Louisette IGHILAHIRIZ(Militante Nationaliste), auteure de l’ouvrage avec Anne Nivat, « Algérienne », Editions Calman-Levy, 2001.
Henri POUILLOT (Militant Anticolonialiste-Antiraciste) « La Villa Sesini », Editions Tirésias, 2001.
Olivier LE COUR GRAND MAISON (Universitaire français), auteur de l’ouvrage « Ennemis mortels. Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, Editions La Découverte, 2019.
Seddik LARKECHE (intellectuel franco algérien), auteur de l’ouvrage, auteur de l’ouvrage « Le Poison français, lettre à Mr Le Président de la République », Editions Ena, 2017.
1. La reconnaissance de la responsabilité unilatérale de la France coloniale en Algérie.
La France est aujourd’hui à la croisée des chemins avec la question de savoir si elle sera capable de passer un pallier dans la gestion apaisée de ses démons mémoriels en particulier celui avec l’Algérie qui fut une des guerres les plus tragiques du 20e siècle. La problématique centrale n’est pas la repentance, les excuses ou le ni niavec une reconnaissance générique mais la question de la reconnaissance de la responsabilité française en Algérie, notion juridique, politique et philosophique.
Cette question de la responsabilité unilatérale de la France colonialeest centrale au même titre que la déclaration du Président Chirac en 1995 sur la responsabilité de l’Etat Français concernant la déportation des juifs durant la seconde guerre mondiale. Cette reconnaissance qui ouvra la voie à l’indemnisation de ces victimes.
La barbarie coloniale française en Algérie ne peut être édulcorée par quelques rapports fantasmés d’auteurs qui flirtent avec les pouvoirs politiques de droite comme de gauche depuis 40 ans. La question des massacres, crimes et autres dommages impose inéluctablement une dette incompressible de la France vis à vis de l’Algérie.
La stratégie développéedepuis toujours est de faire table rase du passé, une offense à la dignité des algériens. Cette responsabilité est impérative car elle peut sauver l’âme de la France qui est fracturée par ses démons du passé.
La reconnaissance de la responsabilité c’est admettre que la France s’est mal comportée en Algérie et qu’elle a créé de nombreux dommages avec des centaines de milliers de victimes et des dégâts écologiques incommensurables avec ses nombreuses expériences nucléaires et chimiques.
Que s’est-il réellement passé en Algérie durant près de cent-trente-deux années d’occupation ? La colonisation et la guerre d’Algérie sont considérées et classées comme les événements les plus terribles et les plus effroyables du XIXe et XXe siècle. La révolution algérienne est aussi caractérisée comme l’une des plus emblématiques, celle d’un peuple contre un autre pour recouvrer son indépendance avec des millions de victimes.
L’ignominie française en Algérie se traduit par les massacres qui se sont étalés sur près de cent-trente années, avec une évolution passant des enfumades au moment de la conquête, aux massacres successifs de villages entiers comme Beni Oudjehane, pour aller vers les crimes contre l’Humanité du 8 mai 45 sans oublier les attentats tels celui de la rue de Thèbes à Alger. La violence était inouïe à l’encontre des indigènes algériens. Entre 600 et 800 villages ont été détruits au napalm. L’utilisation par la France des gaz sarin et vx était courante en Algérie.La torture à grande échelle et les exécutions sommaires étaient très proches des pratiques nazies.
La France sait qu’elle a perdu son âme en Algérie en impliquant son armée dans les plus sales besognes. Ces militaires devaient terroriser pour que ces indigènes ne puissent à jamais relever la tête. Plus ils massacraient, plus ils avaient de chance de gravir les échelons.
La colonisation, c’est aussi la dépossession des Algériens de leurs terres où ces indigènes sont devenus étrangers sur leurs propres terres.
Le poison racisme est le socle fondateur de tout colonialisme. Sous couvert d’une mission civilisatrice, le colonisateur s’octroie par la force et en bonne conscience le droit de massacrer, torturer et spolier les territoires des colonisés. La colonisation française de l’Algérie a reposé sur l’exploitation de tout un peuple, les Algériens, considérés comme des êtres inférieurs de par leur religion, l’islam.
Il suffit de relire les illustres personnages français, Jules Ferry, Jean Jaurès, Léon Blum et tous les autres que l’on nous vante souvent dans les manuels scolaires.
La résistance algérienne sera continue, de 1830 jusqu’à l’Indépendance en 1962, même si de longues périodes d’étouffement, de plusieurs années, seront observées. Sans excès, on peut affirmer que la colonisation a abouti à un développement du racisme sans précédent et nourri la rancœur des colonisés.
Etrangement, plus on martyrisait la population algérienne, plus sa ténacité à devenir libre était grande. Sur le papier, l’Algérie était condamnée à capituler devant la cinquième puissance mondiale. Le bilan tragique n’a pas empêché les Algériens de gagner cette guerre d’indépendance avec une étrange dialectique. Les enfants des ex colonisés deviendront français par le droit du sol et continueront d’hanter la mémoire collective française.
On tente aujourd’hui de manipuler l’Histoire avec un déni d’une rare violence en continuant de présenter cette colonisation comme une œuvre positive, un monde de contact où les populations se mélangeaient et les victimes étaient symétriques. Une supercherie grossière pour ne pas assumer ses responsabilités historiques.
