Le souvenir Français de Masevaux a réalisé une compilation de souvenirs de 26 anciens combattants, « Nos vies en Algérie, 54-62… », afin de rappeler les tragédies de ce conflit et d’y sensibiliser la nouvelle génération. L’Ami hebdo est l’un des soutiens de cet ouvrage.
«
Il y a eu 170 morts de 8h à 17h. J’étais mitrailleur de half-track, et j’ai été un moment remplacé par un légionnaire. Quand je suis revenu, il avait reçu une balle dans la tête », raconte avec gravité l’un des «anciens » présents à l’école maternelle de Sentheim pour la présentation du livre mémoire du Souvenir Français de Masevaux. «Mon Lieutenant, c’était un De Dietrich. C’était un Monsieur. Un jour, il a acheté un fennec, prétendument jeune, mais qui avait plein de poils gris. Je lui ai alors dit qu’il s’était fait avoir, et lui refusait de l’admettre. Alors un jour, j’ai fait passer l’animal à travers un tuyau de poêle, comme ça on était tous d’accord : le fennec n’avait plus un seul poil gris », ajoute un second en rigolant. Dans la salle, une trentaine de « biffins » (fantassins), de « tringlots » (logistique), de « graisseux » (matériel), « d’artoches » (artilleurs), de « basanes » (cavaliers), de « cuistots», accompagnés de leurs familles.
Les uns ont combattu ensemble ou se sont croisés au gré de la vie quotidienne dans les bases, les autres ont appris à se connaître au travers des histoires versées dans cet intéressant recueil. A Claude Iltis, fantassin au 15-3, répondaient ainsi Auguste Jenn, transmetteur, et André Reitzer, du matériel. A François Zimmermann, des troupes du génie, faisait face Constant Lehmann, cavalier blindé. A côté d’André Schwob, artilleur, était assis Bernard Behra, ancien responsable de l’ordinaire. «L’Alsaco des cuisines.» Tous ont des histoires, tantôt drôles, tantôt tragiques, mais toutes sont représentatives d’une période de l’Histoire. « Il nous a semblé important de rassembler tous ces souvenirs, ces tranches de vie, afin de les transmettre à la prochaine génération. Je rappelle d’ailleurs que le général Zeller, l’un des putschistes, avait des attaches dans la vallée de Masevaux », lance en préambule Antoine Ehret, président du comité local du Souvenir Français. Rappelant à la fois l’épineuse question de la fin officielle du conflit et du cessez-le-feu, que les terroristes du FLN n’avaient pas respecté, le président évoque aussi l’enjeu mémoriel que constitue ce conflit qui n’a jamais vraiment été soldé. «Le gouvernement de l’Algérie entretient une guerre imaginaire », ajoute le président, précisant que cela empêche selon lui une véritable réconciliation, au contraire du lien franco-allemand qui a réussi à surmonter les épreuves de la guerre et les rancunes. C’est ce qui rend ce livre aussi indispensable. Alors que la part de jeunes issus de l’immigration, notamment nord-africaine, ne cesse de croître au sein de la société française, ce livre constitue donc une autopsie d’un drame et un plaidoyer pour l’avenir, une invitation à aller de l’avant. Dans l’assistance, Jean Lindecker représente par exemple son frère, jeune soldat qui avait été assassiné en Algérie après le cessez-le-feu. Il aspire pourtant aujourd’hui à la paix.
En parallèle, les professeurs et élèves du lycée Vogt de Masevaux et les étudiants du lycée Gutenberg de Illkirch-Graffenstaden ont réalisé, pour les uns des vidéos, pour les autres la maquette de l’ouvrage proprement dit. Une démarche empreinte de transmission intergénérationnelle qui a particulièrement marqué les participants. « N’hésitez pas, si vous avez des enfants ou des petits enfants qui savent se servir de Word, à leur dicter vos souvenirs ou à leur demander de vous aider à les écrire. Ça va être de beaux moments. Le Souvenir Français pourra peut-être à l’avenir faire un autre livre ! », conclut Antoine Ehret, avec probablement un soupçon d’idée derrière la tête.
e 5 septembre 1960 s’ouvre, devant un tribunal militaire, le procès du « réseau Jeanson ». Ses militants français sont accusés, selon une formule qui deviendra célèbre, d’avoir « porté les valises » du FLN. Le même jour est publié un appel de 121 intellectuels sur le « droit à l’insoumission ». Retour sur ces hommes et femmes qui eurent le courage de dire non.
tonnant numéro que celui du Monde du 5 septembre 1960 (daté du 6). Le quotidien consacre sa « une » à la conférence de presse que tient, ce lundi, le général de Gaulle pour dénier aux Nations unies le droit « d’intervenir dans une affaire qui est de la seule compétence de la France ». Le président de la République lance : « L’Algérie algérienne est en marche. » Mais il ajoute : « Qui peut croire que la France (...) en viendrait à traiter avec les seuls insurgés (...) de l’avenir de l’Algérie ? Ce serait admettre que le droit de la mitraillette l’emporte sur celui du suffrage. » Dans le même numéro, en dernière page, un court article annonce : « Le procès des membres du “réseau Jeanson” est appelé devant le tribunal militaire. »
Sur les bancs des accusés figurent vingt-trois personnes — dix-sept « Métropolitains » et six « Musulmans » —, mais pas Francis Jeanson, en fuite. On les accuse de rédaction et diffusion du bulletin Vérité pour..., de transport de fonds et de matériel de propagande du Front de libération nationale (FLN), de location d’appartements pour des militants algériens recherchés : assez pour justifier l’inculpation d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ». Suit une brève de huit lignes : « Cent vingt et un écrivains, universitaires et artistes ont signé une déclaration sur “le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie”. “Nous respectons et jugeons justifié, concluent-ils, le refus de prendre les armes contre le peuple algérien”. » Ainsi commençait l’affaire du Manifeste des 121 (lire « Le droit à l’insoumission »).
A l’époque, cela fait près de six ans que la France « maintient l’ordre » dans ses « trois départements » d’Algérie — c’est-à-dire torture et massacre à grande échelle. Président depuis un an, de Gaulle prône désormais l’autodétermination, mais il ne se résout pas — pas encore — à négocier avec la « rébellion ». Ainsi l’espoir soulevé par l’annonce de tractations directes, le 25 juin 1960 à Melun, s’est-il évanoui en quatre jours. Sirius — Hubert Beuve Méry, fondateur et directeur du Monde, signe ainsi ses éditoriaux — estime, le 7 septembre, « désolant » que le FLN « n’ait pas vu le meilleur et le plus sûr chemin (...) vers une évolution pacifique », mais « non moins désolant que les représentants de la France aient eu pour consigne de donner au “cessez-le-feu” l’aspect d’une reddition préalable à toute discussion de caractère politique ».
Bref, c’est l’impasse. En cette année où la France se résigne à la souveraineté d’une quinzaine de ses ex-colonies africaines, elle refuse obstinément celle de l’Algérie. Dans l’opinion, le désarroi domine : l’illusion de l’Algérie française se dissipe, l’aspiration à la paix grandit ; cependant seule une minorité accepte l’indépendance. Là réside sans doute la motivation première des 121 comme, avant eux, des militants des réseaux : la crainte que la guerre, qu’on espérait bientôt terminée, déroule à nouveau, pour longtemps, son cortège d’horreurs.
Que faire ? La gauche « classique », balayée par le raz-de-marée gaulliste de 1958, étale son impotence. Hostile à la négociation avec le FLN, le Parti socialiste (SFIO) ne saurait faire oublier la responsabilité écrasante qu’il porte dans cette guerre, depuis la trahison par Guy Mollet des engagements du Front républicain, pourtant largement victorieux en janvier 1956. Quant au Parti communiste (PCF), il s’en tient aux réunions et défilés traditionnels pour « la paix en Algérie ». D’ailleurs, L’Humanité exprime sa solidarité avec les 121... tout en s’en dissociant : « Les communistes ont de la lutte pour la paix une conception différente. » Et de citer le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, invoquant Lénine : « Le soldat communiste part à toute guerre, même à une guerre réactionnaire, pour y poursuivre la lutte contre la guerre. » Même le jeune Parti socialiste unifié (PSU), dans une déclaration de sympathie, souligne que les signataires « posent le problème entre la gauche française et le nationalisme algérien dans des termes qui ne sont pas ceux du PSU ».
« Nous n’aurions pas eu à descendre dans l’arène politique, déclarera l’écrivain Maurice Nadeau, signataire du Manifeste, si les partis de gauche (...) ne faisaient pas preuve d’une impuissance et d’une timidité doctrinale incompréhensibles (1). » Ceux qui veulent manifester concrètement leur solidarité avec les Algériens cherchent donc ailleurs. Dès 1958, la diffusion des livres La Gangrène et La Question — publiés par les Editions de Minuit, mais aussitôt interdits parce qu’ils témoignent de la généralisation de la torture — mobilise des centaines de militants. D’autres fondent le Comité Maurice Audin (2), pour qu’éclate la vérité sur la « disparition » de cet étudiant enlevé par les parachutistes. En juin 1960, des personnalités de toutes opinions — y compris gaullistes — se retrouvent dans le Comité Djamila Boupacha, cette combattante du FLN emprisonnée dont l’avocate Gisèle Halimi tente de sauver la tête.
