Si j’étais une France un peu moins vilaine, le sang aurait du mal à circuler dans mes veines après cette gifle à l’italienne ! Emmanuel Macron nous a décrits comme dégoûtants, cyniques et irresponsables.
Les irresponsables, Emmanuel Macron, sont ceux qui ont bombardé la Libye parce qu'ils craignaient que l'Italie n'obtienne d'importantes concessions énergétiques avec Kadhafi, et nous ont laissé face au chaos de l'immigration clandestine auquel nous sommes confrontés aujourd'hui.
Alors que le Conseil constitutionnel se prononce le 25 janvier sur le texte voté fin décembre, l’écrivain sénégalais, Goncourt 2021, pointe dans un texte pour Mediapart le risque de cette « loi indigne » : « Constituer des catégories de bons et de mauvais étrangers. »
JeJe suis venu en France en 2009 pour y commencer mes études supérieures. On m’a souvent demandé pourquoi j’avais choisi ce pays plutôt qu’un autre afin de poursuivre mon chemin dans la vie. J’invoquais, entre maintes raisons, de grands vocables aux pesantes majuscules : Littérature, Humanisme, Philosophie, République, Lumières, Droits de l’Homme, Égalité. Je n’ignorais pas, pour être né et avoir grandi sur une terre où elles avaient eu cours et laissé de profondes cicatrices, les atrocités que la France avait commises au nom de ces nobles emblèmes et principes ; mais je ne voulais pas juger tout un pays − un pays qui m’accueillait pour me former − en le réduisant à son passé ensauvagé et criminel.
J’arrivai donc à Compiègne. Il ne fallut pas un trimestre pour que la vie politique française achevât de me déniaiser et de me dépiter. J’admirais Balzac ; on m’offrit l’opportunité empoisonnée de vivre mes Illusions perdues. À l’époque, sous l’impulsion des gaies figures politiques de l’UMP, le débat sur l’identité nationale faisait rage et fureur.
Pour être honnête, je le trouvais intéressant en son principe : qu’un pays se demande ce qui fondait sa culture, quelles vertus donnaient sens à sa devise, à partir de quelles valeurs, de quelle histoire, de quelle vision du passé, du présent, de l’avenir il faisait nation et société ne me paraissait pas être une mauvaise discussion en soi. C’était avant que je ne me rende compte que les termes de ladite réflexion étaient faussés dès le départ, et qu’il s’agissait moins d’un débat que d’un procès. Ou d’une puante inquisition, à tout le moins.
À la barre des accusés ? facile : les mêmes que d’habitude, les usual suspects : les étrangers, les métèques, les barbares, les musulmans, les Noirs, les Arabes, les Roms, les immigrés du Sud. Moi. Nous n’avions pas besoin de commettre un crime particulier. On nous en prêtait l’intention et cela suffisait. Nous étions suspectés ab initio et a priori. Je découvrais l’existence de la présomption de culpabilité, du péché sans faute. Il n’était pas du tout question de penser l’identité française, mais de l’aligner sur un patron réactionnaire, violent et discriminatoire envers des catégories déjà fragiles de la société.
Je suis pourtant resté vivre dans ce pays. J’en aime bien des aspects, et bien des gens qui l’habitent m’émeuvent beaucoup. J’y suis devenu un homme et un écrivain. Mais je n’oublie jamais, où que j’y sois, même couvert de ses honneurs les plus prestigieux, que j’y demeure − je connais les nuances sémantiques, mais elles convergent vers la même peur − un étranger et un immigré ; que, donc, j’appartiens de facto (et, de plus en plus, de jure) à la menace à venir : celle qu’on agitera quel que soit le problème, que divers gouvernements − de tous bords − manipuleront pour d’indignes intérêts politiques, qu’on n’aura nul scrupule à criminaliser.
Qui me le rappelle ? l’homme de la rue, parfois ; la loi, régulièrement ; et toujours, les visages de cette famille damnée et silencieuse que forment les étrangers de ce pays. Je les regarde : ces visages peuvent être apeurés ou courageux, désespérés ou combatifs, encolérés ou joyeux, vaincus ou triomphants, enragés ou conciliants. Tous, cependant, se ressemblent en ce qu’ils sont lucides. Ils savent où ils sont. C’est aux étrangers de ce pays qu’il faut poser la question de l’identité française. Ils la connaissent par sa honte. Le mieux, par conséquent. Ils savent les ombres de la France, le revers noir de ses légendes dorées, sa lâcheté, ses mensonges, sa violence historique et quotidienne ; nul ne les dupera à ce sujet à coups de rhétorique et de réécriture ; et nul mieux qu’eux ne saura décrire les passions tristes de ce pays, ce qu’elles furent, ce qu’elles sont, ce qu’elles deviennent.
Presque quinze ans ont passé depuis les joyeusetés identitaires des barons de l’UMP. Fin 2023, pourtant, ils passeraient presque pour d’inoffensifs drilles. Dans des circonstances constitutionnelles catastrophiques pour l’État de droit, le gouvernement français (qui faut-il mettre en avant : Emmanuel Macron ? Gérald Darmanin ? Élisabeth Borne, débarquée depuis ?) faisait voter une loi immigration dont la dureté et l’injustice contre les immigrés n’envient rien aux propositions de l’extrême droite française, laquelle a d’ailleurs vu dans cette décision, dont elle s’est félicitée qu’elle fût adoptée, « une victoire idéologique ».
Cette revendication seule eût pu suffire à en signer la honte et à embarrasser la majorité. Mais nous n’en sommes plus là : plus aucune haine documentée, plus aucun passé d’indignité, plus aucune peste n’est infréquentable politiquement. Il serait aisé, peut-être trop, d’accabler le seul espace politique. C’est aussi dans la société, dans ses profondeurs, que les digues anciennes ont peu à peu reculé avant de rompre totalement. Mais le monde politique a accepté, accéléré, institutionnalisé ce mouvement en lui donnant une légitimité, en l’embra(s)sant au lieu de le combattre. Que s’est-il produit, pour que les vieux loups bruns passent aujourd’hui pour des agneaux blancs ? Qui porte la responsabilité de cette déchéance-là ?
Il est certain, en tout cas, que l’actuel gouvernement français en a une, et cette tache le poissera à jamais. Pour qui a attentivement suivi les différentes lois liées à l’immigration depuis quelques années, il n’y a, une fois passée la stupeur morale (ainsi donc, l’extrême droite est − était ? − déjà au pouvoir ?), aucune surprise. Tout est bassement cohérent. Je ne dresserai pas ici l’historique précis de ces lois et mesures (de l’augmentation des frais de scolarité des étudiants étrangers au refus des visas accordés à des ressortissants de certains pays africains), non plus que je ne répéterai toutes les funestes raisons, ainsi que leurs conséquences odieuses, qui sont attachées à cette loi.
