La question de la récupération des fonds et des biens issus de la corruption d’hommes d’affaires, de militaires et des politiciens véreux ainsi que des parties influentes incarcérés pour corruption était une promesse de campagne du président mal élu Abdelmadjid Tebboune.
Aujourd’hui le bonhomme s’en remet à ses bons souvenirs et relance ce va-t-en guerre à la recherche de Dinars perdus dilapidés dans le cadre de la récupération des fonds dissimulés frauduleusement à l’étranger ou même en Algérie à travers des biens éparpillés çà et là. C’est d’ailleurs de l’un de ceux-là d’où est repartie cette affaire. Dimanche dernier, effectivement, le chef d’état lors du Conseil des ministres tenu sous sa présidence, avait sommé ses troupes d’accélérer la remise en production de l’usine des huiles végétales de Jijel, qui appartenait aux frères Kouninef, actuellement en détention pour corruption, lançant ainsi la première étape d’un début du processus de récupération.
C’est que l’histoire va chercher loin elle couterait au bas mot estiment les experts, plus de 7,5 milliards d’euros et 600 milliards de DA, un joli pactole pour des caisses assoiffées. Si pour ce qui est de récupérer l’argent volé et dissimulé à l’étranger, autant en faire son deuil tant les procédures complexes prendraient du temps pour le rapatrier, les démarches à entamer, se déroulant sous la houlette diplomatique. Au Bled c’est un autre son de cloche et cela semble plus envisageable. Mais dans cette histoire du voleur volé, et entre nous, le vrai pactole est en devises fortes et donc entre de bonnes mains chez les autres. Ce qui reste au pays va avec les pertes et profits. Et l’Exécutif algérien en ces temps durs est tout aise de rencontrer le fameux « limaçon » de la fable.
Sauf que là, la problématique de la récupération des biens et fortune des richissimes oligarques et hauts responsables du régime Bouteflika ne pourrait se faire, qu’après que toutes les voies de recours eussent été épuisées. D’ailleurs, seule la cour d’Alger « une voix de son maître sans équivoque », où se déroulent les procès en appel des accusés concernées par la confiscation de biens mal acquis, est apte ou non de confirmer les demandes de la partie civile, qui est le Trésor public en ordonnant donc la confiscation de biens précisément identifiés et localisés. Ce qui toutefois peut prendre parfois plusieurs mois, voire des années mais bien moins que pour l’autre opération de rapatriement.
Ces grands dossiers qui s’élèvent à 7,5 milliards d’euros, ont pour hommes d’affaires des sommités comme, Ali Haddad, Mahieddine Tahkout , Mourad Eulmi, Abdelghani Hamel, les frères Kouninef ainsi que des accusés de parts et d’autres, notamment ceux dont les biens ont fait l’objet d’un ordre de saisie dans l’affaire du montage automobile. La majorité de ces biens à confisquer se trouve dans la capitale Alger et ses environs, il s’agit de terrains, usines, sièges de sociétés ou bureaux… L’opération est, sauf retournement de situation comme c’est souvent le cas en Algérie, certes, des plus plausibles sur le plan juridique car la justice est toute acquise à l’exécutif qui n’est autre que l’uniforme en Algérie, mais elle restera dans le temps complexe à appliquer. Mais qu’on se le dise ! dans l’état actuel des choses ce n’est qu’une passation de mains ou de pouvoir. Les nouveaux « ayant droit » se bousculent déjà aux portillons de la bonne fortune que partage volontiers le parrain. C’est comme ça en Algérie depuis plus de six décennies. Les bonnes habitudes ne se perdent pas.
Menace de récession économique qui s’approche à grands pas, mauvaise gestion des effets du Covid-19, envolée des prix alimentaires et énergétiques, scandales à la pelle (Uber Files et Mckinsey) perte du méga-vente des sous-marins à l’Australie, chassée du Mali, perte d’influence dans plusieurs pays africains, la France est-t-elle mal gérée?
Apparemment oui, si on se réfère au déficit de 100 milliards d’euros prévu en 2022, annonciateur d’une imminente récession financière et économique, sécheresse annonciatrice de pénurie d’eau dans plusieurs départements français, et d’effets dévastateurs sur la production de plusieurs produits agricoles, et qui s’ajoute à un rude hiver qui se profile dans le sillage du conflit ukrainien et les représailles de Moscou sur les sanctions économiques imposées par l’Union Européenne, applaudies par Macron et son ministre de l’économie Bruno Le Maire qui avait prophétisé un effondrement de l’économie russe.
Que reste-t-il de l’arrogance française ?
Compte tenu de l’évolution que connaît le monde dans le sens d’un nouvel ordre mondial multipolaire, les dirigeants français manquant de vision et de visibilité continue de baigner dans le rôle de girouettes de l’OTAN et son patron Oncle Sam et de tenir une attitude belliqueuse et néocoloniale lorsqu’il s’agit des anciennes colonies. Aujourd’hui, la France récolte les fruits de sa politique néocoloniale en Afrique et plusieurs régions du monde dont les populations n’hésitent plus à exprimer leur hostilité à la France.
L’exemple algérien
L’après 12 décembre 2019 et l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la tête de l’Etat Algérien ont été fatals aux desseins français dont les dirigeants s’étaient habitués à dicter leur vision à El Issaba qui ne se soucie guère des intérêts suprêmes du pays, focalisant uniquement sur la prédation et le transfert illégal des richesses des Algériens vers d’autres cieux dont celui de la France. Aujourd’hui, face aux décisions courageuses prises par les hauts dirigeants du pays, en matière de diversification des relations économiques, et d’assoir la souveraineté synonyme de dignité nationale et de sauvegarde de serment et legs de nos glorieux martyrs, l’ancien colon réactive sa 5ème colonne, qui passe à la vitesse supérieure en matière de dénigrement des acquis enregistrés par l’Algérie depuis cette date du 12 décembre. Il n’est pas surprenant de voir les larbins de la néocolonisation, soutenu par l’Establishment français et les nostalgiques du paradis perdu et de l’Algérie Française se manifester en faisant de la publicité sur certains acteurs de la colonisation comme Yves Saint Laurent ou Albert Camus. La 5ème colonne s’active aujourd’hui à saborder les grands projets du siècle, initiés par l’Etat Algérien, comme le mégaprojet du port d’El Hamdania, la Transsaharienne, la Dorsale Transsaharienne, le gazoduc TSGP reliant le Nigeria à l’Europe via l’Algérie, et qui s’ajoutent à une prochaine adhésion au BRICS et au redéploiement de la diplomatie algérienne qui commence à porter ses fruits, via le retour de l’Algérie sur la scène internationale, comme Etat-pivot et acteur incontournable dans le règlement des conflits régionaux et la promotion de la paix dans les quatre coins de la planète.
L’argument fallacieux des visas
Pour caresser les émotions et la fibre des algériens, les autorités françaises brandissent à chaque fois l’argument des visas et de la liberté de circulation de nos compatriotes, sachant que l’ancien occupant est resté 132 ans sans faire de visa.
D’ailleurs, ce n’est pas surprenant de lire sur le site TSA.com les déclarations du Consul Général de France à Alger Marc Sédille , le diplomate qui adore le caricaturiste caricaturé Ali Dilem et qui s’apprête à quitter l’Algérie après deux passages dans notre pays, de 2012 à 2015 (comme adjoint), puis de 2018 à 2022, comme consul général. TSA n’a pas tari d’éloge sur le diplomate français qui aurait délivré plus de 400 000 visas aux Algériens chaque année. Un chiffre fantaisiste si on se réfère aux restrictions du Covid-19 et la fermeture des espaces aériens. TSA aurait aussi dû nous révéler l’argent pris par la chancellerie pour les demandes de visa rejetées. Pour ce qui est des déclarations Marc Sédille, au sujet des tractations avec le Conseil du renouveau économique algérien, CREA concernant la mobilité des hommes d’affaires algériens, les résultats sont connus d’avance comme c’était le cas avec le FCE d’Ali Haddad, ou la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC) dirigée par Samy Agli, qui n’a pas hésité à dérouler le tapis rouge à Kamel Amellal, cofondateur du site anti-algérien Chouf Chouf et acteur du premier choix de la Loi Avia, initiée par Macron pour neutraliser les voix hostiles à l’impérialisme et sionisme.
Priorité à la révision de l’accord d’association avec l’Union Européenne
Le président de la république Abdelmadjid Tebboune avait souligné que l’exercice en cours sera, l’année de l’économie par excellence. L’adoption récente du Code d’investissement, devrait inciter nos opérateurs à se mobiliser davantage sur les intérêts suprêmes du pays, revigoré par les acquis de ces dernières années et d’une conjoncture internationale favorable, incitant à conclure des partenariats avec d’autres pays que la France, qui n’apportera rien à l’Algérie. Les exemples n’en manquent pas, la France considère l’Algérie comme un marché et jamais un partenaire. Le développement économique de l’Algérie est lié à sa profondeur africaine, l’accord d’association avec l’Union Européenne a lésé les intérêts algériens, s’entêter à poursuivre cette logique, est un suicide et crime à la fois à l’égard du Peuple Algérien et ses énormes sacrifices.
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron serait attendu fin août en Algérie
Les relations algéro-françaises, qui ont connu une période de fortes turbulences en 2021, devraient connaître un nouveau départ avec la prochaine visite du président français Emmanuel Macron en Algérie.
L’invitation à Macron a été lancée par son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune, dans la lettre de félicitations qu’il lui a envoyée le 25 avril dernier au lendemain de sa réélection pour un second mandat présidentiel.
Emmanuel Macron a répondu favorablement à l’invitation de son homologue algérien dans un message qu’il lui a adressé à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet dernier.
« En réponse à votre invitation, je serai heureux de venir en Algérie prochainement pour lancer ensemble ce nouvel agenda bilatéral, construit en confiance et dans le respect mutuel de nos souverainetés », a écrit Macron dans son message au président algérien.
Si le principe d’une visite de Macron en Algérie a été acté par les échanges entre les présidents qui entretiennent de bonnes relations, il restait à fixer la date de la venue du président français.
Selon nos informations, c’est chose faite. Le président Macron, dont ce sera la première visite depuis l’élection de Tebboune en décembre 20219, est attendu fin août en Algérie, probablement le 25.
Le président français devrait effectuer un déplacement d’une journée en Algérie pour acter le réchauffement des relations entre les deux pays, discuter de certains sujets comme la mémoire, l’économie, l’émigration, et pour éventuellement préparer le terrain, à une visite d’Etat de trois jours.
L’année 2021 particulièrement difficile entre l’Algérie et la France, avec des tensions qui ont atteint leur pic à l’automne dernier suite aux déclarations controversées faites fin septembre 2021 par Macron sur le système politique algérien et l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française en 1830.
Questions qui fâchent
Avant ces déclarations qui ont mécontenté Alger, le gouvernement français a réduit drastiquement le nombre de visas accordés aux ressortissants algériens, officiellement à cause du refus de l’Algérie de délivrer les laissez-passer aux clandestins algériens frappés d’une obligation de quitter le territoire français. En riposte, Alger avait notamment interdit aux avions militaires français de l’opération Barkhane de survoler son territoire, et rappelé son ambassadeur à Paris qui n’a repris son poste qu’en janvier 2022.
Les relations entre les deux pays, ont commencé alors à se réchauffer, sans reprendre leurs cours normal, en raison de la persistance des différends liés à la mémoire, les restrictions sur les visas aux ressortissants algériens, le rapatriement des clandestins algériens qui font l’objet d’une décision d’expulsion en France, la présence des entreprises françaises en Algérie.
Dans ce contexte, la visite d’une délégation du Medef (patronat français) conduite par son président Geoffroy Roux de Bézieux, fin mai en Algérie, a été un échec total, puisque les patrons français sont repartis sans la moindre avancée dans les discussions sur la reprise des liens économiques entre les deux pays.
A ces dossiers classiques s’ajoutent d’autres questions qui fâchent comme l’extradition d’opposants, de blogueurs ou d’activistes algériens, recherchés par la justice algérienne.
En octobre 2021, alors que les relations franco-algériennes étaient plongées dans un froid glacial, le président Abdelmadjid Tebboune a exigé de la France d’extrader le président du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) Ferhat Mehenni.
Le MAK a été classé organisation terroriste en Algérie ainsi que le Mouvement islamiste Rachad.
