S’il est délicat de réduire la place de la femme au Moyen-Orient aux mesures dictées par l’islam et les traditions, force est de constater que les sociétés de la région restent majoritairement guidées par des visions patriarcales. Pourtant, des avancées existent, des progrès ont été enregistrés dans la lutte contre les disparités, tandis que les Iraniennes se révoltent contre le port du voile, devenu symbole de l’oppression.
Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini meurt dans un hôpital de Téhéran des suites des blessures infligées par la police des mœurs qui l’avait arrêtée trois jours plus tôt pour port inapproprié du voile islamique. La tragédie est le déclencheur en Iran d’un soulèvement majeur, notamment guidé par des femmes dans un pays où elles représentent la moitié de la population : 43,49 millions sur 87,92 millions en 2021 (au 1er juillet), selon l’ONU. Depuis, nombreuses sont celles qui refusent de porter tout type de tissu sur le visage ou les cheveux, défiant ainsi une obligation imposée par le régime né en 1979. Le cas iranien n’est pas isolé : mis à part le vent de révolution, les statistiques régionales donnent une tendance similaire dans la plupart des États du Moyen-Orient. Les femmes y sont nombreuses, éduquées, aspirant à travailler, à faire de la politique et, surtout, à avoir les mêmes droits que les hommes.
Une région en retard
Le Maghreb et le Machrek présentent de grandes différences, même s’ils sont unis en quelque sorte par la religion (l’islam) et une langue majoritaire (l’arabe) – Israël est ici exclu. Si la plupart des régimes en place reconnaissent l’islam comme religion d’État, la charia n’est pas toujours source de loi : la Tunisie reste laïque dans les pratiques et l’Arabie saoudite, régie par un pouvoir religieux omniprésent. Mais, dans les deux cas, les femmes sont à la fois très présentes (la moitié de la population nationale), alphabétisées (à plus de 70 %) et touchées par le chômage (au moins 20 %). D’autres critères interviennent pour révéler des disparités : les femmes sont plus sujettes aux problèmes de santé que les hommes, notamment l’obésité ; elles ont moins accès aux nouvelles technologies, comme Internet.
Le Moyen-Orient arabo-musulman se classe en queue du classement 2022 du Forum économique mondial sur les disparités entre sexes : sur 146 pays enregistrés, le premier de la région, les Émirats arabes unis, arrivent en 68e position, les autres restant en dessous de la 119e (Liban), tandis que les dernières sont occupées par l’Afghanistan (146e), l’Iran (143e), l’Algérie (140e), etc. (1). De même, selon l’Union interparlementaire, la moyenne de la représentation des femmes dans les Parlements du Maghreb et du Machrek atteint 16,9 % au 1er janvier 2022. C’est certes un bond important par rapport à 1995 (4,3 %), mais ce chiffre est le plus bas au niveau mondial (2). Et l’institution rappelle que la région a enregistré un recul de la présence des femmes dans les Assemblées, notamment en Algérie. Rappelons que beaucoup de régimes sont autoritaires (et sans élections libres) ou des démocraties dysfonctionnelles. Enfin, dans les pays en guerre ou traversant une crise sévère, les femmes et les enfants sont les premières victimes civiles.
Des avancées… et des reculs
Certaines avancées sont à souligner, même dans un système aussi strict que le saoudien. Dans le royaume, où elles doivent porter le voile et l’abaya en public, les femmes n’avaient pas le droit de conduire jusqu’à 2017 ; l’année suivante puis en 2019, elles sont autorisées à créer une entreprise et à voyager en dehors du pays sans l’autorisation d’un tuteur masculin. Mais lorsqu’elles osent s’exprimer contre le régime ou font preuve de trop de liberté, elles finissent en prison. Et leur statut juridique inférieur à celui des hommes reste la base du problème en Arabie saoudite, mais aussi en Iran ou dans de nombreux pays de la région. Ainsi, en droit civil, les inégalités sont fortes, et peu de mesures officielles – voire aucune – sont prises (3). Au Maroc, si le Code de la famille a été modifié en 2004 pour empêcher le mariage de mineures, en matière d’héritage, les femmes n’obtiennent que la moitié d’un homme du même degré de parenté. Quant à l’égalité salariale, aucun État du Moyen-Orient n’a adopté de normes légales à ce sujet. En droit pénal irakien, un homme reconnu coupable de viol peut obtenir un allégement de peine s’il épouse sa victime.
Nombreuses sont les ONG à dénoncer régulièrement ces situations, rappelant que l’égalité des genres est la base d’un meilleur développement économique et de la démocratisation des institutions. En 2011, les « printemps arabes » avaient laissé poindre l’espoir d’améliorations, mais les évolutions – et leur effectivité – ont été faibles (4). Alors que l’Afghanistan replonge dans l’obscurantisme des talibans depuis août 2021, l’Iran est sous observation. Les autorités obligent non seulement le port du voile – ce que le Coran ne mentionne pas explicitement –, mais elles maintiennent également des normes extrêmes, comme l’interdiction de chanter en public, de se marier avec un étranger, de refuser d’avoir des relations sexuelles avec son mari, ou la condamnation à mort dès l’âge de neuf ans… Les manifestations organisées après la mort de Mahsa Amini rappellent que les femmes, en Iran et ailleurs au Moyen-Orient, savent être les actrices du changement.
La place des femmes au Moyen-Orient
Éducation, travail et droits des femmes au Moyen-Orient
Notes
(1) WEF, Global Gap Report 2022, 2022.
(2) Union interparlementaire, Les femmes au Parlement en 2021, 2022.
(3) IMC Worldwide, Situation Analysis of Women and Girls in the MENA and Arab States Region : A Decade Review 2010-2020, 2021.
(4) Juliette Gaté, « Droits des femmes et révolutions arabes », in La Revue des Droits de l’Homme, no 6, 2014.
La frustration des États-Unis à l’égard des Émirats arabes unis augmente car Dubaï et Abou Dabi sont utilisés pour échapper aux sanctions occidentales imposées à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine.
De nombreux Russes qui s’installent à Dubaï ne sont pas des partisans de la guerre ou de Vladimir Poutine, mais travaillent toujours pour des entreprises russes parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de maintenir leur train de vie (AFP)
Fin janvier, une délégation américaine de haut niveau s’est rendue aux Émirats arabes unis.
Dirigé par Brian Nelson, le sous-secrétaire du département du Trésor chargé du terrorisme et du renseignement financier, le voyage a été précédé d’une note diplomatique privée stipulant que les responsables américains souhaitaient rencontrer des membres de haut niveau de la famille al-Nahyan au pouvoir à Abou Dabi.
Les Américains se trouvaient dans le Golfe pour « poursuivre la coordination sur les financements illicites et d’autres problèmes régionaux » : autrement dit, ils étaient venus parler de la façon dont les Émirats arabes unis sont utilisés pour contourner les sanctions occidentales contre la Russie.
« Les Émiratis préféreraient sûrement ne pas avoir à choisir entre la Russie et les États-Unis. Mais dans cette situation, vous ne pouvez pas être neutre. Toute prétendue neutralité est en fait un choix, celui du soutien à la Russie »
- Jonathan Winer, ancien envoyé spécial américain en Libye
Cette visite a été suivie peu de temps après par celle de James O’Brien, le responsable des sanctions au département d’État américain.
O’Brien, qui travaillait pour le groupe Albright Stonebridge, la société de conseil créée par la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright après son départ du gouvernement en 2001, est un initié de longue date, un démocrate de l’époque de Bill Clinton, qu’il a servi en tant qu’envoyé spécial du président pour les Balkans.
Il est très proche de l’actuel secrétaire d’État, Antony Blinken, et de Susan Rice, la conseillère en politique intérieure de Joe Biden, qui fut la conseillère à la sécurité nationale de Barack Obama.
Cette effervescence n’est pas un hasard. Washington est en train de perdre rapidement patience avec les Émirats arabes unis, alors que son allié continue d’aider la Russie à échapper aux sanctions imposées à la suite de l’invasion de l’Ukraine.
L’heure des comptes approche, l’administration Biden ayant l’intention d’imposer ce qu’on pourrait appeler des mesures à Abou Dabi.
« Les Émiratis préféreraient sûrement ne pas avoir à choisir entre la Russie et les États-Unis », explique à Middle East Eye Jonathan Winer, ancien envoyé spécial américain en Libye et chercheur non résident au Middle East Institute. « Mais dans cette situation, vous ne pouvez pas être neutre. Toute prétendue neutralité est en fait un choix, celui du soutien à la Russie. »
Dubaïgrad
La semaine dernière, les Émirats arabes unis sont devenus un « pays cible » pour Washington, alors que la responsable du Trésor américain Elizabeth Rosenberg a déclaré que les entreprises émiraties avaient exporté pour plus de 18 millions de dollars de marchandises vers des « entités russes désignées par les États-Unis » entre juillet et novembre 2022.
Selon Rosenberg, 5 millions de dollars de cette somme étaient constitués « de marchandises d’origine américaine et dont l’exportation doit faire l’objet d’un contrôle par les États-Unis vers la Russie », y compris des « dispositifs semi-conducteurs, dont certains peuvent être utilisés sur le champ de bataille ».
Pour échapper aux sanctions, les oligarques russes trouvent refuge à Dubaï
née où Moscou est entrée en guerre contre l’Ukraine, le chiffre d’affaires commercial entre la Russie et les Émirats arabes unis a augmenté de 68 %, atteignant un niveau record de 9 milliards de dollars.
Recevant son homologue émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyan à Saint-Pétersbourg en octobre 2022, le président russe Vladimir Poutine a salué le développement continu des relations bilatérales entre les deux pays.
Stratégiquement situés entre l’Asie et l’Afrique, les Émirats arabes unis (en particulier les émirats d’Abou Dabi et de Dubaï) sont devenus l’une des principales destinations des entreprises russes quittant l’Europe et des particuliers russes fortunés quittant la Russie.
De puissants Russes qui auraient pu autrefois mener leurs affaires à Londres ou en Suisse se sont installés à Dubaï ou à Abou Dabi, où ils peuvent continuer à profiter du mode de vie auquel ils sont habitués et travailler sans attirer l’attention de manière excessive.
Des super yachts appartenant à des milliardaires russes sanctionnés, dont Andrei Skoch, le « roi du nickel » Vladimir Potanin et le magnat de l’acier Alexander Abramov, ont tous été vus amarrés à la marina de Mina Rashid, près de l’embouchure de la crique de Dubaï, selon la newsletter Whale Hunting.
En mars 2022, l’ancien propriétaire du club de football de Chelsea, Roman Abramovich, un autre milliardaire russe sanctionné, a été aperçu en train de chercher une maison à Palm Jumeirah à Dubaï.
« Londongrad est plus ou moins terminée », a déclaré un banquier d’affaires britannique à MEE, en référence à la présence autrefois écrasante de l’argent et des affaires russes à la City de Londres.
« De nombreux Russes sanctionnés travaillent via Dubaï. L’un des rôles clés joués par les Émirats arabes unis est d’être un intermédiaire »
- Olivia Allison, consultante indépendante
« Il y a une énorme liste de sanctions et beaucoup de gens se méfient de tout ce qui concerne la Russie… Il existe un nombre considérable de sociétés à responsabilité limitée et de sociétés fictives aux Émirats arabes unis qui peuvent être utilisées pour ce travail. »
Selon Olivia Allison, consultante indépendante qui étudie les flux d’argent entrant et sortant des Émirats arabes unis vers la Russie, les gouvernements occidentaux envisagent de contourner les sanctions aux Émirats arabes unis concernant les structures pétrolières, financières et les grandes entreprises, et le commerce de biens sanctionnés et à double usage (bien sensibles, destinés à un usage civil et susceptible d’être détourné par leur utilisateur à des fins militaire, terroriste, ou d’abus des droits de l’homme).
De nombreux Russes fournissant des prestations professionnelles se sont installés à Dubaï depuis le début de la guerre. « Je peux dire que la communauté russe a connu une croissance exponentielle depuis le début de la guerre », a déclaré Ivan, un technicien russe qui vivait et travaillait déjà à Dubaï et qui n’a pas voulu donner son nom complet.
