La guerre d'Algérie, longtemps sans nom, longtemps tue, s'est achevée il y a soixante ans. Les petits-enfants de ceux qui l'ont vécu de près n'ont, pour la plupart, pas reproduit « le cloisonnement des populations et donc des mémoires » de leurs grands-parents, relève le politiste Paul Max Morin. « C’est, insiste-t-il, surtout l’orientation politique, bien plus que leur origine familiale, qui détermine leur perception du passé. »
« Pas moins de 39 % des 18 à 25 ans en France ont un membre de leur famille marqué par la guerre d’Algérie », rappelle le politiste Paul Max Morin. « Le cloisonnement des populations et donc des mémoires, poursuit-il, s’arrête avec eux. Les jeunes partagent une vision assez consensuelle de la colonisation et de la guerre. C’est surtout l’orientation politique, bien plus que leur origine familiale, qui détermine leur perception du passé. » « Chez les petits-enfants d’appelés, détaille-t-il, la guerre est une parenthèse dans l’histoire familiale, certes bouleversante, mais une parenthèse, de fait, moins structurante. Pour les petits-enfants de pieds-noirs, la défense de la colonisation n’est plus tenable hors de milieux d’extrême droite ou de droite dans lesquels, de par leur hétérogénéité, ils ne se retrouvent pas tous. »
Les militaires putschistes à part
« Les petits-enfants de harkis, spectateurs de la douleur de leurs aînés, vivent dans l’inconfort d’une histoire collective à trous, poursuit le politiste. Chez les petits-enfants d’immigrés comme de harkis, les difficultés matérielles et l’humiliation sociale ont altéré la figure virile des grands-pères souvent enfermés dans le silence. Ces jeunes votent plus à gauche, en raison de leurs conditions ouvrière ou immigrée bien plus que d’une histoire familiale anticoloniale. »
« S’agissant des petits-enfants de membres de l’OAS, conclut-il, cette histoire appartient au passé au sein des familles des pieds-noirs engagés clandestinement dans le terrorisme, pas encore au sein des familles des militaires putschistes, un milieu fermé et homogène, très marqué à droite, nationaliste et nostalgique des colonies. Mais ceux-là sont trop peu nombreux pour qu’une guerre des mémoires éclate chez les jeunes ! »
La publication par Jean-Philippe Ould Aoudia de son enquête sur les disparus de la « Bataille d’Alger » en 1957 touche à un point fort de la guerre en Algérie. Comme l’écrit Benjamin Stora: « La question des « disparus » n’a cessé de hanter les mémoires blessées de la guerre d’Algérie. Comment accomplir un travail de deuil en l’absence du corps de celui qui a disparu ? » (France-Algérie. Les passions douloureuses). Nous voudrions en rendre compte et accompagner cette nouvelle publication d’un retour sur des ouvrages antérieurs signés H.G. Esméralda, Alexis Jenni et Mouloud Feraounqui ont fait de 1957 une date incontournable.
Dans la troisième partie de son rapport de janvier 2021, Benjamin Stora insiste sur la question primordiale des disparus : « Pour que le détachement de la période traumatique de la guerre puisse s’amorcer, rendant finalement possibles de nouveaux investissements (affectifs, sociaux, familiaux), les avancées vers cette question sont nécessaires ». Les archives et leur accessibilité sont incontournables pour mener à bien cette recherche : « La vérité ne sort pas automatiquement des archives. Néanmoins, leur communication est un enjeu central dans une démocratie et le travail de communication des archives concernant les disparus de la guerre d’Algérie doit être poursuivi, notamment par le recours aux témoignages, la fabrication d’archives orales ». On sait que dans tous les conflits, la question des disparus est une question centrale des Droits de l’homme.
C’est justement à ce travail que contribue, depuis des années, Jean-Philippe Ould Aoudia : il vient de publier aux éditions Tirésias-Michel Reynaud, Alger 1957. La ferme des disparus — une date (ô combien !) liée à la « Bataille d’Alger ». Le 19 juin 1956 ont eu lieu les deux premières exécutions de condamnés à mort algériens, Zabana Ben Mohamed et Ferradj Abdelkader Ben Moussa, exécutions qui déclenchent des représailles du FLN. De l’autre côté, l’ORAF (Organisation de résistance de l’Algérie française) s’est structurée et mène différentes actions dont une bombe posée, le 10 août 1956, rue de Thèbes, en pleine Casbah, faisant des dizaines de mots civils. Le 30 septembre, ce sont les bombes posées par des militantes du FLN au Milk Bar et à la Cafétéria, faisant 4 morts et une cinquantaine de blessés. L’engrenage de la violence se poursuit, comme on peut le lire dans l’ouvrage de Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne (2005). C’est la grève générale, sous l’impulsion de Larbi Ben M’Hidi pour le 28 janvier 1957 lorsque l’ONU va examiner la question algérienne. Le Général Massu met les moyens pour faire échouer le mot d’ordre : « L’expression française » bataille d’Alger » désigne mal les opérations menées par les parachutistes, qui ne sont pas de nature strictement militaire. Du point de vue français, elle traduit bien, cependant, la dualité de la guerre conduite par l’armée en Algérie, entre combat et répression. Aucune expression alternative n’a pu être proposée, à moins de se placer du point de vue algérien et de la désigner comme » la grande répression d’Alger », comme l’a proposé l’historien Gilbert Meynier ».
Dans Alger 1957, Jean-Philippe Ould Aoudia écrit : « Du 7 janvier au 8 octobre 1957 se déroule ce qui est communément appelé la » bataille d’Alger ». Nous préférons parler de » L’écrasement d’Alger » tant la population civile, majoritairement algérienne, fut l’objet de violences indicibles dans le cadre d’un affrontement inégal entre environ trois mille militants indépendantistes mal armés et pas entraînés, contre environ 20 000 membres des forces de l’ordre ».
En écrivant Alger 1957 – La ferme des disparus, l’auteur veut poursuivre le travail minutieux qui a donné lieu à son remarquable ouvrage, L’assassinat de Château-royal Alger 15 mars 1962, où il faisait toute la lumière sur ces exécutions et nommait les responsables de l’assassinat de son père et des cinq autres inspecteurs des centres sociaux dont Mouloud Feraoun. Il montre dans Alger 1957 la convergence entre la force militaire, les forces de police et ce qu’on a nommé le contre-terrorisme. Il dénonce le refus constant de dire où les corps des disparus ont été enterrés : « un doute subsiste toujours sur la réalité du crime tant que le corps de la victime n’est pas retrouvé ». Voulant prouver « un crime de masse », il avance des hypothèses bien étayées sur les lieux possibles où ces corps pourraient être retrouvés. Cela permettrait d’offrir aux victimes une sépulture et aux familles d’avoir un lieu où se recueillir.
L’enquête proprement dite est exposée sur une cinquantaine de pages en cinq chapitres. Le premier est l’explication de la fusion entre les différentes forces françaises de répression en interaction. Le second chapitre dessine cet « écrasement » et se focalise sur les 3024 disparus, chiffre rapporté par Raphaëlle Branche dans La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (2001). Le troisième chapitre resserre le propos sur le lieu probable de l’enfouissement. Le Général Aussaresses (Services spéciaux, Algérie 1955-1957 : Mon témoignage sur la torture, 2001) a fait état de ses contacts et de ses lieux de résidence et de « travail » et, en particulier, la ferme de Chebli, « La Cigogne », dans la Mitidja. On lira avec intérêt tous les détails que donne Jean-Philippe Ould Aoudia pour illustrer son enquête. Les chapitres IV et V tirent des conclusions à partir d’hypothèses qu’il faudrait exploiter : « En cas de mise au jour de ces fosses communes, pourra être établie la matérialité de 3024 assassinats suivis de dissimulation de personnes soumises à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains, ou traitements dégradants ». Les chapitres VI, VII, VIII sont des sortes d’annexes qui proposent un premier recensement nominal des disparus, qui listent les récompenses dont ont bénéficié les acteurs français de ce crime.
Ce livre est une contribution, sous l’angle de la justice à apporter aux disparus, à la bibliographie déjà impressionnante concernant la Bataille d’Alger. Pierre Vidal-Naquet, dans La Torture dans la République, et à propos de la disparition de Maurice Audin, évoquait déjà Aussaresses comme chef de file « de ce qu’il faut bien appeler une équipe de tueurs professionnels ». On peut également lire, de Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ? (2005).
Fin 1956 et 1957 furent une période d’arrestations, de tortures, d’emprisonnements ou d’internements pour nombre de militants et de militantes. Djamila Bouhired a été arrêtée le 9 avril 1957, Zohra Drif, le 22 septembre 1957 ; Hassiba Ben Bouali est morte dans la Casbah, dans la cache explosée par les paras, le 8 octobre 1957. Citons enfin, Annie Steiner – qui vient de mourir à Alger ce 22 avril 2021 –, arrêtée le 15 octobre 1956 et dont le procès avec d’autres a lieu en pleine Bataille d’Alger en mars 1957, « le procès des médecins » qui a duré trois jours, appelé ainsi car il jugeait aussi les trois frères Timsit, Meyer, Daniel et Gabriel, tous trois médecins. Daniel a écrit ses mémoires. Mais c’est le témoignage de leur sœur Huguette Timsit – Huguette Akkache car elle était mariée alors avec Ahmed Akkache –, que nous souhaitons évoquer parce qu’il est moins connu que celui de son frère et que sa sobriété fait toucher du doigt l’intolérable.
Celle qui signe H.G. Esméralda a aussi connu le pire en cette année 1957 et publie son témoignage en 2004, Un été en enfer. Barbarie à la française. Témoignage sur la généralisation de la torture, Alger, 1957. Dès les premières lignes, elle précise que son texte a été écrit en 1957, « ce récit, d’abord gravé dans ma mémoire dès les premières minutes de ma détention, je l’ai fixé, à ma sortie, en quelques notes clandestines ». En décembre 1958 quand elle arrive à Paris, elle les a confiées à un journaliste qui les a transmises à des personnalités ; elle cite le général de Gaulle, François Mauriac et Jean-Paul Sartre. Elle précise encore que la Commission de sauvegarde des droits et des libertés individuels a bien enregistré tous les éléments tangibles donnés. Son désir alors : que les coupables soient sanctionnés mais cela n’a pas été le cas, bien au contraire. C’est en 1959 que la seconde partie de son témoignage sur les camps – dans Le Monde et Témoignage chrétien – a été publiée, la coupe du début sur « le centre de tortures » visant à protéger ses frères emprisonnés (les frères Timsit), ses parents encore en Algérie et la protéger elle-même d’une nouvelle arrestation. En 2004, c’est donc la version complète de son témoignage qui est éditée, pour rappeler ce qu’H.G. Esméralda nomme « la barbarie à la française » pendant la guerre d’Algérie et rappeler le nom de ceux qui se sont élevés contre la torture, comme le général Paris de Bollardière et aussi de jeunes appelés anonymes. H.G. Esméralda n’est pas angélique et sait très bien toutes les injustices et les atrocités qu’engendre une guerre. Mais elle publie aussi ce récit à l’adresse des jeunes de banlieue dont certains oublient le combat de leurs aînés qui comptaient dans leurs rangs des juifs et des chrétiens : « moi-même, judéo-berbère, auteur de ce récit, j’ai partagé les souffrances de ces aînés ». Elle précise enfin qu’on ne guérit jamais de cet enfer mais on apprend à vivre avec. Le témoignage d’Esméralda est d’une grande sobriété et d’une grande précision ce qui le rend parfois rude à affronter.
Tout commence, à Alger, le 6 août 1957, jour de son arrestation où elle est emmenée avec brutalité « à l’école Sarrouy, rue Montpensier, en plein centre ville ». A son arrivée, elle note l’envahissement de l’école par des parachutistes en tenue négligée : « mon esprit courait au rythme du gibier pourchassé ». C’est le premier interrogatoire, la première séance de torture à l’électricité : « les premières secousses furent telles que je tombai à terre en hurlant ». Puis c’est le téléphone et la gégène : « j’appris donc à me familiariser avec ce vocabulaire macabre ! » Ensuite, de la pièce où on la relègue, elle entend des gens qui viennent demander des nouvelles de leurs proches disparus et que l’on renvoie sans ménagement. Elle pense à ses proches, pas loin et qui pourtant ne savent pas où elle a disparu. Attendant la seconde séance de torture dans l’angoisse, elle met au point une stratégie : « j’avais milité dans un réseau médical clandestin depuis à peine huit mois, et si la torture m’obligeait à céder, je comptais limiter ce temps à trois mois, et en dernier ressort ne citer que des militants déjà emprisonnés ». Effectivement, elle cède un peu mais la réplique des tortionnaires redouble : « Plus tard, j’appris au camp, que la première faiblesse faisait que nos tortionnaires ne nous lâchaient plus, voulant toujours en savoir davantage ». Une détenue lui apprendra plus tard ce qu’elle a entendu alors, du fameux Schmitt (cité 13 fois dans ce récit) : « Elle a eu son compte, la petite A. 220 volts d’affilée pendant trois quarts d’heure ! »
On la met alors dans une salle avec d’autres torturés encore plus malmenés qu’elle. Toute la nuit, elle entend des hurlements : « Le courant provoque une soif atroce, je demandais constamment à boire. Les sentinelles qi se succédaient toutes les deux heures et demie se réjouissaient à ma vue ; plus d’une en profita pour me peloter les seins ». Elle est dans l’attente, la peur de la suite : « La Casbah était là, deux mètres au-dessus de nos têtes, en cet après-midi d’août, avec ses rues peuplées d’enfants. Leurs rires et les échos de leurs jeux nous parvenaient nettement. La vie libre au-dehors, la vie tout court, éclatait avec l’insouciance de ces enfants, et ce bidon de lait métallique qu’ils agitaient joyeusement, je n’en oublierai jamais le son. Apparemment ils entendaient nos cris en dépit de la musique censée les couvrir car ils poussaient leur inconscience jusqu’à imiter par jeu nos hurlements ».
Et c’est le troisième interrogatoire, sans torture physique cette fois. Il y a beaucoup d’arrivages, des noms de femmes hurlés avec joie par les paras. Les morts succèdent aux suppliciés en une ronde infernale pour celles et ceux qui attendent sans connaître leur sort : « Toute la fatigue de ces quatre journées et de ces quatre nuits blanches m’avait nerveusement éreintée ; outre la terrible attente d’une prochaine séance de torture, suivant leur bon vouloir, j’étais persuadée que l’on tenait à me faire disparaître parce que j’avais été témoin de trop de crimes ». L’inattendu une fois de plus survient : elle est réveillée et on lui ordonne d’aller dans la cour pour partir. Où ? Bien entendu, elle ne le sait pas. Elle va découvrir la vie dans « les camps noirs ». Elle sera libérée le 18 septembre 1957. Comme l’a écrit Malika El Korso, le 20 janvier 2019 dans le quotidien national algérien El Watan : « Le lecteur est introduit à son insu dans l’univers terrible des interrogatoires sans fin, des sévices en tous genres, des nuits de sang, des puanteurs, de corps meurtris, épuisés à l’infini… ».
À propos de 1957 et de la Bataille d’Alger, il faut également revenir au prix Goncourt 2011, L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni. Dans différents entretiens, le romancier a raconté les étapes d’un parcours qui a abouti à ce roman de guerre autour du personnage de Victorien Salagnon. Il déclara ainsi à Baptiste Liger (L’Express de novembre 2011) en avoir eu assez « du discours classique et rassurant comme « les tortionnaires sont des salauds » ». Et il situe aussitôt son entreprise par rapport aux livres de Jérôme Ferrari et de Laurent Mauvignier qui ont inscrit leur fiction du côté de l’armée française. Alexis Jenni dit aussi qu’il s’est attaqué à un sujet tabou dans la littérature française, la guerre d’Algérie : « je sais bien que l’Algérie n’est pas la France, mais il me semble que c’est une erreur de parler de guerre coloniale. C’est avant tout une guerre civile. Quand on revoit un film comme La Bataille d’Alger de Pontecorvo, on accepte l’idée que la guerre d’Algérie se résume à une opposition entre le FLN et l’armée française – ce qui est honteux. Tous les autres n’ont ici plus le droit à l’Histoire, à l’image des pieds-noirs… Leur présence même interdisait la résolution du conflit ». Cette déclaration suscite bien des questionnements mais il est intéressant qu’Alexis Jenni choisisse la Bataille d’Alger comme blason de cette guerre, et que c’est au nom de cette séquence qu’il récuse le terme de « guerre coloniale ».
Dans son rapport de janvier 2021, Benjamin Stora a commencé par aborder « les traces, survivances, effets de mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie sur la société française. De l’installation de l’oubli à la séparation des mémoires ». Comment représenter le passé ? Comment affronter les souvenirs ou les reconstitutions des uns et des autres : « exercice difficile que d’écrire sur la colonisation et la guerre d’Algérie, car longtemps après avoir été figée dans les eaux glacées de l’oubli, cette guerre est venue s’échouer, s’engluer dans le piège fermé des mémoires individuelles ». Il me semble que c’est un des « pièges fermés » qui fonctionne dans le roman d’Alexis Jenni par la scénographie qu’il choisit pour illustrer cette guerre en privilégiant la Bataille d’Alger. Toute fiction s’élabore sur des choix, des oublis, des trappes. Grégoire Leménager, dans Le Nouvel Obs, parlait à raison d’une « ambiguïté gênante » qui plane et « ajoute à la puissance du livre » « comme si nos belles années sécuritaires étaient faites pour aboutir à un grand livre sur l’armée coloniale, ses crimes inutiles et ses encombrants fantômes ».
