Zaho, quelques heures avant son concert aux Francos de Montréal.PHOTO : Radio-Canada / Nora Chabib
Zaho a connu l’exil il y a 26 ans avant de devenir montréalaise. Partie d'Algérie en 1998, pendant la guerre civile, l’auteure-compositrice-interprète témoigne de l'émancipation que lui a permis le Québec. Au micro de Philippe Fehmiu, elle raconte comment la mixité sociale l’a aidée à s'affranchir de cette envie « d’effacer ses côtés culturels pour ne pas faire peur à l’autre ». La chanteuse au titre culte C'est chelou exprime l’ardeur que l'émigration forcée a réveillée en elle, alors qu’elle s’apprête à donner un concert aux Francos de Montréal.
« Moi qui ai eu la chance de quitter, je me dois de réussir au nom de tous ceux qui ont péri là-bas. »
La carrière de Zaho s’est d’ailleurs poursuivie à travers de nombreuses collaborations marquantes, notamment avec des artistes comme La Fouine, Sean Paul, Grand Corps Malade, Tayc ou encore Céline Dion, pour qui elle a récemment écrit une chanson. Au micro, elle explique la grande prise de conscience artistique qu’elle a eue après son rapprochement avec la divaquébécoise. « Je me suis tout permis après cette rencontre », affirme-t-elle.
« Je pense qu’on grandit en se mélangeant aux autres. »
Dans un mélange d'impatience et de stress, Zaho s’apprête à donner un concert à Montréal, pour la première fois sous les yeux d’une grande partie de ses proches, y compris son fils. « Mes parents, ma famille qui n’ont pas eu beaucoup l’occasion de me voir seront tous là [...] Ça me donnera un petit boost pour donner mon meilleur, et deux fois plus d’émotions », lance-t-elle.
Montréal, 12 décembre 2015. Le personnel de la Croix-Rouge canadienne accueillant des réfugiés syriens dans leur pays d’installation.
Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada
Le Canada, terre d’asile inconditionnelle ? Le 31 mars 2024, le programme de visas d’urgence mis en place dans le cadre de l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine (AVUCU) est arrivé à expiration. Déjà prolongé d’un an, ce programme permet aux réfugiés ukrainiens d’obtenir la résidence temporaire au Canada par l’accès à un permis de travail ouvert. Suite à l’annonce de ce « moyen spécial », le ministère de l’immigration a approuvé 960 091 demandes de visa, et 248 726 civils ukrainiens sont arrivés sur le territoire. D’après le bureau gouvernemental Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada (IRCC), ils pourraient être près de 90 000 de plus à affluer sur le territoire.
Une semaine après l’invasion russe de l’Ukraine, le premier ministre Justin Trudeau annonçait l’abandon de contraintes administratives pour les Ukrainiens souhaitant fuir leur pays, telle que la réduction du délai d’obtention de visa, la dispense de frais pour certains types de titres de voyage d’urgence, etc. Les formalités administratives canadiennes se voient ainsi largement assouplies dans l’objectif de faciliter le processus d’immigration des réfugiés ukrainiens.
DES CONTRAINTES ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES
La mise en place de mesures d’urgence dans un contexte de crise des réfugiés n’est pas rare dans l’histoire migratoire canadienne. La dernière vague importante de réfugiés accueillis sur le sol canadien remonte à 2015. Cette année-là, plus de 4 millions de Syriens quittent leur pays en conséquence de la guerre civile provoquée par Bachar Al-Assad, qui a fait 507 000 morts. La guerre éclate en 2011, mais il faut attendre septembre 2015 pour que l’ancien gouvernement fédéral, mené par le conservateur Stephen Harper, dévoile un plan d’accueil et de sélection des réfugiés syriens. Pressé par l’opinion publique et l’opposition, Ottawa s’engage à accueillir 20 000 Syriens sur le territoire en quatre ans, sous certaines conditions administratives, politiques et idéologiques.
Sous le feu des critiques, le gouvernement Harper collabore avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), afin d’accueillir ce quota promis de Syriens alors réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Toutefois, les délais de traitement et de prise en charge sont conséquents. Pour se voir délivrer un visa, les Syriens déplacés en Turquie doivent attendre en moyenne six mois. Ceux en Jordanie patientent deux ans et demi, et pour les civils réfugiés au Liban, les délais atteignent jusqu’à trois ans et demi. Au final, ils seront 39 636 à arriver au Canada entre novembre 2015 et décembre 2016, dont 35 % parrainés par le secteur privé et 55 % pris en charge par le gouvernement, d’après l’IRCC.
« EST-CE QUE LE SYSTÈME EST TOUT SIMPLEMENT RACISTE ? »
« Tous les jours, j’assiste à l’arrivée de nouveaux réfugiés ukrainiens, et tous les jours, je suis de nouveau confrontée aux injustices et au mépris auxquels ma famille et moi avons fait face pour arriver jusqu’ici », raconte tristement Haya Bitar, 23 ans. Originaires d’une famille athée de Damas, Haya, ses parents et sa sœur habitent à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, lorsque la guerre civile éclate en Syrie. Les relations politiques se tendent entre les Émirats et la Syrie, et les Bitar assistent à l’expulsion de nombreuses familles syriennes de cet État fédéral du Golfe. Craignant d’être renvoyés à leur tour à Damas, ils cherchent à rejoindre les États-Unis où habite une partie de leurs proches. Sans succès. En 2016, l’ancien président américain Donald Trump signe le Muslim Ban, une série de décrets exécutifs visant à interdire l’entrée aux États-Unis aux ressortissants de certains pays à majorité musulmane, dont la Syrie. « Trump interdisait littéralement à ma famille d’entrer sur le territoire à cause de leur passeport syrien, et les frontières européennes étaient fermées. Il ne nous restait plus qu’une seule option : le Canada », poursuit Haya Bitar.
La famille s’engage alors dans un périple administratif qui ne prend fin qu’en 2019, lorsqu’un agent de l’immigration canadienne leur annonce qu’ils sont autorisés à entrer sur le territoire. « Ils avaient perdu notre dossier. Pour les agents de l’immigration, nous ne sommes que des piles de papiers administratifs qu’on laisse trainer sur un bureau, dénonce la jeune femme. Pourtant, il s’agit de nos vies, nous sommes des êtres humains. » Lorsque la famille syrienne arrive à Montréal, au Québec, elle est confrontée à la précarité. Les diplômes syriens des parents d’Haya n’ont pas de valeur au Québec, et leur statut de réfugiés les freine lourdement dans leur recherche d’emploi :
Nous étions en sécurité, mais le stress de ne pas trouver d’emploi rongeait mes parents de l’intérieur. Finalement, en quoi la vie de réfugiés au Québec était-elle si différente de celle que nous avions à Abou Dhabi ?
Les parents d’Haya jonglent entre différents jobs alimentaires et les cours de français, 35 heures par semaine nécessaires à leur adaptation et à la recherche d’emploi. L’étudiante de 23 ans suit également un programme de langue depuis son arrivée au Québec. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre plusieurs réfugiés ukrainiens. « J’ai ressenti tellement de colère contre l’immigration canadienne lorsque j’ai appris que le processus d’immigration avait été facilité pour les Ukrainiens », révèle la jeune femme, avant de fustiger le « deux poids, deux mesures des politiques migratoires ».
Certains d’entre eux reçoivent un visa de tourisme en deux semaines, alors que ma famille a mis trois ans pour obtenir le simple statut de réfugié. Est-ce parce que nous, Syriens, sommes perçus comme un danger ? Est-ce que le système est tout simplement raciste ?
