L'auteur Olivier Gloag publie aux éditions La Fabrique un essai au titre provocateur, "Oublier Camus", qui suscite de nombreuses réactions. Pourtant cette idée n'est pas neuve, et sans doute pas tout à fait renouvelée par le livre.
Oublier Camus, ce n’est pas un ordre, quoique. En tous cas c’est un titre, celui d’un essai paru il y a quelques jours aux éditions La Fabrique, signé Olivier Gloag, professeur aux Etats-Unis qui travaille sur les représentations coloniales dans la littérature française. Il s’attaque donc à Albert Camus, moins à l’écrivain qu’à l’intellectuel utile, dont il fait je cite “le parangon d’un humanisme abstrait qui a ceci de commode - et de suspect - qu’il plaît à droite comme à gauche”. Le livre revient sur l'ambiguïté de l’homme, de l’écrivain et du philosophe, né en Algérie alors française, face au mouvement d’indépendance et à l’anticolonialisme, décrivant une stature molle, parfois irresponsable, en tout cas bien moins ferme et engagée que celle de Jean-Paul Sartre, éternel ami-ennemi, largement convoqué dans le livre.
Il y a un peu de provocation, le livre est court, bon peut-être un peu trop pour examiner à la fois une figure et une œuvre et les remettre vraiment efficacement sur le métier critique, en tous cas, ça n’a pas manqué, le livre fait parler de lui dans les chapelles, au Monde on regrette le défaut de nuances et de tenue, remarquant que l’auteur oublie bien vite le contexte politique et personnel dans lequel Camus écrivit son œuvre. Au Figaro l’éditorialiste Eugénie Bastié, championne de la conservation patrimoniale, s’exclame en tête d’article “Et maintenant, ils veulent déboulonner Albert Camus”, faisant de cet essai le parangon de la bêtise “wokiste”, celle qui n’en finit plus d’attaquer injustement et sans rigueur les grands hommes et la patrie reconnaissante.
Alors on a envie de rassurer le Figaro, je doute que l’essai d’Olivier Gloag ne pousse tous les profs de français à brûler leur Quarto Camus, étant donné sa place au panthéon littéraire, et dans la littérature scolaire, pas de panique.
Où est le style?
Oui, et que cette idée de Camus en “icône utile”, je reprends un des termes du livre, parcourt toute la pensée de la gauche de la gauche à peu près depuis toujours, tapez Camus dans le moteur de recherche du Monde Diplomatique par exemple, vous verrez que le propos est sensiblement le même, et que le combat Sartre/Camus est un moule commode également lui aussi depuis fort longtemps, certainement pas l’apanage de nouveaux wokistes déboulonneurs.
On est donc pas sur du follement neuf, d’autant que Gloag partage avec ses petits camarades de la gauche de la gauche, une autre caractéristique majeure, qui je trouve c’est dommage, empêche le déploiement de son propos: la difficulté à penser le style - probablement parce que le style on s’en fout; Gloag essaie un peu, convoque des citations de romans, fait des liens, analyse une ou deux structures de la langue de Camus mais rapidement, principalement il résume, s'appuyant principalement sur le récit, ce qui est lacunaire et pas très puissant du point de vue de l’analyse. Or c’est ça que je voulais lire moi, qui ai toujours soupçonné une mollesse dans l’écriture d’Albert Camus: un essai qui articulerait à l’analyse littéraire de l'œuvre, un réquisitoire intellectuel arrimé et ainsi justifié. La préface parle par exemple de la “mauvaise foi linguistique” de Camus, tronquant dans l’écriture des morceaux de réel, effaçant opportunément les Arabes ou les problèmes. Gloag effleure cette analyse là, mais c’est trop peu, on est frustré de ne pas lire quelque chose qui montrerait comment, dans la langue, Camus est devenu, comme une marque, comme un réflexe, une mythologie au sens au Barthes l’entendait, c’est-à-dire, quelque chose de profondément idéologique qui se cacherait sous l’apparence du naturel. N’en déplaise à Eugénie Bastié, pour qui apparemment le patrimoine n’est jamais idéologue.