Alexis Jenni le souligne dès les premières pages : « Dans les guerres coloniales on ne compte pas les morts adverses, car ils ne sont pas morts, ni adverses : ils sont une difficulté de terrain que l’on écarte, comme les cailloux pointus, les racines de palétuviers, ou encore les moustiques. On ne les compte pas parce qu’ils ne comptent pas ». En conséquence, gloire à celui qui compte l’ennemi lui donnant le statut d’ennemi par son comptage… c’est le long portrait de Paul Teitgen, secrétaire général de la police à la préfecture d’Alger, adjoint civil du général des parachutistes. Pourquoi faut-il lui ériger une statue ? Parce que même s’il n’a rien pu empêcher, il a compté les morts, « ces Arabes d’Alger ». Quatre longues pages expliquent combien compter les morts est un geste hautement humain. Alexis Jenni dénonce toutes ces guerres qu’il raconte. Mais son point de vue est très ancré du côté des dominants : ainsi quand il évoque la guerre à Bagdad, il ne voit que les bombes et non ceux qui les reçoivent, les Bagdadis. Quand il est question de la Bataille d’Alger, les individus « adverses » n’existent pas : heureusement que Paul Teitgen a compté !
Dans sa préface à l’enquête de Jean-Philippe Ould Aoudia, Alain Ruscio insiste sur l’aspect urbain de la Bataille d’Alger et pointe son retentissement à partir de cette caractéristique, puisque tout était fait au vu et su de tous. Il ajoute que « les campagnes d’Algérie, dès le premier jour, connurent la répression la plus violente, les ratissages, les raids, les déplacements de populations, la première utilisation du napalm. De 1954 à mi-1956, cependant, les villes avaient été, sinon épargnées, du moins exposées de façon moindre au quotidien ». Pour appuyer cette remarque, le lecteur peut se reporter au Journal-1955-1962 de Mouloud Feraoun
dont toute une partie est consacrée à « 1957 » alors que l’écrivain-instituteur vit en Grande Kabylie.
Le 10 janvier il commente le discours de Guy Mollet : « Le président du Conseil français promet aux musulmans d’Algérie ce qu’ils ont toujours vainement espéré. Puis il promet aux Français d’Algérie ce qu’ils ont toujours eu et que maintenant ils craignent de perdre. Mais comme le président ne pourrait nous offrir que ce qu’il leur enlèverait, sa déclaration d’intention prend à nos yeux l’éblouissante clarté d’une incommensurable bulle de savon ».
De Fort-National où il réside, il note, le 16 janvier, ce qui va être le début de la Bataille d’Alger qui ne se nomme pas encore ainsi : « Dans une semaine s’ouvrira le débat à l’ONU sur la question algérienne et ici en Algérie commencera une grève insurrectionnelle que les Français tentent déjà d’étouffer dans l’œuf. Pour nous n’échappe pas le caractère sacré de cette grève, il faut que les Algériens proclament aux yeux du monde qui hésite à les croire leur douleur et leur colère ; il faut que les voix doucereuses et hypocrites qui protesteront de leur innocence et nous accableront de bienfaits imaginaires, nous, les fanatiques et les ingrats, soient couvertes de nos hurlements d’écorchés vifs, de nos cris d’épouvante, de nos râles d’agonie. Ill faudrait que tous nos morts franchissent l’Atlantique et fassent entendre leurs ricanements sinistres à la tribune de l’ONU, derrière les sirènes de Paris qui se flattent déjà d’avoir séduit l’oncle Sam ». À la suite de ces premières remarques de ce début d’année 1957, Mouloud Feraoun proclame son appartenance, sans ambiguïté, à « un peuple digne qui est grand et restera grand ». Il reconnaît les freins dans son engagement qu’a pu provoquer son éducation française, il dit vivre un déchirement : néanmoins sa lucidité lui fait accepter les objectifs à terme (24 janvier). Le 10 février, il dresse un portrait sans concession de M. Achard, administrateur des Ouadhias, « celui qui a ordonné les dizaines d’exécutions, les viols, les tortures dans ce malheureux douar ».
Lorsqu’il descend à Alger voir son ami Emmanuel Roblès, il note les personnes rencontrées, ceux qui sortent de prison, ceux qui ne sont pas revenus. Toute cette année 1957 est ainsi jalonnée de noms de disparus, ici 49 morts, là des disparus. C’est le 17 février : « J’ai revu Alger triste, telle que je l’imaginais. Alger gardée, motorisée, militarisée telle qu’on la décrivait mais j’ai eu la chance de n’avoir rien vu d’autre. D’ailleurs j’ai évité les sorties inutiles ». Avec son ami, ils ont eu une discussion sur les attentats terroristes, Roblès n’évoquant que ceux du FLN. Feraoun lui répond en s’appuyant sur son propre cas lorsqu’on le somme de devoir « rendre » ce que la France lui aurait « donné », de « défendre la cause de la France au détriment des miens qui ont peut-être tort mais qui meurent et souffrent dans le mépris ou l’indifférence des nations policées. Simplement on me demande de mourir en traître moyennant quoi j’aurai payé ma dette ». Feraoun continue le décompte macabre. Ainsi le 18 mars : « À la gendarmerie de Fort-National, on torture comme partout ailleurs. Ceux qui en sortent vous parlent de coups, d’électricité, de baignoire, et le reste. Ceux qui n’en sortent pas, en sortent quand même et, un jour, on les retrouve aux abords de leur village, criblés de balles ». Le 6 mai, il note : « Je reviens d’Alger où j’ai passé trois jours ; J’ai vu les gens de chez moi à l’hôtel. Quelle misère ! Ils sont méconnaissables : ahuris, amaigris, silencieux, misérables. La désolation qui se lit sur leur visage n’est qu’un pâle reflet des souffrances qu’on endure là-bas. Les soldats frappent, volent, torturent et tuent. Le fils de Si Chérif a été fusillé en dessous du couvent des sœurs, il n’est pas mort mais grièvement blessé. On l’avait emmené comme suspect à Beni-Douala, puis, après interrogatoire classique, revêtu d’une vareuse miliaire et gratifié d’un fusil. On l’a ramené en jeep à Tizi-Hibel. Là on lui a dit de partir et on lui a tiré dessus. A Béni-Douala on me cite des endroits que je connais : magasin, atelier de forgeron où des soldats ont mis des inscriptions idylliques : « Villa des rêves », ou « de plaisance », ou « des doux aveux » : les endroits où l’on torture ».
Le 10 juin encore, il développe l’idée que la mort est partout : ceux qui sont morts ne peuvent plus témoigner et ceux qui sont encore vivants préfèrent se taire pour ne pas mourir à leur tour, tout en refusant de renoncer à l’indépendance. Les bombes qui explosent accroissent ses interrogations. Le 2 juillet, nommé à Alger, Mouloud Feraoun quitte Fort-National avec sa famille : « j’ai laissé un pays triste où il n’y a que des vieillards, des femmes et des enfants ». Le 14 août : « On ne peut pas dire qu’Alger soit un paradis. La vie y est possible, à condition de rester à la maison. Juste en face de l’école, je peux contempler les patrouilles qui stationnent au rond-point et fouillent minutieusement tous les hommes bruns de passage, toutes les femmes brunes voilées de blanc qui les accompagnent, toutes les vieilles voitures qu’ils conduisent ». Et en conclusion de cette année 1957, terrible : « Ainsi l’année qui s’achève laisse le problème insoluble […] les Indigènes attendent le départ des Français et les Français tuent automatiquement tous ceux qui veulent les chasser. Qui se lassera le premier ? C’est là tout le problème ».
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Introduire le roman d’Alexis Jenni dans l’ensemble des quatre textes parcourus montre qu’il n’est pas simple de « rentrer dans les zones d’ombre » de l’autre « camp ». Mais les enquêtes, témoignages, récits aident, même quand ils sont contradictoires, à tenter d’entrer dans la souffrance de l’autre ; encore faut-il adosser ces récits à ce que les historiens nous apprennent sur une période donnée. L’enquête que vient d’éditer Michèle Audin sur le comptage des morts de la Semaine Sanglante en mai 1871 rencontre, me semble-t-il, le travail engagé par Jean-Philippe Ould Aoudia et rend aux victimes des massacres leur droit à la mémoire. Le romancier lui-même se doit de ne pas les faire disparaître dans sa narration : « Il ne s’agit pas, comme l’a dit en son temps le journaliste radical Camille Pelletan, de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer les êtres humains qu’ont été ces cadavres avec respect, de ne pas laisser disparaître encore une fois — ce qui oblige aussi à se souvenir de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ont fait » (La Semaine sanglante – Mai 1871. Légendes et comptes).
Entretien inédit pour Ballast | Série « Les bidonvilles de Nanterre »
Nanterre, années 2020. Le bus 378 longe le pont de Rouen, file entre une bordée d’immeubles pris dans une toile d’autoroutes, de voies ferrées, de ponts et de passerelles. Ces aménagements modernes, tout en hauteur, ont écrasé l’ancienne ville. Bien qu’elle soit tombée lors des événements de Mai 68, la vieille enceinte militaire qui refermait le territoire sur lui-même semble de nouveau d’actualité. Ici, se trouvaient des années 1950 jusqu’aux années 1970 les bidonvilles de Nanterre. Ils ont vu grandir toute une génération parmi laquelle un certain Mohamed Kenzi. Son récit La Menthe sauvage, récemment réédité, revient sur la vie quotidienne des bidonvilles, l’arrivée du jazz et de la politique à Nanterre, les réseaux de soutien au FLN et les collectifs militants qui, peu à peu, font un pont avec les étudiants et les ouvriers qui animeront les mobilisations à la fin des années 1960. À l’occasion d’une rencontre à la librairie El Ghorba mon amour, Mohammed Kenzi est revenu dans sa ville pour raconter les chroniques de sa jeunesse. L’historien Victor Collet lui donne la réplique. Nous retranscrivons leur échange. Troisième volet de notre série sur la mémoire de Nanterre et de ses bidonvilles.
Quelle était la vie du bidonville de Nanterre durant l’époque coloniale puis pendant la lutte pour l’indépendance algérienne ?
À 7 ans, je pars d’Algérie avec ma mère et mes sœurs, retrouver mon père, parti dès 1957 de Maghnia, près de la frontière marocaine. Arrivés à Nanterre au bidonville, on a vite compris que la guerre n’était pas finie. La répression non plus. Je me souviens de la période avec le FLN. Nous étions tout petits mais j’y ai pris part. Pour moi, sans aucun doute, il fallait le faire. Comme j’étais assez débrouillard, on m’a vite demandé de participer. Les enfants étaient utilisés à l’époque pour transporter soit de l’argent, soit des armes. Je devais suivre un monsieur et s’il détalait, je devais détaler aussi ! Le 17 octobre 1961, je me suis retrouvé avec une petite famille, Madame et Monsieur Saadaoui. On a réussi à arriver jusqu’au pont de Neuilly et puis, d’un coup : le premier tir. C’était terrible, la panique totale. Le FLN tirait des cordes jusqu’aux arbres pour empêcher les gens de reculer. Après ça, avec la petite famille, on a dû marcher pour revenir jusqu’à Nanterre. On a trouvé une cache et on a dormi là. On n’est rentrés que bien après, quand ça s’est calmé. Tout était sans dessus dessous. Je ne savais pas où étaient mes parents. Je ne les ai vus que deux jours plus tard.
« Si tu ne voulais pas mourir, te retrouver jeté dans la Seine, tu l’évitais. La majorité d’entre nous ne savait pas nager : si tu tenais à la vie, tu n’y passais pas. »
8 ans, oui, je n’avais que 8 ans. Je m’en rappellerai toujours. Ça m’est resté ces trucs. C’est comme le pont de Bezons, à l’époque c’était l’horreur. Si tu ne voulais pas mourir, te retrouver jeté dans la Seine, tu l’évitais. La majorité d’entre nous ne savait pas nager : si tu tenais à la vie, tu n’y passais pas. On nous disait à chaque fois : « Y a untel qui a disparu, un autre qu’on ne retrouve pas. » Des fois, des corps remontaient plus bas, d’autres ne remontaient jamais. Nous, ce pont, on ne le traversait que la journée. La nuit, il valait mieux se cacher près de la berge, attendre là et le traverser à l’aube… Durant toute la période coloniale, avant l’indépendance de l’Algérie, nos parents nous disaient : « Il faut pas écouter les Français, il faut pas ceci, il faut pas cela, pas faire confiance, pas parler. » Même à l’école on s’affichait très peu, on restait mutiques. On ne disait rien, on répétait ce qu’on apprenait, point à la ligne. Et, à l’indépendance, c’était : « Il faut aller à l’école, il faut apprendre ! » On pensait : « Ils sont fous ces adultes ! » On ne comprenait pas leur monde. C’était très perturbant. Et raconter comment c’était à la maison, ça, c’est impossible.
Une des forces de La Menthe sauvage est que vous avez osé décrire des difficultés au sein des bidonvilles qui sont souvent éludées, par pudeur ou par honte…
Les gens masquent ces questions pour ne pas créer une mauvaise image de la communauté. Mais l’alcool, oui, était très présent. Mon père, quand il buvait, il nous tapait dessus sans raison. C’était dur. Pour moi, la boisson a débarqué avec leur désespoir. Ils pensaient réussir à pouvoir construire leurs baraques, réussir à avoir, je sais pas, un avenir pour leurs enfants. Et finalement, ils se retrouvaient dans ce bidonville, dans une pièce où ils vivaient à douze dedans. Chez nous, quand il pleuvait, ça s’infiltrait de tous les côtés, c’était terrible. Et quand quelqu’un rajoutait un bout de mur ou quelque chose sur sa baraque, il y avait cette brigade spéciale, la fameuse « brigade Z1 ». Ils arrivaient, ils cassaient tout et repartaient. Ils ont continué à venir après l’indépendance mais les jeunes comme moi, qui en avaient marre de tout ça, ils avaient grandi. Ils se sont fait caillasser plusieurs fois et ils sont plus revenus. Mais c’était vraiment une période difficile. Et, pour mon père, l’alcool, je crois que ça lui permettait de ne plus être là, de ne plus vivre cette vie-là, de disparaître. À l’époque, je ne comprenais pas toute cette réalité. Ce n’est que plus tard que je me suis dit qu’il devait y avoir des raisons que je ne voyais pas.
[Élie Kagan, « Bidonvilles de Nanterre », 21 octobre 1961 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]
L’atmosphère que vous décrivez est très sombre, très dure. Pour autant, vous ne tombez jamais dans une forme de fatalisme. On sent cette envie, malgré tout, d’ouvrir les horizons au pied de biche.
Cet esprit de révolte est ce qui m’a aussi permis de réussir à sortir du bidonville. J’avais cet élan, cette envie d’aller vers les autres. Quand j’étais encore à l’école Anatole-France, j’étais à peu près le seul à avoir un copain français. Sinon, le reste du temps, ça passait par des bagarres à la sortie. Durant cette période les rapports entre les Français et ceux qui habitaient au bidonville étaient rudes, ça ne se mélangeait pas. Dans la classe non plus d’ailleurs : les petites têtes blondes devant, les Portugais et les Espagnols au milieu et, au fond, les petits comme nous avec la boue sur les chaussures. Les familles françaises habitaient dans la zone pavillonnaire, de l’autre côté de l’avenue de la République. Parmi ces familles, on avait quand même quelques amis. Je me souviens des Letertre, qui avaient une petite maison qui longeait le bidonville… mais c’est tout. Pour le reste, on était exclus. Les Français ne voulaient pas se mélanger. Dès qu’ils nous voyaient, ils nous disaient : « Je parle pas avec un Arabe, il a un couteau dans la poche » ou encore « C’est des voleurs… » Des clichés comme ça, on en entendait à longueur de journée. Mais moi, quand même, j’avais ce copain. Sa famille m’avait ouvert la porte alors que son père était militaire !
Comme beaucoup, vous quittez rapidement l’école…
« Ça ne se mélangeait pas. Dans la classe non plus : les petites têtes blondes devant, les Portugais et les Espagnols au milieu et, au fond, les petits comme nous avec la boue sur les chaussures. »
Vers 1968–69, j’ai arrêté l’école. Mon père n’arrêtait pas de faire des allers-retours entre le travail et le chômage. J’ai trouvé un travail pour aider un peu ma famille à la papeterie de la Seine. Ça a duré six mois. Je regagnais l’estime de la communauté avec ce travail mais c’était assommant, je n’en ai vite plus voulu. C’était un peu tendu, il commençait à y avoir plus de problèmes de chômage. Mon père était dans le bâtiment mais il ne trouvait plus de poste. J’ai essayé de le faire engager à la papeterie mais il n’y est pas resté.
Quelles étaient les conditions de travail et les relations avec ce monde-là — notamment avec les communistes —, du point de vue des immigrés ?
Les rapports entre Français et immigrés n’existaient que dans le travail : ils n’acceptaient de se fréquenter que quand ils allaient bosser. Mais il y avait déjà des tensions. « L’immigré qui vient voler le travail du Français », tout ça. Les communistes, c’est dur à dire, mais ils nous voyaient d’un mauvais œil. Nos parents n’étaient pas aussi politisés, ils n’avaient aucune notion de la grève. Pour eux, il fallait travailler. Du coup, ils étaient très mal vus par les ouvriers français qui les considéraient comme des briseurs de grève… C’est ce qu’ils disaient d’ailleurs : « Les immigrés ne participent pas. » Comme si on n’était pas de leur classe ! Pour eux, on n’appartenait pas à leur monde. Nos parents, nous, on était des gens qui venaient faire leur boulot à leur place. Point à la ligne. Moi, là où j’ai travaillé, à Flins, c’était la CGT qui régnait en maître, c’étaient eux qui dirigeaient, qui donnaient les ordres. Il n’y avait pas de représentants de la communauté ouvrière maghrébine ou immigrée, ça n’existait pas. Nos parents non plus n’avaient pas de relations avec le parti communiste, ou que rarement. D’ailleurs, on n’avait aucune idée de ce qu’était le PC, le PS. On ne les voyait qu’à travers les affiches pour les élections, avec la tête de Barbet, tout ça. Je savais que le Parti communiste existait parce qu’il y avait Georges Marchais, bien sûr. Il nous faisait rire des fois quand on le voyait à la télé, avec sa manière de parler. Mais rien d’autre. Aucun de nous n’avait vraiment une vision claire, une idée de ce qu’était le PC. Finalement, le PC, à cette époque, c’était la mairie. Et la mairie, franchement, elle nous mettait des bâtons dans les roues dès qu’on essayait quelque chose, comme avoir accès à l’eau. Sur l’ensemble des bidonvilles à Nanterre, il n’y avait que la fontaine du bidonville de la Folie à cette époque. Du pont de Rouen où j’habitais, on marchait près de quarante minutes pour simplement ramener l’eau chez nous
[Élie Kagan, « Usine Renault de Flins, première fête de Lutte ouvrière : concert de Claude Nougaro », 31 mai 1971 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]
C’est à cette période que naissent les premiers mouvements étudiants de Nanterre. Est-ce que ces milieux ont pu interagir, se croiser ?
