Le nouveau plan 2023-2026, présenté lundi, vise notamment à systématiser dans les entreprises les tests sur les discriminations à l’emploi et à « élaborer des outils » avec les plateformes numériques et les influenceurs,
La Première ministre française Elisabeth Borne prend la parole pour présenter le Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, le 30 janvier 2023 (AFP/Emmanuel Dunand)
La Première ministre française Elisabeth Borne a présenté lundi un plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’anti-tsiganisme et les discriminations liées à l’origine, visant notamment à rendre moins vulnérable la jeunesse aux messages haineux.
« C’est en faisant savoir que l’on empêche l’Histoire de bégayer », a fait valoir la Première ministre Borne, dont le père de confession juive a été déporté puis a mis fin à ses jours quand sa fille avait 11 ans.
Durant sa scolarité, chaque élève devra ainsi participer à la « visite d’un lieu historique ou mémoriel en lien avec le racisme, l’antisémitisme ou l’anti-tsiganisme », car « c’est dès l’enfance que des stéréotypes peuvent s’installer », a-t-elle souligné.
« C’est en faisant savoir que l’on empêche l’Histoire de bégayer »
- Elisabeth Borne, Première ministre
« C’est dans notre jeunesse que certaines théories du complot foisonnent. C’est aussi sur nos jeunes que les messages haineux des réseaux sociaux ont le plus d’effet », a insisté la cheffe du gouvernement français.
Le nouveau plan 2023-2026 présenté lundi prévoit une série de mesures qui touchent différents secteurs, de l’éducation à l’emploi en passant par la justice ou le sport.
Il vise à systématiser dans les entreprises les tests sur les discriminations à l’emploi et à « élaborer des outils » avec les plateformes numériques et les influenceurs. Il portera aussi sur l’accès au logement pour « mettre en avant les bonnes pratiques, et dénoncer les mauvaises ».
Un code de bonne conduite pour les jeux vidéo et l’e-sport va aussi être mis en place. Des dispositifs de signalements pour tous ceux qui sont victimes de propos haineux dans les transports sont prévus d’ici à mars.
Un musée à la mémoire des gens du voyage
Elisabeth Borne a promis une « fermeté totale dans [la] réponse pénale », en permettant « l’émission de mandats d’arrêt » contre les personnes qui « dévoient la liberté d’expression à des fins racistes ou antisémites ». « Il n’y aura pas d’impunité pour la haine », a-t-elle assuré.
Les peines seront aussi aggravées en cas d’expression raciste ou antisémite « même non publique » pour les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, a-t-elle ajouté.
Une instance de l’ONU à nouveau préoccupée par l’ampleur du discours raciste en France
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Le plan doit permettre de « mieux mesurer » ces phénomènes, « de mieux éduquer et former », de « mieux sanctionner » les auteurs et de « mieux accompagner les victimes », a résumé la Première ministre.
Parmi les mesures, Elisabeth Borne a annoncé la création sur le site d’un ancien camp de concentration dans l’ouest de la France d’un musée à la mémoire des gens du voyage internés pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Cette communauté a besoin que cette histoire-là rentre dans l’Histoire de France », a salué Dominique Raimbourg, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage.
Le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France ) Yonathan Arfi s’est félicité qu’une visite mémorielle soit proposée à chaque jeune dans sa scolarité, tandis que le président de l’ONG SOS racisme, Dominique Sopo, a qualifié de « positif » le fait que « pour la première fois, un plan intègre la question de la discrimination raciale ».
Un autre plan contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle devrait être présenté en juin par le gouvernement français.
L’islamophobie oubliée dans le plan
Le parti d’extrême gauche Lutte ouvrière a réagi à l’annonce de ce plan en considérant que « les déclarations d’intention se dissolvent immédiatement dans la démagogie contre les étrangers qui est l’ordinaire du gouvernement, des sorties [du ministre de l’Intérieur Gérald] Darmanin contre le droit du sol à Mayotte, aux restrictions d’accès à la nationalité et aux expulsions en hausse programmées dans la nouvelle loi sur l'immigration ».
Le site d’information Médiapart note, pour sa part, que « le gouvernement n’a à aucun moment évoqué l’islamophobie qui sévit dans notre pays. Une lacune récurrente dans le discours du pouvoir depuis plusieurs années ».
Par ailleurs, le même média explique que « le plan gouvernemental risque en outre de se fracasser sur le mur de la faisabilité ». Car « plusieurs des dispositions promises lundi relèvent du champ législatif et doivent être adoptées par le Parlement pour entrer en vigueur. Une subtilité loin d’être anodine, alors que le camp présidentiel n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale et que le moindre vote de cette mandature relève pour l’exécutif d’une épreuve de force ».
Le secrétaire général des Nations unies António Guterres estime que le monde doit condamner fermement l’antisémitisme et l’islamophobie.
Le secrétaire général de l’ONU António Guterres s’exprime lors de la conférence de presse de fin d’année au siège de l’ONU à New York, le 19 décembre 2020 (AFP)
Le secrétaire général de l’ONU António Guterres prévient que l’extrême droite et les suprémacistes blancs en Occident sont la « plus grande menace terroriste », après l’arrestation de 25 personnes en Allemagne suspectées de vouloir renverser le gouvernement.
Le chef de l’ONU s’exprimait devant la presse lundi à l’occasion de la conférence de presse de fin d’année à New York, au cours de laquelle il a déclaré que cette affaire en Allemagne n’était qu’un exemple de la menace des organisations d’extrême droite pour les sociétés démocratiques à travers le monde.
« Il a été démontré que la plus grande menace terroriste aujourd’hui dans les pays occidentaux vient de l’extrême droite, des néonazis et des suprémacistes blancs », a insisté António Guterres.
Au début du mois, la police allemande a arrêté 25 suspects à travers le pays, des adhérents du mouvement des citoyens du Reich (Reichsbürger).
La France sous la menace du terrorisme d’extrême droite
Le ministère public les accuse « d’avoir réalisé des préparatifs concrets pour s’imposer au Parlement allemand avec un petit groupe armé ».
Les adhérents du mouvement citoyens du Reich rejettent la Constitution allemande d’après-guerre et appellent à renverser le gouvernement.
Guterres a ajouté que le monde devait faire attention à l’islamophobie et à l’antisémitisme, la première ayant énormément augmenté après la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis.
Un récent rapport de l’organisation australienne Islamic Council of Victoria (ICV) a découvert que près de 86 % des publications hostiles aux musulmans publiées en anglais sur les réseaux sociaux venaient des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Inde.
Sur deux ans, entre le 28 août 2019 et le 27 août 2021, c’est en Inde qu’on trouve le chiffre le plus élevé avec 871 379 tweets islamophobes, suivi par les États-Unis avec 289 248 tweets et le Royaume-Uni avec 196 376 tweets.
« Je pense que nous devons condamner très clairement et très fermement toute forme de néonazisme, de suprémacisme blanc, toute forme d’antisémitisme et de haine contre les musulmans », a déclaré Guterres.
Les Américains inquiets
Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis se sont lancés dans une grande campagne visant à arrêter les groupes d’extrême droite à la fois au niveau national et à travers le monde, avec une grande attention portée aux communautés musulmanes.
Pendant cette période, la menace intérieure posée par l’extrême droite a souvent été minimisée, selon les experts.
Cependant, selon un rapport de New America, un think tank de Washington, les organisations ou individus américains d’extrême droite avec des idéologies de droite ont tué davantage sur le sol américain que toute autre organisation depuis les attentats du 11 septembre.
Et l’année dernière, un sondage de The Associated Press et du NORC Center for Public Affairs Research a conclu que les Américains étaient plus inquiets de la violence des groupes et individus d’extrême droite ayant des idéologies de droite sur le sol national que des menaces provenant de l’étranger.
D’après ce sondage, 65 % des répondants américains étaient soit extrêmement inquiets soit très inquiets à propos des organisations basées aux États-Unis, tandis que 50 % disaient de même à propos des organisations militantes basées à l’étranger.
Ce sondage a été réalisé après les émeutes du 6 janvier 2021, lorsque des partisans du président sortant Donald Trump ont fait irruption au Capitole américain pendant une session du Congrès.
À l’affiche de Nos Frangins, le dernier film de Rachid Bouchareb, la comédienne franco-algérienne Lyna Khoudri sera aussi au casting du très attendu Les Trois Mousquetaires en 2023. Rencontre avec une star montante du cinéma français.
Lyna Khoudri au 75e festival de Cannes, le 24 mai 2022, lors de la présentation de Nos Frangins (AFP/Patricia de Melo Moreira)
Elle s’est distinguée en 2017 par le rôle de Feriel dans le long métrage Les Bienheureux de Sofia Djama et a décroché pour cette interprétation le prix de la meilleure actrice, dans la section Orizzonti, à la Mostra de Venise, en Italie.
En 2019, elle est une nouvelle fois remarquée dans le rôle de Nedjma, une étudiante, dans le long métrage Papicha de la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour.
Pour cette interprétation, elle a décroché le César du meilleur espoir féminin en 2020, succédant ainsi à une autre Franco-Algérienne, Kenza Fortas, primée pour son rôle de Shéhérazade dans le film éponyme français de Jean-Bernard Marlin, sorti en 2018.
Lyna Khoudri partage la vedette avec Reda Kateb et Samir Guesmi dans le nouveau long métrage de Rachid Bouchareb, Nos Frangins, sorti en France et en Algérie début décembre 2022.
Le film a été projeté en avant-première algérienne au 11e Festival international du cinéma d’Alger (FICA), dédié au film engagé.
Nos Frangins porte pour la première fois au grand écran l’affaire Malik Oussekine, étudiant franco-algérien battu à mort par trois policiers français, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, à Paris.