Je me refuse également à défendre les immigrés et étrangers de ce pays en mettant en avant, pour prouver qu’ils peuvent tout de même y réussir (certains remportent même le Goncourt), les plus célèbres et glorieux parmi leurs rangs. Il n’est pas question d’eux ici, ou plutôt : ils ne sont pas les plus menacés par cette loi. Ce n’est pas eux qu’elle humiliera et détruira le plus violemment. J’ai vu circuler de gentilles images, des sortes de Who’s who de Français illustres issus de l’immigration (beaucoup de morts, quelques vivants) qui devaient montrer l’apport important des étrangers à la France.
L’intention est sans doute louable, mais je ne suis pas sûr que le fond d’une telle démarche ne constitue pas subrepticement une alliée de cette loi indigne : constituer des catégories de bons et de mauvais étrangers, trier parmi les immigrés des personnes acceptables, visibles, désirables, et d’autres sans intérêt, invisibles, importunes.
À ce propos, qu’on ne s’y trompe pas : les législations sur les étrangers sont toujours des galops d’essai politiques, des laboratoires. L’horizon de cette loi n’est pas seulement de désigner, dans la population des immigrés, qui est gardable et qui est irregardable, mais bien de distinguer chez les Français eux-mêmes, parmi lesquels, bien sûr, se trouvent des gens aux origines étrangères, entre vrais et faux. Oui, ça pue. Le langage de la souche n’est pas loin. On moisit déjà sous terre.
Alors, que faire ? tout ce qu’on a toujours fait dans ces circonstances, qui n’est pas grand-chose et qui est déjà beaucoup : dire non, marcher, écrire, protester, se réunir, parler, se parler, refuser d’être plus atomisés qu’on l’est déjà. Que chacun lutte, comme il peut, avec ses armes miraculeuses, avec ou sans espoir. J’imagine que rien de tout cela n’émeut vraiment ceux et celles qui dirigent ce pays, ainsi que les gens qui les soutiennent. Mais qu’importe, c’est tout ce qu’il nous reste devant cette hideuse loi : la dénoncer toujours, et lutter fraternellement, jusqu’au bout.
Dans leur décision rendue jeudi 25 janvier, les neuf juges constitutionnels ont considéré comme « cavaliers législatifs » 32 articles, c’est-à-dire sans lien suffisant avec le texte, sur les 86 adoptés par le Parlement.
Le Conseil constitutionnel a censuré, dans une décision rendue jeudi 25 janvier, une grande partie de la loi immigration, adoptée fin 2023 avec les voix de la droite et de l’extrême droite. Trente-deux articles sur 86 adoptés par le Parlement sont ainsi considérés comme des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire sans lien suffisant avec le texte. Dans ces cas, le Conseil ne se prononce donc pas sur le fond des propositions, qui peuvent faire l’objet de nouveaux projets ou propositions de loi. Reste que l’élagage est sévère.
Sont concernées certaines mesures les plus controversées du texte, obtenues par la droite, comme celles concernant l’accès aux prestations sociales que les opposants à la loi assimilaient à la « préférence nationale », concept central du programme du Rassemblement national. Il s’agit des dispositions soumettant le bénéfice de l’aide personnelle au logement, de l’allocation personnalisée d’autonomie et des prestations familiales pour l’étranger non ressortissant de l’Union européenne à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou à l’exercice d’une activité professionnelle depuis une certaine durée.
Même chose pour les articles concernant le durcissement de l’accès au regroupement familial ; la modification de certaines règles d’accès à la nationalité ; le changement des conditions d’hébergement d’urgence de certaines catégories de personnes sans abri ou encore les articles modifiant les conditions d’accès au titre de séjour pour soins.
Trois articles censurés au fond
Les neuf juges constitutionnels censurent en outre, cette fois au fond, partiellement ou totalement, trois des articles de la loi. Il en va ainsi de l’article 38 autorisant le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d’un étranger sans son consentement qui est censuré.
L’article 1er du texte est, quant à lui, partiellement censuré. Le texte prévoyait notamment d’imposer la tenue d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration. Il disposait également que le Parlement détermine des quotas d’immigration pour les trois années à venir (à l’exception de l’asile).
S’inscrivant dans une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge que le législateur ne peut imposer au Parlement l’organisation d’un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d’immigration. Cela serait en contradiction avec la séparation des pouvoirs. Il ajoute : « Une telle obligation pourrait faire obstacle aux prérogatives que le gouvernement ou chacune des assemblées, selon les cas, tiennent de la Constitution pour la fixation de l’ordre du jour ».
Le Conseil constitutionnel juge en revanche que le reste de l’article 1er, qui se borne à prévoir la remise d’un rapport destiné à assurer l’information du Parlement, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle.
« Le travail qu’aurait dû faire le gouvernement »
En revanche, le Conseil déclare partiellement ou totalement conformes à la Constitution dix articles de la loi, dont celui imposant à l’étranger de signer et respecter un contrat détaillant les principes de la République. Le Conseil constitutionnel juge que, « loin de méconnaître des exigences constitutionnelles, le législateur a pu, pour en assurer la protection, prévoir qu’un étranger qui sollicite la délivrance d’un document de séjour doit s’engager à respecter des principes, parmi lesquels figure la liberté d’expression et de conscience, qui s’imposent à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ».