Les plus hauts responsables français, dont le président de la République Charles de Gaulle, ont envisagé de réaliser des essais nucléaires atmosphériques dans le Sahara algérien après l’indépendance de l’ancienne colonie en 1962. Ces projets, décrits dans des documents récemment mis à la disposition du public, n’ont jamais été menés à bien. Sinon, ils auraient contredit la volonté exprimée à plusieurs reprises par le premier président algérien Ahmed Ben Bella et son gouvernement, opposés aux essais nucléaires atmosphériques dans leur pays et dans le monde.
La publication de l’ouvrage Toxique (2021), du physicien Sébastien Phillipe et du journaliste d’investigation Tomas Statius, a récemment mis l’accent sur les risques sanitaires et environnementaux résultant du développement de l’arsenal nucléaire français. Leurs analyses ont révélé que l’étendue de la contamination radioactive en Polynésie, où la France a procédé à presque deux centaines d’explosions nucléaires atmosphériques et souterraines entre 1966 et 1996, avait été bien plus large que n’avaient voulu l’admettre les autorités.
La publication en mai de Des Bombes en Polynésie, commande du gouvernement de Polynésie française dirigée par les historiens Renaud Meltz et Alexis Vrignon, prolonge l’attention du grand public sur le Pacifique. Bien que la plupart des déclassifications françaises récentes portent également sur la Polynésie, certains documents donnent l’occasion d’interroger les dimensions nucléaires de l’indépendance algérienne, lors de son 60e anniversaire.
Le Sahara algérien, premier site d’essais français
Entre 1960 et 1966, la France a procédé dans le désert saharien à ses premiers essais nucléaires, 17 en tout dont 4 dans l’atmosphère. Ces enjeux nucléaires interagissaient avec la guerre d’indépendance (1954-62), comme explique l’historienne Roxanne Panchasi, puis avec la construction du nouvel état algérien. Les explosions françaises en Algérie font maintenant l’objet de travaux littéraires, architecturaux et militants.
Quatre essais aériens eurent lieu sur le site de Reggane, avant que la France ne passe aux essais souterrains dans le site d’In Ekker à partir de 1961. Ces essais souterrains, conçus pour empêcher la fuite des retombées radioactives produites par l’explosion, n’atteindront pas toujours ce but. Quatre essais souterrains dans le Sahara algérien « n’ont pas été totalement contenus ou confinés ».
Les accords d’Evian, garantie du cessez-le-feu en Algérie en 1962, ont assuré à la France le droit d’usage des deux sites nucléaires pendant cinq ans. Du moins, selon l’interprétation française : plusieurs décideurs algériens la contestaient. Ce document ne prévoyait aucune disposition interdisant la reprise des essais aériens sur le territoire algérien. Mais, de fait, la France ne les reprit qu’en 1966, en Polynésie.
Le tissage des relations bilatérales, à partir des négociations d’Evian, a permis aux dirigeants du nouvel état algérien de contester les projets nucléaires français les plus néfastes.
Les retombées françaises et les frontières africaines
Le choix français de passer aux essais souterrains, à partir de décembre 1961, ne fut pas définitif. Pourquoi un retour à l’atmosphère inquiétait-il ? Après la première explosion française en 1960, des retombées radioactives sont arrivées, à la grande surprise de la France et de ses alliés, au-dessus du Ghana indépendant de Kwame Nkrumah et du Nigeria, colonie britannique sur le point d’acquérir son indépendance.
Ces deux gouvernements, comme l’ont expliqué séparément les historiens Abena Dove Osseo-Asare et Christopher Hill, s’étaient acharnés à mesurer les traces laissées par les nuages radioactifs français sur leur territoire. D’autres États voisins, comme la Tunisie, s’étaient tournés vers l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA), puis vers les États-Unis, afin de participer eux aussi à ces mesures. Ils cherchaient des preuves scientifiques des violations françaises de leur souveraineté.
Mais en dépit de ces contestations, plusieurs hauts responsables français, dont Charles de Gaulle, souhaitaient conserver la possibilité d’effectuer des essais sur le site de Reggane. À la fin de l’année 1961, les autorités militaires se refusent à modifier les règles de circulation aérienne au-dessus du site, préférant conserver celles mises en place lors des essais, au motif qu’il n’était alors .
Au mois de mai 1963, le premier président algérien Ahmed Ben Bella commence à s’impatienter devant le refus de la France de cesser ses activités nucléaires en Algérie. Il s’agit, pour Ben Bella, de la légitimité de son mandat national et de sa politique étrangère, les deux étant basés sur son autonomie vis-à-vis de Paris. S’adressant à Jean de Broglie, secrétaire d’État chargé des affaires algériennes, il lui demande si la France peut accélérer son retrait du site de Reggane, considérant qu’elle n’en a plus l’usage. De Broglie refuse de s’engager : des « études » seraient encore à faire pour déterminer s’il est vraiment possible d’accélérer ce retrait.
Ahmed Ben Bella fera la même demande au moins deux fois en 1963 à l’ambassadeur français en Algérie, Georges Gorse, qui lui confirmera la volonté française de garder ce site quelques années encore. Le choix français de conserver le site de Reggane, et la possibilité d’une reprise des essais aériens, inquiétaient sérieusement le président algérien, qui soutenait vivement le traité de Moscou d’interdiction partielle des essais nucléaires (1963), dont la France n’était pas signataire.
Un cinquième tir atmosphérique ? La volonté française de réactiver Reggane
Plusieurs documents issus des archives déclassifiées permettent d’affirmer que, malgré les protestations algériennes, des dirigeants français s’apprêtaient probablement à réaliser un nouvel essai atmosphérique sur le site de Reggane durant l’année 1964.
Le général Jean Thiry, responsable des sites d’essais nucléaires français de 1963 à 1969, évoque au printemps de 1963 , désignant la zone de tir à côté de Reggane. Thiry et d’autres hauts gradés militaires français s’inquiétaient des capacités françaises à réaliser des essais souterrains après le fameux accident de Béryl en 1962. Les fuites radioactives du tir mal contenu avaient contaminé les ministres Pierre Messmer et Gaston Palewski, des soldats français et des riverains algériens.
Thiry n’était pas seul à en parler. En mars 1963, le général de brigade Plenier, du Génie, évoque . S’il sait que « ce tir est prévu », il note que son travail « dépend de données non encore fixées sur les conditions du tir » comme l’emplacement ou l’altitude. Le 29 mars 1963, c’est au tour du général de division Labouerie, inspecteur du Génie, de se réjouir : Ainsi, au moins trois militaires au cœur du programme nucléaire français attendaient impatiemment la réactivation du site de Reggane.
Il n’y aura finalement pas d’essai en 1964. Lors de sa rencontre avec Charles de Gaulle au château de Champs-sur-Marne, au mois de mai 1964, Ahmed Ben Bella avait demandé au président français de ne pas reprendre, si possible, les essais atmosphériques. De Gaulle avait refusé de donner cette garantie. À la fin de l’année 1964, il discutait encore avec ses conseillers de la possibilité de réaliser un tir atmosphérique sur le site de Reggane, s’impatientant de l’entrée en service du Centre d’Expérimentations du Pacifique en Polynésie.
Si la demande d’Ahmed Ben Bella fut finalement respectée, un haut responsable du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Jean Viard, produisait tout de même en décembre 1966 une étude sur la possibilité de réactivation du site – possibilité qu’il ne jugeait alors pas optimale. Pourtant, Charles de Gaulle aurait continué de vouloir conserver le site. Dans une note adressée aux membres de son cabinet en février 1967, il demandait d’étudier la possibilité de maintenir une présence française à Reggane, site qui ne pouvait servir, sans des travaux importants, qu’à des essais atmosphériques.
Les archives nucléaires et l’indépendance algérienne
Rien n’assurait l’absence d’essais nucléaires atmosphériques en Algérie indépendante. Les déclassifications récentes révèlent des études françaises pour leur reprise, malgré les protestations venues des plus hauts niveaux du nouvel État algérien. Toujours voilée par le secret, la prise de décision se prolongea jusqu’au transfert français des deux sites sahariens aux autorités algériennes en 1966 et 1967.
Certaines archives, notamment des fonds militaires et diplomatiques de l’époque, restent indisponibles pour la recherche historique. Des aperçus suggèrent l’importance de cet épisode, des projets abandonnés pendant des négociations bilatérales, pour le programme nucléaire militaire français, pour le nouvel État algérien et pour les relations entre ces deux pays. Le nouvel accès aux archives nucléaires françaises, malgré ses lacunes, commence à illuminer des enjeux méconnus du 60e anniversaire de l’indépendance algérienne.
Chaque année, des dizaines de milliers de Français d’origine algérienne se rendent dans le pays de leurs aïeux pour passer les congés d’été. Préparer un projet de retour, conserver des liens avec sa famille, profiter de stations balnéaires peu onéreuses… : ces « vacances au bled » prennent des formes et des significations différentes selon les époques et le profil des voyageurs.
Printemps 2022, en région parisienne : Warda et ses sœurs discutent d’un prochain séjour en Algérie. Nées en France dans les années 1960-1970 de parents qui ont immigré dans les années 1950-1960, elles ne sont pas des habituées des « vacances au bled ». Leurs passages dans le pays natal de leurs parents se comptent sur les doigts de la main, même si, via WhatsApp, elles entretiennent des liens complices avec leurs cousines sur place. C’est pour rendre hommage à leur mère, décédée un an auparavant d’une infection liée au Covid-19, qu’elles envisagent aujourd’hui de traverser la Méditerranée. Après soixante années de vie en France, où sont nés ses six enfants et onze petits-enfants, Fatima repose au côté de son mari, mort quelques années plus tôt, dans le cimetière du village d’où tous deux étaient originaires. La crise sanitaire n’a pas permis à Warda et ses sœurs d’accompagner la dépouille de leur mère et d’honorer sa sépulture, avec leurs proches d’Algérie. D’où l’idée de partir cet été. Ou bien à l’automne…
Car, après deux ans de crise sanitaire et de fermeture des frontières, partir en Algérie n’est pas chose facile. Alors que le pays s’ouvre à nouveau, la désorganisation des transports aériens et maritimes engendrée par la pandémie, associée à une gestion depuis longtemps critiquée des entreprises publiques de transport (en particulier d’Air Algérie), fait obstacle à la forte demande pour cette destination. Sur les téléphones portables des Français originaires d’Algérie ou des Algériens de France circulent des vidéos d’interminables files d’attente et de mouvements de panique devant des agences de voyages à Paris et à Marseille.
Dans les années 2010, la police algérienne aux frontières a comptabilisé autour de 700 000 entrées annuelles d’« Algériens résidents à l’étranger », la plupart venant de France — des émigrés mais aussi des descendants d’émigrés qui bénéficient de la nationalité algérienne par « droit du sang », et peuvent voyager avec un passeport algérien. Les enquêtes statistiques nationales évaluent à environ un million de personnes la population d’origine algérienne en France — 400 000 immigrés et 600 000 descendants d’immigrés. Sans que ces données soient superposables, elles offrent un aperçu de l’importance quantitative des vacances au bled. La crise sanitaire a donné un sévère coup d’arrêt à ces voyages : en 2020, seuls 80 000 Algériens résidents à l’étranger ont pu se rendre en Algérie, en 2021 moins de 60 000. En cet été 2022, ils sont nombreux à vouloir rattraper le temps perdu…
Ruée sur les billets
Qui sont ces vacanciers qui se désespèrent de trouver des billets à des prix exorbitants (le prix d’un aller-retour en ce mois de juillet se situe autour de 800 euros, quand les années précédentes il tournait plutôt autour de 400 euros) pour passer leur été en Algérie, une destination pourtant très peu touristique, contrairement au Maroc et à la Tunisie ? On y retrouve toute la diversité de la population d’ascendance algérienne en France, reflet de décennies de circulations entre deux pays étroitement liés par l’histoire de la colonisation et de l’immigration : des enfants d’immigrés ayant toujours vécu en France, aujourd’hui adultes et eux-mêmes parents ; des étudiants algériens partis y faire une thèse ou des médecins « faisant fonction d’interne » dans les hôpitaux français ; des chibanis, ces hommes immigrés âgés qui, pour certains, ont fait toute leur vie en France, loin de leur épouse et de leurs enfants, restés au pays ; des couples formés d’une Française d’origine algérienne et d’un Algérien, qui ont investi dans une résidence secondaire là-bas, pour maintenir le lien avec la famille ; des « jeunes de France », enfants ou petits-enfants d’immigrés algériens, qui ont leurs habitudes en Algérie et ont hâte de retrouver les virées entre copains sur les plages payantes du littoral, mais aussi les repas en famille chez leur grand-mère. Cette ruée sur les billets pour l’Algérie indique que les vacances au bled ne sont pas une pratique révolue, objet de nostalgie, mais qu’elles prennent aujourd’hui d’autres contours et d’autres significations que par le passé (1).