« De nombreuses agences créatives, de développeurs, de studios de production, quelques marques de distribution : tous essaient d’établir une alternative ici aux EAU. »
Les Russes qui s’installent à Dubaï ont tendance à être de riches professionnels. Beaucoup d’entre eux ne sont pas des partisans de la guerre ou de Vladimir Poutine, mais travaillent toujours pour des entreprises russes parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de maintenir leur train de vie.
Les entreprises russes, comme les Russes, se déplacent de l’Europe vers les Émirats arabes unis, en particulier à Dubaï.
« Je pense que les Émirats arabes unis sont l’option la plus attrayante car tout le monde y est », explique Olivia Allison à MEE.
« De nombreux Russes sanctionnés travaillent via Dubaï. L’un des rôles clés joués par les Émirats arabes unis est d’être un intermédiaire, y compris dans le passé en ce qui concerne le contournement d’autres sanctions. Il y a beaucoup de savoir-faire sur la façon de contourner les sanctions. »
Stratagème mondial
Les États-Unis ont précédemment accusé des entreprises émiraties de faciliter le contournement des sanctions iraniennes.
« Il est très facile d’anonymiser le commerce aux EAU et il est très facile de masquer la propriété réelle des entreprises », poursuit l’experte.
C’est ainsi depuis longtemps que des acteurs de pouvoir controversés ont facilité les choses, que ce soit dans le Golfe ou à la City de Londres. L'objectif étant de pouvoir nier de manière crédible. Un oligarque russe sanctionné peut toujours créer une entreprise au nom de son cousin.
Selon un analyste géopolitique basé à Delhi, des marchandises – souvent de la nourriture – arrivent du monde entier vers la Russie via les Émirats arabes unis. « La Russie n’était pas préparée à une longue guerre », explique l’analyste, qui préfère rester anonyme.
Un prince émirati accusé d’aider des oligarques russes à échapper aux sanctions
ple, ils ont manqué de papier toilette. Les marchandises et les produits viennent d’Inde, de Singapour, de Macao ou d’ailleurs. Ils transitent par les Émirats arabes unis – généralement Dubaï mais parfois Abou Dabi – et sont ensuite acheminés avec le port d’origine marqué comme étant les Émirats arabes unis.
Les Émirats arabes unis regorgent désormais d’intermédiaires agissant au nom de Russes sanctionnés et d’autres entités. Dans un royaume peuplé de nombreux professionnels de la finance, du commerce ou d’autres business venus du monde entier, l’opportunité de conclure un accord – y compris avec les Américains – est toujours là.
En octobre 2022, cinq ressortissants russes et deux négociants en pétrole ont été inculpés à New York dans le cadre d’un stratagème mondial de contournement des sanctions et de blanchiment d’argent.
L’un des Russes, Yury Orekhov, était basé à Dubaï. Il s’est vanté d’avoir utilisé la « banque la plus merdique des Émirats » dans le cadre d’un plan visant à « obtenir illégalement la technologie militaire américaine et le pétrole sanctionné par le Venezuela à travers une myriade de transitions impliquant des sociétés écrans et la cryptomonnaie ».
« Le plus gros problème est que les [Russes] sont tous très riches, qu’ils disposent de beaucoup de cash, ce qui fait grimper les prix de l’immobilier et les locations »
- Un Anglais vivant à Dubaï depuis dix ans
Commentant l’affaire, l’agent du FBI Jonathan Carson prévient : « Nous continuerons à appliquer les contrôles à l’exportation sans précédent mis en place en réponse à la guerre illégale de la Russie contre l’Ukraine et le [bureau chargé des exportations] a l’intention de poursuivre ces contrevenants où qu’ils se trouvent dans le monde. »
Selon l’analyste basé à Delhi, qui conseille un gouvernement régional important dans la région, la véritable valeur de ce type de commerce évitant les sanctions est gravement minimisée, et il n’y a aucun véritable moyen d’établir des chiffres plus précis.
Selon MEE, certaines grandes banques et entreprises de vente au détail sont également frustrées de sacrifier des bénéfices au profit de ceux qui accèdent au marché russe. De nombreuses entreprises occidentales ont renoncé au commerce avec la Russie non pas à cause des sanctions, mais parce qu’elles savent que cela serait une mauvaise communication.
Les changements démographiques de Dubaï sont observés par les résidents étrangers qui y vivent depuis longtemps. « Il est difficile de ne pas remarquer l’afflux de Russes, ils sont venus en masse », témoigne pour MEE un Anglais vivant à Dubaï depuis dix ans.
« Le plus gros problème pour les résidents de longue durée comme moi est qu’ils sont tous très riches, qu’ils disposent de beaucoup de cash, ce qui fait grimper les prix de l’immobilier et les locations. Le coût de la vie ici pousse beaucoup de gens à envisager de partir. »
Une histoire de lobbying
La frustration américaine vis-à-vis des Émiratis remonte au moins aux années Obama, lorsque les Émirats développaient des liens avec Moscou.
Les Émirats arabes unis ont organisé une réunion secrète en janvier 2017 entre Erik Prince, fondateur de la société de sécurité Blackwater, et Kirill Dmitriev, PDG du Fonds d’investissement direct russe, un fonds souverain russe.
La rencontre avec Prince, un proche allié de Donald Trump, faisait partie d’un effort apparent pour établir une voie de communication entre Moscou et le président entrant à l’époque, selon des responsables américains et européens.
Depuis, les intérêts russes et émiratis ont convergé en Libye, où les aspirations de Moscou étaient principalement perçues à travers les activités du groupe Wagner, un groupe de mercenaires privés qui a opéré en Syrie, en Ukraine et en République centrafricaine, dirigé par l’associé de Poutine, Evgueni Prigojine.
Les combattants de Wagner, déployés en Libye avec le consentement de Moscou en 2019, auraient été financés par les Émirats arabes unis, du moins au début.
Nouvelles révélations sur l’immobilier à Dubaï, machine à blanchir l’argent sale
À Washington, pendant les années Trump, les Émiratis avaient une grande influence. Bien que l’ambassadeur émirati aux États-Unis, Yousef al-Otaiba, soit l’un des diplomates les mieux connectés, la capitale américaine s’est gonflée de lobbyistes agissant au nom d’Abou Dabi.
Depuis 2016, les Émirats arabes unis ont dépensé plus de 154 millions de dollars en lobbyistes, selon les dossiers du ministère américain de la Justice rapportés par MEE en décembre 2022.
Elliott Broidy et George Nader, qui ont travaillé pour faire pression contre le Qatar au nom des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, en sont des exemples frappants.
Tom Barrack, un allié de Trump, a été inculpé de neuf chefs d’accusation découlant de son prétendu lobbying pour les Émirats arabes unis. Il a été déclaré non coupable en novembre 2022.
« Les Émiratis ont eu le privilège, sous l’administration Trump, d’avoir une énorme influence sur la politique américaine dans la région MENA grâce aux relations personnelles qu’ils ont développées avec les gens de la Maison-Blanche », a déclaré Jonathan Winer à MEE.
« Les choix que feront les Émiratis ici auront inévitablement des conséquences plus larges sur les relations bilatérales tant que le président Biden restera en fonction »
- Jonathan Winer, ancien envoyé spécial américain en Libye
« Ils pourraient préférer s’occuper du dossier russo-ukrainien pour attendre le retour potentiel de Trump ou d’un clone de Trump. Mais les événements actuels ne le permettent peut-être pas. »
Selon l’analyste basé à Delhi, l’idée que les Émirats arabes unis feraient tout ce qui est important pour freiner le contournement des sanctions russes est un « rêve américain ».
La mise en place de mécanismes financiers prend beaucoup de temps. Pendant ce temps, le temps presse vers l’élection présidentielle américaine de 2024 et le possible retour au pouvoir d’un républicain.
« Les Émiratis ont leurs propres intérêts nationaux, qui ne sont pas totalement alignés sur ceux des États-Unis. Ils se conforment aux demandes des États-Unis lorsqu’ils estiment qu’il est dans leur intérêt général de le faire », note l’ancien responsable américain Jonathan Winer à MEE.
« Aider l’Ukraine à se défendre contre l’invasion russe est d’une importance vitale pour l’administration Biden. Ainsi, les choix que feront les Émiratis ici auront inévitablement des conséquences plus larges sur les relations bilatérales tant que le président Biden restera en fonction. »
L’initiative de la Chine oblige les Américains et les Occidentaux à reconnaître son influence croissante au Moyen-Orient.
Le président chinois Xi Jinping assiste à la présentation des membres du nouveau Comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois, le 23 octobre 2022 (AFP)
À l’aube du troisième mandat du président Xi Jinping, entamé à la mi-mars, il semblerait que la Chine ait abandonné sa politique étrangère autrefois discrète et cherche désormais à s’affirmer en tant qu’État impérial qui préserve ses intérêts à l’échelle mondiale.
La projection de cette image est au cœur de l’ambitieuse initiative de nouvelle route de la soie dessinée par le pays.
L’Iran, destination terrestre essentielle de ce projet, revêt une grande importance, tandis que l’Arabie saoudite et la région du Golfe forment des maillons clés de la route maritime de la soie.
La Chine cherche désormais à s’affirmer en tant qu’État impérial qui préserve ses intérêts à l’échelle mondiale
La visite cruciale de Xi Jinping à Riyad à la fin de l’année dernière a été déterminante pour ouvrir la voie à une percée dans l’impasse de longue date entre l’Arabie saoudite et l’Iran.
Initialement, l’Iran et les États-Unis étaient préoccupés par les liens croissants entre la Chine et l’Arabie saoudite et avaient des points de vue divergents à ce sujet. Cependant, la visite de Xi Jinping a changé la donne et a permis à la Chine de négocier un accord visant à rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays clés du Moyen-Orient après sept ans d’éloignement et d’escalade.
L’intérêt stratégique de la Chine au Moyen-Orient réside dans l’obtention de sources et de marchés dans le secteur des énergies. Elle est le premier acheteur de pétrole brut saoudien, avec des importations de 81 millions de tonnes en 2021, pour un montant de 43,93 milliards de dollars.
Le rôle affaibli des États-Unis
La Chine ne cherche pas à nuire au rôle américain au Moyen-Orient, mais profite du déclin relatif de l’influence américaine dans la région, en particulier des changements intervenus sous les trois derniers présidents américains.
Obama a donné la priorité à un accord sur le nucléaire avec l’Iran au détriment des intérêts de l’Arabie saoudite et du Golfe. Sous Obama, les alliés de l’Iran dominaient l’Irak, la Syrie et le Liban, tandis que les Houthis au Yémen progressaient vers Bab el-Mandeb.
Donald Trump a annulé l’accord avec l’Iran et lancé un faible projet de paix avec Israël qui a mis à mal le principe de « la terre contre la paix » et placé l’Arabie saoudite, dont l’Initiative de paix arabe était fondée sur ce concept, dans une situation embarrassante.
Rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, après plus de quatre décennies de tensions
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Le président américain Joe Biden, qui s’était engagé durant sa campagne électorale à renouer les liens avec l’Iran et à traiter l’Arabie saoudite comme un État paria, s’est retrouvé à Riyad pour demander au prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane d’augmenter la production de pétrole dans le contexte des retombées de la guerre en Ukraine et a reçu un accueil glacial de la part du royaume.
Après ces trois expériences, la Chine s’est ouverte à l’Iran, à l’Arabie saoudite et à Israël, au détriment du rôle américain dans la région.
Les États-Unis ne cessent d’exprimer leur inquiétude quant à l’influence croissante de la Chine dans la région, notamment en ce qui concerne ses liens avec l’Iran, qui entretient des relations tendues avec Washington depuis la révolution islamique de 1979, ainsi que ceux avec l’Arabie saoudite, allié de longue date des États-Unis avec lequel des tensions sont toutefois apparues sous Obama et Biden.
De même, Washington exerce des pressions persistantes pour limiter le développement de la coopération économique sino-israélienne.
