Comment regarder un passé qui ne passe toujours pas? Celui de la guerre d’Algérie et de la colonisation. Cette semaine Benjamin Stora remettait un rapport très attendu à Emmanuel Macron. De nombreuses propositions, et une question: “faut-il s’excuser?” On en débat avec l’un des grands spécialistes de la colonisation et des enjeux de mémoire : l’historien Pascal Blanchard.
Carte postale d’Indochine, fumeurs d’opium. Vers 1920. MANHAI/FLICKR
Récit De 1899 à 1945, les gouverneurs français ont organisé la production et la vente de l’« or noir » à travers une régie générale dont les recettes allaient au budget de la colonie. Clément Lacombe a enquêté sur cette stupéfiante histoire.
L’arche d’entrée est toujours là, frêle vestige d’un passé indochinois dont les marques finissent par disparaître. Juste derrière, dans la cour, s’aligne une kyrielle de restaurants branchés, comme un précipité de la mondialisation : une brasserie française proposant du foie gras au menu, un « steak-house », un thaï, un japonais, un mexicain… L’artère a changé de nom : Hai Ba Trung, plutôt que rue Paul-Blanchy. La ville aussi : Ho Chi Minh-Ville aujourd’hui, Saïgon jadis.
Seules trois fleurs de pavot dessinées sur le porche jaune sorti des âges, ainsi qu’une minuscule pancarte explicative que bien peu remarquent, laissent deviner que derrière ces murs construits en 1881 se trouvait une immense manufacture d’opium : une « bouillerie » – c’est le mot usuel – disposée sur un terrain d’un hectare ultraprotégé.
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Ici, l’opium brut importé en grande partie d’Inde, mais aussi de Chine, était transformé, cuit, filtré, raffiné pour enfin aboutir, après trois jours de préparation, à de l’opium prêt à être fumé – du « chandoo ». Au début du XXe siècle, la drogue était ensuite conditionnée dans des petites boîtes en laiton contenant 5, 10, 20, 40 ou 100 grammes, avec, dans chacune, une lettre, frappée au fond du contenant : C, T, A, L, pour les différentes régions de l’Indochine où elles étaient expédiées, le Cambodge, la Cochinchine (au sud de l’actuel Vietnam), le Tonkin (au nord), l’Annam (au centre) ou encore le Laos.
Des fonctionnaires !
Les Européens qui s’affairaient alors en ces lieux portaient un costume avec, sur le col, un écusson brodé d’une fleur de pavot et des deux lettres « DR », abréviations de « Douanes et Régies », l’administration qui les employait. Oui, des fonctionnaires ! Car l’approvisionnement, la fabrication et la vente de l’opium étaient alors un monopole aux mains de la puissance publique. Un monopole qui nourrissait les comptes publics et finançait la colonisation. Avec l’aval de Paris et du ministère des colonies, et malgré les dégâts sanitaires de l’opiomanie rampante, les grandes déclarations antidrogue ou les pressions internationales, à commencer par celle des Etats-Unis. De quoi faire de la France un narco-Etat avant l’heure.
Retour en 1862. Cette année-là, la France annexe formellement la Cochinchine, quatre ans après s’être lancée dans la conquête de la péninsule indochinoise. Une invasion qui coûte beaucoup trop cher à Paris… « Dans leur recherche de nouvelles ressources financières, les autorités françaises en Indochine sont amenées à s’intéresser très tôt à l’opium et aux possibilités offertes par ce produit », raconte Chantal Descours-Gatin dans son livre « Quand l’opium finançait la colonisation en Indochine ».