Il faut savoir qu’avant, l’université, c’était une zone interdite pour nous. On était petits, en pleine guerre d’Algérie, avec la police, l’OAS… Imaginez traverser cette enceinte du vieux camp d’aviation militaire sur des kilomètres, sans aucune issue. La nuit, on avait très peur. Nos parents nous interdisaient d’y aller. Nos parents, la mairie, les anciens, mais aussi les grands frères, qui ont pris la suite des anciens. Tous essayaient de nous cadrer. À ce moment-là, pour moi, clairement, le bidonville, c’était la prison. Une cellule à ciel ouvert où on se retrouvait tous ensemble enfermés. J’avais le sentiment que je n’avais aucune échappatoire, ma vie était un enclos. À part les quelques bandes de loubards, les Blousons noirs qui étaient un peu les anarchistes de cette période, il n’y avait aucune raison de se croiser avec les Français. Par conséquent, le reste du temps, on vivait en communauté, refermée, en cercle, de manière tribale. C’était tout tracé, je devais suivre le chemin : épouser une femme arabe, faire des enfants et travailler. À l’époque, dans le bidonville, il n’y avait qu’un seul homme qui vivait avec une Bretonne, Aïcha. Elle avait changé de prénom en arrivant là. C’était la seule, on n’imaginait pas pouvoir vivre avec une Française, qu’on pouvait sortir ensemble. C’était un peu comme avec les Noirs aux États-Unis, la ségrégation : une Blanche ne marchera jamais avec un Noir. C’étaient des mondes qui se faisaient face, avec le quartier pavillonnaire des Français d’un côté, les bidonvilles de l’autre. Le bidonville de la Folie, celui des Pâquerettes — à l’époque on l’appelait Tartarins — et jusqu’au bidonville de la rue des Prés, près des papeteries, et celui du pont de Rouen, sur les bords de Seine : tout ça faisait vraiment un cercle autour de l’université. Il y avait comme une frontière physique entre ces deux mondes — trois mondes devrais-je dire, avec l’université.
« C’était un peu comme avec les Noirs aux États-Unis, la ségrégation : une Blanche ne marchera jamais avec un Noir. »
Mais un jour, Mustapha, un des habitants du bidonville, est revenu de Paris tout remué : « Il y a les Français qui se battent entre eux. Il faut plus sortir du bidonville ! C’est la terreur dehors ! » Quand tu connais la tragédie algérienne, pour eux, ce moment, c’était un peu comme revivre la guerre. Mais avant, c’étaient des Algériens contre des Français ; là, c’étaient des Français entre eux… Nos parents ne comprenaient plus rien : « On ne sait pas ce qui se passe, il vaut mieux rester à l’abri. » Et c’est à ce moment-là que, d’un coup, les murs qui séparaient le bidonville de l’université sont tombés. C’était un peu comme avec le mur de Berlin : il y a eu une ouverture. On est arrivés avec quelques jeunes et on a fait un tas de rencontres. On s’est rendu compte que les étudiants n’avaient pas du tout les mêmes préjugés envers nous que les autres Français de Nanterre. Là, à la fac, d’un coup, c’était très différent. Ils t’accueillaient, ils te parlaient. Ce qui était impossible auparavant est devenu possible. Mai 68, ça a été marquant pour moi, c’était un peu comme un mirage, c’était la liberté. Ça m’a vraiment permis de m’ouvrir… L’université, c’était comme s’échapper.
Qu’est ce qui vous a le plus marqué ?
Les concerts de jazz, les Black Panthers, Jim Morrison… Toute cette culture n’existait pas dans le bidonville. Nous, on avait Rapat, les danses allaoui… C’était la culture arabe, les musiques arabes. Et nos parents n’étaient pas instruits, mon père ne savait pas lire. Du coup notre culture était souvent réduite à ce que les parents savaient déjà, ou à ce que les anciens leur disaient. Il y avait ceux qu’on appelait les marabouts. Ils connaissaient bien le Coran, ils détenaient la parole et avaient une capacité de jouer avec les mots, le langage. Leur parole était sacrée, on ne pouvait pas la remettre en cause. On n’avait pas les capacités, on ne maîtrisait pas la langue arabe, donc pour nos parents, c’était « Il a dit », « Il a dit »… Et quand ils disaient « Il a dit », il fallait justement ne plus rien dire et se taire ! En face, d’un coup, l’université ouvre, avec la musique, le jazz, tout ça… Les étudiants, eux, avaient accès aux livres. Ils venaient, ils nous mettaient parfois devant nos contradictions : « Ça se passe comme ça, faut pas croire… » Tout une autre culture est venue s’ajouter à la nôtre. Avant, j’avais une vision de la culture française qui était celle de l’école, celle de « Nos ancêtres les Gaulois », que j’avais toujours refusée. Il y avait vraiment une fracture entre les deux cultures. Et quand j’ai découvert ces étudiants, ce n’était plus du tout cette vision. Ça s’ouvrait, ça se rencontrait.
[Élie Kagan, « Manifestation à l'université de Nanterre et manifestation de l'UNEF et du SNESup dans la cour de la Sorbonne », 2 et 3 mai 1968 | Collection de la bibliothèque La contemporaine
]
Comment ?
Ces rencontres, elles se sont nouées quand il se passait quelque chose, autour du bordel. Avant 68 déjà, il y avait des échauffourées, des bagarres à l’université. Et moi je faisais partie de ceux qui osaient déjà un peu entrer à l’université. Je participais aux bagarres. C’est comme ça que ça s’est construit, sans avoir ni projet ni rien du tout. Jacques Barda, l’ancien compagnon d’Annette Lévy, qui venait de l’École des Beaux-Arts, est arrivé un jour au bidonville un peu après 1968. On avait ce problème d’approvisionnement en eau et il voulait percer la canalisation pour la faire dériver jusqu’au bidonville ! C’est comme ça qu’on s’est croisés et c’est de là que c’est parti. Jacques, c’était plutôt une sorte de recruteur de Vive la révolution [VLR], il cherchait des personnes qui avaient du bagou. À l’époque, il y avait deux groupuscules qui étaient un peu rivaux. Il y avait VLR qui était plus du côté festif et la Gauche Prolétarienne [GP] qui était plutôt très carrée. Moi j’ai vite choisi VLR pour ce côté spontané, c’est ce que j’aimais. Je me disais : vivre vite et mourir jeune. Je ne voulais pas sortir du bidonville pour retrouver ce côté très militaire et fermé.
« Je me disais : vivre vite et mourir jeune. Je ne voulais pas sortir du bidonville pour retrouver ce côté très militaire et fermé. »
Il y avait aussi un groupe à l’intérieur de l’université avec des Martiniquais, dont Roland Junod — un étudiant du Jura suisse, mon copain —, qui avait appris à jouer des percussions et faisait de la philo. Les copains avaient introduit la musique antillaise ; Roland, lui, c’était plutôt jazzy ; en fréquentant VLR et le Front de libération de la jeunesse [FLJ], la pop est entrée dans le jeu. Ça se passait plutôt en extérieur, ici, sur place, à Nanterre. On appelait ça des trucs sauvages, la France sauvage. On se retrouvait avec des bouteilles, un bout de shit et on faisait la fête. Des fois, à l’université, des gars mettaient de la musique à la fenêtre d’une chambre, alors chacun ramenait quelque chose et c’était parti ! Ça nous faisait la soirée. On finissait le soir avec de grands feux vers la résidence à l’université et quand on avait un peu trop bu, on se retrouvait sur l’île. Ça sortait les instruments, les tambours, on recréait un peu nos univers imaginaires, la savane, le bled. C’est de là qu’est venue la musique… C’était les débuts de Bob Dylan, ça chantait du Brassens. Ça bougeait entre l’université et des bâtiments des bidonvilles. Aux Marguerites, il y avait des appartements où on se retrouvait avec les gens de VLR. On se retrouvait à cinq ou six quand on descendait pour les manifs. Il y avait Khetib, Alain… Ah, Alain ! À l’époque on l’appelait pas comme ça, on l’appelait Khekhet’ ! Je n’ai su qu’après qu’il était mort en prison… De cette époque, j’ai gardé beaucoup de liens : avec Richard Deshayes, du FLJ, avec Henri Leclerc, l’avocat, Yann Chouque, Roland Junot, des amis qui habitaient Nanterre. Certaines relations sont restées, d’autres se sont brisées tout de suite. Mais tout ça, ce moment d’ouverture, ça s’est vite refermé.
Vous décrivez assez durement des formes d’instrumentalisation et un certain paternalisme des « gauchistes », notamment au sein du premier Comité Palestine…
Oui. À Nanterre, tu avais peu de choix à cette période : la communauté, l’université, quelques bâtiments où ça bougeait un peu comme aux Marguerites et le Comité Palestine de Gilbert Mury, qui se trouvait un peu plus loin, au quartier du Chemin-de‑l’Île. Il recrutait les jeunes Maghrébins des alentours. Là, on était plusieurs de la même bande à s’y retrouver, un peu fiers de retrouver dans la cause palestinienne celle de la reconnaissance pour l’indépendance des anciens. Mais ça a été vite faussé, moins la cause que le soutien. Dès qu’on a tenté de parler des conditions de vie dans les cités de transit et dans les bidonvilles, ça coinçait. Et puis Gilbert Mury, c’était déjà un ancêtre, le vieux modèle du PCF dont il avait été exclu, mais sans pouvoir ni force. Il régnait sur sa troupe avec son garde du corps, Messaoud, un agent du FLN et de l’Amicale des Algériens. On est vite allés voir ailleurs. VLR m’a attiré par son aspect festif, les rencontres, je l’ai dit ; là, devant ce cadre aussi rigide qu’au bidonville, on s’est tirés.
[Élie Kagan, « Comités Palestine à la Mutualité, avec Gilbert Mury : An 5 de la révolution armée palestinienne, 14 janvier 1970 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]
C’est à cette époque, durant les années 1970, qu’une politique de chantage à l’expulsion se met en place pour les immigrés…
Avec le nouveau président de l’université, René Rémond, les portes ont commencé à se refermer. Il décidait de qui entrait et de qui sortait. Dans le bidonville c’était pareil : on commençait à faire le tri entre les familles. Celles qui n’étaient pas « bonnes », qui étaient là au départ du mouvement. Elles ont rapidement été expulsées. Que des immigrés plutôt de la jeune génération commencent à se politiser, c’était mal vu, ça dérangeait. L’expulsion renvoyait la patate chaude de l’après 1968 aux Algériens et ils devaient se débrouiller avec. C’était la période où Marcellin et Pleven expulsaient facilement. Ce que je n’ai pas décrit dans mon livre, c’est l’Amicale des Algériens. Elle a eu un rôle dans cette fermeture. Tous ces jeunes Algériens qui venaient à l’université devenaient problématiques pour elle, pour ses rapports avec le consulat. L’idée qui se développait était très claire : « Attends ! Si tous ces jeunes, à un moment, débarquent chez nous, ça va être le bordel ! » Ils s’inquiétaient. Donc, à un moment, il y a une concordance, une coordination même, autour de l’idée selon laquelle « Il faut rétablir un peu d’ordre là-dedans »… Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, les policiers venaient, ciblaient des gens, nous foutaient des claques sans raison, mettaient en œuvre ce chantage à l’expulsion. La police et nous, on n’était pas copains du tout. À cette période, je suis vraiment parti en révolte contre le système, je voulais tout casser. Le gauchisme m’a un peu permis d’exprimer toute cette rage accumulée. Je faisais ce que je voulais. C’était : « On verra ce qu’ils feront. » Je commençais à moins traîner au bidonville.
Puis cette coercition est passée à une répression policière violente…
« Ce jour-là, on avait décidé avec des membres de la GP d’utiliser les premières rangées comme boucliers et de bazarder un paquet de cocktails Molotov. »
À ce moment-là, il y a eu Richard. On lui a tiré dessus. C’était un tir tendu de grenade lacrymogène lors d’une manifestation à Paris. Là tu as un copain qui est au sol, tu peux pas laisser passer ça. Je me rappelle qu’on avait eu une réunion à la Maison peinte [pavillon prêté par la Cimade, près des Pâquerettes, où se réunissaient des militants immigrés, ndlr] avec les militants de VLR : tous prônaient la révolution mais, d’un coup, ils ne voulaient plus aller manifester, ils ne voulaient plus continuer. Ils disaient : « On peut rien faire… » Richard, à qui on avait crevé un œil, c’était tant pis pour lui ! Ça m’a choqué. Richard, je l’aimais, c’était un ami, un frère. Quand j’étais dans la merde, c’est lui qui m’a aidé. J’ai trouvé injuste ce qui lui est arrivé. À ce moment-là, il y a eu comme une fracture avec VLR. Je me suis dit que ça n’est pas avec ces gens-là que le changement se ferait. Je ne suis plus vraiment revenu à la Maison peinte après ça. Je me suis retiré, j’avais l’impression de ne plus faire partie de cette communauté à laquelle je tenais. Cette histoire m’avait vraiment abattu.
Il y a pourtant eu le Palais des sports où une grosse manifestation anti-policiers était prévue. On a eu une baston pas possible avec la police. Nous, on est arrivés avec ce groupe très informel que VLR utilisait en manif. Un groupe qui venait d’Argenteuil, des Marguerites et qui était très violent. Ce jour-là, on avait décidé avec des membres de la GP d’utiliser les premières rangées comme boucliers et de bazarder un paquet de cocktails Molotov. La police ne s’y attendait pas du tout. Il y a eu une répression très violente. Dès qu’ils ont compris qu’il y avait une volonté de faire mal, ils ont sorti leur brigade d’intervention avec les motos [le peloton des voltigeurs motoportés ou motorisés (PVM), ancêtres des Brigades de répression de l’action violente motorisée (BRAV‑M) créées en 2019, ndlr], une brigade qui a été créée juste après que Richard ait été blessé. Là, on a senti que le vent était en train de tourner.
[Élie Kagan, « Le 17 octobre 1961 : métro Solférino », 17 octobre 1961 / « Manifestations contre les violences du 17 octobre 1961 et contre la guerre d'Algérie : le PSU à la place Clichy et à la place Maubert », 1er avril 1961 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]
Ça commençait à être très, très violent. Le nouveau contingent policier qui arrivait avait clairement le champ libre. Je me souviens qu’on se faisait contrôler sans même savoir pourquoi, des dizaines de fois, toutes les trois minutes, qu’on nous tutoyait : « Qu’est-ce que tu fais là le bougnoule ? » Un degré de plus avait été franchi. Quand j’ai été arrêté, à la préfecture, on me mettait des coups de Bottin, ça ne laissait pas de traces… Tu sentais qu’on avait laissé libre cours à leurs pratiques, qu’ils savaient qu’ils ne seraient pas inquiétés et qu’ils pouvaient y aller. Et puis, ils devaient penser qu’on ne porterait pas plainte. La police n’avait plus du tout la même manière d’aborder les manifs qu’avant. Les groupuscules non plus. La GP était déjà dans l’idée de passer dans la clandestinité pour éviter cette répression plus sauvage. Moi je me suis fait avoir à l’université. Un gars m’avait filé un bout de shit. En sortant du restaurant universitaire, il y avait des flics tout autour de nous. Ils ont embarqué Nordine et Madjid. J’ai compris que c’était un coup monté.
Après cette ouverture, ça s’est refermé violemment.
« Tu te dis que dans ton propre pays, t’es devenu immigré par la force des choses. »
Quand je suis sorti de prison, j’avais rejoint Richard Deshayes. Parce que, quand VLR est arrivé en bout de course, lui avait créé le Front de libération des jeunes, avec son journal Tout. À cette époque, moi, je naviguais entre le FLJ et la cité d’urgence des Marguerites, je naviguais entre les lignes, d’un côté et de l’autre. J’ai gardé longtemps un lien avec mes parents qui habitaient à la cité des Prés, vers les Marguerites, vers Bezons. Et puis je suis parti. Je me sentais complètement déclassé — la prison fait le vide. Tu n’as plus que quelques amis, j’avais plus que Richard Deshayes, Françoise et Danièle que je connaissais de la fac. Je me suis rendu compte que ça avait été une période de liberté où l’on pouvait tout faire et que c’était retombé — la grande descente. Ça n’était même pas une désillusion, tu tombais de si haut ! Tu te retrouvais pratiquement tout seul, et tu devais te démerder avec ça. C’était très dur. Pour beaucoup. Et moi, je me suis retrouvé seul dans le circuit, je devais agir et ne plus compter sur personne.
Et c’est là que le « nous » est revenu, le « nous » de la communauté, celui qui te remet dans le circuit, celui de tous les jeunes immigrés qui sont restés à Nanterre et qui y sont encore. Ce « nous », c’était un peu le retour à la culture algérienne, maghrébine, de l’immigration… Cette période, c’est celle où je revenais souvent à la cité, mais ça n’a pas duré très longtemps. Avec les amis du bidonville, on n’avait pratiquement plus le même langage, la même vision de « nous », de nos vies. C’était très dur comme sentiment, je perdais beaucoup d’amis d’enfance. Et lors de ma deuxième arrestation, ma famille a été expulsée. Je l’ai appris depuis la prison. Mon petit frère, Hocine, a été le plus marqué. Il était en apprentissage ici, il a perdu tous ses amis. Il a dû réapprendre tout là-bas, à commencer par l’arabe. Dans mon livre je parle du « pays », je dis « enAlgérie », je décris comment serait pour moi « ce retour ». Mais ce retour est une illusion, c’est un rêve : c’est le mythe du retour. En fait je n’y suis retourné que bien plus tard. J’avais fui en Suisse. De retour au bled, on nous appelait « les immigrés ». Tu te dis que dans ton propre pays, t’es devenu immigré par la force des choses. Le seul truc intéressant pour eux, ce sont les devises qui arrivent avec nous. On contribue, comme à l’époque de la guerre et de la Fédération de France du FLN.