Si la Chine connaît des différends avec des voisins proches tels que l’Inde, le Japon et le Vietnam et cherche à établir un réseau d’influence en Asie centrale, baptisé « Sinostan » dans un livre de Raffaello Pantucci et Alexandros Petersen, elle doit également coexister avec l’hégémonie russe dans cette région. Cependant, le Moyen-Orient représente une vaste opportunité pour la Chine en raison de ses ressources abondantes et de sa position stratégique.
Bâtiments d’une base militaire chinoise à proximité du port polyvalent de Doraleh (Djibouti), le 4 juillet 2018 (AFP)
Alors que la Chine œuvre à la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, il convient de se demander s’il ne s’agit pas d’un moment historique comparable à la rencontre sur le croiseur USS Quincy en 1945 entre le fondateur de l’Arabie saoudite, le roi Abdelaziz ben Saoud, et le président américain Franklin D. Roosevelt, qui a forgé une alliance durable entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Aujourd’hui, les efforts déployés par la Chine pour rétablir les relations irano-saoudiennes soulèvent la question de savoir si le moment passé par Xi Jinping avec MBS pourrait être un prélude à une « quatrième » itération de l’État saoudien – après la « troisième » de son grand-père –, fondée sur une diversification des relations économiques et des intersections politiques du royaume à l’échelle mondiale, à la suite d’une relation de longue date avec les États-Unis en tant que principal partenaire mondial.
Des opportunités et des obstacles
La récente entreprise chinoise visant à réconcilier l’Arabie saoudite et l’Iran soulève également des questions quant à la portée de cette réconciliation. Visera-t-elle uniquement à rétablir le statu quo d’avant 2016 ou amènera-t-elle une résolution des conflits par procuration qui gangrènent la région dans le sillage de cette rivalité ?
L’initiative chinoise oblige les Américains et les Occidentaux à reconnaître l’influence croissante de la Chine au Moyen-Orient, qu’ils disposent ou non d’une stratégie pour la région.
En dépit de ce rôle important dans le rapprochement entre deux rivaux moyen-orientaux, les problèmes compliqués et anciens entre les deux régimes ne peuvent être résolus facilement. Il est donc essentiel de reconnaître l’existence de plusieurs obstacles et défis qui doivent être abordés et surmontés dans ce processus.
Rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran : pourquoi l’heure était venue
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Si l’arrêt des attaques des Houthis sur son territoire constitue une priorité absolue pour l’Arabie saoudite, il est important de noter que cela ne suffit pas à résoudre la situation politique générale au Yémen. L’Arabie saoudite n’est pas disposée à accepter une domination des Houthis sur la majeure partie du Yémen comme contrepartie à l’arrêt de leurs attaques contre le territoire saoudien.
En revanche, le rétablissement des relations saoudo-iraniennes pourrait rebattre les cartes en Irak de manière à apaiser les choses. L’apaisement en Irak pourrait permettre à Bagdad de retrouver son pouvoir régional sans être limité par la domination iranienne ou l’influence saoudienne.
La situation en Syrie est cependant plus problématique. Si les pays arabes utilisent leur ouverture à l’égard de Bachar al-Assad pour tenter de l’éloigner de l’Iran, que se passera-t-il une fois qu’ils seront ouverts à l’Iran ? L’Iran coopérera-t-il à l’élaboration de l’avenir de la Syrie après Assad ?
Au Liban, la question est encore plus complexe. Le Hezbollah étant un acteur clé des intérêts régionaux de l’Iran, y aura-t-il un accord pour pratiquer une « taqiya » (« dissimulation ») géopolitique ? D’autre part, où se situe Israël ? La position de la Chine amènera-t-elle Israël à adopter une position plus dure à l’égard de l’Iran et de son programme nucléaire, ou la Chine créera-t-elle un nouveau précédent dans ses relations avec Israël ?
Un graal à décrocher
Face à cette foule de questions, il reste un fait fondamental, à savoir que l’influence américaine dans la région, en dépit de son déclin relatif, y reste dominante.
Sa force se reflète dans la présence ininterrompue de bases militaires américaines dans le Golfe et dans l’ancrage militaire américain en Irak, en Syrie et en Jordanie.
La question qui se pose ici est de savoir si l’initiative de la Chine lui ouvre la porte vers l’établissement d’une base militaire dans la région du Golfe
Sur ce terrain, la Chine a marqué des points en 2017 en ouvrant une base militaire à Djibouti, près du Yémen.
La base chinoise à Djibouti coexiste avec sept autres bases militaires étrangères dans ce petit pays membre de la Ligue arabe. La Russie, qui dispose de plusieurs bases en Syrie, travaille à l’installation d’une base pour sa flotte au Soudan. S’il ne s’agit pas du seul prisme permettant d’observer l’influence de ces pays, la géopolitique ne peut se lire sans la carte des bases militaires étrangères implantées dans la région.
La question qui se pose ici est de savoir si l’initiative de la Chine visant à rapprocher l’Iran et l’Arabie saoudite lui ouvre la porte vers l’établissement d’une base militaire dans la région du Golfe, après une longue histoire de présence militaire britannique puis américaine dans cette région. Nous n’en sommes pas encore là, mais la question sera inévitablement soulevée tôt ou tard.
En pleine Coupe du monde, l’affaire de corruption en lien avec le Qatar entache la réputation d’un Parlement européen qui se veut intransigeant en matière de défense des droits de l’homme. Le scandale oblige l’UE à penser une « autorité indépendante » pour éviter les dérives.
La déflagration du « Qatargate » s’est propagée tout le week-end à une vitesse folle, sous la houlette du juge d’instruction Michel Claise, qui a instruit sans discontinuer le scandale de corruption, depuis vendredi. Les effets sont dévastateurs pour le Parlement européen, dont l’intégrité est remise en cause par le lobbying agressif de l’émirat organisateur du Mondial de football.
La « crédibilité de l’Europe » en jeu
Ce mardi 13 décembre, l’institution réunie en plénière devrait officiellement démettre de ses fonctions la vice-présidente Eva Kaili, chez qui plusieurs centaines de milliers d’euros ont été retrouvées à la suite d’une perquisition. L’élue grecque, écrouée après ce flagrant délit, n’a pas pu bénéficier de son immunité parlementaire, en attendant une décision de justice pouvant conduire à son exclusion en tant qu’eurodéputée.
En Grèce, les sanctions sont déjà tombées sur l’ancienne présentatrice TV de 44 ans. Eva Kaili a été écartée du parti socialiste grec Pasok-Kinal, et le président de l’Autorité anti-blanchiment, Haralambos Vourliotis, a annoncé avoir gelé « les comptes bancaires, les coffres, les sociétés et tout autre actif financier » de l’élue.
La justice belge, elle, suit son cours. Prudemment, le parquet ne nomme pas directement le Qatar, mais « un pays du Golfe ». Le juge d’instruction suspecte le « versement d’importantes sommes d’argent ou l’offre de cadeaux significatifs à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique permettant, au sein du Parlement européen, d’influencer les décisions ».
Des faits qui sans attendre le jugement entaillent la « confiance dans les personnes au cœur de nos institutions », a admis lundi 12 décembre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avant une session parlementaire très perturbée par l’affaire. « Il en va aussi et surtout de la crédibilité de l’Europe », a déclaré, dépité, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, à son arrivée pour une réunion des ministres des affaires étrangères à Bruxelles.
Question d’exemplarité
Derrière Eva Kaili, tout un réseau de compromission, constitué en partie de proches. Son compagnon, Francesco Giorgi, un assistant parlementaire du groupe socialiste (S & D), fait partie des six personnes interpellées. De même que le père de l’eurodéputée, remis en liberté, appréhendé en possession d’un sac de billets dont il était le transporteur. Parmi les accusés figure aussi l’ancien eurodéputé socialiste Pier Antonio Panzeri (2004 à 2019), président de l’ONG Fight Impunity qui lutte pour les droits humains, et le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, Luca Visentini.
L’eurodéputée Sylvie Guillaume ne décolère pas, devant le champ de ruines. Avec sa collègue polonaise Danuta Hübner (PPE, droite), cette élue a passé un an, lors de la dernière mandature, à œuvrer pour mettre sur pied un registre de transparence qui répertorie les rencontres de lobbyistes. Pour Sylvie Guillaume, c’est toute une institution, connue pour tenir les positions les plus maximalistes en termes de moralisation de la vie publique et sur les droits fondamentaux, qui est à terre.
« Comment expliquer à la Bulgarie qu’elle ne peut pas entrer dans Schengen car elle ne peut pas garantir l’intégrité de sa frontière ? Et en Hongrie, le premier ministre Viktor Orban va rire comme un bossu, alors que l’UE s’apprête à statuer sur le mécanisme de suspension des fonds européens pour non-respect des normes anticorruption. Je suis écœurée de me dire qu’il s’en sortira peut-être à nouveau, à cause de cette affaire. »
À Bruxelles, près de 13 000 lobbys
À Bruxelles, ville souvent décrite comme la « capitale des lobbyistes », les institutions européennes sont en permanence soumises à l’influence de groupes de pression. Actuellement, 12 800 organisations sont enregistrées dans la capitale belge, de TotalEnergies à Greenpeace. Les cas de conflit d’intérêts, de copié-collé suspects dans les travaux parlementaires, de pantouflages douteux après l’exercice d’un mandat, sont légion au Parlement comme à la Commission. Ils ont généré leur lot de garde-fou. Les eurodéputés doivent par exemple présenter une déclaration d’intérêts financiers. Mais jamais un cas aussi grossier de corruption n’avait éclaté dans l’hémicycle européen.
Le Belge Philippe Lamberts, coprésident des Verts au Parlement européen, reconnaît avoir « tiqué », le 24 novembre, quand « le groupe socialiste s’est mué en grand défenseur du Qatar » sous l’impulsion d’Eva Kaili. S & D avait rejeté une motion du Parlement sur l’état des droits humains dans le pays du Golfe à l’approche de la Coupe du monde de football. L’élue grecque avait alors qualifié le Qatar de « précurseur en matière de droit du travail ».
Le 1er décembre, Eva Kaili s’était invitée en tant que remplaçante dans la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen pour s’assurer de l’aval nécessaire en vue d’obtenir l’exemption de visas des citoyens du Qatar dans l’espace « Schengen ». Au final, le Qatar n’y gagnera sans doute pas. En réponse au scandale, le groupe des Verts et les sociaux-démocrates ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas ce démarrage de négociations pour libéraliser les visas.
Pistes de réformes
Ursula von der Leyen a réaffirmé sa proposition de créer « une autorité indépendante » sur les questions d’éthique dans les institutions de l’UE. Dans ce nouveau standard à construire, les eurodéputés s’intéressent de près à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique instaurée en France en 2013 en réaction au scandale déclenché par l’affaire Cahuzac. « Nous gagnerions sans doute à généraliser ce système qui épluche les comptes des élus pour déterminer s’il y a eu un enrichissement frauduleux au cours d’un mandat », défend Sylvie Guillaume.
Philippe Lamberts, lui, propose que le registre de transparence limité à une liste officielle de lobbyistes puisse être « étendu aux rencontres d’ordre diplomatique » organisées par des États tiers. Voilà qui aurait été sans doute utile pour lever plusieurs loups dans l’agenda d’une Eva Kaili régulièrement invitée à prendre la parole au forum de Rhodes, événement de tendance pro-russe organisé par l’oligarque Vladimir Iakounine, l’ex-roi des chemins de fer russe. Eva Kaili s’était également rendue au Qatar début novembre, saluant le bilan positif du ministre qatari du travail, sous l’approbation de l’ambassadeur de l’UE à Doha, Cristian Tudor.
Raphaël Glucksmann, qui préside la commission spéciale contre les ingérences étrangères, voit sous un jour nouveau ses propres fonctions jusque-là concentrées sur les manœuvres d’influence de la Russie ou de la Chine. « Je ne cesse de prévenir que la corruption et la pénétration d’intérêts étrangers touchent tous les pays européens et tous les partis politiques. De droite et de gauche », avertit l’eurodéputé social-démocrate qui prône un renfort de son pouvoir d’investigation. Mais Philippe Lamberts prévient : « Tous ces contrôles ne pourront jamais empêcher une valise de billets. »
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Le Parlement européen en chiffres
Le Parlement européen représente les quelque 450 millions de citoyens européens à travers les 27 États membres de l’UE.
