Sunnites, Chiites, Alaouites, par l’amour du ciel, unissez-vous ! Votre Foi vous impose la même loi : celle de vous unir et non de vous punir. Parce que tout ce qui se passe ici-bas est petit et vous renvoie à l’au-delà de vos appétits. Ressaisissez-vous au lieu d’être insaisissables. Des fuites en avant sans vous soucier de ce qu’il y a devant : l’éternité et non le temps… grand Dieu ! Yémen, Syrie, Liban, Irak, Jordanie, Iran, Égypte, Inde ou Pakistan… Algérie, Maroc ou Tunisie et j’en oublie sont solitaires hélas et malheureusement, mais ils sont censés être solidaires, main dans la main pour revendiquer le même sens du divin… Ils n’ont pas les mêmes intérêts mais ils ont intérêt à avoir les mêmes pour résoudre rien que leurs problèmes d’énergie. Il leur faut une synergie. La division fausse leur vision des choses et remet tout leur potentiel en cause.Après les frappes iraniennes pour répondre au travail de sape des forces israéliennes, Israël a reconstitué autour de lui une coalition païenne, non pour combattre l’Iran mais pour abattre l’Islam. Pour le salut de nos âmes, nous avons tous besoin les uns, des autres.
Dans un récit graphique, Alain Gresh et Hélène Aldeguer racontent plusieurs décennies de relations entre la France, les gouvernements israéliens et la Palestine. On y mesure le courage des positions adoptées par le général de Gaulle et son alignement progressif depuis Nicolas Sarkozy sur la droite coloniale en Israël. Cet ouvrage aussi pédagogique qu’incisif éclaire le recul de la France dans cette région.
L’attaque du Hamas, le 7 octobre, en bordure de Gaza, a fait une victime dont il n’est jamais question : l’Histoire. Soudain, la longue tragédie du peuple palestinien n’a plus d’origine ni de généalogie. Le conflit israélo-palestinien serait né le 7 octobre, et c’est le Hamas qui l’aurait inventé. La seule idée qu’il y ait eu un « avant » entraine immédiatement des cris indignés. Qui se risque à évoquer cette longue, trop longue histoire, est complice du Hamas, voire antisémite. C’est peu dire que dans ce contexte (encore un gros mot !), ce Chant d’amour (on expliquera plus loin le pourquoi de ce titre) publié par Alain Gresh et Hélène Aldeguer est un acte politique majeur pour la vérité et la justice.
DANS LE BUREAU DU GÉNÉRAL DE GAULLE
Cet ouvrage, paru une première fois en 2017, et présenté dans une version actualisée et augmentée, est un grand livre d’histoire. Il y en eut beaucoup sur le sujet, écrits parfois par Alain Gresh lui-même, mais celui-ci est original par sa forme. C’est un récit graphique illustré par Hélène Aldeguer qui ouvre cette triste saga à des publics très larges sous-informés, et souvent désinformés. Le genre permet de scénographier et de montrer ce qu’on ne voit pas dans les ouvrages habituels par une reconstitution méticuleuse qui n’ajoute ni ne retranche pas une virgule à la réalité. Ainsi, on est dans le bureau de l’Élysée, en mai 1967, quand De Gaulle demande au ministre israélien des affaires étrangères, Abba Eban, que son pays ne prenne pas l’initiative d’attaquer l’Égypte. On s’invite à la prophétique conférence de presse de novembre 1967, dont on n’a retenu à tort que les mots polémiques « les Juifs (…) peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur »,quand l’essentiel était dans cette autre phrase : « Un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir ».
On assiste comme si on y était, en 1976, aux premiers contacts officieux entre Issam Sartaoui, l’émissaire de Yasser Arafat, et le général israélien Mattiyahu Peled, dans un appartement parisien. On entend le Palestinien dire à son interlocuteur « je suis un terroriste, (mes) mains sont celles d’un médecin mais elles ont aussi tué des juifs ». Et le général israélien lui répondre « j’ai fait quatre guerre contre des armées arabes et contre les Palestiniens ». Deux guerriers devenus gens de paix. Quand la volonté existe…. On est, bien sûr, aux premières loges quand François Mitterrand reçoit Arafat avec les égards d’un chef d’État, le 2 mai 1989. L’histoire défile comme un film mêlant les épisodes diplomatiques aux grands mouvements de l’opinion.
LE « FAIT COLONIAL » DE MAXIME RODINSON
Car c’est aussi le récit détaillé des passions que déchaine ce conflit dans notre société. La rue pro-israélienne portée à incandescence au moment de la guerre de juin 1967 par une propagande qui ne recule devant aucun mensonge, jusqu’à obtenir de France Soir, le grand quotidien de l’époque, qu’il titre « Les Égyptiens attaquent Israël », alors que c’est l’inverse. On voit bientôt apparaitre des intellectuels médiatiques très efficaces dans le discours pro-israélien. Bernard-Henri Lévy, déjà ! On voit naître aussi les mouvements de solidarité avec les Palestiniens quand les fedayins rejoignent « dans l’imaginaire militant (…) la figure du guérillero latino-américain ou du combattant vietnamien ». On croise Jean Genet, Jean-Luc Godard, et bien sûr, Jean-Paul Sartre qui va jusqu’à justifier l’attentat contre des athlètes israéliens, aux Jeux olympiques de Munich, en 1972, par des mots qu’on ne peut plus entendre aujourd’hui : « Les Palestiniens n’ont pas d’autre choix. Faute d’armes, ils ont recours au terrorisme. »
Le mot « terrorisme » ne faisait pas peur au philosophe. La violence de l’argument non plus. C’est qu’en ce temps là, quelles que soient les fautes politiques et morales des combattants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), on n’oubliait jamais le « contexte ». Un contexte défini une fois pour toutes par l’orientaliste Maxime Rodinson dans un fameux numéro de la revue Les Temps modernes : « Israël, fait colonial ? ». On le voit, imaginé par le trait d’Hélène Aldeguer, forger son concept devant un Jean-Paul Sartre sceptique. En parlant de « fait colonial », Rodinson donnait à tous ceux qui veulent regarder le conflit en face, aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais, une grille de lecture inoxydable.
En vérité, Alain Gresh et Hélène Aldeguer remontent beaucoup plus loin dans le temps, à la déclaration Balfour de 1917, par laquelle le couronne britannique promettait aux juifs un foyer national sur la terre de Palestine. Ils restituent aussi la complexité du débat de 1947 aux Nations unies qui aboutira au partage et à la création d’Israël. Un épisode resté célèbre sous sa forme la plus approximative : les Arabes ont refusé le partage. On nous rappelle ici ce qu’était le « partage », et on nous remet en mémoire que l’affaire s’est soldée par une proclamation unilatérale d’Israël que l’ONU n’autorisait pas. On fait revivre surtout la tragédie palestinienne d’un exode massif forcé, et du massacre de villages palestiniens. Le Hamas n’a pas inventé la barbarie.
On mesure surtout les reculs de la France dans un dossier où elle fut longtemps très influente. Charles de Gaulle d’abord, Georges Pompidou ensuite, Valéry Giscard d’Estaing, même, qui dépêcha son ministre des Affaires étrangères à Beyrouth pour y rencontrer Arafat, et qui ouvrit une représentation officielle de l’OLP à Paris, ont fait entendre une voix singulière. François Mitterrand, à sa manière, assura la continuité. On le voit et on l’entend devant le parlement israélien, en mars 1982, évoquer, certes en termes prudents, les droits des Palestiniens, « qui peuvent, le moment venu, signifier un État ». On revoit ici le charnier de Sabra et Chatila, quand, en septembre de la même année, des miliciens chrétiens libanais massacrèrent entre 1 000 et 3 000 Palestiniens sous le regard complice de l’état-major israélien. Avoir de la mémoire n’est pas inutile pour remettre un peu de raison quand la passion, par ailleurs bien compréhensible, nous submerge. Dans cette longue histoire de feu et de sang, les assassins n’ont pas toujours été islamistes.
La mémoire permet aussi de se rappeler ce que furent vraiment les accords d’Oslo, si déséquilibrés, et tellement illusoires. Rien ne les a torpillés plus que la colonisation. Toujours le « fait colonial » qui ruine encore ces derniers temps les chances de créer un État palestinien. L’histoire peut aussi rallumer l’espoir. Après tout, elle n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Les Palestiniens ont été populaires dans notre opinion, en 1987, au moment de la première Intifada, et alors qu’Arafat menait une campagne diplomatique de grande envergure. Mais c’est lui, Arafat, qui avait fait le pari du compromis et de la paix, que les Israéliens ont tué symboliquement en 2000, pour lui préférer un autre adversaire : le Hamas. La cause palestinienne s’en est trouvée abîmée. L’islamisation du conflit, aidée par les attentats du 11 septembre 2001, est devenue la grande imposture du discours occidental.
QUAND HOLLANDE POUSSE LA CHANSONNETTE
Et la France dans tout ça ? Elle a perdu son âme gaullienne. Peut-on donner une date à ce « tournant silencieux », comme l’appelle Gresh ? Quand survient ce réalignement de Paris sur Washington et sur la droite israélienne, jusqu’à ne plus être utile en rien ? Gresh a redécouvert une déclaration de Nicolas Sarkozy qui peut servir de repère. En septembre 2006, en voyage aux États-Unis, celui qui n’était encore que ministre de l’Intérieur, affirme devant la communauté juive, et en présence de George W. Bush : « Je veux dire combien je me sens proche d’Israël. Israël est la victime. Il doit tout faire pour éviter de passer pour l’agresseur ». Dix mois plus tard, Sarkozy est à l’Élysée. La France officielle prend définitivement le parti d’Israël. Les attentats de 2015 à Paris, qui n’avaient pourtant rien à voir avec le Hamas, entretiendront la mauvaise fable d’une guerre de religion. Et ce n’est pas le successeur de Sarkozy, le socialiste François Hollande, qui reviendra en arrière.
