Dans leur décision rendue jeudi 25 janvier, les neuf juges constitutionnels ont considéré comme « cavaliers législatifs » 32 articles, c’est-à-dire sans lien suffisant avec le texte, sur les 86 adoptés par le Parlement.
Le Conseil constitutionnel a censuré, dans une décision rendue jeudi 25 janvier, une grande partie de la loi immigration, adoptée fin 2023 avec les voix de la droite et de l’extrême droite. Trente-deux articles sur 86 adoptés par le Parlement sont ainsi considérés comme des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire sans lien suffisant avec le texte. Dans ces cas, le Conseil ne se prononce donc pas sur le fond des propositions, qui peuvent faire l’objet de nouveaux projets ou propositions de loi. Reste que l’élagage est sévère.
Sont concernées certaines mesures les plus controversées du texte, obtenues par la droite, comme celles concernant l’accès aux prestations sociales que les opposants à la loi assimilaient à la « préférence nationale », concept central du programme du Rassemblement national. Il s’agit des dispositions soumettant le bénéfice de l’aide personnelle au logement, de l’allocation personnalisée d’autonomie et des prestations familiales pour l’étranger non ressortissant de l’Union européenne à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou à l’exercice d’une activité professionnelle depuis une certaine durée.
Même chose pour les articles concernant le durcissement de l’accès au regroupement familial ; la modification de certaines règles d’accès à la nationalité ; le changement des conditions d’hébergement d’urgence de certaines catégories de personnes sans abri ou encore les articles modifiant les conditions d’accès au titre de séjour pour soins.
Trois articles censurés au fond
Les neuf juges constitutionnels censurent en outre, cette fois au fond, partiellement ou totalement, trois des articles de la loi. Il en va ainsi de l’article 38 autorisant le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d’un étranger sans son consentement qui est censuré.
L’article 1er du texte est, quant à lui, partiellement censuré. Le texte prévoyait notamment d’imposer la tenue d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration. Il disposait également que le Parlement détermine des quotas d’immigration pour les trois années à venir (à l’exception de l’asile).
S’inscrivant dans une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge que le législateur ne peut imposer au Parlement l’organisation d’un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d’immigration. Cela serait en contradiction avec la séparation des pouvoirs. Il ajoute : « Une telle obligation pourrait faire obstacle aux prérogatives que le gouvernement ou chacune des assemblées, selon les cas, tiennent de la Constitution pour la fixation de l’ordre du jour ».
Le Conseil constitutionnel juge en revanche que le reste de l’article 1er, qui se borne à prévoir la remise d’un rapport destiné à assurer l’information du Parlement, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle.
« Le travail qu’aurait dû faire le gouvernement »
En revanche, le Conseil déclare partiellement ou totalement conformes à la Constitution dix articles de la loi, dont celui imposant à l’étranger de signer et respecter un contrat détaillant les principes de la République. Le Conseil constitutionnel juge que, « loin de méconnaître des exigences constitutionnelles, le législateur a pu, pour en assurer la protection, prévoir qu’un étranger qui sollicite la délivrance d’un document de séjour doit s’engager à respecter des principes, parmi lesquels figure la liberté d’expression et de conscience, qui s’imposent à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ».
L’adoption du texte, en décembre 2023, avait connu de nombreuses péripéties. Gérald Darmanin, d’abord, la première ministre de l’époque, Elisabeth Borne, ensuite, et Emmanuel Macron, enfin, avaient tous reconnu que le texte comportait des dispositions contraires à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a ainsi « nettoyé » le texte de ses scories les plus évidentes. « Le Conseil a fait le travail qu’aurait dû faire le gouvernement. Le texte tel que présenté n’aurait jamais dû arriver devant le Conseil, souligne Patrice Spinosi, avocat spécialiste des droits humains. Ce qui est à craindre, c’est que cela attise une opposition entre le politique et le juridique alors que le Conseil constitutionnel a rendu une décision conforme à sa jurisprudence qui conforte l’Etat de droit. »s
Dès la publication de la décision, la gauche parlementaire et les associations se sont félicitées de la large censure. Manuel Bompard, chef de La France insoumise a appelé le gouvernement à retirer la loi, Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, a estimé que l’exécutif « portera comme une tache indélébile l’appel à voter » ce texte. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a lui estimé sur X que « le Conseil constitutionnel [avait validé] l’intégralité du texte du gouvernement : jamais un texte n’a prévu autant de moyens pour expulser les délinquants et autant d’exigence pour l’intégration des étrangers ! »
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