L'animateur de J'irai dormir chez vous, Antoine de Maximy
L'animateur de la désormais célèbre émission de télévision "J'irai dormir chez vous" à posé ses caméras à Alger pour un épisode qui fera découvrir les différentes régions du pays. "J'irai dormir chez vous" est une émission de télévision française de documentaire, animée par Antoine de Maximy. Elle est diffusée sur les chaînes Voyage et Canal+ à partir de 2005, sur France 5 à partir de 2006 et sur RMC Découverte à partir de 2021. Le concept de l'émission est très simple : Antoine de Maximy parcourt différents pays et part à la découverte de gens, de cultures et de traditions diverses avec pour objectif de se faire inviter à dormir chez l'habitant. En dehors des codes touristiques, le globe-trotter sillonne les pays avec l'intention de découvrir et faire découvrir les us et coutumes des peuples et l'intimité des gens. Ses aventures en solitaire donnent parfois lieu à des scènes touchantes, parfois drôles mais parfois aussi dangereuse... Gageons qu'avec l'hospitalité légendaire des Algériens, Antoine de Maximy ne dormira certainement pas à la bonne étoile.
Dans deux récits familiaux, les autrices Nathacha Appanah et Yamina Benahmed Daho s’interrogent sur l’héritage, souvent douloureux, reçu par les descendants d’immigrés. Elles racontent l’arrivée de leurs familles venues respectivement d’Inde et d’Algérie sur leurs nouvelles terres d’attache, non sans encombre. Deux œuvres minutieuses et nécessaires.
’exilL’exil lègue des traces invisibles aux descendant·es d’immigré·es. Des habitudes, des sons, des bribes d’une langue non transmise ou des rites. Ces indices minuscules du déracinement ne sauraient suffire, ces vies demeurent pleines de trous et de manques.
Pour remplir les blancs de ces existences en pointillé, les autrices Nathacha Appanah et Yamina Benahmed Daho s’attellent chacune à explorer leurs histoires familiales dans deux récits d’une acuité rare, La Mémoire délavée (Mercure de France) pour la première et La Source des fantômes (Gallimard, « L’Arbalète ») pour la seconde.
L’exercice n’a rien d’évident mais les deux écrivaines parviennent à transcender le « je » et à poser un regard presque scientifique sur leurs parcours sans se départir de l’émotion inhérente aux récits de l’arrachement, forcément douloureux, à la terre natale.
Que le lecteur fatigué des spéléologies généalogiques nombrilistes se rassure. Les fantômes ici réveillés le sont pour de bonnes raisons. Le chemin réflexif emprunté étouffe toutes velléités égotiques. Ces quêtes s’avèrent passionnantes car incomplètes, emplies de vulnérabilités.
Avec la poésie et la délicatesse qui caractérisent son œuvre, Nathacha Appanah ausculte les blessures coloniales qui n’ont jamais dit leur nom. Née sur l’île Maurice, l’autrice fait remonter à la surface un pan de l’histoire enfouie, celle des « engagés » ou « coolies » en anglais.
Dès 1830, les Anglais, les Français, les Portugais et les Néerlandais ont créé un système de travail sous contrat pour compenser la pénurie de main-d’œuvre dans les champs de canne des colonies consécutive à l’abolition de l’esclavage. Ces travailleurs exploités viennent de toutes parts du globe.
Cet épisode méconnu a nourri sa première fiction, Les Rochers de poudre d’or, parue en 2002. Ses propres ancêtres ont laissé derrière eux leur village de Rangzapalle, dans l’État de l’Andhra Pradesh, et ont pris part à cette « transhumance mondiale ».
Pour les convaincre de tout quitter, il leur a été dit que les rochers de l’île Maurice abritaient des quantités d’or et qu’il suffisait de les retourner pour récupérer cette fortune. Lorsque cette légende sera racontée à Nathacha Appanah, en classe à Maurice, elle n’y croira pas, moquant même cette crédulité.
Elle-même n’en a jamais entendu parler avant. « Je n’ai pas grandi dans le culte de l’engagisme ni dans le culte de l’Inde. Jamais le nom de mes ancêtres n’a été prononcé à voix haute, leurs photos et leurs numéros honorés. »
Triturée par tous ses questionnements intérieurs, Nathacha Appanah se lance dans un jeu de piste passionnant. La romancière s’attache à reconstituer le destin de ses aïeux, non sans mal. « J’éprouve les limites de l’oralité », regrette-t-elle.