En visite à Jérusalem, en novembre 2013, il ne pousse pas la chansonnette pour célébrer son hôte, Benyamin Nétanyahou, mais il se dit prêt tout de même à « trouver un chant d’amour pour Israël et ses dirigeants ». L’épisode est si édifiant que Gresh et Aldeguer ont fait de ce « chant d’amour » le titre de leur livre. Ironie mordante. Car ce n’était pas un moment d’ivresse. Hollande renouait la avec Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) coloniale de la IVe République. Celle de la guerre d’Algérie et de l’expédition de Suez de 1956. On connaît la suite. La France d’Emmanuel Macron, dans le sillage d’Israël, joue de tous les amalgames pour mêler les Palestiniens au Djihad global dans lequel ils ne sont absolument pas impliqués. Pas même le Hamas. Les auteurs citent enfin un rapport d’Amnesty International du 1er février 2022 : « La population palestinienne est traitée comme un groupe racial inférieur et elle est systématiquement privée de ses droits ». La France officielle soutient sans vergogne l’extrême droite raciste au pouvoir en Israël. Tout le livre, superbement pédagogique, de Gresh et Aldeguer nous invite à pratiquer une résistance politique et morale : le conflit résulte toujours du fait colonial.
Alain Gresh et Hélène Aldeguer Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française Libertalia, collection Orient XXI, Montreuil Octobre 2023 197 pages 24 euros
Joe Biden et d’autres dirigeants occidentaux se sont rendus en Israël après les attaques terroristes du Hamas. Si leur soutien est accompagné d’une mise en garde sur le respect du droit international, ils sont critiqués par le reste du monde pour le « deux poids, deux mesures » appliqué à leur politique au Moyen-Orient, notamment comparée à la stratégie ukrainienne.
23 octobre 2023 à 13h39
L’imageL’image – ou plutôt la mise en scène – est largement passée inaperçue en Occident, où les médias sont concentrés depuis plus de quinze jours sur les événements sanglants en Israël et à Gaza. Elle a eu lieu mardi dernier à Pékin, le 17 octobre, au Palais du peuple, et a été diffusée par la télévision officielle chinoise (à partir de 2 min 35 s dans cette vidéo).
Deux militaires ouvrent une porte dorée, laissant passer un groupe de dirigeant·es réuni·es dans la capitale chinoise pour un sommet destiné à fêter le dixième anniversaire des Nouvelles Routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI, selon son acronyme en anglais), le « projet du siècle » du numéro un chinois Xi Jinping.
Côté européen, seul le premier ministre hongrois, Viktor Orbán, s’est déplacé, la France ayant envoyé un second couteau, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, connu pour ses positions prochinoises – mais qui, le lendemain, est sorti de la salle peu avant le discours de Vladimir Poutine, en compagnie de délégués européens, selon l’agence Reuters.
Car ce soir du 17 octobre, pour le dîner d’accueil, les deux chefs d’État qui ont ouvert la marche sont l’hôte Xi Jinping et son ami Vladimir Poutine, devenu un paria en Occident depuis son agression de l’Ukraine il y a plus d’un an et demi. Et si le dirigeant russe a été mis en examen par la Cour pénale internationale (CPI) pour sa responsabilité dans des crimes de guerre perpétrés en Ukraine, Pékin n’en a cure. L’image n’a pas besoin de beaucoup plus d’explications. Les deux dirigeants chinois et russe donnent le tempo, les autres suivent.
Biden dans les pas de Roosevelt
Au même moment, Joe Biden se préparait pour une visite en Israël. Un déplacement avant tout destiné à afficher un soutien conditionnel à Israël après les attaques terroristes du Hamas, mais réduit à la portion congrue après l’annulation de l’étape jordanienne, où il devait rencontrer les dirigeants jordanien et égyptien et le chef de l’Autorité palestinienne. Une rencontre annulée par le drame de l’hôpital Ahli-Arab à Gaza, attribué à une frappe israélienne par le Hamas, mais qu’Israël et les États-Unis expliquent par un tir de roquette raté du Jihad islamique, un allié du mouvement islamiste palestinien.
De retour à Washington, le président états-unien s’est adressé aux Américain·es dans un discours à la nation. Il a évoqué un de ces moments historiques où les décisions à prendre sont déterminantes « pour les décennies à venir ». « Un point d’inflexion », a-t-il souligné. Il s’est dit ému par les atrocités commises par le Hamas, tout en mentionnant les victimes palestiniennes. Mais il a surtout rapproché la situation israélienne de la guerre en Ukraine.
« L’assaut contre Israël fait écho à près de vingt mois de guerre, de tragédie et de brutalité infligés au peuple ukrainien – un peuple qui a été très durement touché depuis que Poutine a lancé son invasion, a dit le président états-unien. Nous n’avons pas oublié les charniers, les corps portant des traces de torture, le viol utilisé comme arme par les Russes, et les milliers et milliers d’enfants ukrainiens emmenés de force en Russie, volés à leurs parents. Cela rend malade. Le Hamas et Poutine représentent des menaces différentes, mais ils ont ceci en commun : ils veulent tous deux anéantir complètement une démocratie voisine – l’anéantir complètement. »
Si Joe Biden ne rejoint pas complètement le discours d’extrême droite du premier ministre Benyamin Nétanyahou sur la guerre des civilisations, il tente de réactiver un récit qu’il avait tenté de lancer au début de son mandat, sans succès : celui de l’opposition entre le camp des démocraties, emmenées par Washington, et celui des dictatures, où l’on retrouve le rival chinois et son supplétif russe.
Dans son discours à la nation, Biden a également annoncé vouloir demander plus d’argent pour l’Ukraine et pour Israël, afin de soutenir leurs efforts de guerre. Le tout en invoquant le souvenir de la mobilisation du « monde libre » sous le mandat de Franklin D. Roosevelt durant la Seconde Guerre mondiale : « Tout comme [à l’époque], les travailleurs américains patriotes construisent l’arsenal de la démocratie et servent la cause de la liberté. »« Dans des moments comme celui-ci, nous devons nous rappeler qui nous sommes. Nous sommes les États-Unis d’Amérique. Et rien n’est au-delà de notre capacité si nous agissons ensemble », a-t-il également lancé.
Mais, lors de sa visite en Israël, Joe Biden a également mis en garde ses interlocuteurs sur le danger de se laisser emporter par la vengeance. Il a évoqué publiquement les erreurs commises par son pays après le 11 septembre 2001 et le choc des attaques terroristes d’Al-Qaïda sur le sol américain. « La justice doit être rendue, a-t-il dit, mais je vous mets en garde : si vous ressentez cette rage, ne vous laissez pas envahir par elle. Après le 11-Septembre, nous étions enragés aux États-Unis. Nous avons cherché à obtenir justice et nous l’avons obtenue, mais nous avons aussi commis des erreurs. »
Et d’insister sur la mesure et la lucidité nécessaires à observer : « Je suis le premier président à me rendre en Israël en temps de guerre. J’ai pris des décisions en temps de guerre et je sais que les choix ne sont jamais clairs ou faciles. Il y a toujours des coûts qui doivent être examinés, qui nécessitent de poser des questions très difficiles, qui nécessitent de clarifier les objectifs et de se demander, honnêtement, si la voie que l’on suit permettra d’atteindre ces objectifs. La grande majorité des Palestiniens ne font pas partie du Hamas. Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien. »
Selon le New York Times, Washington tente de persuader Israël de retarder l’offensive terrestre sur Gaza, pour permettre notamment de libérer les otages aux mains du Hamas et du Jihad islamique, tout en permettant aux civils palestiniens de bénéficier d’une aide humanitaire. Si les Occidentaux se retrouvent sur la même ligne que les États-Unis – Biden s’est entretenu dimanche avec plusieurs dirigeants européens, dont Emmanuel Macron, qui a prévu de se rendre en Israël mardi –, la division avec le reste du monde, déjà visible sur l’Ukraine, n’a fait que se renforcer.
Un cadeau pour Moscou et Pékin
Dans un éditorial publié le 20 octobre, le Financial Times a résumé la difficulté que doivent affronter Washington et ses alliés. « Un exercice d’équilibre complexe est nécessaire, juge le journal. L’Amérique et les démocraties occidentales doivent apporter leur soutien à un allié traumatisé, l’aider à renforcer ses défenses et dissuader d’autres ennemis de rejoindre le Hamas dans la guerre. Elles doivent également exhorter Israël à s’abstenir de toute action susceptible d’entraîner de nouvelles pertes civiles. »
Pour le Financial Times, « un mauvais équilibre peut exacerber les tensions non seulement au Moyen-Orient, mais aussi au sein des communautés locales ». Alors que les Occidentaux avaient enjoint au monde de rejoindre leur combat pour la défense de l’Ukraine, « la perception d’un double standard occidental qui s’installe déjà est un cadeau pour Moscou et Pékin ». « Le droit international ne peut pas être une marchandise que l’Occident soutient quand cela l’arrange, mais qu’il rejette quand cela ne l’arrange pas », conclut le texte.