Les vacances au bled sont un miroir grossissant de l’histoire de l’immigration algérienne en France, mais aussi de l’histoire de l’Algérie comme nouvel État indépendant depuis 1962. Si l’émigration algérienne est ancienne, conséquence de la colonisation française depuis 1830, c’est dans les années 1950-1960 que l’économie hexagonale mobilise massivement ceux qui constituent cette main-d’œuvre au statut juridique particulier jusqu’en 1962, pas vraiment étrangers, longtemps sujets français sans être pleinement citoyens. Trois périodes se succèdent dans l’histoire de l’immigration postindépendance. Le sociologue algérien Abdelmalek Sayad a mis en lumière la « double absence (2) » des émigrés-immigrés algériens des années 1970, absents physiquement de leur pays de naissance, et absents symboliquement au sein d’une société française qui pense leur présence comme provisoire. L’« illusion du provisoire » du séjour en France des immigrés est partagée tant par les États français et algérien que par les immigrés eux-mêmes. Mais ce mythe du retour va évoluer dans le temps, en même temps que se transforment les vacances au bled.
À quoi ressemblaient-elles pour la génération d’enfants d’immigrés ayant grandi dans les années 1970 ? Cette période est celle du virage de la politique française d’immigration en réponse à la montée du chômage, avec la fermeture des frontières à l’immigration de travail et les politiques d’« aide au retour ». L’État algérien, de son côté, présente l’émigration comme une conséquence néfaste de la colonisation et encourage ses ressortissants émigrés à revenir en Algérie. Enfin, l’installation encore récente en France des épouses et des enfants amène les familles immigrées à rêver à un retour prochain.
Née en Algérie en 1958, Khalida arrive en France avec sa mère et ses frères et sœurs dix ans plus tard. Son père, manœuvre, y vit déjà depuis une quinzaine d’années. Dans son enfance, les séjours en Algérie sont rares : sa mère s’y rend parfois pour voir ses parents, mais Khalida reste en France garder ses frères et sœurs. Au-delà du coût élevé du voyage pour une famille avec six enfants vivant sur le salaire d’un père ouvrier, c’est aussi le sentiment du provisoire de leur présence en France qui empêche les parents de Khalida d’envisager ces séjours comme des vacances : ce serait une manière de reconnaître leur ancrage durable dans un autre pays, une forme de trahison. Ces voyages sont uniquement consacrés aux retrouvailles familiales : « Il y avait rien d’extraordinaire, avec les parents on sortait pas, il y avait pas de plage, il y avait pas de resto, donc c’était famille, famille, famille ! », se souvient Nassima, la cadette de Khalida. L’idée du retour hante le quotidien de la famille et pèse sur les choix scolaires. « Mes parents avaient dans leur tête qu’on allait retourner en Algérie, parce qu’ils choisissaient les études par rapport à ce qui marchait le mieux là-bas », explique Nassima. Elle est inscrite en certificat d’aptitude professionnelle (CAP) coiffure, Khalida en brevet d’études professionnelles (BEP) secrétariat : au-delà des ambitions des parents, le système scolaire français reste très segmenté et oriente les enfants d’ouvriers immigrés dans les filières professionnelles.
La rareté des vacances en Algérie n’empêche pas Khalida de se projeter vers une vie là-bas. À la fin des années 1970, l’État algérien courtise les jeunes « émigrés » diplômés pour travailler dans les entreprises publiques. Le pays promeut un modèle de développement socialiste qui séduit certains de ces jeunes ayant grandi avec les projets de retour de leurs parents. Vers 20 ans, Khalida part vivre en Algérie, où elle devient secrétaire dans une entreprise d’État, se marie et a ses premiers enfants. Mais, à la fin des années 1980, la situation économique et politique se dégrade et Khalida se réinstalle en France. En définitive, pour les acteurs de ce premier âge des vacances au bled, les projets de retour semblent d’autant plus concrets que les séjours sont rares et espacés.
Les enfants d’immigrés nés dans les années 1970 voient l’amélioration des conditions matérielles de leur vie en France : ils grandissent dans des quartiers d’habitations à loyer modéré (HLM) encore mixtes socialement, après la résorption des grands bidonvilles des années 1960-1970. Le temps de séjour en France des parents s’allonge et ils assument davantage de partir régulièrement en vacances en Algérie, sans toutefois abandonner le projet de retour. L’État algérien a mis en place des aides financières au voyage, imposant à Air Algérie des tarifs préférentiels pour les émigrés et leur famille. Sur place, les conditions d’existence contrastent avec la vie en France : les souvenirs d’enfance sont marqués par l’écart entre la société de consommation à laquelle participent les classes populaires en France et la société algérienne, encore en partie rurale, où l’accès aux biens est restreint. Les séjours balnéaires restent encore rares pendant les vacances algériennes, mais ils ponctuent les récits comme des moments exceptionnels qui ont marqué les souvenirs d’enfance.
Ces « jeunes d’origine immigrée » deviennent plus visibles dans la société française : ils sont progressivement érigés, dans les médias et les discours politiques, comme une catégorie « à problèmes », associée à la délinquance des « cités ». Paradoxalement, ils sont d’autant plus désignés comme un groupe à part qu’ils se fondent dans la société française : ils vivent dans des quartiers d’habitat social relativement mixtes, se font une place dans les filières d’études générales dans un contexte de démocratisation scolaire, accèdent à des emplois qualifiés de professions intermédiaires et de cadres supérieurs, revendiquent par des manifestations leur place dans la société française. Ce constat d’une installation durable en France est partagé par l’État algérien, qui commence à reconnaître la sédentarisation des familles émigrées, en particulier des enfants nés en France. L’année 1983 est à la fois celle de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, et celle d’un accord entre les États algérien et français permettant aux jeunes hommes binationaux de n’effectuer leur service militaire que dans l’un des deux pays.
Né en France en 1968, Jamel est le sixième enfant de sa fratrie, le deuxième à naître sur le sol français. Son père est ouvrier dans le bâtiment en France depuis 1958, mais ce n’est qu’en 1966 que la famille s’installe en région lyonnaise. Dans les premières années, elle ne part pas en Algérie, car un projet de construction là-bas accapare les maigres économies faites sur le salaire du père. À 14 ans, Jamel part en colonie de vacances en Algérie, organisée par l’Amicale des Algériens en Europe, une association qui sert de relais en France à l’État algérien. Ces colonies ont l’ambition d’aider « les jeunes émigrés à connaître leur propre culture », selon les articles parus dans le journal de l’Amicale, et représentent une survivance de l’idéologie étatique du retour au début des années 1980. Les sœurs aînées de Jamel, nées en Algérie, repartent y vivre après avoir obtenu un diplôme du secondaire en France, concrétisant le rêve de retour des parents. L’une devient secrétaire dans une entreprise publique, les autres enseignantes.
Les vacances au bled sont plus fréquentes dans les années 1980 : à l’adolescence, Jamel y part tous les ans. Les cadets de la fratrie ont toujours vécu en France et commencent à y bénéficier de la démocratisation scolaire. Premier bachelier de sa famille, Jamel part faire ses études supérieures en Algérie. Il s’y heurte à un décalage linguistique, avec l’arabisation des cursus universitaires, et à un décalage dans les modes de vie. Il ne reconnaît pas l’Algérie de ses vacances : « Je pensais que ça allait être beaucoup plus simple de s’acclimater à la vie là-bas. Parce que nous, on connaissait l’Algérie par les vacances, on connaissait l’Algérie au mois d’août. Mais on connaissait pas l’Algérie au mois de janvier, février, septembre. C’était totalement différent ! » Si les aînés se sont approprié le rêve de retour de leurs parents, dans un contexte politique et économique encore favorable à la fin des années 1970, pour les cadets nés en France comme Jamel, la situation est bien différente. Paradoxalement, ce deuxième âge des vacances au bled, l’époque où elles deviennent plus régulières, est aussi une période charnière où le retour définitif apparaît de plus en plus improbable.
Pour celles et ceux nés dans les années 1980, l’idée du retour n’est plus qu’une histoire que l’on raconte dans les réunions familiales, un souvenir transmis par les aînés. Elle est battue en brèche par la crise économique et politique qui aboutit à la guerre civile algérienne des années 1990 et par l’enracinement des familles en France, parfois matérialisé par l’accès à la propriété. Mais cet enracinement ne signe pas la fin des vacances en Algérie : le mythe du retour cède peu à peu la place à la pratique des allers-retours.
Le contexte politique à l’égard de l’immigration et des descendants d’immigrés a beaucoup changé, des deux côtés de la Méditerranée. Dans l’Hexagone, l’enjeu n’est plus tant d’encourager le départ des immigrés que de se préoccuper de leur intégration, particulièrement pour les enfants de l’immigration maghrébine présumés de confession musulmane. À partir des années 1980, on s’inquiète de ce qui est perçu comme un décalage culturel entre ces familles et le reste de la société française. La montée progressive du vote Front national atteste un déplacement de la grille de lecture politique de la société : ce n’est plus la lutte des classes qui semble polariser l’électorat, mais l’appréciation de la place des immigrés et de leurs enfants dans la société française. Parallèlement à la diffusion des idées d’extrême droite, un mouvement politique de reconnaissance et de lutte contre les discriminations ethnoraciales s’amplifie dans les années 2000. Dans ce contexte, les séjours en Algérie prennent un autre sens. S’ils n’apparaissent plus comme un prélude à un retour définitif, ils peuvent participer d’un rapport aux origines qui répond à l’expérience des discriminations raciales en France.
Née en 1988, Fayza est la cinquième d’une fratrie de sept enfants, venus au monde entre 1975 et 1997. Elle se sent appartenir à une autre génération que ses sœurs aînées et n’a pas connu la même enfance ni en France ni en Algérie. Ses sœurs ont grandi à l’époque où les vacances algériennes deviennent régulières, et elles restent marquées par l’idée du retour, même si celui-ci est de plus en plus hypothétique. À l’inverse, Fayza grandit au moment où la famille quitte son HLM pour s’installer dans un pavillon, un achat qui, selon sa grande sœur, « scelle le mythe du retour ». Du fait de la guerre civile, ce n’est que vers 12 ans que Fayza commence à partir régulièrement en Algérie. Ses séjours lui offrent une réponse aux assignations ressenties en France, où elle se sent sans cesse renvoyée à « son pays » (« ma tête disait que je venais d’ailleurs »), alors qu’elle le connaît assez peu. Loin des conditions rudimentaires des vacances durant l’enfance de ses sœurs aînées, elle a le souvenir de la confortable maison de ville acquise entre-temps par ses parents sur place, ainsi que des séjours balnéaires pour quelques jours, dans un pays où l’économie de marché et l’offre de loisir se sont développées. Peu de parents repartent vivre en Algérie à la retraite, mais ils ne rompent pas pour autant avec le pays d’origine : ils allongent et multiplient leurs séjours sur l’autre rive de la Méditerranée.
La redécouverte des origines est aussi alimentée par l’évolution du discours de l’État algérien, qui, avec la guerre civile des années 1990, renonce définitivement à promouvoir le retour. Avec l’essor d’une nouvelle émigration, plus qualifiée, l’État ne cherche plus à encourager des réinstallations improbables, mais à maintenir un lien avec ceux qu’il désigne désormais comme « la Communauté nationale à l’étranger », pour les faire participer financièrement au développement du pays. Les premières années de l’ère Bouteflika (1999-2019) coïncident avec un retour à la paix et à une certaine aisance économique. L’augmentation du prix du pétrole remplit les caisses de l’État et lui permet de financer la construction de logements, d’autoroutes, d’universités et d’apaiser les tensions sociales par la redistribution (très partielle) de la rente pétrolière à la population. Cela donne à l’Algérie des années 2000 une image de prospérité qui marque les esprits des vacanciers venus de France (avant le retournement de conjoncture économique et politique qui aboutit aux mobilisations politiques — le Hirak — de la fin des années 2010).