Un arbre généalogique aux branches cassées
Elle se tourne vers les archives de l’immigration indienne à l’Institut Mahatma Gandhi de l’île Maurice. « Il y a trois fiches. Ce sont celles de mes trisaïeuls et de leur fils, mon arrière-arrière-grand-père. Elles attestent de leur arrivée à Port-Louis, capitale de l’île – alors colonie britannique –, le 1er août 1872. Un peu plus d’un siècle avant ma naissance. Ou à peine un siècle avant ma naissance. »
À leur arrivée, des numéros leur sont attribués : 358 444 et 358 445 pour les parents, et le 358 448 pour leur fils de 11 ans. Où sont les deux numéros manquants ? L’autrice ne le saura jamais. Mais elle reste surtout ébranlée par ce procédé. « La déshumanisation immédiate que provoque l’attribution d’un numéro à un être humain ne m’échappe pas », écrit-elle. Nathacha Appanah n’aura de cesse d’analyser cet événement fondateur qui conditionnera sa propre trajectoire.
Cet ouvrage a des résonances fortes avec celui de Yamina Benahmed Daho, La Source des fantômes, tout aussi précis et méthodique.
La narratrice, double de l’écrivaine, doit composer et se débattre avec une autre histoire traumatique, avec un arbre généalogique aux branches cassées, celle de son père harki qui a combattu aux côtés de la France. Elle se demande comment construire son identité sur un gouffre.
Pire, l’autrice est nostalgique d’un pays qu’elle ne connaît pas et où elle n’a jamais passé de vacances, son père y étant interdit de séjour comme harki. Elle doit se contenter des « récits troués » de son père.
La famille, devenue Benali dans l’ouvrage, a posé ses valises à la fin des années 1970 dans un lotissement en Vendée, un village à l’écart de tout baptisé ici Fontayne. Lequel endroit rappelle à ses parents la vie rurale de leur village de l’Ouest algérien, Aïn Tolba.
Les trois enfants nés en France voient leur père travailler comme maçon. « Le BTP, premier recruteur d’Algériens en France après l’indépendance de 62. Le BTP, une possibilité d’être considéré comme un Arabe inoffensif et serviable », écrit Yamina Benahmed Daho.
Le paternel se reconvertira comme commerçant itinérant, à son compte. Chaque week-end, il gare son camion – « en 1989 on ne dit pas food truck » –devant la discothèque et vend aux fêtards alcoolisés des sandwichs merguez-frites.
Des traces de la vie d’avant survivent çà et là dans le pavillon familial. Les portraits aux visages inconnus qui trônent sur le haut meuble en bois de la salle à manger, un uniforme vert olive de l’armée française et quelques bribes de la langue maternelle. « Quand ils sont tous les deux, ils échangent dans leur langue maternelle, originelle. Unique moyen de ne pas perdre un dialecte exclusivement oral, de garder vivante une forme qui a résisté à plusieurs langues. »
L’aller-retour linguistique est permanent. La mère introduit même du patois vendéen dans ses phrases.
La colonisation ne se limite jamais à la conquête d’un territoire, elle s’approprie et déforme une langue ainsi que tout ce qu’elle charrie d’histoires collectives et individuelles, de luttes et de rêves, de souvenirs, d’affects, de silences et de révélations.
Yamina Benahmed Daho
Mais les enfants n’ont jamais appris l’arabe dialectal, il reste un privilège parental, comme un secret murmuré. « Leur langue s’est évanouie dans les champs de tournesol au profit du français et du patois vendéen », écrit leur fille.
L’oreille de la narratrice est habituée à quelques mots « comme benti, goulti ou jbel et, évidemment, tous les mots que la colonisation a influencés tels que Francia, musiqa, immigri, faliza, miseria, carta ». Mais le sens profond des chants entonnés par le père reste mystérieux, même si elle se doute « qu’il parle de l’Algérie, de son village, de sa famille, de sa culture, de tout ce que la guerre l’a contraint à laisser loin derrière lui ».
Ces textes ne sont pas seulement de beaux écrins mémoriels, emplis de tendresse. Les deux romancières s’interrogent sur ce qu’il reste de l’exil. Nathacha Appanah raconte son monde, avec ses traditions et ses tabous, le mariage arrangé de ses grands-parents, sa grand-mère qui brûle pour elle un cierge à l’église catholique avant chaque examen important car elle avait davantage confiance dans « le dieu des Blancs qui parle français et anglais ».