L’illustration de cette division du monde a été donnée samedi, lors du sommet organisé par les Égyptiens, auquel ne participaient ni Israël ni les États-Unis. Il s’est achevé sans communiqué commun et sur un constat d’échec. L’un des plus virulents envers l’hypocrisie occidentale a été le roi de Jordanie, Abdallah II. « Partout ailleurs, le monde aurait condamné le ciblage des infrastructures civiles et la privation délibérée de la population de nourriture, d’eau, d’électricité et de ses besoins essentiels, et les auteurs de ces actes auraient certainement été tenus de rendre des comptes immédiatement », a-t-il lancé, ajoutant dans une référence à l’Ukraine que « cela a été le cas récemment dans un autre conflit, mais pas à Gaza ».
Dans un monde failli, cette absence de crédibilité et cette perception de dirigeants défaillants et dépourvus de toute vision ambitieuse – toujours aussi incapables de faire respecter le droit international ou de protéger les populations civiles – rendent difficiles dans l’immédiat de prévenir une extension du conflit et, à plus long terme, toute perspective pour l’après. Et ne peuvent que renforcer l’impression de désastre politique.
Alors que la guerre obscurcit le pourtour méditerranéen, les débats des Rencontres d’Averroès explorent l’histoire des empires. Du déclin de celui de Rome à nos jours. Du 16 au 19 novembre.
Il s’agit de ne pas crever séparément, mais de vivre ensemble. » Ces mots écrits par Albert Camus pendant la guerre d’Algérie, Thierry Fabre les partage « à l’heure où le désir d’empire fait son retour en Europe et en Méditerranée ». Il faut dire que le fondateur des Rencontres d’Averroès, dont la 30e édition dissèque « ce qui entraîne la chute des empires ou qui, au contraire, maintient leur cohésion», est hélas conforté dans son choix par la situation
Actuelle Moyen-Orient. Il tient d’ailleurs à apporter « une réponse émue et attentive à toutes les victimes civiles, israéliennes et palestiniennes, prises dans les mâchoires de fer de ce conflit armé. Lorsqu’elles sont nées il y a trenteans, les Rencontres d’Averroès avaient pour horizon la paix, dans le sillage des conférences de Madrid et d’Oslo. Aujourd’hui, celui devant nous c’est la guerre ». Du 16 au 19 novembre, les intellectuels conviés à La Criée lors des quatre tables rondes de cette manifestation qui « pense la Méditerranée des deux rives » frotteront leurs savoirs pour interroger si « tout empire périra? », selon la formule empruntée à l’historien Jean-Baptiste Duroselle.
Articulée autour du thème « Empires de dieu contre empires des hommes ? », la première d’entre elles conviera des historiens. Claire Sotinel qui « a travaillé sur la fin de l’empire romain et la naissance du christianisme», Arietta Papaconstantinou, dont les recherches se tournent vers « les interactions entre l’empire byzantin et le monde de l’islam », Annliese Nef et sa connaissance de «la Sicile musulmane », du « croisement des empires », et Gabriel Martinez-Gros, « spécialiste d’Al-Andalus ».
« Avec l’empire romain, l’empire ottoman fut parmi les plus étendus dans le monde méditerranéen. Les empires coloniaux, notamment russes, britanniques et français, ont pris ensuite la main. On peut dater ce moment pivot avec l’expédition de Bonaparte en Égypte en 1798», expose Thierry Fabre, pour introduire la deuxième table qui réunira Sylvie Thénault, spécialiste de la colonisation et de la guerre d’indépendance algérienne, ou encore M’hamed Oualdi, récemment auteur d’Un esclave entre deux empires. Une histoire transimpériale du Maghreb. Un ouvrage qui démonte les propos de Macron sur une Algérie qui aurait oublié la domination ottomane, en la comparant avec la domination coloniale.
Lumière des arts
Ingérences fatales et guerres menées par les États-Unis, la Russie et la Turquie en ligne de mire, la troisième discussion tournera autour du « choc et du retour des empires en Méditerranée contemporaine ». La dernière table ronde s’attachera, elle, à tracer le chemin pour aller « au-delà des empires », entre autres à la lumière de la sociologue libanaise Nahla Chahal ou de Kamel Jendoubi, ministre tunisien des Droits de l’homme juste après la Révolution de 2011.
Outre ces débats, les artistes auront également droit de cité lors des Rencontres d’Averroès, dirigées pour la dernière fois par Thierry Fabre : à La Criée, avec une plongée intime et musicale dans l’univers de l’auteur et dessinateur marseillais Kamel Khélif, puis la lecture de textes de la Résistance signés René Char ; mais aussi à l’Espace Julien, à travers un concert-hommage à Rachid Taha, de Rodolphe Burger, Sofiane Saidi et Mehdi Haddab ; et enfin, au Silo, où se produiront les derviches tourneurs de Damas.
La guerre de Gaza a relégué au second plan les accords de normalisation noués en 2020 entre Israël, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Maroc. Au-delà de sa dimension géopolitique, un des aspects de cette alliance a été passé sous silence : malgré leurs divergences théologiques, les fondamentalistes des trois grands monothéismes en ont tiré profit pour faire front commun contre le libéralisme moral et les valeurs laïques — même si la répression israélienne à Jérusalem-Est et les violations des lieux saints menacent aussi cet aspect du pacte. (Ce texte a été écrit avant les récents événements dans la région).
Au moment de la signature des accords d’Abraham en 2020, leurs détracteurs les ont dénoncés comme un exercice cynique d’opportunisme géopolitique. Les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, voulaient relancer une hégémonie déclinante en négociant de nouveaux traités de paix israélo-arabes, consolidant ainsi le front anti-iranien et renforçant leurs liens avec leurs alliés arabes. Et ces alliés (les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Maroc) faisaient miroiter les perspectives d’une normalisation avec Israël pour obtenir de nouveaux accords commerciaux, une assistance militaire et d’autres avantages. Le Maroc mettait en avant la spécificité de son héritage historique (la présence d’une importante minorité juive dans le pays) pour justifier le rapprochement avec Israël, et espérait qu’une main tendue vers Tel-Aviv allègerait les pressions exercées sur lui au sujet du Sahara occidental, avec à la clé une reconnaissance de la souveraineté de Rabat sur ce territoire.
Enfin, pour sa part, Israël améliorait son positionnement international grâce aux accords conclus avec des pays arabes qui partagent également, et ce n’est pas un hasard, son objectif de contenir un Iran doté d’une capacité nucléaire militaire.
MARGINALISATION DE LA CAUSE PALESTINIENNE
Tous ces acteurs profitaient de la marginalisation de la cause palestinienne, qui s’est trouvée déconnectée du reste des crises du Proche-Orient durant les soulèvements des « printemps arabes ». Ainsi, les accords d’Abraham constituaient l’exemple même d’une realpolitik cynique. Pourtant, d’autres États arabes se positionnaient différemment sur l’échiquier géopolitique. L’Algérie pariait sur le fait que les accords échoueraient, tandis que le Qatar préférait rester au-dessus de la mêlée régionale en cherchant à jouer le rôle de médiateur, comme il l’avait fait en Afghanistan.
Pourtant, alors que la nouvelle série d’accords de normalisation israélo-arabes a commencé comme un exercice d’opportunisme géopolitique, elle s’est transformée en quelque chose de fort différent. La logique stratégique qui a donné naissance à ces traités n’est plus entièrement valable. Alors que les États-Unis se retirent du Proche-Orient, les États de la région n’ont plus besoin de la validation américaine pour discuter de paix et innover dans leur politique étrangère.
La peur commune d’une agression iranienne ne suffit pas plus à expliquer la normalisation israélo-arabe : le récent rapprochement entre Riyad et Téhéran n’a en effet pas diminué la dynamique de normalisation. Même si l’Arabie saoudite est plus prudente du fait de sa position symbolique de gardienne des deux villes saintes de La Mecque et Médine, elle négocie par l’intermédiaire de l’administration du président américain Joe Biden afin d’obtenir le plus d’avantages possible d’une paix séparée avec Israël. La realpolitik pousse aussi certains États arabes à nouer des alliances stratégiques avec Israël pour améliorer leur position économique ou politique.
Un autre facteur, hormis le géopolitique, permet de comprendre les accords d’Abraham : la radicalisation religieuse. Les accords rassemblent en effet une coalition inattendue de pays qui prétendent parler au nom de leur foi à travers une formulation spécifique d’idéaux fondamentalistes. Si l’utilisation du nom du prophète Abraham pour désigner ces traités de paix mettait l’accent, au début, sur la tolérance œcuménique entre les religions juive, chrétienne et musulmane, elle indique aujourd’hui une alliance extrémiste contre la démocratie libérale.
LES THÉORIES DE SAMUEL HUNTINGTON
Les acteurs fondamentalistes sont devenus prédominant dans le contexte politique d’Israël et des États-Unis, et restent fortement présents pour les États arabes. En Israël, les fondamentalistes juifs de droite dominent le gouvernement et dictent sa position sur la question palestinienne. Aux États-Unis, l’aile évangélique du Parti républicain exerce une forte emprise sur le mouvement conservateur et se confond également avec la tendance populiste du mouvement Make American Great Again (MAGA) de Trump. Pour les pays arabes signataires des accords d’Abraham, la situation est plus complexe. Les dirigeants autoritaires imposent le contrôle de l’État sur l’islam, alors que jusqu’ici des acteurs religieux ancrés dans la société, allant des oulémas traditionnels aux groupes fondamentalistes comme les islamistes et les salafistes, pouvaient coexister avec un islam officiel. Ils prétendent soutenir une version modérée de l’islam, mais appliquent en réalité un fondamentalisme étatique. Ils rejettent la sécularisation au sens philosophique du terme, car ils monopolisent et réglementent la pratique de la foi musulmane dans la vie sociale.