Le lien entre retour au pays et vacances au bled a changé au cours des décennies. Le retour rêvé jusqu’au début des années 1980 laisse la place à un retour de plus en plus mythique, pour finalement se transformer en une succession d’allers-retours, à l’occasion des vacances des descendants d’immigrés ou des séjours plus longs des parents retraités. La disparition de la perspective de réinstallation n’implique pas pour autant la coupure avec le pays de naissance des parents : en 1992, près de 25 % des jeunes nés en France de deux parents nés en Algérie n’y étaient jamais allés ; en 2008, ce n’est le cas que pour 12,5 % d’entre eux, selon des enquêtes de l’Institut national des études démographiques (INED).
Aujourd’hui, les vacances au bled de Khadija, Jamel et Fayza ne se ressemblent pas, car elles reflètent les différences des positions sociales occupées dans la société française et des capitaux disponibles en Algérie.
Une dimension mémorielle et introspective
Khadija économise sur les petits salaires des emplois subalternes qu’elle cumule dans la sécurité et dans une cantine scolaire pour s’offrir un séjour annuel à Mostaganem, dans l’Ouest algérien. Elle aime y revoir ses cousines et amène ses enfants sur les plages de la région. Les faibles revenus accumulés en France lui donnent un statut social plus valorisé en Algérie, où elle a déjà acheté un terrain et commencé à construire une maison, alors qu’elle réside dans un HLM en France, où elle a choisi de faire sa vie et d’élever ses enfants. Mais elle garde un lien étroit avec l’Algérie, par ses relations familiales et parce qu’elle y trouve des occasions pour y être propriétaire et avoir un mode de vie plus confortable.
Jamel est marié avec une femme qui a grandi en Algérie, où elle a une grande partie de sa famille. Le couple a l’habitude de lui rendre visite un été sur deux, quand ils ne partent pas à Sète ou au Cap d’Agde. Les vacances au bled permettent à ses enfants de passer du temps avec leurs grands-parents maternels qu’ils ne voient pas en France. Jamel et son épouse apprécient également la fréquentation des stations balnéaires algéroises, ou du Kiffan Club, grand parc aquatique à l’est d’Alger, pour distraire les enfants. Bac + 4 et fonctionnaire de catégorie B en France, Jamel a épousé une femme diplômée du supérieur en Algérie, aujourd’hui assistante d’éducation en France. Ils ont acheté un appartement en région lyonnaise, si bien que le projet d’achat en Algérie, pour que son épouse ait un pied-à-terre proche de sa famille, reste une perspective lointaine. En plus d’un ancrage résidentiel et professionnel en France au sein des classes moyennes du public, le statut social du couple est proche des classes moyennes supérieures francophones en Algérie, du fait des liens entretenus avec la belle-famille de Jamel, et avec ses sœurs qui y sont enseignantes dans le secondaire.
Fayza, enfin, donne un sens particulier à ses vacances de l’autre côté de la Méditerranée. Poursuivant des études supérieures en France, aspirant à devenir cadre, elle voit ses vacances actuelles en Algérie comme une occasion de s’interroger sur ses « racines ». Elle apprécie de découvrir le pays et de se plonger dans ce qu’elle perçoit comme l’« authenticité » d’un mode de vie campagnard et familial, là où d’autres vacanciers préfèrent la modernité des nouveaux complexes balnéaires. Les descendants d’immigrés qui, comme Fayza, investissent leurs voyages en Algérie d’une dimension mémorielle et introspective cherchent à renouer avec une histoire familiale, même quand les liens concrets sont devenus plus ténus. Alors qu’ils accèdent à des positions sociales plus valorisées en France, Fayza comme d’autres transfuges de classe entendent maintenir une certaine fidélité aux origines, pensées comme indissociablement sociales, familiales et nationales.
En écho à la double absence mise en lumière par Sayad, les vacances au bled sont révélatrices des modalités variées de la double présence des enfants d’immigrés aujourd’hui : une double présence juridique, puisqu’ils sont français par le droit du sol et algériens par le droit du sang ; mais aussi matérielle, quand ils se rendent en Algérie. Elles offrent aux vacanciers la possibilité d’une identification plus positive autour d’une condition commune face aux stigmatisations racistes subies dans la société française. En même temps les séjours algériens mettent aussi en lumière d’autres formes d’assignation. En Algérie, être désigné comme « immigré » par la police aux frontières, les commerçants ou des membres de la famille peut être vécu comme un déni d’appartenance à la communauté nationale. Mais cela peut aussi apparaître comme un signe de distinction, la désignation comme « immigré » conférant le statut social ambivalent de « nouveau riche » — particulièrement dans les espaces de consommation touristique. Dans le complexe balnéaire privé Capritour, situé sur le littoral kabyle à l’est de Bejaïa, deux populations se côtoient. Dans les appartements en location (une semaine dans un F2 coûtait en 2011 environ 450 euros) résident des groupes de jeunes Français d’origine algérienne, qui viennent passer quelques jours hors de la famille et entre jeunes pour s’éclater, bronzer, faire du jet-ski. Ce sont surtout des jeunes de classes populaires françaises dont les goûts en termes de loisirs se distinguent des enfants d’immigrés plus « intellos » qui préfèrent les visites de sites archéologiques ou le temps passé en famille. Dans les villas (dont certaines « VIP ») séjournent des familles algériennes de classes supérieures, dans la mesure où la location d’une semaine revenait à 600 euros quand le salaire mensuel net moyen en Algérie était de 230 euros. Certaines familles sont propriétaires de ces villas de vacances, un investissement qui a pour but de profiter d’un entre-soi élitaire. La cohabitation entre ces deux populations ne va pas de soi, et les discours croisés ne sont pas très amicaux. Les Algériens de classes supérieures ont un discours particulièrement sévère sur les « immigrés » en vacances qu’ils jugent vulgaires et bruyants. Les « immigrés » eux s’étonnent surtout de ces « blédards » qui parlent français : « À Capritour, il y a beaucoup de gens d’Alger qui se font passer pour des immigrés, parce qu’à Alger ils parlent bien français par rapport aux autres villes, ce qui fait qu’ils se font passer pour des immigrés, ils s’habillent comme nous. Je vois pas pourquoi, je vois pas ce qu’on a de plus qu’eux », s’étonne par exemple Soufiane, 18 ans, qui a grandi dans une cité à Vaulx-en-Velin. Derrière ces catégories d’« immigrés » ou de « blédards », ce sont des frontières entre classes sociales qui s’expriment, entre des classes supérieures algériennes qui se sentent mis en danger dans leur respectabilité par ces classes populaires françaises momentanément « surclassées » grâce au différentiel de pouvoir d’achat entre les deux pays.
Repenser l’espace social
Les normes de genre sont également mises en cause. Les femmes descendantes d’immigrés racontent les contraintes qui pèsent sur leurs déplacements lors de leurs séjours sur place : « L’Algérie, j’ai adoré tant qu’on est petits ! On avait des tas de copines, on était tout le temps dehors. Mais une année, ça nous a fait un choc : toutes les copines qu’on avait, on les voyait plus dehors. Et on nous expliquait que maintenant on était grandes et qu’on pouvait pas forcément sortir comme on voulait », se souvient Yasmina, 36 ans. Mais elles vivent ces contraintes différemment selon le type de vacances qu’elles passent : les jeunes filles qui font la fête entre « immigrés » à la plage mettent en place d’autres stratégies (comme fréquenter des complexes payants plutôt que des plages publiques, pour se sentir plus protégées des remarques et regards sexistes) que celles qui valorisent l’immersion dans la famille. Du côté des hommes, ne pas avoir les « bons plans » pour se déplacer, pour trouver une location touristique ou des artisans fiables pour sa maison, dans un pays où une bonne partie de l’activité économique demeure largement informelle, constitue aussi un handicap pour y endosser les rôles masculins légitimes. Amina garde un mauvais souvenir d’un séjour passé avec son mari et ses deux enfants en 2010. Infirmière, elle avait économisé toute l’année, et avait négocié quatre semaines de vacances avec son employeur. Mais sur place, les vacances ne se sont pas passées comme prévu : « J’ai été très déçue par mon mari, je lui avais bien dit : “Attention, on part, mais c’est pas les vacances qu’on a passées il y a trois ans ! J’ai envie qu’on bouge, alors on loue une voiture !” J’ai fait des heures sup pour qu’on puisse payer la location de la voiture. “Renseigne-toi pour les locations”, je lui disais. On était censés louer en bord de mer, c’est pas moi qui vais aller chercher, c’est pas possible en Algérie pour une femme. Il a rien fait. » Habib, son mari, né en France comme elle, n’est pas familier du pays et ne connaît pas les astuces pour trouver un hébergement à la plage ou éviter les embouteillages sur la route du littoral.
À la plage ou dans l’intimité de la maison de famille, dans les relations avec leurs proches ou avec des inconnus, à l’occasion d’un repas de ramadan ou sur un jet-ski, ce sont leurs statuts d’enfants d’ouvriers immigrés, de Franco-Algériens, de femmes et d’hommes issus de l’immigration qui sont réinterrogés. Les vacances au bled invitent à repenser l’espace social par-delà les frontières nationales.
Jennifer Bidet
Maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris Cité. Auteure de Vacances au bled. La double présence des enfants d’immigrés, Raisons d’agir, Paris, 2021.
(1) Cet article repose sur une enquête menée dans le cadre d’un doctorat en sociologie et qui porte sur des femmes et des hommes nés entre 1958 et 1992 de deux immigrés algériens arrivés en France dans les années 1950-1970. Les témoignages ont été rendus anonymes.
(2) Abdelmalek Sayad, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de
« On dit souvent que les routes de l’Élysée passent par Alger ». Le groupe indépendant « Off Investigation » présenter en avant-première son prochain documentaire : « Macron l’algérien, en marche…vers le cash ? ». Une enquête signée Jean-Baptiste Rivoire et Yanis Mhamdi.
En février 2017, en pleine campagne présidentielle, Emmanuel Macron se rend à Alger. Mais au lieu de rencontrer des représentants de la société civile, il se contente de voir des officiels et, plus discrètement, des affairistes proches du pouvoir. Dès lors, il va constamment soutenir le régime, même au plus fort du « Hirak », quand treize millions d’algériens défilaient dans toute l’Algérie contre un cinquième mandat du vieux président Abdelaziz Bouteflika. Emmanuel Macron a-t-il offert sa protection à un régime militaire corrompu et discrédité, en échange de soutien financier?
À travers des témoignages inédits tels que : Xavier Driencourt (ancien ambassadeur de France à Alger), Bernard Cheynel (ancien vendeur d’armes français décédé début 2022), Jean-Pierre Mignard (membre de la délégation d’Emmanuel Macron à Alger en 2017) ou encore des sources proches du pouvoir algérien. Mais aussi le travail des journalistes et écrivain : Omar Benderra (Algeria Watch), Marc Endeweld (journaliste), Nicolas Beau (Mondafrique.com), Abdou Semmar (journaliste algérien réfugié politique en France), et Antton Rouget (Mediapart), Off Investigation lève le voile sur cette face sombre de la Françalgérie.
By
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)
Mondafrique revient sur le bilan de la politique algérienne d’Emmanuel Macron. Nous débutons par les réseaux tissés par le Président français avant la Présidentielle de 2007 avec les oiigarques algériens qui dominaient la vie économique sous le rêgne du défunt président Bouteflika.
La diplomatie française, qui redoutait par dessus tout une transition politique algérienne dominée par Gaïd Salah, ce chef d’état major fort éloigné des intérêts français, a tout mis en oeuvre pour soutenir le président Abdelaziz Bouteflika en fin de course.
De façon plus surprenante, le président français, Emmanuel Macron, a mis les bouchées doubles pour soutenir un régime algérien à l’agonie. La lecture passionnante du livre de Marc Endeweld sur les réseaux opaques du président français avec de riches hommes d’affaires algériens fournit quelques clés d’explication de cette posture surprenant de l’Elysée face à la transition démocratique algérienne.