LAÏCITÉ ET NATIONALISME
Lorsque la famille Bitar procède à sa demande d’asile auprès de l’immigration canadienne, la crise migratoire syrienne se trouve au cœur des débats dans le pays. Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, des courants d’opinion hostiles à l’accueil des Syriens sur le territoire canadien font leur apparition. Des liens entre l’islam, le terrorisme et l’accueil des Syriens sont établis par les conservateurs et les médias, et l’argument sécuritaire est généralement mis en avant dans les discours concernant l’accueil des réfugiés syriens. Pour Leila Benhadjoudja, spécialiste de la laïcité et chercheuse à l’Institut d’études féministes et de genre à l’université d’Ottawa,
les politiques d’immigration et d’accueil des personnes réfugiées sont structurées par des logiques raciales, mise à l’œuvre notamment dans des discours sécuritaires. Lorsqu’il s’agit de réfugiés racialisés, les affects de peur et de soupçon sont mobilisés et alimentent alors les logiques sécuritaires dans l’intérêt de « protéger » la nation.
Une « panique morale » affecte tout le pays et n’épargne pas le Québec, où les débats houleux sur la laïcité et le port du hijab sont relancés avec l’arrivée des Syriens, poursuit Leila Benhadjouda.
Le discours nationaliste sur la laïcité au Québec s’articule de manière à présenter la nation comme féministe, ayant aboli le patriarcat, l’homophobie et les violences sur les minorités genrées. On y oppose alors les personnes réfugiées et musulmanes qui viendraient saboter ce projet d’une nation moderne, progressiste et démocratique.
Ce type d’argument chauvin deviendrait ainsi un outil identitaire à visée politique, servant un « discours sécuritaire qui légitimerait le contrôle accru des frontières ». Pour la chercheuse,
les politiques d’immigration au Canada étaient ouvertement racistes, maintenant elles sont devenues néo-racistes. On ne parle plus de race, mais de culture, d’adaptation et d’intégration.
Si le Canada se conforme à une tradition multiculturelle, le modèle québécois adopte une approche davantage républicaine, dite « à la française ». Un mimétisme politique qui amène le premier ministre québécois François Legault à adopter en juin 2019 un projet de loi sur la laïcité de l’État, également connue sous le nom de loi 21. Validée par la Cour d’appel du Québec le 29 février 2024, ce texte controversé interdit le port de signes religieux aux employés de l’État provincial qui occupent des postes d’autorité coercitive, comme les policiers ou les juges, ainsi qu’aux enseignants du primaire et du secondaire dans le secteur public.
UNE ENTRAIDE COMMUNAUTAIRE
Solidarité. C’est le mot d’ordre de la mission que se sont donnée Adelle Tarzibachi et Josette Gauthier, co-fondatrices des Filles Fattoush. Cette entreprise de restauration créée en 2017 emploie uniquement des femmes réfugiées syriennes. « Lorsque le gouvernement a annoncé l’accueil de 25 000 réfugiés, nous nous sommes immédiatement demandé comment aider les femmes syriennes à s’intégrer et à trouver un emploi dès leur arrivée », relate Adelle Tarzibachi. Jusque-là bénévole auprès d’églises impliquées dans l’aide administrative et le parrainage privé des réfugiés syriens, la cheffe d’entreprise originaire d’Alep qui se sentait « impuissante face à la guerre » a trouvé avec cette initiative un moyen d’aider à sa façon. C’est d’ailleurs à l’église qu’elle rencontre Maria, sa cheffe cuisinière, arrivée sur le territoire canadien avec ses deux enfants de 7 et 9 ans, début 2017. « Nous avons vécu 6 ans sous les bombardements à Damas », raconte-t-elle. « Il fallait fuir pour que mes enfants soient en sécurité. Cependant, je n’ai pas pu immigrer plus tôt à cause des délais de traitement de notre dossier par l’immigration canadienne. » Dans sa fuite, Maria laisse son mari derrière elle.
Il ne voulait pas quitter ses parents, mais il compte nous rejoindre. Nous sommes en attente de procédures, depuis un an. On ne sait pas combien de temps cela peut prendre, j’espère qu’il finira par venir.
Même si la Syrienne décrit des difficultés d’adaptation lors de son arrivée sur le territoire canadien, elle se félicite d’avoir trouvé un équilibre, notamment du fait de son activité professionnelle. « C’est mon premier emploi et j’ai l’impression de travailler avec ma famille. Malgré les problèmes du quotidien, je trouve beaucoup de bonheur dans mon milieu de travail », poursuit-elle. Plus qu’un tremplin pour ces femmes réfugiées, le lancement de Filles Fattoush est un moyen pour Adelle Tarzibachi de « créer un pont » entre la Syrie et le Québec. « À l’époque, les médias véhiculaient une image négative de mon pays, ils ne parlaient que de guerre et de réfugiés », se souvient-elle. « Ce projet était une goutte de positivité dans un bassin de négativité. » Avant de conclure : « Il est important de montrer que ces réfugiés décrits comme un danger sont arrivés avec un riche bagage culturel à faire découvrir au Québec. »
Une enquête policière de deux ans aura permis de mettre la main au collet d’un Lavallois et d’un Montréalais qui auraient opéré un bureau de change illégal et effectué des transactions de plus de 20 millions $ pour déplacer des fonds clandestinement du Canada vers l’Algérie.
Said Aimeur, 55 ans, de Laval et Nesreddine Atoui, 58 ans, de Montréal, ont été arrêtés par les policiers de l’Unité mixte des produits de la criminalité de la GRC.
Selon les autorités, les deux individus auraient «utilisé un stratagème afin de collecter et déplacer des fonds de façon clandestine du Canada vers l'Algérie, en les faisant transiter principalement par la Chine».
Les transactions monétaires illégales de MM. Aimeur et Atoui s’élèveraient à plus de 20 millions $, selon la police.
L’enquête dans cette affaire a débuté en décembre 2021, lorsque les policiers ont obtenu des informations du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières au sujet de transactions douteuses effectuées par les deux hommes.
Said Aimeur et Nesreddine Atoui font tous les deux face à une accusation en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, pour avoir exploité une entreprise de services monétaires non enregistrée.
Ils s’exposent à une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans et à une amende pouvant atteindre un demi-million de dollars.
Les deux hommes doivent comparaître au palais de justice de Montréal le 1er décembre.
Homme d’affaires égypto-canadien, Adel Boulos oeuvre sans relâche à établir des ponts entre l’Egypte et le Canada. Il fait office de leader communautaire et préside le Réseau d’affaires égypto-canadien (Egyptian Canadian Business Network).
Il est 6h30 du matin. Adel Boulos prend son café dans sa véranda à Montréal, puisque l’hiver n’est pas encore arrivé, et ce, après avoir prié et donné à manger à sa chienne Zuri, un caniche standard qu’il a depuis 2 ans. D’autres jours, il va à Pointe-Claire (une ville à moins d’une heure) pour un entraînement de natation de 90 minutes avec son équipe de maîtres-nageurs afin de rester en forme.
C’est dans son bureau à Montréal qu’il nous accueille, deux semaines avant de voyager en Egypte. Le bâtiment aux formes cubiques abrite le siège du fournisseur de denrées alimentaires Amira. Adel Boulos est le PDG de cette boîte qui importe divers produits alimentaires du Moyen-Orient et les distribue sur le marché canadien. Ce magasin de Saint-Laurent est connu par ses belles offres, surtout les mangues, les goyaves et les figues, ainsi que les aubergines blanches, des produits ayant un goût exquis, provenant d’Egypte.