Elle se demande surtout combien de générations il faut pour effacer une peur ancestrale. Pour les engagés indiens, la traversée de l’océan Indien, l’eau noire, est proscrite. Car, au-delà de cette frontière, leur indianité se dissout, pensent-ils. La misère les a contraints à dépasser cette interdiction. L’autrice confie avoir aussi peur de l’eau et ne jamais s’aventurer plus loin que les endroits où elle a pied, craignant d’être aspirée.
Pour Yamina Benahmed Daho, « la colonisation ne se limite jamais à la conquête d’un territoire, elle s’approprie et déforme une langue ainsi que tout ce qu’elle charrie d’histoires collectives et individuelles, de luttes et de rêves, de souvenirs, d’affects, de silences et de révélations ».
Alors il va falloir prendre souche ici à Fontayne et être la seule famille maghrébine du lotissement sans rien connaître de cette Algérie si imposante. « Face au miroir, je suis deux fois moi : une petite Vendéenne qui ne sait rien de l’Algérie, une fille d’exilés qui cherche à retenir ce qui tombe dans l’oubli / une danseuse orientale, une chanteuse de raï, une conteuse des hautes plaines. »
Les enfants Benali grandissent avec leurs amis David Couillaud, les sœurs Nathalie et Carine Vignaud, Géraldine Boissinot, Lionel Michaud. Enfants, toutes et tous squattent l’aire de jeu, puis, adolescent·es, les parkings avec des rêves d’ailleurs. « Se maquer, dit Linda, la sœur de l’héroïne, c’est des coups à crever ici et moi je veux absolument me barrer après mon bac. »
Même dans une ville tranquille, la famille a entendu des insultes racistes, essuyé des regards malveillants. Certains s’aventurent à commencer des conversations avec un intrusif « Est-ce que chez vous… ? ». Le père s’en amuse et invente des faux rituels en guise de réponse.
Avec minutie, Yamina Benahmed Daho raconte aussi le quotidien du lotissement violemment percuté par la fermeture de l’usine La Fabrique, énième victime de l’économie libérale. La fin de ce monde ouvrier sonne encore comme une nouvelle dépossession. De cette identité et de ce statut social arrachés.
Une humiliation supplémentaire. C’est aussi parce qu’il n’a pas supporté une énième vexation que le grand-père de Nathacha Appanah s’est rebellé et a frappé un contremaître blanc, et a été puni pour cela.
Creuser les plaies n’est jamais neutre et rejaillit sur celles qui s’y attellent. Nathacha Appanah s’interroge sur sa place, sur sa légitimité à écrire sur les siens, à les figer dans ses mots et à inscrire leur trajectoire dans une histoire globale qui les dépasse.
C’est presque un luxe au regard de la vie de ses ancêtres engloutis dans le tourbillon de la plantation, reconnaît l’autrice. « Comment imaginer un seul instant, dans ces années où même les enfants travaillent, où l’instruction n’est pas accessible encore, où la mort est fréquente, comment imaginer un seul instant que sa présence sur terre est digne d’être inscrite noir sur blanc ? Comment croire qu’on peut être un souvenir précieux, une mémoire à transmettre ? » Nathacha Appanah prouve que ce récit rétrospectif était plus que nécessaire, surtout en cette époque où la migration est sans cesse violemment questionnée.
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Nathacha Appanah, La Mémoire délavée, Le Mercure de France, 160 pages, 17,50 euros
Yamina Benahmed Daho, La Source des fantômes, Gallimard, « L’Arbalète », 144 pages, 18
Les kitesurfeurs qui y affluent des quatre coins du monde l’ignorent, mais Dakhla est une ville chargée d’histoire. Des conquêtes espagnoles à l’Aéropostale, JA exhume les vestiges d’un passé oublié.
Avant d’être le spot privilégié des kitesurfeurs pour voler au-dessus de l’eau, la lagune de Dakhla, nichée entre l’océan Atlantique et le désert du Sahara, a été une escale de choix pour les mythiques pilotes de la compagnie Latécoère, puis de l’Aéropostale au cours des années 1920. À l’époque, la ville est un port sous protectorat espagnol et s’appelle Villa Cisneros. Sur place, un aérodrome de fortune, un fort militaire, une poignée de bâtiments, une garnison de militaires espagnols, ainsi que des tribus bédouines ou touaregs dont le système matriarcal est à ce jour ancré dans les mœurs. Mais aussi le phare d’Arcipèse, simple tourelle d’environ 10 mètres de haut, qui a démontré toute son utilité.