[Élie Kagan, « Bidonvilles de Nanterre », 21 octobre 1961 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]
C’est vrai que toute cette période, ça a été très dur pour moi. C’est aussi pour ça que j’ai voulu la coucher par écrit ensuite. Ça a été salvateur, finalement, quand je regarde les choses maintenant. D’un coup j’ai pris conscience de cette époque entre le bidonville, l’université, la prison. Durant cette période, j’étais visé par un décret d’expulsion. J’ai passé une année en clandestinité. Ce sont les réseaux des amis de la fac qui m’ont planqués. Je suis d’abord allé à Paris avec Richard Deshayes, ensuite à Toulouse chez un professeur de l’Arsenal, et puis en Bretagne, à Lannilis, dans l’Aber Wrac’h, chez Yves Gourves, qui était un des douze membres qui avaient fait sauter la préfecture de Rennes, pour le Front de libération de la Bretagne. Et après, Henri Leclerc et Yann Chouque m’ont proposé l’Espagne pour m’exiler, et puis le Brésil. Mais qu’est-ce que j’allais faire au Brésil en pleine dictature militaire, et en Espagne avec Franco ? Au dernier moment, Leclerc il dit : « Ah ! Il y a une possibilité pour la Suisse. » Ça devait être en 1970–71, ou en 72. Et c’est comme ça que je me suis reconstruit à Genève. J’ai eu une autre vie. Je me suis refait des amis, qui m’ont aussi aidé dans cette route. C’est là que j’ai rencontré ma femme, avec qui j’ai écrit le livre.
Pouvez-vous justement nous parler de la genèse de ce livre, La Menthe sauvage ?
« J’ai ressenti le besoin d’apporter cette pierre à l’édifice. Ce qui a été écrit était vu exclusivement de l’extérieur. »
Finalement, si Jacques n’était pas venu au bidonville pour percer une canalisation, si leur révolte à eux en tant que jeunes n’était pas arrivée à nous, si le mur n’était pas tombé, si je n’avais pas participé à tous ces trucs, y compris les plus violents, il n’y aurait peut-être pas eu tout ça. La Menthe sauvage, au début, c’était surtout pour sortir tout ça, cette période difficile à Nanterre. Pour l’expurger. Ensuite ça a été aussi pour mes filles, qui ont grandi ici, pour qu’elles comprennent d’où je venais, ce que j’avais vécu. Décrire ma trajectoire. Parce qu’à force de me l’entendre dire, je ressentais que mon parcours était un peu particulier, alors j’ai voulu laisser une trace, témoigner, ne pas oublier. C’était aussi une manière de resituer l’histoire des bidonvilles, de les décrire enfin de l’intérieur. Même Mehdi Charef avec Le Thé au harem d’Archimède, il ne parlait pas des bidonvilles. Ou bien je voyais passer des trucs où on racontait n’importe quoi ! Je me disais : « C’est pas possible, il faut faire quelque chose. »
D’où cette phrase d’introduction de Magressi : « On en a marre de voir l’Histoire écrite par d’autres, on est mûr pour l’écrire nous-mêmes. »
Oui, c’est parti de là. À force de voir des choses qui n’étaient pas vraies, ou largement faussées, j’ai ressenti le besoin d’apporter cette pierre à l’édifice. Ce qui a été écrit était vu exclusivement de l’extérieur. Il y a bien celles et ceux qui avaient milité, comme Monique Hervo et son livre Bidonvilles : l’enlisement, publié chez Maspero. Mais c’était surtout des entretiens. Et puis, à cette période, il y avait plein de petites autobiographies de jeunes qui étaient publiées mais les éditeurs, ça les arrangeait bien, parce que ce style, ça leur permettait de réécrire beaucoup. Souvent, c’étaient des jeunes qui n’arrivaient pas à bien écrire. Le livre a failli être publié au Seuil. C’était un ancien mao, Olivier Rolin, qui me l’avait demandé au départ. Mais ils l’ont refusé finalement, on m’a dit que le livre était trop sombre, ils auraient aimé des aspects positifs, plus joyeux, pour l’avenir. Ils voulaient réécrire, justement, et moi je ne voulais pas lisser. Pourtant, à cette époque, j’avais quand même une certaine pudeur, je n’ai pas tout dit… Il y a certaines choses vécues, pour moi intolérables, que je n’ai pas décrites. Et puis finalement le livre a été refusé de nouveau : « On a dépassé notre quota de récits sur l’immigration », m’ont-ils dit !
Photographie de bannière : Élie Kagan, « Bidonvilles de Nanterre », 21 octobre 1961 | Collection de la bibliothèque La contemporaine Photographie de vignette : émission Céline, ses livres
Brigade créée en 1961, faisant partie du dispositif répressif pour éviter le développement de bidonvilles et les protestations lors des démantèlements [ndlr].↑
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Publié le 29 mars 2023 dans Antiracisme, Littérature par Ballast
Le maire socialiste d'Évian-les-Bains Camille Blanc) devant le Palais des Fêtes d'Evian-les-Bains, le 23 mars 1961, quelques jours avant son assassinat par l'Organisation Armée Secrète (OAS) le 31 mars 1961.
Accords d'Evian : une "mémoire discrète"
62 ans plus tard
Evian (France) - La ville d'Evian garde peu de traces des Accords du 18 mars 1962 ouvrant la voie à l'indépendance de l'Algérie, largement occultés dans les mémoires locales par l'assassinat du maire, tué dans un attentat avant même l'ouverture des négociations.
31 mars 1961, "flash" de l'AFP: "M. Camille Blanc, maire d'Evian, est mort des suites de ses blessures". Deux "puissantes charges de plastic" ont éclaté "à 02H35", "à 15 secondes d'intervalle", dans l'impasse séparant "la mairie de l'hôtel Beau Rivage, propriété et résidence de M. Blanc".
Socialiste, grand résistant, ce militant de la paix avait oeuvré pour accueillir dans sa ville les pourparlers qui déboucheront un an plus tard sur un cessez-le-feu destiné à mettre fin à la guerre d'Algérie.
L'élégante cité thermale est sous le choc. "C'était un coeur d'or", pleurent les habitants.
Aujourd'hui, que reste-t-il ? « Rien ».
Les Evianais ont décidé de tourner la page après l'assassinat", d'autant que dans cette ville d'eau proche de la Suisse, les Accords ont "été associés à deux saisons touristiques catastrophiques en 1962 et 1963", résume l'ancien adjoint municipal PS Serge Dupessey, 78 ans.
"Il n'y a pas d'endroit", pas de lieu de commémoration, car "on sent encore cette blessure" de l'assassinat et la guerre d'Algérie demeure "un épisode sensible", décrypte la maire d'Evian Josiane Lei (DVD).
L'hôtel Beau Rivage est aujourd'hui à l'abandon.
Sur sa façade décrépie, une plaque rend hommage au maire assassiné. Sans mention de l'implication de l'OAS, organisation clandestine opposée à l'indépendance algérienne.
- "Guerre civile" -
Les visites guidées de l'Office du tourisme font halte ici, ainsi qu'à l'hôtel de ville contigu, ancienne résidence d'été somptueuse des frères Lumière, les inventeurs du cinéma.
Une verrière soufflée par l'attentat n'a pas été refaite à l'identique "pour précisément rappeler ce drame", explique Frédérique Alléon, responsable de l'Office.
Les visites guidées excluent l'ex-hôtel du Parc, plus excentré, où les délégations du gouvernement français et du FLN discutèrent pendant des mois, sous haute surveillance.
L'établissement Art-déco dominant le lac Léman est devenu une résidence privée, le "salon inondé de soleil" où furent conclus les Accords, comme le racontait l'envoyé spécial de l'AFP le 18 mars 1962, a été transformé.
"On a voulu accompagner notre circuit historique jusqu'à l'entrée du parc" de l'ancien palace, mais habitants et résidents "ont eu du mal à accepter", explique la maire d'Evian.
Serge Dupessey se souvient aussi que "c'est un Evianais de l'OAS qui a assassiné, avec des complices évianais" et "que de la famille de l'assassin habite encore ici". Ce qui selon lui, a pu entretenir une "atmosphère de guerre civile".
Aussi, ses efforts pour convaincre au début des années 1990 l'ancien maire Henri Buet de "faire quelque chose" en mémoire des accords sont-ils restés vains.
Même refus en 2011 d'un autre maire, Marc Francina, de baptiser une rue du nom des Accords du 18 mars.
Et lorsque, pour le 50e anniversaire, la société d'histoire savoisienne La Salésienne réunit des universitaires au Palais des Congrès, "des anciens de l'OAS, venus avec un cercueil, manifestent devant", raconte son président Claude Mégevand.
Un autre témoignage
Camille Blanc, maire socialiste (SFIO) d'Évian-les-Bains, surnommé « l’homme des congrès », était un pacifiste convaincu qui œuvrait pour la paix en Algérie. Issu d’une famille de maraîchers, dont il avait gardé la sagesse et le bon sens paysan, il fut résistant durant la guerre 1939-1945, arrêté et torturé, il ne pouvait que comprendre ce que subissait les Algériens. Il reçu la médaille de la Résistance et la médaille de la Reconnaissance française à la libération. D'abord cafetier à l’Eden Bar, propriété de son épouse Maria-Gabrielle Pertuiset, qui fut le lieu de rencontre le plus prisé de l’époque. Il devient ensuite hôtelier au Beau-Rivage, l'hôtel qui jouxtait la mairie. Ses qualités de combattant, sa gentillesse et sa simplicité lui valurent d’être élu maire successivement en 1945, 1947, 1953 et 1959, il gagna à chaque fois avec une confortable majorité. Printemps 1961, Evian se préparait à accueillir les délégations françaises et algériennes qui négociaient en secret les conditions du cessez-le-feu d’une guerre qui ne disait pas son nom.
Dans la nuit du 30 au 31 mars 1961, vers 2h30 heures du matin, Camille Blanc entend une explosion, sa voiture vient de sauter, il s'approche de la fenêtre de sa chambre sans imaginer que la folie de l'OAS lui donne un rendez-vous macabre. Un engin explosif lui saute à la figure, une charge avait été placée sous sa fenêtre. Sa femme est légèrement blessée par les éclats de verre, son fils est indemne. L'explosion a réveillé la ville, les fenêtres s’éclairent une à une, la ville est pétrifiée. Très vite l'information circule "c’est un attentat. Le maire était visé, il est blessé".
Blessé au cou et atteint gravement à la tête, Camille Blanc est transporté à l'hôpital. Le matin du 31 mars 1962, la France apprend sa mort à 49 ans. Il voulait la paix en Algérie, il l’a payée de sa vie car les colons d'Algérie et le patronat français ne voulaient pas perdre leur poule aux œufs d'or. L'OAS se serait chargé de la basse besogne. Abrité derrière l'organisation terroriste, personne n'imagine que des hommes, et des femmes, dit respectables, finançaient des attentats et commanditaient des assassinats, directement et parfois par des voies détournées. Encore aujourd'hui, seul un murmure ose dire cette horrible vérité, parce que leur capacité de nuisances n'est plus à démontrer.
Qui a pu avoir l'idée de cet attentat, plusieurs hypothèses ont été envisagées par le commissaire Pouzol en charge de l'enquête. L'ordre venait-il de la direction de l’O.A.S. ? Le policier ne le croit pas, Lagaillarde venait de passer un accord avec Salan. Les actions O.A.S. en métropole n'auraient débuté qu'après l'arrivée de l'ex-capitaine Sergent et de l'ex-lieutenant Godot. Mais grâce à Georges Fleury, on apprendra, quelques années plus tard, que le meurtre de Camille Blanc était à mettre sur le compte des colons d'Oran qui avaient organisé la campagne contre les accords d'Evian.
Les poseurs des bombes ne sont arrêtés qu'en juin 1966. Pierre Fenoglio est un ancien d'Indochine, proche de l'extrême droite. Il reconnaît avoir placé les explosifs tout en niant l'intention de tuer le maire d'Evian. Paul Bianchi, de sa retraite allemande, écrit au juge d'instruction de la Cour de sûreté de l'Etat, après l'arrestation de Fenoglio, pour l'informer qu'il n'avait donné qu'une seule consigne : saborder deux des piliers qui soutiennent le ponton du débarcadère d'Evian sur le lac Léman, afin de signifier que les partisans de l'Algérie française n'admettraient pas qu'une délégation du G.P.R.A. soit reçue en France pour des négociations. Fenoglio sans nier la consigne initiale, affirme que Bianchi avait ajouté que si cette mission ne pouvait être accomplie, le plastic serait alors déposé à la mairie d'Evian ou sur les fenêtres de l'hôtel Beau Rivage, propriété du maire et lieu de son domicile. Pour Pierre Fenoglio, le dépôt du plastic au débarcadère a été contrarié par la présence d'une voiture qui semblait appartenir à la police. C'est pourquoi il renonça à fixer ses charges sous le ponton ainsi qu'à la mairie, car il lui aurait fallu monter sur la terrasse, d'où il pouvait être vu par les occupants de cette voiture de police. A l'hôtel Beau Rivage, il était à l'abri de tout regard, la fenêtre sur laquelle il déposa l'engin donnait sur une impasse. Toute la France et même l'Algérie savait que Camille Blanc était menacé, aucune protection n'était présente pour assurer sa sécurité. On peut s'en étonner car si Fenoglio avait repéré cette impasse, les services de sécurité ont dû aussi la remarquer.
En 1967 au procès, l'accusation, soutenue par l'avocat général Pierre Aquitton, ne croit guère aux explications de Fenoglio. Elle pense que le seul objectif était le maire d'Evian, pour cela elle se fonde sur différents éléments. Elle note que dès que fut connu le choix de la ville d'Evian pour les premiers pourparlers entre la France et le G.P.R.A., la presse d'extrême droite déclencha une violente campagne contre le maire d'Evian. L’Echo Dimanche d’Oran affirmait que celui-ci ne se contentait, pas de mettre sa ville à la disposition des organisateurs, mais encore qu'il se réjouissait d'accueillir les délégués du G.P.R.A., qu'il considérait cela " comme un festival ", qu'il avait même commandé en Hollande des milliers de tulipes, etc. Cette presse sans foi ni loi a véritablement contribué à déclencher la haine contre Camille Blanc. Né à Marseille comme Fenoglio, Pierre Lafond fut député oranais. Il créa l’Écho Dimanche Oran en 1948, il assura la présidence du syndicat des quotidiens jusqu’en 1962. Le 19 septembre 1962, deux jours après la nationalisation par le gouvernement algérien de trois journaux : la Dépêche d'Algérie, la Dépêche de Constantine et l'Écho d'Oran, Claude Estier publiait dans Libération un article intitulé : "Une mesure justifiée". On y lit : "A-t-on oublié ce que furent ces organes avant juillet 1962 ? A-t-on oublié comment ils soutinrent sans défaillance, pendant des années, tous les activistes de l'Algérie française", comment ils applaudirent aux ratonnades et aux ratissages des paras de Massu?". Pierre Lafond resta en Algérie jusqu'à la nationalisation de L'Écho d'Oran en 1963. Il travailla pour les éditions Robert Lafond de 1964 jusqu'en 1978, Robert était son frère.
Paul Bianchi, vendeur d'aspirateur dans la région d'Annecy, est désigné comme le donneur d'ordre du meurtre de Camille Blanc. Il est en Allemagne au moment du procès, il est condamné par défaut à la peine de mort. Tous les autres accusés sont frappés de peines inférieures à celles qui avaient été demandées par le réquisitoire. Pierre Fenoglio, qui déposa les charges de plastic et les fit exploser, prend vingt ans de réclusion criminelle alors que la peine perpétuelle avait été requise. Un an plus tard, en juin 1968, Fenoglio fait partie d'une liste de prisonniers graciés parmi lesquels figure aussi l'ex-général Salan. Jacques Guillaumat, employé communal à Evian, écope de huit ans, le réquisitoire avait demandé vingt ans, gracié un an plus tard lui aussi. Tous les autres ont des peines avec sursis…: Laharotte, Laureau, Felber, Montessuit, Joseph Gimenez et André Pétrier. Claude Laharotte, Marcelle Montessuit, Pierre Laureau, André Petrier et sa femme, ainsi que Guy Montessuit avaient déjà bénéficié de la liberté provisoire dès 1966.
Successivement complexe thermal puis hôpital de la Croix-Rouge américaine pendant la Grande guerre, l'Hôtel du Parc restera à jamais comme le théâtre des accords d'Évian. L'Hôtel du Parc (anciennement Hôtel du Châtelet) était pourvu d'un immense terrain avec une vue grandiose sur le lac Léman. De nos jours, l'immense terrain qui descend jusqu'aux rives du lac a été livré aux spéculateurs immobiliers, repoussant ce lieu historique au second plan. Il reste un accès privé pour accéder à la bâtisse qui a conservé son charme d'antan. Mais pour le vérifier, il faut passer des barrières qui indiquent l'aspect privé du site. La plupart des riverains ignorent totalement les événements abrités par cet hôtel. Sur les lieux : pas la moindre trace des évènements qui se sont déroulés en 1961 et 1962. L'Hôtel du Parc a été reconverti en résidence d'habitation, intégrée dans un cadre architectural appelé «Complexe du Châtelet». Pas la moindre trace des «Accords d'Evian», pas même une petite plaque. Deux plaques commémoratives y font allusion - l'une est à la mairie, l'autre à l'hôpital. Comme si les spéculateurs immobiliers, et même des édiles, avaient voulu effacer l'histoire du lieu. L'Hôtel du Parc ne figure ni dans le patrimoine historique d'Evian, ni dans ses annuaires touristiques.
