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Rédigé le 15/02/2021 à 19:52 dans Culture, Islam, Religion | Lien permanent | Commentaires (0)
Depuis le 1er février, le projet de loi visant prétendument à «conforter le respect des principes de la République » est débattu à l’Assemblée nationale. Ce texte de loi a, dès le premier jour, été dénoncé par l’opposition insoumise comme un texte de diversion et de division visant à stigmatiser les musulmans pour servir l’électoralisme des macronistes lancés dans une course à l’imitation de Marine Le Pen. C’est notamment ce qu’avait expliqué Jean-Luc Mélenchon dans son discours parlant d’un texte « inutile et dangereux », expliquant que les débats à l’Assemblée ne manqueraient pas de cibler sans arrêt la même religion et les mêmes croyants : l’islam et les musulmans.
10 jours après le début des débats, c’est maintenant la députée LREM du Vaucluse, Souad Zitouni, qui a exprimé un sentiment similaire en répondant au député LR Éric Ciotti. Ce dernier proposait l’interdiction du voile à l’université et pour les accompagnatrices scolaires. La députée de la majorité a dénoncé un : « tribunal contre l’islam et les musulmans » dans lequel « les accusés ne peuvent pas se défendre ». Des mots forts qui font écho à ceux qu’avaient eus Jean-Luc Mélenchon quelques jours auparavant. Voici la retranscription de l’intervention de Souad Zitouni :
« J’ai l’impression d’être depuis tout à l’heure devant un tribunal, le tribunal contre l’islam et les musulmans. Et malheureusement, les accusés ne peuvent pas se défendre. Il faut arrêter de penser que toutes les femmes voilées sont des femmes soumises. Non seulement ce ne sont pas des majeurs incapables comme on tend à le faire croire puisqu’en réalité elles le font de plein gré. Moi, je suis avocate et je les défends. Il y en a même qui divorce parce qu’elles veulent porter le voile et que leurs maris le refusent. C’est elles-mêmes qui veulent le porter parce qu’elles considèrent que c’est un chemin de spiritualité et que dans ce cadre elles besoin et envie de porter le voile. Je crois qu’il faut arrêter de simplifier le débat en disant que c’est une soumission et qu’elles n’ont pas conscience de ce qu’elles font. Ce sont des majeurs, capables, qui font des études. J’en ai prise en stage qui étaient de brillantes étudiantes et malheureusement, elles pensaient en France que le principe liberté, égalité, fraternité, la République, leur permettrait de vivre leur foi et leur religion.
En faisant ce que vous faites, en leur limitant l’accès dans l’université, dans les transports ou l’espace public, vous enfreignez même ces principes de liberté, égalité, fraternité. Vous ne leur laissez même pas le choix de choisir. C’est cela qui est difficile et incompréhensible. Le vivre-ensemble ça ne veut pas dire le vivre-pareil. On peut être différent et vivre-ensemble, c’est cela le pluralisme. Interdire le chemin de l’école des mères qui sont voilées, c’est interdire l’accès de l’enfant à son intérêt supérieur car il peut à ce moment connaître une autre religion que la sienne. En faisant blocage, que vont-elles devenir ?
Est-ce que vous pensez à leurs blessures ? Est-ce que vous pensez à leurs enfants, comment ils vont le vivre ? C’est assez incroyable de pouvoir légiférer sur une liberté fondamentale, celle de croire et de ne pas croire. La République est laïque, on doit la protéger et elle s’applique à tout le monde. Il y a des femmes non voilées plus soumises que des femmes voilées. Cela aussi c’est un problème. Elles sont sous l’emprise aussi de leurs maris. Ne ramenons pas le débat à un débat sur le tissu mais revenons sur des choses plus essentielles. Cette loi est une loi contre la radicalisation, cette loi n’est pas une éradication du fait religieux. Attention à ce qu’on fait. »
Rédigé le 13/02/2021 à 09:54 dans Islam, Religion | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 08/02/2021 à 09:59 dans Islam, Lejournal Depersonne | Lien permanent | Commentaires (0)
UNE LECTURE DE MALEK BENNABI. Essai de Youssef Girard. Editions Alem El Afkar, Alger 2019, 650 dinars, 208 pages.
Né en 1905 à Tébessa dans une famille originaire de Constantine, Malek Bennabi fit des études à la médersa d'Etat de sa ville d'origine avant de partir en France poursuivre des études d'ingénieur en électricité. Intellectuel bilingue, influencé par Ibn Khaldoun et F. Nietzsche, il est arrivé à maîtriser à la fois les références occidentales et les références arabo-musulmanes, ce qui en faisait, selon Anouar Abdel-Malek (1965) «l'un des premiers philosophes sociaux du monde arabe et afro-asiatique de notre temps».
Durant plus de trente années (de 1936 à 1973, date de son décès à Alger), il a écrit plus d'une vingtaine d'ouvrages et des centaines d'articles (dont plusieurs dans l'organe central du Fln, «Révolution africaine»).Il a forgé pas mal de concepts (dont celui de «colonisabilité») et produit beaucoup d'idées, tout particulièrement sur la culture, la civilisation et/ou la fonction des idées dans les processus sociaux.
Tout cela dans un cadre précis... que beaucoup de ses «héritiers» occupent tout particulièrement depuis les années 90 : la défense d'un Islam qui aurait retrouvé sa dynamique sociale originelle afin de lui permettre de refaire la civilisation musulmane. Rêve ou utopie ? Pour l'instant, sur le terrain, ce sont bien plutôt les idées radicales... allant jusqu'à la violence, qui ont pris, çà et là, le dessus.
Malek Bennabi, un philosophe de son époque... mais aussi un observateur critique qui a construit toute sa réflexion à partir de la situation sociale et politique du monde musulman de son époque, c'est-à-dire d'un monde vivant alors «sous le joug de l'Occident». La grande question de l'époque : comment se sortir de la situation de dominé politique, économique et culturel ?
Il a, donc, entrepris, une longue (elle a duré jusqu'à son décès) analyse très intellectualisée et approfondie des situations et des autres «pensées» et thèses en posant, à partir de la problématique de base, les questionnements principaux en tentant d'y apporter des réponses : Abdelhamid Ben Badis et le mouvement réformateur algérien, les orientalistes européens, la société musulmane post-almohadienne, l'orientalisme apologétique, le mouvement des Frères musulmans, la posture apologétique de certains intellectuels musulmans, le phénomène de «surimposition» dans la production intellectuelle musulmane, les travaux ou écrits de Mohamed Abduh, Mohammed Rachid Reda, Chakib Arslan, Anouar Abdel-Malek,... ne s'arrêtant jamais de dénoncer «les idées mortes» et les «idées mortelles» et leurs partisans, sa critique s'apparentant, dans une certaine mesure, à celle formulée par ses prédécesseurs réformateurs à l'encontre des tendances traditionnalistes et occidentalisées.
L'Auteur : Historien spécialiste de l'Algérie contemporaine... ayant soutenu une thèse de Doctorat en Histoire (Université Paris VII) : «Nationalisme révolutionnaire et socialisation politique : le cas du Ppa - Mtld dans l'ancien département d'Alger, 1943-1954».
Table des matières : Avant-propos / Introduction / I. Une pensée dynamique / II. Malek Bennabi et le mouvement de renouveau / III. Penser à partir de Malek Bennabi.
Extraits : «Les pensées naissent et se développent en interaction avec le vécu de chaque personne» (Malek Bennabi cité, p. 18). «Pour mener à bien sa mission, le monde musulman devait sortir de la posture apologétique pour regarder en face sa situation réelle et ainsi traiter les problèmes auxquels il était confronté. Il devait également sortir de son isolement pour prendre pleinement part aux affaires du monde» (p. 79).