Il s’agit de la seule institution européenne dont les membres sont directement élus, au suffrage universel, tous les cinq ans. Les prochaines élections européennes auront lieu en 2024.
Il dispose de pouvoirs législatifs, budgétaires et de contrôle politique.
Depuis le 18 janvier 2022, le Parlement européen est présidé par la Maltaise Roberta Metsola, assistée de 14 vice-présidents.
Il est composé de 705 députés rassemblés en 7 groupes politiques, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite.
La rémunération mensuelle des députés s’établit à 7 316,63 € après déduction de l’impôt européen et des cotisations sociales. Elle est soumise à un impôt national dans plusieurs États membres, et varie donc selon le régime fiscal en vigueur dans chaque pays d’élection.
Pour assurer des exportations d’armement vers l’Egypte, l’Etat français a relégué ses diplomates au second plan. Au cœur de cette stratégie mercantile, le ministre de la défense puis des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et l’Etat-major des armées.
Une enquête du site Disclose
Sur les rives du canal de Suez, le 6 août 2015, Abdel Fattah Al-Sissi ne cache pas son enthousiasme. Le maréchal égyptien se laisse aller à la confidence lors d’un tête-à-tête avec François Hollande : « Lorsque l’Egypte s’était retrouvée au bord du chaos, la France avait été le seul parmi ses grands partenaires occidentaux à comprendre la situation et à la soutenir. ».
Ce soutien à l’un des régimes les plus répressifs au monde est né dans les couloirs de l’Etat-major des armées, au lendemain du coup d’Etat d’Al-Sissi, en juillet 2013. Une « diplomatie des armes » qui, sous le prétexte de la lutte antiterroriste, a conduit l’appareil d’Etat à se mettre au service de la dictature, comme le révèlent des dizaines de documents classés « confidentiel-défense » obtenus par Disclose.
Le 14 novembre 2013, quelques mois après l’arrivé au pouvoir des militaires, soucieux de ne pas manquer ce qui s’annonce comme une aubaine commerciale pour l’industrie de l’armement tricolore, l’Etat-major des armées organise la manœuvre.
Le sommet de la hiérarchie militaire remet une note à la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des affaires étrangères. « Le ministère de la défense [égyptien], fort d’une autonomie financière estimée à plus de 10 milliards d’euros (…) a pour objectif immédiat de moderniser tant ses matériels que ses infrastructures avant qu’un nouveau pouvoir démocratique ne lui demande éventuellement des comptes. » Traduire : il faut se mettre en ordre de bataille avant que des civils ne reviennent au pouvoir.
« Le ministère de la défense [égyptien] attend des signes forts de la part de la France, affirme aussi le commandement militaire. Des pays ont d’ailleurs été écartés de certains prospects d’armement à cause de leur position politique trop prononcée à l’égard de l’Egypte. » Le message est limpide : pour vendre des armes, il faut fermer les yeux sur la répression du régime.
Note de l’Etat-major des armées « Notre relation de défense peut se développer en saisissant les opportunités en matière de [soutien aux exportations d’armements]. »
Le principal artisan de cette diplomatie secrète se nomme Jean-Yves Le Drian. De visites officielles en réunions bilatérales, le ministre de la défense de François Hollande, nommé aux affaires étrangères par Emmanuel Macron en 2017, va appliquer à la lettre les préceptes édictés par l’Etat-major des armées. Avec des résultats quasi immédiats. Entre 2014 et 2015, le VRP de l’armement français décroche la vente de corvettes Gowind, de deux frégates multi-missions et du premier contrat à l’export pour l’avion de chasse Rafale. Des contrats qui s’élèvent à plusieurs milliards d’euros.
Dès lors, la marque des militaires va teinter l’ensemble des relations franco-égyptiennes, éclipsant les diplomates et Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères.+
JEAN-YVES LE DRIAN ET LE PRÉSIDENT ÉGYPTIEN ABDEL FATTAH AL-SISSI, AUX INVALIDES À PARIS, LE 24 OCTOBRE 2017.
« AIDER L’ÉGYPTE À ASSURER SA STABILITÉ »Printemps 2015, Laurent Fabius s’apprête à recevoir le premier ministre égyptien, Ibrahim Mahlab. Un rendez-vous dont l’Etat-major des armées n’entend pas être mis à l’écart. Le 17 avril, ce dernier transmet une note au ministre sur laquelle sont mentionnés les points prioritaires à aborder le jour J. D’abord, le ministre devra garder à l’esprit que « l’un des principaux canaux d’influence diplomatique pour la France » repose sur « la coopération avec l’appareil militaire du pays ».
Selon les éléments de langage fournis, Laurent Fabius devra se cantonner à évoquer « l’attachement [de la France] à développer une coopération militaire » avec le régime. D’autant plus, précise l’Etat-major, que l’Egypte « attend des signes forts d’accompagnement technique, opérationnel voire stratégique de la part de la France ». L’urgence de cette coopération est justifiée par une formule vague qui va devenir le mantra des gouvernements français successifs : « Nous devons aider l’Egypte à assurer sa stabilité et à lutter contre le terrorisme. »
Afin d’entériner définitivement la stratégie adoptée par la France, Jean-Yves le Drian s’envole pour Le Caire en juillet 2015. Lors d’une rencontre avec son homologue égyptien, Sedki Sobhi, il esquisse l’opération Sirli (voir notre enquête).Les années qui suivent montreront que la mission débutée secrètement en 2016, va dévier rapidement de son objectif antiterroriste pour devenir un outil au service de la terreur. Car la véritable ambition de cette mission secrète est de maintenir un dialogue quotidien et ininterrompu avec le client égyptien, comme le dévoile une note de la direction du renseignement militaire (DRM) datée de 2019.
Note du 22 janvier 2019 « La direction du renseignement militaire accompagne et exploite la relation initialement portée par des prospects industriels. »
Dans ce contexte, les diplomates sont priés de taire leurs critiques sur une « répression implacable qui offre des opportunités de recrutement aux mouvements djihadistes locaux», d’après une Note du Centre d’analyse de prévision et de stratégie (CAPS) datée du 3 aout 2016.
La diplomatie des armes et son alibi, la lutte antiterroriste, écrase tout débat, même ceuxdes réunions « secret-défense » de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Au printemps 2016, ladite commission, qui réunit des représentants de l’Elysée, de Matignon ainsi que du ministère de la défense, de l’économie et des affaires étrangères, est chargée d’examiner des demandes d’exportations d’équipements militaires vers l’Egypte
Le jeudi 7 avril 2016, la CIEMMG se réunit pour statuer sur l’envoi d’un véhicule blindé Titus, qui doit servir à une démonstration en Egypte. Le quai d’Orsay prononce un avis défavorable, « en raison de l’utilisation potentielle de ce type de véhicule pour des missions de maintien de l’ordre ». Une position à l’opposé des représentants de la défense et de l’Elysée qui assurent que cette « version du Titus ne correspon[d] pas à celle prévue pour le maintien de l’ordre ». L’argument fait mouche : la CIEMMG rend un « avis favorable », selon le compte rendu fait par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Le même schéma se reproduit à l’identique le 26 mai 2016, au sujet d’une demande d’exportation pour 25 véhicules blindés Bastion armés de tourelles. Le dossier présenté par la société Arquus (ex-Renault Trucks Defense) représente un marché de 34,3 millions d’euros.
Là encore, le quai d’Orsay rend un avis défavorable, craignant que les blindés puissent « être utilisés pour des actions de répression interne ». Des inquiétudes balayées d’un revers de la main par le cabinet de Jean-Yves Le Drian. Ce dernier assure que les Bastion sont « destinés à des unités déployées dans le Sinaï et contribu[ent] à la lutte contre le terrorisme ». Malgré l’absence d’éléments étayant cette affirmation, le cabinet du premier ministre, Manuel Valls, autorise leur exportation. « Au vu des relations entretenues avec l’Egypte, la ligne de conduite vis-à-vis de ce pays reste inchangée », justifie Matignon dans la décision rendue le 1er juin.
Note de la SGDSN du 1er juin 2016 « Le ministère des affaires étrangères et du développement international avait signalé que ces équipements pouvaient potentiellement être utilisés pour des actions de répression interne. »
MACRON ALERTÉ PAR LES DIPLOMATES
Les cinq années de Jean-Yves Le Drian au ministère de la défense l’ont rendu absolument incontournable. A tel point qu’il est nommé au quai d’Orsay par Emmanuel Macron dès le lendemain de son élection, en mai 2017.Un choix « judicieux », commentent les autorités égyptiennes, selon l’ambassade de France au Caire.
Une nomination d’autant bien accueillie par les Egyptiens que Jean-Yves Le Drian va conserver son rôle de « leader » de la diplomatie des armes, comme il le fait savoir au ministre Sedki Sobhi, le 8 juin 2017. Ce jour-là, pour son huitième voyage au Caire depuis le coup d’Etat, il confie d’après une note datée du 8 juin 2017 à son ancien homologue à la défense qu’il « continuerait de suivre cette problématique des équipements et ceux d’autant qu’il détenait l’historique des trois dernières années ».
Désormais placés sous l’autorité de Jean-Yves Le Drian, les diplomates sont mis à contribution. Ils édictent par exemple un « guide du pouvoir » afin de faciliter les échanges avec le régime. « La mobilisation de l’ensemble de nos réseaux (militaires, de renseignement, économique) est nécessaire en vue d’améliorer l’accès au secteur de l’économie militaire », martèle également Stéphane Romatet, alors ambassadeur de France en Egypte, en octobre 2017.
JEAN-YVES LE DRIAN AVEC LE MINISTRE ÉGYPTIEN DE LA DÉFENSE, SEDKI SOBHI, EN JUILLET 2015 AU CAIRE. @ AFP
Dans les faits, la doctrine brandie pour justifier les ventes d’armes, le fameux « combat commun contre le terrorisme », ne fait pourtant plus illusion. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) déplore [3] que le ministère de l’intérieur égyptien soit « très réticent à fournir des éléments concernant des nationaux égyptiens, et cela quel que soit leur degré d’implication dans une activité terroriste ».
Quant aux informations fournies sur les salafistes français résidant en Egypte, elles sont jugées « peu satisfaisantes » par les services secrets. Au Caire, les diplomates vont jusqu’à informer Emmanuel Macron, quelques jours avant sa première visite officielle, des effets « contre-productif » de « l’usage de méthodes violentes et souvent indiscriminées » dans la lutte antiterroriste. Concrètement, la terreur d’Etat d’aujourd’hui risquerait de nourrir des organisations terroristes de demain. .
Même les Etats-Unis, allié historique de l’Egypte, signale [5] au quai d’Orsay, par l’intermédiaire de David Satterfield, alors secrétaire d’Etat au Proche-Orient et ancien chef de la force d’observation internationale au Sinaï, que « les forces armées égyptiennes [ne sont] pas intéressées par la lutte contre le terrorisme dans le Sinaï ». Cette région située à l’est de l’Egypte est pourtant la principale cible des attaques de Daech. David Satterfield conclut son propos en qualifiant le terrorisme de « rente de situation » pour le régime militaire, l’argument qui lui permet de justifier l’armement et la répression.
Une justification similaire à celle que l’Etat français utilise pour contrer les critiques, qu’elles viennent de sa diplomatie ou de la société civile.
Reste une inquiétude : la volonté de certains députés d’exercer une forme de contrôle – à l’heure actuelle inexistant – sur les ventes d’armes. Fin 2020, un rapport parlementaire remis par les députés Jacques Maire (Hauts-de-Seine, La République en marche) et Michèle Tabarot (Alpes-Maritimes, Les Républicains), plaidant en ce sens, provoque une réaction outrée du secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale, qui chapeaute les décisions sur les exportations d’armement.