À l’époque, les étudiants manifestaient contre le projet du ministre Alain Devaquet sur la réforme des universités françaises, qui prévoyait notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités. Le film de Rachid Bouchareb met aussi en lumière une affaire, encore peu connue en France, celle de la mort, la même nuit que Malik Oussekine, d’Abdel Benyahia, jeune Franco-Algérien tué par un policier ivre qui n’était pas en service.
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Fille du journaliste de télévision algérienne Rabah Khoudri, qui s’est installé avec sa famille à Paris au début des années 1990, Lyna Khoudri est diplômée en arts du spectacle après l’obtention d’un bac théâtre.
La comédienne est apparue pour la première fois au petit écran, en 2014, dans l’un des épisodes de la saison 8 de la série Joséphine, ange gardien, réalisée par Philippe Proteau. Elle a joué ensuite dans plusieurs courts métrages, dont Rageuses de Kahina Asnoun et Avaler des couleuvres de Jan Sitta.
Après une quinzaine de longs métrages, elle sera en avril 2023 à l’affiche du dernier film de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires, d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas, dans lequel elle incarne Constance Bonacieux.
Middle East Eye : Dans Nos Frangins, vous interprétez le rôle de Sarah Oussekine, sœur de Malik Oussekine. Comment avez-vous abordé ce rôle ?
Lyna Khoudri : Il fallait d’abord se documenter pour camper ce personnage. Rachid Bouchareb a partagé avec nous tout le travail de recherche qu’il avait fait en amont avant la réalisation du film.
Cela m’a permis de plonger complètement dans cette histoire que je ne connaissais pas auparavant. Le cinéaste a rencontré Sarah Oussekine et m’a raconté les échanges qu’ils ont eus.
À partir de cela, il fallait trouver le bon angle pour être juste. Il est tout de même délicat de raconter l’histoire d’une famille qui existe réellement.
MEE : Pensez-vous que les affaires Malik Oussekine et Abdel Benyahia aient été effacées des mémoires en France ? L’affaire Abdel Benyahia est toujours inconnue…
LK : Étant née en 1992, je ne connaissais pas l’affaire Malik Oussekine. Ce n’est pas ma génération. Abdel et Malik sont morts la même nuit. Je sais qu’à l’époque, l’affaire fut très médiatisée et il y a un vrai problème sur le traitement médiatique de l’affaire Abdel Benyahia, une affaire complètement étouffée.
Il y a d’autres histoires similaires qui n’ont jamais été mises au-devant de la scène et dont on n’entendra jamais parler. C’est pour cette raison que Rachid Bouchareb a décidé de porter à l’écran l’affaire Abdel Benyahia en mettant en miroir les deux histoires.
Ces deux affaires sont liées à des violences policières. Une question largement débattue ces deux dernières années en France avec le traitement réservé aux manifestations des Gilets jaunes. C’est donc un film lié à une actualité.
Plusieurs milliers de personnes manifestent silencieusement à Paris, le 6 décembre 1986, de la place de la Sorbonne à l’hôpital Cochin où repose le corps de Malik Oussekine, le jeune étudiant décédé le matin même après avoir été violemment frappé par des policiers en marge d’une manifestation étudiante contre le projet de réforme universitaire du ministre Alain Devaquet (AFP/Michel Gange)
C’est pour cette raison que j’ai trouvé important de participer à ce projet. Rachid Bouchareb nous a raconté comment il avait vécu les manifestations de décembre 1986. Je me suis souvenue de ce que j’ai vécu en 2005 lorsque j’étais collégienne dans la banlieue parisienne.
À l’époque, il y avait eu de grosses émeutes après la mort de deux garçons, Zyed Benna et Bouna Traoré [morts électrocutés le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, après avoir été poursuivis par des policiers].
C’est avec cela que j’ai grandi. Aujourd’hui, il y a Black Lives Matter, l’affaire Adama Traoré [décédé à la gendarmerie après son interpellation alors qu’il tentait de fuir un contrôle de police concernant son frère], l’affaire Théo [blessé lors d’une violente interpellation]. Des affaires médiatisées. Cela m’a fait prendre conscience de la nécessité d’en parler aujourd’hui.
MEE : Selon Rachid Bouchareb, rien n’a changé, entre 1986 et 2022, pour les migrants d’origine étrangère vivant en France. Partagez-vous cet avis ? Avez-vous le sentiment d’être toujours étrangère en France ?
LK : Rachid Bouchareb m’a parlé de la difficulté qu’il avait à monter en 2006 le filmIndigènes avec un casting constitué essentiellement de comédiens arabes.
J’essaie de passer au-dessus de cela, de ne pas me soucier du regard des autres. Cela dit, à plusieurs reprises, je ne me suis pas sentie à l’aise dans ma vie, dans des endroits qui n’étaient socialement pas accessibles pour moi. Des endroits très parisiens, un peu bourgeois, où vous n’avez pas les bons codes, où vous n’êtes pas habillé comme il le faut et où on vous regarde de haut.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier
MEE : Les choses ont-elles changé ?
LK : Oui. Pour le métier que je fais, du moins, il y a davantage d’accès parce qu’il y a plus de rôles et plus d’histoires.
En tant que migrants, nous nous sommes appropriés les choses, battus pour faire nos films, avoir nos boîtes de production, écrire nos histoires. Donc, il faut continuer dans ce sens-là.
MEE : En France, des politiques de droite et d’extrême droite critiquent en permanence l’arrivée de migrants en France, certains parlent de « grand remplacement ». Comment réagissez-vous à ce genre de déclarations qui provoquent la peur ?
LK : Ce genre de déclarations n’est pas représentatif de la France. C’est minoritaire. Mais j’ai grandi avec des Le Pen pas très loin ! J’ai l’impression que les choses stagnent. À certains endroits, c’est pire, c’est mieux dans d’autres. Je ne m’y connais pas assez en politique pour m’avancer plus. Je suis différente de mon père à ce niveau-là.
MEE : Justement, être fille d’un journaliste de télévision, qui a donc un rapport avec l’image, vous a-t-il aidée dans votre carrière professionnelle ?
LK : Oui. Cela m’a surtout donné l’amour de l’image. J’ai mis du temps à le comprendre. En faisant le métier de comédienne, je pensais m’éloigner de mon père, mais en fait, ce n’était pas le cas.
Mon père m’a appris à aimer l’image, à regarder un écran, à analyser un plan, à manipuler une caméra, à faire la différence entre les techniques...
J’ai appris très tôt. Petite, je regardais des films avec mon père. Il m’expliquait à chaque fois les plans, la mise en place des caméras, le travelling, les plans-séquences... En grandissant, j’avais tous ces termes techniques en tête.
En fait, je ne me suis même pas rendu compte que c’était un plus. Et, en débutant dans le cinéma, j’avais l’impression de tout savoir, de comprendre tous les codes. Il y avait des mots qui me paraissaient familiers. Parfois, dans les tournages, j’expliquais à mes collègues qui débutaient les techniques, les plans. J’avais donc un petit avantage grâce à mon père.
Cela dit, mon père ne m’a pas pistonnée. J’ai tout fait en France, lui a tout fait en Algérie. Mon père ne connaît ni Rachid Bouchareb ni Mounia Meddour mais il m’a donné l’amour du cinéma. Et l’amour de l’Algérie aussi. Mais j’ai fait ce que je voulais : je n’ai pas étudié les sciences politiques à l’université comme lui. J’ai fait autre chose en apprenant de lui.
MEE : Qu’est-ce qui vous a amenée au cinéma ?
LK : Au début, j’ai fait du théâtre au lycée pour m’amuser avec mes amis. Après le bac, je n’ai pas continué et j’ai senti comme un manque.
Un jour, j’ai rencontré la réalisatrice Nora Hamdi, qui est d’origine algérienne et qui a réalisé en Algérie le film La Maquisarde, en 2020. Elle m’a demandé si j’étais intéressée par une carrière d’actrice. Je lui ai répondu que j’aimais bien le cinéma sans penser à être actrice.
Je voulais rester dans la culture sans savoir quoi faire, peut-être travailler dans les musées, faire l’école du Louvre, faire du cinéma... je n’avais pas tranché.
Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres
Donc, je me suis inscrite au cinéma à la fac et me suis rendu compte que je n’aimais pas ça ! Après, j’ai fait des études de théâtre, et là, j’ai senti que j’étais bien à ma place, j’ai pris beaucoup de plaisir. Je me suis dit, quitte à prendre du plaisir, autant en faire son métier.
J’écris beaucoup sur les personnages que je joue. Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres. Cela dit, il n’y a pas un avant ou un après le César. Je suis restée la même et je continue de faire mon travail normalement.
MEE : Voulez-vous reprendre le théâtre ?
LK : Oui, j’ai envie de continuer à faire du théâtre. Cela fait bien partie du métier de comédien. Ce qui se passe au cinéma est différent de ce qui se passe sur scène. J’ai beaucoup appris au théâtre. J’ai l’impression que quand on fait du théâtre, on peut tout faire après.
Il y a l’obligation d’être là et de créer sur l’instant, quoi qu’il arrive, même si vous oubliez votre texte ou si vous êtes fatigué ou malade. Il faut inventer au moment présent. Pour moi, le théâtre est la meilleure école pour le comédien. Au théâtre, on a plus de temps pour préparer le rôle. Les répétitions peuvent durer six mois. Ce temps n’existe pas au cinéma. Cela fait cinq ans que je tourne dans des films et en 2023, je vais revenir au théâtre.