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Dans l’imaginaire occidental, l’opium et son cortège de fumerie font alors déjà figure d’incontournables dans les histoires racontées sur cet Extrême-Orient mystérieux. Une drogue dont on commence tout juste, à Paris ou Londres, à découvrir les propriétés psychotropes célébrées en 1860 par Baudelaire dans ses « Paradis artificiels » : « Toi seul, (…) tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium ! »
Certes, en Chine, la consommation de ce qui sera appelé l’« or noir » est séculaire et remonte à loin. Mais, sur le territoire de ce qui sera l’Indochine, son usage est encore infinitésimal et presque partout interdit… « Le raccourci “opium = mal spécifique de l’Extrême-Orient” est une conception qu’il convient de nuancer, tant l’usage de la drogue semble être issu (…) d’une suite de choix économiques et politiques qui furent le fait des puissances coloniales », précise l’historien Philippe Le Failler dans son ouvrage « Monopole et prohibition de l’opium en Indochine ». Et tant pis s’il faut passer par la force, comme le Royaume-Uni et ses « guerres de l’opium » (1839-1842, puis 1856-1860) menées avec l’aide de la France contre la Chine : Londres contraint alors Pékin de lever l’interdit sur la consommation d’opium et inonde le pays de son pavot cultivé en Inde…
Du fermage à la « Régie de l’opium »
Forcément, la « réussite » de cette opération inspire les autorités françaises quand elles prennent le contrôle de la Cochinchine. Décision est prise d’organiser le commerce de l’opium dans la colonie, de lever une taxe et de vendre le droit d’en fabriquer à des personnes privées – on parle de « fermage ». Et, très vite, la sève du pavot, que l’on prélève en incisant la fleur, permet de financer une grande partie du budget de la colonie.
Oh, bien sûr, cela ne va pas sans poser des questions sanitaires, mais qui sont très vite évacuées par les autorités françaises en Cochinchine : pour elles, les principaux consommateurs d’opium locaux sont des Chinois, très peu les populations autochtones, encore moins les colons. Donc autant laisser faire, c’est comme une sorte d’impôt prélevé sur des étrangers… Et puis, la contrebande de drogue est telle qu’il serait dommage de se priver de ces ressources financières.
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Rares sont les fonctionnaires qui s’en offusquent. Parmi les rares voix dissidentes, celle de Raoul Postel, magistrat ayant exercé à l’époque à Saïgon, et qui écrit en 1882 : « On a prétendu que fumer l’opium étant trop invétéré pour qu’aucun moyen répressif fut efficace à en arrêter le progrès, il valait mieux bénéficier de cette tendance, en la grevant de forts impôts, que de s’efforcer de la combattre inutilement. (…) Ce qu’il y a de certain, c’est que l’opium prohibé sous le régime annamite [précédant l’arrivée des Français, NDLR] et introduit furtivement alors en contrebande pour le seul usage des Chinois et de quelques riches indigènes, s’est répandu aujourd’hui jusque dans la population ouvrière, où sa consommation augmente tous les jours » (cité par l’historien Dominique Niollet dans « l’Epopée des douaniers en Indochine »).
Le système a beau faire entrer beaucoup d’argent dans les caisses publiques, les autorités françaises ne s’en satisfont pas. Pour consolider le budget de la colonie, elles veulent aller plus loin dans le contrôle de la filière. A partir de 1882, il n’est plus question de déléguer la gestion de l’opium à des tiers. Le système du fermage en Cochinchine est enterré, place à la « régie directe ».
Paul Doumer, le « Colbert de l’Indochine »
Ce sont alors des fonctionnaires qui s’occupent de l’approvisionnement en opium brut, surtout acheté en Inde, à Calcutta. Des fonctionnaires aussi qui gèrent la transformation de ces grosses boules, recouvertes de fleurs de pavot, dans la « bouillerie » de Saïgon. Des fonctionnaires encore qui supervisent la distribution de l’opium prêt à fumer dans des points de vente. En 1884, la très officielle « Régie de l’opium » – tout comme il existe une Régie du sel ou une Régie de l’alcool – représente 34 % des recettes fiscales de la colonie. L’argent aide à la stabilisation puis à l’expansion de l’Empire : c’est dans ces années-là que la France s’étend au-delà de la seule Cochinchine au Cambodge, au Laos, à l’Annam, puis au Tonkin.
