expliquer, sans mettre au jour les ressorts, les enjeux, les raisons mêmes de ces opérations de propagande qu’on finit soi-même par alimenter.
Face aux attaques contre ces musulmans en prière, la seule réponse qui vaille n’est autre qu’un « et alors ? » aussi expéditif que suffisant. S’employer à contredire la fachosphère […] revient tout bonnement […] à nous refuser un droit des plus absolus
Malgré tout, faire comme si ces polémiques racistes n’existaient pas peut-être tout aussi dangereux. Il s’avère parfois indispensable de ne pas se taire. Ce qui a motivé cet article, c’est bien moins le projet islamophobe que nous discutons aujourd’hui que les réactions de nombreux musulmans et autres internautes antiracistes qui ont malgré eux servi de caisse de résonance et validé les présupposés racistes des militants à l’origine de la polémique.
Face aux attaques contre ces musulmans en prière, la seule réponse qui vaille n’est autre qu’un « et alors ? » aussi expéditif que suffisant. S’employer à contredire la fachosphère en niant qu’il arrive que l’on puisse en effet prier ailleurs qu’à la maison ou dans une mosquée est une grave erreur. Cela revient tout bonnement non seulement à nous refuser un droit des plus absolus, mais encore à conforter l’idée selon laquelle la France est sournoisement attaquée, gangrénée partout, tout le temps, par des millions de femmes et d’hommes, qui ont le tort de ne pas appartenir « au corps traditionnel français » (sic).
Oui, il arrive que l’on soit contraint de prier dehors, tant il n’est pas aisé de trouver une mosquée ou un lieu décent pour accomplir ce devoir religieux. Et alors ?
« Balance ton musulman » : une nouvelle dérive à la française
Personne ne prend plaisir à prier comme un voleur sur un carton ou un vêtement jeté à la va-vite, dans une cage d’escalier, un couloir peu fréquenté ou sur le quai du métro. Moment de recueillement, ces quelques minutes ne sont pas exemptes de stress et de gêne, tant en France l’islam est l’objet de tous les fantasmes et les rejets.
Et quand bien même ! Prier dans l’espace public est un droit dont les musulmans aussi peuvent jouir. Qu’ils y prennent plaisir ou non.
Gare aux pièges tendus par l’extrême droite et à ces faux débats qui, à force de polémiques, alimentées parfois malheureusement par les musulmans eux-mêmes, banalisent l’islamophobie et finissent par légitimer des mesures racistes, comme ce fut le cas avec la loi séparatisme.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Fateh Kimouche est un journaliste et conférencier franco-algérien. Diplômé des universités de Grenoble (France) et de Genève (Suisse) en philosophie, il est le fondateur du site d’informations Al-Kanz. Ses sujets de réflexion sont l’économie islamique, la politique, la consommation et l’entrepreneuriat. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AlKanz.
Fateh Kimouche
Jeudi 26 janvier 2023 - 08:33 | Last update:6 days 4 hours ago
Début décembre, les États-Unis ont placé l’Algérie sur la liste des pays à mettre « sous surveillance » pour non-respect des libertés religieuses.
Les autorités ont notamment « empêché » des activités organisées récemment par l’Église catholique, pourtant représentée officiellement dans le pays depuis son indépendance (AFP/Ryad Kramdi)
« Nous ne savons pas quoi faire pour exercer notre culte ! » Poursuivi en justice par les autorités algériennes qui l’accusent, avec d’autres adeptes, d’exercer en dehors de la loi qui régit « l’exercice des cultes non musulmans », Ahmed*, protestant, a choisi de témoigner à Middle East Eye sous le couvert d’anonymat.
À l’instar d’autres Algériens ayant choisi une religion différente de l’islam sunnite, religion d’État, il s’inquiète de pressions qualifiées de « plus en plus fortes » de la part des autorités.
Dans une déclaration rendue publique le 30 novembre 2022, le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, faisant écho à un rapport de ses services, publié en novembre, a placé l’Algérie dans la liste des pays à mettre « sous surveillance » pour non-respect des libertés religieuses.
Traduction : « J’ai apprécié cette opportunité de discuter de la liberté de culte en Algérie avec le ministre des Affaires religieuses, Youcef Belmehdi. Promouvoir le respect de la liberté religieuse est important dans le monde entier. Nous continuerons à travailler ensemble pour faire avancer cette question vitale. »
Cette liste comprend également la République centrafricaine, les Comores et le Vietnam, pays se trouvant eux aussi sous « surveillance spéciale pour avoir commis ou toléré de graves violations de la liberté religieuse ».