MEE : C’est la deuxième fois que vous jouez avec Reda Kateb au cinéma. Comment se fait le travail avec lui sur le plateau de tournage. Dans Nos Frangins, vous partagez des rôles principaux ?
LK : C’est très simple entre nous. Reda est bienveillant. Il y a beaucoup d’entraide et de partage. On est très à l’écoute l’un de l’autre. Reda Kateb est mon grand frère. On se comprend. Nous avons les mêmes codes. Nous avons la même origine, la même culture et la même éducation.
« Reda Kateb est mon grand frère. On se comprend. Nous avons les mêmes codes. Nous avons la même origine, la même culture et la même éducation » – Lyna Khoudri (AFP/Loïc Venance)
Avec Rachid Bouchareb, le tournage se fait dans une ambiance de famille. Je trouve que les fins de tournage sont toujours tristes. On passe deux à trois mois ensemble avec la même équipe, et puis on se retrouve seule dans sa chambre un soir.
Après, il faut bien reprendre sa vie, sortir, faire des courses, mais j’ai l’impression que les personnages ou les éclats de personnages restent, continuent d’exister en nous...
MEE : Vous n’avez pas connu l’Algérie des années 1990 contrairement à votre père Rabah Khoudri. Des journalistes et des techniciens de la télévision algérienne, ex-RTA, avaient été ciblés par les islamistes radicaux armés. Tourner Papicha avec la réalisatrice Mounia Meddour, un film qui aborde aussi la question de l’extrémisme, était peut-être pour vous une manière de plonger dans les années 1990…
LK : Ma chance est que mes parents ne m’ont rien caché, m’ont toujours tout raconté.
J’ai vu le film Le Repenti de Merzak Allouache, c’est tout. Je n’ai pas beaucoup de matière par rapport à cette période. Parler de l’Algérie des années 1990 est toujours douloureux, cela ravive à chaque fois de mauvais souvenirs.
Mes parents m’ont parlé de leur installation en France. C’était un déchirement pour eux. J’ai toujours su d’où on venait, pourquoi on était là et comment on était arrivés.
Le 22 mars, les Algériens aussi se souviennent de leurs morts
Quand j’ai tourné dans Papicha, en mai 2018 à Alger, je savais que je rendais hommage à mes parents. Se replonger dans les années 1990 était émouvant. Tous les membres de l’équipe de tournage étaient concernés par les années 1990, avaient un rapport de près ou de loin avec cette guerre.
Nous avons tous un membre de la famille, un voisin ou un ami victime des violences. Tout le monde dans la rue en Algérie a une histoire avec la décennie noire, moi, je préfère parler de « guerre civile ».
MEE : Pourquoi ?
LK : Parce qu’il faut mettre des mots clairs sur ce qui s’est passé en Algérie durant cette période.
Lors du tournage de Papicha, il y avait une certaine énergie puisque tout le monde était concerné. Tout le monde avait son mot à dire. J’ai appris lors de ce tournage qu’à l’époque, en Algérie, les gens ne disaient pas « au revoir » mais « smah binatna » (je te pardonne ; sous-entendu, si jamais on ne se revoit plus parce que l’un de nous est tué, on fait table rase du passé).
Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
Ces détails étaient importants pour la consistance et la véracité du film. Donc oui, c’était une forme de plongeon collectif dans cette période. Nous avons tourné à Tipaza [sur le littoral septentrional] dans des bâtiments complètement désaffectés alors qu’ils étaient, avant la guerre, destinés aux activités touristiques. Revenir dans ces murs, tourner dans la Casbah d’Alger, se réimprégner de tout cela, c’était fort émouvant.
MEE : Les films Papicha et Houria évoquent aussi la question de la femme. Le cinéma est-il le meilleur moyen d’aborder la thématique de la femme, de ses droits et de son émancipation ?
LK : C’est un bon moyen, comme le sont aussi la littérature et la musique. L’art reste un bon moyen pour s’emparer de problématiques sociétales et humaines. Il est important que le cinéma soit féminin.
MEE : Le film Papicha n’a toujours pas été projeté en Algérie, presque trois ans après sa sortie. Une réaction ?
LK : Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
« Nous n’accepterons pas que renaisse cette idéologie de débiles que nous n’avons que trop connue au temps de la guerre d’Algérie », écrivait Jean-Paul Sartre en 1972.
Jean-Paul Sartre répond aux questions des journalistes devant les usines Renault à Boulogne-Billancourt, le 28 février 1972, lors d’une manifestation pour protester contre l’assassinat du militant maoïste Pierre Overney. (JOSEE LORENZO / INA VIA AFP)
Faisant un parallèle entre le colonialisme et le racisme en France, Jean-Paul Sartre pointait, dans « le Nouvel Obs » en 1972, « une autre colonisation », celle consistant à faire venir en France « des ouvriers de pays européens pauvres, comme l’Espagne ou le Portugal, et de nos anciennes colonies pour les affecter à des travaux pénibles dont les ouvriers français ne veulent plus ». Le philosophe revenait sur un fait divers : un Arabe, Mohamed Diab, 32 ans, abattu par un policier, dans le commissariat de Versailles, parce qu’« il ne voulait pas se tenir tranquille ». Plus de sept ans après, le sous-brigadier Robert Marquet bénéficiera d’un non-lieu, la légitime défense étant retenue.
Dans les archives de « l’Obs »
Quel monde, quels Français, quelle société racontait « le Nouvel Observateur » (devenu « l’Obs » en 2014) voilà un demi-siècle ? Chaque week-end, nous vous proposons un article, interview, reportage, portrait ou encore courrier de lecteurs puisé dans nos archives.
L’année précédente, notre hebdomadaire exposait le refus de propriétaires et d’agences immobilières de louer à des Nord-Africains. Une décennie plus tard, en 1984, c’était certains campings qui affichaient complet pour les Maghrébins, et en 1986, comme le rappelle « Nos frangins », le film de Rachid Bouchareb en ce moment sur les écrans, les jeunes Malik Oussekine et Abdel Benyahia étaient tués, la même nuit, par des policiers, sans aucune légitime défense dans les deux cas. Il y avait des témoins, mais seul le meurtrier du jeune Abdel fera de la prison ferme (condamné à sept ans, il en fera quatre) ; ceux de Malik Oussekine n’écoperont, pour deux d’entre eux, que de peines avec sursis.
par Jean-Paul Sartre
En France, le racisme, presque inexistant au XVIIIᵉ siècle, s’est développé en même temps que la colonisation bourgeoise. Une colonie devait vendre très bon marché les produits de son sol et de son sous-sol à la métropole et lui acheter cher les produits manufacturés : cela ne pouvait marcher que si l’on surexploitait les colonisés et si on les payait d’un salaire qui tendît de plus en plus vers zéro. Pour justifier cette pratique, l’idéologie raciste s’installe : les colonisés étaient des sous-hommes, il convenait de les traiter comme tels. Depuis 1945, les guerres perdues d’Indochine et d’Algérie auraient dû nous ouvrir les yeux : les colonisés, pauvres et sans armes, qui nous ont, par deux fois, battus, n’étaient pas plus que nous des sous-hommes.
Malheureusement, il s’est établi, depuis, une autre colonisation, que nous faisons sur notre propre sol : nous attirons chez nous des ouvriers de pays européens pauvres, comme l’Espagne ou le Portugal, et de nos anciennes colonies pour les affecter à des travaux pénibles dont les ouvriers français ne veulent plus. Sous-payés, menacés d’expulsion s’ils protestent, parqués dans des logements immondes, il fallait justifier leur surexploitation, qui devient un rouage essentiel de l’économie capitaliste française : ainsi naquit un nouveau racisme qui voulait faire vivre les immigrés dans la terreur et leur ôter, par là, l’envie de protester contre les conditions de vie qui leur étaient faites.
Des bandes mystérieuses, à Lyon, à Paris, opérant la nuit, égorgent ou noient des Arabes. D’autres, moins clandestines, prétendent « purifier » les quartiers où ils vivent, c’est-à-dire les en chasser. On avait peine à croire que ce renouveau de haine raciale avait pour origine un plan réfléchi de la police et de l’administration quand, ces jours derniers, l’assassinat de Mohamed Diab par le brigadier Marquet est venu nous ouvrir les yeux.
Ce jeune Arabe a été tué à coups de mitraillette dans le commissariat de Versailles, ainsi qu’en témoigne sa sœur Fatna, qui était présente et a tout vu. Au moment où Marquet a tiré, Mohamed était à cinq mètres de lui et n’était pas dangereux ; il est tombé, pour finir, à deux mètres cinquante du brigadier. Il ne s’agit donc pas de légitime défense : un flic « s’est fait un Arabe » pour se distraire. On lui a demandé « Pourquoi as-tu tiré ? » Et il a répondu : « Il ne voulait pas se tenir tranquille. »
Les journaux ont maquillé cette histoire ; le brigadier, pour l’instant, n’est pas poursuivi. Rien n’est plus clair. On met au point, en haut lieu dans les milieux politiques et administratifs, le nouveau racisme dont on veut infecter la population : on dit que l’Arabe est querelleur, voleur, violeur, etc. Mais ces idées périmées doivent se diffuser lentement, les bons citoyens qui assassinent les Marocains et les Algériens doivent rester anonymes : le brave brigadier Marquet a fait du zèle. En vérité, cet éclat est l’aboutissement inévitable du racisme qui s’est reconstitué en dix ans dans l’administration et dans la police et qui tire son origine de l’économie.
Nous n’accepterons pas que renaisse cette idéologie de débiles que nous n’avons que trop connue au temps de la guerre d’Algérie. Ou bien qu’on ôte le mot égalité des trois mots qui sont, nous dit-on, la devise des Français. (Il est vrai que l’on pourrait aussi ôter les deux autres, mais c’est une autre histoire.)