C’est celui-là même qui sauva in extremis Antoine de Saint-Exupéry d’une mort certaine. Devenu pilote au cours de son service militaire en 1922, le jeune homme issu de la noblesse française est engagé par la compagnie Latécoère (future Aéropostale) en 1926 afin de transporter le courrier de Toulouse à Dakar, au Sénégal. Le Maroc compte alors trois escales : Casablanca, Cap Juby (Tarfaya) et Villa Cisneros (Dakhla). Un soir, le père du Petit Prince s’envole donc vers le Sud honorer sa mission. Mais tout au long de la nuit, les relevés radiogéniques sont faussés. Saint-Ex et son radio, Néri, croient longer la côte marocaine, ils piquent en réalité sur l’Océan.
L’aviateur redresse son avion mais il vole à l’aveuglette, et va alors d’étoile en étoile, seuls points distincts à l’horizon. Jusqu’à ce qu’il aperçoive enfin le phare de Cisneros et parvienne dès lors à maintenir son cap. L’auteur, qui n’aura de cesse de conter la fabuleuse histoire de l’Aéropostale dans ses écrits, relate cette aventure dans Terre des hommes, publié en 1939. Un ouvrage où il rend hommage à ses amis aviateurs Jean Mermoz et Henri Guillaumet, deux autres légendes de l’Aéropostale et deux habitués de l’escale Dakhla, où ils se posaient pour faire le plein de carburant et réparer les avaries. Car, à l’époque, chaque envolée vers Dakar était un chemin vers la mort.
Bières tièdes et dîners nocturnes
Dans les années 1920, Joseph Kessel, pilote pendant la Grande Guerre, romancier, reporter et aventurier, va suivre lui aussi la route aérienne de Toulouse à Dakar. Il vole avec un pionnier de la ligne, Émile Lécrivain, dit « Mimile », qui trouvera d’ailleurs la mort au cours de l’un de ces voyages. Alors que le désert et l’eau s’étendent à perte de vue, le coucou est pris dans une tempête de sable, à laquelle les deux hommes réchappent miraculeusement avant de se poser à Villa Cisneros.
Dans son livre Vent de sable, publié en 1929, Kessel fait part de son enchantement pour cette ville où l’on boit des bières tièdes dans une ambiance chaleureuse. L’auteur écrit : « En Espagne, on dîne tard. Cette habitude était strictement observée à la Villa Cisneros. » Un rythme de vie immuable puisque aujourd’hui encore, Dakhla s’éveille lorsque le soleil commence à se coucher.
Sur les traces de Jiménez de Cisneros
Cisneros est un nom qui, pendant un temps, a été donné à Dakhla en l’honneur du moine franciscain espagnol Jiménez de Cisneros (1436-1517), qui deviendra cardinal et sera l’un des plus proches conseillers d’Isabelle la Catholique. Car, en réalité, la première colonisation espagnole de la lagune remonte à 1502 à la faveur d’une bulle papale. En 1505, l’armée du cardinal lance ses premières expéditions contre Oran, en Algérie, avant de s’emparer de la ville en 1509. Mais c’est en 1884 que la place est réellement colonisée par le capitaine d’infanterie Emilio Bonelli, qui décide de la baptiser Villa Cisneros. À la suite de quoi, le royaume d’Espagne déclare un protectorat sur la côte africaine, environ 500 km de littoral faisant face aux Îles Canaries.
Jusqu’en 1958, avant Laâyoune, Villa Cisneros en est la capitale. Sur place, les Espagnols construisent des pistes d’atterrissage, aménagent un port et fondent un réseau militaire. Il faudra attendre 1954 et les plans d’urbanisation de Villa Cisneros et Laâyoune pour que soit érigée une église catholique, toujours en activité. Puis 1960, pour que le protectorat mène à une politique de sédentarisation des Reguibat (l’une des plus grandes tribus du Sahara) et aux premières explorations pétrolières, qui ne donnent rien.
Dans le même temps, Villa Cisneros devient aussi une escale pour les vols à destination de l’Amérique latine. Hormis le rythme de vie nocturne et quelques plaques d’égouts frappés du sceau Villa Cisneros, il ne reste rien de ces vestiges espagnols. Même le fort militaire a été détruit en 2004 par les autorités marocaines, au grand dam de l’Unesco.