L’adoption du texte, en décembre 2023, avait connu de nombreuses péripéties. Gérald Darmanin, d’abord, la première ministre de l’époque, Elisabeth Borne, ensuite, et Emmanuel Macron, enfin, avaient tous reconnu que le texte comportait des dispositions contraires à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a ainsi « nettoyé » le texte de ses scories les plus évidentes. « Le Conseil a fait le travail qu’aurait dû faire le gouvernement. Le texte tel que présenté n’aurait jamais dû arriver devant le Conseil, souligne Patrice Spinosi, avocat spécialiste des droits humains. Ce qui est à craindre, c’est que cela attise une opposition entre le politique et le juridique alors que le Conseil constitutionnel a rendu une décision conforme à sa jurisprudence qui conforte l’Etat de droit. »s
Dès la publication de la décision, la gauche parlementaire et les associations se sont félicitées de la large censure. Manuel Bompard, chef de La France insoumise a appelé le gouvernement à retirer la loi, Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, a estimé que l’exécutif « portera comme une tache indélébile l’appel à voter » ce texte. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a lui estimé sur X que « le Conseil constitutionnel [avait validé] l’intégralité du texte du gouvernement : jamais un texte n’a prévu autant de moyens pour expulser les délinquants et autant d’exigence pour l’intégration des étrangers ! »
Inspirée de propositions d’extrême droite, la loi sur l’immigration a été votée le 19 décembre. 201 personnalités appellent à manifester partout en France dimanche. Dans « À l’air libre », Sophie Binet (CGT), Jacques Toubon (ancien Défenseur des droits), l’écrivaine Alice Zeniter et Edwy Plenel expliquent pourquoi ils en seront.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 19 Janvier 2024 à 12:17 http://www.micheldandelot1.com/binet-toubon-zeniter-trois-voix-contre-la-loi-immigration-video-a215298161
Des familles tunisiennes de disparus en exil mais aussi d’autres venues d’Algérie, du Maroc et du Sénégal se sont retrouvées à Zarzis, dans le sud-est de la Tunisie, début septembre 2022. Soutenues par des militants européens et africains, elles cherchent à obtenir la vérité sur le sort de leurs proches, migrants disparus en mer.
Devant la Maison des jeunes de Zarzis, en ce début de matinée du 6 septembre 2022, un cortège de plusieurs dizaines de manifestants se met en place. Sous un soleil de plomb, les premières banderoles sont déployées. Puis fuse un slogan : « Où sont nos enfants ? » Les manifestants sont en majorité des femmes, sœurs ou mères de disparus sur les routes de l’exil. La plupart portent une photo de leur proche dont elles n’ont plus de nouvelles depuis leur départ pour l’Europe, il y a parfois deux, cinq ou dix ans pour certaines. Elles viennent de Tunis, de Bizerte ou de Sfax, mais aussi d’Algérie, du Maroc ou encore du Sénégal. Épaulées par des militants actifs en Europe et sur le continent africain, ces femmes se sont réunies à Zarzis pendant plusieurs jours début septembre afin de commémorer leurs proches disparus et de demander des comptes aux États du nord et du sud de la Méditerranée.
Au premier rang du cortège, Samia Jabloun, chapeau de paille et pantalon à fleurs, porte un tee-shirt floqué du visage de son fils, Fedi, disparu en février 2021. Peu avant le départ du cortège, elle raconte qu’il est parti de Kelibia à bord d’un bateau de pêcheurs. L’embarcation et une partie de l’équipage sont rentrés au port plusieurs heures plus tard, mais Fedi n’est jamais revenu. « Un des pêcheurs m’a dit que, alors que le bateau s’approchait de l’île italienne de Pantelleria, Fedi et un autre homme auraient sauté à l’eau et nagé en direction du rivage », explique Samia.
Mais depuis ce jour, la professeure d’histoire-géographie n’a pas de nouvelles de son fils. « Je ne sais pas s’il est vivant, je ne sais pas s’il est mort », ajoute-t-elle dans un souffle. Elle raconte ensuite le parcours du combattant pour tenter d’obtenir des informations auprès des autorités tunisiennes, le temps passé à essayer de trouver des traces de vie de son fils, en frappant aux portes des ministères ou via les réseaux sociaux. En vain.
LE SILENCE DES AUTORITÉS
Au milieu du cortège, Rachida Ezzahdali, hijab rose tombant sur une robe mouchetée, tient fermement d’une main une banderole et de l’autre la photo de son père, dont elle n’a pas de nouvelles depuis deux ans. « Le 14 février 2020, mon père a pris un avion pour l’Algérie », se remémore la jeune étudiante de 22 ans, originaire d’Oujda, au Maroc. « On a échangé avec lui quelques jours plus tard, il était alors à Oran », ajoute-t-elle. Puis, plus rien, plus de nouvelles. « C’est une tragédie pour ma famille, dit Rachida, d’une voix calme. Je ne connaissais rien à la question des « harragas » »1, admet la jeune femme, « mais depuis que je me suis rapproché de l’association Aide aux migrants en situation vulnérable, je comprends que ça concerne des milliers de personnes au Maroc, en Algérie ou en Tunisie ». « C’est un vrai fléau », lâche-t-elle. Comme Samia en Tunisie, Rachida s’est heurtée au silence des autorités marocaines quand elle s’est mise à chercher des informations sur son père. « Malgré les protestations, malgré les manifestations, il n’y a aucune réponse de nos gouvernements », se lamente-t-elle.
Peu après le départ de la marche, les manifestants font une halte devant la mairie de Zarzis. Saliou Diouf, de l’organisation Alarm phone, un réseau qui vient en aide aux personnes migrantes en détresse en mer ou dans le désert, prend la parole : « Nous nous sommes réunis afin de tenir notre promesse : ne pas oublier toutes les personnes qui ont disparu aux frontières ». Latifa Ben Torkia, dont le frère Ramzi a disparu en 2011 et membre de l’Association des mères de migrants disparus, prend le relais et se lance dans un discours. Elle dénonce l’attitude des États tunisien et italien, ainsi que l’Union européenne (UE), qu’elle qualifie de « mafias », et déplore le traitement que la Tunisie réserve à ses propres enfants. Diori Traoré, de l’Association pour la défense des émigrés maliens, venue de Bamako pour cette rencontre, lance un appel aux autorités des rives nord et sud de la Méditerranée : « Arrêtez de tuer la jeunesse africaine ! Ouvrez les frontières ! »
VICTIMES DES POLITIQUES MIGRATOIRES EUROPÉENNES
Selon le Forum pour les droits économiques et sociaux (FTDES)2, au moins 507 personnes sont mortes ou portées disparues depuis début 2022 après avoir tenté de rallier l’Europe à partir des côtes tunisiennes. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé quant à elle plus de 17 000 personnes décédées ou disparues en Méditerranée centrale depuis 2014, faisant de cette zone la route migratoire la plus meurtrière au monde. Comment expliquer ce constat dramatique ? Dans un rapport publié en juin 20203, le réseau Migreurop, qui rassemble des chercheurs et des activistes d’Europe et d’Afrique, considère que « la Tunisie est devenue ces dernières années une cible privilégiée pour les politiques d’externalisation des frontières de l’Union européenne en Méditerranée ».
Déploiement de l’agence Frontex, « garde-côtes nationaux de mieux en mieux équipés et entraînés » et « système d’expulsion sans cadre juridique », l’organisation considère que « tous les ingrédients seront bientôt réunis pour faire de la Tunisie la parfaite garde-frontière de l’Union européenne ». Et le rapport de Migreurop conclut que « ces corps qui s’amoncellent » sur les plages ou dans les cimetières de Tunisie, « ce sont les victimes des politiques migratoires de l’Union européenne ».