L'assassinat de Camille Blanc n'a donc pas été puni, bien au contraire, il a fait l'objet d'une habile occultation comme pour la plupart des autres meurtres et attentats de l'extrême-droite. Aujourd'hui cette même extrême-droite gesticule et harangue les foules exactement comme en 1954/62, sans que les pouvoirs publics ne les stoppent. Pire, la majorité des médias leur accorde de larges tribunes comme si la presse française et le gouvernement n'avaient retenu aucune leçon du passé. Il serait sans doute temps que la France affronte ses démons plutôt que de les camoufler, tout en prétendant défendre les droits de l'homme dans d'autres pays.
Les 60 ans des accords d'Evian ravivent le passé douloureux de la guerre d'Algérie
L'ancien hôtel du Parc où les accords d'Évian ont été conclus le 18 mars 1962
C'est en France, sur les rives paisibles du lac Léman, qu'a été scellé en partie le conflit entre l'armée française et les indépendantistes algériens. Les accords d'Evian, signés le 18 mars 1962, proclamaient un cessez-le-feu et ouvraient la voie à l'indépendance de l'Algérie après 132 années de colonisation et huit années d'une guerre sanglante.
Soixante et un ans plus tard, dans cette ville plantée au pied des Alpes, il ne reste pas forcément de traces de ces accords historiques : "Dans la ville d’Evian il n’y a pas d’endroit qui rappelle la signature des accords puisque ils ont été signés dans un hôtel, l’hôtel du Parc qui est maintenant un immeuble privé", explique la maire d'Aix-les-Bains, Josiane Lei. "Le seul endroit où l’on pourrait voir cette vie de 1961, c’est derrière la mairie, l’ancien hôtel où le maire Camille Blanc a été assassiné."
A l'image de l'assassinat du maire de l'époque par l'OAS (Organisation de l'Armée Secrète), ce cessez-le-feu du 18 mars puis le référendum du 8 avril 1962 instigué par le Général De Gaulle n'ont pas suffi à apaiser les tensions. Pour l'OAS, ces accords d’Evian étaient vécus comme un véritable affront et pour l'Armée de Libération Nationale (ALN) ce n'était qu'une étape vers l'indépendance de l'Algérie.
Evian, seulement une étape
"Pour nous, soldats, officiers et commandants, le 19 mars était un jour ordinaire qui ne méritait pas d'être mentionné, car nous étions toujours dans une guerre en cours. Sauf que les accords d'Evian donnaient la date du référendum - le 3 juillet - et la date de l'indépendance - le 5 juillet 1962 ", raconte Mohamed Mokrani, ancien membre de l'ALN.
Soixante ans plus tard, les accords d'Evian continuent de faire débat car le conflit a fait encore de nombreuses victimes jusqu'à l'indépendance de l'Algérie en juillet 1962.
L’Organisation Armée Secrète (OAS) avait pratiqué la politique de la terre brûlée, nous ne l’oublierons jamais…
[1] « Il paraît que, dès le début, M. L’administrateur a réuni ses secrétaires, la nuit, pour leur dire d’une voix sépulcrale : ‘ Messieurs, la France est en danger : les Arabes se révoltent !’ » [2].
En 1960, à quinze ans, la « guerre » d’Algérie m’apparaissait lointaine, comme quelque chose qui se serait passé sur la planète Mars. Pour la plupart des adolescents de mon lycée, le dernier 45 tours de Richard Antony, « Nouvelle vague », ou la compétition entre les deux nouveaux groupes de rock français, « Les Chats sauvages » et « Les Chaussettes noires » étaient bien plus familiers et nous semblaient plus important. « Tu parles trop, J’entends du soir au matin, les mêmes mots, toujours le même refrain... ».
Cette année là, Albert Camus meurt dans un accident de voiture. Ce qui retient alors notre attention, c’est le magnifique bolide dans lequel il se trouvait, une Facel-Véga décapotable, et non ses prises de position sur le conflit algérien tiraillées entre son combat anticolonial et son appartenance à la communauté pied-noir. « Une Algérie constituée par des peuplements fédérés, et reliée à la France, me paraît préférable, sans comparaison possible au regard de la simple justice, à une Algérie reliée à un empire d’Islam qui ne réaliserait à l’intention des peuples arabes qu’une addition de misères et de souffrances et qui arracherait le peuple français d’Algérie à sa patrie naturelle » [3].
Parfois la réalité se rappelait à nous : le frère ainé d’une petite amie avait été appelé sous les drapeaux en Algérie. Brutalement, nous étions confrontés à l’angoisse des parents, à l’attente par toute la famille des lettres du jeune soldat. Quand l’inquiétude avait été trop forte parce que le courrier avait tardé, nous avions droit à la lecture de sa dernière lettre par sa mère, lettre à laquelle il n’avait pas manqué de joindre une photographie. Nous avions bien de la peine à le reconnaître sous son énorme casque qui lui mangeait une partie de la figure, dans une tenue et une pose martiale. « N’est ce pas qu’il a l’air en bonne santé ? Il nous dit qu’il a pris deux kilos... » s’interrogeait sa mère.
« Taxer de colonialiste la politique française en Algérie c’est méconnaître le fait que, loin d’exploiter à son seul profit ce territoire, la France consacre une partie importante de ses revenus à des investissements non seulement économiques mais sociaux au bénéfice des populations autochtones dont la condition s’est, il faut l’admettre sensiblement améliorée, surtout si l’on établit une comparaison avec les pays arabes ».[4]
Voilà ce que l’on nous racontait alors et qui s’inscrivait dans le droit fil du discours sur la fameuse « mission civilisatrice de la France ». Discours d’autant plus accepté que nous apprenions encore à l’école l’épopée de la colonisation de l’Afrique avec les exploits d’un Faidherbe, d’un Lamy et autre Gallieni. Nous nous sentions porteurs des idéaux de la Révolution Française « Liberté, Egalité, Fraternité », dont les successeurs des « Hussards noirs de la République » nous chantaient les louanges. Mais alors, si nous portions en Algérie le flambeau de la culture, de la liberté et du développement pour la population algérienne, pourquoi une partie d’entre elle luttait-elle contre la présence française et pour l’indépendance du pays ? Au début de l’insurrection algérienne, on pouvait bien sûr évoquer des explications plus ou moins anecdotiques : une poignée d’individus, à la solde d’une puissance étrangère ennemie, assoiffés de pouvoir et essayant de déstabiliser la France ! Mais après ?
[1]« Je comprends ici ce qu’on appelle gloire, le droit d’aimer sans limite ». Albert Camus. Stèle à Tipasa.
[3] Albert Camus. « Chroniques algériennes. 1939-1958 ». Mars Avril 1958.
[4] Plaquette du Ministre Résidant en Algérie, Robert Lacoste, député socialiste. « Algérie. Quelques aspects des problèmes économiques et sociaux ». 1957.
Parmi les 40 000 personnes qui vivaient en bidonville en 1960 en France, 10 000 vivaient rien qu'à Nanterre. Deux tiers venaient d'Algérie.
Monique Hervo avait consigné la mémoire des bidonvilles algériens, avant de prendre la nationalité algérienne. On a appris sa mort le 20 mars.
A la date du 16 juillet 1961, une Française de trente-et-un ans née dans une famille de petits commerçants pas vraiment militants avait inscrit dans son "Journal" des phrases comme : "La journée de dimanche fut très particulière : attente, angoisse, calme de surface.“ Evoquant les harkis qui s'étaient installés dans les allées du bidonville de Nanterre, cette jeune femme qui venait de dédier sa vie à la cause de l'indépendance algérienne mais que personne encore ne connaissait, poursuivait encore : "On les rencontrait à tous les coins, à tous les détours des baraques. Pas l'animation habituelle du dimanche. Allée des célibataires : pratiquement désertes. Ailleurs, aussi, chez les familles, on n'entendait pas les postes arabes qu'on entend d'habitude de partout". Un feu couvait ce dimanche de juillet, qui se révèlera meurtrier, quelques semaines plus tard, lorsque des Algériens seront jetés à la Seine, le 17 octobre 1961. Cette date sera la plus traumatique de la guerre d'Algérie sur le sol de métropole, et pourtant elle restera, des décennies durant, l'ornière d'une mémoire enfouie, d'une histoire taboue, et l'évidence muette de responsabilités dérobées.
Parcourir le "Journal" que tenait, les semaines précédentes, cette jeune femme qui s'appelait Monique Hervo, c'est remonter le film et mieux comprendre la séquence. C'est prendre la mesure du sort que la France faisait à ces Algériens qui le 17 octobre 1961, avaient défié la police en manifestant pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qu'on venait de leur imposer. Un grand nombre d'entre eux étaient partis du bidonville de Nanterre, où ils vivaient par milliers, pour rejoindre l'Opéra, les "grands boulevards", et ce Paris qui au fond n'était pas le leur. Le lendemain, à la date du 18 octobre, Monique Hervo, la jeune femme, écrivait dans son "Journal" : "Sorties de l’hôpital de Nanterre – Aux lendemains de la manifestation les blessés par balle, à la sortie de l’hôpital, voient donner leur bulletin de sortie directement remis à la police qui "cueille" le blessé et l’emmène, croit-on savoir, pour trois ou quatre jours à Vincennes. D’ailleurs dans tous les hôpitaux, la police consulte la liste des arrivées et sorties des Algériens. C’est classique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la majorité n’ira pas se faire soigner à l’extérieur, même dans un dispensaire, de peur de se faire arrêter. A la Folie, dans toutes les baraques des célibataires, il y a des blessés, même gravement atteints, des fractures." Le texte se poursuit, il comble un manque.
A posteriori, l'archiviste Anne-Marie Pathé décrira ces liasses de documents qui datent de 1961 comme des "prémices”. Car avec le recul du temps, ce journal et quantités d'autres archives produites par cette jeune trentenaire nous racontent rien moins que le 17 octobre 1961 en train de poindre à l’horizon. C’est-à-dire, la répression policière des Algériens dans cette France d’avant les accords d’Evian, où les autorités entendaient circonscrire l’activité politique de ceux qu’on appelait encore “musulmans d’Algérie” .
Changer l'histoire de bain
Entre le début de la guerre d’Algérie, en 1954, et le cessez-le feu, en 1962, le nombre d’Algériens sur le sol de métropole avait spectaculairement augmenté, passant de quelque 211 000 à environ 350 000 personnes (selon les chiffres du Musée de l’histoire de l’immigration). Plus d'un était arrivé avec pour seule destination, griffonnée sur un coin de papier de l'autre côté de la Méditerranée, ces mots : “Nanterre, la Folie” . A une poignée de kilomètres de l'Arc de triomphe, "La Folie" n'avait rien d'un paradis : vu de plus près, c'était un bidonville. Mais souvent, là-bas, ça ne se savait pas. Ce sont ces hommes et ces femmes qui se découvrent dans ces “prémices” jalonnés, douze années durant, par Monique Hervo. Grande dame de la mémoire algérienne, elle qui pourtant était française, avait décidé d'enregistrer la trace de cette histoire. Alors qu’on a appris la mort de cette militante infatigable, le 20 mars 2023, c’est à leur histoire à eux tous qu'on accède en suivant sa trajectoire à elle, née à Paris dix ans avant la Seconde guerre mondiale qu’on accède en suivant sa trajectoire à elle, née à Paris dix ans avant la Seconde guerre mondiale. On peut désormais aller au Campus Condorcet, et consulter les seize cartons qui sont consignés dans un fonds à son nom à l’Humathèque, la bibliothèque de sciences humaines et sociales du nouveau campus universitaire au nord-est de Paris. C’est là que plusieurs laboratoires ont déposé leurs archives. Or Monique Hervo, en 2008, avait fait don à l’Institut d’histoire du temps présent de ses archives, auxquelles Anne-Marie Pathé et l’historien Jim House avaient mis de l’ordre pour que justement elles soient exploitables.
Monique Hervo a vécu douze ans dans le bidonville de "La Folie" où la seule adresse officielle s'appelait "rue de la Garenne".
Le fonds Monique Hervo, en effet, est riche et surtout, utile. Empruntant ces “prémices”, on suit à la fois une répression en train de se faire, et en même temps l’ordinaire de la relégation en marche. Se dévoilent alors quelques hectares en lisière de capitale qui paraissent inouïs et dont pourtant tout le monde connaissait l'existence. Ce sont ces vies anonymes qui soudain se déploient derrière un nom et les prénoms d'enfants en grand nombre, au travers de descriptions de logements, une pièce tout compris, et puis encore quand il est question des maladies, des papiers, du travail, des promesses, ou de la trace de ce qu’on a laissé derrière et soi et qui souvent ne se dit pas.
Pénétrer dans les archives de Monique Hervo, c'est plonger dans le petit quotidien du bidonville de Nanterre, qui en cette fin des années 1950 abritait environ deux tiers d’Algériens et un tiers de Marocains. C'est aussi se rendre à l'évidence de l'intensité de la surveillance policière, et de tout ce que la préfecture avait pu sous-traiter à ces harkis qui, par dizaines, avaient été missionnés là pour faire respecter l'ordre colonial. Un jour au mois de septembre 1961, des Algériens qui occupaient un vieil hôtel modeste de Nanterre avaient été délogés, envoyés en centre de tri : c’est un poste de surveillance confié aux harkis qu’on avait installé là où ils dormaient, là où ils vivaient. Monique Hervo l'avait écrit, elle avait tout décrit. Dans le journal que tenait la jeune femme, les jours se suivent, et le 17 octobre 1961 approche à la cadence sourde d’un massacre dont, à la lire, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il ne devait pas tant que ça au hasard.
Mais bien avant d'être une source pour mieux faire l'histoire et combler ses creux et ses fossés, dans les années 1960 et 1970, ces papiers avaient déjà compté parmi les très rares traces d’un monde négligé. Au présent. Car Monique Hervo n’était pas historienne, même si c’est dans des archives académiques qu'on retrouve désormais sa trace. Après la Libération, c’est aux Arts Déco de Grenoble, puis aux Beaux-Arts de Paris, qu’elle avait fait ses études. Mais elle qui faisait du scoutisme avait participé, à la fin de la guerre, à l’accueil des déportés de retour à Paris. De cette permanence logée gare de l’Est sur le coup de ses seize ans, l'ancienne guide fera finalement une vocation : dix ans plus tard, on la retrouve, investie dans l’alphabétisation des travailleurs nord-Africains, à donner des cours du soir.
Sa vie en sera changée pour de bon : d’abord volontaire bénévole au Service civil international, elle finira par y rester comme salariée. Nous sommes au seuil des années 1960, et autour de Paris, un no-man’s land à des années-lumière des villes nouvelles se hérisse de bidonvilles. C’est là qu’on loge la main d’œuvre algérienne, une décennie ans avant mai 1968, qui naîtra à l'université de Nanterre à peine sortie de terre, entre les grues. Dix ans plus tôt, Monique Hervo s'était déjà installée dans les baraquements.
Le bidonville de Nanterre comptait un seul point d'eau, mais plus que tout c'était les incendies dans les baraques que redoutaient les habitants.
Monique Hervo avait mis les pieds à "Nanterre-La Folie" en 1959 pour la toute première fois. Elle avait lu dans France Soir qu’un incendie avait ravagé une partie du bidonville. Jeune Parisienne d'une capitale pas encore cerclée des anneaux du périphérique, elle avait sursauté : ainsi y avait-il en lisière de Paris des bidonvilles ? Très rapidement, elle dont la famille avait connu l'exode rural deviendra la témoin privilégiée de cette vie des bidonvilles et en même temps l’habitante des baraques bancales, mitoyenne d’une vie qui n’était pas partie pour être la sienne.
Etablie là comme d’autres le feront à l’usine, c’est ainsi au ras du sol que Monique Hervo œuvrera. Elle sait écrire ? La voilà qui rédige des textes à destination de la presse - qui ne seront pas tous envoyés aux rédactions, et resteront parfois à l’état de brouillon. Elle ne sait pas construire ? Qu’à cela ne tienne : comme une poignée d’autres volontaires du service civil, elle apprend à Nanterre à manier la truelle et des rudiments de charpente. Douze ans durant, elle vivra là, dans le quotidien de ce monde de fortune qui travaille à sa survie de jour comme de nuit. Mais qui, souvent, pointe à l’usine tout le reste du temps.
En 1971, lorsque le gouvernement finit par proclamer l’ère des bidonvilles révolue et raser la Folie, Monique Hervo y vit toujours. On la retrouvera, quelques mois plus tard, dans le petit collectif qui fonde le GISTI, le groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés, avant qu'elle ne rejoigne ensuite la Cimade, salariée. Mais c'est d'abord pour son legs et la manière dont elle a changé notre regard sur l'histoire algérienne qu'on se souvient à présent de son nom. C’est en effet parce que Monique Hervo a enregistré, saisi, consigné cette histoire algérienne des bidonvilles qui jusqu’alors ne s’écrivait pas, qu’une trace a pu se frayer un chemin. Seize cartons au total rejoignaient ainsi les archives de l’Institut d'histoire du temps présent en 2008 et, c’était considérable : en 1965 par exemple, Monique Hervo avait fait passer un questionnaire aux familles. Leurs réponses et tout ce qu'ils et elles ont pu lui livrer à elle, cette voisine qui les connaissait et qui s'était mise en tête de leur donner la parole, représentent une source inestimable d'une histoire qui aurait pu rester bien plus lacunaire.
Des photos, et des légendes
Au même moment, une précieuse collection de photos prises par la militante rejoignaient les rayonnages de “La Contemporaine”, le centre d’archives installé à deux pas de la fac de Nanterre… sur les lieux même où Monique Hervo et des milliers de familles algériennes avaient vécu - loin de tout. Parce que Monique Hervo avait aussi mitraillé le bidonville au ras du sol et dans la vie de tous les jours, on peut désormais les consulter, s'approprier des images, une empreinte rétinienne, et transmettre à notre tour une mémoire qui s'incarne.
Dans le fonds Monique Hervo, des légendes précises accompagnent ces photos. On y trouve aussi des cartes et ces plans que, des années durant, elle aura soigneusement consignés. Une géographie alternative brave l'invisible alors qu'à l'époque la carte officielle de Nanterre ne détaillait rien du bidonville. Au point que souvent, les médecins appelés au chevet des malades ne trouvaient par leur chemin. Cette cartographie dit "je, nous, vous", à une époque où seuls les journaux, dans de rares entrefilets, et des rapports de police parlaient du bidonville - mais plutôt en disant "eux".