Traversons la Méditerranée pour gagner l'Algérie. Stéphane Aubouard reçoit Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020. Une phrase du diplomate qui a connu la période Bouteflika et les débuts de Tebboune résume bien toute la complexité du sujet : « Quand on est ambassadeur de France en Algérie on fait autant de la politique extérieure qu’intérieure… ». "Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres", disait Antonio Gramsci. Dans notre monde globalisé, au sortir de la guerre froide, ces monstres oubliés ont un nom : Le retour des empires. Un podcast du magazine Marianne, présenté par Stéphane Aubouard.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 1 Octobre 2023 à 09:14
Serge Letort, 85 ans, habite à Grandcamp-Maisy dans la résidence du village des Hollandais avec son épouse Geneviève. Il aime écrire et chanter. Pour laisser une trace.
Serge Letort, 85 ans, habite à Grandcamp-Maisy (Calvados) dans la résidence du village des Hollandais avec son épouse Geneviève. Il aime écrire et chanter. Il a composé une trentaine de chansons. Il reste dans l’ombre, ce qui compte pour lui, c’est de laisser une trace.
Serge Letort est un ancien combattantd’Algérie, c’est une période de sa vie qu’il n’oubliera jamais et il en parle très peu. Il fut affecté en septembre 1959 au 3e zouave à Bougie en Algérie comme infirmier opérationnel en petite Kabylie. Il fut libéré de toutes obligations et renvoyé dans ses foyers en novembre 1960.
« Des images qui reviennent la nuit »
« Il y a des images qui ne s’échappent pas. Certaines reviennent la nuit… Il faut essayer de prêcher la paix, mais ça reste avec un point d’interrogation quand on voit encore tout ce qui se passe. La vie, c’est ce qu’il y a de plus beau. Malheureusement, certains la massacre. »
Le coup de foudre pour Grandcamp
Le couple est arrivé à Grandcamp-Maisy début 2000. « Je suis un horsain », sourit Serge Lefort. « On est venu rejoindre des amis un week-end du 14 juillet à Grandcamp-Maisy, on n’a pas eu de chance : quatre jours de flotte. Et malgré tout, on a eu un coup de foudre pour ce petit port de pêche qui a gardé ses traditions et pour son bord de mer. »
Il a pris la présidence de l’Union Nationale des Combattants, section de Grandcamp-Maisy de 2010 à 2014. En 2014, il est responsable des actions sociales et humanitaires au sein de la section locale et membre du bureau de l’amicale nationale des anciens des forces en Allemagne section Normandie.
Il avait déjà été président cantonal de l’UNC de 1975 à 1987 dans le département de l’Eure. Il fut plusieurs fois décoré avec la croix du combattant, la croix du Djebel bronze, la croix du Djebel argent. En 2016, il reçoit la médaille d’argent du mérite de l’UNC.
L’an passé, il a reçu la médaille de la guerre froide par l’amicale des anciens des forces françaises en Allemagne. Serge Letort a deux passions : la cuisine et l’écriture et il s’y donne avec aisance.
« Léon Gautier a pleuré, c’est quelque chose qui vous prend aux tripes ! »
Sa première chanson fut intitulée Haïti au moment du tremblement de terre. Depuis, Serge en a écrit bien d’autres.
« J’ai écrit une trentaine de chansons, certaines ne sont pas finies. Je pars d’un air d’une chanson connue et j’écris mes idées qui vont s’accorder avec. Ce que j’écris, c’est toujours la réalité. Je pars d’un événement, sur l’actualité comme au moment du coronavirus, sur les étapes de la vie, un anniversaire… J’écris des choses joyeuses et d’autres moins joyeuses. »
Il a écrit notamment Les gens du port sur l’air des Gens du Nord.L’ado sur l’air de Plaisir des bois, Not Maisy sur l’air de Fleur de Paris… et bien d’autres. Il a également écrit un hommage aux bérets verts sur l’air de Ma Normandie. « Le 5 juin 2019, avec la chorale La bigaille dont je faisais partie, nous l’avons chantée à l’occasion de la cérémonie Kieffer. J’ai envoyé le texte à Léon Gautier à qui nous rendions hommage avec ses camarades des commandos. Sa fille m’a dit qu’il était très ému. Léon Gautier a pleuré, c’est quelque chose qui vous prend aux tripes ! »
Cette chanson, il l’a aussi adressée à Dominique Kieffer, fille de Philippe Kieffer, qui l’a vivement remercié. En 2021, il écrit Les appelés en AFN, quelques paroles évoquent ce douloureux souvenir, son camarade Bernard qu’il avait connu en Algérie est décédé là-bas. Extrait : C’était un jour du mois d’décembre. Il fut blessé l’après-midi. Evacuation de toute urgence. C’était mon « pote »… un infirmier. Qui se dévouait, chaque journée. Auprès d’civils pour l’AMG. Dans la nuit même, qui suivait, il est parti « dans nos regrets ».