Ce sont ses parents qui avaient fondé l’entreprise après avoir émigré au Canada en 1978. « Mon père et ma mère ont décidé de tout quitter en Egypte et d’aller au Québec. Ma tante maternelle vivait à Montréal et c’était la motivation principale de l’émigration », explique-t-il. En Egypte, son père avait été un officier à l’armée pendant 15 ans et il était propriétaire d’une ferme à Wadi Al-Natroune (près d’Alexandrie), où il y avait du bétail et des chevaux et l’on y cultivait des olives, les transformant ensuite en olives vertes. Encore enfant, il y allait régulièrement avec sa soeur. Egalement, la famille faisait du commerce. « J’y étais impliqué dès l’âge de 10 ans, tenant un magasin à Zamalek », se souvient-il. Ce travail dès son jeune âge n’a certainement empiété ni sur ses études ni sur ses loisirs, puisqu’il a fréquenté l’école anglophone Saint-Georges à Héliopolis jusqu’à l’âge de 13 ans et aimait la lecture, la natation et l’équitation qu’il pratiquait au club Al-Guézira, ainsi qu’au club Galaa des officiers.
Une fois arrivés à Montréal, son père et sa mère ont dû repartir à zéro en achetant un petit commerce de pâtisserie et d’épicerie fine à la rue Sherbrooke, à Notre-Dame des Grâces. « Ma soeur Amira et moi, nous les aidions pendant le week-end. Plus tard, mes parents ont acheté une maison et ils travaillaient à partir du sous-sol. Ils ont commencé le commerce de gros et ont choisi le nom de ma soeur Amira comme nom commercial de leur compagnie. Nous sommes alors entrés dans le domaine des noix et des fruits secs. Ensuite, nous avons commencé à importer des produits alimentaires de l’Egypte, comme la mouloukhiya (corète potagère). Mon père était parmi les premiers à le faire au Canada », raconte-t-il.
Le petit Adel et sa soeur ont dû suivre la classe d’accueil pendant leur première année à Montréal afin d’apprendre le français. Leur mère, Mme Ragaa, journaliste traductrice à la MENA, au Caire, étant elle-même de culture anglophone, n’arrivait pas à les aider. Il est ensuite entré au Cégep (phase transitoire de deux ans pour être orienté à l’université) avant de poursuivre ses études à l’Université Concordia et obtenir un baccalauréat en commerce. « J’ai connu ma future épouse Moushira durant les activités à l’église lorsque j’ai commencé le Cégep. Elle était au cycle secondaire. Nous nous connaissons donc depuis notre très jeune âge. Elle a étudié l’actuariat et elle enseigne dans une école au West Island. Elle aime les mathématiques et ses élèves l’apprécient », précise-t-il.
Sa mère étant cairote et son père alexandrin, Adel Boulos se considère comme un mélange entre les deux. Il aime beaucoup la mer et ses fruits. Prendre le large à bord de son bateau sur la rivière est une belle activité qu’il pratique régulièrement. Par ailleurs, il aime aller à la Côte-Nord en Egypte pour se rappeler ses beaux souvenirs d’enfance à la mer. Une peinture dans son bureau illustre la plage de Stanley à Alexandrie où sa famille avait une cabine. Ils passaient la journée là-bas et jouaient à la raquette.
Adel est devenu par la suite comptable professionnel et a travaillé pendant deux ans comme vérificateur (audit) dans un bureau à Montréal, mais il a préféré rejoindre l’entreprise familiale en 1990. C’est l’année où il a épousé Moushira qui l’a beaucoup soutenu et a fait face avec lui à de nombreux défis, surtout qu’il prend beaucoup de risques auxquels elle n’est pas habituée.
L’entreprise était encore petite et il a beaucoup travaillé pour la moderniser, en y introduisant l’ordinateur et les nouveaux systèmes. A un moment donné, le nombre d’employés a atteint 100 personnes.
« Mes parents avaient eu certaines difficultés en commençant leurs affaires au Québec, mais ma soeur Amira et moi, ayant grandi là-bas, nous avons appris la persévérance. Nous nous sommes habitués à travailler assidûment et à ne pas abandonner. On ne considère pas le refus comme une réponse finale, mais nous essayons toujours d’obtenir ce que l’on veut », affirme-t-il avec un léger sourire en mentionnant des marques distribuées par la compagnie dans les chaînes de supermarchés et les supermarchés ethniques à travers le Canada.
Chef du Réseau d’affaires égypto-canadien (Egyptian Canadian Business Network), une organisation sans but lucratif qui existe depuis 10 ans, Adel Boulos avait accueilli à Montréal le célèbre homme d’affaires et ingénieur égyptien Naguib Sawiris qui a été honoré par l’organisation, ainsi que Nabila Makram, ex-ministre de l’Emigration et des Affaires des Egyptiens à l’étranger. Plusieurs concerts ont été animés à Montréal par des artistes égyptiens pour financer des projets de bienfaisance comme l’hôpital pour le cancer des enfants en Egypte et l’initiative Tahya Misr.
Le businessman aime être impliqué en politique ; on le voit sur une photo, accrochée au mur de son bureau, avec l’ex-premier ministre canadien, Stephen Harper, lorsqu’il était en fonction. Il avait également rencontré le président Abdel-Fattah Al-Sissi durant la conférence Masr Tastatie (l’Egypte est capable). Le président écoutait les discours des représentants des communautés pour savoir comment profiter des talents, de l’intelligence et des idées des Egyptiens à l’étranger dont le nombre atteint 15 millions d’émigrants.
Leader communautaire, il oeuvre à consolider les liens entre les Egyptiens expatriés et à leur faciliter les services consulaires. Il soutient les initiatives égyptiennes au Canada, qu’elles soient sociales, culturelles ou académiques, et établit le lien entre sa communauté et les gouvernements provincial et fédéral, ainsi que les municipalités. Il a aussi soutenu des candidates égyptiennes aux élections comme Ann Francis et Mariam Ishaq.
« J’espère que l’Egypte réalisera un jour l’autosuffisance en blé et en bon nombre de denrées alimentaires. Notre pays a tous les atouts pour cela, surtout les terrains et le bon climat. Par ailleurs, j’ai un projet en tête pour la modernisation de l’agriculture que j’espère réaliser. Il faudrait rappeler que l’Egypte est actuellement pionnière en matière d’exportation d’agrumes, dépassant l’Espagne. Notre pays aussi est le plus grand producteur de dattes dans le monde, mais tout est consommé localement », indique-t-il.
Récemment, ses efforts ont porté leurs fruits et la Compagnie des Egyptiens à l’étranger pour l’investissement a été fondée avec l’aide de la ministre de l’Emigration, Soha El-Gendy, qui avait introduit l’homme d’affaires au premier ministre, Moustapha Madbouli, pour discuter de la structure d’une compagnie avec 10 partenaires égyptiens de par le monde qui désirent investir dans différents secteurs en Egypte, dont l’agriculture, la technologie, l’immobilier, le tourisme, etc.
Adel Boulos est également membre de l’organisation Orphelins coptes qui aide 15 000 enfants dans 800 villages en Egypte avec 700 bénévoles. « Le total des dons envoyés en Egypte l’année dernière a atteint 20 millions de dollars. Les enfants sont pris en charge jusqu’à ce qu’ils terminent l’université », indique-t-il.
L’homme d’affaires trouve qu’il y a des avantages et des inconvénients dans son pays d’accueil, ainsi que dans son pays d’origine. Les deux Etats recèlent de bonnes opportunités. Il aime les deux et préfère être toujours positif, soulignant qu’il faut toujours réaliser le meilleur là où l’on vit.
Plus de 6 068 feux se sont déclarés au Canada depuis début le début de la saison. 1 063 sont encore actifs, dont 686 jugés hors de contrôle. Au total la barre des 16 millions d’hectares brûlés vient d’être franchie. La province du Québec a été la plus durement touchée, dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue.
Le long de la route 117, qui file de Montréal vers le nord du Québec, le décor semble, à première vue, immuable. Des murs d’épinettes vert sombre, ce conifère qui peuple la forêt boréale canadienne, se dressent tels des sentinelles de chaque côté de la voie sur des centaines de kilomètres. Seule fantaisie dans ce spectacle statique, le mouvement des branches, agitées par la brise, des trembles et bouleaux, ces feuillus également présents dans la forêt primaire.