« Au début de la guerre, déclarera Hélène Cuénat, une des principales accusées du procès Jeanson, j’ai commencé par participer à des actions légales. (...) Puis il est devenu évident que cela n’aboutissait pas. La guerre continuait. Il m’a semblé qu’il n’y avait plus qu’un seul moyen : se ranger aux côtés d’un peuple qui luttait contre le colonialisme (3). » Comme elle, plusieurs centaines de militants basculent dans la clandestinité — les premiers dès 1957. Les réseaux, notamment celui dirigé par Francis Jeanson puis par Henri Curiel (4), prennent en main l’aide aux militants du FLN. Trotskistes, communistes en rupture de ban, prêtres ouvriers, anticolonialistes pour qui le chemin de la révolution passe par Alger, républicains inquiets de la « fascisation » du régime ou démocrates révulsés par la torture, nul ou presque ne les connaissait — du moins jusqu’en septembre 1960.
Dans l’introduction au livre — déjà cité — qu’il publie sur le Manifeste des 121, François Maspero écrit : « Son rôle dans l’immédiat ne fut que celui de la goutte d’eau — et elle ne fit même pas déborder le vase. Tout dans la France de 1960 appelait à ce qu’une telle position fût prise. Il fallait seulement en avoir le courage, et en tout état de cause, l’événement historique c’est que ce courage-là se soit enfin trouvé. » Avec le recul, il apparaît clairement que la coïncidence — calculée — du 5 septembre 1960 a bel et bien déclenché une lame de fond.
Malgré l’extrême confusion des débats, le procès braque les feux de l’actualité sur l’engagement de ceux qu’on appellera les « porteurs de valise ». Simultanément, le Manifeste révèle à l’opinion l’existence de jeunes soldats — plus de trois mille — qui refusent d’aller « pacifier » l’Algérie, voire désertent. Autant les noms des militants des réseaux sont inconnus, autant ceux des signataires du Manifeste — et des « témoins de moralité » qui défilent au tribunal — attirent l’attention du grand public. « Jean-Paul Sartre, Simone Signoret et cent autres risquent cinq ans de prison », titre Paris-Presse le 8 septembre...
Rien ne sera plus comme avant
De fait, le pouvoir répond par une répression dont la disproportion et la brutalité choquent. Chaque jour apporte sa liste d’interrogatoires, d’inculpations, d’arrestations et de saisies de journaux. En septembre, le conseil des ministres accroît les peines en cas d’appel à l’insoumission, à la désertion et à la désobéissance, décide de suspendre les fonctionnaires impliqués et interdit même les 121 de radio-télévision, mais aussi de cinéma et de théâtre (subventionnés). Le 12 octobre, la plupart des professeurs pétitionnaires se voient notifier leur suspension. Le 25, la police arrête six animateurs du réseau Curiel, dont son chef. Entre-temps, le 1er octobre, dans cette même salle de l’ancienne prison du Cherche-Midi qui vit la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus, quatorze inculpés du réseau ont écopé de dix ans de prison (la peine maximale), et trois autres de huit mois à cinq ans.
Si le pouvoir espérait ainsi réduire au silence les partisans de l’indépendance de l’Algérie, il s’est lourdement trompé. En dépit des campagnes haineuses des ultras et de leur presse, la multiplication des atteintes aux libertés publiques ébranle nombre de citoyens longtemps acquis — ou résignés — à la guerre. L’Eglise, en particulier, bouge : « Les jeunes qui se refusent à des actions déshonorantes ont pour eux la morale, le droit et la loi », écrit, le 13 octobre 1960, le rédacteur en chef de La Croix, le R.P. Wenger.
Rien, après le procès Jeanson et le Manifeste, ne sera plus comme avant. A commencer par le rassemblement organisé par l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) le 27 octobre 1960. Non seulement il réunit, chiffre record à l’époque, vingt mille participants, mais l’ensemble des partis de gauche et des syndicats doivent, un peu à contrecœur, s’y rallier. Cette convergence annonce les grandes mobilisations contre l’Organisation armée secrète (OAS) de la fin 1961-début 1962 et surtout l’affaire de Charonne, qui précipiteront les accords d’Evian et, finalement, la paix.
« Le procès Jeanson — estime La Guerre d’Algérie, ouvrage coordonné par le communiste Henri Alleg (5) — catalyse donc les réactions de certaines couches de la population. Il révèle aussi, peut-être surtout, la lente mais constante progression de leur opposition à l’aventure coloniale et aux méthodes barbares qui l’accompagnent. (...) [Ce mouvement] déjà largement développé dans de vastes secteurs de l’opinion publique, marque chaque jour plus fortement, en dépit de la propagande officielle et des savantes ambiguïtés des discours gaullistes, une impatience grandissante devant la guerre qui se prolonge. »
L’histoire serait-elle injuste ? Pour nombre de spécialistes de la Ve République, de Gaulle, revenu au pouvoir en s’appuyant sur l’armée et les ultras, donc censé maintenir l’Algérie dans le giron de la France, se serait en fait secrètement convaincu de l’inéluctabilité de l’indépendance. Et sa politique — zigzags compris — n’aurait eu d’autre but que d’en convaincre progressivement les Français. Vain, le sacrifice des maquisards et des militants du FLN ? Inutile, l’engagement des Français qui permirent à l’opinion de peser de plus en plus massivement en faveur de la paix ? Certainement pas. Si le général caressait, pour son pays, des projets qui passaient par la fin de cette guerre, il a d’évidence imaginé d’autres formules que l’indépendance pure et simple de l’Algérie. Leur liberté, les Algériens la doivent donc d’abord à leur propre combat, et, pour une part, à l’aide de leurs amis français.
Ces « Amis de l’Algérie », quarante ans plus tard, le président Abdelaziz Bouteflika en a rencontré quelques-uns lors de sa visite d’Etat en France, en juin 2000. Il leur a raconté ses retrouvailles, en 1966, avec Francis Jeanson. Au discours de remerciements de son interlocuteur, le chef du réseau avait répondu : « Mais qu’est-ce que tu connais, toi, de la France, sinon Bugeaud et Bigeard ? Tu t’adresses à moi comme si j’étais un traître à mon pays. A partir d’aujourd’hui, je voudrais que tu retiennes que mes
camarades et moi n’avons fait que notre devoir, car nous sommes l’autre face de la France. Nous sommes
l’honneur de la France. »
Dominique Vidal
Journaliste et historien, dirige avec Bertrand Badie la publication annuelle L’État du monde, La Découverte, Paris.
C’est en lisant ses mémoires* que j’ai enfin compris pourquoi Yacef Saâdi ne fait pas l’unanimité. Non pas sur son rôle dans la Révolution, rien à dire, c’était un grand combattant, u authentique résistant, qui serait devenu un mythe s’il était mort.
Mais pour son bonheur, il est encore l’un des rares survivants qui écrit, ou plutôt il se fait écrire, des mémoires, où il se donne maladroitement la part du lion en attaquant certaines figures légendaires telle celle de Abane Ramdane qui a refusé de le recevoir et à qui il conseille de se ressaisir, ou bien en traitant les éminents membres du CCE (Comité de coordination et d’exécution) qui ont quitté la capitale pour l’étranger à la fin de la Bataille d’Alger, de lâches ! Oui, vous avez bien lu : lâches !
Il ne conçoit de bravoures que chez les combattants de l’intérieur. Il n’a pas sa langue dans sa poche l’ex-chef de la ZAA. Tout aussi désolant : il minimise à l’excès le rôle des poseuses de bombes. C’est à peine s’il cite leurs noms alors qu’il les a toutes connues, partagé avec elles le sel de la Révolution et ses risques. Dommage. On aurait aimé connaitre le timbre de la voix de Hassiba Ben Bouali, les rêves de Hassiba, le cœur de Hassiba… Heureusement que Zohra Drif a pallié ce manque dans ses mémoires.
Plus étonnant encore, Yacef Saâdi est d’une cruauté terrible avec Samia Lakhdari l’héroïque poseuse de bombe de la Cafétéria, qu’il traite de lâcheuse pour avoir quitté le groupe pour se marier et partir à l’étranger avec son mari, dont il dit avec une pointe d’acrimonie, qu’il est devenu ambassadeur à l’indépendance alors qu’il refusait que sa fiancée s’adonne à ce jeu dangereux qu’est la guerre ! C’est à peine s’il ne qualifie pas, mari et femme, de traitres, mais c’est tout comme.
Si le rôle des femmes est minimisé – et Daniele Djamila Amrane Minne n’a pas manqué, elle aussi, de pointer ce travers dans son livre « Les femmes algériennes et la guerre » – en revanche sur les hommes il est prolixe : Ben M’Hidi, Ali La Pointe, Petit Omar, et même le traitre Guendriche Hacène a eu droit à sa part de mots. Machiste Yacef Saâdi ? On ne sait pas, ce qui parait certain, en revanche, c’est qu’en tant qu’ex-patron, il veut avoir tout l’espace, tous les honneurs, ne concédant qu’aux morts une part de gloire et d’héroïsme.
Aux rescapées femmes la part de l’ombre, celles de comparses. Ce n’est pas comme ça qu’on écrit l’Histoire, mais c’est comme ça, sans aucun doute, que chacun écrit son histoire avec sa part de subjectivité qui est la somme de toutes les frustrations, de toutes les déceptions et de toutes les passions. Ceci dit, tout cela ne doit en rien diminuer de la qualité et de la bravoure de Yacef Saâdi le combattant, l’intrépide chef de la ZAA. À notre sens, le lecteur doit juger un combattant non sur ce qu’il dit – souvent la rhétorique n’est pas l’art des combattants – mais sur ce qu’il a fait. On peut être méchant et égoïste ici, grand et brave là.