Donner à réfléchir
Une chanson sur l’air cette fois de la balade irlandaise a également été consacrée aux liens d’amitiés du jumelage allemand Kindsbach/Grandcamp-Maisy à l’occasion du 30e anniversaire. « Nous avons des liens forts avec nos amis allemands même si avec mon épouse nous ne pouvons plus aller en Allemagne. Mais on les reçoit. »
Enfin, Serge aime bien les messages qui font réfléchir, notamment « Le véritable bonheur, c’est de pouvoir et de savoir partager ses joies. » Ou encore :« La mort n’est pas une fin, c’est le début des souvenirs » « Pour moi ces messages ou dictons, c’est important, ça permet de se corriger parfois ! »
Après 19 semaines dans les soins, Serge Letort est rentré chez lui. Il est reconnaissant et il a déjà commencé l’ébauche d’une chanson pour le personnel de l’Ehpad du Champ Fleury à Bayeux. « Ce sont des gens formidables, j’ai eu un superbe accueil et surtout de bons soins, je veux les remercier et leur rendre hommage à travers une chanson. Mes idées sont en vrac, mais il n’y a plus qu’à… »
Hâtivement qualifiée de miracle politique, la « révolution du jasmin » (2010-2011) s’est déroulée à huis clos sans que le peuple tunisien n’ait son mot à dire, martèle Saber Mansouri, docteur en histoire. Dressant un inventaire critique de la transition démocratique, il affirme que cet événement a accouché d’un monstre. En témoigne la fracture qui sépare l’image idyllique d’une révolution aux lendemains qui chantent et un peuple ignoré en détresse sociale. Épris de culture grecque, l’auteur note l’absence d’une sémantique arabe appropriée pour nommer les bouleversements en cours. Et remarque que les élites répètent les erreurs du passé en égrenant des concepts empruntés à l’Occident. Il déplie le tapis de l’histoire de son pays natal, explique la révolution de 2011 par le « moment Ben Ali » et le « moment Bourguiba », rappelle le protectorat français établi en 1881 en le mettant en relation avec la colonie de peuplement qu’était l’Algérie. La « révolution du jasmin » aura été un mouvement éphémère sur lequel auront eu un fort impact la chute de Mouammar Kadhafi et la descente aux enfers de la Libye, poumon économique d’une Tunisie aux ressources limitées.
Photo of Jean Sénac taken by Denis Martinez near Algiers in the summer of 1973.
Le Seuil édite les carnets, notes et réflexions du poète engagé algérien, Jean Sénac. Plus de 800 pages qui racontent 30 ans de la vie de l’écartelé de 16 ans, à son assassinat le 30 août 1973. Le grand ami d’un autre algérois, Albert Camus y rend compte de son rapport à son homosexualité, entre culpabilisation, puis revendication, de son intimité, et de son engagement politique : un suivi des “événements d’Algérie”. Celui qui devint un animateur de radio très populaire dans l’Algérie indépendante a été probablement liquidité à Alger par le dictateur Houari Boumedienne
Né d'une mère algérienne et d'un père inconnu, Sénac a embrassé la cause nationaliste algérienne, tout en étant profondément attaché à la culture française. Après l'indépendance, il soutient le nouveau régime algérien, mais est progressivement devenu critique à l'égard des dirigeants et de l'intolérance qu'il percevait envers les minorités, notamment les Berbères et les homosexuels.
Ses poèmes, radiophoniques et écrits sont considérés comme des témoignages précieux sur la période de transition de l'Algérie, sur ses espoirs et ses déceptions. L’auteur de Poèmes à mon frère blanc, Diwan de l'étranger, et Citoyens de beauté a par ailleurs joué un rôle clé dans la promotion de la nouvelle génération de poètes algériens pendant et après la guerre d'indépendance.
“Il y aura toujours entre vous et moi l’espace d’un estomac creux. Ça n’a rien de rien, c’est parfois un espace infranchissable.”
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