Forêt brûlée par le feu « 344 » au sud-est de Senneterre (Québec, Canada), le 26 août 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Mais, à la sortie du parc de La Vérendrye, la plus grande réserve forestière protégée de l’Abitibi-Témiscamingue, une région située dans l’ouest de la province de Québec, il suffit d’un détour de quelques kilomètres, parcourus sur un chemin forestier cahoteux, pour que surgisse un tout autre paysage. Où que le regard se porte, des monts et des vallons noircis et arasés, des épinettes et des pins gris consumés comme des tiges d’allumette. Des troncs charbonneux gisent à terre. Des énormes blocs de granit rose ont été fracassés sous l’intensité de la chaleur. La blancheur des troncs de bouleaux, intacts, accroche la lumière du soleil de cette fin août : ils sont les seuls rescapés du brasier qui a ravagé la région dans les premiers jours de juin. Trois mois après le passage de l’incendie le plus intense jamais subi, bleuets, fougères, épilobes aux fleurs violettes et feuillus repoussent déjà dans le sol meuble.
Après l’Alberta à l’ouest du Canada début mai, les provinces atlantiques à l’est du pays quelques semaines plus tard et avant que les flammes ne s’emparent de la Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest – forçant encore, ces derniers jours, plusieurs dizaines de milliers de personnes à évacuer leurs habitations –, le Québec a lui aussi vécu une saison des feux hors du commun.
Chacun ici a conservé dans son smartphone les photos de cette saison en enfer – les flammes qui surgissent à l’arrière du chalet, la fumée, « la boucane » dit-on dans la région, qui fait perdre tous les repères, le soleil transformé en disque opaque dans un ciel orange vif, les files de voitures fuyant les brasiers – et les messages affolés échangés avec les proches : « C’est l’apocalypse », écrit un homme à son épouse.
Depuis le mois de mai, 668 incendies ont ravagé plus de cinq millions d’hectares au Québec, soit près d’un tiers de la superficie brûlée à travers tout le Canada.
Les surfaces touchées sont à l’échelle de l’immensité du pays, démesurées. Dans le Grand Nord, le plus grand feu jamais répertorié dans la province, de plus de un million d’hectares, était toujours sous observation fin août. Il a démarré le 27 mai. Mais, exceptionnellement, cette année, les flammes n’ont pas seulement sévi au-delà de la « limite nordique » du territoire, au nord du 50e parallèle, là où la forêt boréale est régulièrement en proie à des feux estivaux. Elles se sont aussi attaquées aux zones dites « de protection intensive », où sont installés de nombreux villages et où la forêt est exploitée par les hommes. C’est 1,5 million d’hectares qui sont partis en fumée sur ces terres habitées, cent fois plus que la moyenne annuelle de ces dix dernières années.
Poissons asphyxiés
Durant cette saison infernale, l’Abitibi-Témiscamingue a été la région la plus durement touchée au sud de la limite nordique. Le brasier le plus important, le feu « 344 » selon la terminologie de la Société de protection des forêts contre le feu (Sopfeu) du Québec, qui attribue à chacun des foyers un numéro, a rasé à lui seul plus de 500 000 hectares – près de cinquante fois la superficie d’une ville comme Paris. Trois mois après s’être déclaré, le « 344 » menace toujours : il est considéré comme maîtrisé, mais pas officiellement éteint. A l’affût de la moindre fumerolle, des hélicoptères survolent la zone sans relâche.
Sur les rives du lac Matchi-Manitou, l’auberge du même nom organisait il y a quelques semaines encore des séjours de pêche pour les amateurs de doré, ce poisson à la chair goûteuse. En quelques heures, le 1er juin, le feu 344 a transformé ses huit chalets en tas de cendres. Le verre des fenêtres a fondu sous la chaleur du brasier, les chaises en métal se sont entortillées sur elles-mêmes. Au milieu d’un amas de charbon, un service d’assiettes en faïence reste miraculeusement intact. Des résidus noirs obscurcissent l’eau, qui vient lécher la plage de sable blanc, désormais désertée.
Le feu, photographié par Eric Paquet, le 1er juin 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
A une vingtaine de kilomètres au nord-ouest, Eric Paquet, propriétaire de la pourvoirie (le nom des auberges de pêche et de chasse au Québec) du lac Guéguen, a vu ce jour-là le ciel virer au rouge et la fumée envahir l’air. « Mon urgence, dès qu’on a reçu l’ordre d’évacuation de la sécurité civile, a été d’aller rechercher les pêcheurs partis sur le lac, inconscients du danger, car ils préfèrent éteindre leur portable pour jouir de leur tranquillité. » Lors de son expédition de secours, Eric Paquet voit flotter à la surface de l’eau, « rendue plus chaude qu’à Miami », les cadavres de poissons asphyxiés. Ce 1er juin, tous ses clients ont été ramenés à bon port, et ses chalets ont échappé aux flammes. Mais après avoir survécu à l’absence de touristes pendant la pandémie de Covid-19, le quinquagénaire, qui a investi 1 million de dollars dans cette auberge en vue d’assurer sa retraite, voit une nouvelle fois sa saison estivale réduite à néant. « Va-t-on revivre des feux de cette intensité ? Oui, c’est écrit. Entre nos hivers de moins en moins rigoureux, et nos étés de plus en plus chauds et précoces, ajouté au phénomène El Niño que nous subissons actuellement, ça pourrait même arriver dès l’année prochaine. Mais où aller installer une nouvelle affaire quand le monde entier subit les mêmes tourments ? », s’interroge-t-il.
Dans la région, le feu 344 est surnommé le « feu de Quévillon », du nom de Lebel-sur-Quévillon, une localité de 2 160 habitants située à 650 kilomètres au nord de Montréal, qui s’est retrouvée au cœur du brasier. Guy Lafrenière, son maire, n’a nul besoin de consulter le petit calendrier posé derrière son bureau pour se souvenir, heure par heure, de ce qu’il a vécu trois mois auparavant. « Le vendredi 2 juin à 16 heures, la sécurité publique m’appelle pour me prévenir qu’un feu s’en vient sur la ville. Elle m’informe qu’il faudra peut-être envisager, sous quarante-huit heures, une évacuation. » Il s’affaire, appelle des bénévoles en renfort. Mais quarante minutes plus tard, nouveau coup de fil. Le ton a changé. « Vous avez trois heures pour partir, c’est un ordre. »
De sa mairie, Guy Lafrenière voit les flammes s’élever, à quatre kilomètres de sa bourgade. Un message d’alerte est lancé sur le groupe Facebook de la municipalité, un camion de pompiers sillonne les rues sirène hurlante, les élus font du porte-à-porte pour presser les habitants de se munir d’une simple valise avec du linge de rechange et de fuir. Dans les six autobus qui emmènent ceux qui n’ont pas de véhicule vers la ville de Senneterre, à une petite centaine de kilomètres au sud, qui va accueillir les réfugiés trente et un jours durant, des enfants pleurent. « C’était effrayant», reconnaît l’édile. Deux avions stationnés à l’aéroport embarquent une dizaine de patients dans les hôpitaux de la région. « A 21 heures, Lebel était une ville fantôme », se souvient-il. Le maire reste seul, avec deux membres de son cabinet et dix-sept pompiers municipaux volontaires, un maigre contingent pour faire face au feu qui approche. En bordure de la ville, l’usine de pâte à papier Nordic Kraft abrite des réservoirs de mazout et des wagons de chlore, prêts à exploser.