Abane Ramdane refuse de recevoir Yacef Saâdi
Mémoires incontournables pour celui qui veut connaitre de l’intérieur la Bataille d’Alger et ses hommes, ils auraient gagné en épaisseur et en lisibilité si l’auteur ne s’était pas fourvoyé dans l’analyse de la politique française. Là où une page aurait suffi pour la compréhension du contexte, nous avons droit à des chapitres entiers. Quant au style emphatique et même ampoulé ce n’est vraiment pas celui qui sied à un combattant dont on attendrait une narration simple, claire et directe. Peut-être que celui qui a tenu la plume a cru bien faire en donnant un vernis précieux au livre, en tous les cas, il n’a pas rendu service à Yacef Saâdi dont les collaborateurs, Zohra Drif en tête, ont loué la chaleur, le dynamisme et la sympathie. Tout ce que ne dégagent pas ces mémoires qui dessinent, en creux, le portrait d’un homme infaillible, égocentrique, une sorte de Rambo devant lequel doivent plier même les chefs militaires de l’insurrection.
Ainsi, dès le départ il prend la mouche à cause du fait que Abane ne veut pas le voir. « Il (H’didouche) ne comprenait pas pourquoi Abane Ramdane avait résisté au désir de me rencontrer. De même que je fus à mon tour ulcéré par une attitude aussi vite tranchée. Le colérique Abane avait ses petites manies. Le plus saillant trait de son caractère était la méfiance. Son comportement risquait de décourager plus d’une recrue à rejoindre nos rangs ».
On a bien aimé : « Abane avait résiste au désir de me rencontrer… » Yacef se croyait-il irrésistible ? Terrible l’égo d’un homme, tout juste sorti de prison, qui s’est jeté dans la Révolution en espérant qu’aucun chef ne le rejette. Mais voilà qu’Abane ne juge pas utile de le rencontrer pour étudier ensemble l’organisation du secteur militaire du Grand-Alger. Cette blessure d’amour propre polluera son jugement sur Abane tout au long de ces mémoires. En revanche, Krim Belkacem qui acceptera de le voir aura droit à un jugement bienveillant.
Ayant une haute idée de lui-même, Yacef n’était pas, il est vrai, un jeune blanc-bec. À son actif il avait déjà une belle carte de visite dans le militantisme. En effet, dès les années quarante, il était déjà militant du PPA-MTLD, avant d’être versé dans l’OS (l’Organisation secrète). Promu instructeur militaire, il enseigna le BABA de l’art militaire en s’inspirant, comme il dit, du « manuel du gradé ». Fils de la Casbah où son père possédait une boulangerie, il connaissait la vieille cité mieux que sa poche. Il le dit sans fausse modestie : « Mon premier acte en milieu clandestin fut de mettre à profit ma profonde connaissance de la Casbah pour recenser les possibilités que la vieille ville pouvait offrir en matière de cachettes, de boite à lettres, de liaison et autres relais de communication ».
Dans un deuxième temps, il décida de se pencher sur le milieu de la pègre dont la détestation du colonisateur était manifeste : « Chacun brulait du feu sacré de la flamme du patriotisme même si, aux yeux de la population, ils passaient pour de vulgaires malfaiteurs ». Et c’est dans cette faune qu’il fit la connaissance d’un dur : Ahmed Chaib dit le « Corbeau » dont le magnétisme l’a conquis. Et c’est grâce au précieux « Corbeau » enrôlé dans les rangs de la guérilla qu’il fit une connaissance déterminante : celle de Ali Ammar surnommé le maçon à cause de ce métier qu’il a exercé quelque temps. Cet homme a un surnom qui fait désormais partie de nos mythes : « Ali La Pointe ».
Prenons un extrait du long portrait que lui consacre l’auteur, celui de leur premier contact : « Il était, en effet, comme on me l’avait décrit : liant et débordant de fraternité. Sa calme démarche trahissait une absence certaine d’hésitation. Le soir même je lui désignai un mouchard, boulevard Victoire, qu’il abattit sans hésiter. À partir de ce moment son ascension dans l’ALN sera fulgurante. Mais il ne fut pas le seul à s’engager dans le combat. D’anciens membres de l’OS, quelques messalistes fraichement reconvertis et des hommes, dits des bas-fonds, au cœur pur, formèrent les premiers groupes armés ».
Comme le milieu était infesté de traitres à la solde du colonisateur et du MNA (Mouvement national algérien) de Messali Hadj qui cherchait à noyauter le milieu pour l’opposer au FLN, décision fut prise d’éliminer tout opposant et tout élément subversif. C’est avec la rencontre de Salah Bouhara qui a pu mettre sur pied une équipe de militants dans les quartiers de Hussein dey, Belcourt et Ruisseau, que Yacef, heureux de cet apport, esquissa pour la première fois ce qui devait être l’organigramme de l’organisation militaire.
À cette époque (1956), il ne disposait en tout et pour tout que de deux mitraillettes en bon état et de quelques pistolets dont certains étaient rouillés. Écoutons Saâdi : « Sur un organigramme dessiné sur une feuille de papier je lui (Bouhara) indiquais que le chef de section ne devrait pas éprouver de difficulté majeure à communiquer ses instructions aux militants de base. J’attirais son attention sur le fait qu’une section de combat aurait la forme d’une pyramide composée d’une série de triangles superposés. À la tête de chacune de ces figures géométriques il y aurait un responsable militaire et trois adjoints, ces derniers ne se connaissant pas entre eux. Chaque adjoint recrutera, sur la base de l’aptitude, un homme qui, à son tour, choisira deux autres fidaïs pour former deux autres groupes. Et ainsi de suite. L’opération étant appelée à se répéter jusqu’à la constitution complète d’une section, autrement dit, trente hommes répartis, trois par trois, en deux groupes, quatre cellules ou huit demi-cellules ».
Saâdi précisera que le cloisonnement était tel que les combattants qui étaient parfois de vieux amis ignoraient mutuellement leur appartenance aux groupes armés. Et c’est grâce à cette organisation que même la terrible torture de la« gégène » ne pouvait tirer que le minimum des prisonniers qui y étaient soumis. Seul Yacef Saâdi était maitre de l’organigramme et des horloges, car c’était lui qui décidait, à de rares exceptions, des cibles visées.
Taleb Abderrahmane, le père des bombes
Les exécutions par armes blanches, mitraillettes ou pistolets n’ayant pas un très grand impact sur la population européenne dès lors qu’elles ne visaient que des cibles précises et limitées, le chef de la ZAA et son équipe décidèrent de passer à une autre étape autrement plus impactant : les bombes. En fait, sans faire de l’esprit on peut dire que Saâdi n’a pas inventé la poudre, il ne fait que « copier » le colonisateur : « L’idée de bombes nous vient de l’adversaire. (…) Depuis le mois de mars ils en sont à plus de trente charges explosives. La dernière en date, rue de Thèbes, a fait plus de soixante-dix morts sans compter les blessés ».
Mais comment fabriquer des bombes sans artificier ? Voilà que H’didouche, décidément très précieux, lui présente une autre personne appelée à figurer dans notre panthéon : Taleb Abderrahmane, un étudiant en chimie, surdoué, mais bloqué dans ses études à cause de sa condition de colonisé : « Au cours de l’entretien je l’assurai de mon appui à condition qu’il réalise un travail qui aurait des résonances identiques sinon supérieures à celles du camp d’en face. (…) La bombe naquit le 22 août 1956. Le 28 septembre Taleb achevait la mise au point de trois bombes de trois kilos chacune. Il ne nous restait plus qu’à mettre « le feu aux poudres » ».
Ne restait plus qu’à trouver les poseuses qui devaient avoir un profil de type européen sinon un look moderne susceptible de leur permettre de passer inaperçues. Voici le premier contact de Saâdi avec trois jeunes filles volontaires sélectionnées par l’équipe de H’didouche. « Samia Lakhdari semblait la plus âgée. Elle confia qu’elle était sur le point de finir ses études de droit, assurément pour ne pas faillir à la tradition familiale. Zohra Drif paraissait plus jeune qu’elle. Elle aussi suivait la même filière à la « Fac » pour des raisons similaires ; Mais la grève des étudiants avait tout remis en cause. Samia a été recrutée par Abdallah Kechida pour le compte des réseaux politiques. Généralement on destinait les femmes aux services sociaux de la zone. Exceptionnellement Drif et Samia avaient préféré l’action. Une troisième : Djamila Bouhired. Elle était née à la Casbah une vingtaine d’années plus tôt ; Elle sortait du même moule que les enfants des quartiers pauvres. À sa naissance il était écrit qu’elle n’irait pas à l’université. Elle parlait toutefois correctement le français ». Présentation sommaire de trois femmes, trois héroïnes, qui vont risquer leurs vies.
Les filles étaient nerveuses nous dit le narrateur qui essaya de les calmer en les sensibilisant sur la portée héroïque de leurs actes : « Je ne vous cache pas que c’est la première fois que nous recourons aux bombes pour renforcer nos capacités d’intervention. Je pense qu’avant de vous engager dans cette entreprise vous avez murement réfléchi aux conséquences. Il serait superflu de vous raconter ce que j’ai vu à rue de Thèbes. Nous devons prouver à notre peuple que nous sommes en mesure de répondre efficacement aux provocations. Souvenez-vous de la barbarie qui s’est abattue sur le nord-constantinois en 1945… ».