Ces trois forces — musulmanes, chrétiennes et juives — dominent dans leurs sociétés respectives. Les points de vue qu’elles pouvaient avoir les unes sur les autres se sont également rapidement transformés. Jusqu’à très récemment, elles se considéraient comme rivales. L’antisémitisme chrétien et musulman ciblait la diaspora juive, tandis que les sionistes considéraient la plupart des chrétiens et des musulmans comme une menace pour leur rêve d’une patrie juive. Des termes comme « croisade » et « djihad » illustraient la manière dont chaque mouvement fondamentaliste percevait le « choc des civilisations ». Dans cette vision du monde développée par le politologue américain Samuel Huntington, la religion était considérée comme le fondement de la culture, et même les personnes laïcisées étaient identifiées à leurs coreligionnaires de fait. La ligne de démarcation divisait le monde entre des sociétés tenues pour homogènes (chrétiennes juives ou musulmanes). Un évêque français était ainsi vu comme plus proche d’un franc-maçon français que d’un imam immigré venu du Maghreb.
Cette vision d’une compétition interreligieuse a cependant été remplacée chez les fondamentalistes par une alliance nouée pour promouvoir des valeurs communes. Les guerres culturelles ont remplacé le vieux paradigme huntingtonien du conflit civilisationnel. Désormais, chaque faction religieuse ne répugne plus à se joindre à ses cousins abrahamiques éloignés contre ses frères et sœurs les plus proches mais laïques — juifs, chrétiens ou musulmans qui sont en désaccord avec leur théologie et critiquent leur politique. Aux États-Unis, les chrétiens évangéliques voient le libéralisme laïc comme une menace égale, voire supérieure, à toute autre religion concurrente. Les fondamentalistes chrétiens tentent de bâtir une coalition mondiale de conservateurs religieux issus de toutes confessions pour combattre l’ennemi athée. Ils s’allient aux populistes européens, s’appuient sur le nationalisme blanc, se méfient de toute politique de gauche et considèrent Vladimir Poutine comme un croisé chrétien.
DES ACTEURS POLITICO-RELIGIEUX RADICALISÉS
Dans le même temps, les groupes juifs ultra-orthodoxes ont ébranlé la politique israélienne. Les tensions entre ces mouvements et les juifs sécularisés sont telles que les premiers ne considèrent même plus les seconds comme juifs. Ils ne se mobilisent plus pour défendre la diaspora contre l’antisémitisme, parce qu’une grande partie de cette diaspora s’est sécularisée ou rejette leurs opinions politiques et théologiques. Ainsi, cette aile fondamentaliste juive ne voit aucun problème à s’allier aux populistes occidentaux antisémites qui soutiennent également les nationalistes chrétiens blancs. Par exemple, Benyamin Nétanyahou a qualifié le premier ministre hongrois Viktor Orban de « véritable ami d’Israël », malgré ses attaques antisémites contre le milliardaire américain George Soros. Plus récemment, en mai 2023, une délégation du parti d’extrême droite Les Démocrates suédois, dont le programme appelle à l’interdiction de la circoncision, a effectué une tournée en Israël.
Dans le Golfe, les États arabes qui prétendaient autrefois représenter l’islam mondial ont fait marche arrière. En Arabie saoudite, le prince héritier Mohamed Ben Salman a abandonné la posture traditionnelle saoudienne de promotion des idéaux wahhabites comme instrument de soft power. Alors que le roi Salman conserve son titre de gardien des lieux saints de La Mecque et de Médine, ni les dirigeants du pays ni la plupart des autres gouvernements arabes ne défendent les positions religieuses du passé, qui étaient autrefois au centre de leurs revendications politiques sur la scène internationale. Ils ne font plus cause commune avec le sort des Palestiniens. Ils ne se pressent pas non plus pour défendre les musulmans victimes d’islamophobie en Occident ou les minorités musulmanes attaquées ailleurs, comme les Ouïghours en Chine.
Ces trois acteurs « politico-religieux » radicalisés nourrissent aussi une profonde hostilité à l’égard des voix démocratiques dans leurs propres sociétés. Pour les fondamentalistes juifs de Tel-Aviv, l’ennemi est le courant dominant juif laïque qui cherche à freiner les pires excès de l’expansionnisme sioniste en Palestine ainsi que l’emprise ultra-orthodoxe sur l’État israélien. Les évangéliques américains détestent les libéraux partisans du cosmopolitisme et de l’inclusion politique, lesquels menaceraient de mondialiser une nation qui, selon eux, devrait rester radicalement dominée par les Blancs. Enfin, les États arabes craignent une mobilisation populaire en faveur de la dignité incarnée par les « printemps arabes » et toujours portée par un grand nombre de jeunes pour qui l’engagement politique doit se faire au nom de la tolérance et des droits humains.
Pour les trois groupes, les accords d’Abraham représentent une confortable union d’intérêts. Du côté israélien on peut procéder à l’annexion de la Palestine, tandis que les évangéliques américains peuvent consolider leur prétendue défense de la civilisation occidentale, et les régimes arabes peuvent renforcer leurs capacités militaires et leurs technologies de contrôle de la population. C’est cette coalition de radicaux religieux qui soutient les accords de normalisation.
ISRAËL, LE MAILLON FAIBLE
Pourtant, ces accords font face à une menace inattendue. Il a toujours été naïf de penser que ces forces religieuses et politiques resteraient dans un équilibre harmonieux. Or cet équilibre est en train de se rompre en Israël — le seul pays du Proche-Orient doté d’institutions libérales, mais exclusivement pour les juifs. Ainsi, c’est la « démocratie » israélienne même qui est devenue le maillon faible de cet édifice. Les mobilisations de masse récurrentes contre la politique autoritaire de Nétanyahou ont déclenché une crise politique, annonçant un nouveau cycle d’instabilité gouvernementale, avec la possibilité d’élections anticipées et de changement de leadership.
Ces manifestations contre la nature de plus en plus exclusive et abusive de l’État israélien laisse entrevoir des contradictions plus profondes au sein de la nouvelle alliance religieuse. Les sionistes radicaux n’hésitent pas à s’en prendre aux chrétiens, comme à Jérusalem, avec la complicité des institutions judiciaires et policières du pays. Mais ils doivent également affronter une autre réalité : à l’extérieur, les chrétiens évangéliques considèrent Israël comme une simple étape sur la voie du retour du Messie et ne sont pas concernés par la pérennité d’un État juif. De même, les attaques répétées des sionistes radicaux contre la mosquée Al-Aqsa symbolisent non seulement la dépossession de la Palestine, mais une agression spirituelle contre la foi de tout le monde musulman et donc contre toute idée de coalition des religions. En ce sens, c’est tout le cadre régional créé par les accords d’Abraham qui risque de s’effondrer sous le poids de ses propres paradoxes.
HICHAM ALAOUI Enseignant à l’université de Californie, Berkeley. Auteur du livre Pacted Democracy in the Middle East
Des Palestiniens célèbrent la prise d’un char israélien, près de Khan Younès, après avoir franchi la clôture de séparation entre Israël et la bande de Gaza, le 7 octobre 2023
C’était aussi au mois d’octobre, il y a juste cinquante ans, en 1973. Les armées égyptienne et syrienne franchissaient les lignes de cessez-le-feu et infligeaient de lourdes pertes à l’armée israélienne. Quelle terrible commotion à Tel-Aviv ! Alors que ses services de renseignement disposaient d’informations sur une attaque imminente, la direction politique resta drapée dans sa morgue : les Arabes, défaits en 1967, étaient incapables de se battre ; l’occupation des territoires arabes pouvait se poursuivre impunément et indéfiniment.
« TENTER DE REMETTRE LES PIEDS CHEZ SOI, EST-CE UNE AGRESSION ? »
Nombre de commentateurs en Europe et aux États-Unis dénoncèrent alors une « agression » égypto-syrienne injustifiable, immorale, non provoquée — un terme que les dirigeants israéliens affectionnent, car il permet d’occulter la racine des conflits : l’occupation. Michel Jobert, à l’époque ministre des affaires étrangères de la France, fit preuve d’une lucidité qui honorait son pays : « Est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue forcément une agression ?1 » Il est vrai qu’à l’époque la voix de Paris planait à mille lieues au-dessus du concert occidental et proclamait que la reconnaissance des droits nationaux des Palestiniens et l’évacuation des territoires arabes occupés en 1967 étaient les clefs de la paix.
Si vouloir en finir en 1973 avec l’occupation du Sinaï égyptien et du Golan syrien était légitime, cinquante ans plus tard la volonté des Palestiniens de s’affranchir de l’occupation israélienne est-elle illégitime ? Tel-Aviv, comme en octobre 1973, a été pris de court par l’action palestinienne et a subi une défaite militaire d’une ampleur exceptionnelle. Cette fois aussi, la morgue de l’occupant, le mépris pour les Palestiniens, la conviction de ce gouvernement suprémaciste juif persuadé que Dieu est à ses côtés ont contribué à son aveuglement.
L’attaque déclenchée par le commandement militaire conjoint de la plupart des organisations palestiniennes, sous la direction des Brigades Ezzedine Al-Qassam (bras armé du Hamas), n’a pas seulement surpris par le moment choisi, mais aussi par son ampleur, son organisation, et les capacités militaires déployées qui ont permis, entre autres, de submerger des bases militaires israéliennes. Elle a uni tous les Palestiniens et suscité une large adhésion dans un monde arabe dont les dirigeants cherchent pourtant à pactiser avec Israël en sacrifiant la Palestine. Même Mahmoud Abbas, président d’une Autorité palestinienne démonétisée, dont la principale raison d’être est la coopération sécuritaire avec l’armée israélienne, s’est senti obligé de déclarer que son peuple « avait le droit de se défendre contre la terreur des colons et des troupes d’occupation » et que « nous devons protéger notre peuple2 ».
