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Quand on aime on ne compte pas.
Sans mesure, c'est bien la seule façon d'aimer, avec ou sans gloire.
"Je comprends ici ce qu'on appelle gloire,
le droit d'aimer sans mesure."
Stèle Albert Camus, Tipaza
Tipaza, Algérie : stèle en mémoire des " Noces à Tipaza " d'Albert Camus, essai écrit en 1939, sur laquelle est inscrit un extrait :
« Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. Albert Camus ».
En arrière plan, le Mont Chenoua.
Il y a au bout de tout, sur une hauteur du haut de laquelle la vue est fantastique, un pilier. Ce pilier n’appartient pas à une villa romaine, à la basilique chrétienne ou au forum. Il est isolé, seul. Comme une colonne commémorative. Mais il est tout simple, sans fioriture aucune. Et c’est un pilier, pas une colonne, de par son plan rectangulaire. On nous dira que ce type d’objet a un nom connu de tous, stèle.
Sur la stèle, on peut déchiffrer des inscriptions gravées dans la pierre et que le vent finira un jour par effacer. L’inscription est en français : «Je comprends ce qu’on appelle gloire. le droit d’aimer sans mesure. Albert Camus»
« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillon dans les amas de pierre. »
A l’endroit où Camus aimait se tenir, une stèle toute simple lui rend un vibrant hommage.
Au printemps ,Tipasa est habité par les dieux […]
Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à
tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde !
Enfoncé parmis les odeurs sauvages et les concerts d’insectes
somnolents, j’ouvre les yeux et mon coeur à la grandeur insoutenable de
ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on
est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l’échine solide
du Chenoua, mon coeur se calmait d’une étrange certitude. J’apprenais à
respirer, je m’intégrais et je m’accomplissais […]
Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure. Il n’y a qu’un seul amour dans ce monde.
Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer.
Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire
entrer leur parfum dans le corps, j’aurai conscience, contre tous les
préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi
celle de ma mort […]
J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition humaine.
Albert Camus a aimé Tipaza
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Camus, dans un de ses textes " scolaires ", Noces à Tipasa, qu'il écrivit en juillet 1937, à la suite d'une journée passée avec la sensuelle Christiane Galindo, une jeune Oranaise, qui aimait se mettre nue au soleil (cf. Albert Camus, Herbert Lottman, p. 139 et p. 153) consacre quelques lignes généreuses au village-jardin de Tipasa : " partout des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas, dans les jardins des hibiscus au rouge pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus "; dans le parc " arrangé en jardin au bord de la route nationale " des grenadiers, du romarin; le village entier a " ses murs blancs et roses et vérandas vertes " tandis que " l'autobus est couleur de bouton d'or " et que " les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale " .
"A midi sur les pentes à demi sableuses et couvertes d'héliotropes comme d'une écume qu'auraient laissée en se retirant les vagues furieuses des derniers jours, je regardais la mer qui, à cette heure, se soulevait à peine d'une mouvement épuisé et je rassasiais les deux soifs qu'on ne peut tromper longtemps sans que l'être se dessèche, je veus dire aimer et admirer. Car il y a seulement de la malchance à n'être pas aimé : il y a du malheur à ne point aimer. Nous tous, aujourd'hui, mourons de ce malheur. C'est que le sang, les haines décharnent le cœur lui-même; la longue revendication de la justice épuise l'amour qui pourtant lui a donné naissance. Dans la clameur où nous vivons, l'amour est impossible et la justice ne suffit pas. C'est pourquoi l'Europe hait le jour et ne sait qu'opposer l'injustice à elle-même.
Mais pour empêcher que la justice se racornisse, beau fruit orange qui ne contient qu'une pulpe amère et sèche, je redécouvrais à Tipasa qu'il fallait garder intactes en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l'injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise. Je retrouvais ici l'ancienne beauté, un ciel jeune, et je mesurais ma chance, comprenant enfin que dans les pires années de notre folie le souvenir de ce ciel m'avait empêché de désespérer. J'avais toujours su que les ruines de Tipasa étaient plus jeunes que nos chantiers ou nos décombres. Le monde y recommençait tous les jours dans une lumière toujours neuve. O lumière! C'est le cri de tous les personnages placés, dans le drame antique, devant leur destin. Ce recours dernier était aussi le nôtre et je le savais maintenant. Au milieu de l'hiver, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un été invincible."
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Camus :
"A
présent du moins, l'incessante éclosion des vagues sur le sable me
parvenait à travers tout un espace où dansait un pollen doré. Mer,
campagne, silence, parfums de cette terre, je m'emplissais d'une vie
odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de
sentir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres."
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