Saâdi ayant demandé aux trois femmes si elles avaient des objections à formuler, l’une d’elles (dans son livre Ted Morgan désignera Samia Lakhdari) il s’entendit répondre par l’une d’elles, « -Mais dans ces endroits, il n’y a pas que des militaires. Il y a aussi des civils, des femmes, voire des enfants ». Le narrateur répondra en administrant un véritable cours sur les massacres du colonialisme qui n’a épargné ni enfants, ni femmes. La mise au point faite, il précisera qu’il avait fixé les horaires des attentats pour chaque cible : dix-huit heures vingt-cinq le Milk Bar, dix-huit heures trente la Cafétéria de la rue Michelet et dix-huit heures trente-cinq le terminal d’Air-France dans l’immeuble Maurétania.
Dans son livre « Mémoires d’une combattante de l’ALN », Zohra Drif battra en brèche cette version d’une Lakhdari ayant quelques vagues à l’âme :
« El Kho » (Yacef) : es-tu toujours prête à être versée dans les groupes armés ?
– Samia : Bien sûr. Cela a toujours été notre souhait et notre message, à Zohra et moi. Puis-je parler de tout cela à Zohra ? Vous connaissez certainement Zohra, ou la sœur Farida si vous préférez.
– El Kho : oui, tu peux lui en parler. Mais comprends bien qu’il s’agit de bombes et de volontaires de la mort.
– Samia : j’ai bien compris. Nous sommes d’accord. Que dévons-nous faire ? ».
On voit une femme décidée et volontaire que nul doute n’effleure. Alors qui dit vrai, Morgan et Yacef ou Drif ? Relevons que Morgan a dû beaucoup piocher dans ces mémoires alors que Drif n’était pas témoin directe, mais probablement informée par Lakhdari. En tout les cas, il nous parait fort peu probable qu’une femme qui décide d’elle-même, sans contrainte aucune, de déposer une bombe éprouve quelques réserves. Si elle s’est portée volontaire pour cette forme de combat où elle risque sa vie, c’est qu’elle a réglé, au préalable, toutes les questions de conscience.
À chacun de croire la version qui lui sied.
Samia Lakhdari une héroïne malmenée
Inutile de revenir sur les attentats à la bombe. La version racontée par Yacef Saâdi est la même que celle de Zohra Drif avec quelques nuances sans grande importance. Ce qu’on retient, en revanche, c’est le retrait du combat de la poseuse de bombe, de la Cafétéria, Samia Lakhdari. Ce qui lui vaudra ce commentaire acide de son ex-chef : « Dans l’intervalle Samia Lakhdari exprima le désir d’’être déliée de son engagement en arguant que son fiancé -Salah Bey- estimait trop dangereux de la voir évoluer dans ce jeu de massacre. Sa collaboration étant volontaire, il m’était impossible de la retenir. Son départ en Suisse lui offrit l’occasion de se marier avant de regagner la Tunisie en compagnie de toute sa famille, en attendant la fin de la guerre ». Une planquée, quoi.
Dans son livre, déjà cité, Zohra Drif apporte un autre éclairage tout en rendant hommage à l’engagement de cette héroïne ainsi qu’à toute sa famille : « Samia s’ouvrit à moi en chuchotant : je n’ai que deux mois et demi au maximum à partager avec vous. Si Dieu me prête vie d’ici là, je dois me marier le 24 décembre. La date a été définitivement fixée comme tu le sais et je ne peux la repousser vu que je l’ai déjà reportée par deux fois. Même Mama Z’hor ne veut rien entendre. Elle qui est notre complice, engagée corps et âme à nos côtés pour l’indépendance de notre pays, m’a juré qu’elle se tuerait si jamais le mariage n’avait pas eu lieu le 24 décembre. Elle dit que mon père et mes frères en mourraient de honte car un troisième report signifierait que j’ai perdu mon honneur et celui de ma famille d’autant qu’Anis est mon cousin. Tu comprends quelque chose à ce raisonnement ? Je lui répondis que je le comprenais parfaitement et qu’elle était soumise à un dilemme pouvant se résumer en une question : « Est-ce que tu peux dire la vérité ? Que tu es une poseuse de bombe ? Et que c’est pour cela que tu ne peux pas te marier ? Non, bien sûr, tu ne le peux pas. Alors, oui, Mama Z’hor a raison ». Samia me fit part des difficultés qu’’elle éprouvait à expliquer tout cela aux grands frères ; ce à quoi je répondis : « Laisse venir, puis tu expliqueras. Je suis sur qu’ils comprendront ». Ils n’ont toujours pas compris. Si tous les Algériens avaient eu le même courage que Samia Lakhdari, l’Algérie aurait été indépendante très tôt. Elle mérite à titre posthume le grade de colonel de l’ALN, cette étudiante en deuxième année de droit, fille du cadi d’Alger, appartenant à une famille aisée que rien ne poussait à devenir une combattante- ni misère, ni injustice-sinon la fibre patriotique.
La Femme sans sépulture (2002) d’Assia Djebar fut d’abord pour moi un roman intimidant à mettre au programme de mon cours de 102 en raison de sa richesse historique, de tous ses non-dits et de sa structure narrative ambitieuse. Les choix de corpus de la romancière et professeure de littérature au cégep Katia Belkhodja m’inspirent, j’aime connaître les nouveaux titres auxquels elle a osé s’attaquer comme Mrs Dalloway de Virginia Woolf ou La Québécoite de Régine Robin. J’ai lu La Femme sans sépulture précisément parce qu’elle l’avait enseignée. Quand une oeuvre comme celle-ci m’effraie un peu tout en me stimulant, je la mets très rapidement dans mon plan de cours, j’envoie ma commande de livres et je me dis que je m’arrangerai bien pour trouver comment la présenter à mes futur.e.s étudiant·e·s en temps et lieu. Afin de déjouer la routine de prof de collégial, il me faut sans cesse me donner des défis pour me réinventer. Sinon je crains de mourir ennuyée par les remarques cyniques sur la prétendue médiocrité du français des étudiant·e·s entendues ici ou là ou par l’uniformisation quasi-inévitable de l’enseignement de la littérature engendrée par l’Épreuve uniforme de français. La relecture et la découverte de nouvelles oeuvres, comme La Femme sans sépulture, m’aident à rester vivante dans un milieu qui met parfois des freins à l’activité intellectuelle de ses professeurs. Pour ne pas se laisser happer par la morosité non-assumée de certains enseignants de cégep qui se passionnent pour la rénovation de leur maison et l’achat de bons alcools, je me vois comme une artiste qui enseigne et qui inscrit son travail dans sa démarche d’écriture et non comme une femme professionnelle qui rêve de REER. D’ailleurs, heureusement que je ne rêve pas de REER, parce que je n’en ai pas!
Quand j’ai enseigné le roman d’Assia Djebar, Julie et moi avions déjà lancé ce blogue. Puisque l’autrice d’origine algérienne y met en scène une héroïne absente, il est tout indiqué pour notre réflexion. Djebar travaille la figure de l’absente d’une manière toute personnelle. Elle l’aborde comme seule une artiste peut le faire : elle s’imprègne complètement de son personnage, sa quête s’inscrit au coeur de sa vie. Elle s’ouvre à tous les possibles qui se dévoileront lors de son projet d’écriture, accepte de perdre parfois le contrôle et se laisse altérer par son héroïne. Son travail sur Zoulikha Oudai (1911-1957), résistante oubliée de la Révolution algérienne, est double : elle réalise d’abord un film (La Nouba des femmes du mont Chenoua, 1979), puis fait paraitre le roman bien plus tard.
Au début du livre, un avertissement atteste de la volonté de Djebar de rapporter les faits « avec un souci historique […], selon une approche documentaire » (p. 9), mais tout de suite après, elle ajoute qu’elle a « usé à volonté de [sa] liberté romanesque, justement pour que la vérité de Zoulikha soit éclairée davantage » (p. 9). J’ai demandé à mes étudiant.e.s ce que Djebar voulait dire exactement par cet avertissement, en ajoutant que puisque le roman commençait ainsi, ça devait bien être une précision importante pour l’autrice. Optimiste, je m’attendais à une réponse, peut-être imprécise, embryonnaire ou impertinente, mais à une réponse quand même. Ils furent complètement muets alors que je les connaissais plus loquaces! Une des difficultés pour moi comme enseignante de collégial qui a été chargée de cours à l’université est d’accepter qu’une idée comme celle-là qui est si aisée à faire entendre à des universitaires est quasiment impossible à aborder, de manière aussi frontale du moins, avec des cégépiens. Pour les amuser, j’ai lancé à la blague qu’ils n’avaient pas idée à quel point ce genre de tension entre la fiction et la vérité peut exciter un prof de littérature comme moi. J’ai dû dire quelque chose comme « Des tensions pareilles, les profs de littérature, on en mange! » ou sinon j’ai probablement dit qu’on pourrait écrire 300 pages seulement sur cette question et qu’on ne l’aurait pas encore épuisée. Ils ont rigolé et m’ont fait des yeux qui disent « Ben voyons, donc! », mais je ne pense pas qu’ils ont compris l’idée d’une « liberté romanesque » exercée dans un contexte d’une recherche de la vérité de Zoulikha. Puisque je travaille souvent avec des romans autobiographiques en classe, j’ai rencontré ce problème à maintes reprises et n’ai pas encore trouvé une solution qui me plaise. J’ai abandonné la discussion plus conceptuelle pour faire confiance au roman qui selon moi faisait ressentir cette tension mieux encore que toute discussion à ce sujet.