L’orage qui s’est déclaré la veille au soir a frappé depuis l’Ontario voisin tout le nord du Québec. Une ligne de foudre a allumé simultanément près de deux cents foyers. La région entière, qui sort d’un printemps inhabituellement chaud et sans eau – « 0,1 millimètre de pluie tombé entre avril et mai, nous n’avions jamais vécu cela », témoigne Guy Lafrenière –, s’enflamme tel un fétu de paille. Seuls les lacs, les cours d’eau et parfois les routes servent de « freins naturels » aux flammes qui se propagent. Le feu saute de cime en cime, projette à des kilomètres à la ronde des tisons incandescents, qui embrasent à leur tour les sols desséchés des forêts. Les ordres d’évacuation s’enchaînent. Au total, 25 000 personnes au Québec devront quitter leur résidence pour quelques heures ou plusieurs semaines.
Aldée Paré et Liliane Dion ont été évacués le 2 juin de leur pavillon, à Lebel-sur-Quévillon (Québec, Canada), le 24 août 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Ce 2 juin, Aldé Paré et Liliane Dion, 81 ans tous les deux, ont abandonné leur dîner qui mijotait sur la gazinière, ils ont sauté dans leur caravane pour se réfugier chez leur fille Hélène, à Senneterre. De retour dans leur pavillon de briques rouges de Lebel-sur-Quévillon, Aldé, droit comme un « i » dans sa chemise violette, assure qu’il se trouve « chanceux » de n’avoir pas perdu sa maison. Mais deux « camps de chasse » du couple, ces petits chalets rudimentaires construits au bord de l’eau, où les Québécois aiment passer leur temps libre pour profiter de la pêche, de la chasse et du bois, sont « passés au feu ».
Les traumatismes laissés par les incendies tiennent parfois à une perte dérisoire. « Une table basse sur laquelle notre fille Geneviève avait laissé son empreinte de pied lorsqu’elle était petite s’est entièrement consumée. Ça peut paraître “niaiseux” mais c’est comme si toute ma vie était concentrée dans cette petite table ronde », s’étouffe Liliane, la voix brisée. « Depuis trois mois, j’ai le sentiment que le feu est entré dans mes poumons, je ne parviens plus à respirer. » Le feu, qui enflamme tous les souvenirs sur son passage, joue parfois des farces. Le chalet de leur fille Hélène Paré, pourtant au cœur de la fournaise, a été épargné. « On se dit que nos aïeux ont veillé sur lui », veut croire la volubile quinquagénaire.
Pas de victime
Malgré le caractère exceptionnel des incendies endurés au Québec cet été, aucune ville n’a été détruite dans la province, et aucune victime n’est à déplorer. Mais aucun feu n’a été éteint non plus par la seule action des pompiers. Marc Waltz, agent de protection de la Sopfeu, a été assigné au « 344 » dès son éclosion. Vingt-quatre jours de travail d’affilée, entrecoupés de nuits courtes et un constat à l’issue de cette épreuve : « Il nous a fallu revoir complètement notre façon d’appréhender le feu. Avec un brasier de 107 kilomètres de long et de 97 kilomètres de large, un périmètre de 2 000 kilomètres et des flammes de quinze mètres de hauteur au-delà des arbres, il était impossible de l’attaquer de front. Le feu est une bête en soi, imprévisible. Nous avons dû nous résoudre à nous mettre en mode défensif. »
Avec, à ses côtés, seulement vingt pompiers disponibles pour protéger Lebel-sur-Quévillon aux premiers jours de juin, quand des hommes étaient déjà déployés à l’est et à l’ouest du territoire autour d’autres localités également menacées, Marc Waltz n’a pu que superviser le défrichage de tranchées coupe-feu à l’aide de volontaires, et installer des systèmes d’arrosage autour de l’usine Nordic Kraft. « Cette usine, c’était mon Fort Alamo. Si elle sautait, toute la ville y passait, se souvient-il. La seule action possible était de ralentir le feu pour sauver des vies et les infrastructures essentielles. »
Marc Waltz, agent de protection, dans le bureau de la Sopfeu, à Val-d’Or (Québec, Canada), le 25 août 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Le Québec ne dispose que de 243 pompiers à temps plein spécialisés dans les feux de forêt. Malgré le renfort exceptionnel de contingents étrangers – quelque 300 pompiers français, espagnols, américains et sud-coréens se sont relayés au fil des jours –, l’agent d’intervention de la Sopfeu estime qu’il aurait fallu multiplier « au moins par dix les effectifs » pour espérer venir à bout de ce feu dantesque. « Avec la chaleur dégagée par les brasiers, on ne pouvait même pas envisager de larguer de l’eau par avion, elle se serait évaporée avant même de toucher le sol », ajoute-t-il. Ce sont la baisse des températures et le retour de la pluie qui, fin juin, ont finalement eu raison de la vigueur des incendies.
Une plante en fleur, près de trois mois après le passage du feu « 344 ». A droite, une tranchée coupe-feu. A Senneterre (Québec, Canada), le 24 août 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Maîtriser les bordures du feu à défaut de l’éteindre, préserver les vies humaines, les pompiers de la Sopfeu estiment avoir accompli leur mission. « Mais ils n’ont pas protégé la forêt », s’insurge Guillaume Côté. Cet entrepreneur forestier de 28 ans a perdu dans le feu de Quévillon deux de ses machines, une abatteuse et un transporteur, ainsi que son « camion garage » avec tous ses outils. Deux millions de dollars (1,4 million d’euros) de pertes sèches, auxquels il faut ajouter le manque à gagner des huit semaines, à raison de 50 000 dollars de revenus hebdomadaires perdus, où il lui a été impossible de repartir « bûcher » dans les bois, tant que le feu était jugé « hors de contrôle » par les autorités. « J’ai ce métier dans le sang, mais je ne sais pas si je m’en relèverai », se désole-t-il, insatisfait de l’aide de 50 millions de dollars (34 millions d’euros) accordée aux entreprises sous forme de prêts remboursables, annoncée le 5 juillet par le gouvernement du Québec.
Renoncer aux lucratives épinettes noires
« Ce qui vient de se passer n’est pas qu’une anomalie, ça va forcément se reproduire. Le gouvernement doit en tirer les leçons, augmenter les effectifs de pompiers, mais aussi aider les entrepreneurs forestiers à survivre », poursuit M. Côté. Lors d’un déplacement le 25 août à Kelowna, en Colombie-Britannique, où un incendie toujours en cours a détruit plus de 200 habitations, le premier ministre, Justin Trudeau, n’a pas fermé la porte à l’idée de créer un service fédéral permanent de lutter contre les feux, pour pallier les ressources limitées des provinces aujourd’hui chargées de la protection des forêts. Sans pour autant proposer d’avancées concrètes.
En Abitibi-Témiscamingue, la destruction de la forêt boréale est vécue comme un traumatisme. Notamment parce que l’industrie forestière, forte de ses quelque 60 000 emplois directs et indirects, est, avec l’activité minière, l’un de ses principaux moteurs économiques de la région. Exploitée de façon intensive depuis le début du XIXe siècle, la forêt fait encore vivre des villes entières.
La priorité ici est moins de s’alarmer de ce puits de carbone qui a libéré dans l’atmosphère plus d’un milliard de tonnes de CO2 depuis début mai (pour l’ensemble des incendies canadiens) ou de s’inquiéter de la fragilisation des écosystèmes forestiers, que de souligner l’urgence à reprendre coupes, récoltes et sciages qui fournissent en bois de construction et en pâte à papier tout le continent nord-américain. « En quelques jours, les incendies ont réduit en cendre des milliers de mètres cubes de bois qui attendaient d’être récoltés », explique Patrick Garneau, directeur régional de Produits forestiers Résolu, l’une des plus grosses entreprises du secteur au Québec. La perte est néanmoins relative pour ce secteur industriel : quand il n’a pas été entièrement consumé, le bois brûlé ne l’est qu’en surface et reste exploitable une fois débarrassé de la suie.