De 1956 à 1962, nous avons lutté pour que la victoire demeure aux Algériens. Pour eux d’abord, mais aussi pour nous : pour que la honte du racisme disparaisse de la pensée française. Nous n’accepterons pas que, aujourd’hui, en pleine paix, sous la présidence de Pompidou, elle reparaisse, tolérée, encouragée par les pouvoirs. L’ignoble assassinat de Mohamed a dessillé les yeux de beaucoup de Français. Ceux qui veulent montrer qu’un point de non-retour a été atteint, qu’il faut écraser le racisme ou nous résoudre à mériter le gouvernement de la peur à qui la bourgeoisie terrorisée a donné le pouvoir en 1968 appellent à des interventions directes dont la première sera une marche dans Paris.
Rarement Coupe du monde aura été autant politisée. En dépit du bon parcours des Bleus, le Mondial au Qatar restera marqué en France par une surenchère du discours réactionnaire et un déchaînement de violences en marge de la rencontre France-Maroc.
« La responsabilité de l’exécutif et des grands médias est réelle. Le matraquage médiatique et les politiques menées sont compris comme des autorisations symboliques de passer à l’acte » – Rafik Chekkat (AFP/Julien De Rosa)
Tous les ingrédients d’une fête étaient réunis. Le 14 décembre 2022, le Maroc défiait la France en demi-finale de la Coupe du monde. Première équipe africaine à se hisser à ce niveau de la compétition, la sélection marocaine est composée de nombreux Franco-Marocains, dont le sélectionneur Walid Regragui, natif de Corbeil-Essonnes en région parisienne.
Une rencontre historique, dont s’apprêtaient à profiter pleinement de nombreux Marocains installés en France. Mais loin d’être un élément catalyseur, la présence massive de ces binationaux a été le prétexte à une surenchère identitaire avant la rencontre. Était pointée du doigt la déloyauté supposée de ces Franco-Marocains, accusés d’être des « traîtres à la nation ».
Des groupes identitaires ont joint les actes à la parole. Sitôt la rencontre terminée, des attaques coordonnées ont eu lieu dans de nombreuses villes de France. À Paris, Strasbourg, Cannes, Annecy, Montpellier ou encore Lyon, des groupes affiliés à l’extrême droite s’en sont pris violemment aux personnes affichant leur soutien à l’équipe nationale marocaine.
Loin d’être de simples affrontements entre supporters, il s’est bien agi d’une offensive coordonnée et planifiée de tabassages en règle de personnes dont la présence dans l’espace public était jugée intempestive. Un mot de triste notoriété en France s’est imposé pour qualifier ces expéditions punitives, celui de « ratonnades ».
De la fête au cauchemar
Dès le lundi 12 décembre 2022, une note du renseignement territorial a fait état des risques d’affrontements entre supporters de l’équipe marocaine et des groupes qualifiés d’ultra-droite. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes affiliés à cette frange politique ont évoqué « un affrontement avant tout civilisationnel entre les deux nations ».
Ces offensives [des groupes identitaires…] témoignent de la confiance qui est aujourd’hui la leur et du degré d’organisation et d’impunité qu’ils ont fini par acquérir. Loin d’être un fait isolé, ces attaques ont été permises et encouragées par le climat délétère en France
À Paris, quelques minutes après le coup de sifflet final, une quarantaine d’individus faisant partie de la mouvance d’extrême droite a été interpellée à la sortie d’un bar du 17e arrondissement. Cagoulés et armés, ils ont été placés en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ».
Si certains groupes ont pu être neutralisés à temps, beaucoup sont passés entre les mailles du dispositif policier. Par dizaines, ils ont attaqué des femmes et des hommes venus soutenir l’équipe marocaine. Des scènes de chaos ont aussitôt été relayées sur les réseaux sociaux. La fête a viré au cauchemar.
Ces offensives menées de concert dans plusieurs grandes villes constituent un point de bascule dans la violence perpétrée par les groupes identitaires. Elles témoignent de la confiance qui est aujourd’hui la leur et du degré d’organisation et d’impunité qu’ils ont fini par acquérir. Loin d’être un fait isolé, ces attaques ont été permises et encouragées par le climat délétère en France.
Surenchère permanente
Les violences commises en marge du match France-Maroc ne sont pas le fait d’esprits dérangés. Renvoyer leurs auteurs aux marges du spectre politique serait une erreur. Prendre la mesure de l’événement nécessite au contraire de le resituer dans son contexte politique immédiat : celui d’une surenchère permanente autour des thèmes liés à l’islam et l’immigration.
Et comme souvent en matière de racisme, les exemples viennent d’en haut. Pour n’en citer que quelques-uns, le discours du 2 octobre 2020 aux Mureaux d’Emmanuel Macron est empli d’un vocabulaire guerrier, celui de la « grande mobilisation » et du « patriotisme républicain » contre l’ennemi séparatiste. Il est question de « terrain », de « bataille » et même de « reconquête ».
Quand on stigmatise à longueur de discours, de lois et de dissolutions la présence musulmane, immigrée, on signifie à qui l’espace public appartient de plein droit. Et qui peut en être exclu, fût-ce par la force
Ses ministres ne sont pas en reste. Elles et ils ont multiplié les outrances racistes et les déclarations martiales. Comment croire que tout cela resterait sans effet ? Quand on stigmatise à longueur de discours, de lois et de dissolutions la présence musulmane, immigrée, on signifie à qui l’espace public appartient de plein droit. Et qui peut en être exclu, fût-ce par la force.
La responsabilité de l’exécutif et des grands médias est par conséquent réelle. Le matraquage médiatique et les politiques menées sont compris comme des autorisations symboliques de passer à l’acte. Opposer un racisme institutionnel à un racisme individuel relève de la pure forme. Les violences en marge de la rencontre France-Maroc sont tout sauf un accident.
Insoutenable visibilité musulmane
Le fait qu’un pays arabe et musulman accueille pour la première fois sur son sol la compétition majeure du sport le plus populaire de la planète n’est certainement pas étranger aux discours et violences identitaires en France avant et durant la compétition. En témoignent par exemple les polémiques autour de l’interdiction de la vente d’alcool dans et aux abords des stades.
Venus en nombre assister aux rencontres, les supporters des pays arabes et musulmans ont en outre offert une visibilité musulmane inédite dans ce type d’événements. De l’omniprésence des drapeaux palestiniens jusqu’aux spots de publicité du Mondial montrant des enfants en tenue traditionnelle jouant au football, tout concourrait à irriter les esprits islamophobes.
L’équipe du Maroc célèbre sa victoire contre l’Espagne lors du Mondial du Qatar, le 6 décembre 2022 (AFP/Manan Vatsyayana)
Le parcours historique de l’équipe nationale marocaine a également joué un rôle dans cette visibilité positive. Largement relayées, les images des prosternations des joueurs après leurs victoires de prestige, de même que les scènes de joie de joueurs avec leurs mères portant un hijab, ont empli de fierté nombre de musulmanes et de musulmans à travers le monde.
Si le lieu de la compétition et la visibilité musulmane ont pu exacerber le ressentiment du camp réactionnaire, c’est bien la question plus profonde de la binationalité qui a joué un rôle moteur dans les surenchères identitaires durant ce Mondial. Et pour cause, cette thématique se trouve au cœur de l’imaginaire nationaliste, qui est loin de se limiter à la seule droite.
Communauté imaginée et bi-nationalisme
Plus de 37 joueurs nés en France (auxquels il faut ajouter ceux qui ont été naturalisés) ont évolué dans une autre sélection que la France au cours de ce Mondial. Là où l’on pourrait y voir une preuve du rayonnement de la France, certains ont fustigé ces binationaux qui ont préféré jouer pour le pays d’origine de leurs parents plutôt que pour celui qui les a vus naître.
Comme si la nationalité française était une identité exclusive, qui excluait par conséquent toute autre forme d’affiliation ou de fidélité (y compris à l’islam). Ce refus de penser le multiple est bien au cœur de l’imaginaire réactionnaire
Au-delà du football, la binationalité semble être un défi permanent posé aux tenants d’une représentation conservatrice de la nation, qui n’est pas l’apanage du bloc identitaire. La nation y est comprise comme l’aboutissement d’« un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements », pour reprendre les mots d’Ernest Renan dans Qu’est-ce qu’une nation ?.
En faisant du culte des ancêtres « le plus légitime de tous » et de l’appartenance nationale un « plébiscite de tous les jours », le philologue français est celui qui a su le mieux formuler la nation en termes exclusifs (et par conséquent excluants) d’un héritage à faire valoir et à protéger.
Par conséquent, aux derniers arrivés ferait continuellement défaut « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs », rendant douteuse la sincérité de leur attachement au pays. Faute d’enracinement suffisant, l’appartenance nationale est suspectée, l’exemplarité exigée. En dépit d’une citoyenneté partagée, certains seraient ainsi moins français que d’autres.
Les injonctions à choisir qui sont régulièrement adressées aux binationaux illustrent bien l’impasse des discours conservateurs sur la nation. Comme si la nationalité française était une identité exclusive, qui excluait par conséquent toute autre forme d’affiliation ou de fidélité (y compris à l’islam). Ce refus de penser le multiple est bien au cœur de l’imaginaire réactionnaire.
De Renan à Drumont, de l’antisémitisme à l’islamophobie, des lois contre les étrangers aux projets de déchéance de nationalité, ces thèmes du supranationalisme et de la double allégeance ont été et sont le carburant des discours revanchards et des pratiques d’exclusion. S’en extirper demeure l’un des défis politiques majeurs de notre temps.