Au fil de son parcours, la narratrice rencontre des personnes qui ont connu Zoulikha et qui lui racontent des bribes d’histoires sur la femme qu’elle a été. Elle est présentée d’entrée de jeu comme une héroïne. En 1930, Zoulikha est la première fille musulmane diplômée de sa région. Rebelle au caractère fort, elle vit comme elle l’entend et sort parfois en société sans recouvrir sa tête dans des contextes où c’est mal vu. Elle critique ouvertement les Européens, parle mieux le français que certains Français nés sur le continent africain. Ses comportements lui valent le surnom de « L’anarchiste » (p. 20). Avec mes étudiant·e·s, nous avons lu attentivement la scène au début du roman où Zoulikha se fait insulter par une Française née sur l’île de Malte. Notre Algérienne téméraire lui répond avec force et exige de sa part plus de respect. Avant la confrontation, la narratrice précise que la nouvelle vie d’épouse au foyer de Zoulikha n’avait rien enlevé à sa fougue et ne l’avait pas assagit. Juste avant d’entamer la lecture de La Femme sans sépulture, nous avions lu Une mort très douce de Simone de Beauvoir. Nous avions vu la représentation plutôt négative de la femme mariée que faisait de Beauvoir en parlant de sa mère. L’idée d’en présenter un contre-poids avec le roman de Djebar était stimulante. Fort surprise, j’ai constaté que la question de la représentation favorable ou défavorable de la femme au foyer semblait les intéresser. Quand on parle d’un sujet comme celui-ci, on ne sait jamais à qui on s’adresse. Combien de mes étudiant·e·s avaient une mère au foyer ou même étaient le conjoint de l’une d’elles ? Leurs yeux attentifs me laissaient croire que cette réalité ne leur était pas étrangère. Je leur ai raconté l’épisode des Yvettes de 1980 au Québec, qui a fait suite à une remarque de Lise Payette. J’ai eu l’impression que c’était la chose la plus étonnante et passionnante que j’avais pu raconter de la session. Ils ne comprenaient pas mon enthousiasme pour la tension entre la vérité et la fiction, mais avec cette affaire des Yvettes, ils étaient pourtant fascinés par une relation contradictoire similaire. Une révolte des femmes dites « soumises », c’est tout une tension conceptuelle!
La confrontation entre la Française et Zoulikha survient alors que cette dernière voilée accroche au passage l’autre femme dans la rue. Pour lui signifier son agacement et, du même coup, sa supériorité sur elle, la Française lui crie « Eh bien, Fatma! » (p. 23) Prénom féminin, « Fatma » est aussi un terme péjoratif utilisé pour dénigrer une femme musulmane. Zoulikha lui répond sans détour en faisant tomber sa voilette : « Eh bien, Marie? » (p. 23) Son insulte lui est ainsi renvoyée par un jeu de miroir. La riposte de Zoulikha excite alors la colère de la Française : « Tu m’appelles Marie ? Quel toupet ! » (p. 23) L’héroïne ne se laisse pas intimider de la sorte : « Vous ne me connaissez pas ! Vous me tutoyez… et, en outre, je ne m’appelle pas Fatma !… Vous auriez pu me dire « Madame », non ? » (p. 23) La demande ferme de Zoulikha de se faire respecter par la Française attire une foule de curieux qui reconnaissent et admirent le courage de la rebelle. La scène est superbe pour discuter de la connotation avec les étudiant·e·s et pour travailler les jeux de pouvoir inscrits à même le langage. Il permet aussi de donner un peu de chair à l’héroïne qui sera surtout un fantôme dans le reste du roman.
Dans un de mes groupes, la lecture de ce passage a donné lieu à un affrontement dans la classe. Certains étudiant·e·s ont profité de l’analyse de l’extrait pour exprimer des commentaires désobligeants sur les femmes musulmanes. D’autres étudiant·e·s se sont empressés de répondre avec véhémence aux propos énoncés. J’ai saisi l’occasion pour leur dire explicitement que le roman de Djebar tentait précisément de nous présenter la femme voilée comme un sujet à part entière, une femme que l’on devait entendre sans parler à sa place. Le cours suivant, j’ai lu des passages de Classer, dominer : qui sont les autres de Christine Delphy afin d’alimenter notre réflexion. J’en ai profité pour expliquer aux étudiant·e·s comment la littérature peut permettre une sortie salutaire des discours politiques qui tendent à réifier les individus. La femme voilée, comme la femme au foyer lors de l’épisode québécois des Yvettes, est précisément celle qui est à la fois visée et exclue par les débats politiques. Le roman d’Assia Djebar, en plus de présenter ces femmes comme des sujets pensants et agissants, nous offre une occasion unique d’entrer dans leur intimité. La narratrice nous sert de guide pour aller à leur rencontre, comme nous n’aurions pas tous la chance de le faire.
Cette question de la femme voilée mise à l’écart des discours m’a permis de poursuivre avec celle extrêmement importante pour lire le roman des oubliés de l’histoire. Le projet d’Assia Djebar est de partir à la recherche de Zoulikha pour donner à celle que certains personnages surnomment « La mère des maquisards ! » (p. 15) la place qu’elle mérite dans la Révolution algérienne. Montée au maquis en 1956, elle a décidé de jouer un rôle actif dans les combats. À sa mort, après une arrestation par l’armée française, son corps n’est pas envoyé à sa famille qui ne peut donc pas accomplir le rite funèbre. La narratrice se fait Antigone, elle tente de voir comment la littérature pourrait donner un tombeau à l’héroïne. L’enjeu n’est toutefois pas seulement de lui offrir une sépulture, il faut surtout lui en offrir une qui puisse préserver sa révolte. Dans Les subalternes peuvent-elles parler ?, Gayatri Chakravorty Spivak raconte l’histoire d’une jeune femme indienne qui avait pris part à la lutte armée pour l’indépendance de l’Inde, Bhuvaneswari Bhaduri, dont la rébellion et le caractère belliqueux seront ravis par sa famille après sa mort. Ses proches ont justifié son suicide en prétextant un revers amoureux alors qu’en réalité son chagrin était lié à une tentative d’assassinat raté visant un responsable politique. Cette femme n’avait donc pas droit de mourir comme la guerrière qu’elle avait été. La narratrice La Femme sans sépulture veut à tout prix rendre la colère de Zoulikha et des autres personnages qui peuplent le livre comme la conteuse Dame Lionne.
L’approche documentariste de la narratrice, comme la présence de contes, permet aussi de donner une place dans le texte à la parole. L’héroïne oubliée revient d’abord par la voix des vivants. La place de la narratrice près des filles de Zoulikha, Mina et Hania, est faite de confiance et de complicité. À son arrivée, Mina lui lance sans ambages : « Je t’ai attendue toutes ces années ! » (p. 15) Hania confie à la romancière-cinéastre qu’habituellement elle n’est pas aussi à l’aise pour se raconter : « Face aux journalistes […] quand ils viennent m’interroger sur Zoulikha, j’ai l’impression, en déroulant les mots… (elle passait soudain à la langue arabe, qu’elle a plus raffinée), en parlant de Zoulikha, il me semble que, à mon tour, je la tue ! » (p. 50) Hania explique avec douleur qu’alors que les autres pensent qu’elle s’enorgueillit d’avoir une mère guerrière, elle ressent plutôt l’immense vide qui ne se refermera jamais qu’a laissé dans son âme l’absence de sa mère près d’elle. Elle a désormais presque l’âge qu’avait Zoulikha le jour de sa mort. Hania veut préserver la mémoire de sa mère, mais souffre de la réification de sa figure : « […] on la tue une seconde fois, si c’est pour l’exposer ainsi, en images à la télévision… (elle réfléchit), une image projetée n’importe comment, au moment où les familles entament leur dîner du ramadhan… » (p. 54). Avec chagrin, Hania sait que les médias aiment bien les femmes mortes, comme sa mère, elles ne sont plus là pour protester : «Zoulikha, vivante aujourd’hui, elle est les aurait dérangés tous!… » (p. 90) La narratrice assemble les voix, elle cite beaucoup et interprète très peu. Elle ne laisse sa trace qu’en arrière-plan à travers l’ordonnancement des paroles recueillies. L’oralité sert de premier garde-fou contre un deuxième assassinat de Zoulikha.
Puisque son corps ne peut être retrouvé, la quête de la narratrice vers Zoulikha ne peut désormais passer que par l’onirisme. Le rêve fait office de second garde-fou. Des monologues où la parole imaginée de l’héroïne prend toute la place apparaissent alors au coeur de la trame narrative. L’héroïne flotte encore sur la ville algérienne de Césarée (aujourd’hui Cherchell) : comme fantôme (« Comme si Zoulikha restée sans sépulture flottait, invisible, perceptible au-dessus de la cité rousse » (p. 17)), puis comme femme-oiseau. Une étrange mosaïque de Césarée représente les sirènes, de l’épisode de l’Odyssée, en femmes-oiseaux. La narratrice est comme Ulysse qui « veut absolument continuer son voyage, mais [qui] veut tout autant écouter le chant des sirènes ». (p. 117) Elle prend le risque d’aller au-devant de cette histoire, le risque surtout de trouver le moyen de conserver Zoulikha vivante. Insaisissable, la maquisarde, reconstituée par Djebar, poursuit son vol au-dessus de Césarée, au-dessus du monde entier, et refuse de se laisser saisir par quiconque.