Un tweet à contre temps
On se souvient du tweet ahurissant envoyé par le président français, le 12 mars dernier alors qu’il se trouvait en voyage officiel à Djibouti. La veille, le clan Bouteflika à l’agonie avait proposé une dérisoire feuille de route appelant, après vingt ans de rêgne, à des réformes fondamentales et à une nouvelle constitution. Depuis trois semaines, la rue algérienne dénonçait l’incurie du régime et demandait le départ des principaux dirigeants politiques honnis par le peuple. Et bien Emmanuel Macron ne trouva rien de mieux à faire que de soutenir, par un tweet, le régime finissant.
« La jeunesse algérienne, expliquait Emmanuel Macron, a su exprimer son espoir de changement avec dignité. La décision du Président Bouteflika ouvre une nouvelle page pour la démocratie algérienne. Nous serons aux côtés des Algériens dans cette période nouvelle, avec amitié et avec respect ». L’association des valeurs démocratiques et du nom de Bouteflika était à l’évidence d’une totale maladresse. Cette prise de position aura pour seul effet de renforcer la mobilisation populaire et la détestation du régime en place.
Pourquoi le président français affichait-il une position aussi peu prudente? Comment pouvait-il prendre le risque de faire huer son nom dans les manifestations qui se multiplient en Algérie, en apparaissant comme l’ultime rempart d’un système corrompu? Pour quelle raison montrait-il une telle précipitation en se substituant par les réseaux sociaux aux canaux diplomatiques habituels?
Des cadavres dans le placard
L’essai fort instructif du journaliste Marc Endeweld explique ce soutien par les liens étroits qu’Emmanuel Macron a tissés avec les hommes d’affaires les plus influents du régime algérien. A savoir Ali Haddad, l’ex patron des patrons et Issad rebrab, l’homme le plus riche d’Algérie. Le premier aura été la tirelire du clan Bouteflika dont il a servi les pires turpitudes. Le second fut le principal homme d’affaires soutenu par l’ex DRS, cette police politique qui fut, pendant un quart de siècle, la colonne vertébrale du système algérien.
Plus grave, le profil des intermédiaires franco–algériens à l’oeuvre dans ces relations suspectes, Alexandre Benalla en tète, laissent entrevoir des arrangements que la morale politique réprouve.
A la lecture du livre de Marc Endeweld, on a le sentiment en effet que les relations entre Emmanuel Macron et l’Algérie dissimulent quelques cadavres dans les placards.
L’échappée belle vers Alger
Lorsqu’au coeur de sa campagne électorale en vue de la dernière Présidentielle, Emmanuel Macron se rendit à Alger, les 13 et 14 février 2017, le candidat d' »En Marche » se trouvait dans une situation financière très périlleuse. Dans les derniers mois qui ont précédé le scrutin de 2017, note Marc Endeweld, « l’argent manquait terriblement pour poursuivre sa campagne, le budget était très entamé ».
Reçu comme un chef d’état par le pouvoir algérien qui misait beaucoup sur son élection, Emmanuel Macron se montrera très favorablement impressionné par Ramtane Lamamra, ministre alors des Affaires Etrangères, et Abdeslam Bouchouareb, ex ministre de l’Industrie et propriétaire d’un bel appartement à Paris, dont la réputation affairiste n’est plus à faire. Depuis, ces deux hommes sont régulièrement consultés par l’Elysée sur le dossier algérien.
Durant le même voyage, Emmanuel Macron qualifia la colonisation, dans une interview à la chaine de télévision Echorouk News, de « crime contre l’humanité ». Des propos surprenants dans le cadre d’une campagne qui se veut consensuelle et provenant d’un homme qui en 206, expliquait au « Point », que l’occupation de l’Algérie s’était accompagnée d' »éléments de civilisation ». Une telle audace fut payante auprès des dirigeants algériens qui, dès lors, virent en Emmanuel Macron un interlocuteur privilégié .
Mais durant ce même voyage, plusieurs « rencontres discrètes » furent organisées, apprend-on dans le livre d’Endeweld, « le grand manipulateur ». Plusieurs personnalités, dont l’avocat Jean Pierre Mignard et l’homme d’affaires François Touazi, avaient préparé le voyage en amont. L’ancien ministre Jean Louis Borloo et Yasmina Benguigui avaient également mis leurs carnets d’adresses au service du candidat Macron. Enfin Alexandre Benalla, le fidèle garde du corps, participait à l’expédition.
Ali Haddad courtisé
« Le 14 février, en fin de matinée, explique Marc Endeweld, un petit déjeuner est organisé sur la terrasse de l’hôtel El Aurassi avec les représentants du FCE, le forum des chefs d’entreprise, l’équivalent du Medef ». Le patron des patrons algérien et intime du clan Bouteflika, Ai Haddad, était « tout sourire », face à un Emmanuel Macron qui prend des engagements vis à vis de l’Algérie en matière d’énergies renouvelables.
Quelques heures plus tôt dans le même hôtel, le même Haddad prenait un autre petit déjeuner, celui-ci très discret, avec Emmanuel Macron. De cette rencontre, il ne filtrera rien.
A l’époque, Alexandre Djouhri, dit Alex, un ‘intermédiaire flamboyant qui est proche à la fois de Dominique de Villepin, l’ancien Premier ministre de Chirac et de Maurice Gourdault-Montagne, l’actuel secrétaire général du Quai d’Orsay, séjournait fréquemment en Algérie. Cet habitué de l’hôtel Aurassi entretenait des relations étroites avec Ali Haddad. « Selon trois sources différentes, affirme l’auteur du « Grand Manipulateur », l’homme d’affaires algérien a bien rencontré à cette occasion le futur président ». Ce que Djouhri dément.
Symbole de la corruption qui rêgna sous Abdelaziz Bouteflika, Ali Haddad n’est certainement pas un modèle de vertu ni de modernité. Pourquoi Emmanuel Macron prend-il le risque de le rencontrer à deux reprises? Quel profit en retirer? Autant de questions que pose, entre les lignes, l’ouvrage de Marc Endeweld.
Un petit monde
La veille de ces deux petits déjeuners avec Ali Haddad, le candidat Macron dinait avec Issad Rebrab, l’homme le plus riche d’Algérie qui fit fortune grâce à sa proximité avec les services algériens dirigés pendant un quart de siècle par le fameux général Mohamed Mediène L’homme d’affaires est au plus mal à l’époque avec le clan Bouteflika qui cherche à lui tondre la laine sur le dos et à le marginaliser. L’homme d’affaires kabyle est parfois même présenté comme un opposant au pouvoir en place
Pourtant Emmanuel Macron, au risque de mécontenter le clan Bouteflika, accepte l’invitation à diner de Rebrab. Première raison de cette visite peu protocolaire, le candidat connaissait bien l’industriel kabyle qui investissait massivement en Franc alors qu’il était secrétaire général adjoint à l’Elysée puis ministre de l’industrie durantle candidat François Hollande.
Deuxième raison de cette rencontre, les liens sont très nombreux entre les entourages du candidat et de l’oligarque. Rebrab est en effet un intime de François Touazi depuis fort longtemps. Le groupe Cevital que l’homme d’affaires a fondé a fait travailler Alexandre Benalla à l’époque où ce dernier avait créé, depuis le Maroc, la société de sécurité « Velours ». Enfin Rebrab s’est fait aider dans ses investissements en France par un ancien trader Franco-Algérien du nom de Farid Belkacemi qui participa également à la préparation du voyage d’Emmanuel Macron. Cerise sur le gâteau, Farid Belkacem est un proche ami d’Alexandre Benalla qu’il aida à se reconvertir lorsqu’il dut quitter l’Elysée au mois de juillet dernier.
Depuis son élection comme Président de la République, Emmanuel Macron n’a cessé de témoigner de son amitié pour l’industriel kabyle qu’il a reçu à plusieurs reprises, notamment au Château de Versailles en janvier 2019 lors du sommet « Choose France ». Une amitié est née dont on ne connait pas encore tous les ressorts.
Des interpellations spectaculaires
De là à imaginer des sources de financement algériennes dans la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, il y a un pas que plusieurs sources à Alger franchissent en privé, mais sans preuves et au sein d’un microcosme où courent les rumeurs les plus folles.
Ali Haddad et Issad Rebrab ont été placés, ces dernières semaines, en détention par le pouvoir militaire algérien. Qu’ils soient l’un et l’autre des amis de la France n’arrange pas leurs affaires. Le chef d’état major, Gaïd Salah, au mieux avec les Russes et apprécié par les Américains, entretient en effet des relations très tendues avec la diplomatie française. D’où cette interrogation: leurs bonnes relations avec Emmanuel Macron n’ont-elles pas aggravé leur situation?
Haddad et Rebrab ont été interpellés l’un et l’autre au prix de mises en scène savamment orchestrées. Les caméras ont été autorisées à filmer le premier d’entre eux alors qu’il était hué par la foule et, contre tout usage, alors qu’il se trouvait dans l’enceinte du tribunal militaire.
Depuis, la diplomatie française est bien silencieuse et Emmanuel Macron a renoncé à commenter la situation algérienne par tweets.
L’avertissement du pouvoir militaire algérien aurait-il été entendu?
By
Nicolas Beau
-
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)
En pleine guerre d’Algérie, Ahmed, ouvrier algérien rebelle, « raconte sa vie » dans la revue marxiste Socialisme ou barbarie. Les éditions Niet ! rééditent son témoignage, qui remet en perspective la dimension socio-économique de la lutte indépendantiste. Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, son histoire est aplatie à l’intérieur de la grande épopée mondiale de la décolonisation. D’une multiplicité de destins n’émergent globalement que deux prismes de lecture : d’un côté, le colonisateur européen qui s’empare de territoires, opprime les populations et exploite cyniquement les ressources ; de l’autre, des peuples qui paient de leur sang le prix de la liberté. À l’intérieur de ce schéma, la société algérienne est plus complexe : aucune autre colonie n’a été aussi « intégrée » à sa métropole, tandis que sur place les Européens représentent plus de 10 % de la population. Publié en 1959-60 dans la revue marxiste antistalinienne Socialisme ou barbarie sous le titre « Un Algérien raconte sa vie », réédité en mai chez Niet ! sous la forme d’un petit livre sous-titré « Tribulations d’un prolétaire à la veille de l’indépendance », le témoignage d’Ahmed redonne chair à la condition des dominés de l’Algérie coloniale.
Les origines d’Ahmed ne sont pas les plus confortables, mais lui fournissent un sacré poste d’observation. Son père meurt quand il est bébé et sa mère doit retourner dans sa famille, issue de la bourgeoisie locale, qui la maltraite. Alors que ses cousins, la raie sur le côté, vont à l’école, Ahmed, on l’y envoie à peine : ce grand écart social est le tissu qui fait les révolutionnaires. Tout gosse, il en chie, est envoyé trimer chez des artisans qui le roulent et lui mettent sur la gueule ; presque aussi vite, il se rebiffe. À 13 ou 14 ans, il arrête sa main au moment où elle va foutre un grand coup de marteau sur la nuque de son patron. Plus aguerri, il sabote méthodiquement la production chez ses employeurs véreux. Cet instinct de révolte, on ne sait jamais exactement d’où il vient, mais il confère au témoignage d’Ahmed son côté explosif, affûté, transversal.
RACISME À LA PAPA
L’Algérie de sa jeunesse, dans les années 1930-1940 – et qui survit surtout, dans l’imaginaire collectif, par les récits des pieds-noirs, aux premiers rangs desquels Albert Camus – est un monde contrasté. Ahmed rapporte des récits écœurants de petits cireurs escroqués par des Européens, de minots qui fraudent le tramway et dont un Français s’amuse à balancer le béret sur les rails… Celui qui râle finit en garde à vue, c’est la routine, même à 11 ans. Mais le racisme n’est pas seul en jeu. Au bal, les « Arabes corrompus », les riches qui collaborent avec le colonisateur, tirent leur épingle du jeu. La différence ethno-religieuse est le faux nez de la domination sociale. Une « donnée cruciale du système colonial », explique la postface, est « sa capacité à s’appuyer sur (ou à reconfigurer) des modes de domination qui lui préexistent ».
En 1945, las de la passivité de ses camarades exploités dans des boulots subalternes, Ahmed débarque en France. Le tableau n’est pas joli-joli. Bien avant la guerre d’Algérie, le racisme est partout. Ahmed, dont « [la] physionomie ne montre pas qu’[il est] algérien », a ses entrées dans tous les bars : ce qu’il y entend, c’est un racisme à la papa, ouvert, injurieux, gratuit, méchant, systématique. Quand, avec sa femme (française) et leur bébé, il veut prendre l’avion pour le bled, on le fait attendre toute la journée qu’il y ait assez d’Arabes pour remplir un vol.