Comment tu as fait pour creuser en toute légalité Un abîme entre toi et moi? Comment est-ce que je ressens les choses ? Comme un acte de haute trahison ! Tu me diras qu'un traître est un être comme un autre Non... un traître ... est un acte, un mouvement, un geste qui dissout l'être. Nous en sommes là, à se dissoudre Pas d'autre solution... pas d'absolution ni pour les uns, ni pour les autres Et si nous en sommes toujours là c'est pour en découdre. Après toute une vie d'amour partagé, de bonheurs envisagés Du moins c'est ce que je croyais...
En visite pendant deux jours à Mayotte, la cheffe de file du RN s’est surpassée sur ses thèmes de prédilection, l’immigration et l’insécurité, dans l’espoir de se démarquer du pouvoir macroniste, qui a récupéré une bonne partie de son programme dans ce département de l’océan Indien.
MamoudzouMamoudzou (Mayotte).– Samedi 20 avril, dans le quartier de Cavani, la rue du Stade est fidèle à ce qu’elle est depuis plusieurs semaines : des cabas sont accrochés aux grilles, le linge y sèche, des marmites et des matelas sont disposés contre les murs. Au sol, sur les trottoirs brûlants, les propriétaires de ces maigres biens, demandeurs d’asile ou réfugiés. Ils viennent majoritairement d’Afrique des Grands Lacs et de Somalie et vivent ici depuis que la préfecture, sur ordre du gouvernement, a vidé le stade attenant de ses occupants.
Les familles y avaient jusqu’ici trouvé refuge et installé des cabanes de bois et de bâches afin de se protéger des intempéries et des agressions régulières, suscitant l’ire d’une partie de la population locale. C’est de cette occupation et des rues de ce quartier qu’est né le mouvement des barrages qui a paralysé l’île pendant un mois et demi en début d’année.
« C’est encore pire maintenant », indique à Marine Le Pen l’ancien président du conseil départemental, Daniel Zaïdani, qui vient d’être jugé pour détournement de fonds publics. La cheffe de file du Rassemblement national (RN) a débarqué un peu plus tôt dans un 4x4 flanqué de drapeaux tricolores. Elle a été accueillie par les chants des collectifs anti-immigration, les bises et les selfies, sous les regards médusés ou inquiets des familles de migrants. Tous observent en silence la caravane se diriger vers un terrain multisport qui accueillera le meeting du jour et d’où résonneront dans tout le quartier des mots qui se veulent des cris de détresse, mais transpirent la haine.
Une sono à plein régime relaie ainsi le plaidoyer d’une membre du collectif local. « Nous sommes asphyxiés, la population ne vit plus », dit-elle, fustigeant « des migrants qui ont aujourd’hui pris d’assaut les rues du quartier », avant de les imaginer propagateurs du choléra puis de « refuser d’être exposée à une immigration violente dans tous les sens du terme ». Marine Le Pen, bardée de colliers de fleurs de jasmin, est aussi conquise que le terrain l’est à sa cause. « Ces migrants font caca dehors, devant nos enfants », hurle une autre femme qui dénonce la « complicité de certaines associations pseudo humanistes ».
L’ancienne candidate à la présidentielle ne se saisira pas du thème associatif : elle a été condamnée pour diffamation après avoir accusé La Cimade de se rendre complice des passeurs lors de son dernier déplacement à Mayotte en décembre 2021. Elle avait alors rejoint les collectifs qui faisaient le siège devant les locaux de l’association à Mamoudzou. Mais la voilà rassurée quand la militante dénonce « les effets d’annonce du gouvernement » au micro.