Des bustes en bronze à l'effigie des chahids Larbi Ben M'idi, Maurice Audin et Krim Belkacem seront installés à Alger le 18 mars, à l'occasion de la fête de la victoire, a indiqué à l'APS le président de l'APC d'Alger centre, Abdelhakim Bettache.
L'installation de ces bustes se veut un hommage à ces "symboles et à leur parcours historique et révolutionnaire, en tant martyrs, politiciens et dirigeants administratifs", a-t-il déclaré, précisant que le buste du Chahid Lardi Ben M'hidi sera érigé à la Rue Larbi Ben M'hidi et ceux de Maurice Audin et de Krim Belkacem au niveau des deux places hyponymes.
D'une hauteur de 1,30 mètres, ces bustes seront scellés sur des socles en marbre de 2,5 mètres sur lesquels seront apposés des plaques commémoratives en langues arabe, amazighe, française et anglaise, a fait savoir le directeur du renouveau et de l'aménagement du territoire à l'APC, Assef Benali.
La réalisation de ces trois bustes, à 493 millions de centimes chacun, s'inscrit dans le cadre du programme d'action de l'APC d'Alger pour l'exercice 2020.
Ces bustes sont réalisés par le sculpteur Fares Mohand Seghir (bien Fares Mohand Seghir), qui a été choisi au terme d'un appel d'offres national supervisé par une commission d'évaluation relevant de la commune et sur la base d'un cahier de charges.
Dans le cadre de la réalisation de ces bustes, la direction des Moudjahidine a été "informée" concernant le format et le profils historiques, ainsi que le Haut commissariat à l'amazighité (HCA) qui a supervisé le texte d'introduction d'accompagnement les plaques commémoratives en langue amazigh, a souligné M.Benali.
L'un des membres fondateurs du parti du Front de libération nationale, Larbi Ben M’hidi (1923-1957) s'est vu confié, pendant la Guerre de libération, le commandement de l'Oranie. A l`issue du congrès, il est élevé au grade de colonel, nommé au Comité de coordination et d`exécution et se voit confier la zone autonome d'Alger pour organiser les premières opérations contre l'occupant français avant son arrestation et son assassinat sous la torture.
De son côté, le jeune militant communiste et enseignant de mathématiques Maurice Audin (1932-1957) était connu pour sa grande croyance en la justesse de la cause algérienne et sa lutte pour la liberté des Algériens.
Le 11 juin 1957, pendant la bataille d'Alger, Maurice Audin, 25 ans, est arrêté par les parachutistes du général Massu devant sa famille, avant d'être torturé. Le jeune assistant à la faculté d'Alger n'en est jamais revenu, et l'armée française a fait disparaître son corps.
En 2018, le président français Emmanuel Macron avait reconnu publiquement et au nom de la République française, ce crime affirmant qu'Audin avait été torturé puis assassiné ou torturé jusqu'à la mort par l'armée française pendant la guerre de libération.
Quant à Krim Belkacem (1922-1970), l'un des dirigeants de la révolution et du FLN, il avait participé au congrès de la Soummam et dirigé la délégation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lors des négociations, qui ont abouti aux accords d'Evian en 1962.
La commune d'Alger Centre avait précédemment érigé en 2019 une statue complète du roi Massinissa au niveau du parc Tafourah et quatre autres statues au parc de Port-Saïd (commune de la Casbah) représentant les célèbres acteurs du théâtre algérien, à savoir Kelthoum, de son vrai nom Aicha Adjouri, Mohamed Boudia, Azzedine Medjoubi, et Abdelkader Alloula.
Une femme exceptionnelle. A L'attention de ceux qui ont fait les EOR à Cherchell... Une femme de mon coin de pays.
Si les la plupart des Moudjahidate et Martyres sont relativement bien connues en Algérie notamment chez les jeune, il n’en demeure pas moins que notre glorieuse guerre de libération nationale a enfanté des hommes et femmes valeureux et téméraires qui ont donné un sens au combat libérateur de notre pays et qui ne sont pas suffisamment connus de notre jeunesse en recherche de repères historiques de bravoure. Parmi eux et elles nous pouvons citer Lalla Zoulikha Oudai, la lionne et la héroïne de Cherchel que vient de mettre admirablement sous les lumières Kamel BOUCHAMA dans son récent et dernier livre intitulé » Lalla Zoulikha Oudai, la mère des résistants » paru chez Juba Éditions. Cet excellent livre écrit d’une main de maître par un homme de culture, ex Ministre, ex Ambassadeur et homme politique natif de Cherchel est captivant à plus d’un titre ! Il nous conte avec passion l’histoire extraordinaire de cette Moudjahida, Zoulikha Oudai , née à Cherchel d’une famille de révolutionnaires et pétrie par sa tribune Hadjoute connue dans la région pour son combat anticolonialiste ancestral .
Au moment de s’engager dans le combat libérateur au sein du Fln, Zoulikha était mère de famille .Elle donne à l’Aln son aîné Lahbib qui tomba au champ d’honneur. Puis ce fut le tour de son Époux Si El Hadj qui suivra le même chemin de bravoure et être arrêté pour finalement être lâchement exécuté par les soudard de l’armée française. A la tête d’un important réseau du Fln de la région de Cherchel, elle fut acculée par l’armée française, ce qui la contraint à rejoindre le maquis où elle donna du fil à retodre au lieutenant-colonel Gérard le Cointe ,commandant du secteur militaire de Cherchel. Elle fut finalement après plusieurs mois de traque arrêtée et fut exhibee crucifiee sur auto blindée Half Tradi pour être montrée à la population comme prise importante!
Torturée atrocement pendant 10 jours elle dit ces mots célèbres à ses tortionnaires : »Même si on doit me brûler comme Jeanne d’Arc,je ne parlerais pas « . A la suite de cela,elle fut lâchement assassinée par balles ! Allah Yarham Echouhada! Cette épopée glorieuse de notre valeureuse Héroïne de Cherchel doit inpirer en bravoure notre belle jeunesse qui est fière de notre combat libérateur inscrit définitivement dans notre ADN ! En ce sens, on doit réaliser des films sur des Héroïnes comme Zoulikha Oudai pour mieux les faire connaître des jeunes! Je me souviens, lors d’une rencontre l’année passée avec Amel Zen, la Pop Star musicale en vogue actuellement sur le net ,patriote jusqu’au bout des ongles, native elle aussi de Cherchel et dont le grand père est Moudjahid de la région, elle me confiait ,émue que son rêve était d’incarner un jour dans un film le rôle d’une Moudjahida! Je dirais à Amel Zen qu’elle peut admirablement incarner le rôle de Lalla Zoulikha Oudai avec fierté car elle a dans les yeux le même tempérament de feu que cette valeureuse et téméraire héroïne sacrificielle !
» Lalla Zoulikha Oudai, la mère des résistants » de Kamel BOUCHAMA, Juba Éditions , 2016
La Femme sans sépulture, c'est Zoulikha, héroïne oubliée de la guerre d'Algérie, montée au maquis au printemps 1957 et portée disparue deux ans plus tard, après son arrestation par l'armée française. Femme exceptionnelle, si vivante dans sa réalité de mère, d'amante, d'amie, d'opposante politique, dans son engagement absolu et douloureux, dans sa démarche de liberté qui scelle sa vie depuis l'enfance et qui ne l'a jamais quittée, sa présence irradiante flotte à jamais au-dessus de Césarée... Autour de Zoulikha s'animent d'autres figures de l'ombre, paysannes autant que citadines, vivant au quotidien l'engagement, la peur, la tragédie parfois. Véritable chant d'amour contre l'oubli et la haine, de ce passé ressuscité naît une émotion intense, pour ce destin de femme qui garde son énigme, et pour la beauté d'une langue qui excelle à rendre son ombre et sa lumière.