Grâce à tous ces documents sans équivalent, on peut désormais faire l’histoire de cette époque, et de ces gens-là. “Tout comme les écrits, les documents iconographiques ont vocation de preuves : “Tout cela a bien existé”, écrivait l’archiviste Anne-Marie Pathé, dans le carnet de recherche en ligne de l’IHTP des années avant la mort de Monique Hervo. Ce sont des preuves au sens propre, autant que figuré. Car de fait, il a un jour fallu faire la preuve et Monique Hervo a témoigné devant la justice du sort qu’on avait fait aux Algériens, aux Algériennes, au tout début des années 60 : c’était lors du procès que Maurice Papon avait intenté en 1999 à l’historien Jean-Luc Einaudi, bien seul à l’époque dans son entreprise de mise en évidence du massacre du 17 octobre 1961.
Si tant d’Algériens étaient morts dans cet épisode assourdi, six mois avant les Accords d'Evian qui mettront fin à la guerre d'Algérie, c’est bien parce que cette soirée de répression brutale d’une manifestation pacifique était tout sauf un épisode isolé : en découvrant ces textes méthodiquement tapés à la machine, jour après jour, on mesure que dès le mois de juin de cette année 1961, le maintien de l’ordre tenait bien du harcèlement. C’est cette répression à bas bruit et à grande échelle qu’on palpe en parcourant les sources que la militante de terrain a laissées.
Ce sont là des sources pour les historiens désormais au travail. Mais ce sont aussi autant d’archives pour tout le monde, à commencer par les journalistes : à mesure que la trace du bidonville "Nanterre - La Folie" se fait jour entre les liasses de papier d’apparence modeste ou dérisoire, c’est l’histoire qui se redresse. Ce sont aussi des voix qui sortent de l'obscurité, et une présence sensible qui se manifeste. Car l'inventaire Monique Hervo recèle encore un trésor plus rare : des archives sonores, consignées aussi tandis qu’elle vivait là, engagée volontaire dans les replis de l’urbanisation parisienne. En 2010, avec toute l’équipe de La Fabrique de l’histoire, Emmanuel Laurentin avait produit deux heures d’émission sans précédent, sur France Culture : La Fabrique de l’histoire avait plongé dans les cartons de Monique Hervo, et enregistré son témoignage, alors qu’elle allait avoir 80 ans.
La plupart des traces qu'il reste de Monique Hervo datent de ces années-là. En mars 2012, une BD paraît, Demain, demain, co-signée avec Laurent Maffre, racontant son histoire et de celle de "La Folie-Nanterre", et d’autres viendront à leur tour consigner cette histoire méconnue. Les historiens, en effet, savaient la valeur de ce qu’elle venait de léguer à l’IHTP. Et dans les archives de la revue Plein droit, du GISTI, par exemple, on retrouve le chercheur Pascal Blanchard qui lui propose un entretien : parce que Monique Hervo vieillissait, il était urgent de recueillir l’histoire de celle qui avait recueilli l’histoire des autres.
C’est ainsi à la manière de poupées russes que l’histoire du bidonville s’est écrite grâce à cette militante qui finira par prendre la nationalité algérienne. Un pied de nez à une histoire douloureuse de part et d'autre de la Méditerranée : Monique Hervo avait été l’une des rares à dire à voix haute le chantage dont les Algériens faisaient l’objet. Car tandis que les autorités les ballottaient d’un mois sur l’autre, puis de saison en saison, en leur faisant miroiter qu’un logement en dur était imminent, à peine venue l’indépendance, la question du logement avait été soumise à un pré-requis : les habitants du bidonville devaient renoncer à leur nationalité algérienne.
Ainsi, c’est d’une dignité qui fait mauvais ménage avec le réel que nous parlent aujourd’hui les archives de Monique Hervo. Ce que disent les habitants du bidonville à cette voisine qui vient leur poser des questions armée du magnétophone qu'elle s'était acheté avec ses économies, c'est l’exiguïté de logements de 6 mètres carré où pas même une armoire ne rentrait - et alors fallait-il éternellement vivre dans des valises. C'est l’impossibilité de recevoir chez soi, la fatigue, et aussi ces ordures que Paris avait décidé d'entasser là, au ras des baraquements. C'est la queue qu'il fallait faire, à cinquante en rang d'oignons dans le froid et la boue, pour accéder à la fontaine dans un creux défoncé du terrain, parce qu’au bidonville “La Folie”, il n’y aura jamais eu qu’un seul point d’eau.
Sans relâche et jusqu'à l'évacuation du bidonville, en 1971, Monique Hervo aura cherché à leur faire dire le maximum. Le concret, et puis aussi la honte. A la même époque exactement où, dans Le Joli mai, Chris Marker et Pierre Lhomme faisaient tourner le micro auprès des Parisiens pour savoir s'ils étaient heureux, elle leur demandait à eux, les Algériens, les Algériennes : "Vous avez honte ?" Et bien sûr, la militante, qui n’était ni sociologue, ni documentariste, parfois insistait sans doute un peu, suggérait ses mots à elle, relançait pour faire surgir dans la parole tout ce qu'elle connaissait, elle, hors champ.
N’empêche : cette parole qu’elle aura gravée sur des bandes aura une valeur immense parce qu'une voix inédite, soudain, s’exprimait. Et c'était si inédit d'écouter dire, par exemple, le mal que ça pouvait faire, quand on était ouvrier du bâtiment, et qu’on vivait là dans des cahutes mal foutues avec la trouille, chaque nuit, d’un départ de feu ou d'un toit qui flanche. Alors que pourtant, construire en dur, on était fier de savoir le faire. En tendant une oreille plus attentive, on accède aussi à un double discours, et parfois à un marché de dupes : si ces ouvriers n’ont pas construit, c’est bien parce qu’on n’aura cessé de leur promettre que la semaine prochaine, pour de bon, il serait relogés. Et sur ces archives sonores qu'il nous reste, leurs mots ne font aucun doute : payer un loyer, ils en avaient les moyens, et ils en étaient d’accord.
Changer la vie, changer sa vie
En 1964, le gouvernement Debré avait fait voter une loi pour éradiquer les bidonvilles. Mais il faudra attendre 1971 pour que le bidonville soit rasé. L'actualité est encore chaude, lorsque le travail de documentation obstiné de Monique Hervo trouve alors sa première audience : François Maspéro publie en 1971 Bidonvilles, un récit circonstancié à hauteur d’hommes, de femmes, d’enfants, signé par Monique Hervo et sa co-autrice, Marie-Ange Charasse. Il faut replonger dans ce livre pour prendre la mesure de ce que cela aura pu changer, que cette femme soit venue s'établir parmi ces ruelles. Alors que durant toutes ces années d'enclavement, personne n'avait eu le droit de pénétrer dans le bidonville à l'exception d'une poignée de médecins et de cette assistante sociale tenace qui se défiait du contrôle social et qui s’appellait Brigitte Gall, la présence de ces volontaires du service civique faisait toute la différence.
Mais ce qu’on comprend en écoutant le témoignage de Monique Hervo, au micro de LaFabrique de l'histoire, quarante ans plus tard, c’est que sa vie à elle aussi en aura été changée : en novembre 2009, Monique Hervo racontait combien il lui avait d’abord semblé difficile de “faire sa place” dans le combat pour l’indépendance de l'Algérie. Les hommes, en effet, pouvaient se revendiquer objecteurs de conscience, se récrier du service militaire, refuser de servir sous les drapeaux, appelés du contingent d’un conflit qui avait démarré en 1954 et qui n’en finissait pas. Mais les femmes ? Ce dont Monique Hervo témoignera, avec le recul d'une vie entière, c’est qu’être établie auprès de ces populations reléguées, c’était aussi trouver sa place, son rôle, une utilité. Qui passera notamment par le fait de dénoncer sans relâche les relents de colonialisme dans la gestion de l’immigration - même une fois passé le temps des indépendances.
À présent que Monique Hervo est morte, c’est finalement à une kyrielle de rapports de force qui s’emboîtent et parfois se réverbèrent, qu’on a ainsi accès en la découvrant à travers ses livres ou ses archives. Et parce que La Fabrique de l’histoire avait plongé dans les cartons de l’IHTP, couru faire des copies des bandes si précieuses qui venaient d’y être déposées, des extraits de ces archives sonores sont désormais accessibles en ligne, et s’entremêlent aux archives de la radio publique. Vous pouvez accéder aux deux émissions tirées d’un long entretien avec Monique Hervo, ainsi qu’à une partie des entretiens qu’elle-même avait menés parmi ces voisins, en découvrant ces deux épisodes de la Fabrique de l’histoire, qui n’ont pas pris une ride. De source, elle était devenue actrice de cette histoire.
Ces commémorations telles que je les aime, car ici il n’y a que des mots de vérité, la vérité historique que certains occultent, car ici on ne distribue pas des médailles "de pacotille" pour une sale guerre coloniale, où il y a eu des crimes d'Etat, des crimes de guerre, un crime contre l'humanité, où il y a eu des tortures, des viols, des villages brûlés au napalm et bien d'autres horreurs... comme "les crevettes Bigeard", etc... etc... car ici il y avait mon camarade Henri Pouillot que je salue qui, lui, a connu la funeste villa Suzini.
Regardez cette vieille photo, un peu déchirée, un peu salie, vous voyez une femme algérienne nue entrain de se faire torturer, peut-être a-t-elle été violée par des "criminels" de l'armée française. Merci à l'ami qui m'a fait connaître cette photo...
Pourquoi les femmes musulmanes font-elles l’objet d’un tel rejet en France dès qu’elles affirment leur identité ? Deux livres tentent de répondre à cette question en s’appuyant sur des analyses féministes qui rompent avec la vison occidentale.
Banlieue de Strasbourg, 2016
Patrick Hertzog/AFP
Les femmes musulmanes ne sont-elles pas des femmes ? C’est la question que pose Hanane Karimi, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Strasbourg, dans l’essai qui vient de paraître aux éditions Hors d’atteinte. Elle y analyse la construction politique et médiatique de la figure de la femme voilée et questionne les contradictions et limites d’un féminisme hégémonique prétendument universel. La sociologue Marie-Claire Willems, membre d’Islams et chercheurs dans la cité, publie, elle, aux éditions du Détour, Musulman. Une assignation ? où elle interroge l’identité, vécue ou attribuée, des musulmans et les enjeux de cette catégorisation dans la société française. L’une et l’autre ont analysé une multitude de sources documentaires et mené des enquêtes de terrain au long terme auprès des principaux concernés
Bien qu’étant confrontée quotidiennement au racisme antivoile, Hanane Karimi expérimente une blessure cuisante lorsqu’elle se rend, en janvier 2017, à une audition au Sénat, dans le cadre d’un débat autour du rapport intitulé La laïcité garantit-elle l’égalité femmes-hommes ? Ce n’est pas la première fois qu’elle y est conviée, mais elle est cette fois prise à partie par des associations comme Femmes sans voile et la Brigade des mères qui vont s’acharner à lui couper la parole et à la faire huer. « Quelle égalité femmes-hommes peut ainsi être défendue en attaquant des femmes ? », s’insurge-t-elle. « Depuis quand cette égalité est-elle suffisamment acquise en France pour qu’on s’autorise à attaquer spécifiquement des musulmans et des musulmanes qui la menaceraient ? »
UN ORDRE COLONIAL
Ce traumatisme, qui dévoile pour elle « les règles de l’ordre genré et racial », elle le dépassera en poursuivant ses combats — dont celui pour l’autonomie des femmes musulmanes dans leur propre communauté — et en se dotant des outils d’analyse critique qu’elle cherche aussi transmettre à d’autres. Même s’ils ne font pas la une des médias, ces outils ne manquent pas, depuis les travaux d’Abdelmalek Sayad qui ont montré comment l’islam est dans l’ordre colonial incompatible avec la citoyenneté française jusqu’aux recherches plus contemporaines de Marwan Mohammed, Abdellali Ajjat, Nacera Guenif, les prises de position de féministes historiques comme Christine Delphy, ou les éclairages des autrices postcoloniales africaines-américaines. Ses sources sont plurielles et nombreuses pour affronter un débat clivant qui s’est exacerbé d’année en année. Elle commence alors un travail de thèse, fondé sur son propre engagement, sur la capacité à agir des femmes musulmanes en France pour en faire des sujets et non plus des « objets » du débat public, s’appuyant notamment sur les observations de l’anthropologue Saba Mahmood à laquelle elle rend hommage.
Déterminée à défendre ses droits et ses choix, et ceux de ses compagnes de route, elle cherche aussi à rendre compte du prix fort qu’on leur fait payer et dont la mesure n’est jamais prise. La stigmatisation et l’exclusion qu’elles subissent en permanence, la contrainte à se dévoiler pour pouvoir travailler à laquelle elles sont la plupart du temps acculées, conduisent à des mécanismes psychologiques de dépersonnalisation, et à des troubles physiologiques qui montrent comment la domination s’exerce en premier lieu sur les corps. « La domination abîme nos perceptions, nos perspectives, notre champ des possibles et même nos goûts… Elle atteint également l’image de soi. » Comment ne pas se rebeller alors contre la catégorisation des individus selon leur couleur de peau, leur origine et leur religion d’une République soi-disant « une et indivisible » ?
LA « RACISATION » DES MUSULMANS
C’est aussi cette catégorisation de l’identité musulmane (vécue, présumée ou attribuée) et les représentations qui lui sont associées qu’étudie Marie-Claire Willems. Elles conduisent à la « racisation » de la figure du musulman en France, toujours considéré comme étranger, à laquelle n’échappent pas les enfants de l’immigration, même à la deuxième ou troisième génération. À partir d’une large enquête de terrain, elle rencontre des musulmans et musulmanes dont certains se disent « musulman·e athée » ou « musulman·e non-croyant·e », ce qui l’amène à essayer de définir la complexité du terme et ses changements de signification historiques et sociologiques. Pour certains, il s’agit davantage d’une culture, d’une origine, même s’ils revendiquent un athéisme ou une forme d’agnosticisme. Pour d’autres, la croyance est liée à l’appartenance à une culture ou une origine. Il n’y a parfois pas de séparation entre ces différentes identifications, les identités n’étant jamais figées.
Le « Dictionnaire de la guerre d’Algérie » tient le pari de la rigueur historienne, qui, à défaut de calmer les passions, établit des faits. Remarquable.
Manifestation d’Algériens en soutien au FLN, à Alger, le 14 décembre 1960. AFP
En parcourant les tables d’une librairie au rayon histoire, on ne peut manquer d’être intrigué par la couverture du Dictionnaire de la guerre d’Algérie. Une image confuse, difficilement lisible ; à y regarder de plus près, c’est une superposition d’affiches lacérées, où se devinent à peine un visage grimaçant et un slogan « pour la paix en Algérie ». Ce détail d’une œuvre du plasticien Jacques Villeglé, le collage 14 juillet 1960, suggère magnifiquement les déchirures historiques et historiographiques que cet ouvrage appelé à faire référence restitue et contribue à résoudre.
Car les conflits multiples et brûlants des années 1954-1962 – entre les insurgés et l’armée, mais aussi au sein des sociétés algérienne et française elles-mêmes – ont laissé des traces encore à vif, qui n’épargnent pas l’histoire universitaire. En effet, les chercheurs font face à des injonctions souvent contradictoires : évoquer ce passé pour « réconcilier les mémoires » mais aussi pour « dénoncer les crimes » de la période ; travailler de façon « apaisée », mais sans avoir toujours accès aux archives, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée. Surtout, les sensibilités historiennes varient fortement, comme le suggèrent les objets de recherche : c’est un gouffre politique a priori infranchissable qui sépare, d’un côté, le regard porté par Malika Rahal sur la liesse de l’indépendance, en 1962, et les travaux d’Olivier Dard sur les membres de l’OAS. Et même la position en apparence médiane de Benjamin Stora, auteur de nombreux livres sur cette période et d’un rapport remis au président de la République, en janvier 2021, ne fait pas l’unanimité, au vu des critiques publiques émises alors – pour des raisons différentes – par des collègues comme Guy Pervillé et Sylvie Thénault.
Et pourtant, tous les cinq ont signé des notices dans ce dictionnaire, avec une cinquantaine d’autres chercheuses et chercheurs, dont plusieurs d’Algérie. Sans excès ni biais. C’est ce qui rend l’entreprise collective remarquable : elle tient le pari de la rigueur historienne, qui, à défaut de calmer les passions, établit des faits. Biographies et opérations militaires, négociations et manifestations, cinéma et journaux, tout y figure, références à l’appui. Les articles consacrés aux archives, à la torture, aux camps de regroupement, parmi tant d’autres, sont des modèles de clarté. Le livre permet même de saisir comment ce passé fut étudié, avec des notices consacrées à des historiens marquants comme Mohammed Harbi ou Gilbert Meynier. Au-delà de son caractère désormais indispensable pour qui s’intéresse à la période, ce dictionnaire réaffirme de manière exemplaire la capacité de l’histoire à établir des vérités partagées, sur les terrains les plus controversés.
André Loez(Historien et collaborateur du « Monde des livres »)
Par André Loez(Historien et collaborateur du « Monde des livres »)
Publié hier à 22h00https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/03/25/les-historiens-de-la-guerre-d-algerie-font-la-paix-le-temps-d-un-livre-collectif_6166987_3260.html.
Saint-Laurent-des-Arbres (France) - Le long des vestiges d'un cimetière sauvage tout juste découvert, Nadia Ghouafria, fille de Harkis, marche, saisie par l'émotion de découvrir ce qu'elle cherche depuis des années: les tombes d'enfants morts dans des camps en France après la guerre d'Algérie et enterrés indignement.