Un chargement de bois brûlé, à l’usine Produits forestiers Résolu, à Senneterre (Québec, Canada), le 23 août 2023. Une fois nettoyé de la suie, ce bois reste exploitable. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Mais les acteurs de la filière bois sont engagés aujourd’hui dans une course contre la montre. Car à peine le feu étouffé, un autre danger guette déjà : le longicorne. Ce coléoptère à la carapace noire et aux longues antennes a profité du printemps pour pondre ses œufs entre le tronc et l’écorce du bois mort. Ses larves, affublées de puissantes mandibules, se nourrissent de la pulpe du bois en creusant des cavités dans les troncs. Depuis juin, la forêt de Quévillon est devenue un immense garde-manger à ciel ouvert pour ces insectes. Quand les abatteuses et excavatrices chargées de débarrasser la forêt de ses stigmates noirs font une pause, quand les énormes trucks de chargement, lourds de quinze tonnes de troncs calcinés, cessent leurs va-et-vient, Denis Dubé, superviseur chez Produits forestiers Résolu, invite à tendre l’oreille. La forêt résonne du « scrouic scrouic » des larves voraces. Pour l’industrie forestière, les trous qu’elles laissent derrière elles font baisser la valeur commerciale des produits. « Nous nous donnons jusqu’à la fin du printemps pour récolter ce bois brûlé, avant d’aller de l’avant en reprenant nos coupes de bois vert », déclare, optimiste, Patrick Garneau.
Denis Dubé, superviseur chez Produits forestiers Résolu, montre un longicorne et les dommages causés sur le bois par les larves de cet insecte, dans la forêt brûlée par le feu « 344 », à Senneterre (Québec, Canada), le 24 août 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Repartir comme avant, vraiment ? En replantant des conifères, alors que ce sont les feuillus qui ont le mieux résisté au feu, qui ont servi de pare-feu efficaces à certaines habitations, et que leurs repousses sont déjà visibles dans les parcelles dévastées ? Le débat sur la régénération de la forêt boréale couve à bas bruit, dans cette région frappée de stupeur par la catastrophe d’ampleur inégalée qu’elle vient de vivre, mais qui ne remet pas en cause sa dépendance au commerce du bois.
Le forestier en chef du Québec, Louis Pelletier, un ancien dirigeant d’entreprise forestière, doit réviser d’ici quelques semaines, à l’intention du gouvernement du Québec, ses recommandations sur les futurs volumes de bois pouvant être récoltés sans accroître la déforestation. Nul ne sait comment il prendra en compte l’année 2023 : comme une année « accidentelle » au vu de l’ampleur des dégâts causés par les incendies, ou comme l’indice de la menace qui pèse désormais sur tout l’écosystème de la forêt canadienne ? Une étude publiée le 22 août dans le cadre du World Weather Attribution (WWA), a démontré que le changement climatique a rendu sept fois plus probable le contexte météorologique de chaleur et de stress hydrique qui a favorisé les incendies au Canada en 2023.
Henri Jacob, le militant écologiste qui a fondé en 2000 Action boréale, une association de défense de la forêt canadienne, subodore déjà que rien ne va changer. Il a passé le mois d’août à baguer des sauvagines, des oiseaux aquatiques sauvages, dans des marais situés dans le périmètre du brasier de Quévillon, afin d’étudier leur migration. « Pour la première fois en vingt-neuf ans, je n’ai vu ni castor ni ours ni orignal ni lynx dans cette zone ravagée par les flammes. »
Atterré par les dégâts majeurs en termes de biodiversité provoqués par ces incendies, il tempête contre l’inertie des gouvernements, fédéral et provincial, à lutter contre le dérèglement climatique. « Nous savions que cela allait se produire, et nous savons que cela se reproduira. Le pire drame, c’est que nous considérons qu’il n’y a pas de drame. » Le septuagénaire à la barbe blanche répète inlassablement ce que le gouvernement du Québec ne veut pas entendre, selon lui, pour ne pas froisser le puissant lobby forestier local : pour assurer la pérennité de la forêt, le moment est venu de renoncer à ne replanter que les lucratives épinettes noires. Elles sont les seules à intéresser l’industrie forestière, mais elles constituent, insiste-t-il, le combustible des futurs feux.
Paysage typique de la forêt boréale, près du lac Guéguen. Des plants d’arbres résineux pour reboiser la forêt brûlée, à la pourvoirie du lac Guéguen. A Val D’Or (Québec, Canada), le 23 août 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Située à la limite sud du feu 344, la communauté anichinabée (algonquine) de Lac-Simon, une réserve autochtone de 2 500 personnes, a elle aussi dû fuir quelques jours, début juin, la toxicité de l’air. En cette fin d’été, son chef, Lucien Wabanonik, confie « avoir la rage au cœur ». Les populations autochtones ont un attachement ancestral à leurs territoires qui, depuis des millénaires, les approvisionnent en gibier comme en plantes médicinales. « Cela fait des années que les Premières Nations alertent sur la nécessité de protéger tout ce qui constitue le cosmos, l’eau, la terre, les animaux et les hommes. Mais personne ne nous écoute. » Attristé que les hommes aient participé à « abîmer » le précieux écosystème de la forêt boréale, le poumon vert de l’hémisphère Nord, Lucien Wabanonik est sans illusion sur les leçons qu’ils s’apprêtent à en tirer. Le chef anichinabé envisage avec fatalisme un avenir lourd de menaces : « Nous allons payer très cher l’action de l’homme sur le dérèglement du cosmos. »
Par Hélène Jouan (Abitibi-Témiscamingue (Canada), envoyée spéciale)
Publié aujourd’hui à 05h00https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/09/03/apres-le-feu-344-l-un-des-plus-grands-brasiers-de-l-ete-au-quebec-l-avenir-obscurci-de-la-foret-boreale_6187596_3244.html....
Une centaine de tombes anonymes d’enfants ont probablement été découvertes à proximité d’un ancien pensionnat religieux pour autochtones, a annoncé mardi 29 août une communauté de l’ouest du Canada. Depuis un peu plus de deux ans, plus de 1 300 tombes d’enfants ont été retrouvées à proximité de ces institutions.
Une communauté autochtone de l’ouest du Canada a annoncé mardi 29 août avoir découvert ce qu’elle pense être près d’une centaine de tombes anonymes d’enfants à proximité d’un ancien pensionnat religieux pour autochtones.
« Ce que nous avons trouvé est déchirant et accablant : à ce jour, 93 possibles tombes anonymes ont été découvertes, 79 enfants et 14 nourrissons », a déclaré mardi Jenny Wolverine, cheffe de la communauté autochtone First nation English River, lors d’une conférence de presse. Et « ce n’est pas un chiffre définitif », a-t-elle renchéri, mettant en garde que ce nombre pourrait être plus élevé.
Depuis un peu plus de deux ans, plus de 1 300 tombes d’enfants ont été retrouvées à proximité de ces institutions où étaient enrôlés de force les enfants autochtones, provoquant une onde de choc dans le pays et une prise de conscience nationale du sombre passé colonial.
150 000 enfants enrôlés de force jusqu’au milieu des années 1990
Ces découvertes ont été effectuées au terme de recherches par géoradar à proximité du site du pensionnat autochtone Beauval Indian, dans la province du Saskatchewan. Selon l’Université de Régina, les bâtiments de l’école ont été détruits par d’anciens pensionnaires à sa fermeture en 1995.
Entre la fin du XIXe siècle et le milieu des années 1990, quelque 150 000 enfants autochtones ont été enrôlés de force dans 139 pensionnats à travers le pays, où ils ont été coupés de leur famille, de leur langue et de leur culture.
Cette page sombre de l’histoire canadienne a été remise en lumière après la découverte au printemps 2021 des premières tombes d’enfants. Gérées par l’Église catholique et le gouvernement canadien, ces institutions avaient pour objectif de « tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant », selon un documentaire consacré à ce sujet.