Trente-huit personnes faisant partie de la « mouvance d’extrême droite », selon les enquêteurs, ont été arrêtées après la demi-finale de Coupe du monde. Le résultat des fouilles raconte une violence préparée jusqu’au fond des poches.
L’un participait aux meetings d’Eric Zemmour et affirme vouloir entrer dans la gendarmerie, un deuxième fait partie de groupes de messagerie intitulés « Hitler » ou « ANTI PD », un troisième tente de supprimer une application de messagerie sécurisée de son téléphone avant que les enquêteurs ne s’en emparent, sans succès.
Trente-huit personnes proches de l’extrême droite radicale ont été interpellées, mercredi 14 décembre, après la demi-finale de la Coupe du monde de football qui opposait la France au Maroc. Parmi eux : quinze « fichés S ».
Il est précisément 22 h 05, le coup de sifflet final vient à peine de résonner, libérant une marée bleue dans les rues de la capitale. Mais un attroupement mêlant cagoules et « moyens offensifs » attire le regard des policiers, à la sortie d’un bar du 17e arrondissement de la capitale. En résultent trente-huit placements en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences », certains y ajoutent la « participation avec arme à un attroupement ». Tous font partie de la « mouvance d’extrême droite », selon les enquêteurs.
Lacrymo, matraque télescopique
Âgés de 17 ans à 36 ans, les trente-huit gardés à vue viennent pour la plupart de région parisienne, mais certains ont fait le déplacement depuis Rouen ou Rennes. Beaucoup sont connus pour leur appartenance à divers groupuscules d’extrême droite : de l’ex-GUD aux Zouaves, en passant par Génération identitaire ou le Bastion social, les trois derniers ayant été dissous en conseil des ministres.
Le résultat des fouilles raconte la violence préparée jusqu’au fond des poches, et la tournure qu’aurait pu prendre la soirée : plusieurs lacrymo, une matraque télescopique, un protège-tibia, des cagoules noires ou de camouflage militaire, des gants coqués, ainsi qu’un sac à dos contenant « diverses armes de catégorie D » et des fumigènes, jeté par l’un des interpellés sans que les enquêteurs ne puissent déterminer lequel. Une carte de sapeur-pompier militaire, une carte de légionnaire et une carte de circulation militaire sont également saisies.
Sur ce « fiché S » de 22 ans, ce sont des autocollants du GUD – pour « groupe union défense », un groupuscule ultraviolent d’extrême droite autodissous qui semble revenir sur le devant de la scène radicale – qui ont été retrouvés. Il explique en garde à vue qu’avant le match, il distribuait des tracts devant l’université Paris-II-Panthéon-Assas pour « expulser les gauchistes ». Puis il a filé au bar, avec un ami bien connu de la police comme de la justice : Marc de Cacqueray-Valmenier.
Ce dernier, un ultranationaliste de 24 ans adepte du coup de poing et des sports de combat, était d’ailleurs sous contrôle judiciaire avec interdiction de paraître à Paris. Il est en effet mis en examen pour « violences volontaires » après l’agression de militants de SOS Racisme lors d’un meeting du candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle Eric Zemmour, en décembre 2021, à Villepinte (Seine-Saint-Denis).
Marc de Cacqueray-Valmenier, ancien leader des Zouaves, groupuscule violent dissous en janvier en conseil des ministres, n’en est pas à sa première garde à vue, ni à son premier coup de cutter dans ses obligations judiciaires. En janvier 2019, il avait déjà été condamné à quelques mois de prison avec sursis pour « participation à une entente en vue de commettre des violences ou des dégradations » : il s’était glissé parmi les « gilets jaunes » le 1er décembre, à Paris, lors d’un acte III émaillé par de nombreuses violences dans la capitale, dont le saccage de l’Arc de triomphe.
En janvier, il avait cette fois été condamné à un an ferme pour l’attaque du Saint-Sauveur, un bar parisien antifasciste, une affaire dans laquelle il a fait appel. Il était alors déjà incarcéré depuis quelques jours à la suite de violations des obligations de son contrôle judiciaire et omissions de pointage au commissariat de police de Fontainebleau. Il avait été remis en liberté en mars, sous contrôle judiciaire.
En novembre 1986 — dans le premier gouvernement de cohabitation, où Jacques Chirac a été nommé premier ministre par François Mitterrand —, le projet de loi Devaquet, qui introduit une sélection à l’entrée et à la sortie des universités, met des centaines de milliers de lycéens et d’étudiants dans la rue. La mobilisation va monter en puissance jusqu’au défilé historique du 4 décembre qui draine entre la Bastille et les Invalides près d’un million de personnes. Le 5 décembre, nouvelle manifestation. Les brigades de « voltigeurs » (policiers se déplaçant à moto, armés de longs bâtons inspirés des « bidules » de la guerre d’Algérie) ont été mobilisées et ratissent le Quartier latin jusque tard dans la nuit. La suite, la mort de Malik Oussekine, dans la nuit du 5 au 6 décembre, est connue. Le jeune étudiant franco-algérien qui rentrait chez lui est pris dans des affrontements et tabassé à mort lorsqu’il tente de se réfugier dans un immeuble. Ce qui en revanche est moins connu, sinon des militants des luttes contre les crimes racistes et les violences policières, c’est la mort, la même nuit, d’Abdelouahab Benyahia, dit Abdel, un autre jeune Français d’origine algérienne, dans un café de Pantin, tué à bout portant, alors qu’il tentait de s’interposer dans une bagarre, par un policier pleinement alcoolisé, en dehors de son service.
C’est autour de cette trame que se tisse le nouveau film de Rachid Bouchareb, Nos frangins, sorti en salle le 7 décembre, qu’il présente comme « une fiction inspirée de faits réels », et qui aligne, selon la formule convenue, « une partie des meilleurs acteurs du moment » : Reda Kateb (Mohamed, le frère aîné de Malik Oussekine), Lyna Khoudri (sa soeur Sarah), Raphaël Personnaz (Daniel Mattei, de l’Inspection générale de la police nationale), et Samir Guesmi (le père d’Abdel), etc. Une fiction inspirée de faits réels donc, qui prétend reconstituer les faits sur trois jours : un des éléments clef, c’est que la mort de Malik Oussekine est connue dès la nuit du 6 décembre, tandis que celle d’Abdel est volontairement dissimulée sur près de 48 heures, les autorités politiques redoutant des réactions violentes devant ce double meurtre. Le premier provoquera la démission immédiate du ministre Devaquet et le retrait de sa loi, le 8 décembre. En revanche, des trois voltigeurs incriminés, l’un sera simplement mis à la retraite et les deux autres condamnés, en janvier 1990, à deux et cinq ans de prison avec sursis pour « homicide involontaire ». Le deuxième homicide, il faudra l’engagement sans faille de la famille d’Abdel pour le faire reconnaître et juger. Ses parents et ses huit frères, avec le comité Justice pour Abdel, et leurs avocats — dont Jacques Vergès, puis Léon Forster —, parviendront à ce que les faits soient requalifiés en « homicide volontaire » et que son assassin soit condamné à sept ans de prison ferme par le tribunal de Bobigny en 1988.
Rachid Bouchareb connaît bien l’histoire de Malik Oussekine dont SOS racisme fit son étendard : « Je suis parti avec ce mouvement de SOS racisme, et l’espoir qu’on allait changer la société car on y croyait beaucoup », indique-t-il dans le dossier de presse du film (SOS racisme en est partenaire, aux côtés de la Licra, de la LDH, d’Amnesty International et du Mrap). Il va finement reconstituer son environnement familial et mettre l’accent sur les éléments témoignant de son « intégration ». Le frère de Malik est un brillant entrepreneur qui connaît ses droits et ne se laisse pas intimider par la police. Sa sœur est en couple avec un policier et ne se range pas dans la catégorie de ceux qui détestent les forces de l’ordre. Malik avait sur lui une bible (utilisée pour le présenter dans un premier temps comme un phalangiste libanais — la période est aussi aux attentats liés à la situation au Proche-Orient...), il voulait devenir prêtre. Pour lui, la fiction va chercher à coller au plus près des faits.
Mais en ce qui concerne Abdel, c’est autre chose. Le réalisateur se targue d’avoir fait, avec sa co-scénariste l’écrivaine Kaouther Adimi, des recherches approfondies auprès de témoins et d’archives. Il n’hésite pas à affirmer — toujours dans le dossier de presse - : « Le père d’Abdel obéit et croit à tout ce qu’on lui dit (il est blessé, interdiction de voir le corps) tandis que le frère de Malik n’écoute pas ce que lui dit l’inspecteur Mattei : il veut voir le corps sans se contenter de rester derrière la vitre. Ce sont deux générations différentes. Le père d’Abdel, interprété par Samir Guesmi, représente ceci : j’accepte la situation, j’accepte mon statut dans ce pays, je me fais le plus invisible possible. Je connais les risques qui peuvent m’arriver et je veux protéger ma famille. Il ne veut pas que ses fils aillent à l’affrontement car il sait qu’ils ne gagneront pas et que la justice, ce n’est pas pour eux. Ce n’est pas dit comme cela mais je peux le dire car j’ai grandi dans cette réalité à l’époque. » Il a même grandi à deux pas de la famille d’Abdel, dit-il en interview avec Léa Salamé sur France Inter le 1er décembre après qu’elle a jugé le film « puissant, engagé et très réussi ». Mais il n’a pas cherché à la contacter, hormis un coup de fil bref et énigmatique à l’un des frères, ni surtout à reconstituer les faits qui ont pourtant été documentés : notamment dans « Rengainez, on arrive ! Chroniques des luttes contre les crimes racistes ou sécuritaires, contre la hagra policière et judiciaire, des années 1970 à aujourd’hui », de Mogniss H. Abdallah, (Libertalia, 2012), et dans le documentaire de 20 minutes, du même auteur, Abdel pour Mémoire, monté en 1988, la veille du procès à Bobigny, avec l’Agence IM’média, et le Comité Justice pour Abdel.