Nadia Ghouafria, fille de Harkis, devant l'entrée d'un terrain militaire où se trouvent des tombes d'enfants morts dans des camps en France après la guerre d'Algérie, le 5 février 2022 à Laudin-l'Ardoise, dans le Gardafp.com/Lucie PEYTERMANN
C'est un mélange entre satisfaction que les tombes aient été localisées, mais aussi une tristesse et une colère de les savoir toujours là, malgré un signalement de la gendarmerie en 1979 qui indiquait que les autorités françaises savaient où ces bébés et enfants avaient été enterrés sans sépulture décente il y a 60 ans, témoigne Nadia Ghouafria.
Français musulmans majoritairement recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), les Harkis ont été abandonnés par la France à la fin du conflit.
Comme des dizaines de milliers d'entre eux, les parents de Nadia ont fui en France et ont été parqués dans des camps de transit et de reclassement gérés par l'armée, aux conditions de vie déplorables.
Depuis quelques jours, aux abords du site des camps de Saint-Maurice l'Ardoise et du Château de Lascours, dans le Gard (sud-est de la France), où ont vécu les parents de Nadia, des fouilles ont lieu en contrebas d'une clairière à peine visible depuis la route.
Elles ont révélé les sépultures d'enfants harkis, morts de froid ou de maladie contagieuse. Au loin, le mont Ventoux arbore un sommet neigeux, sous un soleil voilé.
- Ossements d'enfants -
Sur plusieurs dizaines de mètres, suivant un alignement légèrement oblique, les sépultures se devinent, sous une terre à l'aspect et aux couleurs modifiés par un creusement antérieur et par la décomposition des corps, prévient Patrice Georges-Zimmermann, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) au côté de son collègue, Bertrand Poissonnier.
Des archéologues procèdent à des fouilles dans un terrain militaire où ont été découvertes des tombes d'enfants morts dans des camps en France après la guerre d'Algérie, le 28 février 2022 à Laudun-l'Ardoise, dans le Gard
Nous avons la confirmation qu'il s'agit bien du cimetière recherché, puisque deux tombes, au moins, recèlent des ossements d'enfants, annonce à l'AFP l'archéologue.
Cette découverte historique est le résultat de fouilles sans précédent décidées pour la première fois par l'Etat français après la révélation de l'existence de ce cimetière par une enquête de l'AFP en septembre 2020 et le travail inlassable d'associations locales pour sortir de l'oubli ce pan tragique de l'histoire franco-algérienne.
Plusieurs piquets, oranges vifs, sont plantés par les deux archéologues signalant l'emplacement des tombes.
Nous avons un certain nombre de fosses, ovales, assez étroites, dont la taille dépend de l'âge des individus placés dedans. Beaucoup sont des enfants, voire des bébés, poursuit l’expert, devant Nadia Ghouafria.
Nadia Ghouafria, fille de Harkis, devant l'entrée d'un terrain militaire où ont été découvertes des tombes d'enfants morts dans des camps de harkis en France après la guerre d'Algérie, le 5 février 2022 à Laudin-l'Ardoise, dans le Gard
C'est elle qui a découvert dans des archives le procès-verbal d'un gendarme rédigé en 1979, révélé au grand public par l'AFP, attestant que les autorités avaient eu connaissance de l'existence de ce cimetière mais n'en ont délibérément pas informé les familles harkis.
Une première campagne de fouilles menée quelques centaines de mètres plus loin n'avait, l'an dernier, pas été conclusive.
- Rendre la dignité -
Cette fois, c'est le bon endroit. Dès ma première lecture du procès-verbal, j'étais convaincue que le cimetière existait. Ça va aider beaucoup de familles à la recherche de leur défunt, reconnaît Nadia, qui a créé l'association Soraya, dédiée à la mémoire des enfants d'ex-combattants morts dans les camps et dans les hameaux de forestage.
La pelleteuse poursuit un méticuleux déblaiement. Sous la terre remuée, une dalle apparaît soudain. Le moteur de la machine est stoppé, les deux archéologues s'approchent. Patiemment, l'un d'eux dégage la surface à l'aide d'une rasette, un petit outil en fer. Deux pierres, plates, grises et rectangulaires, se révèlent.
Ça ressemble vraiment à une pierre tombale, commente M. Zimmermann. A l'extrémité des autres fosses, seules quelques petites pierres avaient jusqu'ici été repérées, probablement des stèles déposées au niveau de la tête du défunt, selon Bertrand Poissonnier.
Dans un porte-vues, une dizaine de documents guide les archéologues dans ce dossier particulier et douloureux puisque des gens qui existent encore ont des membres de leur famille enterrés ici, relèvent-ils.
Parmi les personnes décédées dans les camps où furent relégués les Harkis en France, une grande majorité étaient des bébés mort-nés ou des nourrissons, selon l'historien Abderahmen Moumen et les témoignages de familles.
Des jeunes, enfants de Harkis, manifestent devant le camp de Saint-Maurice l'Ardoise, le 2 juin 1975 dans le Gard
Un double drame car ces dizaines de bébés ont été enterrés à la va-vite, par leurs proches ou par des militaires, dans les camps ou à proximité, dans des champs. Avec le temps, les familles de Harkis, relocalisées loin de ces lieux, ont enfoui au plus profond d'elles-mêmes les fantômes de ce passé traumatique.
Sur le registre d'inhumation des camps de Saint-Maurice l'Ardoise et Lascours, tombés longtemps dans l'oubli avec le procès-verbal du gendarme, sont apposés 71 noms, dont 10 adultes et 61 enfants. Dans ce cimetière sauvage enfin découvert, le registre annonce l'inhumation de 31 d'entre eux.
Nous savons que les conditions d'accueil et de vie des Harkis ont été indignes et malheureusement, on le constate sur ce site du camp de Saint-Maurice l'Ardoise, elles l'ont été jusque dans les conditions d'inhumation, a réagi jeudi le secrétariat d'Etat français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, interrogé par l'AFP à propos de la découverte du cimetière.
Ces recherches de tombes d'enfants harkis étaient nécessaires, et répondaient aux demandes formulées par les associations. Nous continuerons d'accompagner les familles afin de leur rendre toute leur dignité, chaque fois que cela sera possible, a ajouté le secrétariat.
France : la douloureuse mémoire des enfants morts dans les camps de Harkis sort de l'oubli
7 ans après la mort de leurs frères après leur naissance dans un camp de Harkis, la fratrie Dargaid, enfants de Harki, vient de retrouver le lieu de leur inhumation, monticules de terre sans nom, au cimetière de Perpignan (sud de la France). Le 7 août 2020
AFP - LIONEL BONAVENTURE
L'employée du cimetière s'arrête devant deux fragiles monticules de terre à l'abandon. "C’est ici", souffle-t-elle. "Mille fois pardon !" Abessia s'écroule en sanglots, posant doucement sa main sur la tombe de fortune de l'un de ses petits frères, dans le sud de la France.
Ce 7 août 2020 caniculaire, 57 ans après la mort de ses frères jumeaux Yahia et Abbas peu après leur naissance dans un camp de Harkis en France, Abessia Dargaid vient à 68 ans de retrouver le lieu de leur inhumation: "tombes 6 et 8, rangées 22 et 25, carré musulman du cimetière de l'Ouest, Perpignan".
Avant de lancer ses recherches, il aura fallu à Abessia attendre le long et acharné travail de mémoire d'associations d'anciens Harkis - ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'Algérie -, d'historiens, de familles, intensifié récemment et accompagné par le gouvernement français, pour sauver de l'oubli ce pan tragique de l'histoire franco-algérienne.
Après la fuite et l'exil d'Algérie, sa mère avait accouché des jumeaux en décembre 1962, dans des conditions plus que précaires, à l'infirmerie du camp de Harkis de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), à 12 km de ce cimetière.
Les nourrissons, malades et transportés à l'hôpital, décèderont quelques mois plus tard. Mais leurs corps ne seront pas rendus à la famille. "Mon père a juste pu voir la main de Abbas à son décès à l'hôpital; mes parents n'ont jamais rien su des circonstances et des lieux de leur inhumation", témoigne Abessia.
Yahia, Abbas mais aussi Fatma, Omar, Djamal, Malika...
Il y a près de 60 ans, des dizaines de nouveau-nés ou très jeunes enfants morts lors de leur passage dans les camps de Harkis gérés par l'armée en France ont été enterrés sans sépulture décente par leurs proches ou par des militaires, dans les camps ou à proximité, dans des champs, et pour la grande majorité, sans plaque avec leur nom, selon les récits d'historiens et les témoignages de familles recueillis lors d'une enquête de plusieurs mois de l'AFP.
D'autres, décédés à l'hôpital, ont été enterrés par les autorités dans des cimetières, mais souvent sans que les familles ne soient présentes ou informées du devenir des corps de leurs enfants, selon ces témoignages.
Bouleversés et choqués par le dénuement des sépultures de leurs frères, Abessia, sa soeur Rahma, 70 ans, et leur frère Abdelkader, 65 ans, se recueillent au cimetière de Perpignan, au son d'une prière aux défunts en arabe diffusée par un portable.
Abdelkader est secoué de hoquets de larmes. "Je comprends pas... il n'y a même pas un prénom sur leurs tombes ?" interroge-t-il, confus.
"Pour la première fois, on met un lieu" sur ce drame familial, confie Abessia. "Ca fait +boum boum+ dans le coeur. Mais ça ne devrait pas être permis d'enterrer quelqu'un comme ça et puis de l'abandonner, sans plaque..."
- Surmortalité infantile -
"Les Harkis", ce sont ces anciens combattants - jusqu'à 200.000 hommes - recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962) qui opposa des nationalistes algériens à la France.
Depuis 2001, la France leur rend chaque 25 septembre un hommage national en reconnaissance des "sacrifices consentis".
Carte d'identité de Harki, ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'Algérie. A l'association Coordination Harka, à Saint-Laurent-des-Arbres (sud de la France), le 30 juin 2020 (AFP - Sylvain THOMAS
A l'issue de cette guerre, marquée par des atrocités, par la torture et qui a traumatisé les sociétés algérienne et française, les Harkis - souvent issus d'un milieu paysan et modeste - sont abandonnés par la France et nombre d'entre eux sont victimes de massacres de représailles en Algérie.
Abessia raconte ainsi comment sa famille a été victime de plusieurs attaques du Front de libération nationale (FLN) du fait de l'engagement de son frère et de son père dans l'armée française. Sa soeur montre les cicatrices d'une blessure par grenade.
Mais au lendemain des accords d'Evian de 1962 consacrant la défaite française en Algérie, le gouvernement français a rejeté le rapatriement massif de ces Harkis.
Environ 42.000 - accompagnés parfois de leurs femmes et enfants - sont transférés en France par l'armée et transitent par des camps. Quelque 40.000 autres viennent par des filières semi-clandestines ou clandestines. Au total, entre 80.000 et 90.000 personnes arrivent en France, pour la majorité entre 1962 et 1965.
En France, les Harkis et leurs familles ne sont pas considérés d'emblée par les pouvoirs publics comme des rapatriés mais comme des réfugiés. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont parquées dans des "camps de transit et de reclassement" gérés par l'armée, aux conditions de vie souvent déplorables et traumatisantes, certains entourés de barbelés et placés sous surveillance.
Et les faits, méconnus, sont là: parmi les personnes décédées dans ces camps, une grande majorité étaient des bébés morts-nés ou des nourrissons, selon les statistiques consultées par l'AFP et établies par l'historien Abderahmen Moumen, l'un des spécialistes français de la guerre d’Algérie qui travaille sur l'identification des sites d'inhumation. Depuis 2015, il est mandaté par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG, public).
Au camp de Rivesaltes, à une quinzaine de kilomètres de la Méditerranée, sur les au moins 146 personnes décédées, 101 sont des enfants, dont 86 avaient moins d'un an. Au camp de Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), ouvert de juin à octobre 1962, les personnes décédées (16) sont toutes des enfants, selon un rapport officiel publié en 2018. Au camp de Saint-Maurice l'Ardoise (Gard), ce sont plusieurs dizaines d’enfants qui ont été enterrés dans le secteur, selon des associations.
"Il y a eu une surmortalité infantile certainement liée à des conditions de vie difficiles et à une prise en charge médicale qui n'était pas à la hauteur", déclare dans un entretien à l'AFP Geneviève Darrieussecq, ministre française déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants.
Selon les historiens, cette surmortalité était due aux conditions de vie très rudes des camps de tentes et de baraquements lors des hivers 1962 et 63 très rigoureux, à des maladies, à une épidémie de rougeole à Saint-Maurice. Mais aussi à l'état psychologique des mères déracinées et affaiblies par les traumatismes de la guerre et de l'exil précipité, à des accouchements dans des conditions précaires.
Avec le temps, les cimetières des enfants morts dans les camps de Harki et inhumés sans sépulture décente ont disparu sous les herbes folles. A Chateau-de-Lascours (sud de la France), le 1er juillet 2020 (AFP - Sylvain THOMAS
Le drame est doublé d'une a
utre tragédie: avec le temps, les cimetières de ces enfants inhumés sans sépulture décente ont disparu sous les herbes folles, les ronces ou les vignes, fantômes d'un passé traumatique que les familles d'anciens Harkis ont enfoui au plus profond d'elles mêmes et que la société française a oublié.
- "Indigne" -
C'est l'histoire d'Hacène Arfi, qui a vu à l’âge de six ans son père enterrer de ses mains son frère mort-né dans le camp de Rivesaltes, sans jamais avoir pu ensuite retrouver le "lieu exact".
En Algérie, il a déjà assisté à la tentative d’assassinat de son père, rescapé d'une attaque au couteau, et à des scènes "d'égorgement de femmes et d'enfants" sur la route de l’exil.
Cette nuit de novembre 62, sa mère accouche à l’infirmerie du camp de Rivesaltes, aidée par "une infirmière", mais le bébé est mort-né. L'enfant et la mère sont "ramenés sur une civière par des militaires" dans la nuit. Réveillé par des pleurs, Hacène reste "marqué à vie" par la vision du "sang de sa mère" et du corps du bébé déposé près des chevilles maternelles.
Le lendemain matin, "deux militaires sont arrivés à notre tente et ont donné une pioche à mon père; ils lui ont montré l'endroit où il pouvait enterrer mon frère (...) Mon père n'a pas vraiment eu le choix", raconte Hacène.
Il assistera ensuite son père pour l'enterrement. "Je revois encore mon père en train de creuser le trou, je comprenais pas trop... Quand il a enroulé l'enfant dans la serviette, je suis resté choqué", relate-t-il, visage creusé et fermé. "Je me souviens qu'il a fait une petite prière en arabe et puis il a pris la pioche et je lui ai donné un coup de main pour remettre la terre sur le corps."
"C'est indigne ce qui s'est passé !" lance aujourd’hui cet écorché vif de 63 ans, devenu une inlassable figure de la lutte pour la cause harkie. L'AFP l'a rencontré cet été à Saint-Laurent-des-Arbres (Gard), à quelques kilomètres de l'ancien camp harki de Saint-Maurice l'Ardoise, où sa famille avait été transférée après celui de Rivesaltes. Il a dévoué une partie de sa vie à aider nombre de familles d'anciens harkis démunies et créé l'association "Coordination Harka".
Depuis sa jeunesse, Hacène est rongé par un questionnement: "Comment cela a pu arriver en France" alors que son père était "un ancien combattant de l'armée française ?" "On a été considérés comme des témoins gênants d'une sale guerre, comme des indésirables", en conclut-il.
Pourquoi la majorité de ces enfants n'a pas été inhumée à l'époque dans les cimetières des localités autour des camps ?
"Je ne sais pas", répond à l'AFP Geneviève Darrieussecq. "Il y a eu une reconnaissance par les plus hautes autorités de l'Etat français du fait que les Harkis, ces Français, avaient été très mal accueillis à leur arrivée en France dans des conditions particulièrement indignes et difficiles", dit-elle.
Français fils de Harki, Hacène Arfi, inlassable figure de la lutte pour la cause harkie. Le 30 juin 2020, dans son association, à Saint-Laurent-Arbres (sud de la France) (AFP - Sylvain THOMAS)
Mme Darrieussecq ne s'"imagine pas qu'il y ait eu une volonté délibérée de rayer ce passé et de faire en sorte qu'on ne cherche pas à savoir, qu'on n'identifie pas ces lieux de sépulture".
"La France n'était pas préparée à les accueillir" et "il y a eu des mauvaises gestions dans la précipitation", relève-t-elle.
- "Trous de mémoire"
L'historien Abderahmen Moumen rappelle la "situation chaotique dans laquelle l'administration gère l'arrivée de ces milliers de familles" - 22.000 personnes transiteront par Rivesaltes.
Les témoins à l'époque - familles, militaires, personnel soignant - sont peu nombreux. Leur dispersion et leurs mutations, puis le départ des Harkis, ont contribué à l'oubli, souligne-t-il.
"Cette période de l'après-indépendance, et notamment cette question des inhumations et de ces cimetières, s'inscrit dans ces trous de mémoire", analyse-t-il.
Dans le même temps, "l'éparpillement des familles, qui repartent vite" dans d'autres lieux en France et la volonté de certains parents d'enterrer rapidement l'enfant pour respecter la tradition funéraire musulmane, ont contribué à l'oubli.
"Leur préoccupation vitale est de trouver un logement, un emploi, avec la difficulté pour beaucoup de ne pas maîtriser le français". Ou encore rechercher des membres de leur famille dispersée en France ou en Algérie, se protéger pour certains des représailles contre les Harkis encore menées par des militants du FLN sur le sol français jusque 1965, poursuit l'historien.
Fatima Besnaci-Lancou, historienne et spécialiste de la guerre d'Algérie, a interrogé il y a quelques années pour un livre plus de 70 femmes de Harkis encore en vie qui lui ont décrit les accouchements "sous une tente en plein hiver, sans chauffage et sans eau", des maris qui ont dû "chercher de la neige et la faire fondre dans leur bouche pour laver le nouveau-né...", relate-t-elle à l’AFP.
L'historienne, fille de Harki qui a elle-même vécu 15 ans dans ces camps à partir de l'âge de 8 ans, souligne aussi le déracinement et la souffrance de ces jeunes femmes qui devaient accoucher seules, sans la présence rassurante de leur mère et sans les rituels traditionnels algériens.