« Transformer les mots en action »
En juillet 2022, le pape François avait fait une visite historique au Canada pour présenter ses « excuses », après avoir demandé pardon quelques mois auparavant à une délégation autochtone qui s’était rendue au Vatican. Ottawa a pour sa part présenté des excuses officielles pour la première fois en 2008.
« Nous demandons que le Canada et la Saskatchewan reconnaissent leurs torts », a insisté Jenny Wolverine, ajoutant que les gouvernements devaient « reconnaître le génocide culturel et la déshumanisation des peuples autochtones ». Elle les a exhortés à « transformer les mots en action », déplorant avoir trop de fois entendu des excuses. En 2015, une commission d’enquête nationale avait qualifié ce système des pensionnats autochtones de « génocide culturel ».
Le 25 juillet 2022, le pape François demande pardon aux autochtones du Canada
D’après les recherches d’une équipe de climatologues, le réchauffement global a rendu deux fois plus probables les conditions météorologiques extrêmes à l’origine des incendies qui ont ravagé l’est du Canada.
DDerrièreDerrière les flammes qui dévorent le Canada, les dérèglements climatiques d’origine humaine : c’est en substance ce que conclut une étude publiée mardi 22 août, menée par seize scientifiques affilié·es au World Weather Attribution, une structure de recherche internationale qui analyse l’influence du réchauffement sur les événements météorologiques extrêmes.
Selon leur analyse, entre mai et juillet 2023, les circonstances météorologiques à l’origine des mégafeux dans l’Est canadien étaient deux fois plus susceptibles de se produire en raison du réchauffement planétaire.
Depuis janvier, le Canada est en proie à des incendies sans précédent. En huit mois, le pays a dénombré près de 6 000 feux. 14 millions d’hectares, l’équivalent de la superficie de la Grèce, ont déjà brûlé, soit le double du dernier record en date de 1995, selon la vigie canadienne des incendies.
Par ailleurs, au moins quatre décès ont été directement liés à ces mégafeux et près de 200 000 personnes ont dû être évacuées de leurs logements. La semaine dernière, les 20 000 habitant·es de Yellowknife, capitale des Territoires du Nord-Ouest, ont reçu l’ordre de quitter la ville en raison de l’avancée des incendies. La Colombie-Britannique a quant à elle déclaré l’état d’urgence le 18 août, conduisant au déplacement de près de 15 000 personnes.
Un changement climatique qui attise les feux
D’après l’étude du World Weather Attribution (WWA), ces feux hors normes sont à associer à une augmentation de la température et à une diminution de l’humidité, toutes deux induites par le changement climatique. À cela s’ajoutent des précipitations anormalement faibles en 2023.
« Dans de nombreuses régions du Canada, la couverture neigeuse limite le début et l’étendue de la saison des feux de forêt : si une forêt est recouverte de neige ou humide à la suite de la fonte des neiges, le risque d’allumage et de propagation des feux est faible, détaille Philippe Gachon, professeur à l’Université du Québec à Montréal et coauteur de l’étude. Cette année, les températures élevées ont entraîné une fonte et une disparition rapide de la neige au mois de mai, en particulier dans l’est du Québec, ce qui a donné lieu à des feux de forêt inhabituellement précoces. »
Pour leur analyse, les climatologues se sont focalisé·es entre mai et juillet sur une région du Québec et ont utilisé l’indice forêt-météo (IFM), une mesure qui combine la température, la vitesse du vent, l’humidité et les précipitations pour estimer le risque d’incendie.
Les scientifiques ont calculé que les dérèglements climatiques, causés principalement par la combustion d’énergies fossiles, ont doublé le risque de survenue de conditions météorologiques propices aux feux de forêt. Selon leurs résultats, le changement climatique a aussi contribué à rendre de 20 % à 50 % plus intenses les températures chaudes et la sécheresse qui ont nourri ces incendies.
« Le changement climatique augmente considérablement l’inflammabilité du combustible disponible pour les incendies de forêt, ce qui signifie qu’une simple étincelle, quelle qu’en soit la source, peut rapidement se transformer en un véritable brasier », résume Yan Boulanger, chercheur au Service canadien des forêts et qui a participé à ces travaux de recherche.
Les communautés autochtones en première ligne
Les scientifiques soulignent aussi dans leur publication que si la planète continue à se réchauffer, le risque de feux de forêt augmentera de façon encore plus importante. Dans son dernier rapport d’évaluation sur le climat, le Giec, qui a inclus des recherches précédentes du World Weather Attribution, avait rappelé qu’au fur et à mesure que nos émissions de gaz à effet de serre augmentent, les mégafeux deviendront « plus fréquents » et « plus intenses ».
« L’augmentation des températures crée des conditions semblables à celles d’une poudrière dans les forêts du Canada et du monde entier. Tant que nous ne cesserons pas de brûler des énergies fossiles, le nombre d’incendies de forêt continuera d’augmenter, brûlant des zones plus vastes pendant des périodes plus longues », avertit Friederike Otto, professeure à l’Imperial College de Londres, qui a contribué à l’analyse.
Les chercheurs et chercheuses insistent enfin sur le fait que ces mégafeux ont eu des « répercussions disproportionnées » sur les communautés autochtones et nomades, « particulièrement vulnérables en raison du manque de services » au sein de leur lieu de vie. Mais aussi que les incendies de forêt ont créé une importante pollution atmosphérique « menaçant la santé, la mobilité et les activités économiques de la population dans toute l’Amérique du Nord ».
Les fumées libérées par ces feux depuis le début d’année sont telles que les autorités canadiennes ont estimé qu’elles ont recraché dans l’atmosphère environ un milliard de tonnes de CO2. Soit l’équivalent des émissions annuelles du Japon, le cinquième pays plus gros pollueur au monde.
Au 21 août, 1 037 incendies étaient encore en cours au Canada, dont 653 jugés « hors de contrôle ».
Le parquet de Constantine a requis mardi 22 août trois ans de prison ferme à l'encontre du chercheur algéro-canadien Raouf Farrah et du journaliste algérien Mustapha Bendjama, incarcérés depuis plus de six mois en Algérie, a annoncé le Comité national pour la libération des détenus (CNLD).
Raouf Farrah, 36 ans, et Mustapha Bendjama, 32 ans, sont poursuivis pour «publication d'informations et de documents dont le contenu est classé partiellement ou intégralement secret, sur un réseau électronique ou d'autres moyens technologiques de médias», selon le CNLD.
«Atteinte à l’ordre public»
Raouf Farrah fait également l'objet de poursuites pour «réception de fonds d'institutions étrangères ou intérieures dans l'intention de commettre des actes qui pourraient porter atteinte à l'ordre public», a indiqué son avocat Kouceila Zerguine sur son compte Facebook. Son père, Sebti Farrah, âgé de 67 ans, libéré après 61 jours de prison pour raisons de santé, est lui aussi poursuivi pour ce même chef d'accusation, selon Me Zerguine.
Raouf Farrah, chercheur-analyste de l'organisation Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC), avait été arrêté le 14 février chez ses parents à Annaba. GI-TOC a mis sur son site sa photo et un décompte des jours et heures depuis qu'il est emprisonné. L'organisation mène également une campagne internationale pour la libération du chercheur, marié à une Canadienne et père d'une petite fille de quatre ans.
Mustapha Bendjama est rédacteur en chef du journal privé Le Provincial, basé à Annaba. Il est poursuivi dans plusieurs affaires depuis sa participation au mouvement de protestation prodémocratie du Hirak en 2019, dont il était l'un des acteurs phares à Annaba. Le journaliste a été arrêté le 8 février dans son journal et accusé d'avoir aidé la militante politique franco-algérienne Amira Bouraoui à quitter l'Algérie via la Tunisie deux jours plus tôt, alors qu'elle était interdite de sortie du territoire.