Avis : M. Bennabi ! Une pensée généreuse et sincère, une réflexion critique qui collait assez bien avec les réalités d'hier, celles de son temps... dont l'«utopie islamo-afro-asiatique». L'auteur y croit, avouant «une lecture subjective de la vie et des idées de Malek Bennabi»... On aurait tant aimé y croire, nous aussi. La déception a été bien grande.
Citations : «Celui qui décrit une personne et son action le fait en fonction d'un regard singulier porteur de son identité individuelle propre» (p. 97). «L'apologie, c'est la substitution de l'ersatz verbal au fait tangible, la substitution d'une réalité subjective à la réalité objective de ce milieu : c'est la tentative de justification de l'effondrement de ses forces morales et sociales. Et, cette justification qui s'opère de deux manières - soit par substitution du subjectif à l'objectif soit pas substitution d'un passé prestigieux à un passé déshérité - rend impossible une thérapeutique sociale ( Malek Bennabi, extrait de «L'Afro-asiatisme». Sec. Alger 1992) (p. 137)
LA CRISE DU DISCOURS RELIGIEUX MUSULMAN. LE NÉCESSAIRE PASSAGE DE PLATON A KANT. Essai de Lahouari Addi. Editions Frantz Fanon, Boumerdès 2020, 1.000 dinars, 392 pages.
Premier constat : Le monde musulman en général et le discours religieux musulman connaissent une crise culturelle profonde... pris dans une fièvre idéologique depuis au moins deux siècles et réagissant avec violence, verbale souvent mais (selon moi) pas seulement aux évolutions sociales. Second constat : La domination européenne (à travers la colonisation, entre autres, puis (selon moi), les nouvelles formes issues de la décolonisation) a révélé la crise, mais elle n'en est pas (selon moi), la cause (première ?).
Troisième constat : il faut rechercher la cause de la crise, selon l'auteur, et il n'est pas le premier à le dire, dans l'histoire intellectuelle de la culture religieuse au cours de laquelle l'orthodoxie officielle - mais pas que (selon moi) - avait interdit la philosophie comme activité intellectuelle autonome. Pourtant al-Ash'ari et al-Ghazali ont donné à «la science de l'argumentation rationnelle», sa forme définitive en utilisant le Logos grec, après l'avoir islamisé, c'est-à-dire rendu compatible avec la révélation coranique. L'usage public de la raison s'est trouvé interdit et le consensus des oulémas (des clercs religieux spécialisés dans la gestion du sacré et devenus aussi des éducateurs propageant un savoir normatif sur la vie sociale, disant la norme et enseignant ce que la société doit être) s'est , au fil du temps, imposé... entraînant l'indigence de la pensée religieuse. La pensée musulmane s'est coupée de l'expérience humaine, confondant le sacré avec les commentaires sur le sacré. L'ouvrage est organisé en huit chapitres :
- Montrer la parenté métaphysique entre le monothéisme et la philosophie grecque qui a servi de fondement rationnel à la théologie médiévale.
- Eclairage sur l'influence de la métaphysique platonicienne sur la culture savante et populaire (ce qui a permis un développement remarquable de la spéculation philosophique durant quatre siècles).
- Montrer comment la vision néo-platonicienne a marqué la culture musulmane, résistant aux accusations de shirk (associationnisme) lancées par les fuqaha' et l'orthodoxie salafiste.
- Tentative de synthèse faite par Mohammed Abdou entre le positivisme européen et la vieille théologie, synthèse qui avait réuni les culturalistes conservateurs et les nationalistes progressistes. Unis contre le colonialisme et se combattant après les indépendances.
- Le paradoxe de la société musulmane contemporaine acceptant la technologie la plus moderne tout en refusant la philosophie du sujet qui l'accompagne.
- Les enjeux contemporains du débat religieux.
- Problématique juridique dans la société musulmane, en définissant les concepts de chari'a, de fiqh et de droit musulman.
- Bien que la culture musulmane reste fidèle à la vision platonicienne, la société reste hésitante face au dilemme de moderniser l'islam et d'islamiser la modernité. D'où la question de la sécularisation (thème de sociologie et non de théologie) en cours dans les rapports sociaux (espace public et espace privé). Et pour finir, en annexe, un commentaire sur ledit «théorème de la sécularisation» ayant opposé Carl Schmitt et Karl Löwith à Hans Blumenberg.
L'Auteur : D'abord enseignant durant vingt années à l'Université d'Oran. Doctorat en France. Professeur de sociologie politique du monde arabe (Sciences Po', Lyon) et professeur invité d'universités américaines. Auteur de plusieurs ouvrages et articles parus dans des revues académiques. Plusieurs analyses dans la presse algérienne.
Table des matières : Préfaces / Introduction / L'apport de la philosophie grecque à la théologie abrahamique / L'islam et le dualisme platonicien / Du soufisme à l'islamisme / Muhammad Abdou ou l'échec de la modernisation de la culture musulmane / Un positivisme sans sujet / Transcendance et histoire : les enjeux contemporains / Chari'a, fiqh et droit musulman / L'Europe, l'islam et la sécularisation / Le débat autour du «théorème de la sécularisation» : Carl Schmitt, Karl Löwith, Hans Blummenberg.
Extraits : «Pour bâtir une modernité cohérente avec des valeurs religieuses, les musulmans n'ont pas besoin de modifier le Coran ; il suffit qu'ils le lisent autrement, y compris en utilisant la ressource qu'il offre : l'abrogation (en-naskh) de certains versets du Coran par d'autres versets... la vraie interprétation du texte sacré n'existe pas ; le texte sacré existe pour soi et non en soi... il faut que la culture change de métaphysique et qu'elle remplace Platon par Kant» (pp. 24 25). «Avec Kant, la foi est rattachée à la raison pratique appelée à réguler les rapports humains ; elle devrait être présente dans la vie quotidienne à chaque instant et non pas seulement le dimanche dans l'enceinte d'une église» (p. 51). «Pour Nietzsche, il ne s'agit pas tant pour l'homme d'aller dans l'au-delà après la mort que de faire vivre Dieu sur terre durant l'existence du croyant» (p. 57). «Les prochaines persécutions ne se feront pas contre des Galilée musulmans, mais contre des penseurs qui forgeront une autre interprétation du Coran» (p. 220). «Avant d'être politique, la crise des sociétés musulmanes est intellectuelle et culturelle, et se résume dans le passage difficile de la raison à la conscience par laquelle le monde est perçu, construit et approprié» (p. 230).
Avis : Pas un essai de philo. Mais une réflexion formulant une hypothèse assez audacieuse... dont le point départ est une communication sur Mohammed Abdou, «le plus grand théologien musulman contemporain». Une œuvre pas à la portée de tous. L'«entre-soi»... le défaut de nos intellos, le non-décollage de l'édition nationale (non spécialisée). Donc, une approche qui gagnerait à être vulgarisée à travers une écriture non académique... et à être traduite en arabe.