Une fois les prises de parole terminées, le cortège reprend son chemin et s’approche du littoral. La date du 6 septembre a été choisie en mémoire du naufrage survenu le 6 septembre 2012 au large de Lampedusa. Ce jour-là, une embarcation partie de Sfax avec plus de 130 personnes à son bord a chaviré à proximité de l’îlot italien de Lampione. Seules 56 personnes ont pu être secourues. Mohamed Ben Smida, dont le fils était à bord, s’en souvient « comme si c’était hier ». Après le naufrage, « les autorités tunisiennes nous ont dit : "Vos enfants sont disparus" », raconte-t-il. Il hoche la tête : « "Disparus", mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne sais pas. Pour moi, c’est soit "mort", soit "vivant". Soit "noir", soit "blanc". C’est tout ». Mohamed évoque les nombreuses manifestations devant les ministères, les demandes répétées auprès des institutions pour faire la lumière sur la disparition de son enfant. Sans que rien ne se passe. « Les gouvernements se succèdent depuis la révolution, à chaque fois, ils disent qu’ils vont s’occuper de cette question des disparus, mais au final, ils ne font rien », constate-t-il, amer. Il parle aussi des faux indicateurs ou pseudo-journalistes qui l’ont abordé en lui promettant des informations sur son fils. « Puis la personne revient quelques jours plus tard pour te dire : "Ton fils est mort", alors qu’il n’en sait rien. Et là, tu pleures de nouveau ».
LA SOLIDARITÉ DES PÊCHEURS
Les manifestants s’arrêtent sur une plage. Ils déploient une banderole avec la liste des 48 647 personnes mortes aux frontières de l’Europe recensées par l’organisation néerlandaise United for Intercultural Action. La liste s’étale sur plus de 20 mètres sur cette plage de Zarzis, dont le littoral est le point de départ de nombreuses tentatives de passage vers l’Europe. Samia Jabloun se recueille un instant face à la mer puis lit un poème en l’honneur de son fils Fedi. Plusieurs membres de l’Association des pêcheurs de Zarzis sont présents. « En mer, c’est très fréquent qu’on croise des Zodiac avec des Africains, des Algériens, des Tunisiens, des mineurs, des femmes et des enfants, partis des côtes libyennes ou tunisiennes », témoigne Lassad Ghorab, pêcheur depuis 22 ans. « Dans ce cas-là, on ne se pose pas de questions, on arrête le boulot et on leur porte secours si nécessaire », tranche-t-il. Lassad s’emporte contre les passeurs libyens : « Ils font monter dans des Zodiac jusqu’à 150 personnes, ils ne laissent pas le choix aux migrants et les menacent avec des armes : "Soit tu montes, soit t’es mort ! " »
Un autre pêcheur, Chamseddine Bourrassine raconte comment, en mer, les trafiquants libyens auraient menacé des pêcheurs de Zarzis : « Plusieurs fois, des miliciens nous ont pris pour cible et ils ont tiré dans notre direction ».« On a même eu des cas de pêcheurs pris en otage ! » s’indigne celui qui, en 2018, avait été placé en détention en Italie, accusé d’être un passeur après avoir porté secours et remorqué une embarcation en détresse. Criminalisés par les autorités italiennes d’un côté, pris pour cible par les trafiquants libyens de l’autre, les pêcheurs de Zarzis n’ont pourtant pas l’intention de renoncer à agir et porter secours : « On est face à des êtres humains, on est obligé de faire quelque chose », affirme avec conviction Lassad Ghorab.
Après cet arrêt sur la plage, le cortège repart en direction du port de Zarzis, dernière étape de cette « Commémor’action », à la fois marche en hommage aux morts et disparus aux frontières et moment de dénonciation des politiques migratoires. Les pêcheurs de Zarzis ont obtenu l’accord des garde-côtes pour que les manifestants puissent embarquer sur deux de leurs navires pour une sortie en mer. Mais, alors que les marcheurs se pressent pour accrocher leurs banderoles sur les flancs des bateaux, les garde-côtes changent d’avis. Prétextant des raisons de sécurité, ils refusent que les deux bateaux sortent du port en même temps. Les arguments des pêcheurs et des activistes n’y changeront rien. Et les roses, que les proches de disparus espéraient pouvoir disperser en pleine mer, seront finalement jetées dans le port de Zarzis, les bateaux étant restés à quai.
UN REPRÉSENTANT DU HCR CIBLE LES MÈRES DE DISPARUS
En réaction à la publication d’une photo de la marche, Vincent Cochetel, l’envoyé spécial du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) pour la situation en Méditerranée centrale et occidentale, poste le tweet suivant :
Nous pleurons leur perte. Mais ces mêmes mères n’ont eu aucun problème à encourager ou à financer leurs enfants pour qu’ils se lancent dans ces voyages périlleux. Comme au Sénégal, poursuivre symboliquement les parents pour avoir mis en danger leurs enfants pourrait entraîner de sérieux changements d’attitude envers ces voyages mortels.
Très critiquée sur le réseau social, la sortie du représentant du HCR, qui a toutefois tenté de s’excuser dans un second tweet, est également dénoncée par l’Association des mères de migrants disparus, jugeant « honteuse » la déclaration de Vincent Cochetel. Sœurs et mères condamnent à la fois « la politique des pays du Sud, en particulier la Tunisie, qui a détruit nos enfants et ne leur a pas fourni la vie qu’ils méritent » et « la politique de l’Union européenne, qui nous a imposé des visas et a resserré les frontières au visage de nos enfants, alors que ses citoyens se rendent dans nos pays sans problème ou sans files d’attente pour prendre des visas ».
« Comment un responsable d’une institution internationale peut-il s’exprimer ainsi ? » réagit Majdi Karbai, député des Tunisiens d’Italie au dernier parlement élu, qui suit de près la question des politiques migratoires entre l’Italie et la Tunisie. Le parlementaire constate que, chaque année, « des centaines de jeunes Italiens quittent leur pays pour aller trouver d’autres opportunités en Belgique, en Allemagne ou au Luxembourg ; eux peuvent voyager tranquillement ». En revanche, ajoute-t-il, « une partie de la jeunesse des États voisins de l’Europe est condamnée à rester dans son pays ». Majdi Karbai déplore que « les familles de disparus se heurtent, dans leurs recherches, à une absence totale de réponse des autorités tunisiennes ». Selon lui, si les autorités italiennes semblent disposées à s’engager dans un processus de recherche, « il n’existe aucune volonté de l’État tunisien de s’impliquer dans la mise en place d’une commission d’enquête sur les migrants disparus ».