Dans une note « confidentiel-défense » adressée au gouvernement, et dévoilée par Disclose, le SGDSN s’oppose purement et simplement à une « implication des députés ». Selonl’instance rattachée à Matignon, celle-ci « pourrait mener à la fragilisation de notre crédibilité et de notre capacité à établir des partenariats stratégiques sur le long terme et donc de notre capacité à exporter ». La diplomatie des armes, encore et toujours…
Le 31e sommet de la Ligue arabe s’est achevé sans grandes surprises et dans l’indifférence la plus complète. La déclaration officielle du sommet, elle, consiste en une énumération de formules rhétoriques appelant à la paix et à la stabilité, qui révèle à quel point cette organisation est spectatrice et non partie prenante des évolutions régionales.
Une fois n’est pas coutume, le sommet de la Ligue arabe a accouché d’une déclaration fourre-tout, qui, à vouloir satisfaire les vingt-deux États membres de l’institution, a été vidée de sa substance. » Soutien absolu au peuple palestinien « , » attachement au plan de paix arabe « , » rejet des ingérences étrangères « : les éléments de langage finissent par sonner creux, tant ils ont été usés jusqu’à la moelle par une organisation friande de résolutions pompeuses, qui n’a jamais réussi à jouer un rôle majeur dans la gestion des conflits régionaux.
Après trois ans d’absence, le sommet de la Ligue arabe apparaît comme un non-évènement pour les peuples de la région. Le journal égyptien al-Ahram, au début du mois d’octobre, titrait même laconiquement: » Peu d’attentes pour le sommet de la Ligue arabe « . Du côté du journal palestinien Al-Quds, le même scepticisme domine, les Palestiniens n’ayant » plus besoin des résolutions verbales souvent entendues, mais d’actions concrètes sur le terrain « .
Une véritable indifférence qui tient du fait que l’organisation interétatique, censée porter les espoirs panarabes d’intégration régionale et de lutte contre l’impérialisme, n’a rien accompli cette dernière décennie, hormis des discours flamboyants défendant la cause palestinienne et des résolutions aussi vagues que dépourvues de réel impact sur le terrain. La Ligue est aujourd’hui le symbole des divisions et des rivalités régionales, suivant le proverbe attribué à Ibn Khaldoun : » Les Arabes se sont entendus pour ne pas s’entendre « .
Un agenda vidé de sa substance
Il est incontestable que l’actualité arabe ne manque pas de conflits armés, de tensions géopolitiques et de crises économiques à résoudre à un niveau supra-étatique.
La guerre en Ukraine a affecté de plein fouet de nombreux pays, vulnérables aux fluctuations des cours mondiaux des céréales, et plongé leurs populations dans l’insécurité alimentaire. En parallèle, les pays producteurs d’hydrocarbures croulent sous les pétrodollars. La Ligue arabe est aujourd’hui appelée à jouer un rôle de plateforme de coordination de l’aide régionale, qui se fait actuellement sur des bases bilatérales. Son impuissance est synonyme d’un creusement des inégalités, déjà abyssales, entre les monarchies du Golfe et les autres pays arabes.
Pourtant, la seule considération économique présente dans la » déclaration d’Alger » consiste en un soutien à la » politique équilibrée de l’Opep+ pour garantir la stabilité des marchés mondiaux « . Une solidarité bienvenue avec l’Arabie Saoudite, qui fait face à la colère de Washington pour avoir agi en faveur de la baisse des quotas pétroliers, mais qui semble dérisoire face à l’étendue des défis socio-économiques auxquels font face les pays arabes.
Le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit. (AFP)
Face aux ingérences turques et iraniennes, de nombreux représentants arabes ont appelé à une condamnation ferme et nominale de ces deux pays. Au contraire, le document annoncé aujourd’hui ne mentionne qu’un rejet des » ingérences étrangères sous toutes leurs formes dans les affaires arabes « : cette formule floue a été adoptée afin d’atteindre le nécessaire consensus, alors que plusieurs pays de la région possèdent des intérêts communs avec l’Iran. De même, la proximité du Qatar avec la Turquie a constitué un point d’achoppement pour condamner les ingérences manifestes de ce pays au nord de la Syrie et en Libye.
Déjà, lors de la réunion ministérielle de septembre dernier, le communiqué de la Ligue arabe condamnant les ingérences turques en Irak, en Syrie et en Libye avait rencontré les réserves de plusieurs pays, dont l’Algérie, Djibouti, et le Qatar.
Même constat sur les conflits armés que connaît la région, les divisions des pays arabes ne permettant pas à la Ligue de proférer autre chose que les sempiternels espoirs de réconciliation et de paix. Le sommet apporte ainsi simplement son appui » aux efforts visant à régler la crise en Libye par un règlement interlibyen garantissant son unité et la souveraineté « : la rivalité entre l’Algérie et l’Égypte, qui refuse toute légitimité au gouvernement d’unité nationale, a empêché toute prise de décision sur ce dossier hautement épineux. Lors de la réunion ministérielle de septembre dernier, le ministre égyptien avait même quitté la séance, celle-ci ayant été présidée par le représentant du Gouvernement d’unité nationale libyen.
Le 31e sommet de la Ligue arabe s’est achevée sans avancée notable sur les principaux dossiers économiques et sécuritaires. (AFP
Alors que l’Algérie, proche du régime baathiste, comptait faire de ce sommet une opportunité pour remettre sur la table la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, l’opposition de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de l’Égypte a, une fois de plus, relayé cette question à un sommet ultérieur. Ce n’est pas pour autant que les dirigeants arabes se sont fermement engagés dans le processus de transition politique: la déclaration souligne, mollement, la nécessité d’un » rôle arabe collectif et capital dans les efforts visant à mettre fin à la guerre civile « .
La cause palestinienne, simple formule protocolaire
Érigée au rang de cause suprême de la Ligue arabe, la défense de la souveraineté palestinienne est aujourd’hui reléguée à d’hypocrites formules protocolaires, uniquement destinée à sauvegarder les apparences.
Cette impuissance se trouve résumée par l’énoncé choisi dans la déclaration: un » soutien absolu au droit des Palestiniens à avoir un État indépendant et souverain avec Jérusalem-Est pour capitale « , l’affirmation de la » centralité de la cause palestinienne « , et » l’attachement des pays arabes au » plan de paix arabe » de 2002 « . De même, le sommet a proclamé son soutien aux efforts de l’Autorité palestinienne pour devenir membre à part entière de l’ONU, et a appelé à poursuivre Israël devant la justice » pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis contre le peuple palestinien « .
Garante de la souveraineté des États arabes, la Ligue arabe s’est contentée de condamner les » ingérences étrangères « , sans mentionner l’Iran et la Turquie. (AFP)
Pour rappel, le plan des pays arabe de 2002 propose un retrait total des forces israéliennes des territoires arabes occupés (le Golan syrien, la Cisjordanie, la Bande de Gaza, et Jérusalem Est) et la fondation d’un État palestinien indépendant et souverain, contre la promesse d’une paix durable avec Israël et l’établissement de relations diplomatiques régulières avec les pays arabes.
Là où le bât blesse, c’est que plusieurs États arabes ont déjà normalisé leurs relations avec l’État hébreu. C’est le cas du Maroc, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et du Soudan, ainsi que d’autres États de la région qui entretiennent des relations stratégiques et commerciales officieuses avec Israël.
Prisonnière de la règle de l’unanimité, la Ligue arabe a choisi de ne pas mentionner ces atteintes au plan de paix, ce qui revient à les entériner. Une véritable posture de l’autruche, l’organisation évitant de trancher entre deux alternatives: condamner ces rapprochements arabo-israéliens, ou élaborer un nouveau plan de paix arabe, adapté aux réalités géopolitiques actuelles.
Incapable de protéger la souveraineté de ses États membres, la Ligue arabe continue à représenter un illusoire » consensus arabe » et assiste en spectateur à l’implosion des sociétés arabes, déchirées par les appétits des puissances étrangères qui les entourent.
Le 31e sommet de la Ligue arabe s’est achevé sans grandes surprises et dans l’indifférence la plus complète. La déclaration officielle du sommet, elle, consiste en une énumération de formules rhétoriques appelant à la paix et à la stabilité, qui révèle à quel point cette organisation est spectatrice et non partie prenante des évolutions régionales.
Une fois n’est pas coutume, le sommet de la Ligue arabe a accouché d’une déclaration fourre-tout, qui, à vouloir satisfaire les vingt-deux États membres de l’institution, a été vidée de sa substance. » Soutien absolu au peuple palestinien « , » attachement au plan de paix arabe « , » rejet des ingérences étrangères « : les éléments de langage finissent par sonner creux, tant ils ont été usés jusqu’à la moelle par une organisation friande de résolutions pompeuses, qui n’a jamais réussi à jouer un rôle majeur dans la gestion des conflits régionaux.
Après trois ans d’absence, le sommet de la Ligue arabe apparaît comme un non-évènement pour les peuples de la région. Le journal égyptien al-Ahram, au début du mois d’octobre, titrait même laconiquement: » Peu d’attentes pour le sommet de la Ligue arabe « . Du côté du journal palestinien Al-Quds, le même scepticisme domine, les Palestiniens n’ayant » plus besoin des résolutions verbales souvent entendues, mais d’actions concrètes sur le terrain « .
Une véritable indifférence qui tient du fait que l’organisation interétatique, censée porter les espoirs panarabes d’intégration régionale et de lutte contre l’impérialisme, n’a rien accompli cette dernière décennie, hormis des discours flamboyants défendant la cause palestinienne et des résolutions aussi vagues que dépourvues de réel impact sur le terrain. La Ligue est aujourd’hui le symbole des divisions et des rivalités régionales, suivant le proverbe attribué à Ibn Khaldoun : » Les Arabes se sont entendus pour ne pas s’entendre « .
Un agenda vidé de sa substance
Il est incontestable que l’actualité arabe ne manque pas de conflits armés, de tensions géopolitiques et de crises économiques à résoudre à un niveau supra-étatique.
La guerre en Ukraine a affecté de plein fouet de nombreux pays, vulnérables aux fluctuations des cours mondiaux des céréales, et plongé leurs populations dans l’insécurité alimentaire. En parallèle, les pays producteurs d’hydrocarbures croulent sous les pétrodollars. La Ligue arabe est aujourd’hui appelée à jouer un rôle de plateforme de coordination de l’aide régionale, qui se fait actuellement sur des bases bilatérales. Son impuissance est synonyme d’un creusement des inégalités, déjà abyssales, entre les monarchies du Golfe et les autres pays arabes.
Pourtant, la seule considération économique présente dans la » déclaration d’Alger » consiste en un soutien à la » politique équilibrée de l’Opep+ pour garantir la stabilité des marchés mondiaux « . Une solidarité bienvenue avec l’Arabie Saoudite, qui fait face à la colère de Washington pour avoir agi en faveur de la baisse des quotas pétroliers, mais qui semble dérisoire face à l’étendue des défis socio-économiques auxquels font face les pays arabes.
Le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit. (AFP)
Face aux ingérences turques et iraniennes, de nombreux représentants arabes ont appelé à une condamnation ferme et nominale de ces deux pays. Au contraire, le document annoncé aujourd’hui ne mentionne qu’un rejet des » ingérences étrangères sous toutes leurs formes dans les affaires arabes « : cette formule floue a été adoptée afin d’atteindre le nécessaire consensus, alors que plusieurs pays de la région possèdent des intérêts communs avec l’Iran. De même, la proximité du Qatar avec la Turquie a constitué un point d’achoppement pour condamner les ingérences manifestes de ce pays au nord de la Syrie et en Libye.
Déjà, lors de la réunion ministérielle de septembre dernier, le communiqué de la Ligue arabe condamnant les ingérences turques en Irak, en Syrie et en Libye avait rencontré les réserves de plusieurs pays, dont l’Algérie, Djibouti, et le Qatar.