Citations : «Dans le monde musulman, Galilée est resté platonicien» (p. 27). «Platon qui a eu une influence considérable sur la culture musulmane n'est ni un Berbère ni un Arabe» (p. 29). «Quand la culture savante se fige, les croyances populaires se déshumanisent et se mettent à adorer des symboles qui auront perdu le sens des réalités qui leur ont donné naissance» (p. 62). «Dieu enverra à cette communauté tous les cent ans quelqu'un pour lui renouveler sa religion» avait dit le prophète. Les sociétés musulmanes ont raté, à ce jour, quatorze réformes» (p. 64). «Pour se légitimer, l'extrémisme a besoin de construire le mythe de la pureté de l'origine pour se donner une bonne conscience et pour s'affranchir du respect de la vie» (p. 137). «La modernité intellectuelle ne s'importe pas ; elle se construit localement avec des chaînons solidaires» (p. 196)., «L'histoire ne se fait pas par des individus, aussi brillants soient-ils. Elle se fait lorsqu'émergent des groupes sociaux déterminés à réformer l'ordre ancien» (p. 258). «La crise de la société musulmane est celle du passage de la temporalité à l'histoire» (p. 324). «Quand elle est seule actrice de l'histoire, la raison fait courir à sa perte la dimension historique du sacré» (p. 33
UNE LECTURE DE MALEK BENNABI. Essai de Youssef Girard. Editions Alem El Afkar, Alger 2019, 650 dinars, 208 pages.
par Belkacem Ahcene-Djaballah
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5298075
Rédigé le 28/01/2021 à 07:10 dans colonisation, Culture, Histoire, Islam, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Reconnu coupable et condamné à mort pour «homicide volontaire avec préméditation» et «guet-apens» contre le défunt Ali Tounsi, ancien patron de la police, de «tentative d’assassinat avec préméditation» contre l’ex-chef de sûreté de wilaya d’Alger, Abdelmoumène Abdrabi, et «port d’arme à feu sans autorisation», l’ancien directeur de l’unité aérienne de la police, Chouaib Oultache, aura un nouveau procès. La Cour suprême a cassé le verdict du mois de mars 2017, et l’affaire sera rejugée le 22 février prochain. Va-t-on vers de nouvelles révélations ou vers la clôture de ce crime dont les mobiles restent inconnus ?
Le 22 février prochain, à 3 jours du 11e anniversaire de l’assassinat de l’ex-patron de la police, Ali Tounsi, dans son bureau, le 25 février 2010, Chouaib Oultache, l’auteur du crime, devra comparaître pour le seconde fois devant le tribunal criminel près la cour d’Alger. Les pourvois en cassation du parquet général, de l’accusé et des parties civiles, ont abouti à la cassation du premier verdict, au mois de juillet dernier, et le renvoi de l’affaire devant la même juridiction, autrement composée.
Pour certains avocats, cette affaire revient dans un contexte «particulier qui pourrait aider Oultache à bénéficier d’un procès équitable et serein». Il y a d’abord, expliquent-ils, le «départ» et le «décès» de certains responsables de l’époque, mais aussi les «changements opérés dans certaines structures de l’Etat». Pour d’autres avocats, «bien au contraire, ce procès n’apportera rien de nouveau».
L’ancien ministre de l’Intérieur, le défunt Yazid Zerhouni, qui avait émis, quatre heures après le crime, un avis sur l’état de la santé mentale de l’accusé, n’est plus de ce monde, le président Bouteflika n’est plus en poste, le procureur général près la cour d’Alger est devenu ministre de la Justice, alors que le chef de la police judiciaire de la Sûreté nationale est depuis longtemps à la retraite. Il ne faut pas s’attendre à de nouvelles révélations sur les circonstances de cet assassinat», nous dit-on.
Entre les avis des uns et des autres, l’assassinat du patron de la police par un de ses plus proche collaborateur, et au sein même de son bureau, a fait l’effet d’une bombe et, à ce jour, même si Oultache a été reconnu coupable de ce crime, il n’en demeure pas moins que les circonstances restent énigmatiques et entourées de beaucoup de zones d’ombre.
En effet, le procès de cette affaire importante a été expédié en deux jours et en l’absence de nombreux témoins cités dans le dossier ou ceux réclamés par la défense, avant que l’accusé ne soit condamné à la peine de mort pour «homicide volontaire avec préméditation» et «guet-apens» contre Ali Tounsi, «tentative d’assassinat avec préméditation» et «guet-apens» contre l’ancien chef de sûreté de wilaya d’Alger Abdelmoumène Abdrabi, et «port d’arme à feu sans autorisation».
Tout au long de ces deux journées de procès, le juge Omar Belkherchi montrait tantôt sa partialité, tantôt sa colère et tantôt son impatience à l’égard d’un accusé parfois virulent, cassant, qui martèle sa vérité en ressassant inlassablement cette phrase : «Je n’ai pas tué le directeur général.»
L’audition d’Oultache n’a pas été facile et se déroulait souvent dans une ambiance électrique, suscitant l’intervention intempestive de la défense de l’accusé ou des réponses agressives de ce dernier. «Je suis un dur à cuire. J’ai quitté l’armée parce que pour accéder au grade de général, il fallait dire oui sidi», lançait Oultache au juge qui insistait sur sa carrière professionnelle.
Oultache n’y va pas avec le dos de la cuillère en accusant le juge d’instruction, le procureur général, à l’époque Belkacem Zeghmati, et ses anciens collègues de la police judiciaire «d’avoir fomenté un complot» contre lui, à l’instigation de l’ex-ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, le défunt Noureddine Zerhouni.
Il jette un pavé dans la mare en déclarant, après avoir été confronté aux photos de Ali Tounsi, touché à la tête : «Je l’ai seulement blessé au bras. Il me menaçait avec un coupe-papier. Ce sont eux qui l’ont achevé. Les balles qu’il a reçues à la tête ne sont pas les miennes. Elles sont de calibre 8 millimètres, alors que celles de mon pistolet sont du 9 millimètres.»
Lorsque le juge lui a donné le dernier mot, il a déclaré : «Je ne l’ai pas tué. Je regrette juste d’être entré avec lui dans la discussion et de l’avoir suivi.» Pourtant, l’expertise et les experts appelés à la barre l’ont confronté avec des preuves balistiques. Sa défense a suscité le doute, en axant son intervention sur certains points restés en suspens.
Me Belarif a estimé que «dès le départ, ils ont faussé l’enquête. Oultache avait été gravement blessé dans le couloir. Il a été ceinturé par cinq officiers alors qu’il avait une arme hors d’usage. Il n’a été évacué à l’hôpital que vers 12h45, soit plus d’une heure et 45 minutes après sa neutralisation. La scène de crime a été piétinée et totalement polluée par les va-et-vient injustifiés et illégaux des policiers. Une trentaine de balles ont été tirées dans le bureau du directeur général et une dizaine dans le couloir.»
Citant des procès-verbaux d’audition, il a affirmé : «Abderabou dit qu’il a demandé par radio l’aide des éléments de la Brigade de recherche et d’investigation (BRI) qui relèvent de sa compétence en tant que chef de sûreté de wilaya d’Alger. C’est lui qui a dirigé toutes les opérations de l’enquête préliminaire. Il y a une forte suspicion d’une orientation, surtout qu’il s’est constitué partie civile en déclarant qu’il y a eu une tentative d’assassinat sur lui. La BRI s’est comportée en ignorant totalement le procureur de la République que nous ne voyons nulle part.
Dès le départ, la BRI a manipulé la procédure en transportant le corps de la victime vers la clinique Les Glycines, puis vers le laboratoire scientifique de la police à Châteauneuf, avant de l’acheminer vers la morgue du CHU Mustapha pour l’autopsie. La police judiciaire s’est autosaisie, alors que la réquisition devait être faite par le procureur. Nous ne retrouvons aucune ordonnance du parquet pour effectuer les manipulations sur la scène de crime. La crédibilité des indices est fortement suspecte.» Pour l’avocat, le rapport de la BRI fait état de la récupération de deux balles sur la scène de crime, après des recherches minutieuses, et d’une troisième extraite du corps de la victime.
Crime ordinaire ou politique ?