Au port de Zarzis, Samia Jabloun, aidée par quelques marcheurs, plie une banderole. Sur celle-ci figure un portrait de son fils disparu, Fedi, accompagnée d’un message inscrit en anglais : « A family never forgets their warriors » (« Une famille n’oublie jamais ses combattants »). Si les autorités des pays de la rive sud de la Méditerranée ont fait le choix du silence et de l’oubli, la mémoire des disparus continue malgré tout de perdurer via la lutte de leurs familles et soutiens.
Le chef de l’État a défendu mercredi la loi qui fait triompher les idées de l’extrême droite. Faisant le lien entre immigration et insécurité, il n’a pas pris la peine de mentionner tous les obstacles que doivent affronter les étrangers, directement liés aux défaillances de nos politiques migratoires.
PartoutPartout depuis des mois, on entend dire que l’immigration est un « problème » ou qu’il y a un « problème migratoire » à régler. Emmanuel Macron a repris cette rhétorique mercredi 20 décembre, sur le plateau de C à vous, lors de sa première intervention médiatique suivant le vote de la loi sur l’immigration le 19 décembre.
« Il y a un problème d’immigration dans le pays, parce qu’il y a trop d’immigration clandestine et que ça crée des déséquilibres, des sujets, des pressions », a-t-il déclaré, ajoutant que cette situation « faisait pression sur notre système ». Le chef de l’État a également affirmé qu’il y avait « plus de pression migratoire » en France qu’il y a dix ans.
Personne sur le plateau ne l’a repris sur la réalité des chiffres : 16 % des personnes ayant demandé l’asile en Europe en 2022 l’ont fait en France (contre 25 % en Allemagne), et notre pays est celui qui bénéficie du taux de protection parmi les plus faibles d’Europe (70 % des demandes sont rejetées). Gérald Darmanin lui-même s’en est vanté lors des discussions entourant la loi immigration, lorsque celle-ci n’en était qu’au stade de projet.
Certes, l’Europe – et la France par voie de conséquence – a connu un afflux d’exilé·es, notamment de réfugié·es, en 2015 et au-delà, venus en partie de Syrie et d’autres pays ayant connu les printemps arabes. Là encore, la France ne figure pas parmi les pays qui ont le plus ouvert leurs portes. Alors que l’immigration a progressé de 60 % en Europe de l’Ouest entre 2000 et 2020, elle n’a augmenté que de 36 % en France. L’Allemagne d’Angela Merkel a accueilli plus d’un million de réfugiés, sous les critiques ou les congratulations de certains États parfois, faisant l’honneur de l’Europe en des temps particulièrement sombres.
Lorsqu’Emmanuel Macron affirme haut et fort, à une heure de grande écoute à la télévision, que l’immigration est un « problème » ou engendre des « pressions », il oublie donc de dire que, dans les faits, le nombre de personnes ayant rejoint le territoire français n’est pas suffisamment élevé pour chambouler nos politiques intérieures. Et il crache au passage à la figure de millions d’étrangers en France, qu’ils soient arrivés légalement ou non, qu’ils vivent aujourd’hui sur notre sol avec ou sans papiers, qu’ils travaillent ou non.
Politique de non-accueil
Le vrai problème, c’est la politique de non-accueil mise en place par l’État français, qui conduit de nombreux exilés à survivre dans la rue ou sur des campements indignes, alors que l’hébergement est un droit fondamental. Il faut se rendre sur le terrain pour constater que, dans les camps informelsqui se constituent en région parisienne, se trouvent des femmes, des enfants ou des bébés, des hommes, parmi lesquels des demandeurs d’asile, qui devraient pourtant avoir une place d’hébergement via le dispositif national d’accueil qui le prévoit.
On y trouve également des réfugié·es ayant obtenu la protection de la France, et qui devraient, en toute logique, obtenir un logement pour parvenir à s’intégrer correctement. Comment oublier Omar*, réfugié érythréen rescapé de l’attaque au sabre, sur un camp de Bercy, laissé sans prise en charge jusqu’à ce que les associations d’aide aux migrant·es ne se mobilisent pour lui offrir un semblant de stabilité ? Il aura fallu que Ian Brossat, alors élu à la Ville de Paris, se charge personnellement de son dossier afin qu’il obtienne un logement digne de ce nom.
Confrontés à des situations particulièrement difficiles, certains en perdent la raison et sont condamnés à errer dans les rues de la capitale ou d’ailleurs – on pense à l’assaillant de l’attaque au couteau d’Annecy en juin 2023. Ils doivent subir la précarité, le sans-abrisme, mais aussi le harcèlement policier quasi systématique, comme l’a démontré un récent rapport du Collectif accès au droit (CAD) ; lorsqu’il ne s’agit pas de violences policières, souvent passées sous silence ou ne donnant pas lieu à des poursuites judiciaires.
La loi Darmanin sur l’immigration, rejetée à l’Assemblée, revient par la petite porte, dans une version de droite dure. Dans « À l’air libre », débat avec les députés Benjamin Lucas (écologiste), Élisa Martin (LFI) et Cécile Rilhac (apparentée Renaissance). Et François Héran, professeur au Collège de France.
Les entreprises françaises Civipol, Défense Conseil International et Couach vont fournir à la marine du Caire trois navires de recherche et sauvetage dont elles formeront également les équipages, révèle Orient XXI dans une enquête exclusive. Cette livraison, dans le cadre d’un accord migratoire avec l’Égypte, risque de rendre l’Union européenne complice d’exactions perpétrées par les gardes-côtes égyptiens et libyens.
La France est chaque année un peu plus en première ligne de l’externalisation des frontières de l’Europe. Selon nos informations, Civipol, l’opérateur de coopération internationale du ministère de l’intérieur, ainsi que son sous-traitant Défense Conseil International (DCI), prestataire attitré du ministère des armées pour la formation des militaires étrangers, ont sélectionné le chantier naval girondin Couach pour fournir trois navires de recherche et sauvetage (SAR) aux gardes-côtes égyptiens, dont la formation sera assurée par DCI sur des financements européens de 23 millions d’euros comprenant des outils civils de surveillance des frontières.
Toujours selon nos sources, d’autres appels d’offres de Civipol et DCI destinés à la surveillance migratoire en Égypte devraient suivre, notamment pour la fourniture de caméras thermiques et de systèmes de positionnement satellite.