TOUS TERRORISTES !
À chaque fois que les Palestiniens se révoltent, l’Occident — si prompt à glorifier la résistance des Ukrainiens — invoque le terrorisme. Ainsi, le président Emmanuel Macron a condamné « fermement les attaques terroristes qui frappent actuellement Israël », sans un mot sur la poursuite de l’occupation qui est le ressort de la violence. La résilience tenace, farouche, entêtée des Palestiniens étonne toujours les occupants et semble choquer bon nombre d’Occidentaux. Comme lors de la première Intifada de 1987 ou de la seconde Intifada en 2000, lors des actions armées en Cisjordanie ou des mobilisations en faveur de Jérusalem, lors des affrontements autour de Gaza, assiégée depuis 2007 et qui a subi six guerres en 17 ans (400 morts en 2006, 1 300 en 2008-2009, 160 en 2012, 2 100 en 2014, près de 300 en 2021 et plusieurs dizaines au printemps 2023), les responsables israéliens dénoncent la « barbarie » de leurs adversaires, le fait qu’ils ne font pas grand cas de la vie humaine, en un mot leur « terrorisme ».
L’accusation permet de se parer dans les habits du droit et de la bonne conscience, en occultant le système d’apartheid d’une brutalité inouïe qui opprime quotidiennement les Palestiniens.
On rappellera, une fois de plus, que nombre d’organisations terroristes, clouées au pilori au cours de l’histoire, sont passées du statut de paria à celui d’interlocuteur légitime. L’Armée républicaine irlandaise (IRA), le Front de libération nationale algérien, le Congrès national africain (ANC) et bien d’autres ont été tour à tour qualifiées de « terroristes », un mot qui visait à dépolitiser leur combat, à le présenter comme un affrontement entre le Bien et le Mal. Finalement, il a fallu négocier avec elles. Le général de Gaulle avait eu ces mots prémonitoires après l’agression israélienne de juin 1967 :
Maintenant Israël organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’il qualifie de terrorisme…3
IL NE S’AGIT PAS D’UNE ATTAQUE « NON PROVOQUÉE »
Comme le remarque le journaliste israélien Haggai Matar :
Contrairement à ce qu’affirment de nombreux Israéliens (…), il ne s’agit pas d’une attaque “unilatérale” ou “non provoquée”. L’effroi que ressentent les Israéliens en ce moment, y compris moi, n’est qu’une infime partie de ce que les Palestiniens ressentent quotidiennement sous le régime militaire qui sévit depuis des décennies en Cisjordanie, ainsi que sous le siège et les assauts répétés contre Gaza. Les réponses que nous entendons de la part de nombreux Israéliens — qui appellent à “raser Gaza”, qui disent que “ce sont des sauvages, pas des gens avec qui on peut négocier”, “ils assassinent des familles entières” ; “il n’y a pas de place pour parler avec ces gens” — sont exactement celles que j’ai entendues d’innombrables fois dans la bouche des Palestiniens à propos des Israéliens4.
On peut à juste titre déplorer, comme dans toute guerre, la mort de civils, mais y aurait-il de « bons civils » pour lesquels il faudrait verser des larmes et de « mauvais civils » comme les Palestiniens qui sont tués quotidiennement en Cisjordanie et dont la mort suscite si peu d’indignation ?
On compte déjà 700 morts israéliens (et plus de 400 côté palestinien), soit plus que durant la guerre de 1967 contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. La donne politique et géopolitique régionale en sera bouleversée et d’une manière qu’il est difficile d’évaluer à ce stade. Mais ce que les événements actuels accréditent, une fois de plus, c’est que l’occupation déchaîne toujours une résistance dont les seuls responsables sont les occupants. Comme le proclame l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la résistance à l’oppression est un droit fondamental, un droit que les Palestiniens peuvent justement revendiquer.
Pour de nombreux Palestiniens, et malgré la mort de centaines de civils à Gaza et en Israël, l’attaque du Hamas s’explique par les pratiques brutales du gouvernement de Nétanyahou et par la colonisation qui n’a fait que s’étendre. Témoignage de Rula Shadeed, responsable dans une ONG.
TôtTôt samedi matin, les Palestiniens ont appris le lancement par le Hamas d’une opération armée inédite par son ampleur contre Israël depuis la bande de Gaza, qui a causé environ 600 morts israéliens, civils pour la plupart. Quelques heures plus tard, ils ont enduré la réplique rapide de l’État hébreu, dont les frappes aériennes intenses ont causé plus de 300 morts, dont là aussi un nombre indéterminé de civils. Comment la population de Palestine a-t-elle vécu ce 7 octobre 2023, dont on ignore les conséquences à moyen et long terme, mais dont on sait déjà qu’il restera comme une date marquante du conflit israélo-palestinien ?
Mediapart a donné la parole à des experts sur place, dont des universitaires, comme Mkhaimar Abusada, professeur de sciences politiques à l’université Al-Aqsa de Gaza, qui voit dans l’attaque surprise du Hamas une conséquence à la politique de ce qu’il décrit comme un « gouvernement israélien d’extrême droite fasciste »,en rappelant que certains de ses ministres « pensent que le temps est venu d’expulser les Palestiniens et d’annexer plus de la moitié de la Cisjordanie ».
D’autres voix de la société civile palestinienne s’expriment, et développent un discours similaire. C’est le cas de Rula Shadeed, qui travaille depuis des années dans diverses organisations non gouvernementales depuis Ramallah, en Cisjordanie. Aujourd’hui responsable de programme pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, elle a œuvré longtemps à l’association Al-Haq, fondée en 1979 pour documenter les violations des droits humains commises dans le cadre du conflit. Al-Haq fait partie des six ONG que le gouvernement israélien a tenté d’interdire en 2021, au prétexte qu’elles aurait des liens avec le terrorisme palestinien, sans convaincre les Occidentaux.
Lorsque Mediapart joint Rula Shadeed, le 7 octobre dans la journée, la militante est en mission à Amman, en Jordanie, et ne peut rentrer à Ramallah, car Israël a bloqué les frontières. Face aux événements, et aux images choc de la journée, elle assume son soutien à l’attaque du Hamas. Soutien qu’elle estime largement partagé : « Je ne peux évidemment pas parler pour tout le monde, mais de ce que je comprends, nous sommes tous d’accord pour dire que nous avons le droit de résister contre la colonisation, l’occupation et l’apartheid, et de nous protéger », explique-t-elle.
Si elle exprime sa « surprise » face à « l’ampleur de cette opération », elle souligne toutefois que, comme nombre de Palestiniens, elle savait « que quelque chose allait se passer ». « Nous nous attendions à une forme de réponse, raconte-t-elle, parce que les différents partis incluant le Hamas avaient tous appelé à ce que le gouvernement israélien stoppe ses agressions, les attaques contre des civils et contre les lieux et édifices religieux comme la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. »
Elle évoque aussi des humiliations contre « les croyants en train de prier près des églises et des mosquées ». Les images toutes récentes de juifs ultraorthodoxes crachant sur des pèlerins chrétiens dans la vieille ville de Jérusalem ont notamment tourné en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux.
Le souvenir noir de 1948
Rula Shadeed dénonce également le « nombre insensé de violations et de brutalités » commises par « le gouvernement fasciste israélien, qui ne se soucie d’aucune manière des résolutions de l’ONU, des lois de l’Union européenne, des droits humains, du droit des Palestiniens à simplement vivre ».
Elle fait de l’extrémisme du gouvernement mené par Benyamin Nétanyahou et qui compte parmi ses ministres clés Itamar Ben Gvir, suprémaciste juif, raciste et homophobe, et Bezalel Smotrich, qui se revendique fièrement partisan du Grand Israël, de la Méditerranée au fleuve Jourdain, « l’un des moteurs qui font que le Hamas, mais aussi d’autres partis se sont décidés » [à attaquer – ndlr].
Comme une grande partie des Palestiniens, l’activiste raconte son inquiétude croissante devant « les villages brûlés » et « le transfert des populations auquel on assiste ces derniers mois » pour permettre aux colons israéliens de s’installer sur les territoires palestiniens, avec la bénédiction du gouvernement et de l’armée. « Tous ces événements ont constitué une sorte de signal d’alarme pour tous les Palestiniens, un signe que la menace devenait de plus en plus proche », décrit Rula Shadeed, pour qui ils sont « très similaires à ce qu[’ils ont] connu en 1948 » : la Nakba, l’exode forcé de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens, expulsés au cours de la guerre qui a institué l’État d’Israël.
Pour autant, elle tient à préciser que si « ce gouvernement est le plus brutal », portant « une vision suprémaciste et raciste » assumée, cela « ne veut pas dire que le précédent ne poursuivait pas le même projet d’occupation de la Palestine ». Pour elle, la politique israélienne vis-à-vis de son pays depuis de nombreuses années se résume en quelques mots : « Un régime d’apartheid tout entier tourné vers un but ultime, celui de déplacer les Palestiniens pour les remplacer par le peuple juif. »
Et lorsqu’on l’interroge sur le nombre élevé de morts israéliens et sur la journée de panique vécue dans les localités proches de la bande de Gaza, mais aussi à Tel-Aviv (lire notre reportage au cœur de cette journée de cauchemar pour les Israéliens), l’analyse de Rula Shadeed ne dévie pas. Sa colère non plus.
« Dans toute situation de colonisation et d’oppression, la violence est le résultat de la brutalité de l’oppresseur. Il ne faut jamais faire porter la responsabilité d’une escalade sur le colonisé, qui est confronté à de grandes injustices depuis des décennies », lance-t-elle.