LUTTES SOCIALES & LUTTES NATIONALES
Ahmed traverse les combats politiques comme sa vie de travailleur : le regard aiguisé, saisissant tout de suite les failles, empoignant toutes les opportunités. Encore en Algérie, il est proche du Parti communiste, le seul à s’agiter en défense des prolétaires. Mais les militants européens, ultra majoritaires, se foutent pas mal de ce que subissent les Arabes. La lutte nationaliste, c’est le constat quotidien de l’injustice qui l’y conduit. S’il sympathise, c’est, là encore, de l’extérieur. La répression sanglante des manifestations de mai 1945 – le « massacre de Sétif », avec ses 15 000 à 30 000 morts – lui inspire cette réflexion : « La plus belle connerie qu’ils ont faite, c’est d’oublier que malgré cette population qu’ils avaient massacrée, il y avait encore les enfants. » Des témoins innocents des exactions, qui grandiront dans le souvenir et la haine.
Pour Socialisme ou barbarie, le témoignage d’Ahmed permet de mettre en perspective luttes sociales et luttes nationales. Côté français, des ouvriers « nationalisés » par le Parti communiste, shootés à la haine du boche. Côté algérien, dit la postface, « une communauté dont les antagonismes en gestation excèdent les énoncés unificateurs imposés par le FLN » – l’arnaque aura duré jusqu’au Hirak. De part et d’autre de la Méditerranée, les constructions nationales balaient artificiellement la réalité de la conflictualité sociale. Reste à le faire comprendre à ceux qui commémorent ces jours-ci le souvenir de l’Algérie coloniale – de ses injustices et de ses crimes.
Les harkis du système ont fait avorter le changement radical qui se profilait avec le Hirak/Tanekra.
Les harkis du système ont fait avorter le changement radical qui se profilait avec le Hirak/Tanekra. D’une économie pastorale à une économie rentière, le pas est vite franchi. Hier, avec les moutons et les abeilles ; aujourd’hui avec le pétrole et le gaz, l’argent vient en dormant. « Regda out manger ».
C’est la nature des ressources qui détermine le régime politique d’un pays. Dans le cas de l’Algérie contemporaine, ce sont les hydrocarbures. Ce n’est pas un hasard si la nationalisation des hydrocarbures a coïnc idé avec la commémoration de l’anniversaire de la création de l’UGTA un certain 24 février 1971.
La longévité politique exceptionnelle des régimes arabes est une réalité incontestable. Clanisme et monarchie concourent au même résultat : stabilité politique et stagnation économique. Pour le gouvernement, après le pétrole, c’est toujours du pétrole. Sa survie dépend de l’étranger, du blé de la France et des armes de la Russie.
Le pétrole et le gaz sont à l’économie mondiale ce que l’eau et l’oxygène sont au corps humain. Ils sont les fondements de la civilisation moderne. L’argent du pétrole a détaché la société du travail, de l’effort et de l’investissement.
Le sort de l’Algérie est indexé au cours du baril de pétrole sur le marché. En période de vaches maigres, les élections conduisent à une guerre civile avec ses milliers de morts et de disparus et en période de vaches grasses à une présidence à vie au prix de mille milliards de pétrodollars.
L’Algérie se distingue par l’importance des ressources soumises à une distribution publique (marchés, subventions, licences d’importation, fonds de commerce, logements etc…) Un autre gisement s’offre aux élus et fonctionnaires c’est l’emploi public représentant un poids non négligeable dans l’électorat (La république à travers la fonction publique et parapublique est le premier employeur avec une armée de fonctionnaires dociles et redevables).
De l’indépendance à nos jours, c’est la ruée vers le politique. Cela se traduit par une mainmise de l’Etat et donc d’une caste d’élus et de fonctionnaires sur la quasi-totalité des ressources du pays. Les fonctions électives sont un ascenseur social, un tremplin à l’enrichissement personnel. Les distributions d’emplois publics façonnent les clientèles autant qu’elles les révèlent.
Toutes les fortunes privées sont constituées à partir du politique. L’exercice des fonctions étatiques permet de se ménager une place dans l’échelle de redistribution des biens et des services. La rémunération des clientèles cède parfois le pas à l’enrichissement personnel. L’appétit des patrons et des clients allant en s’aiguisant.
L’enjeu des élections en Algérie est évidemment l’accès à la rente que confère l’autorité. En effet, l’élite au pouvoir, bien que vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais seulement de ses propres intérêts.
Une fois, au pouvoir et à proximité de la rente, les élus se transforment en « harkis du système » ; hors du pouvoir et loin de la rente, ils sont ses plus farouches opposants ?
Dans ce contexte, toute distribution des ressources par l’Etat et son administration peut difficilement viser l’intérêt général. L’intérêt général est intériorisé dans les démocraties occidentales et ignoré dans les dictatures du sud de la Méditerranée. Il se confond avec l’intérêt de la caste au pouvoir.
A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées. On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais de celui de ses intérêts.
Cette classe a le goût de l’autorité et du prestige, elle ignore celui de l’austérité et de l’humilité. Contrairement à ce qui s’est passé à partir du moyen âge, la naissance de l’Etat post colonial est beaucoup moins la résultante des changements sociaux qui ont accompagné l’émergence des structures autonomes (division du travail, bureaucratie professionnelle, surplus agricole dégagé etc…) que le produit d’un bricolage institutionnel visant à introduire dans l’espace politique des formes d’organisation parfaitement étrangères aux codes culturels et aux ressources de l’Etat. Il est le résultat de contradictions externe que de changements internes.
L’Algérie indépendance n’est pas née par voie naturelle mais à la suite d’une césarienne. Cela laisse des cicatrices. L’Algérie a arraché son indépendance par l’emploi de la ruse et la force, elle a raté son développement par manque d’intelligence. Elle n’a pas su coudre la peau du renard avec celle du lion. Elle n’avait pas de fil ni aiguille.
Soixante ans après le recouvrement de son indépendance, elle souffre de l’absence d’une bourgeoisie entrepreneuriale et d’une classe ouvrière laborieuse. Pourtant, ce ne sont pas les pétrodollars qui ont fait défaut. « L’intelligence peut créer des richesses, jamais l’inverse » nous avertit Alex Martial. 98 % des ressources en devises proviennent de l’exportation du pétrole et du gaz.
Le budget de l’Etat est alimenté directement ou indirectement à plus de 70 % par la fiscalité pétrolière et gazière. Destinée initialement au financement du programme d’équipements de l’Etat, elle s’est étendue à la consommation finale prenant en charge l’Algérien du berceau à la tombe en passant par les hôpitaux parisiens avant d’être rapatrié en Algérie pour être enterré selon le rite musulman en usage.
Pour être convaincu de la justesse de ses propos, il suffit d’observer l’évolution de la monnaie nationale, le dinar.
A sa naissance le dinar algérien s’échangeait contre deux francs français (sans pétrole et sans gaz); à soixante ans l’âge officiel de la retraite, il ne vaut pratiquement rien en Algérie et encore moins à l’étranger hyperdopé au pétrole et au gaz.
L’écrivain Yasmina Khadra renoue avec son public algérien
une petite tournée dans son pays natal où il a rencontré ses nombreux fans et ranimé les polémiques que suscitent sa personnalité et son parcours
Dans Les Vertueux, Yasmina Khadra propose une plongée dans l’Algérie de l’entre-deux-guerres (AFP/Joël Saget)
« Je reviens me ressourcer. Je reviens parmi les miens pour donner à la jeunesse algérienne cette envie d’aller encore plus loin. Et puis, l’Algérie, c’est ma patrie, je n’en ai pas d’autre. J’ai un seul passeport, il est algérien. »
C’est détendu, souriant voire jovial que Yasmina Khadra confie à Middle East Eye sa satisfaction de revenir en Algérie. Après des mois d’absence en raison de la pandémie, l’écrivain algérien de 67 ans a été acclamé par plus d’un millier de personnes dans la grande salle de la Maison de la culture Mouloud-Mammeri (autre grand écrivain algérien décédé en 1989) à Tizi Ouzou (Kabylie).
Durant son séjour, du 16 au 19 juillet, il est aussi passé par Oran (Ouest) et Alger avec le même succès.
Pour de nombreux journalistes et observateurs, l’écrivain est venu faire la promotion de son nouveau roman, Les Vertueux, qui sortira le 24 août aux éditions Mialet-Barrault. Lui s’en défend : « Je ne suis pas venu faire la promotion de ce livre. Je suis simplement venu rencontrer mes lecteurs », répond-il sèchement à MEE, qui l’a rencontré le 20 juillet dans le salon d’un hôtel algérois.
Tantôt taquin, tantôt ferme et nerveux, l’auteur du roman Les Hirondelles de Kaboul veut faire de ce nouveau et volumineux roman un point d’orgue, l’aboutissement d’une longue et riche carrière de plus de 40 ans.
« Après ce livre, je peux mourir ! », affirme Mohamed Moulassehoul de son vrai nom, ex-officier de l’armée algérienne devenu célèbre sous le pseudo de Yasmina Khadra avec Morituri, un roman noir très politique.
« Tant pis pour eux ! »
Et, en s’arrachant du divan sur lequel il est assis, il répète à l’envi avoir « franchi un cap » dans sa production littéraire. « Les Vertueux va scotcher et émerveiller. Je me suis régalé à l’écrire durant trois ans pour mériter tout mon lectorat. Malgré tous les succès que j’ai eus pour les ouvrages précédents, j’ai le sentiment, pour la première fois de ma vie, d’avoir franchi un cap en écrivant Les Vertueux », s’est-il encore exclamé le 16 juillet dans la salle du Théâtre régional d’Oran.
Lorsqu’on lui demande de résumer ce dernier opus, Yasmina Khadra nous renvoie à une citation de Yacine, le personnage principal du roman. « J’ai vécu ce que j’avais à vivre et aimé du mieux que j’ai pu. Si je n’ai pas eu de chance ou si je l’ai ratée d’un cheveu, si j’ai fauté quelque part sans faire exprès, si j’ai perdu toutes mes batailles, mes défaites ont du mérite – elles sont la preuve que je me suis battu. »
Boualem Sansal, l’écrivain que l’Algérie aime détester
MEE lui a demandé s’il parlait de lui. « Oui, c’est moi », a-t-il répondu, avec une assurance déconcertante mais habituelle chez lui.
Étrangement, l’auteur conçoit aussi ce roman comme une catharsis, une thérapie qui l’a débarrassé de ses démons. L’homme, d’habitude clivant, se calme et refuse de polémiquer.
Les critiques qui lui reprochent – surtout sur les réseaux sociaux – en vrac, de « se prendre pour Dieu », d’avoir rencontré l’ambassadeur de France en Algérie ou d’écrire en français, il les balaie d’un revers de la main : « Tout ça, c’est du passé. Avec ce livre, je sens que je suis vraiment passé à autre chose. Aujourd’hui, la seule chose qui m’intéresse, c’est moi, ma femme, mes enfants, et ceux que j’aime. »
Il avoue n’avoir « aucune relation » avec d’autres écrivains algériens, mais jure que « ce n’est pas de [sa] faute ». « J’ai toujours fait le premier pas », assure-t-il. « Mais il n’y a jamais eu de retour ».
Un peu agacé, il lance « Tant pis pour eux ! », puis se ressaisit avant de philosopher : « L’amour, c’est comme la haine, c’est une question de liberté. »
Yasmina Khadra préfère faire l’éloge de ses lecteurs, « les seuls qui m’intéressent », et ces derniers le lui rendent bien. À Tizi-Ouzou, par exemple, Yasmina Khadra interprète l’accueil chaleureux du public comme un signe que « le livre a bonne place » dans la société algérienne.
« Tout ça, c’est du passé. Avec ce livre, je sens que je suis vraiment passé à autre chose. Aujourd’hui, la seule chose qui m’intéresse, c’est moi, ma femme, mes enfants, et ceux que j’aime »
- Yasmina Khadra
« Je suis très content parce que je suis reconnu par les miens. Je suis doublement fier, parce qu’ailleurs aussi, dans les autres pays, les salles sont archi-combles. Mais quand c’est chez moi, ça me renforce dans mes convictions », s’enorgueillit l’écrivain devant quelques journalistes présents.