Même constat sur les conflits armés que connaît la région, les divisions des pays arabes ne permettant pas à la Ligue de proférer autre chose que les sempiternels espoirs de réconciliation et de paix. Le sommet apporte ainsi simplement son appui » aux efforts visant à régler la crise en Libye par un règlement interlibyen garantissant son unité et la souveraineté « : la rivalité entre l’Algérie et l’Égypte, qui refuse toute légitimité au gouvernement d’unité nationale, a empêché toute prise de décision sur ce dossier hautement épineux. Lors de la réunion ministérielle de septembre dernier, le ministre égyptien avait même quitté la séance, celle-ci ayant été présidée par le représentant du Gouvernement d’unité nationale libyen.
Le 31e sommet de la Ligue arabe s’est achevée sans avancée notable sur les principaux dossiers économiques et sécuritaires. (AFP
Alors que l’Algérie, proche du régime baathiste, comptait faire de ce sommet une opportunité pour remettre sur la table la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, l’opposition de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de l’Égypte a, une fois de plus, relayé cette question à un sommet ultérieur. Ce n’est pas pour autant que les dirigeants arabes se sont fermement engagés dans le processus de transition politique: la déclaration souligne, mollement, la nécessité d’un » rôle arabe collectif et capital dans les efforts visant à mettre fin à la guerre civile « .
La cause palestinienne, simple formule protocolaire
Érigée au rang de cause suprême de la Ligue arabe, la défense de la souveraineté palestinienne est aujourd’hui reléguée à d’hypocrites formules protocolaires, uniquement destinée à sauvegarder les apparences.
Cette impuissance se trouve résumée par l’énoncé choisi dans la déclaration: un » soutien absolu au droit des Palestiniens à avoir un État indépendant et souverain avec Jérusalem-Est pour capitale « , l’affirmation de la » centralité de la cause palestinienne « , et » l’attachement des pays arabes au » plan de paix arabe » de 2002 « . De même, le sommet a proclamé son soutien aux efforts de l’Autorité palestinienne pour devenir membre à part entière de l’ONU, et a appelé à poursuivre Israël devant la justice » pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis contre le peuple palestinien « .
Garante de la souveraineté des États arabes, la Ligue arabe s’est contentée de condamner les » ingérences étrangères « , sans mentionner l’Iran et la Turquie. (AFP)
Pour rappel, le plan des pays arabe de 2002 propose un retrait total des forces israéliennes des territoires arabes occupés (le Golan syrien, la Cisjordanie, la Bande de Gaza, et Jérusalem Est) et la fondation d’un État palestinien indépendant et souverain, contre la promesse d’une paix durable avec Israël et l’établissement de relations diplomatiques régulières avec les pays arabes.
Là où le bât blesse, c’est que plusieurs États arabes ont déjà normalisé leurs relations avec l’État hébreu. C’est le cas du Maroc, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et du Soudan, ainsi que d’autres États de la région qui entretiennent des relations stratégiques et commerciales officieuses avec Israël.
Prisonnière de la règle de l’unanimité, la Ligue arabe a choisi de ne pas mentionner ces atteintes au plan de paix, ce qui revient à les entériner. Une véritable posture de l’autruche, l’organisation évitant de trancher entre deux alternatives: condamner ces rapprochements arabo-israéliens, ou élaborer un nouveau plan de paix arabe, adapté aux réalités géopolitiques actuelles.
Incapable de protéger la souveraineté de ses États membres, la Ligue arabe continue à représenter un illusoire » consensus arabe » et assiste en spectateur à l’implosion des sociétés arabes, déchirées par les appétits des puissances étrangères qui les entourent.
Published date: Vendredi 4 novembre 2022 - 10:08 | Last update:3 hours 42 mins ago
Lorsque Nada s’est mise à la pole dance il y a quelques années, son entourage en Arabie saoudite a mal réagi, mais elle a persévéré pour, dit-elle, changer les mentalités dans cette monarchie très conservatrice du Golfe.
Dans la capitale, Riyad, cette professeure de yoga de 28 ans se souvient que sa famille et ses amis lui disaient que ce sport n’était « pas bien du tout », tant il reste associé aux clubs de strip-tease et autres cabarets burlesques à l’étranger.
Traduction : « Les Saoudiennes et la pole dance, un sport qui se généralise malgré le regard de la société. Trois salles de sport au moins ont lancé des sessions d’entraînement. »
Nada ne s’est pas découragée, suivant des cours dans une salle de sport, en partie pour déconstruire les préjugés, avec un certain succès, estime-t-elle, du moins dans son cercle d’amis.
« Au début, elles disaient que c’était inapproprié et que c’était une erreur. Maintenant, elles me disent : ‘’On veut essayer’’ », s’amuse Nada, qui refuse toutefois de divulguer son nom de famille.
Football et golf
Pendant de nombreuses années, les restrictions autour de ce que les Saoudiennes pouvaient porter ou de ce qu’elles pouvaient faire ont drastiquement limité leurs possibilités d’activité physique.
Traduction : « De nombreux auteurs occidentaux ont affirmé que les guerres de colonisation ne sont plus militaires mais plutôt intellectuelles, à travers la propagation d’idées en contradiction avec nos valeurs et notre religion. Ceci en est un exemple. »
Ces dernières années, les autorités cherchent néanmoins à ouvrir davantage la société pour adoucir son image auprès du monde et de sa propre jeunesse, en dépit d’une répression politique féroce qui cible notamment des militantes féministes.
Le mois dernier, l’équipe nationale saoudienne de football féminin a disputé son premier match à domicile contre le Bhoutan, et une première ligue féminine doit bientôt voir le jour.
EN IMAGES – Dans le quotidien des Saoudiennes de Riyad
Les autorités visent également une plus grande participation des femmes au golf, un sport traditionnellement dominé par les hommes et qui connaît une popularité grandissante dans ce riche État pétrolier.
Dans ce contexte de changements, au moins trois salles de sport en Arabie saoudite proposent des cours de pole dance.
« J’ai l’impression qu’il y a plus d’intérêt pour la pole dance, parce que c’est quelque chose de nouveau que les filles aiment essayer », relève May al-Youssef, propriétaire d’une salle de sport à Riyad.
Pour les adeptes de la pole dance, la mauvaise réputation de ce sport n’a pas lieu d’être en Arabie saoudite, puisque l’alcool y est interdit et que les clubs de strip-tease sont inexistants.
Une des membres d’un cours de pole dance à Riyad assure ainsi n’avoir « pas du tout honte » de s’y adonner.
Plus difficile qu’il n’y paraît à l’écran
« C’est ma personnalité, je dirais. Je n’ai pas honte d’assumer ma sensualité, ma féminité. Je n’ai honte de rien, tant que je ne fais de mal à personne », explique-t-elle, tout en demandant à rester anonyme.
La seule raison pour laquelle elle a arrêté, dit-elle, c’est que la pole dance s’est avérée plus exigeante qu’elle ne l’avait cru d’un point de vue physique, une activité bien plus difficile qu’il n’y paraît à l’écran.
Traduction : « Apprendre aux femmes musulmanes, au pays des deux Lieux sacrés, la pole dance qui est en Occident une sorte de commerce de sexe. Que Dieu humilie celui qui a accepté ou défendu ou ordonné cela. »
« J’ai réalisé que ce n’était pas mon truc. Il faut beaucoup de muscles, beaucoup de force pour pouvoir le faire », raconte-t-elle.
May al-Youssef, la propriétaire de la salle de sport, espère que les exigences physiques de la pole dance transparaissent sur les photos et les vidéos qu’elle publie sur Instagram.
Devant les autorités de Bahreïn, au premier jour de son voyage dans le pays, jeudi 3 novembre, le pape François a appelé au respect des droits de l’homme et à l’abolition de la peine de mort, toujours en vigueur dans le pays.
délivrer son message, François a choisi le lieu le plus solennel de son voyage. C’est au cœur de la cour du Palais royal, grand rectangle de marbre blanc brillant dans la nuit de Bahreïn, et sous l’immense drapeau rouge et blanc du pays, que le pape a prononcé jeudi 3 novembre, un discours éminemment politique. Au premier jour de son voyage dans ce royaume du Golfe, qui doit durer jusqu’à dimanche, il a appelé les autorités, devant le roi, à respecter les droits de l’homme, alors que Bahreïn est très critiqué par les ONG pour le sort qu’il réserve à la majorité chiite.
Le pape, dont l’arrivée au Palais présidentiel a été saluée par des chants d’enfants et 21 coups de canon, n’a jamais mentionné explicitement les deux courants du monde musulman, mais il s’est appuyé sur la Constitution de Bahreïn pour promouvoir une « égale dignité » et une « égalité des chances » pour « chaque groupe et chaque personne ». Et ce, « afin que les droits humains fondamentaux ne soient pas violés, mais (soient) promus », a-t-il insisté.
La liberté religieuse, a souligné le pape, doit être « totale », et « ne pas se limiter à la liberté de culte ». En employant ces mots, il a directement repris les critiques adressées au royaume par les ONG – et qui se sont amplifiées à l’approche du voyage –, consistant à accuser Bahreïn de violer les droits humains des chiites. Dans le royaume, les fidèles de ce courant de l’islam jouissent de moins de droits que les sunnites – leur accès à la fonction publique ou à l’armée est notamment très réduit.
En coulisses, le pape et son entourage entendent aussi agir en faveur de la majorité chiite. Selon une haute source vaticane, il pourrait ainsi plaider auprès du roi Hamad, lors de leur rencontre privée, en faveur de la libération de prisonniers chiites détenus dans les geôles bahreïniennes, en particulier des mineurs. Le Vatican compte sur la tradition selon laquelle le souverain de Bahreïn accorde souvent une grâce lors de la visite d’un hôte important dans le pays. « Les autorités voient dans les chiites la main de l’Iran, alors qu’il s’agit d’un islam plutôt libéral », analyse-t-on au Vatican.
Au cours de son discours, François a également développé une vive critique de la peine de mort, toujours en vigueur dans le pays. Il a ainsi fait une allusion au « droit à la vie », « à la nécessité de toujours le garantir », « même envers ceux qui sont punis, dont l’existence ne peut être éliminée ». Actuellement, 26 personnes sont condamnées à mort au Bahreïn, l’exécution de la sentence n’attendant que l’approbation du roi.
Mais le pape a également envoyé des messages à d’autres pays de la région. À trois semaines du début de la Coupe du monde de football au Qatar, à quelques dizaines de kilomètres du Palais royal, où il s’exprimait, il a durement critiqué le « travail déshumanisant ». « Cela comporte non seulement de graves risques d’instabilité sociale, mais représente aussi une atteinte à la dignité humaine », a-t-il martelé, alors que le Qatar est au centre des critiques pour avoir employé, ces dernières années, des centaines de milliers d’ouvriers immigrés pour construire des stades. Plusieurs milliers seraient morts dans des conditions dénoncées par les ONG.
Sans jamais parler explicitement des conditions, proches de l’esclavage, dans lesquelles les ouvriers étrangers ont travaillé au Qatar, François a condamné le travail qui, comparable à du « pain empoisonné »« asservit » ceux qui y sont contraints. « Le travail n’est pas seulement nécessaire pour gagner sa vie, a-t-il estimé, c’est un droit indispensable pour se développer intégralement et pour façonner une société à mesure d’homme. » L’homme, a poursuivi le pape, ne doit jamais être « réduit à un moyen pour produire de l’argent ».
Plusieurs acteurs clés ont amorcé un rapprochement pour normaliser leurs relations et ouvrir une nouvelle page.
La région du Moyen-Orient est depuis longtemps l’une des plus instables du monde.
L’instabilité, les conflits, la rivalité et les luttes entre les principaux poids lourds régionaux sont la norme, à tel point que l’on ne se souvient pas de la dernière fois où tous ces acteurs se sont mis d’accord sur quelque chose.
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Pourtant, chose étonnamment contradictoire, le Moyen-Orient vit actuellement un rare moment de désescalade régionale et connaît un rythme de réconciliation sans précédent entre les puissances régionales.
Plusieurs acteurs clés ont amorcé un rapprochement pour normaliser les relations et ouvrir une nouvelle page.
Les affaires, la sécurité et la diplomatie sont au cœur des discussions entre les hauts dirigeants et les principaux décideurs de ces pays.