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Assia Djebbar, l'un des noms les plus connus de la littérature algérienne d'expression française dans le monde, est décédée ce vendredi soir dans un hôpital parisien des suites d'une longue maladie. L'annonce a été faite par sa famille alors que des informations contradictoires ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Née Fatma-Zohra Imalayène à Cherchell, wilaya de Tipaza, le 30 juin 1936, Assia Djebbar est considérée comme l'un des intellectuels maghrébins les plus influents et les plus traduits ( en 23 langues) et a écrit de nombreux romans, poésies et essais ainsi que des pièces de théâtre. Elle a également deux films, «La Nouba des Femmes du Mont Chenoua» en 1978, long-métrage qui lui vaudra le Prix de la Critique internationale à la Biennale de Venise de 1979 et un court-métrage «La Zerda ou les chants de l'oubli» en 1982. Elle naît dans une famille de petite bourgeoisie traditionnelle algérienne amazighe et passe son enfance à Mouzaïaville (Mitidja), étudie à l'école française puis dans une école coranique privée. À partir de 10 ans, elle étudie au collège de Blida, faute de pouvoir y apprendre l'arabe classique, elle commence à apprendre le grec ancien, le latin et l'anglais. Elle obtient le baccalauréat en 1953 puis entre au lycée Bugeaud d'Alger (actuel lycée Emir Abdelkader). En 1954, elle intègre le lycée Fénelon (Paris) et une année plus tard, elle devient la première algérienne et la première femme musulmane à intégrer l'École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres où elle choisit l'étude de l'Histoire. À partir de 1956, elle décide de suivre le mot d'ordre de grève de l'UGEMA, l'Union générale des Étudiants musulmans algériens, et ne passe pas ses examens. C'est à cette occasion qu'elle écrira son premier roman, La Soif. Pour ne pas choquer sa famille, elle adopte un nom de plume, Assia Djebar. Elle épouse l'écrivain Walid Carn, pseudonyme de l'homme de théâtre Ahmed Ould-Rouis. À partir de 1959, elle étudie et enseigne l'histoire moderne et contemporaine du Maghreb à la Faculté des lettres de Rabat. En parallèle, aidée par l'islamologue Louis Massignon, elle monte un projet de thèse sur Lella Manoubia, une sainte matrone de Tunis. Le 1er juillet 1962, elle retourne en Algérie où elle est nommée professeur à l'université d'Alger. Elle est le seul professeur à dispenser des cours d'histoire moderne et contemporaine de l'Algérie. L'enseignement en arabe littéraire est imposé, ce qu'elle refuse et quitte alors l'Algérie. De 1966 à 1975, elle réside le plus souvent en France et séjourne régulièrement en Algérie. Elle épouse en secondes noces Malek Alloula. En 1999 elle soutient sa thèse à l'université Paul-Valéry Montpellier, une thèse autobiographique, sur sa propre oeuvre : Le roman maghrébin francophone, entre les langues et les cultures : Quarante ans d'un parcours : Assia Djebar, 1957-1997. La même année, elle est élue membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Depuis 2001, elle enseigne au département d'études françaises de l'université de New York. Le 16 juin 2005, elle est élue au fauteuil de l'Académie française, succédant à Georges Vedel, et y est reçue le 22 juin 2005. Elle est docteur honoris causa des universités de Vienne (Autriche), de Concordia (Montréal), d'Osnabrück (Allemagne). Auteur de plus d'une quinzaine d'œuvres entre romans, essais, recueil de poésie ou de nouvelles, elle a reçu plusieurs distinctions et prix littéraires comme le Prix Maurice Maeterlinck (Bruxelles), en 1995, l'International Literary Neustadt Prize (États-Unis), une année plus tard, le Prix Marguerite Yourcenar (Boston) en 1997 ou encore le Prix international Pablo Neruda (Italie) en 2005. Assia Djebbar reste aussi la seule algérienne à avoir été proche d'un Prix Nobel de littérature qui ne lui a jamais été octroyé bien qu'elle ait été à plusieurs fois nominée.
Quand Chenoua porte le chapeau, il pleuvra bientôt sur Marengo», a-t-on l’habitude de dire lorsque les nuages s’amoncellent sur les cimes du mont. Mais en ce riant vendredi automnal, il fait beau et chaud en ces contrées verdoyantes. Il n’y a donc pas de crainte. Occasion propice pour rendre visite à Benaïcha, 103 ans, et qui semble bien les porter. Kerfa Benaïcha, ancien cycliste, réparateur de cycles connu dans la région, militant de la cause nationale, témoin de son siècle, nous conte les étapes de son parcours cabossé.
L’homme semble être fait dans une étoffe qui n’existe plus. Courtoisie chaleureuse, voix parfois étouffée, une volonté manifeste de dire plus, stoppée par des pertes de mémoire récurrentes. On sent qu’il a beaucoup de choses à raconter, mais parfois il parle avec les yeux et on capte au vol sa pensée. Le parcours si long est, comme de bien entendu, avec des reliefs. Né le 17 février 1912 à Bourkika, à quelques encablures de Marengo où il s’est établi depuis belle lurette, Benaïcha a gardé de son père, Ahmed, responsable agricole, son attachement viscéral à la terre, aux racines et à Marengo.
D’abord, pourquoi cette appellation ? Sans doute en référence à la bataille éponyme. Napoléon avait donné le surnom de Marengo à un colonel qui avait fait la campagne d’Algérie. C’est le service militaire, effectué à Tébessa en 1928, qui a ouvert les yeux de Benaïcha sur l’insoutenable condition «des indigènes». «J’avais compris qu’on pouvait être autre chose qu’au strict service des colons.» Cette révolte est au diapason d’une violente remise en cause de l’ordre établi, vitupéré, vilipendé et enfin combattu, ce qui valut à Benaïcha d’être emprisonné à plusieurs reprises.
La fureur et l’horreur
Les militaires Bugeaud, Saint-Arnaud et Rovigo qui se prévalaient de la «pacification» n’ont-ils pas adopté la politique de la terre brûlée en Algérie ? «La guerre que nous allons faire n’est pas une guerre à coups de fusil, c’est en enlevant aux Arabes les ressources que le sol leur procure que nous pouvons en finir avec eux». S’adressant à ses soldats, Bugeaud les exhorte à aller couper du blé et de l’orge. Ainsi, l’Algérie est ravagée, les villes et les récoltes détruites. Ce qui fait écrire à la presse de l’époque : «Ils ne brûlèrent pas le pays en cachette et ne menacèrent pas les ennemis en faisant des tirades humanitaires». «La colonisation, c’est le vol, c’est le pillage, c’est le meurtre. Ce sont des crimes commis contre de paisibles populations pour le profit d’une poignée avide de gains», écrivait la presse progressiste.
Telle était la sentence des observateurs neutres. Souvenirs amers qui révulsent Benaïcha. «Ici, à Hadjout et ses environs, toutes les bonnes terres ont été accaparées par les colons qui y ont créé des domaines impressionnants», confie-t-il, en soulignant que Borgeaud s’était offert des milliers d’hectares à la sortie de Marengo pour en faire des vignobles notoirement appréciés. Les jeunes Algériens, en sous-hommes y travaillaient pour gagner leur vie. «Moi, j’ai commencé au milieu des années vingt à 300 douros». Benaïcha sait que «le premier centre de colonisation dans la région, Boufarik eu l’occurrence, fut décimé pendant plusieurs années par la malaria. Les décès atteignaient le tiers de la population», lui avait raconté son père Ahmed.
«Ici, les colons sont plus nombreux que dans l’autre partie de l’Algérie, car pour des raisons à la fois historiques et géographiques, ils se sont concentrés dans les riches plaines dont celle de la Mitidja où ils possédaient la majorité des terres». Ses enfants vous le diront : derrière ses airs bourrus, ses coups de gueule, leur père est un tendre, un géant aux pieds d’argile. Jeune et grâce à des amis, Benaïcha a été frappé par la passion du vélo. Il se consacrera au cyclisme dont il en deviendra un champion. «Il en était tellement épris qu’il en fera sa raison de vivre», témoigne son fils Hamid. En effet, notre homme ouvrira à Hadjout un magasin de vente de cycles et de réparation de vélos et de motos, réputé dans toute la région. Zaâf, le casseur de baraque, et Kebaïli, le champion discret, étaient des habitués de son échoppe qui ne désemplissait pas. Sportif accompli, Benaïcha nous raconte avec un humour exquis les duels épiques qui opposaient l’USM Marengo à l’O Marengo, «toujours des bagarres», car au-delà du football, les Algériens voulaient à travers le club musulman affirmer leur identité et se démarquer de l’occupant, dont l’Olympique était le porte-flambeau. Benaïcha a compris très tôt que l’école et le savoir pouvaient aider à supplanter la misère. L’instruction est la seule arme contre la colonisation, répétait cet homme dont la qualité première était de savoir d’où il venait. Il s’est démené pour instruire ses enfants dont des filles qui ont obtenu de hauts diplômes de l’université. Pour un père qui ne savait ni lire ni écrire, cela méritait d’être souligné, relève son fils, le Dr Maâmar Kerfa.
Une vie, un combat
Au déclenchement de la guerre, Benaïcha, qui était messaliste puis communiste, a intégré le réseau de Marengo pour la collecte d’argent et d’armement, aidé par son épouse qui est citée en exemple dans le quartier et plus largement dans la ville. De par son emplacement, Marengo a été un lieu stratégique pour la résistance, dont les chefs, ici, ont été d’une bravoure remarquable, à l’instar de la tribu de Menaceur, des Hadjoutes et pendant la lutte armée d’hommes valeureux comme les Saâdoune, Ould El Houcine Cherif, Fekaïr, dont la famille a contribué avec Benaïcha à l’ouverture de la médersa de Hadjout qui a été plus qu’une école, mais dont l’état délabré aujourd’hui chagrine Maâmar, désolé et révolté à la fois. «Marengo, confie Benaïcha, a été construite en 1848 sur ordre de Napoléon III».
La ville s’est distinguée par ses jardins, ses larges avenues et son architecture exceptionnelle. Qui dit Marengo, dit vignoble, caroube, agrumes. «Aujourd’hui, regrette notre interlocuteur, la ville offre un visage hideux avec des constructions anarchiques». On bâtit en hauteur, défiant les lois, sans que l’autorité intervienne. De plus et à l’instar des autres villes, Marengo plonge dans la monotonie et la morosité. Sous le marché, il y avait le bal du samedi et à la grande placette il y avait le kiosque à musique. Il y avait un jardin botanique avec des arbres centenaires qui faisaient la fierté des habitants, dont la demeure était toujours accompagnée d’un jardin. «Plus maintenant puisque le béton a tout mangé», tempête Benaïcha.