On y voit l’inverse de ce qu’il montre. Au lieu d’un père hagard, qui rase les murs, Monsieur Benyahia est en première ligne et sera de toutes les manifestations et réunions publiques. Avec son épouse et ses fils, soudés. Il est en tête de la marche silencieuse du 9 décembre, qui va de la cité des 4000 jusqu’aux Quatre-Chemins à Pantin, et rassemble deux mille personnes. Il est à celle du 10 décembre à Paris où les portraits d’Abdel et Malik sont alignés côte à côte. Il participe à un meeting décisif à La Courneuve, le 9 janvier, avec le soutien total de la Ville pour dénoncer un racisme structurel et l’impunité des violences policières qui sont le lot de la jeunesse des banlieues. C’est cette dynamique qui permettra d’obtenir l’une des premières condamnations à la prison ferme pour un crime policier. On a du mal à croire que Bouchareb l’ignore.
Il n’a pourtant pas lésiné sur l’utilisation de l’archive. Les images sont nombreuses et saisissantes des manifestations et de la violence de leur répression, des déclarations politiques et médiatiques du moment, dont celle très remarquée du ministre délégué à la Sécurité, Robert Pandraud, à propos de Malik Oussékine : « Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de faire le con dans la nuit. » Ou encore le témoignage édifiant de Paul Bayzelon, fonctionnaire au ministère des Finances, qui laisse le jeune homme entrer dans son immeuble pour le protéger et assiste à son lynchage.
L’abondance en est telle que certains plans de fiction ont parfois l’air de documents d’archives brouillant alors un peu plus le propos. De même, le parti-pris musical où des scènes de répression brutale sont rythmées par l’énergie électro de la Mano negra ou des Rita Mitsouko peut laisser dubitatif... Mais c’est cette représentation manichéenne d’une famille intégrée et éduquée, ayant réussi socialement, et d’une autre déclassée, soumise, apeurée qui heurte, d’autant plus qu’elle est contraire à la vérité. Il en ressort un film qui accumule les clichés et les caricatures, et reproduit une vision de classe et de surplomb.
Nos frangins a, en dépit de tout cela, été sélectionné pour représenter l’Algérie aux Oscars, et reçu un accueil médiatique enthousiaste qui reprend en chœur sans la vérifier, la thèse de « Deux bavures, deux assassinats. Le pouvoir ne veut pas de vague. Au frère de Malik, Mohamed (Reda Kateb) et à sa sœur Sarah (Lyna Khoudri), on tente aussi de maquiller les faits. Eux, contrairement au père d’Abdel, ne se laisseront pas endormir, exigeront la vérité, mèneront combat pour que justice soit faite et rendue. (Véronique Cauhapé, Le Monde, 7 décembre 2022). Comme si rendre compte de la mort d’Abdel Benyahia suffisait et que l’on pouvait mépriser son histoire. Au micro de Rebecca Manzoni, toujours sur France Inter, le 7 décembre, Reda Kateb affirmait pourtant : « On a une responsabilité quand on interprète une personne réelle. » Exactement...
Aussi ne s’étonnera-t-on pas que Nos frangins ait blessé la famille qui a rendu public un communiqué où elle cingle : « Alors certes, il s’agit d’une fiction cinématographique, mais le cinéma ne permet pas tout et n’importe quoi, surtout lorsqu’il s’agit de faits et de personnages réels cités en nom propre. » Et elle s’insurge contre les propos du réalisateur, qui prétend que la rencontre entre les deux familles « n’a pas existé » mais qu’il la suscite grâce à sa fiction. Alors que « différents membres des deux familles se sont bien rencontrés à plusieurs reprises » et que « dès nos premières manifs, nous avions une grande banderole qui disait « Abdel, Malik, plus jamais ça ! ».
Aussi demande-t-elle, pour rétablir la vérité, que Nos frangins soit précédé de la projection du documentaire Abdel pour Mémoire, que nul ne rappelle plus, ou a minima du communiqué. Ce qui a été fait, le 2 décembre, avant la sortie en salle, au cinéma L’Etoile de la Courneuve, où était également organisée une exposition, et dont a rendu compte l’Humanité, déclenchant la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
Suite à la publication de deux articles du Progrès relatifs à la séance houleuse d’un conseil municipal de la ville de Givors, commune de 20 000 habitants au Sud de la métropole de Lyon tenue par le maire d’extrême-gauche Mohamed Boudjellaba sous étiquette EELV, l’alerte est lancée le samedi 3 décembre 2022 par un élu d’opposition divers droite. Fabrice Riva, chef du groupe Givors Fière qui, sans étiquette, a rassemblé aux dernières élections toutes les sensibilités de la droite givordine sur sa liste, publie à la mi-journée un message alarmiste sur le réseau social Facebook. Le traitement médiatique réservé par la presse quotidienne régionale, en l’occurrence le journal Le Progrès, des incidents qui ont émaillé la séance du conseil municipal du 1er décembre à Givors, apparaît comme « irresponsable », selon les termes de Fabrice Riva, « quand on sait que l’assassinat du professeur Samuel Paty avait été précédé par les mêmes procédés ».
D’un lynchage à l’autre
L’allusion est lourde de sens et peu flatteuse pour Le Progrès, puisqu’elle désigne le lynchage, sur les réseaux sociaux, de ce professeur d’histoire de Conflans-Sainte-Honorine qui avait été sans aucun fondement accusé de racisme et d’islamophobie par les parents d’une élève affabulatrice, lâché par sa hiérarchie et ses collègues, avant de voir les accusations contre lui relayées par la mosquée locale ainsi qu’un média communautariste et complotiste, puis d’être sauvagement assassiné par un islamiste tchétchène, le 16 octobre 2020. Que s’est-il donc passé à Givors pour provoquer une aussi grave accusation ?
Un maire d’extrême-gauche qui se livre régulièrement à l’apologie d’un mouvement raciste
La chronologie des faits commence par la publication, le 9 novembre 2022, d’un article de L’Incorrect qui, explorant l’hypothèse de la haine de la France comme facteur ayant pu contribuer à l’assassinat de l’adolescente Lola, accorde un long développement au cas de la ville de Givors. On y apprend notamment que « le maire, Mohamed Boudjellaba, élu depuis juin 2020 et lui-même d’origine algérienne, mène une politique culturelle et mémorielle assez singulière qui concentre tous ses efforts sur l’apologie continuelle du FLN et la dénonciation de la colonisation française et de ses crimes supposés. Tout y passe : inauguration d’une rue au nom de Gisèle Halimi, avocate des poseurs de bombes du FLN, cérémonie d’hommage aux victimes du massacre de Sétif, baptisée « l’autre 8 mai 45 », discours à l’orientation clairement pro-FLN lors des cérémonies du 19 mars, invitation d’historiens militants pro-FLN, comme Benjamin Stora, en conférence pour n’y évoquer que les crimes dont le FLN accuse la France et invention d’une « cérémonie du 17 octobre » et de son supposé massacre. »
Présence d’un représentant du consulat d’Alger à Lyon lors de cérémonies officielles
Rien, sans doute, qui ne soit déjà connu des Givordins et de leurs élus. Mais l’article de L’Incorrect soulève surtout un point juridique important, qui avait peut-être jusque-là échappé à nombre d’acteurs locaux, à commencer par le maire d’extrême-gauche lui-même : « La présence, à cette occasion, d’un représentant du consulat d’Alger à Lyon, comme lors de toutes les cérémonies mémorielles relatives à la guerre d’Algérie organisées à Givors, pose (…) question, compte tenu de l’importance des enjeux mémoriels dans les relations contrastées entre la France et l’Algérie. En effet, la nature des discours pro-FLN et accusateurs vis-à-vis de la France qu’y tient le maire de Givors, en présence d’un officiel algérien, interroge la légalité de son action au regard de l’article 411–5 du code pénal relatif aux intelligences avec une puissance étrangère ou ses représentants, en vue de porter atteinte aux intérêts de la nation. »
De quoi obscurcir l’horizon juridique du maire d’extrême-gauche, déjà chargé avec une bagarre de rue contre un de ses administrés, qui lui vaut un procès en cours, et un dépôt de plainte récent par son opposant divers droite Fabrice Riva, suite à une violation du secret des correspondances. Le maire de Givors, qui entendait apporter son soutien, sur les réseaux sociaux, au député LFI Bilongo connu pour ses amitiés antisémites à Sarcelles et son appui, dans l’hémicycle, aux ONG complices des réseaux de trafic d’êtres humains, n’avait rien trouvé de mieux à faire, pour étayer son propos, que de publier en ligne et sans son autorisation une correspondance privée qu’il avait reçue de l’élu d’opposition Fabrice Riva. Un contexte pesant et susceptible, donc, d’inciter le maire Mohamed Boudjellaba à allumer rapidement un contre-feu médiatique pour tenter de desserrer un potentiel étau juridique.