Dans la plupart des cas, les engagements entre les communautés du renseignement de ces adversaires ont garanti un environnement apolitique et professionnel permettant aux acteurs politiques de communiquer afin d’aplanir leurs différences.
De même, les affaires, le commerce et les investissements ont apporté des motivations fortes et solides pour pousser les parties concernées à chercher un terrain d’entente et à parvenir à une situation gagnant-gagnant.
La visite de l’émir du Qatar en Égypte (à droite) intervient dix-huit mois après que le Qatar et l’Égypte ont rétabli leurs relations, après une rupture de trois ans sous l’impulsion de l’Arabie saoudite (AFP)
En janvier 2021, l’Égypte a relancé ses relations diplomatiques avec le Qatar après des années de tensions. Les hauts diplomates des deux pays se sont rendu mutuellement visite. Ils ont créé un comité de suivi pour régler les questions d’intérêt bilatéral et un haut comité conjoint pour stimuler la coopération entre les deux capitales.
Le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi a rencontré l’émir du Qatar à trois reprises, à Bagdad en août 2021, à Beijing en novembre 2021 et au Caire en juin. Les relations s’étant améliorées, Doha s’est engagé en mars à investir 5 milliards de dollars dans l’économie égyptienne au cours des prochaines années, qui s’ajouteront aux milliards de dollars déjà investis.
Quant à la Turquie et à l’Égypte, leur rapprochement a débuté officiellement en mai 2021. Les délégations des deux pays conduites par les vice-ministres des Affaires étrangères ont mené deux cycles de pourparlers exploratoires en 2021, au Caire en mai et à Ankara en septembre.
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Ils ont abordé des questions bilatérales ainsi qu’un certain nombre de questions régionales, notamment la situation en Libye, en Syrie et en Irak, ainsi que la nécessité de parvenir à la paix et à la sécurité dans la région de la Méditerranée orientale.
La normalisation progresse lentement mais sûrement. En avril, le ministre turc des Affaires étrangères n’a pas exclu la nomination réciproque d’ambassadeurs avec Le Caire et une rencontre entre ministres des Affaires étrangères.
Le ministre turc du Trésor et des Finances, Nureddin Nebati, s’est rendu en Égypte en juin, soit la première visite d’un ministre turc au Caire depuis neuf ans.
En 2021, les deux grands rivaux régionaux, l’Arabie saoudite et l’Iran, se sont assis à la même table pour la première fois depuis des années, à la suite d’un effort irakien visant à permettre l’organisation de pourparlers entre les deux pays à Bagdad. Riyad avait coupé ses liens diplomatiques avec l’Iran en 2016 après l’assaut contre son ambassade à Téhéran.
Le premier cycle de pourparlers exploratoires entre les deux pays a débuté en septembre 2021. Malgré le bref contretemps survenu en mars lorsque l’Iran a annoncé la suspension des pourparlers, les responsables des deux pays ont mené un cinquième cycle de discussions en avril.
Les questions de sécurité, le Yémen et la réouverture des ambassades ont fait partie des sujets abordés. Si Téhéran souligne l’importance de la reprise des relations diplomatiques, Riyad affirme souhaiter en premier lieu des actions plus concrètes de la part de Téhéran.
Herzog en Turquie, une première depuis quinze ans
Le rapprochement entre les Émirats arabes unis et la Turquie a été étonnamment rapide, compte tenu des tensions observées depuis une dizaine d’années.
Ces mains tendues mutuelles avec un programme clair et direct tournant principalement autour des avantages mutuels d’une stimulation du commerce, des investissements et des affaires selon une formule gagnant-gagnant, se sont avérées déterminantes.
En novembre 2021, Mohammed ben Zayed (MBZ), alors prince héritier d’Abou Dabi et dirigeant de facto émirati, a effectué une visite en Turquie, la première du genre en neuf ans.
L’implication du gouvernement israélien signifie que la reconstruction des relations bilatérales doit se faire de manière mesurée et prudente. Mais au cours de l’année dernière, la coopération en matière de renseignement a pris le dessus entre les deux parties
Cette visite a été précédée de celle du conseiller émirati à la sécurité nationale, le cheikh Tahnoun ben Zayed, qui s’est rendu à Ankara en août 2021. Le président turc lui a rendu la pareille en atterrissant à Abou Dabi en février. Une réception somptueuse a été organisée à son intention.
Ces visites ont débouché sur un certain nombre d’accords, de protocoles d’accord et de contrats, qui ont ouvert une nouvelle page entre les deux capitales.
En ce qui concerne la Turquie et Israël, le président israélien Isaac Herzog a effectué une visite historique à Ankara en mars, la première pour un président israélien depuis quinze ans.
Plusieurs événements ont préparé le terrain pour cette visite, notamment une rare conversation téléphonique entre les deux présidents en juillet 2021, une visite secrète du directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, Alon Ushpiz, à Ankara en janvier, ainsi que l’envoi d’une délégation de hauts responsables turcs à Tel Aviv en février.
Les renseignements ont rapproché Israël et la Turquie. Un gazoduc pourrait être à la clé
L’implication du gouvernement israélien signifie que la reconstruction des relations bilatérales doit se faire de manière mesurée et prudente. Mais au cours de l’année dernière, la coopération en matière de renseignement a pris le dessus entre les deux parties.
Par ailleurs, les deux parties se penchent sur la possibilité d’acheminer du gaz israélien vers l’Europe via la Turquie, ce qui changerait la donne en Méditerranée orientale si cette option venait à se concrétiser.
Pour faire suite à la visite du président israélien et consolider le rapprochement, le ministre turc des Affaires étrangères s’est rendu en Israël en mai, parallèlement à une visite en Palestine.
Pour ce qui est de l’Arabie saoudite et de la Turquie, bien que le rapprochement entre les deux pays ait commencé dès octobre 2020 lorsque le roi Salmane et le président Erdoğan ont échangé plusieurs messages et appels téléphoniques, le processus de normalisation s’est arrêté sur certaines questions pendant environ un an.
L’impact considérable de la défaite de Trump
Deux facteurs ont contribué à cette situation : la position personnelle du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane sur l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018, ainsi que l’absence de formule adéquate pour faire repartir les relations bilatérales à zéro après cet événement.
Les deux parties ont finalement réalisé une percée, qui s’est traduite par la visite du président Erdoğan à Riyad en avril et ses rencontres avec le roi Salmane et le prince héritier.
Les pays qui dépendaient depuis si longtemps de Trump et de sa politique transactionnelle pour favoriser et imposer des programmes régionaux idéologiques, clivants et conflictuels, se sont soudainement retrouvés dans une position défavorable
Réciproquement, Mohammed ben Salmane s’est rendu à Ankara en juin. Malgré les progrès apparents, aucun programme économique, politique ou de sécurité n’a été annoncé jusqu’alors.
Ces processus de normalisation n’auraient pu avoir lieu sans certaines évolutions aux niveaux international, régional et sous-régional.
Ces évolutions ont préparé le terrain pour une désescalade régionale, créant ainsi un environnement favorable et un terrain d’entente pour que les parties en conflit puissent s’asseoir à la même table, discuter de leurs intérêts communs, se réconcilier et normaliser leurs relations dans des proportions sans précédent.
La défaite de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de novembre 2020 a eu un impact considérable sur la nature des dynamiques régionales actives depuis 2021.
Les pays qui dépendaient depuis si longtemps de Trump et de sa politique transactionnelle pour favoriser et imposer des programmes régionaux idéologiques, clivants et conflictuels, se sont soudainement retrouvés dans une position défavorable à la suite du triomphe de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine.
Donald Trump et le Moyen-Orient : une histoire de grands vainqueurs et de perdants plus grands encore
L’arrivée d’un nouveau président à la Maison-Blanche a initié un nouveau jeu régional. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont notamment suivi le même chemin après avoir échoué à concrétiser leur programme régional.
Israël a vu s’évaporer l’investissement dans le projet d’« accord du siècle » de Jared Kushner. Le pays connaissait déjà un changement interne avec la défaite du Premier ministre israélien au plus long règne, Benyamin Netanyahou, resté au pouvoir pendant quinze ans.
La Turquie a pour sa part ressenti le besoin d’éviter d’être trop sollicitée au niveau régional. Elle a donc recherché un équilibre entre hard power et soft power pour faire fructifier ses succès en matière d’activité militaire en Syrie, en Irak, en Libye, au Haut-Karabakh et en Méditerranée orientale sur le plan politique et économique.
La déclaration d’al-Ula, survenue le 5 janvier 2021, a été le premier résultat majeur de l’accession de Biden à la Maison-Blanche.
Réaction en chaîne
Cette déclaration découle à l’origine d’un accord bilatéral entre l’Arabie saoudite et le Qatar. L’accord a mis fin au blocus imposé à Doha par le bloc dirigé par l’Arabie saoudite et comprenant les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte, ouvrant ainsi une nouvelle page entre le Qatar et ses voisins.
L’accord d’al-Ula a par conséquent accéléré le processus de réconciliation au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et déclenché une réaction en chaîne de plusieurs engagements diplomatiques régionaux qui ont ouvert la porte à des initiatives de réconciliation.
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Malgré l’insatisfaction initiale des Émirats arabes unis et de l’Égypte vis-à-vis de l’accord, compte tenu du fait que l’Arabie saoudite ne les avait pas consultés à ce sujet, les deux pays y ont vu l’occasion de suivre des programmes relativement souples.
Cette approche les a aidés à diversifier leurs relations régionales, à donner la priorité à leurs questions clés et à promouvoir leurs propres intérêts.
Ainsi, l’Égypte a tendu la main au Qatar et les Émirats arabes unis ont tendu la main à la Turquie. De même, l’accord d’al-Ula a permis à Ankara de renforcer ses relations avec les petits pays du Golfe et de poursuivre la normalisation de ses relations avec l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Au-delà de ces deux évolutions majeures, plusieurs autres facteurs cruciaux ont contribué à la nouvelle dynamique régionale et ouvert la voie à une période rare marquée par une désescalade et des réconciliations régionales sans précédent.
L’épuisement des puissances résultant de la poursuite de programmes géopolitiques et idéologiques très contrastés et l’apparition de la pandémie de covid-19 dans un contexte post-2011 ont encouragé les acteurs régionaux en conflit à adopter une attitude pragmatique
La poursuite par Washington de son recentrage et de la réorientation de ses ressources vers la Chine a incité les États du CCG à accélérer leurs stratégies de diversification et de couverture. Ainsi, des pays comme la Turquie, Israël et l’Iran ont gagné en importance dans ce contexte.
L’épuisement des puissances résultant de la poursuite de programmes géopolitiques et idéologiques très contrastés et l’apparition de la pandémie de covid-19 dans un contexte post-2011 ont encouragé les acteurs régionaux en conflit à adopter une attitude pragmatique et à donner la priorité à l’économie, aux affaires, au commerce et à des programmes fondés sur des intérêts plutôt que sur des idéologies.
Lorsque la pandémie a commencé à reculer à partir de 2021, ces acteurs régionaux étaient en bonne position pour se rapprocher les uns des autres dans un esprit pragmatico-économique visant à compenser les pertes économiques et financières dévastatrices causées par la crise sanitaire.
Les efforts de rapprochement entre l’Égypte et le Qatar, les Émirats arabes unis et la Turquie, la Turquie et l’Égypte, mais aussi Israël et la Turquie ont clairement illustré cette approche.
La guerre russe contre l’Ukraine a donné plus d’importance à la région de la Méditerranée orientale et à ses ressources pétrolières et gazières, ce qui a engendré une atmosphère propice à la recherche de terrains d’entente pour des situations gagnant-gagnant, notamment dans les cas de la Turquie, d’Israël et de l’Égypte.
Des défis à l’horizon
Malgré l’impact positif de cette désescalade sans précédent dans la région, des questions se posent quant à la durabilité des réconciliations et à la résilience des processus de normalisation.
Par ailleurs, on ne sait pas encore vraiment s’il s’agit d’une situation temporaire motivée par les calculs tactiques de certains des pays impliqués ou d’une nouvelle norme ou tendance fondée sur des calculs stratégiques. Quoi qu’il en soit, plusieurs défis s’apprêtent à mettre à l’épreuve ce nouveau phénomène au Moyen-Orient.