«Comment est-ce possible ? L’arme d’Oultache a été retrouvée avec 4 balles et ne pouvait contenir que 6 balles. S’il en a tiré deux, comment peut-on en récupérer trois ? Deux sur les lieux du crime et une dans le corps du défunt. Il y a forcément une balle de plus qui a été ramenée pour dissimuler des preuves.» Me Belarif s’en est pris au médecin légiste : «Il a dit qu’Oultache était en position debout lorsqu’il a tiré sur le défunt, alors qu’il était assis sur son fauteuil la tête un peu penchée. Selon lui, Tounsi s’est levé et a tenté de fuir, mais il s’est écroulé sur le côté droit de son bureau. Un coup de revolver à la joue l’aurait forcément poussé vers l’arrière. Il est impensable qu’il tombe plus loin que son bureau. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de sang ni sur le bureau ni sur son fauteuil, alors que la balle a traversé la langue et la mâchoire. Il dit aussi qu’Oultache est revenu pour tirer une balle qui a atteint le maxillaire droit avant de sortir du crâne, et fait état, dans le certificat de décès, d’une plaie pénétrante sur le sommet du crâne.
Or, les photos ne montrent aucun indice d’éclatement crânien. On nous a ramené une chemise du défunt que nous suspectons. Elle est blanche à rayures noires, avec un morceau qu’on a arraché au niveau du côté droit. Elle était couverte d’une teinte à peine rougeâtre. Comment pouvons-nous croire que Ali Tounsi puisse porter la chemise directement sur le corps. Il devait avoir un maillot de corps que nous n’avons pas eu.» Toutes ces «violations» ont poussé l’avocat d’Oultache à affirmer que ce dernier «n’est pas l’auteur du crime». Mais, le tribunal a décidé à l’unanimité de la culpabilité de l’accusé.
Représentée par Me Fatima Chenaif, la défense de la famille du défunt patron de la police a estimé pour sa part «avoir réclamé justice» et, de ce fait, par le verdict, «nous pensons que le tribunal a rendu justice».
Cependant, même si elle reste convaincue de la culpabilité de l’accusé, l’avocate considère la mort de Ali Tounsi, comme «une affaire politique» qui, selon elle, ressemble à celle de l’assassinat de Mohamed Boudiaf, le 29 juin 1992, par un de ses gardes, parce que «le ou les commanditaires du meurtre demeurent derrière le rideau».
En tout cas, le procès de 2017 qui a déclaré Oultache pénalement responsable de la mort de Ali Tounsi n’a pas pour autant levé le voile sur les vrais mobiles du crime et à qui il aurait profité. Peut-on s’attendre à de nouvelles révélations ou allons-nous vers la fermeture définitive de ce dossier ? La question reste posée.
https://www.elwatan.com/edition/actualite/une-affaire-et-des-zones-dombre-27-01-2021
Rédigé le 27/01/2021 à 13:46 dans Culture, Divers, Islam | Lien permanent | Commentaires (0)
Le gouvernement français a voulu lancer en octobre 2019 une offensive contre l’islamisme et les courants radicaux, rapidement relayée par un emballement médiatique qui a échappé à tout contrôle. Or, l’ennemi désigné n’a nullement été identifié selon des termes juridiques, pas plus que ses torts. On lui reproche sa piété rigoureuse, son voile, sa pratique du jeûne de Ramadan, sa barbe fournie, son refus de toucher les femmes, ce qui le rapproche dangereusement de n’importe quel fidèle conservateur.
L’offensive vise donc une manière de concevoir la piété musulmane, et nullement une qualification criminelle ou une atteinte à l’ordre public. C’est dire que nous sommes confrontés à un « délit de sale gueule », lequel échappe à la tradition juridique républicaine, délit qui est indiscernable, sans limite, extensible, mais politiquement pratique auprès d’une opinion chauffée à blanc par les attentats et l’immigration.
Si l’islamiste ainsi décrit ressemble évidemment au salafiste, c’est oublier un peu vite que l’écrasante majorité des salafi – ceux qui sont attachés au modèle des « anciens » (les salaf), c’est-à-dire les compagnons du Prophète – se veulent quiétistes : leur mode d’action est la prédication et l’action missionnaire (la da‘wa). Le salafiste souhaite d’abord vivre un islam épuré et intégriste – au sens d’intégral – dans le cadre de sa famille et de sa communauté.
→ ANALYSE. « Être noir en islam, c’est compliqué »
Ce mouvement est distinct d’un engagement politique, de sorte que les salafistes sont rarement liés aux Frères musulmans, qui eux forment un mouvement politique. Si la matrice religieuse et idéologique du salafisme imprègne les mentalités djihadistes, elle ne se confond pas avec celles-ci, ni dans la pensée, ni dans les faits. La radicalisation concerne donc à des degrés différents et sous des formes incomparables les sympathisants du salafisme et les partisans du djihadisme de Daech. Les premiers ont un engagement d’abord religieux, tandis que les autres sont mus à la fois par la volonté de puissance, des facteurs politiques, sociaux et religieux.
L’hostilité des salafistes envers les courants djihadistes a été prouvée à de nombreuses reprises par des déclarations publiques et surtout en fournissant du renseignement de qualité auprès des services de police. Le meilleur ennemi du terroriste est souvent le salafi, et l’autodidacte de l’islam présente plus de risques que le salafiste.
En outre, le salafisme n’a pas été désavoué par les représentants du culte musulman pour la simple raison que ce courant n’est pas une idéologie : il faudrait donc lui enlever son isme final et l’appeler, selon la tradition religieuse, la salafiya ; il s’agit d’un vieux courant légitime de l’islam, qui a fourni des générations d’imams et de lettrés attachés au sens littéral du Coran et de la Sunna.
Il est évident que le salafisme représente une alternative culturelle et sociale au modèle français, modèle égalitaire, inclusif, ouvert (au moins en théorie). Les quelques salafi que j’ai connus – des convertis à 25 ou 30 % d’entre eux – vivaient dans un étroit triangle géographique. Parce qu’ils souhaitent faire les cinq prières à leur heure, sans les décaler, et ce dans une salle de prière, ils sont contraints de vivre et de travailler non loin d’une mosquée. Ils passent ainsi de leur habitation au lieu de travail et à la salle de prière, lesquels se situent nécessairement dans un « écosystème » étroit mais rassurant. Ils ne peuvent guère être exigeants sur le plan professionnel.
Le salafisme, qui représente au moins 40 000 individus, est socialement dangereux car il impose l’auto-ségrégation, le refus des contacts avec « ceux qui n’en sont pas ». C’est la raison pour laquelle les spécialistes des questions de sécurité se refusent à les impliquer dans la lutte contre le djihadisme. Salafistes et terroristes participeraient à une même matrice intellectuelle, celle du bien contre le mal, une sorte de vision sectaire du monde. La différence vient du rapport à la violence : assumé chez les djihadistes, rejeté chez les salafistes. Leur fondamentalisme présente l’avantage d’une certaine forme de morale : à Sartrouville les quartiers salafisés ont vu s’effondrer la toxicomanie et la délinquance, avec le soutien de la mairie.