La pratique de l’inversion accusatoire
C’est dans ces circonstances que le feu aux poudres est mis pendant le conseil municipal du jeudi 1er décembre, lors d’une intervention de Fabrice Riva relative à un programme mémoriel prévu dans les lycées de la ville. Tout en acceptant de voter la délibération proposée par la majorité municipale, dans la mesure où des organismes institutionnels de l’État y sont cette fois associés, l’élu d’opposition s’étonne calmement que le choix du programme se soit encore porté sur le sujet de la guerre d’Algérie sur lequel Fabrice Riva rappelle que le maire en a « fait déjà des tonnes ». Cette simple interpellation suffit à provoquer un déferlement de haine, visiblement préparé, de la part de plusieurs élus de la majorité auxquels le maire donne successivement la parole, avant d’y contribuer de sa personne, non sans oublier d’accuser l’objet de sa haine d’incarner lui-même « la haine », selon la vieille technique de l’inversion accusatoire utilisée de longue date par l’extrême-gauche. À l’époque de la guerre froide, le bloc communiste en avait même fait une spécialité pour viser les opposants politiques, comme en Pologne, où le père Popieluszko fut accusé de diffuser des « prêches de haine » avant d’être assassiné, le 19 octobre 1984, par la police politique communiste du général Jaruzelski. Poussant les artifices rhétoriquesà leur comble, le maire de Givors s’emploie même à agiter un courrier anonyme d’injures racistes qu’il prétend avoir reçu, et accuse sans la moindre retenue son opposant d’en être directement responsable.
Des accusations gratuites relayées in extenso et sans la moindre précaution par Le Progrès
Dès le lendemain, dans deux articles juxtaposant les faits, l’interpellation de l’opposant Fabrice Riva à propos de la guerre d’Algérie et la lettre anonyme raciste que le maire de Givors prétend avoir reçue, Le Progrès restituait sans le moindre filtre d’analyse ni sans la moindre précaution les accusations gratuites du maire de Givors. Sans surprise, dans les 24 heures, une autre rédaction régionale, BFM Lyon, publiait un sujet encore moins précautionneux qui, citant Le Progrès comme source, mettait directement à l’index l’élu Fabrice Riva, derrière le courrier raciste supposément reçu par le maire de Givors. Et ce, bien entendu, sans tenir compte de l’alerte lancée entre-temps sur les réseaux sociaux par le principal intéressé, quant au traitement approximatif et irresponsable du sujet par Le Progrès.
Un maire coutumier des accusations de racisme dénuées de tout fondement
Une rapide recherche sur les différents acteurs impliqués dans les faits aurait pourtant permis aux journalistes du Progrès d’avoir quelques doutes sur le bienfondé et le sérieux des accusations de haine et de racisme portées par Mohamed Boudjellaba alors que, il y a moins d’un mois, l’actualité a déjà été marquée par le cas d’un maire ayant inventé des lettres de menaces imaginaires et même des agressions le visant.
Au-delà de la vidéo intégrale du conseil municipal du 1er décembre qui révèle, chez Fabrice Riva, un calme et une sérénité remarquables face au déchaînement de haine, de mépris et de condescendance de ses adversaires d’extrême-gauche ne maîtrisant visiblement pas les sujets sur lesquels ils s’expriment, il apparait que non seulement cet élu divers droite n’a jamais été surpris à tenir le moindre propos haineux et encore moins raciste mais qu’il est même, à Givors, le seul élu à s’opposer à ce type de comportement, ce qui suscite précisément l’aversion du maire d’extrême-gauche et de ses partisans. En effet, depuis le début du second mandat de Mohamed Boudjellaba, le premier ayant duré un peu plus d’un an jusqu’à l’invalidation de son élection du fait des fraudes massives organisées par ses partisans, Fabrice Riva n’a eu de cesse d’encourager le maire à lever le pied sur sa politique mémorielle monomaniaque ayant pour effet d’attiser la haine de la France par l’apologie continuelle du mouvement raciste et criminel que fut le FLN.
Par ailleurs, les journalistes du Progrès auraient dû être interpelés par le fait que Mohamed Boudjellaba est coutumier des accusations gratuites de racisme, ne reposant sur rien, contre ses adversaires politiques. Ainsi, dans un article du Progrès publié au lendemain de son élection, en 2020, il prétend que c’est parce qu’il s’appelle Mohamed qu’il n’a pas été désigné comme chef de section du parti socialiste, quand il y était adhérent. Dans le même esprit, lors de l’entre-deux tours de l’élection municipale de 2020, alors que des négociations achoppent avec un autre candidat tête de liste avec lequel il envisageait une fusion de liste, Laurent Decourselle, il affirme sur les réseaux sociaux, en pleine campagne électorale, que c’est également parce qu’il s’appelle Mohamed que Laurent Decourselle a refusé une fusion en le laissant tête de liste. À un internaute qui lui demande si son concurrent a vraiment déclaré cela, Mohamed Boudjellaba avoue que non, tout en indiquant qu’il ne voit pas d’autre explication plausible, avouant ainsi involontairement que son accusation de racisme relève de l’affabulation.
Le Progrès relaie sans précaution des accusations non fondées, une mise en danger ?
S’il n’est pas rare qu’un journaliste se livre à un travail approximatif et peu vérifié, surtout si le contenu de son papier confirme ses biais idéologiques, dans le cas présent, la gravité des effets produits par la légèreté de traitement du sujet est réelle, et la comparaison avec le processus ayant précédé l’assassinat de Samuel Paty ne semble pas abusive. Givors est en effet une ville gangrenée par une insécurité que le maire de Givors, en refusant d’armer sa police municipale, l’empêchant ainsi de pouvoir assurer de nuit sa mission de tranquillité publique, ne contribue pas à endiguer. Par ailleurs, le climat de menaces et d’intimidations, par le maire sur les élus d’opposition est tel que l’opposant Fabrice Riva a tenu à le souligner lors du conseil municipal du 1er décembre, en indiquant que Mohamed Boudjellaba avait personnellement appelé ses deux colistières membres du groupe divers droite Givors Fière pour les intimider. L’une d’entre elles ayant adressé, suite à cet appel d’intimidation, un courrier au maire pour démissionner du groupe d’opposition, sans livrer la moindre explication sur ce retrait en séance publique. Par ailleurs, dans cette ville qui a connu ces dernières années plusieurs incidents impliquant l’usage d’armes à feu, l’opposant Fabrice Riva précisait, lors du même conseil municipal, qu’il avait dû déménager sa famille de la ville suite à des menaces, une agression en bande organisée, et un mitraillage sur ses animaux domestiques. Une ambiance qui devrait en effet inciter les journalistes du Progrès à réfléchir un minimum avant de relayer des accusations gratuites et infondées, fussent-elles prononcées par un maire, surtout lorsque ce maire est connu pour avoir traité de « bâtard » un autre élu d’opposition en plein conseil municipal et pour s’être récemment livré à une bagarre de rue contre un de ses administrés…
Claude Chollet, directeur de la publication de l’’Observatoire du journalisme (Ojim) a été convoqué par la Police Judiciaire le 9 novembre à la suite d’une plainte du même Progrès de Lyon.L’affaire est évoquée ici.
La justice et la presse ont identifié certaines des 25 personnes arrêtées, mercredi. Une cellule « mue par des fantasmes de renversement violent et des idéologies conspirationnistes ».
A Francfort, la police sécurise une zone après l’arrestation de vingt-cinq militants d’un groupuscule d’extrême droite, le 7 décembre 2022. TILMAN BLASSHOFER / REUTERS
La justice allemande a annoncé, mercredi 7 décembre, avoir déjoué des projets d’attentats d’un groupuscule d’extrême droite et complotiste qui voulait s’en prendre aux institutions démocratiques du pays et notamment au Parlement.
Une vaste opération de la police allemande a conduit l’arrestation dans tout le pays de vingt-cinq personnes appartenant à la mouvance des « citoyens du Reich » (Reichsbürger) en Allemagne ainsi qu’en Autriche et en Italie. L’enquête vise au total 52 personnes.
Ces personnes sont notamment soupçonnées « d’avoir fait des préparatifs concrets pour pénétrer violemment dans le Bundestag allemand avec un petit groupe armé », ont déclaré les procureurs dans un communiqué. « Nous soupçonnons qu’une attaque armée contre les organes constitutionnels était prévue », a commenté le ministre de la justice, Marco Buschmann, dans un message sur Twitter évoquant « une large opération antiterroriste ». Les investigations en cours lèvent le voile sur « l’abîme d’une menace terroriste », a commenté la ministre allemande de l’intérieur, Nancy Faeser. La cellule démantelée était « mue par des fantasmes de renversement violent et des idéologies conspirationnistes », a-t-elle ajouté.
Un prince, une citoyenne russe et une ancienne députée arrêtés
Au cœur de cette conspiration criminelle, selon la presse et le parquet : un descendant de la noblesse allemande, d’anciens militaires, une ressortissante russe et une ancienne députée d’extrême droite. La justice, conformément à la politique de confidentialité allemande, cite les meneurs présumés par leurs initiales : « Henri XIII P. R. » et « Rüdiger V. P. ».
Le premier, identifié par la presse allemande comme le prince Reuss, descendant d’une lignée de souverains du Land de Thuringe, est un entrepreneur septuagénaire, avec qui une partie de sa famille a pris ses distances. Arrêté à Francfort, il possédait également un château près de Bad Lobenstein, dans le centre du pays, qui a été perquisitionné.
Le 7 décembre 2022, les forces spéciales allemandes ont arrêté Henri XIII après la perquisition de son domicile à Francfort. BORIS ROESSLER / AFP
Le second est, selon les médias, un ex-lieutenant-colonel de la Bundeswehr. Commandant d’un bataillon de parachutistes pendant les années 1990 et fondateur d’un commando d’unité des forces spéciales (KSK), il a dû quitter l’armée allemande à la fin des années 1990 après avoir enfreint la loi sur les armes.