L'affaire Bouraoui, qualifiée d'«exfiltration illégale» par le gouvernement algérien, a provoqué une nouvelle brouille diplomatique avec la France, qui s'est résolue récemment. Le procès contre Mustapha Bendjama et d'autres personnes accusées d'avoir aidé la militante se tiendra séparément à une date encore non fixée.
Les feux de forêt qui font rage au Canada depuis début juin impactent énormément les territoires et les communautés autochtones. De grandes parties de leurs terres de chasse et de pêche sont déjà parties en fumée et leur isolement les rend encore plus vulnérables.
Allan Saganash est encore sous le choc des feux de forêt qui ont frappé sa communauté de Waswanipi, à plus de 700 kilomètres au nord de Montréal, au Québec. « J’ai été malade pendant plus de trois semaines. Je toussais et j’ai développé une infection pulmonaire à cause de la fumée. Je suis asthmatique et je fais partie des nombreuses personnes qui ont développé des problèmes pulmonaires à cause des cendres qui sont tombées sur notre communauté », explique cet autochtone de la nation crie.
Au nord de la province et ailleurs dans le pays, un ciel orange enveloppe certaines zones durement touchées par ces feux de forêt que tout le monde voit comme les pires ayant jamais touché le Canada. La communauté crie de Waswanipi se trouve tout près du plus gros feu de forêt jamais connu au Québec. Il continue de dévaster des hectares, laissant derrière lui des paysages de désolation.
Dans la province, la majeure partie des feux de forêt non maîtrisés se trouvaient dans le territoire de la nation crie, dans la région Eeyou Istchee Baie-James, là où réside justement Allan Saganash.
Ailleurs, les communautés de Behchokǫ̀, Dettha et Ndilǫ, dans les Territoires du Nord-Ouest, ont récemment reçu un ordre d’évacuation. Un autre feu se rapproche doucement de la communauté de Kamloops, en Colombie-Britannique. En Alberta, celle d’East Prairie Metis Settlement a vu plusieurs maisons brûler.
Au Canada, les populations autochtones sont les plus touchées par ces incendies. À la mi-août, Services aux Autochtones Canada, le ministère qui s’occupe des dossiers concernant les autochtones, indique que plus de 25 000 membres des Premières Nations ont été évacués et que 74 communautés sont concernées. Les autochtones ne représentent pourtant que 5 % de la population canadienne, mais plus de 42 % des évacuations dues à des incendies de forêt ont eu lieu dans des communautés composées à plus de la moitié d’autochtones, selon Parcs Canada.
Les communautés autochtones ont déjà dû gérer des feux de forêt par le passé, mais l’année 2023 semble marquer un tournant quant à leur intensité.
Un mode de vie menacé
« Dans les 15 dernières années, à cause des feux, on a dû évacuer deux communautés. Cette année, en huit semaines, on a dû évacuer huit des neuf communautés cries du Québec. Certains ont pu être évacués par la route, mais d’autres ont dû être évacués par les airs », indique Mady Gull-Masty, la grande cheffe de la nation crie sur les ondes de CNN.
« On aurait dit qu’un volcan était entré en éruption », assure Allan Saganash en évoquant les cendres qui se sont accumulées sur les toits, dans les véhicules et même sur les lacs.
Les conséquences sont dramatiques pour les autochtones. Ces incendies menacent d’importantes activités culturelles telles que la chasse, la pêche et la cueillette de plantes. La forêt est un pan entier de leur identité et les autochtones estiment qu’ils mettent en péril tout un mode de vie.
Beaucoup de personnes ont déjà perdu leur camp d’été. Allan Saganash confirme : « Nous avons perdu vingt-cinq camps jusqu’à présent. (Les autorités) sont encore en train de faire le décompte. »
Guillaume Proulx, doctorant en géographie culturelle à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, explique que les familles autochtones ont souvent plusieurs camps et petits chalets dans différents endroits du territoire. Il rappelle que c’est la sédentarisation forcée qui les a parquées dans ce qu’on appelle aujourd’hui des réserves, des villages créés artificiellement. Mais le lien avec le territoire se poursuit tant bien que mal, et souvent les non-autochtones n’en comprennent pas l’importance émotionnelle ni matérielle.
« Ils ont leur motoneige, leur tronçonneuse, du matériel forestier… Ça représente beaucoup de dollars qui risquent de partir en fumée », explique encore Guillaume Proulx.
Une stratégie de lutte anti-incendie contestée
Au Québec, la priorité pour la Société de protection des forêts contre le feu (Sopfeu) est de protéger, dans l’ordre, les vies humaines, les infrastructures stratégiques et la forêt. Une stratégie que critique Constant Awashish, grand chef de la nation atikamekw. « La forêt passe en dernier malheureusement. Que les autochtones pensent à la forêt en premier est souvent mal vu. Ça passe parfois pour de la désobéissance civile. Protéger la forêt, c’est protéger la mémoire familiale pour certains autochtones », dit-il.
Un avis que partage Allan Saganash. « La Sopfeu ne s’est pas occupée des incendies isolés, ils les ont laissés brûler et se sont concentrés sur les incendies qui menaçaient les communautés ou les villes voisines », explique-t-il. Ces petits incendies ont finalement « fusionné et sont devenus énormes et incontrôlables », ajoute-t-il.
Constant Awashish explique que plusieurs Atikamekw se sont mobilisés pour protéger eux-mêmes leur camp. « Les camps sont liés à une histoire familiale. Le but est de protéger la mémoire et on ne pouvait pas leur dire d’arrêter », dit-il en expliquant qu’il serait pertinent de former les autochtones à réagir rapidement dans ce genre de situation.
Selon Guillaume Proulx, il existe aussi un enjeu économique. « La Sopfeu laisse brûler la forêt au nord de la forêt exploitée par la foresterie, soit environ au nord du 51e parallèle, donc elle protège aussi ce qui est stratégique pour l’économie de marché », dit-il.
Or la forêt est bien plus que ça pour les autochtones. « La stratégie de la Sopfeu est le résultat d’une perception qui dit que la nature est séparée de l’humain. Mais pour les autochtones, la nature et l’humain sont fortement reliés », poursuit le doctorant.
Mélanie Morin, porte-parole de la Sopfeu, défend la stratégie de l’institution. Elle explique qu’il est important de préserver les installations électriques et les barrages, en plus des habitations. Mais « il est impossible de mettre nos gens sur tout le territoire », se défend-elle. Rien que dans le secteur d’Eeyou Istchee Baie-James, ce sont entre 150 et 200 personnes qui sont mobilisées.
Angoisse et stress de l’évacuation
Les différents ordres d’évacuation donnés à travers tout le pays sont aussi une source de stress et d’angoisse. La priorité est donnée aux personnes âgées, aux enfants et aux plus vulnérables, notamment les résidents souffrant de problèmes respiratoires. Une situation qui entraîne un éclatement des familles, alors qu’elles sont un repère fort pour les autochtones.
En plus, Guillaume Proulx souligne que les communautés cries sont essentiellement anglophones. « Le français est leur troisième langue après le cri et l’anglais, alors c’est compliqué pour eux d’être déplacés dans le sud du Québec, où on parle essentiellement français », explique-t-il. D’autres communautés ne parlent ni français ni anglais.
end ces communautés encore plus vulnérables. Il faut composer avec le fait qu’il n’existe parfois aucune route qui y mène et que l’évacuation ne peut se faire que par avion. Au Québec, il n’y a qu’une seule route principale qui permet de rejoindre le sud de la province : à la mi-août, la route Billy Diamond était fermée sur 200 kilomètres et celle qui mène à la communauté de Wemindji était, quant à elle, totalement fermée.
Dans tout le pays, déjà presque 14 millions d’hectares ont brûlé depuis le début de la saison, soit un cinquième de la surface de la France. Les experts s’accordent à dire que cette saison est deux fois pire que la saison précédente et qu’elle risque de s’étirer jusqu’en septembre.
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