Duel en terre mahoraise
Car depuis sa dernière visite, le gouvernement, et plus spécifiquement Gérald Darmanin, a fait sien les discours de la députée d’extrême droite concernant Mayotte, en mêlant toujours davantage immigration et insécurité. Le ministre de l’intérieur a su compter sur le fervent soutien des collectifs à l’heure de l’opération Wuambushu, dont « l’échec » ne lui est d’ailleurs pas imputé.
Pour faire lever les barrages, Gérald Darmanin a même coupé l’herbe sous le pied des collectifs, qui n’en demandaient pas tant, en proposant l’abrogation du droit du sol à Mayotte. Surtout, il a permis à ces collectifs de s’institutionnaliser en les assurant notamment de leur participation à l’élaboration de la future loi Mayotte.
Med Chérif Ould El Hocine, le résistant, officier de l'ALN, s'est éteint, lundi matin, après une très longue maladie, à l'âge de 91 ans, en son domicile, au milieu des siens... Nous avions connu cet homme exceptionnel dans les juridictions de Chéraga, Blida, Tipaza, Koléa, Hadjout, Sidi-M'hamed -Alger, durant de très longues et pénibles années judiciaires, au cours desquelles, il connut les affres de l'injustice, émanant d'une véritable bande de magistrats habitués à courber l'échine devant des individus plus fort que les «lois de la République». Il a vaillamment combattu depuis 1975, date de la création de l'Epsr, son usine de Chéraga, ou plutôt, comme il aimait à l'appeler affectueusement, «son enfant»!
Faisant face à des hommes puissants du pouvoir de l'époque, Ould El Hocine a constitué vainement des hommes de loi, susceptibles de l'aider à gagner la lutte contre une authentique mafia du foncier. Il n'a vécu que pour tenter de reprendre son usine «volée», durant toute la période avec plus d'une vingtaine d'avocats, car certains d'entre eux, avaient compris que jamais l'ancien moudjahid ne reprendrait son bien de sitôt. Lorsqu'il lui arrivait de gagner un procès, l'appel est vite constitué pour tenter le rattraper le temps gaspillé à la barre, en 1ère instance. D'ailleurs, pour l'histoire, rappelons qu'une juge du siège, dans la précipitation, avait entendu Med Chérif Ould El Hocine, inculpé de «faux et usage de faux», ainsi que sa fille, comme complice. Les débats furent sereins. Le dossier fut mis en examen sous huitaine. Mais voilà, puisque le verdict avait été dicté à la juge du siège, heureuse de rendre service à la chancellerie, qui ne verra que du feu, en condamnant la fille d'Ould El Hocine à une peine d'emprisonnement ferme de six mois, pour complicité de faux et usage de faux! Le verdict aurait été normal, et personne n'aurait crié au scandale, si en appel, à Blida, en pleines grosses chaleurs de juillet, et la nuit, tard, Djillali, le président de la chambre pénale de la cour de Blida, solidement encadré par l'exemplaire duo de conseillers, Med-Salah Tartag/ Chérifa Aboubi, avait lancé à la fille inculpée et condamnée cette boutade: «Alors, ma fille, on s'amuse à effectuer des faux en écriture, alors que vous veniez de clôturer vos quatre (04) semaines! Je vous préviens c'est la dernière fois que vous effectuez un faux à l'âge de quatre... semaines!» lança le magistrat qui s'est bien gaussé ce soir-là, convaincu que tant qu'il y aura des magistrats au «garde-à vous», l'avenir de la justice et du pays, resteront sombres. En effet, les faits reprochés au papa Chérif, dataient de 1975, et la fille était née au cours de la même année que le... pseudo-délit!!!