La déclaration du chef de la diplomatie américaine fait également suite à la publication, en juin 2022, du rapport annuel du département d’État sur les libertés religieuses dans le monde.
On y lit notamment que l’Algérie ne respecte pas les libertés religieuses, essentiellement celles des nombreux chrétiens qui y vivent. Parmi ces atteintes, la fermeture, en septembre, d’une trentaine de communautés religieuses protestantes installées un peu partout en Algérie, a appris MEE d’une source proche de l’Église protestante d’Algérie. Il s’agit de lieux de culte, souvent des bâtisses dédiées à la pratique du culte protestant, gérés par des associations religieuses.
Catholiques et anglicans
Selon un décret de 2016 sur les conditions d’exercice du culte non musulman, les fidèles sont tenus de présenter une « autorisation » afin d’obtenir un agrément leur permettant d’exercer leur culte dans des lieux publics réservés à cet effet.
« Or, nous ne savons pas qui délivre ces autorisations ! », ajoute Ahmed en faisant référence à un vide juridique qui ne précise pas quelle autorité est chargée de délivrer le sésame.
Cette situation affecte également d’autres communautés chrétiennes, comme les catholiques et les anglicans, qui disposent pourtant de représentations officielles dans le pays, selon plusieurs témoignages recueillis par MEE auprès de ces communautés.
Selon une source de l’Église catholique contactée par MEE, les autorités ont même « empêché » des activités organisées récemment par cette communauté, pourtant représentée officiellement dans le pays depuis son indépendance.
L’Église catholique a surtout été affectée, en octobre 2022, par la fermeture de Caritas, association qui organisait notamment des formations pour les femmes et du soutien aux personnes vulnérables, dont les personnes migrantes. Officiellement, cette décision a été justifiée par l’absence d’agrément (autorisation nécessaire à toute association).
En Algérie, les autorités multiplient les prétextes pour fermer les églises protestantes
Lire
« Nous ne sommes pas des hors-la-loi, nous existons officiellement depuis 1974 ! », insiste quant à lui Ahmed.
Les critiques sur le non-respect des libertés religieuses en Algérie ne sont pas uniquement formulées par les États-Unis.
Lors de la dernière réunion du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, plusieurs pays ont reproché à Alger d’empêcher les adeptes d’autres religions que l’islam sunnite, comme le christianisme et l’ahmadisme (courant réformiste et minoritaire de l’islam considéré comme hérétique par les deux grandes branches, sunnite et chiite), d’exercer leur culte.
« Des citoyens ont été poursuivis et emprisonnés pour avoir exprimé une opinion ou exercé leur culte, beaucoup d’églises ont été fermées pour faute d’autorisation des administrations compétentes, la communauté ahmadie fait toujours l’objet d’une persécution dans plusieurs wilayas [préfectures] du pays », indique à MEE Said Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), qui dénonce « un recul dangereux » de la reconnaissance des libertés religieuses.
Lors de l’adoption de la nouvelle Constitution en octobre 2020, Human Right Watch avait dénoncé la suppression du droit à la liberté de croyance – qui protège le droit de se déclarer musulman laïque, agnostique ou athée, d’observer ou de ne pas observer le jeûne du Ramadan sans craindre des poursuites – dans la Loi fondamentale.
« Le nouveau texte préserve le droit de ‘’pratiquer une religion’’. Dans cette vision des choses, les Algériens sont libres d’adhérer aux confessions non musulmanes même si, en droit et en pratique, la minuscule minorité protestante du pays est depuis longtemps victime de discriminations », avait écrit Eric Goldstein, le directeur adjoint Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ONG.
En juin 2022, Amnesty International a appelé les autorités algériennes à libérer, « immédiatement et sans condition, trois fidèles de la religion ahmadie de la paix et de la lumière, arrêtés [en juin] uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté de culte, et [à] abandonner toutes les charges retenues contre eux ».
Les critiques sont souvent récusées par les autorités algériennes. Le ministre de la Justice, Abderrachid Tebbi, les a qualifiées d’« allégations infondées », assurant que « la liberté de culte, garantie par la Constitution [différente de la liberté de croyance], est pratiquée dans le cadre de la loi sans discrimination » et que l’État protège cette pratique « de toute influence idéologique ou politique ». Quant aux personnes jugées, elles l’ont été, selon lui, « dans des affaires de droit commun ».
Par
Ali Boukhlef
Published date: Lundi 23 janvier 2023 - 08:00 https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/algerie-minorites-religieuses-inquietude-atteintes-liberte-culte-droit-repression
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