Rédigé le 26/01/2021 à 14:52 dans Culture, Histoire, Islam | Lien permanent | Commentaires (0)
Par souci pédagogique et en vue de simplifier l'approche conceptuelle du principe de la laïcité, au moins dans sa version originelle, j'ai organisé ma dissertation sur le sujet en quatre parties. Sans prétention d'expert en la matière, ma démarche vise simplement à mette à disposition de ceux que cela intéresse des éléments de discernement à même de lever des ambigüités, que d'aucuns entretiennent sciemment, à dessein dirions-nous, afin d'empêcher l'opinion publique de saisir la portée réelle de la compagne anti-foulard, ayant généralement l'islamophobie comme soubassement. Dans un premier article, paru dans le quotidien d'Oran le 05 décembre 2020 sous le titre ' L'antagonisme entre l'église et les souverains occidentaux à l'origine de la laïcité ', j'ai présenté un exposé concis de l'histoire de l'église catholique et ses relations conflictuelles avec le pouvoir temporel; préambule aux différentes dispositions réglementaires et accords qui ont finalement abouti à la première codification du principe de la laïcité (loi 1905 de séparation de l'église et de l'Etat). Le parcours historique menant à ce but - au prix de luttes acharnées entre les antagonistes, parfois sanglantes - a fait l'objet d'un second article, intitulé 'Le long et laborieux cheminement de la France vers la laïcité'', publié dans le même journal le 10 décembre 2020. Le troisième article, paru encore dans le quotidien d'Oran le 06 janvier 2021, sous le titre 'La laïcité française à l'épreuve d'un foulard'', a concerné essentiellement la question de l'interdiction, au nom de la laïcité, du port du voile dit islamique, ou son autorisation. Problème qui, depuis plus de deux décennies, suscite des débats à tout-va, où le plus souvent le passionnel prend quasiment le monopole de la parole, laissant l'intellect sans voix. La présente contribution portera quant à elle, exemples édifiants à l'appui, sur la compagne de mise à l'index des musulmans, voire l'ostracisme et le harcèlement qu'ils subissent, ciblant en particulier les femmes voilées. Actes que leurs auteurs s'emploient savamment à justifier par de prétendues 'valeurs laïques républicaines''.
Un fourre-tout qui ouvre la voie, toute béante, aux dépassements les plus improbables et à la banalisation de la violence et de la stigmatisation dont sont victimes des gens dont le seul tort est d'afficher leurs convictions religieuses, sans perturber l'ordre public ni exprimer la moindre revendication d'ordre politique ou autre. Hélas, les vulgates des nouveaux 'prêtres de la laïcité et de la liberté d'expression'', de plus en plus nombreux à officier dans les médias et autres forums, sont en train de prendre des tournures insoutenables, parfois terrifiantes. Est-il besoin de rappeler que la montée du racisme, avec ce qu'il peut charrier comme tragédies humaines, commence toujours .par la parole autorisée et donnée abondamment aux promoteurs de la haine, à l'image d'Eric Zemour et compagnie.
C'est en particulier sur le plateau de la chaine de télévision Cnews, où ils semblent passer plus de temps que chez eux, que ces énergumènes viennent allègrement déverser leurs nauséabondes logorrhées. L'histoire nous apprend que le type de discours qu'ils confessent et les déviances qui les caractérisent constituent généralement le socle des fractures sociales. Lorsque des faits religieux, secondaires et sans réel impact sur le vivre ensemble, deviennent un casus belli pour ouvrir le feu sur tout ce qui a trait au culte religieux d'une partie de ses concitoyens, le pire est à craindre. Toutes proportions gardées, ce phénomène s'inscrit bien dans les schémas classiques des glissements vers l'effroyable; des dérives qui produisent inexorablement le radicalisme, géniteur de la ségrégation sociale, des troubles sociaux, des guerres civiles, du terrorisme et aussi des tyrannies idéologiques telles que le fascisme, le stalinisme, le nazisme, l'antisémitisme, l'anti-islam, etc. A ne pas s'y méprendre, les conflits majeurs germent souvent des petits débordements ou malentendus, entretenus et alimentés au fil du temps pour atteindre des dimensions hors mesure, incontrôlables. Et ce n'est pas les exemples de dérives à répétition qui manquent en ces temps de déliquescence intellectuelle, mais aussi morale et politique. On peut citer à propos l'affaire, largement relayée par les médias et les réseaux sociaux, de cette mère voilée, accompagnant son fils, qui a été prise à partie de manière humiliante par un élu du parti d'extrême droite RN (Rassemblement National de Marine le Pen), sous les yeux effarés de son enfant, au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté le 11 octobre 2020. Une exécrable délation publique, bête et méchante. Le député et président du parti de droite Les Républicains (LR), défiant tout entendement et aussi les lois de 'sa république'', préconise quant à lui l'interdiction pure et simple du voile pour les femmes accompagnatrices des écoliers ; arguant que : « à partir du moment où on l'interdit à l'école, pour moi, ça vaut pour tout le temps scolaire ». Question rhétorique : A quel moment commence ou s'arrête le temps scolaire ? Le LR propose même une loi « tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation ». Rien que ça ! Il s'agit en fait d'une demande de réactivation de la circulaire Chatel (ministre de l'éducation sous Nicolas Sarkozy) de mars 2012, interdisant aux parents d'élèves accompagnateurs de porter des signes religieux ostentatoires.
Il convient de rappeler à ces 'super-républicains'' que la dite circulaire fut remise en cause par le Conseil d'Etat en décembre 2013, en soulignant que les parents ne sont pas des agents auxiliaires du service publique pour être soumis à la neutralité religieuse. La liste des actes de discrimination, de provocation, d'agressions verbales ou physiques, et autres violences morales faites aux musulmans, les femmes voilées en particulier, dépasse le domaine de l'incident isolé ; le problème se pose désormais en réel fléau social pour la France. Citons encore quelques cas qui en disent long à ce sujet.
Le 18 octobre 2020, deux femmes musulmanes voilées ont été victimes d'une agression à caractère raciste à Paris. Alors qu'elles se promenaient en famille tranquillement à proximité de la Tour Eiffel, elles ont été poignardées suite à une altercation avec deux femmes. Autre fait, lors de la séance parlementaire d'audition des acteurs associatifs, le 17 septembre 2020, dans le cadre de l'enquête sur l'impact de la covid-19 sur la jeunesse, des députés de la droite et une élue du parti La République en Marche ont quitté la salle pour protester contre la présence d'une étudiante en hidjab, vice présidente de l'union nationale des étudiants de France. La présidente de la commission d'enquête a réagi en précisant, séance tenante, que l'interdiction de signes religieux ne s'applique qu'aux membres de l'assemblée et qu'à ce titre la représentante des étudiants n'a transgressé aucune loi. Interpellé quelques jours après l'incident, le président de l'assemblée nationale, abondant dans le même sens, a déclaré : « Dans cette maison, on s'habille librement, on s'indigne librement ». Le paroxysme de l'acharnement, qui pourrait être nominé au hit parade du harcèlement xénophobe, est atteint avec l'épisode du 'Hidjab sportif'' proposé à la vente en février 2019 par le groupe Decathlon (entreprise française de grande distribution d'articles de sport et de loisirs). L'entreprise, accusée, entre autres, de 'se soumettre à l'islamisme'' et de 'trahir les valeurs républicaines'', subira une pression inimaginable, agrémentée d'insultes et de menaces sans précédent, l'obligeant à renoncer à la commercialisation de son produit.
Un important marché, très juteux, fut ainsi sacrifié sur l'autel de l'intolérance. Pourtant, la croix, la kippa, les santons (figurines ornant les crèches de noël) et autres articles en lien avec la religion sont vendus librement, sans qu'on s'en offusque. De même, il n'a jamais été interdit à quelqu'un de pratiquer du sport en portant une croix ou un quelconque signe religieux. C'est dire que l'affaire Décathlon, en plus d'être un regrettable piétinement des droits, est une violence de trop faite à la liberté des femmes musulmanes. De telles attitudes discriminatoires, extrémistes, sont beaucoup moins répandues, voire insignifiantes, en dehors de l'hexagone.
A titre illustratif, en 2018, l'équipementier sportif Nike a mis sur le marché un voile de sport dit islamique, « le Nike Pro Hijab », sans provoquer de réactions hystériques comme en France. On va clore la série noire avec une cerise, du reste putréfiée, sur le gâteau. Dans une émission de télévision, l'inénarrable Robert Ménard, maire de Béziers, déclare : « comment peut-on lutter contre l'islamisation sans lutter contre le voile ». Ce qui est admirable dans cette absurdité, ânerie serait le mot juste, c'est qu'elle nous enseigne que la conversion à l'Islam, prétendu danger imminent pour la république laïque, peut se réaliser par simple exhibition d'un foulard.