Voilà comment était la marche, et la démarche de la justice, et notamment du tribunal de Chéraga (cour de Blida), à l'époque, au XXe siècle! Une cinquantaine de comparutions devant la justice, avec les amers et «truqués verdicts» ainsi que les mirages appelés «honteusement «résultats». Le malheureux justiciable avait devant lui un véritable rideau de fer, et de feu, pour l'empêcher à tout prix de remporter le moindre procès. Les milliers de correspondances, les dizaines de visites aux différents ministres de la Justice, ne pourront rien. «J'ai été royalement et respectueusement reçu par l'un d'eux. Il a été très poli. Il m'a bien écouté, mais ne suivait pas. Il savait ce que je ressentais, mais rien à l'horizon. Les incalculables conférences de presse, y compris les périodiques gouvernementaux, n'apporteront rien. Arrivé très tôt dans les juridictions, le pauvre Ould El Hocine passait à la barre dans les derniers inculpés. L'essentiel était de frapper fort ce résistant aux attaques de la mafia qui serrait très fort le bien volé, faisant en sorte que les nombreux déplacements dans la capitale, et dans les juridictions de la Mitidja, ainsi que les dépenses effectuées au profit des nombreux avocats, ne puissent lui permettre de gagner ses procès! Cela, sans compter son entourage qui, malgré le soutien d'Ould El Hocine, vacillait mais ne cédait point. Il se soignait entre deux procès. Et lorsqu'il se déplaçait à l'étranger, il fallait jouer des coudes pour obtenir un renvoi légal! Son gendre et sa fille tenaient bon, eux aussi, ainsi que ses amis de la Révolution de 1954. Que ce furent feu le colonel Ahmed Bencherif, ou encore le colonel Dr El Khatib, les signes d'amitié, de solidarité et de résistance à toute épreuve, formaient ainsi le bouclier du lâche complot ourdi en 1975, et consistant à lui dérober la totalité de ses biens, transférés bien plus tard à El Hamiz...
À Hadjout, la présidente du tribunal l'avait convoqué pour une mise au profit de l'adversaire. Muni des pièces nécessaires, Ould El Hocine réussira à convaincre la courageuse magistrate, qui débouta l'autre partie au conflit. Voilà, en somme, l'homme que nous avons côtoyé, connu et apprécié pour sa foi en la justice qui le lui a très mal rendu. Dommage, Si Med Chérif. Vous méritiez mieux! «À Allah nous appartenons. À Lui, nous retournons.»
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux de l'armée française s'emparaient du pouvoir : Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, tentaient un coup d'Etat. Retour sur cet épisode clef de la guerre d’Algérie.
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux de l'armée française s'emparaient du pouvoir : Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, tentaient un coup d'Etat. Retour sur cet épisode clef de la guerre d’Algérie.
A l’époque de la guerre d’Algérie, les jeunes gens qui refusaient de porter les armes, les réfractaires, insoumis ou déserteurs, étaient mis au ban de la société française. Leur choix était le plus souvent incompris. Aucune institution, parti, syndicat ou église ne les soutenait. L’opprobre pesait sur leurs familles comme sur celles de malfaiteurs. Elles étaient convoquées à la mairie, subissaient des interrogatoires et des perquisitions de la part des policiers. Leur entourage les critiquait, les rejetait. Pour les réfractaires et les déserteurs, la seule alternative à la prison était l’exil. Le temps a passé, mais aujourd’hui le choix des réfractaires et des déserteurs n’est guère mieux compris. Même ceux qui critiquent sévèrement la guerre, admettent difficilement leurs choix. Pourtant, les réfractaires comme Etienne Boulanger, les déserteurs comme Noël Favrelière nous enseignent qu’il est toujours possible de dire NON !
Ci-dessous le témoignage de Jacques Pous, l’un de ceux qui ont dit NON (1)
Pourquoi si peu de refusà faire la guerre ?