La militante ne se fait guère d’illusions sur la suite. « Bien sûr, nous anticipons une augmentation des victimes, et en particulier à Gaza », dit-elle, rappelant que sur ce petit territoire de 350 kilomètres carrés et de 2,2 millions d’habitants, enserré de très près par l’armée israélienne, « il n’y a pas d’abris », et quela situation humanitaire y est notoirement déplorable : « Les hôpitaux, le système d’eau potable, l’alimentation, les médicaments... Rien ne fonctionne correctement à Gaza. Rien ne permet de faire face à une attaque massive. »
Elle appelle encore « la communauté internationale à regarder ce qu’il se passe le plus attentivement possible », car à ses yeux, « à chaque fois que les Israéliens ont attaqué Gaza, ils l’ont fait dans l’impunité, et sans jamais devoir répondre de leurs actes et de leurs crimes ».
« Nous savons que les États-Unis et l’Union européenne sont les meilleurs alliés du régime colonial d’Israël et cela ne va pas changer maintenant », s’insurge-t-elle. Lorsqu’en Ukraine, « des civils ont pris les armes pour se battre contre l’agression russe, pour se protéger, ils ont été bénis par les États-Unis, encouragés par l’Europe », souligne-t-elle, amère. « Ici, même quand les gens sont brûlés dans leurs propres maisons, ce n’est jamais le bon moment pour soutenir les Palestiniens », lance-t-elle.
Elle fait ici référence à l’incendie de plusieurs maisons par des colons israéliens en Cisjordanie en juin 2023, ou à cet enfant, brûlé vif dans l’incendie de son foyer, en 2015. « Nous n’attendons aucun soutien. Tout ce qu’il reste aux gens, c’est de sortir de chez eux et de se défendre eux-mêmes. »
Quant à la situation politique en Israël, elle ignore à quel point le premier ministre Benyamin Nétannyahou va être fragilisé, et si ce 7 octobre marquera le début de sa chute définitive : « Je ne sais pas comment cela va affecter son image, ni comment la société civile israélienne va réagir. » « Elle va peut-être condamner son premier ministre, considère Rula Shadeed. Ou bien faire bloc jusqu’à la fin de cet épisode. C’est un cycle sans fin : il y aura beaucoup de morts, et Nétanyahou pourra utiliser cette extrême brutalité pour trouver des soutiens. »
Attaque du Hezbollah et réplique de l’armée israélienne, activisme diplomatique ou coups de menton des pays du Moyen-Orient : l’offensive du Hamas contre Israël samedi met toute la région en ébullition. Israël décompte désormais 600 morts, et le Hamas environ 370. Les combats continuent, et l’État hébreu a décidé d’évacuer toute sa population près de la bande de Gaza.
DimancheDimanche 8 octobre en début de soirée, les combats se poursuivaient sur plusieurs points du territoire israélien, après l’attaque meurtrière du Hamas de la veille, et la réponse sous forme de frappes aériennes sur Gaza décidée par le gouvernement dirigé par Benyamin Nétanyahou.
L’armée a déclaré que des combattants palestiniens avaient pénétré dimanche dans le kibboutz Magen, à proximité avec la bande de Gaza au sud du pays. Dans un message audio diffusé sur Telegram, le porte-parole de la branche armée du Hamas a pour sa part assuré que son organisation continuait à envoyer des hommes en Israël.
Un porte-parole de l’armée israélienne a annoncé que des frappes aériennes sur la bande de Gaza avait eu lieu à la mi-journée. Elles se sont poursuivies, et Israël a indiqué avoir visé environ 800 cibles, en tout. Les tirs de roquettes en direction des villes israéliennes situées à proximité de Gaza se poursuivent également.
En moins de 48 heures, le conflit a déjà fait des centaines de victimes civiles côté israélien. Alors que le décompte semblait stabilisé depuis la nuit de samedi aux alentours de 300 morts, il a tout à coup été doublé en début d’après-midi dimanche, selon les médias israéliens, qui donnent désormais le chiffre de 600 morts. Selon les rumeurs circulant dans les médias et sur les réseaux sociaux, les jeunes participant à une rave party dans le désert pourraient constituer une large partie de ces victimes. Par ailleurs, plus de 2 200 blessés ont été comptabilisés.
Le ministère de la santé palestinien annonce quant à lui 370 Palestiniens tués et 2 200 blessés, dont 121 enfants. L’armée israélienne a également publié sur un site internet spécial les identités de 26 soldats, hommes et femmes, tués depuis samedi. Il s’agit de l’escalade la plus meurtrière dans le conflit israélo-palestinien depuis des décennies.
« Plus de 100 prisonniers » sont détenus par le Hamas, a annoncé le gouvernement israélien, dans une infographie publiée par le compte Facebook du bureau de presse du gouvernement et relayée par l’AFP. C’est la première fois que le gouvernement israélien évoque un chiffre sur ce sujet. Un Franco-Israélien de 26 ans pourrait faire partie de ces otages, a annoncé dimanche le député Meyer Habib, élu dans la circonscription des Français de l’étranger comprenant Israël.
Une Française fait partie des victimes. « Nous avons appris avec tristesse le décès tragique d’une compatriote en Israël dans le contexte des attaques terroristes », a fait savoir dimanche le ministère des affaires étrangères français, dans un bref communiqué. L’ambassadeur israélien aux États-Unis, Michael Herzog, a quant à lui déclaré que des citoyens américains se trouvaient parmi les personnes enlevées en Israël par le Hamas. Le ministère allemand des affaires étrangères a lui aussi indiqué que des personnes à la double nationalité israélienne et allemande faisaient partie des personnes enlevées.
Discussions diplomatiques
Les combats se sont aussi exportés au-delà d’Israël. Le Hezbollah, groupe armé chiite libanais soutenu par l’Iran, a revendiqué avoir attaqué trois positions israéliennes à la frontière, « en solidarité avec la résistance et le peuple palestiniens ». L’armée israélienne a immédiatement répliqué en frappant dimanche à l’aide de son artillerie le sud du Liban, ce qui laisse craindre une contagion régionale. Il n’y a pas pour le moment de victimes directes de ces tirs de part et d’autre.
«Le commandement de la résistance islamique au Liban est en contact direct avec le commandement de la résistance palestinienne au pays et à l’étranger et évalue en continu les événements et la conduite des opérations », a déclaré le Hezbollah juste après le déclenchement de l’offensive menée samedi matin par le Hamas palestinien. Cette offensive avait par ailleurs provoqué des scènes de joie dans les immenses camps palestiniens du Liban, mais également à Beyrouth ou dans la Jordanie proche.
L’Iran, soutien de longue date des groupes armés palestiniens, a également très vite fait entendre sa voix, revendiquant même une aide matérielle, financière et logistique à la conduite d’une telle opération. Le maintien en l’état du conflit israélo-palestinien, plus que la destruction d’Israël en elle-même, est l’obsession de la République islamique d’Iran, comme le rappelait récemment cette analyse de René Backmann. Le régime n’a cependant pas officiellement soutenu cette dernière attaque menée par le Hezbollah.
L’Égypte, autre pays frontalier d’Israël, a appelé par la voie de son ministère des affaires étrangères à « exercer un maximum de retenue en évitant d’exposer les civils à plus de danger », tentant de se poser, avec la France, en médiateur. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et Emmanuel Macron, en très bons termes ces dernières années, auraient discuté samedi des conditions d’une désescalade lors d’un entretien téléphonique.
Mais sur place ce dimanche, deux touristes israéliens et leur guide égyptien ont été tués par un policier à Alexandrie, sur la côte égyptienne. Le ministère des affaires étrangères israélien a confirmé l’information de médias locaux. Le policier, qui a été arrêté, a tiré sur le groupe de touristes israéliens avec son arme.
Sameh Choukri, le chef de la diplomatie égyptienne, s’était auparavant entretenu avec le ministre des affaires étrangères des Émirats arabes unis, le cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane, sur « la gravité de la situation actuelle et de la nécessité de tout mettre en œuvre pour éviter que la situation sécuritaire ne devienne incontrôlable ».
Mobilisation des réservistes
L’offensive surprise du Hamas met à mal la normalisation entamée entre les pays du Golfe et Israël ces dernières années, avec une reprise des relations diplomatiques enclenchée l’an passé. Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite se sont contentés, jusque-là, de condamner généralement « les violences » et d’appeler au calme.
La diplomatie marocaine a également demandé dimanche à la réunion d’urgence du Conseil de la Ligue arabe « la concertation et la coordination au sujet de la détérioration de la situation dans la bande de Gaza et du déclenchement d’actions militaires visant les civils, ainsi que [...] la recherche des moyens pour l’arrêt de cette dangereuse escalade ». Cette géographie des alliances et des réactions est documentée en temps réel sur le site Le Grand Continent.
L’armée israélienne a déjà annoncé que les jours à venir seraient terribles : l’état d’urgence a été décrété dans la nuit dans le pays, et l’armée a donné pour mission d’évacuer sous 24 heures tous les habitants des zones israéliennes du pourtour de la bande de Gaza, a déclaré dimanche son porte-parole, faisant état de « combats en cours, pour libérer des otages », entre forces israéliennes et activistes palestiniens infiltrés.
Le ministre israélien de l’énergie, Israël Katz, a annoncé, samedi 7 octobre dans la soirée, avoir signé un décret ordonnant à la compagnie publique d’électricité de « cesser [sa] fourniture d’électricité à Gaza »,plongeant dès samedi soir la cité dans le noir,de même que tout transport de marchandises ou de personnes. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui avait qualifié Gaza de « cité du Mal » dans son allocution samedi, a averti dimanche les Israéliens qu’ils étaient « embarqués dans une guerre longue et difficile ».