Ces contrats sont directement liés à l’accord migratoire passé en octobre 2022 entre l’Union européenne (UE) et l’Égypte : en échange d’une assistance matérielle de 110 millions d’euros au total, Le Caire est chargé de bloquer, sur son territoire ainsi que dans ses eaux territoriales, le passage des migrants et réfugiés en partance pour l’Europe. Ce projet a pour architecte le commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage, Olivér Várhelyi. Diplomate affilié au parti Fidesz de l’illibéral premier ministre hongrois Viktor Orbán, il s’est récemment fait remarquer en annonçant unilatéralement la suspension de l’aide européenne à la Palestine au lendemain du 7 octobre — avant d’être recadré.
La mise en œuvre de ce pacte a été conjointement confiée à Civipol et à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de l’ONU, comme déjà indiqué par le média Africa Intelligence. Depuis, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déjà plaidé pour un nouvel accord migratoire avec le régime du maréchal Sissi. Selon l’UE, il s’agirait d’aider les gardes-côtes égyptiens à venir en aide aux migrants naufragés, via une approche « basée sur les droits, orientée vers la protection et sensible au genre ».
CIRCULEZ, IL N’Y A RIEN À VOIR
Des éléments de langage qui ne convainquent guère l’ONG Refugees Platform in Egypt (REP), qui a alerté sur cet accord il y a un an. « Depuis 2016, le gouvernement égyptien a durci la répression des migrants et des personnes qui leur viennent en aide, dénonce-t-elle auprès d’Orient XXI. De plus en plus d’Égyptiens émigrent en Europe parce que la jeunesse n’a aucun avenir ici. Ce phénomène va justement être accentué par le soutien de l’UE au gouvernement égyptien. L’immigration est instrumentalisée par les dictatures de la région comme un levier pour obtenir un appui politique et financier de l’Europe. »
En Égypte, des migrants sont arrêtés et brutalisés après avoir manifesté. Des femmes réfugiées sont agressées sexuellement dans l’impunité. Des demandeurs d’asile sont expulsés vers des pays dangereux comme l’Érythrée ou empêchés d’entrer sur le territoire égyptien. Par ailleurs, les gardes-côtes égyptiens collaborent avec leurs homologues libyens qui, également soutenus par l’UE, rejettent des migrants en mer ou les arrêtent pour les placer en détention dans des conditions inhumaines, et entretiennent des liens avec des milices qui jouent aussi le rôle de passeurs.
Autant d’informations peu compatibles avec la promesse européenne d’un contrôle des frontières « basé sur les droits, orienté vers la protection et sensible au genre ». Sachant que l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes Frontex s’est elle-même rendue coupable de refoulements illégaux de migrants (pushbacks) et a été accusée de tolérer de mauvais traitements sur ces derniers.
Contactés à ce sujet, les ministères français de l’intérieur, des affaires étrangères et des armées, l’OIM, Civipol, DCI et Couach n’ont pas répondu à nos questions. Dans le cadre de cette enquête, Orient XXI a aussi effectué le 1er juin une demande de droit à l’information auprès de la Direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement (DGNEAR) de la Commission européenne, afin d’accéder aux différents documents liés à l’accord migratoire passé entre l’UE et l’Égypte. Celle-ci a identifié douze documents susceptibles de nous intéresser, mais a décidé de nous refuser l’accès à onze d’entre eux, le douzième ne comprenant aucune information intéressante. La DGNEAR a invoqué une série de motifs allant du cohérent (caractère confidentiel des informations touchant à la politique de sécurité et la politique étrangère de l’UE) au plus surprenant (protection des données personnelles — alors qu’il aurait suffi de masquer lesdites données —, et même secret des affaires). Un premier recours interne a été déposé le 18 juillet, mais en l’absence de réponse de la DGNEAR dans les délais impartis, Orient XXI a saisi fin septembre la Médiatrice européenne, qui a demandé à la Commission de nous répondre avant le 13 octobre. Sans succès.
Dans un courrier parvenu le 15 novembre, un porte-parole de la DGNEAR indique :
L’Égypte reste un partenaire fiable et prévisible pour l’Europe, et la migration constitue un domaine clé de coopération. Le projet ne cible pas seulement le matériel, mais également la formation pour améliorer les connaissances et les compétences [des gardes-côtes et gardes-frontières égyptiens] en matière de gestion humanitaire des frontières (…) Le plein respect des droits de l’homme sera un élément essentiel et intégré de cette action [grâce] à un contrôle rigoureux et régulier de l’utilisation des équipements.
PARIS-LE CAIRE, UNE RELATION PARTICULIÈRE
Cette livraison de navires s’inscrit dans une longue histoire de coopération sécuritaire entre la France et la dictature militaire égyptienne, arrivée au pouvoir après le coup d’État du 3 juillet 2013 et au lendemain du massacre de centaines de partisans du président renversé Mohamed Morsi. Paris a depuis multiplié les ventes d’armes et de logiciels d’espionnage à destination du régime du maréchal Sissi, caractérisé par la mainmise des militaires sur la vie politique et économique du pays et d’effroyables atteintes aux droits humains.
La mise sous surveillance, la perquisition par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le placement en garde à vue de la journaliste indépendante Ariane Lavrilleux fin septembre étaient notamment liés à ses révélations dans le média Disclose sur Sirli, une opération secrète associant les renseignements militaires français et égyptien, dont la finalité antiterroriste a été détournée par Le Caire vers la répression intérieure. Une enquête pour « compromission du secret de la défense nationale » avait ensuite été ouverte en raison de la publication de documents (faiblement) classifiés par Disclose.
La mise en œuvre de l’accord migratoire UE-Égypte a donc été indirectement confiée à la France via Civipol. Société dirigée par le préfet Yann Jounot, codétenue par l’État français et des acteurs privés de la sécurité — l’électronicien de défense Thales, le spécialiste de l’identité numérique Idemia, Airbus Defence & Space —, Civipol met en œuvre des projets de coopération internationale visant à renforcer les capacités d’États étrangers en matière de sécurité, notamment en Afrique. Ceux-ci peuvent être portés par la France, notamment via la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) du ministère de l’intérieur. Mais l’entreprise travaille aussi pour l’UE.
Civipol a appelé en renfort DCI, société pilotée par un ancien chef adjoint de cabinet de Nicolas Sarkozy passé dans le privé, le gendarme Samuel Fringant. DCI était jusqu’à récemment contrôlée par l’État, aux côtés de l’ancien office d’armement Eurotradia soupçonné de corruption et du vendeur de matériel militaire français reconditionné Sofema. Mais l’entreprise devrait prochainement passer aux mains du groupe français d’intelligence économique ADIT de Philippe Caduc, dont l’actionnaire principal est le fonds Sagard de la famille canadienne Desmarais, au capital duquel figure désormais le fonds souverain émirati.