Il ne faut pas oublier que la plupart des appelés sortaient de l’enfance (c’était le cas de la plupart de ceux que j’ai rencontrés au 24e RIMa) et ce n’est pas la lecture de Bled et de la grande presse, les discours lénifiants ou menteurs des politiques, des Églises et de la plus grande partie de ce que l’on appelle les élites qui allaient leur ouvrir les yeux. L’important, dans l’immédiat, c’était la bouffe et les "perms" (lorsque l’on a passé plusieurs jours dans une caserne, l’on est prêt à tout pour ne pas se faire punir et "se la faire" …) et, dans un avenir beaucoup plus lointain, compter à combien "au jus" l’on en était et "la quille, bordel", horizon ultime de la présence à l’armée, cri lancé avec dérision, par des centaines de milliers de jeunes, pour éviter de pleurer face à l’absurde. Le grand public et surtout les responsables de la politique de la France en Algérie n’avaient pas voulu, durant huit ans, entendre des gosses qui hurlaient leur souffrance, leur sentiment d’abandon et parfois même leur dégoût (Des rappelés témoignent) et maintenant ils étaient une nouvelle fois victimes d’une entreprise de récupération qui allait alimenter le silence dans lequel certains d’entre eux allaient s’emmurer.
Tous, par contre, ont eu le sentiment de ne pas être compris et même parfois d’être jugés et condamnés lors de leur retour dans une société civile qui ne s’était intéressée à l’Algérie que lorsqu’un proche était concerné. Ils savaient que parmi eux ils avaient été nombreux à ne pas participer aux exactions, qu’il s’en était trouvé quelques-uns qui, comme des appelés le racontent à Patrick Rotman et Bertrand Tavernier, avaient bien traité des prisonniers, soigné des adversaires blessés, refusé de participer à la torture ou qui, comme le brigadier Monjardet, avaient été héroïques en refusant de tirer, malgré les ordres, sur des fellahs désarmés. (2)
Tous ceux-là ne pourront que refuser les généralisations dont ils étaient victimes et qui étaient la conséquence de l’amnistie accordée aux véritables coupables.
Comment d’ailleurs pourrait-on juger des gosses auxquels l’on avait inculqué la soumission à l’autorité alors que l’on ne sait pas ce que, à leur place, l’on aurait fait. Pour ma part, en tous cas, je me refuse de me mettre dans la position du si : qu’aurais-je fait ou pas fait si … Ce qui compte, c’est ce que j’ai fait ou pas fait. C’est pourquoi il m’est difficile de juger les autres, en particulier ceux de ma génération, car je connais trop la part d’animalité et la part d’humanité qui hantent l’homme ; si j’avais été dans la même situation qu’eux, j’aurais, peut-être, agi comme eux. Cette problématique du « si » n’a, par ailleurs, aucun intérêt car il est à tout jamais impossible de savoir ce que l’on aurait fait si … Ceux qui prétendent le savoir s’illusionnent. Des enquêtes d’opinion ont d’ailleurs montré que, dans la génération de la paix, ils sont nombreux à proclamer que s’ils avaient été confrontés aux situations auxquelles ont été confrontés les appelés de la génération du feu, ils auraient refusé d’y participer ; à les entendre, si la même alternative leur était proposée, (11,5 % des élèves de terminale interrogés en 1977 par Jean-Pierre Vittori auraient opté pour la désertion), le chiffre fantaisiste des trois mille réfractaires serait donc aujourd’hui largement dépassé.
Reste enfin une forte minorité qui a été victime de ce que l’on appelle le stress du combattant ou de la culpabilité de s’en être sorti ou encore du dégoût pour ce qu’ils avaient fait. Ce sont les véritables victimes d’une guerre que, dès 1955, Guy Mollet considérait comme "imbécile et sans issue" ; sans oublier ce qu’ont subi ceux d’en face qui, lors d’un conflit asymétrique sont dix fois plus exposés aux séquelles de la guerre. De nombreux travaux concernent les traumatismes des GI’s retour du Vietnam, d’Irak ou d’Afghanistan ; qu’en est-il des Vietnamiens, des Irakiens ou des Afghans qu’ils ont massacrés ? Qu’en est-il des Algériens, des réfugiés croisés en Tunisie, des Moudjahidins traumatisés par huit ans de guerre, des millions de personnes regroupées dans ce qui trop souvent ressemblait à des camps de concentration ? Peut-être qu’un jour les historiens se demanderont quelles ont pu être les séquelles lointaines de la guerre sur la population algérienne et sur un avenir de violences qui, là aussi, s’enracinent dans un passé qui ne veut pas passer.