Le gouvernement a par ailleurs appelé à la mobilisation de milliers de réservistes, maillon essentiel de l’armée israélienne. Des centaines d’entre eux avaient fait part de leur colère cet été face à la dérive de l’exécutif et menacé de ne pas servir cet été pour protester contre la réforme de la justice menée par Benyamin Nétanyahou. L’union nationale semble avoir pris le dessus.
À l’image de nombreuses autres compagnies aériennes, Air France et Transavia ont annoncé suspendre leurs vols vers Tel-Aviv ces dimanche et lundi.
La rédaction de Mediapart avec l’Agence France-Presse
8 octobre 2023 à 13h56
La rédaction de Mediapart avec l’Agence France-Presse
L’attaque d’une ampleur sans précédent lancée par le mouvement palestinien depuis la bande de Gaza vise à rebattre les cartes du conflit avec Israël.
Une boule de feu et de la fumée s’élèvent après l’explosion d’une tour d’habitation palestinienne à la suite d’une frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza, samedi 7 octobre 2023. ADEL HANA / AP
Cinquante ans quasiment jour pour jour après le déclenchement de la « guerre d’Octobre », appelée « guerre du Kippour » en Israël : la date que le Hamas a choisie pour passer à l’attaque contre l’Etat hébreu n’est pas fortuite. L’assaut d’une ampleur sans précédent lancé par le mouvement palestinien, samedi 7 octobre, contre des cibles à la fois civiles et militaires, ambitionne de rebattre les cartes du conflit israélo-palestinien, de la même façon que l’offensive lancée par le président égyptien Anouar El-Sadate, le 7 octobre 1973, avait bouleversé le rapport de force israélo-arabe.
Dans l’imaginaire des populations du Moyen-Orient, la percée des commandos du Hamas, à travers la clôture fortifiée qui enserre la bande de Gaza, rappelle, toutes proportions gardées, la traversée par les troupes égyptiennes de la ligne Bar-Lev, le rempart édifié par Israël, le long du canal de Suez, après sa conquête du Sinaï en 1967. L’une comme l’autre étaient considérées comme infranchissables et pourtant, l’une comme l’autre, ont fini par être franchies.
La guerre de 1973, qu’Israël a failli perdre, reste un traumatisme dans la psyché israélienne. Elle déclencha une série de réactions en chaîne, de la paix de Camp David à l’invasion israélienne du Liban, qui ont remanié en profondeur le Proche-Orient. Il est évidemment beaucoup trop tôt pour deviner quelles seront les conséquences précises du nouveau conflit qui a éclaté à l’aube de Simhat Torah, une fête du calendrier juif, comme la guerre d’Octobre avait débuté le jour de Kippour. La géopolitique moyen-orientale de 1973 n’a pas grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui.
Mais à l’évidence, l’ampleur de l’attaque menée par le Hamas est sans commune mesure avec les opérations qu’il a menées depuis 2007, date de sa prise de pouvoir à Gaza et de la mise sous blocus de la langue de sable palestinienne. Le Moyen-Orient vit un nouveau séisme politico-sécuritaire.
Revers infligé à l’Etat hébreu
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en milieu d’après midi, moins de douze heures après le début des hostilités, les autorités israéliennes déploraient 70 morts et 900 blessés, victimes des tirs de roquettes et des combattants du Hamas infiltrés. Selon les médias israéliens, des « dizaines » de civils et de militaires auraient été faits prisonniers et conduits dans la bande de Gaza. Le ministère de la santé de l’enclave palestinienne avançait de son côté le chiffre de 198 tués et 1 610 blessés dans les bombardements menés en représailles par l’aviation israélienne. En fin d’après midi, l’armée israélienne a déclaré que des combats se poursuivaient dans vingt-deux endroits différents de la partie sud de l’Etat hébreu. Il ne s’agit plus d’un conflit de basse intensité, la qualification habituellement retenue pour les violences israélo-palestiniennes
Au-delà des bilans humains, sans précédent côté israélien, le revers infligé à Israël est, comme en 1973, d’une brutalité symbolique inouïe. Le Hamas a porté la guerre sur le sol israélien avec une intensité jamais vue depuis la création de l’Etat hébreu en 1948. Par le passé, le mouvement islamiste avait réussi à introduire quelques-uns de ses hommes sur le territoire de son voisin, notamment lors de l’opération qui avait mené à la capture du soldat franco-israélien Gilad Shalit, en 2006. Mais ces incursions ont toujours été très rapides et n’ont impliqué qu’un nombre très limité de combattants. Dans le cas présent, il s’agit d’une véritable opération terrestre, avec de multiples points de pénétration, des dizaines de participants. Un assaut semblable à ceux dont le Hezbollah libanais menace régulièrement Israël dans ses contenus de propagande.
Pour l’establishment politico-sécuritaire israélien, qui est resté paralysé, comme hébété, pendant toute la matinée, c’est une faillite sans précédent récent. Une opération de cette magnitude nécessite à l’évidence des mois de préparation et pourtant, les services de renseignement israéliens n’ont rien vu venir. Pour le premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui se plaisait à se présenter comme le « Monsieur sécurité » d’Israël, la débâcle a une dimension personnelle. Passé le choc initial et l’union sacrée qui devrait prévaloir pendant au moins quelques jours, le chef du Likoud aura des comptes à rendre. Pas sûr qu’il survive politiquement à cette épreuve, à côté de laquelle la crise engendrée par sa réforme de la justice pourrait ressembler à une aimable contrariété.
La nouvelle guerre de Gaza aura une résonance inévitablement régionale. Le coup de force du Hamas percute de plein fouet le processus de normalisation israélo-arabe, entamé à l’été 2020, avec la reconnaissance de l’Etat hébreu par les Emirats arabes unis et le Bahreïn, suivis par le Maroc. Une dynamique relancée ces derniers mois par les tractations saoudo-américaines visant à déboucher sur l’ouverture de relations diplomatiques entre le royaume et l’Etat hébreu. Comme à l’accoutumée, les images des bombardements sur Gaza promettent d’enflammer les opinions arabes et de plonger leurs dirigeants, du moins ceux ayant noué des relations avec Israël, dans une situation très inconfortable. Le message envoyé par le Hamas aux Etats de la région et aux chancelleries occidentales est limpide : il n’y aura pas de stabilité au Proche-Orient sans la Palestine – et sans lui.
Bain de sang
Le mouvement islamiste joue bien sûr très gros dans cette affaire. Le blocus d’Israël et le refus de la communauté internationale de le reconnaître comme un interlocuteur politique l’ont acculé dans le rôle ingrat du gestionnaire de la bande de Gaza, comme le Fatah de Yasser Arafat le fut en son temps. Vraie tactique ou simple diversion, les efforts qu’il a déployés ces derniers mois pour attiser la résistance en Cisjordanie n’ont pas suscité de véritable dynamique. Le Hamas a choisi de sortir de cette impasse en renouant avec son ADN, celui d’un mouvement de lutte armée. Il ambitionne de réécrire l’équation politico-militaire à son profit.
La manœuvre est particulièrement risquée. Les prochaines heures devraient révéler l’étendue du bain de sang causé par les combattants palestiniens dans les localités de la périphérie de Gaza où ils ont pénétré. Ces images promettent de recoller sur le mouvement islamiste le stigmate « terroriste » que lui avaient valu ses campagnes d’attentats suicides, dans les années 1990 et 2000 et dont il n’est jamais parvenu à se débarrasser par la suite. Une guerre de communication a déjà commencé dont il n’est pas certain que le Hamas – et la cause palestinienne – sorte vainqueurs dans l’opinion publique occidentale.
Ironie de l’histoire, lundi 9 octobre, le Hamas était censé déposer une plainte devant la Cour pénale internationale, sous la forme d’un épais volume de 400 pages, détaillant les violations des droits de l’homme commis par Israël à Jérusalem, notamment la colonisation et les transferts forcés de population, délogée par des colons juifs. Une initiative évidemment gelée. « La branche armée du mouvement a décidé que c’était le moment d’agir et on a donc décidé de reporter le dépôt de la plainte », confie Gilles Devers, l’avocat français du Hamas.
La population de Gaza risque par ailleurs de payer très cher les ambitions de l’organisation islamiste. Parmi les dizaines de bâtiments frappés par l’aviation israélienne depuis samedi matin figurent trois tours de plus de dix étages. L’armée israélienne affirme avoir « demandé aux habitants d’évacuer les lieux » avant de procéder aux tirs.
Mais trente ans après les accords d’Oslo, alors que la colonisation juive en Cisjordanie a atteint un point de non-retour et que les extrémistes au pouvoir en Israël ne leur proposent rien d’autre que la soumission, la prison ou la mort, bon nombre de Palestiniens, dans l’enclave, comme en Cisjordanie ou dans la diaspora, se sentent solidaires du Hamas. Sur le plateau de la chaîne qatarie Al-Jazira, alors que le présentateur lui faisait remarquer que l’état de guerre avait été décrété en Israël, un analyste palestinien a eu ces mots : « Cela fait des décennies que la Palestine est en état de guerre. »
Par Benjamin Barthe
Publié aujourd’hui à 19h48, modifié à 20h05https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/l-attaque-du-hamas-contre-israel-un-seisme-politico-securitaire_6193023_3210.html.
Dans les médias et sur les réseaux sociaux, les Israéliens ont suivi en temps réel l’attaque du Hamas sur leur territoire, attendant pendant de longues heures une réaction officielle.