Ce qui revient à dire que si un non musulman croise une femme voilée, ou portant un foulard dit islamique, il risque la conversion, véhiculée par des ondes magico-magnétiques que le foulard chargé d'Islam émet. Ma foi, on aura tout vu dans la France de ces débuts du XXIème siècle; c'est à se demander comment font ces gens pour garder l'ai sérieux. J'ai beau essayer, mais j'ai du mal à comprendre une conception, on ne peut plus irrationnelle, qui invite à interpréter la laïcité, sensée garantir la liberté de conscience, comme principe imposant aux croyants de dissimuler leur religiosité. N'est-ce pas là une atteinte flagrante au droit humain fondamental, aux droits et libertés constitutionnellement et conventionnellement garanties et aussi une violation de l'esprit et de la lettre de la laïcité; qu'on détourne lamentablement de sa vocation pour l'ériger en instrument d'exclusion des convictions religieuses de l'espace public. Prosaïquement parlant, la laïcité prend dès lors des allures d'une néo-religion qui persécute les anciennes ; une cynique inversion des rôles. Disons le franchement, il s'agit au premier chef ni plus ni moins que d'empêchement de toute visibilité publique de l'Islam.
La situation se corsant crescendo ces derniers temps, on est en droit de se demander jusqu'où peut aller l'intolérance et le racisme lorsqu'un foulard, fut-il islamique, offenserait les regards, froisserait les sentiments et bafouillerait les 'valeurs'' plus que les images de tous ces malheureux SDF et autres misères humaines, auxquelles le monde 'civilisé'', donneur de leçons, est devenu quasiment insensible. Il est ahurissant qu'un simple foulard puisse déclencher une avalanche de lois et autres dispositions réglementaires. Certains 'intellos'' radicaux et leurs adeptes, légitimes représentants autoproclamés d'un monde dit libre et démocratique, qui ne finit au demeurant pas de se déshumaniser, obnubilés par leurs sentiments haineux et discriminatoires, passent leur temps sur les plateaux des télévisions et autres supports médiatiques à fustiger les musulmanes voilées.
Celles-ci sont mises en demeure de se défaire de leur foulard, c'est à dire de leur pudeur religieuse ou culturelle, pour s'intégrer dans la société aux traditions et consciences conformes au modèle de leurs détracteurs. Autrement dit, elles doivent se fondre dans le moule de normalité que ces derniers veulent imposer en dépit du droit et du bon sens. En réalité, de tels procédés ne sont rien d'autre que l'expression d'une idéologie qui n'admet point que l'on sorte de son schéma de pensée et de sa façon d'être. Ses adeptes, enfermés dans leur nébuleuse, ne peuvent pas concevoir la vie sociale en dehors des frontières des quartiers de leur ' francité pure''. Voués au culte messianique d'une France qui de ses lumières irrigue le monde, ils développent une incurable allergie à une grande partie du monde dit 'étranger à leurs valeurs civilisatrices''. Par moments, je suis tenté de tout mettre sur le compte de leur 'impéritie intellectuelle'', mais la constance de leur discours et leur acharnement ostentatoire me rappellent vite à l'ordre. Pour satisfaire leurs caprices xénophobes, faisant fi de tout le reste, ils sombrent dans une haine qui participe à éteindre les lumières dont la France se revendique depuis deux siècles : liberté, égalité, fraternité. Tous ces dépassements et autres dévoiements que l'on s'autorise, sous couvert de liberté d'expression, de laïcité et de démocratie, portent à croire - en ce qui concerne les partisans du rejet de l'autre bien entendu; la généralisation serait injuste, déplacée et intellectuellement malhonnête envers tous les autres citoyens français, il faut séparer le bon grain de l'ivraie - que Voltaire (écrivain et philosophe français du XVIIIème siècle) avait en partie raison de dire : « Les français ne sont pas faits pour la liberté, ils en abuseraient ». En tout cas, pour le moins, tout esprit libre et ouvert au monde, tout être épris de nobles valeurs humaines, s'offusque forcément du rejet de l'autre et de l'atteinte à ses libertés fondamentales, en raison de son appartenance, de ses opinions politiques ou de ses croyances. Mais à la noblesse des sentiments on devrait joindre les actes de dénonciation, voire de condamnation, de l'immoral et de la violation des droits humains.
A point nommé, évoquons cette phrase du poète français Charles Baudelaire : « Il est bon de hausser la voix et de crier haro sur la bêtise contemporaine ». Formule qui trouve son plein sens à l'endroit de la coterie des Eric Zemour, Robert Ménard, Jean Messila, Elisabeth Levy, Marine le Pen et leurs acolytes.
Cet essaim d'oiseaux de mauvais augure, annonciateur du péril musulman - migrant d'un média à l'autre pour prêcher la peur et l'angoisse chez les uns et le désarroi chez d'autres, pensant faire œuvre utile pour la société française - passe le plus clair de son temps à présenter l'Islam comme une antinomie accolée à n'importe quoi, à tout et à rien. Autrement dit, une religion qui serait incompatible avec la modernité, avec l'émancipation de la femme, avec les droits de l'homme... la litanie pourrait s'allonger d'avantage. Mais avant tout, la question est de savoir si au moins ces 'maitres penseurs'' se sont donné la peine d'étudier et de comprendre l'Islam ?
Ou alors, sont-ils simplement aveuglés par leur haine maladive de cet Islam ? Hélas, c'est rare où ce genre de personnes peut avoir à la fois un œil, une oreille et un esprit ouvert pour appréhender correctement les choses ou les apprécier à leur juste valeur. Au fond, la problématique ne se pose pas en termes de compatibilité des valeurs véhiculées par la religion musulmane avec celles de la république; c'est plutôt le sens que d'aucuns veulent donner à ces valeurs qui crée la polémique et la zizanie. En d'autres termes, le problème, pomme de la discorde, est dans l'interprétation dévoyée des concepts. Et c'est justement dans ce creuset de lectures, non innocentes, que se joue malheureusement la parodie de procès des musulmans.
Nonobstant ce qui peut se concerter dans la sphère peu accessible des décideurs, les plaidoiries se passent sous forme de bavardages médiatiques où des rhéteurs, les mêmes qu'on invite le plus souvent, et autres phraseurs automates, imposent leurs théories biscornues. Etant presque toujours en terrain conquis, ils arrivent à rendre péremptoires leurs audaces sur n'importe quel sujet. Ils n'y réussissent évidemment pas par le seul exercice d'un supposé talent d'orateurs, mais surtout en raison de l'absence de vis-à-vis de qualité intellectuelle à même d'apporter la contradiction, savamment argumentée, nécessaire à un débat sérieux et constructif. La nature ayant horreur du vide, Il appartient alors aux bonnes consciences encore taiseuses, les musulmanes en particulier, de se manifester pour le combler afin d'éviter le pire pour les musulmans de France et d'ailleurs, Inchallah.
par Tahar Benabid*
Professeur - Ecole Nationale Supérieure de Technologie
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5297836
Rédigé le 21/01/2021 à 10:19 dans Culture, Islam | Lien permanent | Commentaires (0)
La convocation de Nouria Benghabrit par la justice a d’abord étonné. Car, au vu des motifs qui, par les temps qui courent, conduisent d’anciens ministres vers les tribunaux, la dame, par son allure, n’a pas la tête de l’emploi.
La nouvelle a, cependant, réjoui, pour un moment, les milieux à référence doctrinale rétrograde. Mais pas parce que les islamistes seraient férus de justice : si c’était le cas, ils ne se délecteraient pas de la “réconciliation nationale”, ukase consacrant l’ensevelissement de la vérité sur la séquence la plus tragique de l’Algérie indépendante et instituant une impunité arbitraire pour les auteurs des crimes les plus abjects que l’humanité a eu à endurer.