DCI assure principalement la formation des armées étrangères à l’utilisation des équipements militaires vendus par la France, surtout au Proche-Orient et notamment en Égypte. Mais à l’image de Civipol, l’entreprise collabore de plus en plus avec l’UE, notamment via la mal nommée « Facilité européenne pour la paix » (FEP).
PACTE (MIGRATOIRE) AVEC LE DIABLE
Plus largement, ce partenariat avec l’Égypte s’inscrit dans une tendance généralisée d’externalisation du contrôle des frontières de l’Europe, qui voit l’UE passer des accords avec les pays situés le long des routes migratoires afin que ceux-ci bloquent les départs de migrants et réfugiés, et que ces derniers déposent leurs demandes d’asile depuis l’Afrique, avant d’arriver sur le territoire européen. Après la Libye, pionnière en la matière, l’UE a notamment signé des partenariats avec l’Égypte, la Tunisie — dont le président Kaïs Saïed a récemment encouragé des émeutes racistes —, le Maroc, et en tout 26 pays africains, selon une enquête du journaliste Andrei Popoviciu pour le magazine américain In These Times.
Via ces accords, l’UE n’hésite pas à apporter une assistance financière, humaine et matérielle à des acteurs peu soucieux du respect des droits fondamentaux, de la bonne gestion financière et parfois eux-mêmes impliqués dans le trafic d’êtres humains. L’UE peine par ailleurs à tracer l’utilisation de ces centaines de millions d’euros et à évaluer l’efficacité de ces politiques, qui se sont déjà retournées contre elles sous la forme de chantage migratoire, par exemple en Turquie.
D’autres approches existent pourtant. Mais face à des opinions publiques de plus en plus hostiles à l’immigration, sur fond de banalisation des idées d’extrême droite en politique et dans les médias, les 27 pays membres et les institutions européennes apparaissent enfermés dans une spirale répressive.
Dans la principale ville du nord du Niger, Agadez, échouent un nombre important de migrants subsahariens expulsés d’Algérie. Parmi eux, raconte “Aïr Info”, beaucoup de mineurs.
Des tentes de fortune abritant des migrants sont vues à Assamaka, au Niger, le 29 mars 2023 (Image d'illustration). Crédit : Stanislas Poyet/AFP
Les autorités algériennes expulsent régulièrement vers le Niger des milliers de migrants qu’elles déversent au “point zéro”, localité située à 15 kilomètres d’Assamaka, la première ville nigérienne à la frontière algérienne.
Parmi les vagues de refoulés, plusieurs centaines d’enfants qui, par la suite, sont transférés à Agadez en vue de leur renvoi vers leur pays d’origine. Avant Agadez, ces migrants passent des jours, voire des semaines, à Arlit.
Tout un parcours qui se passe dans des conditions de prise en charge le plus souvent assez difficiles, malgré les efforts de l’État et de ses partenaires. Pour arriver à Assamaka à partir du “point zéro”, c’est tout un parcours du combattant qui demande beaucoup de courage et d’énergie avant de pouvoir affronter d’autres difficultés à Arlit et à Agadez.
Des rêves d’Italie
Assamaka est une petite ville à environ 212 kilomètres d’Arlit. Koné A., 15 ans, vient de Côte d’Ivoire. Il retrace son parcours du “point zéro” à Agadez : “On nous a refoulés d’Algérie. On nous a laissés à 15 kilomètres d’Assamaka. On a marché jusqu’à Assamaka. Arrivé à Assamaka, on a fait un mois deux semaines et trois jours là-bas dans le camp de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations). On nous a mis dans [un] gros camion pour venir à Arlit. Arrivé à Arlit, on a fait un mois là-bas. Ils nous ont mis dans le bus encore pour venir à Agadez aujourd’hui.”
Koné déplore les conditions de vie à Assamaka. Il dit être content d’arriver à Agadez. “Ici, c’est une grande ville. On mange comme on veut et on dort comme on veut. Et puis, il y a l’eau ici et tout, tout”, se réjouit-il.
Le jeune Ivoirien, qui a abandonné l’école en classe de CE1, voulait rejoindre son grand frère en Italie. C’est d’ailleurs ce dernier qui lui avait envoyé de l’argent pour pouvoir le rejoindre, nous a confiés Koné, qui projetait de s’inscrire dans une école italienne avant de pouvoir travailler. Il a dû passer par plusieurs villes, notamment de Côte d’Ivoire et du Mali, pour se retrouver en Algérie, puis à Agadez, au Niger.
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Konaté I., un autre Ivoirien de 17 ans, est aussi l’un des migrants refoulés d’Algérie. Il voulait aussi aller en Italie. Mais, contrairement à Koné, lui n’a pas de frère ni de connaissances en Italie. Son séjour à Assamaka ne lui évoque pas un bon souvenir.
“À Assamaka, il n’y a pas à manger, il n’y a pas d’eau, on ne se lave pas. Tu peux même faire deux semaines [pendant lesquelles] tu ne te laves pas.” Il avait le même projet que Koné. C’est-à-dire, une fois en Italie, il espérait s’inscrire dans une école et, après, travailler.
Konaté I. estime par ailleurs que l’Algérie n’a pas le droit de les refouler, car ils y étaient juste de passage. “On passe seulement. C’est pas pour rester (en Algérie)”, explique-t-il. À présent, selon ses dires, il souhaite rentrer en Côte d’Ivoire pour reprendre l’école. En même temps, il ne pense pas abandonner de sitôt l’aventure de la migration.
Abandonnés au “point zéro”
Limamo, un jeune Sénégalais, nous a raconté qu’ils ont fait trois semaines à Assamaka avant d’être acheminés à Arlit, puis à Agadez. Il affirme avoir vu des migrants qui sont morts à Assamaka à cause de la fatigue. Abandonnés au “point zéro”, Limamo et ses camarades ont parcouru à pied les 15 kilomètres pour se rendre à Assamaka, où les conditions de vie lui semblent difficiles. Heurté par ces tristes conditions, Limamo appelle les autorités de les faire rentrer, lui et les autres migrants, dans leurs pays respectifs.
Souleymane, gambien, fait aussi partie des migrants rapatriés d’Algérie et fraîchement arrivés à Agadez. Le Gambien était en Algérie pour travailler dans les chantiers de construction. Lors de leur rapatriement, Souleymane et ses camarades ont été frappés et dépouillés de leurs biens (argent, téléphone, etc.) en Algérie, nous dit-il. Ils sont arrivés au Niger avec “rien”, regrette-t-il. Il témoigne qu’ils sont plus de 1 000 [à être arrivés] à Assamaka, où ils ont passé trois semaines.