"Ces femmes elles-mêmes ont voulu oublier ces drames", renchérit M. Moumen. "Revenir sur les tombes, c'était aussi se replonger dans ces mois dans les camps qui ont été très difficiles pour les familles."
Certaines sont bien repassées 30 ou 40 ans après à Rivesaltes, mais le terrain avait été complètement modifié...
Sur le coup, il y a eu la peur d'en parler. "C'était comme ça; nos parents n'ont pas osé poser de questions, mais ils ont dû beaucoup en souffrir", confie Abessia.
"Mon père a eu peur de se révolter et de se retrouver renvoyé en Algérie... Il s'est tu et on a vécu comme ça", raconte Hacène Arfi.
Et c'est devenu un tabou au sein des familles.
A 86 ans, Dahbia Amrane, visage buriné parcouru de rides, est une témoin émouvante. Elle était enceinte de jumeaux quand elle a dû fuir l'Algérie à 28 ans avec son mari harki. En novembre 1962, elle accouche dans le camp de Rivesaltes, sous une tente. Les bébés sont placés sous couveuse pendant des semaines à l'hôpital.
Français fils de Harki, Hacène Arfi a identifié un site d'inhumation d'enfants morts dans les camps de Harkis, aujourd'hui devenu un terrain privé recouvert de vignes. A aint-Laurent-des-Arbres (sud de la France, le 30 juin 2020 (AFP - Sylvain THOMAS)
Le petit Omar décèdera en janvier 63. Il sera enterré quelque part dans le camp, par "son père et des cousins". "Dieu nous l'a donné et puis il l'a repris; ces enfants là, ce sont des anges...", lance Dahbia en kabyle à l'AFP, depuis son petit jardin à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes).
La famille, qui sera ensuite déplacée dans une autre région, n'a pu retrouver que plus de 50 ans plus tard ce lieu d'inhumation.
"Il y a eu un manque de transmission de notre histoire dans notre famille...; c'était trop tabou, nos parents n'en parlaient pas", raconte le jumeau d'Omar, Ali, 57 ans. Sa douce bonhommie, sa personnalité généreuse et son engagement depuis 1985 dans des associations sont un pied de nez au lourd destin de cet homme né dans un camp et qui a ensuite vécu jusqu'à ses... 19 ans dans un "hameau de forestage" (structure mise en place pour loger et employer des familles d'ex-Harkis à leur sortie des camps, aux conditions de vie dégradées).
- "Découverte historique" -
Ainsi, depuis peu, fruit d'un patient travail d’Abderahmen Moumen, de familles de Harkis, d'associations locales et de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, les prénoms de certains de ces enfants sortent de l'anonymat.
(AFP - Sylvain THOMAS)
Ils brillent sur des stèles, des tombes rénovées, comme à Bourg-Lastic, où depuis 2015 les onze tombes d'enfants enterrés dans l'ancien camp ont été rénovées et où un lieu de recueillement a été sanctuarisé.
Des projets d'identification de lieux d'inhumation, de mise en place de mémoriaux, sont en cours ailleurs.
C'est en "recoupant plusieurs sources" que M. Moumen, missionné par l'ONACVG pour travailler sur l'histoire et les mémoires de la guerre d'Algérie, "validera l'hypothèse" qu'il y a bien eu un "cimetière harki" dans le camp de Rivesaltes, jusque-là ignoré.
Recueil de témoignages, recherche dans les registres d'état civil, analyse de photos aériennes du camp portant sur les 40 dernières années et découverte d'une correspondance datant de 1980/81 dans les archives départementales...
C'est un travail considérable, mené avec les associations, qui a duré des années et a porté ses fruits: depuis 2018, une quarantaine de familles ayant perdu un proche à Rivesaltes ont pu être retrouvées et le site où ont été inhumées au moins une cinquantaine de personnes décédées dans le camp a pu être identifié.
Les autorités françaises ont finalement décidé de ne pas rechercher et exhumer leurs ossements, "sûrement délités" après plus de 50 ans selon une enquête des services archéologiques nationaux, la majorité des morts étant des bébés.
Mais aujourd'hui, une stèle érigée juste à côté du site d'inhumation et inaugurée par Mme Darrieussecq en octobre 2019 rend hommage aux personnes décédées dans ce camp.
"Lorsqu'on a eu la confirmation de l'existence de ce cimetière, je me suis dis: on va peut-être contribuer à soulager ces familles" et "apporter une réponse à des questionnements qui peuvent être terribles", confie l'historien.
M. Moumen évoque les "hypothèses qui ont pu germer dans l'esprit des familles: que sont devenus tel ou tel enfant, est-ce qu'ils sont vraiment décédés" ?
Dans d'autres régions françaises, des associations continuent de se battre pour l'identification et la sanctuarisation des lieux d'inhumation, comme au camp de Saint-Maurice l'Ardoise.
Hacène Arfi a ainsi montré à l'AFP deux terrains dans la région où il affirme avoir pu établir grâce à de longues recherches que "39 enfants et quatre adultes" décédés au camp y ont été enterrés.
L'un des sites est aujourd'hui un terrain privé recouvert de vignes, au bout d’un chemin serpentant dans un bois touffu. "Cela fait bien 30 ans qu'on dit aux autorités qu'il y a des enfants qui ont été enterrés dans ces champs... on est en 2020, ça s'est passé en 1963... Rien ne signale qu'il y a des personnes enterrées ici !" déplore M. Arfi en balayant avec colère le paysage de ses bras.
Une autre association locale, l'Aracan, qui effectue depuis des années des recherches sur les lieux de mémoire harkis, affirme avoir fait récemment une "découverte historique": l'existence d'un autre cimetière d'enfants dans l'actuel camp militaire de Saint-Laurent des Arbres et qui serait connu des autorités depuis... 41 ans.
Le terrain, aujourd’hui, est une clairière plantée de chênes, au bord d'une route, a constaté l'AFP.
Membre de l'association Aracan, la Française fille de Harki Nadia Ghouafria a découvert le dossier du "+cimetière provisoire du camp de St-Maurice l'Ardoise+. Sur le site du camp provisoire, le 1er juillet 2020 (AFP - Sylvain THOMAS)
Au fil d'une quête personnelle de son passé et de deux ans de démarches auprès des archives locales, une membre de l'association, Nadia Ghouafria, 47 ans, fille de Harki dont les parents sont passés par le camp de Saint-Maurice, a découvert le dossier du "+cimetière provisoire du camp de St-Maurice l'Ardoise+". Il contient "un procès verbal de la gendarmerie, un plan détaillant la localisation de ce cimetière et un registre d'inhumation", où figurent les noms de 71 personnes décédées lors de leur passage aux camps de Saint-Maurice et au camp voisin du Château de Lascours (Gard). L'AFP a pu voir en exclusivité ces documents.
"31 enfants ont été inhumés dans ce cimetière provisoire et en 1979 il restait 22 tombes, essentiellement des jeunes enfants, des nourrissons et des enfants morts-nés", résume Nadia, fébrile. Selon elle, le motif invoqué par le procès verbal était le "manque de place dans les communes aux alentours du camp de Saint-Maurice l'Ardoise".
"Ce cimetière a été ouvert spécialement pour accueillir ces enfants-là provisoirement; ce provisoire serait-il devenu définitif ?..." interpelle-t-elle.
- "Ne pas trop ébruiter" -
Le procès verbal atteste que les autorités de l'époque connaissaient l'existence de ce cimetière. Les auteurs du procès verbal conseillent même de ne "pas trop ébruiter l'affaire qui risquerait d'avoir des rebondissements fâcheux notamment si cela était porté à la connaissance des responsables du mouvement de défense des rapatriés d'Algérie, anciens harkis".
"Ce qui met en colère, c'est qu'on nous a délibérément caché l'existence de ce cimetière" et ce malgré les demandes récurrentes aux autorités par les associations locales, lâche Nadia. L'association Aracan interroge: pourquoi les autorités françaises, informées en 1979 de l'existence de ce cimetière alors que les corps des enfants auraient encore pu être retrouvés et remis à leurs familles grâce aux contacts avec les associations de Harkis, n'ont-elles pas agi ?
"Nous réclamons à l'Etat français que des recherches soient entreprises pour retrouver les restes humains de ces enfants (...), que les parents soient contactés, qu'une sépulture décente soit donnée à ces enfants et une stèle", poursuit Nadia.
"Ces enfants sont des oubliés de l'histoire de France", "leurs parents ont été trahis une seconde fois."
Interrogée par l'AFP au sujet de ce procès-verbal, la ministre déléguée Geneviève Darrieussecq a répondu ne pas en avoir connaissance. "Mais s'il y avait là des lieux d'inhumation, il est anormal que les familles n'en aient pas été averties à l'époque", a-t-elle ajouté, souhaitant qu'associations et autorités locales continuent à travailler ensemble à Saint-Maurice l'Ardoise notamment "afin d'identifier et marquer les lieux, pour en faire des lieux de souvenirs".
- Pardonné -
Françaises filles de Harki, les soeurs Dargaid, Rhama et Abessia (D), cherchent le nom de leurs frères sur une stèle érigée en mémoire aux personnes décédées au camp de Harki de Rivesaltes (sud de la France), le 7 août 2020 (AFP/Archives - Lionel BONAVENTURE)
Depuis ses visites à la stèle de Rivesaltes, Ali Amrane fait face autrement au deuil et au "vide" laissés par l'absence de son frère: "Je me dis, le jumeau est quelque part et il reste quelque chose pour sa mémoire".
Un sentiment de "soulagement" partagé par Hacène Arfi quand il pense à son frère: "On sait qu'il n'est plus anonyme... et de temps en temps, on ira se recueillir devant la stèle".
Le jour de la découverte des tombes de ses frères à Perpignan, Abessia a dit être "un peu plus sereine" et prête "à commencer (son) deuil".
Dans une scène poignante, éclatant en pleurs, Abdelkader a confié à l'AFP: "J'ai l’impression que les jumeaux me pardonnent parce que je suis venu les voir aujourd'hui...".
Essayer de calmer la douleur, c’est tout ce que tu peux faire. C’est ainsi que Simone de Bollardière, la veuve du général qui s’opposa à la torture, s’adresse à Emmanuel Audrain, réalisateur du documentaire Retour en Algérie. L’on voit dans son film des hommes qui firent là-bas leur service au temps d’une guerre qui se cachait sous l’appellation opération de maintien de l’ordre. Voici donc que dix ans après la découverte des horreurs nazies, l’État français décide d’envoyer des gosses de 20 ans participer à la répression brutale de sous-hommes qu’on pouvait chercher à soumettre par tous les moyens.
Quelques décennies plus tard ils parlent, pour desserrer l’étreinte de leur angoisse et de leur honte, engagés sans le comprendre dans un cauchemar dont 25 000 de leurs camarades ne sont pas revenus. Parole cathartique donc, document historique aussi, et fondement d’une réconciliation avec ceux d’en face, qui ont perdu 250 000 des leurs dans le conflit.
L’occasion enfin d’exprimer haut et fort que la guerre d’agression est une absurdité à laquelle tout homme sensé doit se refuser à prendre part.
Édito : Serge Steyer
FILM
RETOUR EN ALGÉRIE
d’Emmanuel Audrain (2014 - 52’)
Pourquoi j'ai fait ce film
par Emmanuel Audrain
En 2008, Simone de Bollardière ( la veuve du général Jacques de Bollardière ), m’incite à venir à l’Assemblée Générale des « 4ACG » ( Les Anciens Appelés en Algérie, et leurs Amis, Contre la Guerre ). Ces hommes âgés ont choisi de ne pas garder pour eux-mêmes, leurs retraites de combattant, mais de les reverser à des Associations algériennes. Ce qui me marque dans cette rencontre, c’est ce moment où les nouveaux adhérents de l’Association se lèvent et se présentent, évoquant chacun leur parcours algérien. Un « grand costaud » dit ne pas avoir besoin du micro, mais il n’arrive pas à achever son récit, la voix brisée. Pour beaucoup, « c’est la première fois » qu’ils parlent. Certains ont les larmes aux yeux, d’autres doivent se rasseoir prestement, submergés par l’émotion. Ce moment de vérité – exceptionnel – me rend ces hommes très attachants. Le projet de film naîtra un peu plus tard. Sa réalisation s’étalera sur trois années. En 2013, notre petite équipe a accompagné les trois Voyages de l’Association. 35 jours en Algérie, pour moi. Avec un matériel très discret, nous avons filmé du mieux que nous avons pu… Pour nous rendre compte, au stade du montage, que le vrai voyage de ces hommes, était bien sûr, leur voyage intérieur. Celui, qui va de leurs 20 ans à aujourd’hui. Ce long chemin, où avec cœur et intelligence, ils ont su retrouver l’estime d’eux-mêmes.
La France malade de l'Algérie
Retour en arrière. En juin 2000, la journaliste Florence Beaugé publie dans Le Monde un entretien avec une résistante algérienne, Louisette Ighilahriz, torturée pendant trois mois dans une unité parachutiste. Elle veut retrouver - et remercier - le médecin militaire qui lui a sauvé la vie. Son témoignage, met en cause les généraux Massu et Bigeard… Il va soulever la chape de plomb qui pesait sur la Guerre d’Algérie. Le général Bigeard menace le journal d’un procès tonitruant. Le général Massu - à la surprise de tous - répond que ces faits sont plausibles. Il ajoute : « Quand je repense à l’Algérie, ça me désole. On aurait pu faire les choses, différemment… » Trois mois plus tard, à 92 ans, donnant sa dernière interview à Florence Beaugé, il ajoutera : « On aurait dû, faire autrement. » Au même moment, le général Aussaresses, son adjoint pendant la Bataille d’Alger, décrit la systématisation de la torture et la liquidation - pour les six premiers mois de 1957 - de 3000 opposants Algérois. « Sans remords », dit-il. Il reconnaît avoir éliminé lui-même, l’avocat Ali Boumendjel et le résistant Larbi Ben M’Hidi (Le « Jean Moulin algérien »).
Les historiens comme des repères
L’ensemble de la presse, se fait l’écho de ces révélations. En quelques mois, la France redécouvre son passé algérien. Les historiens sont sollicités, Pierre Vidal-Naquet, Benjamin Stora… Mais aussi, la jeune génération des Tramor Quémeneur, Claire Mauss-Copeaux, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault… Leurs ouvrages - tous remarquables - rencontrent un large public. Dans les familles des Anciens Appelés, vient le temps des premières questions… Le fils de Rémi, celui de Gilles… Le passé fait retour. En 2004, Rémi, Georges, Armand et Michel lancent la 4ACG, Association des Anciens Appelés, et Leurs Amis, Contre la Guerre. Ils choisissent Simone de Bollardière comme présidente d’honneur.
L'esprit de résistance
Simone de Bollardière : « Heureusement que mon mari s’est opposé à la torture. Intérieurement, je ne cesse de le remercier ! Pour les anciens Appelés, particulièrement quand ils vont à la rencontre de jeunes collégiens ou lycéens, le général Jacques de Bollardière – le militaire le plus décoré de la France Libre - est un homme qu’ils aiment évoquer. « Nous l’admirons parce qu’il a su désobéir. Il a osé dire, Non !» Ils ajoutent : « Le plus dur, pour nous, ce n’est pas tant ce que nous avons fait… Que, ce que nous n’avons pas fait. Ou, pas dit. Les actes de résistance que nous n‘avons pas posés. Ou, pas assez. »
Le testament de Tibhirine
Mon précédent film « Le Testament de Tibhirine » a été diffusé sur France 3 en 2006, « à une heure très tardive ». C’est ainsi, qu’il a rencontré - par hasard – un homme de cinéma ; ce spectateur attentif, est le futur scénariste et producteur du film « Des hommes et des dieux ». Trois ans plus tard - après le succès que l’on sait ! - celui-ci dira, que « Le testament de Tibhirine » a joué pour lui, le rôle d’un « déclic ». Dans la nuit qui avait suivi, il s’était promis d’être présent au Festival de Cannes, avec cette même histoire (« Pourquoi sont-ils restés ? »), sous la forme d’une fiction.
Faire de l'épreuve un tremplin
Dans « Le testament de Tibhirine » (le documentaire) on apprend que trois des sept moines, ont fait la Guerre d’Algérie… Eux aussi, en avaient été durablement marqués. En revenant vivre en Algérie, ils avaient accompli, un désir très profond. Les moines, comme les « Anciens Appelés en Algérie Contre La Guerre », avaient su faire de cette épreuve de leur jeunesse, un élan, un tremplin, pour « plus de vie ». Les uns et les autres, affirmant une même solidarité – indéfectible - avec le peuple algérien. Cette convergence m’intéresse et me touche.
Emmanuel Audrain.
http://www.retourenalgerie-lefilm.com/
LE TESTAMENT
Amen, Inch'Allah
Emmanuel Audrain
Emmanuel Audrain est un documentariste breton, dont les films gravitent beaucoup autour de l’univers de la mer. Non pas celle de Trenet ou de Valéry, mais celle, plus grave, que lui inspira le film de Kaminker et Dumaître, tourné en 1958 à l’île de Sein, La mer et les jours. Depuis son premier film Boléro pour le thon blanc, Ile d’Yeu 1985, en passant par Les enfants de l’Erika, jusqu’à Alerte sur la ressource, en 2002, les films d’Emmanuel Audrain vont au plus près des prises de conscience de notre époque, sans jamais en oublier l’humanité au sens propre, c'est-à-dire le peuple des pêcheurs et autres gens de mer.
Autre point commun entre les réalisations d’Emmanuel Audrain : la capacité d’écoute dont ils témoignent. On pourrait presque parler d’amitié comme valeur de plan ou de cadrage. Valent pour exemple ses films Mémoire des îles, PARTIR accompagné, Je suis resté vivant ! et Le testament de Tibhirine.
Voici le testament du père Christian, rédigé en 1993 alors que la menace se précise.
S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être, la grâce du martyr que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam.
Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église, précisément en Algérie et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences. Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette joie-là, envers et malgré tout. Dans ce merci où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce merci, et cet à-Dieu envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen ! Inch’ Allah.
Alger, 1er décembre 1993 Tibhirine, 1er janvier 1994 Christian
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