La terre et le béton
Parmi les cocasseries, Benaïcha raconte : «Vers les années 1958, la mairie de Marengo organisa un couscous de l’amitié et donc invita la population. La consigne du FLN était stricte : ne pas y participer. Vers 12h, tout le peuple de Marengo est subitement absent de la ville et donna l’impression de vaquer à ses occupations, mais vers 14h commença un autre scénario : des vomissements et des diarrhées de certains partout dans la ville. Le masque était tombé. Ils signèrent ainsi leur présence parmi les goumis et autre supplétifs».
Un autre fait insolite interpelle notre interlocuteur. En 1981, les anciens de la région revinrent visiter leur lieu de naissance ; ces pied-noirs furent bien reçus à Hadjout. Ils rencontrèrent leurs amis de classe et discutèrent en arabe dialectal de la ville ; ce furent des moments très émouvants. «On a tout laissé sur place, mais tout est figé : aucune amélioration», dira Philippe, mais Omar répliqua sèchement : «Vous avez tout pris». Philippe agrippa Omar et lui dit : «T’as raison mon frère, on a pris une seule chose, M. Korssi, (le garde champêtre), qui pénalisait fermement toute incivilité». On aura compris : les pieds-noirs faisaient allusion à la saleté ambiante… Même constat de Belhani Mahrez, ami de la famille Kerfa et illustre gardien de but de Marengo des années soixante, fervent défenseur de la ville.
Mahrez, qui avait été sélectionné en équipe nationale au lendemain de l’indépendance, rappelle les heures de gloire de l’USMM qui n’était pas aussi agressive que le laisse entendre une opinion malveillante. «On jouait un foot académique, et même les ténors de l’époque comme le CRB laissaient des plumes à Hadjout. Mais c’était une autre époque comparée à celle que nous vivons, où le foot est devenu un négoce, otage de l’argent…». Autre époque, autres mœurs, puisque les vrais valeurs ont disparu pour laisser place à l’individualisme et… «après moi le déluge».
Mme Annie Steiner, moudjahida, se dit «impressionnée par la longévité de Benaïcha, mais pas étonnée dès lors que les gens comme lui qui ont une hygiène de vie et vivent dans un environnement sain n’ont que rarement des ennuis de santé». La vieille combattante témoigne : «Je suis née à Hadjout, dans une école maternelle où ma mère avait un logement de fonction. J’en suis partie très jeune, mais je suis une Hadjoutiya. J’ai revu, avec émotion, l’école maternelle où enseignait ma mère, elle est restée telle qu’elle était et est devenue une école primaire. J’ai retrouvé la porte de l’appartement où je suis née et qui donnait sur la cour intérieure de l’école. J’ai retrouvé près de l’école l’hôpital où exerçait mon père ; il est né à Tipasa et son père à Teniet El Had. Les Hadjoutis m’ont accueillie simplement et c’était très émouvant. Ils m’ont montré le registre d’état civil qui mentionnait ma naissance : superbe écriture ! Et ils sont venus avec le président de l’APC (le maire) à la salle Ibn Khaldoun où on présentait un documentaire me concernant. Dès 1830, la tribu des Hadjoutes (ont dit aussi Hadjoutiyine) avec une autre tribu, les Menaceur, ont protégé la Mitidja, cette bonne terre agricole que convoitait l’occupant. C’étaient de superbes cavaliers qui, avec leurs chevaux très rapides et leur sens de la guérilla ont tenu de 1830 à 1848 : 18 ans de combats ! D’autres tribus ont dû faire de même. Au bout de 18 ans, ils ont tous été massacrés. On ne résiste pas aux canons. Il y a eu, paraît-il, un seul survivant, mais je crois que c’était ‘‘le survivant pour l’honneur’’», résume Annie.
Depuis des années, Benaïcha continue, à 103 ans, d’être un spectateur d’une époque qui a changé de fond en comble, qui a chamboulé nos habitudes en nous offrant un confort factice. Avant, un rien nous suffisait, aujourd’hui le tout n’arrive pas à satisfaire nos attentes. On voit bien que le vieil homme, bien dans sa peau, vient d’un siècle qui a réservé à sa génération des moments heureux et d’autres plus graves, mais qui ont engendré plus de colère que d’amertume. «Il y a quelques années seulement, on n’était pas soumis à de telles pressions, à de telles violences». Benaïcha, qui connut la faim, la souffrances, les humiliations de ceux qui ne furent ni des héros ni des traîtres n’éprouve pas les aigreurs de la nostalgie. Bien plus, il participe avec espoir à une vaste opération de démolition de l’hypocrisie.
Marengo reste le fief de gens illustres qui ont brillé dans leurs domaines respectifs. Comme le professeur Ahmed Brahimi, éminent nutritionniste mondialement connu, qui nous a confié sa fierté d’appartenir à cette contrée qui l’a vu naître, berceau de tant de générations qui y gardent des attaches profondes. Biskri Djillali, bédéiste, auteur, cinéaste et chercheur se dit «imbriqué dans sa ville de toujours». Le regretté Tidafi, père des enfants abandonnés, les frères Meklati, le journaliste El Hadj Tahar Ali, le grand photographe Ali Marok, le Dr Bekkat Berkani Mohamed, descendant des valeureux lieutenants de l’Emir Abdelkader, les footballeurs Maroc, Hamadouche, Mahrez, Messaoudi, Touta qui fut un brillant cycliste avant de devenir un goal de talent, Guendouzi, et plus récemment Madjid Bouguerra, capitaine de l’équipe nationale. Autant d’icônes de la ville qui ne donne nullement l’impression de sortir de sa torpeur et de son spleen… Elle somnole comme la plupart de nos villes.
Bio express :
Né le 17 février 1912 à Bourkika, Benaïcha est issu d’une famille attachée à la terre. Son père Ahmed était dans l’agriculture des riches terres de la Mitidja. Benaïcha y travailla quelque temps avant d’embrasser une carrière dévolue au vélo. Ainsi, après avoir été champion de la petite reine, il en devint son mécanicien avant de s’occuper de la réparation des cycles et des motocycles. Son échoppe à Hadjout est connue de tous les initiés. Militant de la cause nationale, Benaïcha, à 103 ans, garde toute sa lucidité malgré une mémoire défaillante. Sa fierté : ses enfants qui ont tous fait des études universitaires. Il vit à Hadjout entouré de l’affection des siens.
L’association Cercle âge d’or de Hadjout, présidée par
le toujours jeune Khelil Lahcène, avait donné rendez-vous aux
quinquagénaires et plus de l’ex-Marengo, au niveau de la placette
centrale, superbement aménagée par le défunt président de l’APC, Daoud
Amar, afin de célébrer, à leur manière, la Journée mondiale des
personnes âgées.
.
Pas moins de 64 participants se sont inscrits au concours de pétanque.
Les 4 boulodromes étaient déjà envahis par «les athlètes». Zernini
Mohamed (82 ans) a préféré observer ses copains avant de s’engager dans
la course. Fezari Mouloud (82 ans) n’a pas attendu pour rejoindre son
adversaire du jour sur le boulodrome.Les membres de l’association Cercle
âge d’or dispatchaient les «seniors» sur les 4 boulodromes, afin
d’activer les rencontres éliminatoires. Khelil Lahcène prépare déjà un
pique-nique pour les femmes âgées, adhérentes à son association, au
courant de ce mois d’octobre dans l’une des forêts de Hadjout, avant
d’accompagner les retraités hommes à la station thermale de Khenchela et
les vieilles dames à la station thermale de Hammam Melouane.
«Un plan de charge» initié par l’association Cercle âge d’or, qui
renforcera les liens entre les personnes âgées de la ville de Hadjout.
Louable initiative qui mérite de se développer dans les autres localités
de la wilaya de Tipasa, qui manquent de
meneurs.
Invitée pour se produire lors de la 2e soirée de la 13e édition des
Journées de musique andalouse de Tipasa qui a eu lieu à Cherchell, du 29
au 31 juillet, l’association musicale Slimania de Hadjout aura révélé
tout le bien que l’on pensait de sa brochette d’artistes en herbe
(élèves, ndlr).
Cette association, créée en 2009, surmonte les difficultés pour
perpétuer cet art musical et y semer l’amour de cette musique dans cette
partie de l’extrême ouest de la Mitidja. Bien entendu, il est inutile
de rappeler dans quelles conditions ont évolué les associations lors de
cette manifestation sur une scène maladroitement décorée et une
sonorisation qui avait irrité les mélomanes courageux qui ont assisté
aux spectacles. La troupe Slimania de Hadjout, dirigée par le Pr et
jeune talentueux musicologue, Titouamane Mohamed, a présenté une nouba,
avec des élèves habillés de tenues traditionnelles magnifiques. Cette
association culturelle, selon son président, Khaled Rahmouni, est
encouragée par les directions de la culture et celle de la direction de
la jeunesse et des sports de la wilaya de Tipasa, mais également par le
président de l’APC et le chef de daïra de Hadjout.
Encore méconnue, cette jeune association musicale qui s’est lancée dans
cette aventure ne s’est pas produite hors de la wilaya de Tipasa.
Khaled Rahmouni est en quête de sponsors pour l’acquisition
d’instruments de musique afin de créer une 3e classe. «L’effectif de nos
élèves est composé à 70% d’universitaires et de 30% du cycle
secondaire. Nous sommes rigoureux sur la discipline et l’assiduité pour
nous améliorer, mais nous tenons compte des remarques et des
encouragements de nos maîtres quand ils assistent à nos soirées», nous
dit-il fièrement. L’association Slimania a organisé une soirée de
sensibilisation et d’information sur la pouponnière de Hadjout,lors du
Ramadhan dernier.
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