« Lorsqu’on voit un tel engouement autour d’un écrivain, autour du livre, on est contraints de croire que nous ne sommes pas prêts à disparaître », assure-t-il, les yeux illuminés par une fierté non dissimulée. C’est la preuve que « le livre progresse » dans le pays.
Porté par cet élan populaire, Yasmina Khadra est convaincu que les livres font avancer les nations. « Un pays qui n’a pas de livres à proposer est un pays qui risque de pourrir sur ses pieds », professe-t-il.
Présent lors de la conférence de presse donnée à la bibliothèque nationale d’Algérie le 18 juillet par l’auteur de Ce que le jour doit à la nuit, le journaliste et critique littéraire et également écrivain Nadjib Stambouli note, subjugué, dans le quotidien Le Jour d’Algérie : « De mémoire de journaliste culturel, pour voir une telle affluence à une rencontre littéraire en salle, il faut remonter à des décennies, et encore, c’était pour des récitals poétiques. »
Un parcours singulier
Malgré ce succès populaire, Yasmina Khadra a un regret : il n’a pas été en mesure, à part à Oran, de dédicacer ses ouvrages, une tendinite l’empêchant de soumettre sa main à un répétitif exercice de signature.
« C’était plus fort que moi. Et vous étiez un millier. Une nuit n’aurait pas suffi et mon bras n’aurait pas tenu. Mais je promets de me rattraper la prochaine fois. Un million d’excuses », a-t-il regretté sur sa page Facebook.
S’il séduit autant, Yasmina Khadra sait qu’il ne doit pas cela uniquement à ses talents de romancier. Son parcours singulier de jeune soldat devenu officier supérieur de l’armée algérienne puis écrivain à succès passionne. Il en parle régulièrement.
S’il se dit fier « d’avoir servi son pays » durant les années de guerre entre l’armée au pouvoir et les groupes islamistes armés dans les années 1990 lorsqu’il était officier de l’armée algérienne, il se souvient avec amertume de ses premiers succès littéraires, lorsque, caché sous un pseudo, il ne pouvait même pas rencontrer ses lecteurs ou les journalistes. C’est à cette période-là, la deuxième moitié des années 1990, qu’il a commencé à utiliser le nom de sa femme, Yasmina Khadra, comme nom d’auteur.
Les auteurs algériens secouent la littérature francophone
Et lorsque le milieu littéraire a appris qu’il était soldat, « c’était la paranoïa », se souvient l’enfant de Kenadsa, dans le Sud-Ouest de l’Algérie. Les milieux littéraires, notamment en France, se posaient beaucoup de questions sur l’identité de l’auteur. Pire, ils « se demandaient même si c’est moi qui écrivais », se souvient-il.
L’environnement de l’armée n’aide pas à l’émancipation de l’écrivain. Lorsqu’il demande une autorisation pour participer à une émission de télévision, il est envoyé « à Tamanrasset, à 2 000 kilomètres au sud d’Alger », se souvient-il dans un sourire gêné.
Ce qui ne l’empêchera pas de « résister ». S’il est parti plus tard à l’étranger, c’est « pour exister » et non pas pour « chercher la notoriété ».
« Quand j’ai quitté l’Algérie [au début des années 2000], j’étais déjà traduit dans douze ou treize langues », appuie-t-il. L’écrivain revendique désormais une présence éditoriale dans « cinquante-trois pays » et des traductions dans cinquante-huit langues sur cinq continents.
Ce qui fait de lui, selon ses propres termes, « l’écrivain qui a ouvert le monde à la littérature algérienne ». De la mégalomanie ? « Pas du tout. C’est une information ! », se défend-il en invitant ses détracteurs à « se féliciter » de la réussite de l’un des leurs.
Après plus de 30 romans, Yasmina Khadra n’a pas l’intention de s’arrêter d’écrire. « Je vais faire une pause, mais je ne vais pas m’arrêter », prévoit celui qui déclarait, il y a quelques semaines, qu’il allait mettre fin à sa carrière.
« C’était juste pour faire plaisir à mes détracteurs », s’amuse-t-il, provocateur. Il veut que son histoire serve d’exemple aux jeunes, qu’il invite à ne pas se dissocier de « leurs rêves ».
« Car, même si vous n’arrivez pas à les réaliser », promet-il, « vous aurez au moins le mérite d’y avoir cru jusqu’au bout. Et c’est ce qui nous fait avancer. »
Le juriste Massensen Cherbi estime que l’amélioration économique du pays est significative depuis l’indépendance, le 5 juillet 1962, mais que le maintien de la primauté des militaires dans le système demeure une source de frustration pour la population.
Spécialiste de l’évolution constitutionnelle de l’Algérie, Massensen Cherbi est docteur en droit, diplômé de l’université Paris-Panthéon-Assas. Il est attaché temporaire d’enseignement et de recherche en droit public à Sciences Po Grenoble.
Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, quel bilan en faites-vous ?
Je vais commencer par une anecdote. Un jour, j’ai posé la question du bilan de l’indépendance à un Algérien à la retraite qui avait exercé la profession d’ingénieur et devait avoir autour de 18 ans en 1962. Il m’a répondu : « Quand j’étais jeune, on s’éclairait à la bouse de vache. » Aujourd’hui, il vit dans une belle villa sur les hauteurs d’Annaba, dans l’Est algérien. Il est incontestable que, sur le plan de l’économie ou de l’éducation, l’Algérie a enregistré des avancées en comparaison avec l’époque coloniale. Il y avait environ 15 % d’Algériens scolarisés à l’école de la République en 1954. Ils le sont pratiquement tous aujourd’hui.
On entend parfois, chez des nostalgiques de l’Algérie française, dire que la France avait construit une quinzaine de barrages en cent trente-deux ans de colonisation. Soixante ans après l’indépendance, l’Algérie en possède près de quatre-vingts. Ce qui n’a pas empêché les frustrations et le sentiment de « mal-vie ».
D’un côté, la rente pétrolière, qui a permis d’acheter la paix sociale, a contrarié la diversification de l’économie et a approfondi la dépendance aux hydrocarbures. D’un autre côté, l’enrichissement relatif n’a pas comblé des aspirations à l’épanouissement. Il y a même l’impression d’un grand gâchis au regard du potentiel dont le pays disposait et dispose toujours et qui aurait dû lui permettre d’aller vers l’avant.
La prééminence des militaires dans le système politique a été fortement contestée durant le Hirak, en 2019. Quelle est la réalité de cette emprise ?
Cette question s’est posée dès la guerre d’indépendance. Le congrès du Front de libération nationale (FLN) de la Soummam, en 1956, avait posé le principe de la primauté du politique sur le militaire. Néanmoins, son instigateur, Abane Ramdane, a été assassiné en 1957.
Les trois colonels, Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal ont alors pris le dessus au sein du FLN. Ils ont ensuite été eux-mêmes écartés par un autre colonel, Houari Boumédiène, qui a pris le pouvoir, durant l’été 1962, contre les wilayas [collectivités territoriales] de l’intérieur et le gouvernement provisoire de la République algérienne, par la force dont il disposait grâce à l’armée des frontières.
Un « système politique militarisé », selon la formule du juriste Madjid Benchikh, s’est ainsi mis en place, même si le régime avait une apparence civile à l’indépendance, avec le nouveau président Ahmed Ben Bella. Ce système est devenu encore plus ouvertement militaire après le coup d’Etat de Boumédiène, en 1965.
Newsletter
« LA REVUE DU MONDE »
Chaque vendredi, les dix articles de la semaine qu'il ne fallait pas manquer.
S’inscrire
Ce système est-il toujours en place ?
Les années 1980 avaient, certes, été marquées par une dépolitisation de l’armée, comme l’a montré la politologue Myriam Aït-Aoudia, avec une Constitution de 1989 qui avait enlevé à l’armée son rôle de bouclier de la révolution socialiste.
L’institution militaire s’est toutefois repolitisée à l’occasion de la montée en puissance du Front islamique du salut (FIS), qui a débouché sur la suspension du processus électoral, en janvier 1992. L’avènement du président Abdelaziz Bouteflika, en 1999, s’inscrivait ainsi dans une certaine continuité, puisqu’il avait lui-même été le protégé du colonel Boumédiène, auquel il devait sa carrière. Et c’est finalement l’armée qui l’a renversé, le 2 avril 2019. Car les manifestants du Hirak avaient beau scander « Non au cinquième mandat », Bouteflika restait en place.
Les mécanismes institutionnels étaient en effet impuissants à en permettre la destitution et il n’a démissionné qu’après un communiqué de l’armée l’appelant à quitter ses fonctions « immédiatement ». Et, durant toute cette année 2019, le pouvoir réel de l’armée ne s’est jamais fait autant ressentir.
C’est à ce moment-là qu’est apparue, au sein du Hirak, cette revendication d’un « Etat civil, non militaire », qui renvoie à la prééminence du politique sur le militaire, déjà formulée lors du fameux congrès de la Soummam ou encore dans le projet de Constitution de la fédération de France [du FLN], en 1962. En guise de réponse, l’armée l’a diabolisée avant d’introduire dans la Constitution amendée le 1er novembre 2020 une nouvelle disposition lui conférant la mission de défendre « les intérêts vitaux et stratégiques du pays » (article 30, alinéa 4). C’est-à-dire qu’elle ade jure constitutionnalisé ce qui, jusque-là, relevait du de facto. Le « pouvoir réel » de l’armée est désormais dans la Constitution.
Lors de son émergence, le 22 février 2019, on avait qualifié ce mouvement de « révolution du sourire ». Et, pour l’avoir vécu in situ, je peux témoigner que le terme était bien approprié. Les manifestants étaient heureux de pouvoir exprimer leur souveraineté, leur joie d’être Algériens, leur volonté de faire nation.
Puis est arrivée la répression, le 19 juin, avec le prétexte du drapeau amazigh [berbère] déployé dans les marches qui a ouvert la voie à la répression tous azimuts contre le Hirak. L’enthousiasme a alors cédé la place à une désillusion inversement proportionnelle. Je me souviens avoir enseigné, en décembre 2019, à Alger, à des étudiants, relativement privilégiés par ailleurs, qui me disaient : « Monsieur, on a tous envie de partir. »
Aujourd’hui, le sentiment prévaut d’un grand gâchis. Après l’enthousiasme populaire qui rappelait la joie de la libération de 1962, on avait l’impression de revivre le retournement de situation de l’été 1962. Comme s’il y avait un parallèle entre un Hirak « confisqué » et ce que Ferhat Abbas avait qualifié d’« indépendance confisquée ». L’ « indépendance » était d’ailleurs l’un des slogans-phares du Hirak, je me souviens même d’une pancarte sur laquelle il était écrit « 1962, indépendance du pays, 2019, indépendance du peuple ».
Mais cet échec du Hirak n’est-il pas également dû à ses propres faiblesses, et notamment à son incapacité à s’auto-organiser ?
Il y a eu, en fait, tout un arsenal répressif qui a empêché cette organisation. Le Hirak a dû faire face à un appareil constitutionnel et législatif liberticide, en matière de droits à manifester, à créer des associations ou des partis politiques. Et il y a eu aussi cette propagande visant à créer des ennemis de l’intérieur.
Bouteflika est parti, mais le système politique est resté en place durant tout le Hirak. C’est ce qui fait la différence avec la Tunisie, où le démantèlement du système Ben Ali [1987-2011] a pu autoriser une transition démocratique en 2011. Il est un peu facile d’accuser les faiblesses du Hirak alors qu’il a dû affronter un système répressif demeuré intact.
Cette emprise de l’armée n’est-elle pas due, au fond, aux circonstances de la naissance de l’Etat algérien, dans la violence d’une guerre coloniale ?
Je ne pense pas qu’il y ait de fatalité. Si l’on fait du droit comparé, on observe que la Ve République française est née d’un coup d’Etat militaire, le 13 mai 1958 à Alger, et cet événement fondateur n’a pas pour autant produit de système politique militarisé en France.
L’ex-URSS est issue d’une révolution armée, mais Staline, un civil, a rapidement pris le dessus sur le fondateur de l’Armée rouge, Trotski, jusqu’à purger une grande partie des officiers soviétiques. Il n’y a pas nécessairement de lien de cause à effet entre la mainmise des militaires et le fait d’être issu d’une révolution armée.