Non, l’islamisme n’est pas une idéologie de la vérité. Ni une idéologie de la morale. Si c’était le cas, ses adeptes ne seraient pas là à fourmiller dans cette économie souterraine et de contrebande que notre État, par candeur ou par connivence, veut ramener à la lumière à coups de “finance islamique” ! La religiosité servant de couverture à un affairisme interlope. S’ils cultivaient l’intégrité, ils commenceraient par monter des bûchers à leurs ministres convaincus de grande corruption ou à leurs brigands qui soudoient des fonctionnaires véreux en leur offrant des… omras !
Dans le processus de régression pédagogique, scientifique et culturelle que le pouvoir lui applique méthodiquement et dans la durée, l’École algérienne n’a connu que de rares répits. L’intermède Benghabrit en est un. Même si ses réformes n’ont pas révolutionné l’institution. En particulier parce que les classes moyennes et les élites peuvent recourir, pour l’instruction de leurs enfants, à des établissements privés ou étrangers. D’ailleurs, ils sont rejoints en cela par leurs camarades de classe (sociale) à obédience islamiste. C’est ce qui fait que l’éducation, enjeu stratégique majeur, n’a jamais été une cause pour aucune catégorie sociale ou politique. Cela dit, même le peu qu’elle a fait, les adeptes du sectarisme arabo-islamiste ne le lui ont pas pardonné.
Car, contrairement à ce que l’on croit, les intégristes ont de… la mémoire ! Même si on nous demande d’oublier pour nous réconcilier ! Une mémoire de haine, mais une mémoire tenace qui entretient leur rancune envers leurs “ennemis” idéologiques et politiques. Entre eux, ils savent oublier : en 1995, le GIA a exécuté deux membres de la direction du FIS (A. Redjam et Mohamed Saïd) qui, pourtant, venaient de le rejoindre, mais aucun islamiste ne leur en tient rigueur !
En revanche, la seule évocation du nom de Nezzar les soulève. Pourtant, il n’a pas conduit la guerre contre leurs frères d’armes, puisqu’il a démissionné en 1993. Au demeurant, les islamistes ne peuvent pas avoir la haine du militaire : ils ont le culte de la vocation guerrière, et des armes dont ils ornent leurs emblèmes ! Ils ont la haine de celui qui combat leur crime ou le projet, qu’il soit civil ou soldat.
Leur rancune, Nezzar la doit au fait qu’il ait assumé le principe que l’islamisme ne devrait pas être… éligible à l’accès au pouvoir. Certes, le système de l’arbitraire et du pillage a continué à sévir après 1992, mais la décision de rupture du processus électoral reste un acte de sauvegarde nationale. Et de pédagogie politique : en République, il n’y a pas de place pour l’islamisme, idéologie de violence et de pouvoir total.
Publié par Mustapha HAMMOUCHE
le 27-12-2020 10:30
Rédigé le 27/12/2020 à 19:48 dans Décennir noire, Islam | Lien permanent | Commentaires (0)
Sansal imagine un nouveau prophète chargé d’apaiser les maux de l’humanité, et tisse une histoire qui résonne fortement avec l’actualité. Entretien.
Faut-il encore présenter Boualem Sansal ? Depuis son entrée fracassante dans l’univers de la littérature francophone en 1999 avec son premier roman, Le serment des barbares, l’écrivain algérien, ancien ingénieur venu sur le tard à l’écriture, n’a cessé de cumuler les succès avec des ouvrages exigeants et originaux.
En 2015, son 2084, la fin du monde, adaptation très personnelle sous forme de dystopie du célèbre 1984 d’Orwell, a même été un véritable best-seller en France comme dans le monde. Il lui a permis d’obtenir le prestigieux Grand prix de l’Académie française.
Pourfendeur régulier, dans ses essais comme dans plusieurs de ses livres de fiction, de l’idéologie et des agissements des islamistes, amoureux de son pays et critique féroce de son évolution et de son régime, il surprend à nouveau avec le sujet peu banal de son neuvième roman. Dans Abraham ou la cinquième alliance, il raconte en effet qu’un habitant de l’ancienne Mésopotamie considère que son fils Abram, qui ne porte évidemment pas ce prénom par hasard, est une réincarnation du patriarche Abraham et est appelé à devenir un nouveau prophète.
Celui-ci devra annoncer une « cinquième alliance » avec Dieu, après celles qu’ont autrefois conclues Abraham, Moïse, Jésus et bien sûr Mohammed, afin d’apaiser les maux de l’humanité. Ce qui entraine le « héros » du livre, accompagné de sa famille et de ses disciples, à refaire à l’identique, 4000 ans après, le périple d’Abraham à travers le Moyen-Orient. Il parcourt alors des territoires en pleine effervescence, puisque tout se passe il y a une centaine d’années, au moment de la Première guerre mondiale, de l’effondrement de l’empire ottoman et du califat ainsi que de la venue de colonisateurs occidentaux déterminés à asseoir leur domination sur toute la région.
Évoquant donc la Genèse, le livre prend souvent la forme d’un conte philosophique. Notamment quand le père d’Abram puis lui-même discutent à la manière socratique avec ceux qui les suivent dans leur « aventure » vers la Terre promise. Mais l’ouvrage, s’il est sérieux, n’est jamais ennuyeux et peut se lire d’une traite. D’autant que ce qu’il raconte résonne fortement avec ce qui se passe de nos jours, en Orient comme en Occident et, bien sûr, en Algérie.
Jeune Afrique : Abraham est un livre très ambitieux puisqu’il couvre nombre de champs : historique, géopolitique, religieux, philosophique… Même pas peur ?
Boualem Sansal : Quand je suis parti pour raconter cette histoire, je pensais que ce ne serait pas trop difficile. Puis, après avoir écrit 10 ou 15 pages, je me suis dit que l’entreprise allait me prendre 10 ou 15 ans vu l’ampleur du sujet. Mais heureusement, grâce notamment à la pandémie qui m’a interdit de bouger, de voyager à l’étranger, j’ai pu me mettre à travailler 10 à 15 heures par jour sans interruption. Et j’ai constaté que j’avançais bien, que ma mémoire sur ce sujet qui me passionnait depuis longtemps, depuis une bonne trentaine d’années en fait, fonctionnait bien.
Pourquoi avoir situé cette histoire il y un siècle et au Moyen-Orient ?
L’idée était de ressusciter dans un roman cet Abraham, à l’origine du monothéisme, que nous connaissons tous. Où ? Ma première idée fut de situer le récit dans une banlieue autour de Paris. Mais c’est au Moyen-Orient que cela s’est passé, alors autant respecter l’histoire.
Ensuite quand ? Là encore, ma première idée, celle de retenir la période actuelle, ne fut pas la bonne. En continuant à me documenter sur le personnage d’Abraham, j’ai constaté qu’à son époque, il y avait un contexte politique, des guerres d’empires opposant les Hittites, les Égyptiens, les Babyloniens, les Assyriens ou les Perses. Le mieux était donc de choisir une période pendant laquelle s’étaient déroulées des guerres d’empires au Moyen-Orient. La seule que j’ai trouvée se situe autour de la Première guerre mondiale, avec les empires ottoman, austro-hongrois, anglais, français, allemand qui intervenaient tous dans le conflit.
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27 décembre 2020 à 12h26 | Par Renaud de Rochebrune
https://www.jeuneafrique.com/auteurs/r.de-rochebrune/
https://www.jeuneafrique.com/1095334/culture/boualem-sansal-il-ny-a-plus-assez-dintellectuels-libres-pour-faire-renaitre-lislam/
Rédigé le 27/12/2020 à 19:07 dans Culture, Islam, Poésie/Littérature, Religion | Lien permanent | Commentaires (0)
Entretien avec Roger Vétillard, auteur de La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? aux éditions Atlantis
La guerre d’Algérie est à l’origine de très nombreuses publications. On pourrait penser que le sujet est épuisé. Vous écrivez une nouvelle présentation de ce conflit en étudiant sa dimension religieuse. Comment êtes-vous arrivés à étudier le thème de l’Islam dans la guerre d’Algérie, aspect peu évoqué par ailleurs ?