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Mamadou M. D., un jeune Guinéen, nous a confié avoir passé un mois, deux semaines et trois jours à Assamaka. Une seule phrase pour résumer la vie là-bas : “C’était difficile.” Par ailleurs, il se sent un peu soulagé de se retrouver à Agadez.
“J’ai été attrapé en Algérie. C’est l’OIM qui nous a amenés ici (à Agadez). Les Algériens nous ont déposés à 15 kilomètres d’Assamaka. On a marché pour rentrer à Assamaka. L’OIM nous a pris là-bas. Ils nous ont embarqués dans un camion, on est venu jusqu’à Arlit. À Arlit, on nous a embarqués dans un bus qui nous a amenés jusqu’ici, à Agadez”, a retracé Mamadou. Il souhaite par ailleurs retourner dans son pays, la Guinée.
Une prise en charge humanitaire
Parmi les acteurs humanitaires rencontrés, Souleymane Issaka, divisionnaire chargé de la protection de l’enfant à la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant d’Agadez.
À Agadez, tous ces migrants sont hébergés et pris en charge dans les centres de transit de différents organismes humanitaires ou au niveau de la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.
Selon le chargé du bureau de l’UNHCR-Agadez, M. Mahamat Nour Abdoulaye, les enfants bénéficient d’une attention particulière dans le cadre de la fourniture des besoins.
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“Au niveau de notre bureau, nous avons des enfants non accompagnés et des enfants séparés, ce qu’on appelle, en sigles, les ENA et les ES. Nous mettons un accent tout particulier sur ces enfants qui sont environ 19 ici, au niveau de la région d’Agadez, sous notre protection”, nous a expliqué le chargé du bureau de l’UNHCR-Agadez.
Ce sont les enfants de 8 à 17 ans qui sont [pris en charge par] le bureau de l’UNHCR-Agadez – pour la plupart des enfants soudanais, étant donné que les réfugiés soudanais sont en nombre élevé à Agadez, selon Mahamat Nour Abdoulaye. En dehors des enfants soudanais, il y a cependant une minorité d’autres enfants qui proviennent d’autres pays, précise-t-il.
À Agadez, la direction de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant intervient dans les questions migratoires depuis 2014 à travers le Centre de transit et d’orientation (CTO), créé en 2014 avec les premières opérations de refoulement des migrants nigériens vivant en situation irrégulière en Algérie, nous a fait savoir Souleymane Issaka.
C’est à partir de cette même année que “nous avons commencé aussi à prendre les enfants non accompagnés, les enfants seuls et les enfants victimes de traite”, souligne-t-il. Ce sont principalement les enfants nigériens en situation de migration, qu’elle soit interne ou transfrontalière, qui sont pris en charge par la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.
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“On leur offre un certain nombre de services. Et le premier de ces services, c’est l’hébergement au niveau de notre centre, qui a une capacité d’accueil de 50 lits qu’on peut étendre à plus en cas de nécessité. À part ça, il y a aussi ce que l’on appelle le ‘screening médical’, c’est-à-dire que tous les enfants que nous accueillons bénéficient de l’assistance sanitaire. S’il y a nécessité même d’hospitaliser ou de référer vers un centre de santé plus spécialisé pour la prise en charge, nous le faisons”, énumère Souleymane Issaka.
Traites de mineurs
Selon lui, tous ces enfants qui sont sur la route migratoire et qui sont aussi victimes de traite ont un vécu, que ce soit dans leurs villages d’origine ou bien à travers toute la route migratoire. “Donc, il y a un certain vécu que nous essayons de retracer à travers ce que nous appelons des histoires de vie. Et ces histoires de vie se font à travers des entretiens spécialisés. Et toutes ces informations se retrouvent en fin de compte dans ce que nous appelons des dossiers de protection”, explique le divisionnaire chargé de la protection de l’enfant.
“C’est pour que nos collègues vers qui nous référons ou bien nous transférons ces dossiers puissent continuer la prise en charge. Et ces dossiers concernent spécifiquement les enfants non accompagnés et les enfants seuls”, précise-t-il.
Malgré les efforts que déploie la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant d’Agadez pour apporter assistance aux enfants, plusieurs difficultés entravent le processus de prise en charge des enfants migrants.
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Un autre problème, c’est le nombre élevé des enfants en situation de migration dans la commune d’Agadez. “Tous ces enfants-là, peut-être qu’ils sont dans la perspective de continuer sur l’Algérie, mais c’est par milliers qu’on les dénombre au niveau de la commune d’Agadez. Et malheureusement, ces enfants sont aussi dans une situation qui les expose à beaucoup de dangers”, alerte le divisionnaire Souleymane Issaka.
“Et il n’y a pas beaucoup de réponses précises par rapport à la prise en charge de ces enfants-là, qui sont en situation de migration interne”, s’inquiète-t-il.
Le refoulement des migrants vers Agadez reste une préoccupation majeure pour la région en particulier et pour le Niger en général, qui récolte les conséquences de la politique européenne d’externalisation des frontières et de tous les mécanismes mis en place pour stopper le phénomène de la migration irrégulière.
Tous ces mécanismes mettent à mal le respect des droits des enfants du fait de l’incapacité de l’État et de ses partenaires à leur assurer une prise en charge effective.
Notre journaliste Anna a emmené Rim’K au Musée national de l’histoire de l’immigration, à Paris, pour parler de son histoire, de la relation complexe entre la France et l’Algérie mais également de l’immigration dans l’Hexagone au sens large. Bon visionnage !
« Tous les tragiques événements qui se sont passés (Paris, Tunisie, Mali…) et tous les endroits du monde où la paix est fragile m’ont inspiré quelques pensées, j’en ai fait un morceau qui s’appelle « tristesse ». Mon ami et réalisateur Threzor Eils a réalisé un montage sur ce titre que je tenais à vous partager, bonne écoute, paix sur vous et vos familles. »
C’est avec ces mots que Rim’K a décidé de partager son nouveau morceau, et de s’ouvrir aux yeux de tous. Entre compassion et dégoût, le cœur de Rim’K balance et ce dernier a une vision bien sombre de son avenir. Le rapper du 113 nous avait habitué à jouer l’épicurien dans ces derniers tracks. Ici, il nous prend au tournant avec ce titre poignant revenant sur les multiples attentats de ces dernières années.
n hommage à tous mes nombreux amis issus de l’immigration (maintenant ce sont les descendants).
Michel Dandelot
Par micheldandelot1 dans Accueil le 3 Novembre 2023 à 07:30
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