En Algérie même, l’armée avait accepté en 1989 d’accompagner la transition démocratique, processus remis en cause par la montée du FIS. Or ce péril islamiste a aujourd’hui disparu, on l’a bien vu lors du Hirak. Il n’y a pas d’irréversibilité, il est possible d’en sortir. L’armée elle-même gagnerait à la dépolitisation qui lui permettrait de renforcer ses attributs traditionnels de défense des frontières.
Qu’en est-il de l’idée de pluralité – linguistique, régionale, religieuse – de la société algérienne après soixante ans d’indépendance ?
C’est tout l’enjeu autour de l’identité. Doit-elle être enfermée, définie, ou doit-elle rester ouverte ? La difficulté s’était posée dès le mouvement national, notamment avec la définition d’une identité centrée uniquement sur l’islam et l’arabité tandis qu’un autre courant proposait que l’Algérie soit plus généralement qualifiée d’algérienne. Cette notion d’Algérie algérienne, qui a créé une crise en 1949 au sein du mouvement national, signifie que l’identité est diverse, vivante et qu’elle est susceptible d’évolutions. En 1962, le projet de Constitution de la fédération de France faisait ainsi simplement référence à une « culture nationale authentique » non définie, c’est-à-dire ouverte.
C’est pourtant la conception d’un enfermement sur l’islamité et l’arabité qui a fini par prévaloir dans les textes constitutionnels ou les chartes nationales. Face aux mouvements de contestation berbère – le « printemps berbère » de 1980 ou le « printemps noir » de 2001 –, l’amazighité va toutefois finir par être reconnue. La langue, le tamazight, va ainsi être constitutionnalisée comme langue nationale en 2002 puis langue officielle en 2016. Mais l’arabe demeure « la » langue nationale et officielle « de l’Etat », tandis que le tamazight est « une » langue nationale et officielle, sans préciser de quoi. Il y a donc une certaine ouverture au pluralisme linguistique mais celle-ci demeure assez limitée, formelle. La proportion d’Algériens scolarisés en tamazight n’excède pas quelques pour cent.
Et la diversité religieuse ?
Alors là, c’est le grand tabou. L’islam est religion d’Etat depuis 1963 et, sur le pluralisme religieux, l’Algérie s’est tantôt ouverte tantôt refermée.
En réalité, il y a toujours eu une certaine tolérance vis-à-vis des catholiques. Il y a même une reconnaissance des cultes – catholique, protestant et juif– dans la législation algérienne. Mais force est de constater que, avec le départ après 1962 des Européens et des juifs d’Algérie, le pays a perdu de cette diversité, ces dispositions législatives sont restées assez largement théoriques. Les Algériens ont ainsi vécu progressivement dans un entre-soi musulman, même si cet islam algérien a connu des rebondissements.
Après l’indépendance, l’islam réformiste a été promu contre l’islam traditionnel, confrérique et maraboutique. Puis, avec la montée de l’islam politique dans les années 1980, les autorités ont effectué une marche arrière, cette fois-ci en faveur de l’islam confrérique et maraboutique. Evoluant dans cet entre-soi musulman, les Algériens ne sont pas habitués à l’altérité religieuse. On le voit avec l’ordonnance de 2006 condamnant le « prosélytisme » à l’égard des musulmans, qui vise les néo-évangéliques mais aussi les catholiques.
Malgré les ouvertures, comme l’insertion dans les programmes scolaires de saint Augustin – né à Souk-Ahras (à l’époque Thagaste), en Algérie –, il y a toujours cet enfermement institutionnel. La liberté de conscience a ainsi été supprimée de la Constitution lors de la révision de 2020.
Cela signifie-t-il qu’il y a un approfondissement de l’islamisation de la société algérienne ?
C’est plus compliqué. En réalité, on a plutôt l’impression d’une sécularisation progressive de la société algérienne, comme ailleurs dans le monde. Les manifestations du Hirak, où les revendications islamistes étaient quasi nulles, l’ont bien montré. Il y a, en quelque sorte, un paradoxe entre un enfermement institutionnel dans une identité mono-confessionnelle et une sécularisation progressant lentement mais sûrement dans la société elle-même.
Comment les rapports avec la France ont-ils évolué depuis l’indépendance ?
Il faut faire la différence entre les rapports institutionnels entre Etats et la manière dont la population les perçoit. Quand l’amitié officielle est au plus haut, il y a la perception, au sein de la population, que la France soutient le régime.
Ainsi lors de la visite de Jacques Chirac à Alger, après la réélection de Bouteflika en 2004, le journal El Watan titra : « La caution de Paris » et Le Matin : « Chirac blanchit Bouteflika ». Puis, quand Emmanuel Macron a « salu[é] », en mars 2019, la décision de Bouteflika de renoncer à sa candidature à un cinquième mandat, ou quand il a exprimé son soutien au président Abdelmadjid Tebboune – déclarant, en novembre 2020 à Jeune Afrique, qu’il ferait tout son « possible pour [l’]aider » – l’impression a dominé, dans les rangs du Hirak, que la France manipulait les dirigeants d’Alger, qu’elle continuait de tirer les ficelles en coulisse, qu’elle n’avait, en fait, jamais quitté l’Algérie depuis 1962.
A contrario, si Paris critique les autorités algériennes, alors fuse l’accusation de la « main de l’étranger ». La difficulté pour la France est que, quoi qu’elle fasse, elle se trouve dans une position embarrassante.
J’ajoute un autre élément qui façonne la perception algérienne de la France. Il s’agit des chaînes françaises d’information en continu qui sont très regardées en Algérie. Or nombre de ces émissions donnent la parole sans contradiction à des tenants de la « nostalgérie »[nostalgie de l’Algérie française] énonçant des énormités sur la conquête et le passé colonial. Sans compter une couverture obsessionnelle des histoires de voile ou de burkini. Quand le public algérien voit et entend tout cela, il finit par se convaincre que la France demeure hostile à l’Algérie et aux Algériens vivant en France.
écrivain algérien Yasmina Khadra, connu dans le monde entier, a achevé une tournée de promotion de son dernier roman « Les Vertueux » qui sortira le 24 août.
Sur six dates retenues initialement, Mohamed Mouleshoul n’en a retenu que trois, en raison d’une tendinite au bras. Le 14 juillet sur sa page Facebook, Yasmina Khadra s’excusait auprès de ses lecteurs algériens.
« J’aurais aimé faire plus, mais je suis en rééducation et redoute une aggravation de mon mal, raison pour laquelle j’avais annulé tous les salons 2021-2022 en France. Toutes mes excuses à ma fratrie de Bejaïa, de Skikda et de Miliana pour l’annulation de dernière minute ».
Après le Théâtre régional d’Oran le 16 juillet, l’écrivain était à la Bibliothèque nationale d’Alger, lundi 18 juillet, et a rencontré un public venu très nombreux. La salle était comble.
« Un immense moment de bonheur », décrira Yasmina Khadra en s’adressant à l’audience. « Toutes les générations sont venues. Merci à toutes et à tous, merci aux ambassadeurs, aux journalistes, aux étudiants et aux nombreuses lectrices et aux nombreux lecteurs venus partager avec moi deux heures inoubliables. Le livre ne mourra jamais et il retrouvera la place qu’il mérite en Algérie », écrira-t-il après la conférence sur son compte Facebook.
Lors de cette rencontre avec son public, l’auteur de « Ce que le jour doit à la nuit » ou encore « Les Hirondelles de Kaboul », entre autres œuvres, a exprimé sa joie de voir qu’un écrivain peut intéresser un très large public.
« C’est la preuve que nous continuons de vivre, d’espérer et de rêver. Parce que si on adhère à un livre, on adhère tout simplement à la connaissance, à l’émancipation et surtout à l’estime de soi », a-t-il dit en guise de préambule avant de faire l’éloge de la lecture.
« Quelqu’un qui lit c’est quelqu’un qui se respecte, qui s’intéresse à lui-même. Si nous sommes les amis du livre, nous sommes obligatoirement les amis de l’avenir », a-t-il lancé.
À Tizi Ouzou, mardi 19 juillet, Yasmina Khadra lui-même a fait part de la présence de « plus d’un millier de personnes » dans la salle de la Maison de la Culture Mouloud Mammeri.
Yasmina Khadra a d’ailleurs fait part de son bonheur « d’être parmi les siens ». « Magique, Magique, Magique. Tous les autres mots en deviennent dérisoires », s’est-il ému.
À la maison de la culture de la ville qui porte le nom d’un autre illustre écrivain algérien Mouloud Mammeri, les présents étaient tellement nombreux que l’écrivain s’est excusé de devoir écourter la séance de dédicaces.
« C’était plus fort que moi. Et vous étiez un millier. Une nuit n’aurait pas suffi et mon bras n’aurait pas tenu. Mais je promets de me rattraper la prochaine fois. Un million d’excuses », a-t-il écrit sur sa page Facebook.
Yamina Khadra critique les parlementaires
En marge de la conférence à Tizi-Ouzou, Yasmina Khadra, s’est exprimé devant la presse. Il a commencé par rendre hommage au public venu nombreux l’écouter et échanger avec lui. « Cela ne m’étonne pas du tout, j’ai toujours été très bien accueilli à Tizi-Ouzou. Ici on lit beaucoup, on est très ouvert sur les livres. J’espère avoir proposé à mon lectorat ce que j’estime être le meilleur de moi-même », a-t-il dit.
L’écrivain, traduit dans plusieurs langues et invité dans le monde entier, reconnaît que rencontrer son public algérien revêt un cachet particulier pour lui.
« Je suis très content parce que je suis reconnu par les miens. Je suis doublement fier, parce qu’ailleurs aussi dans toutes les salles où je vais, les salles sont archi-combles. Mais quand c’est chez moi, ça me renforce dans mes convictions », a-t-il affirmé.
Dans la foulée, il répond à ses contempteurs. « Je sais que je ne suis pas en train de perdre mon temps et que contrairement à ce que disent certains, je n’écris pas exclusivement pour les autres. J’ai aussi mon lectorat ici (en Algérie) et il me comprend mieux que n’importe quelle autre nation », a-t-il précisé.
Mais Yasmina Khadra nourrit quelques regrets. Il s’est attristé d’une certaine presse qui, selon lui, ne fait pas suffisamment l’écho de ce qui se produit en littérature.
Cela ne l’empêche pas de se réjouir que le livre soit « en train de retrouver sa place qu’il mérite au sein de la société » algérienne. « Cela ne suffit pas », a-t-il néanmoins noté, exhortant la presse autant que l’école algérienne à s’impliquer dans la promotion de la littérature et la mise en avant des écrivains.
« Il faut que les professeurs programment des ouvrages d’écrivains algériens et (les) inviter. Il faut que les élèves rencontrent physiquement les gens qui leur racontent des histoires et leur expliquent le monde », a proposé Yasmina Khadra.
Un journaliste l’interroge sur l’absence de chaîne de télévision dédiée à la littérature, Yasmina Khadra s’en est violemment pris aux parlementaires.
« Il faut d’abord que les députés sachent lire. C’est au niveau des Assemblées nationales que les lois se font. Si la littérature n’a pas sa place c’est parce que les gens censés être derrière elle, ne lisent pas. Et c’est tant pis pour eux ! », a lancé le romancier.
Malgré son succès mondial, Khadra laisse transparaître une certaine frustration. Dans une interview à la chaîne Al Hayat, Yasmina Khadra a déploré que la presse arabophone l’ostracise.
Concernant son tout dernier roman « Les vertueux » pour lequel il assure la promotion, Yasmina Khadra dira : « J’ai mis 40 ans pour aboutir à une œuvre pareille. Je veux que les Algériens se l’approprient ».
Cette tournée algérienne de Yasmina Khadra n’est pas passée sans déclarations polémiques. Le célèbre écrivain a affirmé par exemple à la chaîne Al Hayat, que c’est lui qui a « ouvert les portes du monde à la littérature algérienne », ce qui a suscité des réactions mitigées sur les réseaux sociaux. « Depuis quand, les écrivains algériens étaient connus à l’étranger ? » a-t-il interrogé, en indiquant que ses livres sont présents dans 58 pays et traduits dans 53 langues.
Les commentaires récents