Les dynamiques régionales et internationales qui ont engendré ce rare moment de désescalade et de réconciliation entre les différents acteurs régionaux, en particulier, sont inconstantes et sujettes à des changements soudains.
Les tensions dans le Golfe s’apaisent-elles réellement ou les États gagnent-ils simplement du temps ?
En raison de la situation très instable, on ne peut exclure d’éventuelles évolutions de cette dynamique dans un avenir proche, ce qui pourrait avoir une incidence négative sur le processus et entraîner une régression.
De plus, les processus de normalisation ont comme caractéristique évidente de reposer fortement sur la nature des relations personnelles entre les décideurs des pays en question. Bien que cela puisse être une bonne chose lorsqu’il s’agit de surmonter des obstacles bureaucratiques pouvant considérablement ralentir la normalisation des relations, cela peut être un signe de faiblesse des relations institutionnelles.
Une relation sous-institutionnalisée rend la réconciliation entre les États concernés fragile et très vulnérable à de futures fluctuations politiques. Par ailleurs, un changement radical au sommet chez l’un des principaux acteurs régionaux pourrait déboucher sur différents types de relations intrarégionales.
Plusieurs autres facteurs méritent d’être observés de plus près dans un avenir proche et pourraient mettre à l’épreuve la dynamique actuelle de normalisation et de désescalade régionale :
Premièrement, l’élection présidentielle américaine de 2024 sera cruciale et déterminante pour la région, car elle pourrait amener au pouvoir un nouveau président adepte de la politique transactionnelle chère à Trump.
L’idée que Trump ou un président qui lui ressemble puisse arriver en 2024 pourrait encourager certains États régionaux, notamment les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte, à revenir à leurs anciennes politiques aventureuses
Dans un sondage réalisé en mai par Associated Press (AP), la cote de popularité du président Joe Biden a atteint son plus bas niveau, avec seulement 39 % d’opinions favorables à son action.
Alors que selon AP, la désapprobation des républicains à l’égard de Biden n’a pas faibli – moins d’une personne interrogée sur dix issue du Parti républicain l’approuve –, sa popularité auprès des démocrates a baissé tout au long de son mandat.
Si aucun président n’a effectué deux mandats non consécutifs dans l’histoire des États-Unis – à l’exception de Grover Cleveland, qui a occupé les fonctions de 22e et 24e président des États-Unis de 1885 à 1889, puis de 1893 à 1897 –, les spéculations vont bon train quant à un possible retour de Trump en 2024.
L’idée que Trump ou un président qui lui ressemble puisse arriver en 2024 pourrait encourager certains États régionaux, notamment les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte, à revenir à leurs anciennes politiques aventureuses.
Une élection en Turquie
Deuxièmement, il y a l’élection présidentielle de 2023 en Turquie, un scrutin d’une grande importance pour les Turcs et la région.
Plusieurs puissances régionales et internationales misent sur un changement interne à Ankara pour remodeler la dynamique régionale en leur faveur. Un scénario dans lequel un gouvernement soumis à l’Occident s’installerait changerait radicalement le rôle régional d’Ankara et la nature de ses relations avec plusieurs pays de la région.
Le principal parti d’opposition, le CHP, s’est engagé à chasser les réfugiés syriens de Turquie et à relancer les relations avec le régime d’Assad. Des tendances similaires peuvent être attendues pour diverses questions et divers gouvernements.
Visite de Biden au Moyen-Orient : pourquoi le monde arabe a besoin d’un nouveau leader
On pourrait également s’attendre à un revirement de la politique étrangère turque et à un engagement diplomatique, économique et militaire revu à la baisse au Moyen-Orient. S’il venait à se concrétiser, ce scénario aurait également un impact sur les relations intrarégionales.
Le troisième facteur concerne le sort de l’accord sur le nucléaire de 2015 entre les États-Unis et l’Iran. Les négociations entre l’administration Biden et le gouvernement iranien pour réactiver l’accord suivent leur cours depuis un certain temps.
Plusieurs pays de la région, notamment Israël et l’Arabie saoudite, se sont opposés à l’accord initial au motif qu’il n’empêcherait pas totalement Téhéran de produire une arme nucléaire. Ils ont également fait part de leur vœu de bloquer le programme de missiles de l’Iran et d’obliger le régime iranien à changer son comportement régional et à mettre fin à ses activités déstabilisatrices.
La réactivation de l’ancien accord donnera plus de pouvoir à l’Iran en l’incitant à poursuivre son programme expansionniste, ce qui obligera ses rivaux régionaux à adopter des politiques de confrontation pour le contrer. Toutefois, le scénario « sans accord » n’est pas moins dangereux, car cela rapprochera probablement l’Iran de la fabrication d’une bombe nucléaire.
Ce scénario déclenchera une course à l’armement nucléaire. Dans les deux cas, l’issue des négociations pourrait remodeler les alliances dans la région en fonction des positions vis-à-vis de l’Iran.
Une deuxième vague de soulèvements arabes pourrait obliger les acteurs régionaux à reconfigurer leurs alliances en fonction de la solidité des régimes
Le quatrième facteur est la situation émergente d’insécurité alimentaire au Moyen-Orient. En 2019, la Russie et l’Ukraine représentaient plus de 25 % des exportations mondiales de blé.
L’invasion de l’Ukraine par Moscou, ainsi que les sanctions contre la Russie, perturbent les exportations de blé, de céréales, de maïs et d’autres sources alimentaires essentielles, ce qui engendre une explosion des prix de ces denrées à l’échelle mondiale.
Plusieurs pays arabes ainsi qu’Israël et la Turquie reposent sur les importations de blé russe et ukrainien. L’Égypte, premier importateur mondial de blé, dépend de Moscou et de Kyiv pour satisfaire plus de 70 % de sa demande locale.
En plus de l’Égypte, plusieurs pays arabes sont gravement exposés. Si la guerre est appelée à se prolonger, il ne faut pas exclure qu’une crise alimentaire imminente, associée à la montée en flèche des prix des denrées alimentaires, puisse déclencher des soulèvements.
Ce scénario aurait des répercussions politiques, économiques et sécuritaires. Une deuxième vague de soulèvements arabes pourrait obliger les acteurs régionaux à reconfigurer leurs alliances en fonction de la solidité des régimes.
L’utilisation des ressources inexploitées de la Méditerranée orientale
Cinquièmement, on retrouve les éléments perturbateurs et l’évolution de la situation en Méditerranée orientale. En faisant de ses ressources énergétiques une arme dans le contexte de sa guerre contre l’Ukraine, Moscou a mis l’Europe à ses pieds.
Compte tenu de cette situation, l’Europe recherche de toute urgence des sources d’énergie alternatives afin de répondre à la demande, de réduire sa dépendance envers le gaz russe et de maîtriser son exposition aux risques vis-à-vis de Moscou
Le navire de forage Tungsten Explorer, au large d’Oróklini (Chypre), dans le golfe de Larnaca, le 21 juillet 2020 (AFP)
Une source de gaz inexploitée se trouve dans le bassin de la Méditerranée orientale. Compte tenu de la désescalade régionale, les États-Unis et certains pays européens envisagent la possibilité d’utiliser les ressources en hydrocarbures de la région.
L’utilisation des ressources inexploitées de la Méditerranée orientale et la résolution des conflits entre les différents acteurs nécessiteraient une prise en compte de l’approche holistique de la Turquie sur la question ainsi qu’un gazoduc qui s’étendrait d’Israël à la Turquie, en lieu et place du projet irréalisable baptisé EastMed, un gazoduc censé relier Israël à la Grèce via la Crète en passant par des eaux revendiquées par Ankara.
Un nouveau Grand Jeu a commencé en Méditerranée orientale
En dépit de l’atmosphère régionale très positive résultant des processus de normalisation, il est difficile de juger si certains des acteurs concernés suivent cette nouvelle voie avec une volonté réelle ou s’ils font simplement preuve de pragmatisme.
Peu satisfaite de ces évolutions et de la normalisation des relations entre ses principaux partenaires régionaux – les Émirats arabes unis, Israël, l’Égypte et l’Arabie saoudite – et la Turquie, la Grèce se présente en trouble-fête.
Athènes s’emploie activement à perturber le climat de désescalade et à entraîner d’autres acteurs, tels que les États-Unis, dans ses propres problèmes. Une persistance de cette attitude pourrait avoir un impact négatif sur la région et mettre sérieusement à l’épreuve certains des processus de réconciliation et de normalisation.
Un élan à conserver
En dépit de l’atmosphère régionale très positive résultant des processus de normalisation, il est difficile de juger si certains des acteurs concernés suivent cette nouvelle voie avec une volonté réelle ou s’ils font simplement preuve de pragmatisme en rangeant leur épée dans son fourreau, en faisant profil bas et en attendant le bon moment pour revenir à leurs anciennes politiques.
Ceci dit, s’il existe une réelle volonté de transformer cette période de désescalade en une situation durable, nous devrions voir les principaux pays de la région prendre au moins quelques-unes des mesures suivantes dans un avenir proche.
Premièrement, donner la priorité à l’aspect économique des relations bilatérales. L’espace économique est un espace dépolitisé par nature, qui peut facilement contribuer à établir une formule gagnant-gagnant pour les parties concernées. Une approche fondée sur des intérêts économiques permettra de consolider le processus de réconciliation et apportera des gains réels et tangibles pour toutes les parties.
Un nouvel ordre mondial est-il en train d’émerger pour remplacer l’hégémonie américaine ?
Bien que les États rentiers ne soient peut-être pas si intéressés par de tels avantages, le contexte post-pandémie, la guerre russe contre l’Ukraine et les désirs de diversification économique obligent ces parties à observer sérieusement la dimension économique.
Deuxièmement, identifier les intérêts communs dans d’autres domaines tels que la sécurité et la politique. Il faut ensuite s’appuyer sur ces domaines tout en essayant de maintenir une séparation entre politique, économie et sécurité en période de tension afin d’éviter une rupture soudaine de tous ces liens. Cette méthode minimisera les dégâts et permettra aux parties de maintenir la communication sur d’autres questions non conflictuelles.
Troisièmement, engager une discussion constructive sur les points de divergence entre les principales puissances régionales. En ce sens, il est essentiel que les parties concernées mettent en place un mécanisme à même de contenir/résoudre les problèmes susceptibles de se présenter à l’avenir.
On peut également y ajouter la préservation des canaux de renseignement, qui doivent rester ouverts et opérationnels. La sécurité est importante pour tous. En raison de leur position géographique et de leur sentiment d’insécurité, certains pays ont tendance à donner la priorité aux relations dans le domaine de la sécurité. Le maintien d’un canal ouvert permettra non seulement d’approfondir la coopération sur les questions de sécurité, mais aussi de faciliter la discussion autour de certaines questions politiques non résolues.
L’absence de telles mesures sera un signe de faiblesse de ces processus de réconciliation et de normalisation. Ces derniers seront alors extrêmement vulnérables aux défis susmentionnés, qui devraient tôt ou tard mettre à l’épreuve les configurations régionales actuelles.
Cet article a été publié initialement par le site Insight Turkey.
- Ali Bakirest chargé de recherche au Centre Ibn Khaldun spécialisé en humanités et sciences sociales (université du Qatar). Il étudie les tendances géopolitiques et en matière de sécurité au Moyen-Orient, la politique des grandes puissances, le comportement des petits États, l’émergence de risques et menaces peu conventionnelles. Il se concentre principalement sur les politiques étrangères et de défense de la Turquie, les relations entre les Turcs et les Arabes et entre la Turquie et le Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AliBakeer.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Ali Bakir is a research assistant professor at Ibn Khaldun Center for Humanities and Social Sciences. He is following geopolitical and security trends in the Middle East, great power politics, small states' behaviour, emerging unconventional risks and threats, with a special focus on Turkey’s foreign and defence policies, Turkey-Arab and Turkey-Gulf relations. He tweets @AliBakee
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