En 2015, l’Association pour l’Histoire m’a demandé de présenter une communication sur ce sujet lors d’un colloque qu’elle organisait à Paris. J’avais noté auparavant, comme beaucoup, que durant la guerre d’indépendance le F.L.N avait utilisé l’Islam pour être mieux accueilli par les populations musulmanes, notamment dans les campagnes. Mais, influencé par les écrits des historiens spécialistes de ce conflit, je pensais que l’emploi de l’islam n’était que stratégique. Or le travail de recherches que j’ai réalisé pendant plus de 5 ans m’a permis de constater que son rôle était loin d’être marginal.
Êtes-vous donc le premier à objectiver le rôle important qu’a joué l’Islam à cette période ? Personne avant vous n’avait travaillé dans cette direction ?
Pour être objectif, les observateurs qui ont compris que la religion musulmane était partie prenante de la guerre d’Indépendance ne sont pas rares. Léon Feix a écrit en 1955 dans les Cahiers du communisme que « les dirigeants nationalistes algériens ont repris la formule de l’Algérie musulmane ». Albert Camus en 1956 écrivait à Jean Grenier « Les musulmans ont de folles exigences : une nation algérienne indépendante où les Français seront considérés comme étrangers, à moins qu’ils ne se convertissent à l’islam ». Raymond Aron en 1957 annonçait que les non-musulmans ne pourraient pas vivre dans une Algérie indépendante. En 1962, dans un numéro spécial de la NEF, André Delisle explique toute l’importance de l’arabo-islamisme dans l’idéologie du FLN.
Des historiens, parmi lesquels Gibert Meynier, Mohammed Harbi, et dans une moindre mesure, Guy Pervillé, y ont également fait référence mais sans faire d’étude spécifique.
EL- Votre livre est riche en révélations. Vous pourriez parler de beaucoup d’autres sujets, mais comment expliquez-vous que l’aspect religieux de la guerre d’Algérie n’ait pas été traité par les historiens ?
Gilbert Meynier et Mohammed Harbi en parlent et je me réfère souvent à leurs publications. Guy Pervillé ne l’ignore pas. Gérard Crespo et Jean-Pierre Simon viennent de publier un livre sur l’Islam à l’origine de la guerre d’Algérie. Mais cette religion est mal connue des auteurs français, chacun imaginant qu’elle est un culte similaire aux religions chrétiennes et juive. Ils n’envisagent pas qu’il s’agit d’une idéologie qui infiltre chaque instant de la vie de ses fidèles. C’est un code civil, une hygiène de vie. Qui n’y adhère pas est un infidèle, c’est un citoyen de seconde zone. Bref, peu imaginaient et imaginent encore aujourd’hui l’importance de ce facteur.
À partir de quels moments l’Islamisme est-il intervenu dans ce conflit ?
Depuis bien avant le début de la guerre. En 1830, l’empire ottoman domine la Méditerranée. En 1920, après la 1ère guerre mondiale, l’empire est réduit à la Turquie. Le califat n’existe plus. Les musulmans réagissent, ils s’organisent pour retrouver la suprématie perdue : Conférence islamique internationale de la Mecque en 1926, création de la Société des Frères musulmans en 1928, de la revue La Nation Arabe par Chekib Arslan en 1930 à Genève, Congrès Islamique à Jérusalem en 1931, Création de l’Association des Oulémas en Algérie en 1931, Congrès Musulman à Alger en 1936, Société pour l’Islam au Pakistan créée par Abdul Ala Maududi en 1939… Cela contribue à une agitation dans les pays musulmans, notamment en Algérie, où les oulémas, qui sont des arabo-islamiques wahhabites puis salafistes, font en quelque sorte de la métapolitique et vont former toute une génération de responsables : 18 des 22 créateurs du FLN (réunis au sein du CRUA) en 1954 sont issus de la formation politico-religieuse donnée par ces oulémas. L’arabo-islamisme est présent très tôt au sein du FLN et de l’ALN. Dans les maquis et dans les douars où l’ALN intervient, les cinq prières quotidiennes sont imposées, de même que la charia, la langue arabe, celle du Coran, est utilisée, l’alcool, le tabac sont interdits.
Vous parlez de la « taqiya ». Dans quel but a -t-elle été utilisée?
Je traduis ce mot arabe par « saint-mensonge ». C’est pour dire que dans la religion musulmane, on peut mentir pour la bonne cause, notamment dans le cadre d’un djihad (d’une guerre sainte) pour aider à son accomplissement. Ainsi, le journal officiel du FLN pendant la guerre a pour titre El Moudjahid, c’est-à-dire le soldat de la foi islamique. Mais en français il s’appelle Le Combattant – alors que le mot combattant se traduit en arabe par muqatil, pour ne pas inquiéter la gauche française qui soutenait le FLN et dont chacun sait qu’elle est athée ou chrétienne progressiste. De la même façon alors qu’en 1960 Ferhat Abbas, président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne lance un appel en 1960 aux chrétiens et juifs d’Algérie pour leur dire qu’ils auront leur place dans l’Algérie indépendante, quelques mois plus tard il sera désavoué par Lakhdar Ben Tobbal, ministre de l’intérieur, qui explique lors d’une conférence de presse au Maroc que de telles déclarations ne sont que tactiques et qu’il n’est pas question que les non-musulmans occupent des postes de responsabilités dans l’Algérie indépendante.
Enfin, en vous lisant, on ne peut que se référer au contexte contemporain. Pensez-vous que faire une telle analogie est pertinent ?
Vous n’êtes pas le premier à me dire cela. Il est vrai que les méthodes d’infiltration de la société, les motivations des uns et des autres, le vocabulaire utilisé que nous constatons de nos jours, renvoient à d’autres moments de l’histoire, notamment celle de l’Algérie et aux conflits récents qu’elle a vécus. L’histoire étudie les moments importants du passé pour en tirer des leçons et ne pas renouveler les erreurs ou au contraire pour reproduire les exemples positifs. Laissons aux lecteurs la liberté de tirer les leçons de cette histoire.
*Roger Vétillard, La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? – Atlantis éd., Friedberg, 2020, 300p, ISBN 978-3-932711-68-8, 24€.
Roger Vétillard est né en Algérie. Après une carrière médicale, il se consacre à l’histoire de son pays natal. Il a publié de nombreux ouvrages notamment :
Sétif, Guelma mai 1945, massacres Algérie (prix Robert Cornevin 2008), aux éditions de Paris,
20 août 1955 dans le nord-constantinois (prix spécial du salon du livre de Toulouse 2014 et prix Jean Pomier 2014), aux éditions Riveneuve,
Un regard sur la guerre d’Algérie en 2016, chez Riveneuve,
Français d’Algérie et Algériens avant 1962, aux éditions Hémisphères
La dimension religieuse de la guerre d’Algérie (1er prix des livres d’histoire de l’Académie des Livres de Toulouse en 2019) … aux éditions Atlantis
Il a reçu en 2018 le prix Ernest Roschach décerné par l’Académie du Languedoc pour l’ensemble de son œuvre.
Par EURO LIBERTES
28 novembre 2020
https://eurolibertes.com/histoire/la-guerre-dalgerie-a-t-elle-ete-un-djihad/
Rédigé le 28/11/2020 à 23:04 dans Guerre d'Algérie, Islam | Lien permanent | Commentaires (0)
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