Tel-Aviv.– Une maman chuchote au téléphone, elle supplie le journaliste en plateau : « Envoyez-nous l’armée, on vous en prie, les terroristes du Hamas sont derrière la porte, ils vont tuer mes enfants. » Danny Kushmaro, présentateur star du 20 heures de la chaîne Keshet 12, la plus regardée du pays, n’est de coutume jamais en plateau un samedi, encore moins un samedi matin de fête juive de Sim’hat Torah (célébrant la fin du cycle annuel de lecture de la Torah, récitée partie par partie chaque semaine à la synagogue). Sa présence est de très mauvais augure.
« Pouvez-vous parler plus fort, je vous entends à peine », répond-il désemparé à cette habitante d’une localité au sud du pays. Une autre ensuite, d’une localité voisine : « Mon père, ils ont enlevé mon père dans sa maison! Nous sommes barricadés. Où est l’armée? Pourquoi personne ne vient nous aider? » Elle pleure, la voix étouffée par la peur.
Ce samedi 7 octobre, jour d’une attaque sans précédent du Hamas sur leur territoire, les chaînes de télévision et les stations de radio ont interrompu leurs programmes du week-end, pour passer à l’info en continu. Mais l’information se fait attendre. Les heures passent et ni l’armée, ni le gouvernement ne communiquent. Les studios télé se font standards téléphoniques, relais entre les civils désemparés et l’armée, absente. « Nous promettons de faire passer le message », dit le présentateur. Scène hallucinante.
Il était 7 h 30 quand les habitants de Tel-Aviv et du centre d’Israël ont été réveillés par une alerte aux roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Il a fallu courir le plus vite possible avec les enfants, en pyjama, à l’abri le plus proche – une pièce sécurisée dans la maison ou l’immeuble pour ceux qui en disposent. Ou au moins trouver refuge dans la cage d’escalier de l’immeuble, loin des fenêtres.
Et puis une détonation, qui semble trop proche cette fois. Tout Israélien est expert en analyse du son de roquettes : « Celle-là est tombée en mer », « Tiens, celle-ci a été interceptée », « C’est au moins à 30 km »… Cette fois, le son est différent, court, il claque. Il y a impact : la roquette a percuté un immeuble en plein centre de Tel-Aviv. Pas de blessés, uniquement quelques dégâts matériels.
En sortant de l’abri, c’est la stupeur : voilà presque deux heures que tout le sud du pays est soumis à une pluie de roquettes. Plus de 2 000 ont été tirées depuis la bande de Gaza, selon le décompte de l’armée. Et cette dangereuse salve se révèle être une tactique de diversion : pendant que le pays court se mettre aux abris, le Hamas s’y infiltre.
Des terroristes armés et déterminés à tuer sont désormais en Israël. Dans les localistés proches de la bande de Gaza, ils passent de maison en maison, sonnent aux interphones, tirent sur des voitures, des passants, des familles. Dans la population, c’est l’incompréhension. Un cauchemar.
« Nous sommes en guerre »
Comment est-ce possible? Comment le Hamas, ce mouvement islamiste au pouvoir à Gaza, a-t-il pu introduire des dizaines d’hommes loin sur le territoire ? Combien d’ailleurs, personne ne le sait. Et pendant de longues heures, aucune autorité officielle n’en parlera. Silence radio.
Il aura fallu attendre un peu après 11 h 30 pour que le premier ministre Benyamin Nétanyahou, devancé par son ministre de la défense, ne publie une vidéo enregistrée sur ses réseaux sociaux.
« Nous sommes en guerre. Ce n’est pas une opération militaire, c’est la guerre », déclare-t-il.« J’ai donné l’ordre de tout d’abord nettoyer les localités des terroristes qui s’y sont introduits et cette action est en cours ces heures-ci. En parallèle, j’ai donné l’ordre de procéder à une vaste mobilisation de réservistes et de riposter avec une force et envergure que l’ennemi ne connaît pas. L’ennemi va payer un prix sans précédent… Nous sommes en guerre et nous allons la gagner. »
Les localités assiégées par le Hamas, dont Nétanyahou a parlé à 11 h 30, l’étaient encore à la tombée de la nuit. Plus de dix heures de combat sans que Tsahal, l’armée israélienne, ne parvienne à reprendre le contrôle. Des dizaines de civils sont coincés. Et s’ils sont pris entre les coups de feu, c’est bon signe : cela signifie que l’armée est sur place.
Des dizaines d’Israéliens sont morts. Au moins 100 selon le décompte des services de secours, mais dont beaucoup doutent, et plus de 1 000 blessés. Et puis cet aveu officiel un peu avant 18 heures, secret connu de tous depuis des heures : des Israéliens et Israéliennes ont été pris en otage. Ils sont désormais détenus dans la bande de Gaza.
Vidéos d’otages
Les comptes du Hamas et autres factions palestiniennes diffusent toute la journée un déluge de vidéos sur les réseaux sociaux. X (ex-Twitter), Instagram, TikTok, l’info est là. Pas authentifiée officiellement, mais facilement recoupable : on y voit des jeunes, sortis d’une rave-party écourtée par les roquettes, fauchés par le Hamas alors qu’ils cherchaient un abri à proximité.
Certains de leurs camarades survivants sont jetés à terre, les mains attachées derrière le dos. Le visage de l’un est marqué de sang, le tee-shirt de l’autre est déchiré. Tous ont la peur dans les yeux. Quelques minutes plus tard, la photo de l’un apparaît sur un post Facebook. Il y est souriant, léger, différent de cet homme devenu victime. Un membre de sa famille le cherche, demande de l’aide : quelqu’un l’a peut-être vu à la fête, pourrait donner de ses nouvelles ? La vidéo de son enlèvement lui arrivera bien vite.
Une vieille dame est vue sur la banquette arrière d’une voiture conduite par des membres du Hamas, retournés dans la bande de Gaza avec elle. Sur les réseaux sociaux, circule l’image d’une mère enlevée avec ses bébés, enlacés dans ses bras sous une couverture.
« Ils manquent des soldats, s’il vous plaît, que quelqu’un dise à la télé qu’il faut envoyer des renforts. » Les messages continuent d’affluer sur des groupes WhatsApp de toutes sortes. Un journaliste du quotidien israélien Haaretz n’a plus de nouvelles de son fils depuis que celui-ci lui a dit être en planque, encerclé par des hommes armés du Hamas.
Il essaie de trouver une arme, demande à l’armée l’autorisation d’approcher les lieux, elle lui est refusée. Il tient le public en haleine sur X, y publie le dernier message échangé avec son fils. Il finit par appeler Yaïr Golan, ancien député du parti de gauche Meretz, ancien général dans l’armée et fervent opposant au gouvernement Nétanyahou et aux changements prévus pour entamer les pouvoirs du système judiciaire. « Il m’a demandé où il se trouvait et a dit : “Je vais te le chercher.” Ils sont déjà en voiture, sur le chemin du retour. » Soulagement pour ses followers sur les réseaux.
D’autres regardent en boucle les corps, parfois de leurs proches, gisant sur la chaussée. Ou ne savent à qui parler de leur oncle, père, cousine, enlevé·e vers un autre monde, celui du Hamas à Gaza.
Quid du renseignement ?
Aux lèvres de tous, la comparaison avec la guerre de Kippour, quand le jour du Grand Pardon de 1973, Israël a été surpris, sonné, par l’attaque coordonnée des armées égyptienne et syrienne.
Il est tôt pour l’analyse. Mais pas trop tôt pour poser les inévitables questions : comment l’armée israélienne a-t-elle pu être prise à ce point au dépourvu? Selon le journaliste Ben Caspit, une partie de la réponse résiderait dans le fait que la « division de Gaza », postée généralement à la frontière, avait été envoyée en Cisjordanie.
Son objectif : protéger les colons qui avaient hier initié une énième provocation dans le village palestinien de Hawara, en y montant une Soucca (cabane de la fête de Souccot, qui s’est achevée le 6 octobre, historiquement célébrée à l’occasion des récoltes). Quelques heures plus tôt, un palestinien avait tiré sur une Israélienne enceinte dans sa voiture. L’armée au service des colons, une priorité du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël.
Explication insuffisante cependant. Une opération de la sorte, avec infiltration simultanée du Hamas par voie terrestre, aérienne et maritime, demande forcément une préparation minutieuse et longue. Quid donc du travail des unités de renseignement?
Samedi soir, nombre d’Israéliens sont étaient encore en état de siège. Les autres, loin des localités du sud, restent chez eux, portes verrouillées, prêts à courir se mettre à l’abri en cas d’alerte à la roquette, comme celles qui ont à nouveau retenti à Tel-Aviv à la mi-journée, puis en début de soirée.
Les rues sont désertes, les écoles du pays resteront fermées ce dimanche, journée qui devait marquer la rentrée scolaire après deux semaines de vacances. Des hélicoptères et des avions de guerre grondent de temps en temps dans le ciel. Ils sont certainement en route pour Gaza, où l’armée israélienne a entamé sa riposte avant la fin de la tenue du conseil de sécurité en début d’après-midi. On y fait déjà état de près de 200 morts.
La guerre sera longue. Elle sera politique aussi. Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, s’est déclaré prêt à former un gouvernement « professionnel d’urgence » avec le premier ministre Nétanyahou. Ce à quoi l’entourage du premier ministre a déjà répondu par la négative, assurant avoir la tête au combat, pas à la politique.
Le mouvement qui manifeste depuis 40 semaines contre le gouvernement et ses ambitions populistes a annulé samedi soir ses rassemblements dans le pays. L’humeur est à l’appel à l’unité, à la détermination. Mais aussi au deuil, à l’angoisse, et à l’anticipation du choc des morts que l’on enterrera bientôt des deux côtés.
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