Quant à moi, j’avais choisi la trahison comme règle de vie : comment en effet ne pas trahir ses idéaux si l’on ne se résout pas, un jour, à trahir son pays. Toutefois, je n’ai pas eu immédiatement conscience qu’avoir pu dire NON, qu’avoir pu trahir en réalité et non en rêve, est une chance qui n’est pas donnée à tous ; l’obsession de trahir et la frustration de ne pouvoir le faire seront au cœur de mes engagements futurs. Combien de fois, par la suite, n’ai-je pas regretté de ne pouvoir refuser d’aller au Vietnam, de ne pouvoir refuser d’aller se battre en Irak ou en Afghanistan, de ne pouvoir désobéir à l’ordre d’aller bombarder la Serbie ou Gaza. De nombreux témoignages d’appelés du contingent mentionnent d’ailleurs le sentiment d’impuissance qui les étreignait lorsqu’ils étaient témoins de crimes contre lesquels ils avaient l’impression de ne pouvoir rien faire. Je ne voudrais pas, comme cela a été le cas pour eux, qu’un jour l’on vienne me dire que je suis responsable ou que je dois me repentir de crimes décidés et perpétrés par d’autres alors que l’on ne m’aurait jamais donné la parole et la possibilité de m’y opposer.
Les associations d’anciens combattants, la FNACA ou l’UNC-AFN, au lieu de faire répéter par la dernière génération du feu les rites dérisoires du passé, auraient dû l’amener à demander des comptes à tous ceux qui, durant quarante ans, allaient continuer à diriger la France : eux, les décideurs politiques, ils savaient ce qu’ils faisaient. Ce n’est pas un hasard si ce sont d’abord les rappelés, ensuite les sursitaires et enfin les étudiants qui se sont le plus opposés au discours officiel. La grande erreur des tenants de l’Algérie française est d’avoir accordé des sursis ! Toutefois, plusieurs appelés, regroupés dans l’Association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre qui, eux, ont servi, durant de nombreux mois, "Au pays de la soif et de la peur" (3) ne seront pas dupes et refuseront les décorations en chocolat (Carte (4), Croix et Retraite du combattant), telles ces médailles du travail que le système accorde aux prolétaires pour qu’ils se souviennent et se félicitent jusqu’à la mort d’avoir été exploités.
Le communiste Étienne Boulanger, "insoumis sous l’uniforme", qui s’était résigné à servir après deux années passées en prison, refusera le certificat de bonne conduite et la médaille commémorative des opérations de maintien de l’ordre en Algérie que l’armée avait finalement décidé de lui attribuer. "Je ne me sentais pas une âme de médaillé, proclame-t-il. Le chien du régiment était à côté de moi. Je trouvais que ce chien, qui avait été dressé à mordre les Arabes sur commande, – le dressage n’avait pas marché pour moi – était plus méritant que moi. Je lui ai donc passé la médaille autour du cou" (5). Quant à Jean Faure, il note dans ses carnets : « A Tizi Ouzou, dans la rigidité militaire, beaucoup à dire aussi sur les obsèques de ce copain. “Nous vous conférons la médaille militaire … la croix de la valeur militaire avec palmes …”, etc. Conférez tout ce que vous voudrez, ça ne vous coûte pas cher. Mais jamais vous ne rendrez la vie à Philibert, ni Philibert à sa famille » (6).
Jacques Pous
Par micheldandelot1 dans Accueil le 19 Avril 2024 à 06:26
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