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La justice tant pour le civil que pour le criminel se rend sur le champ, sans écritures, sans frais & sans appel, soit par le dey, soit par le cadi, le chaya ou le raïs de la marine ; & dans les affaires contestées par les parties, il n’y a de délai que le temps nécessaire pour aller chercher des témoins, s’il n’y a pas de preuves suffisantes.
Lorsque quelqu’un est en différent pour dette, convention ou autre chose semblable, le demandeur porte ses plaintes directement au dey, qui est visible à toute heure du jour, pour rendre la justice à ses sujets. La partie est citée & amenée sur le champ par un chaoux ; & il n’est guère d’usage de faire des écrits ; le débiteur est interrogé par le dey sur les circonstances de l’affaire en question. Si le débiteur nie la dette, le créditeur nomme les témoins, qu’on envoie chercher sur le champ, & dont on reçoit le témoignage, si ce sont des gens de bonne réputation, autrement ils ne sont point admis. Si la dette est prouvée, on distribue dans le moment quelques centaines de coups de bâton sous les pieds du débiteur, pour avoir menti, & il est condamné à payer le double. Si au contraire, le demandeur est convaincu d’imposture, c’est lui qui reçoit la bastonnade, & est obligé de payer à l’accusé, la somme qu’il lui a demandé. Cette sévérité est cause, qu’il est très rare qu’on mente devant le dey.
Si le débiteur avoue la dette, & qu’il prouve par des raisons bonnes & valables ou vraisemblables qu’il n’a pu l’acquitter à l’échéance, & qu’il a bonne volonté, le dey s’en contente, & lui demande combien il veut de temps pour payer la somme due, ce qui ne peut aller au-delà d’un mois. On lui accorde huit jours au-delà de sa demande ; mais s’il ne satisfait pas dans le temps, sur la première plainte du créancier, un chaoux reçoit l’ordre d’aller faire descendre dans la rue les meubles du débiteur, & les vend sur le champ à l’enchère jusqu’à la concurrence de la somme due, qu’il porte au créancier, sans aucun frais, de part ni d’autre, que ce qu’on veut donner au chaoux par gratification.
Si c’est un homme sans établissement, il est mis en prison jusqu’à l’entier paiement de la somme due a des intérêts, suivant le cours, sans aucune modération ni tempérament que celui que le créancier veut bien accorder, lequel étant satisfait va remercier le dey qui ordonne la liberté du prisonnier.
Il en est à peu près la même chose des autres différends. Il n’y a que les divorces & les contestations au sujet des héritages, dont la cause est toujours renvoyée au cadi, qui doit juger suivant la loi sans aucune interprétation, souverainement & sans appel. En ce dernier cas, il faut faire un inventaire des effets délaissés avec l’estimation ; & après avoir écouté les prétendants, il juge & fait leurs parts en même temps.
Pour ce qui regarde la justice criminelle, aucun turc, pour quelque crime que ce soit, ne peut-être châtié en public. Il est conduit à la maison de l’aga de la milice, où selon les ordres du dey & son crime, il est étranglé, châtié par la bastonnade, ou condamné à une amende pécuniaire. La sentence lui est prononcée par l’aga, & exécutée à l’instant.
Quant aux maures, juifs & chrétiens, sitôt que le coupable a paru devant le dey & en a été condamné à mort, on le conduit sur la muraille au-dessus de la porte de Babazoun, d’où il est jeté en bas avec une corde de laine au col, dont on a attaché un bout à un pieu planté à terre. Il y a des criminels qu’on précipite de la même muraille ; d’autres qu’on laisse tomber sur des crocs de fer, où ils restent jusqu’à ce qu’ils tombent en pièces. Ce sont ordinairement les voleurs de grand chemin, qu’on fait mourir par ce supplice.
Les juifs sont ordinairement brûlés vifs hors la porte de Babaloued, sur les moindres soupçons d’avoir agi, ou mal parlé contre le dey ou le gouvernement.
Lorsqu’un coupable ne mérite pas la mort, on lui donne sur le champ, le nombre de bastonnades auquel il est condamné, qui est depuis 30, jusqu’à 1200, sans qu’il puisse être retranché un seul coup de l’arrêt, & ils sont comptés exactement. Les voleurs sont punis sévèrement.
Le maure qui est surpris à voler la moindre bagatelle est mutilé sur le champ de sa main droite, & promené sur une bourrique, le visage tourné vers la queue, avec sa main pendue au col. Un chaoux maure le précède en criant, c’est ainsi qu’on punit les voleurs. Le marchand qui est surpris avoir de faux poids ou de fausses mesures, est puni de mort; ou par grâce spéciale, il se rachète par une somme considérable.
Toutes les affaires généralement, même celles qui regardent l’État, se décident de la même manière & sur le champ. Dans les affaires d’une grande conséquence seulement le dey propose l’affaire au Divan, & donne son avis en même temps, qui est toujours suivi. Il le fait seulement par politique, ou pour se disculper des évènements fâcheux qui pourraient arriver.
Les juifs ont leurs magistrats & leurs juges, qui rendent la justice selon leur loi, lorsque le dey leur renvoie les affaires des gens de leur nation, ce qui arrive souvent ; mais les parties qui se croient lésées, peuvent en appeler au dey.
Les chrétiens libres & de même nation sont jugés par leur consul, sans que le dey puisse prendre aucune connaissance de ce qui les regarde. Il prête au contraire son autorité pour l’exécution des jugements des consuls. Mais si un chrétien a un différend avec un turc, un arabe ou un maure, c’est le dey qui les juge, en présence du consul qu’il fait toujours appeler pour défendre la cause du chrétien. Quelquefois, lorsqu’un consul est connu pour être entendu & équitable, le dey lui renvoie les affaires entre les chrétiens & les maures ou les juifs, qu’il laisse à sa décision.
La garde de la ville est confiée à la nation des Biscaras dont on a parlé precedemment. Cette nation a un émir ou chef qui répond d’eux, & paye le tribut annuel au dey, qu’il répartit entre les biscaras. Tous les soirs il les distribue dans les rues où ils couchent devant les magasins ou boutiques des marchands, sur de petits matelas, des nattes ou sur le pavé, selon leur moyen, pour garantir ces magasins & boutiques des voleurs, dont les tentatives sont inutiles, tant que les biscaras veulent faire leur devoir, les uns veillant pendant que les autres dorment. Si un magasin ou une boutique est volé ils en répondent, payent le dommage, & sont châtiés sévèrement. Ces sortes de cas n’arrivent presque jamais, mais lorsque pareille chose arrive, celui qui a été volé porte sa plainte au dey, & expose le dommage qu’on lui a fait. Le dey envoie chercher en même temps l’émir des biskaras, qui a ordre de faire venir ceux de sa nation, qui étaient de garde devant la boutique volée. Après qu’ils ont été interrogés, & convaincus d’intelligence avec les voleurs, n’étant pas possible que cela soit autrement, ils sont envoyés à Babazoun pour y être pendus, & la nation est condamnée à réparer tout le dommage. L’émir est obligé de payer sur le champ, & en fait après la répartition par tête, pour s’en faire rembourser.
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