Le communiqué mentionne également une citoyenne russe « Vitalia B. », identifiée par la presse allemande comme la compagne de Henri XIII. Elle a, selon les procureurs, servi d’intermédiaire pour tenter de prendre contact avec les autorités russes en vue d’un éventuel soutien. Toutefois, l’ambassade russe à Berlin, citée par les agences de presse d’Etat RIA Novosti et Tass, a démenti tout lien avec des organisations « terroristes » ou « illégales » en Allemagne.
Enfin, une certaine « Birgit M.-W. » a également été arrêtée. Il s’agirait d’après la presse allemande de Birgit Malsack-Winkemann, juge et ancienne députée du parti d’extrême droite AFD qui siégeait au Bundestag entre 2017 et 2021.
Le projet : « Surmonter l’ordre étatique et le remplacer par une forme d’Etat propre »
Quelque 3 000 membres des forces de l’ordre ont été mobilisés à travers l’Allemagne et plus de 130 perquisitions ont été menées. Outre les vingt-cinq arrestations, vingt-sept autres personnes sont visées par l’enquête et soupçonnées d’appartenance à la cellule criminelle, selon le parquet. « La poursuite de l’enquête permettra de déterminer s’il y a des éléments constitutifs du crime de préparation d’une entreprise de haute trahison contre l’Etat », ajoutent les procureurs.
Fondée « au plus tard fin 2021 », la cellule a « pour objectif de surmonter l’ordre étatique existant en Allemagne et de le remplacer par une forme d’Etat propre », un projet ne pouvant être réalisé « que par l’utilisation de moyens militaires et de la violence contre les représentants de l’Etat », selon le communiqué du parquet de Karlsruhe, chargé des affaires concernant la sécurité de l’Etat. Le groupe est aussi connu pour des opérations d’intimidations contre des médecins pratiquant la vaccination.
Ses membres sont « unis par un profond rejet des institutions de l’Etat et de l’ordre fondamental libéral et démocratique de la République fédérale d’Allemagne, qui a fait grandir chez eux, au fil du temps, la décision de participer à leur élimination par la violence et de se lancer dans des actes préparatoires concrets à cet effet », décryptent les procureurs.
La cellule « s’était dotée d’un conseil avec des personnes déjà désignées pour certains portefeuilles ministériels (...) et d’un bras militaire avec une nouvelle armée allemande », a décrit le procureur antiterroriste Peter Frank, au cours d’un point presse à Karlsruhe. Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, s’est dit « profondément inquiet » face à ce complot, estimant qu’un « nouveau niveau » avait été atteint.
Les autorités allemandes ont classé ces dernières années la violence d’extrême droite au premier rang des menaces à l’ordre public, avant le risque djihadiste. Au printemps, les autorités allemandes avaient démantelé un groupuscule d’extrême droite soupçonné d’avoir projeté des attentats dans le pays en plus de l’enlèvement du ministre de la santé, qui était à l’origine des mesures de restriction anti-Covid.
Le 7 décembre, à Berlin, des policiers fouillent une voiture dans le cadre de perquisitions menées contre une cellule armée d’extrême droite. CHRISTIAN MANG / REUTERS
Sont notamment ciblés les Reichsbürger (« les citoyens du Reich ») qui ont pour point commun de rejeter l’ordre étatique. Ils ne reconnaissent pas ses institutions, n’obéissent pas à la police, ne paient pas d’impôts ou réinventent les plaques d’immatriculation de leurs véhicules.
Sur les quelque 20 000 militants estimés de ce mouvement en Allemagne, une frange s’est radicalisée. Elle comprend des négationnistes et le recours à l’action violente. Dans le cas du groupe démantelé, les membres se réfèrent également aux théories de la mouvance QAnon, un groupe conspirationniste d’extrême droite venu des Etats-Unis, selon le parquet.
« Ils sont fermement convaincus que l’Allemagne est actuellement dirigée par des membres d’un soi-disant Etat profond » et que « l’intervention imminente de l’Alliance, une société secrète techniquement supérieure regroupant des gouvernements, des services de renseignement et des militaires de différents pays, dont la Fédération de Russie et les Etats-Unis d’Amérique, amènera la libération ».
Dans son projet de supprimer l’ordre démocratique, ce réseau est « conscient qu’il y aura aussi des morts », « une étape intermédiaire jugée nécessaire » pour atteindre le « changement de système ». La justice dit avoir identifié une organisation très structurée et hiérarchisée composée d’un « organe central », d’un « bras militaire » et de commissions « justice », « affaires étrangères » ou « santé ». D’anciens militaires comptent parmi les protagonistes.
Très récemment, en octobre, des membres du « bras militaire » ont repéré des casernes de la Bundeswehr, l’armée allemande, afin d’évaluer leur capacité à accueillir leurs propres troupes après leur « coup
d’Etat ».
Le Monde avec AF
Publié le 07 décembre 2022 à 10h14, mis à jour le 07 décembre 2022 à 18h53
Jeudi, les propos racistes du député RN Grégoire de Fournas dans l'hémicycle ont ravivé les accusations de xénophobie envers le parti de Marine Le Pen.
L'élu met à mal l'entreprise de dédiabolisation et de respectabilité entreprise par son parti à l'Assemblée depuis juin dernier.
Les députés RN ne sont pas exempts de dérapages et militent toujours en faveur de la préférence nationale.
En juin dernier, 89 députés Rassemblement national ont fait leur entrée au palais Bourbon. Assez pour constituer un groupe - contrairement à la législature précédente où ils étaient dix fois moins -, faire élire des députés aux postes importants comme la vice-présidence, avoir droit à un temps de parole plus conséquent lors des débats et des questions au gouvernement… et donc devoir construire une stratégie politique. Poursuivant ce qu'elle a entrepris au sein de son parti et qui lui a notamment permis d'atteindre à deux reprises le second tour de l'élection présidentielle, Marine Le Pen a opté pour la dédiabolisation et la respectabilité. Au moins en apparence.
L'apparence est d'ailleurs la première chose que les parlementaires RN ont soignée, mettant en place ce qui a été baptisé la "stratégie de la cravate", consistant pour les hommes à siéger vêtus de ce morceau de tissu, symbole de respectabilité et de sérieux, que n'arborent pas la majorité de leurs homologues de la Nupes. Aussi, ils ont fait attention à leur assiduité et à leur présence à l'Assemblée, leur absence ayant été régulièrement épinglée entre 2017 et 2022. Ils évitent également de se montrer bruyants, vindicatifs, de quitter l'hémicycle en groupe, laissant cela à leurs adversaires insoumis.
Pourtant, dès la première séance de la nouvelle Assemblée, présidée par le doyen, le député RN José Gonzalez, l'ADN du parti co-fondé par Jean-Marie Le Pen refaisait surface. À la tribune, il évoquait avec nostalgie l'Algérie française. "Venez avec moi en Algérie, je vais vous trouver beaucoup d'Algériens qui vont vous dire : 'quand est-ce que vous revenez, les Français'", poursuivait-il plus tard dans la salle des Quatre-Colonnes, avant d'ajouter : "Je ne suis pas là pour juger si l'OAS a commis des crimes ou pas".
Des incidents de plus en plus nombreux
Par la suite, d'autres incidents sont venus faire dérailler cette stratégie bien huilée. Par exemple fin juillet, un député RN qualifiait d'"ambassadeur du Bundestag" (le Parlement allemand, ndlr) le député Renaissance du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl. Jean-Philippe Tanguy, nouveau visage des députés RN, s'illustrait également en assurant qu'Emmanuel Macron s'était servi de ses talents de "séducteur", notamment envers les hommes, pour se rendre coupable de "corruption" et que lors de son passage chez Rothschild "il savait solliciter les aspirations homo-érotiques d’un certain nombre de cadres".
Les accrocs se sont encore multipliés à la rentrée parlementaire du mois d'octobre. Les députés RN se sont fait de plus en plus remarquer, notamment lors des questions au gouvernement du 12 octobre au cours desquelles Alexandre Loubet qualifiait de "lâche" le ministre de l'Économie Bruno Le Maire. Mais ce même jour, quand une députée de la majorité traitait le Rassemblement national de parti "xénophobe" et écopait d'un rappel à l'ordre, la sanction avait été très mal perçue, les parlementaires y voyant une victoire de Marine Le Pen et de sa stratégie de dédiabolisation.
Puis ce jeudi 3 novembre, alors que l'insoumis Carlos Martens Bilongo s'exprimait, a surgi des bancs RN un "qu'il retourne en Afrique", adressé au député LFI lui-même ou selon le RN au bateau de migrants qu'il était en train d'évoquer dans son intervention."Ils ont beau mettre des cravates (...) C'est un mouvement profondément raciste", a dénoncé le président du groupe Renaissance par intérim Sylvain Maillard. "Il y a bien un ADN d’extrême droite. Le racisme, voilà ce qui différencie l’extrême droite de la droite", a abondé le président du groupe LR Olivier Marleix. "Aujourd’hui, l’extrême droite a montré son vrai visage", ajoutait la cheffe des insoumis Mathilde Panot, saisissant elle aussi l'occasion de pointer du doigt cet adversaire et ses désirs de respectabilité.
Toujours la préférence nationale en ligne de mire
Le Rassemblement national adapte cette stratégie également dans ses votes. "Nous n'avons qu'une seule boussole : l'intérêt de la France et des Français et nos votes se sont illustrés au cours de ces semaines sans sectarisme, contrairement aux autres groupes, et sans volonté de faire tomber les institutions, contrairement à certains autres groupes", disait la présidente du groupe RN en août dernier. Son groupe s'attache à se montrer "constructif", votant par exemple pour le projet de loi d'urgence pour le pouvoir d'achat et se posant comme les premiers défenseurs du porte-monnaie des Français, quitte à ne pas apparaître comme une opposition réelle au pouvoir.
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