Colons et colonisés n’étaient pas sur un pied d’égalité, il y avait une puissance coloniale et des européens et de l’autre coté des indigènes avec des victimes principalement du côté des colonisés algériens. Cette population indigène a été décimé de 1830 à 1962 faisant des centaines de milliers de victimes, morts, torturées, violées, déplacées, spoliées et clochardisées, devenant des sujets sur leurs propres terres. Cette réalité est indiscutable et vouloir la noyer par quelques rapports dans un traitement symétrique c’est prolonger une nouvelle forme de déni et de domination sous couvert de paternalisme inacceptable.
Le monde fantasmé du Professeur Stora est une insulte à la réalité historique, d’autant plus grave qu’il la connaît parfaitement. Son rapport répond à un objectif politique qu’il a bien voulu réaliser pour des raisons étranges mais certaines : édulcorer les responsabilitésavec un entre deux savamment orchestré laissant supposer l’égalité de traitement des protagonistes pour neutraliser la reconnaissance de la responsabilité unilatérale de la France coloniale en Algérie. Le rapport est mort né car il n’a pas su répondre aux véritables enjeux de la responsabilité de la France coloniale en Algérie. Le jeu d’équilibriste pour endormir les algériens n’a pas pu s’opérer car les consciences des deux côtés de la méditerranée sont alertes. Personne n’est dupe sauf ceux qui ne veulent pas assumer les démons de la barbarie coloniale française en Algérie.
2. La France face à son démon colonial où le syndrome de l’ardoise magique.
Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, la France a déployé une batterie de stratagèmes pour ne pas être inquiété sur son passé colonial. La France sait précisément ce qu’elle a commis durant 132 années comme crimes, viols, tortures, famine des populations et autres.Pour se prémunir contre tous risques de poursuites, elle a exigé aux algériens d’approuver une clause d’amnistie lors du cessez le feu. D’autres lois d’amnisties furent promulguées par la suite pour tenter d’effacer toute trace de cette barbarie coloniale. La suffisance de certains est allée jusqu’a obtenir la promulgation d’une loi en 2005 vantant les mérites de la colonisation française en Algérie. Ultime insulte aux victimes algériennes qu’on torturait symboliquement à nouveau.
3. Pourquoi la Francea peur de reconnaître ses responsabilités.
Reconnaître les responsabilitésdes crimes et dommages coloniaux c’est inéluctablement accepter l’idée d’une réparation politique et financière ce que la France ne peut admettre aujourd’hui face à une certaine opinion pro Algérie française encore vivace sur ce sujet.
Mais c’est aussi accepter de revoir la nature de la relation franco algérienne ou la rente permet toujours à la France de préserver sa position monopolistique sur ce marché qui est toujours sa chasse gardée.
C’est bien sûr également la peur de perdre une seconde fois l’Algérie française mythifiée, celle du monde du contact largement développée dans le rapport Stora.
Enfin,la crainte de devoir rendre des comptes d’une manière singulière aux enfants de colonisés qui constituent le principal des populations habitant les banlieues populaires françaises où le poison racisme est omniprésent. Il suffit de lire le dernier rapport du Défenseur des droits sur les discriminations pour s’en convaincre.
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Ces dernières années, un nouveau palier s’est opéré avec l’idée que ces citoyens musulmans où les algériens sont majoritaires, sont devenus en France les ennemis de la République car ils sont souvent accusés d’être les nouveaux porteurs de l’antisémitisme français. Aujourd’hui, la majorité de cette population subit une triple peine. La première est d’être souvent considérée comme étranger dans le regard de l’autre, car enfant de la colonisation, enfants de parents qui se sont battus pour ne pas être français.
Ensuite, le fait d’être musulman dans la cité française se confronte à l’image séculaire de cette religion qui est maltraitée depuis au moins mille ans.
Enfin, cette population est suspectée d’être porteuse du nouvel antisémitisme français car solidaire du peuple palestinien. Ces palestiniens qui sont aujourd’hui parmi les derniers colonisés de la planète. Les Algériens ont connu la même colonisation et sont unis à jamais à ce peuple opprimé par un lien indicible qui s’exprime dans les tripes et le cœur. Entre Algériens et Palestiniens demeure une identité commune avec un combat similaire contre la colonisation. Dans une continuité idéologique, la France est depuis toujours l’un des plus fervents défenseurs de l’État d’Israël. En Algérie, le peuple dans sa grande majorité est palestinien de cœur car ce que subissent les Palestiniens dans le présent, il l’a subi dans le passé par la puissance coloniale française. Ce lien fraternel est aussi visible dans la diaspora algérienne qui est presque toujours pro-palestinienne, sans forcément connaître l’origine de ce lien profond.
Ce sont ces constituants qui enferment cette population comme les supposés porteurs du nouvel antisémitisme, faisant d’elle, la cible privilégiée du poison français alors que l’on aurait pu croire que le système les en aurait protégés un peu plus du fait d’un racisme démultiplié à leur encontre.Les musulmans où les algériens sont majoritaires sontsilencieux comme s’ils avaient été frappés par la foudre. Ils sont perdus dans cette société française, égaux en droit et rejetés dans les faits par un racisme structurel aggravé par une mémoire non apaisée.
À quelques très rares exceptions, les intellectuels et relais d’opinion abondent dans le sens du vent assimilationniste. Ils espèrent en tirer profit et acceptent d’être utilisés comme des « Arabes de service » faisant le sale boulot en s’acharnant à être « plus blanc que blanc ». Leurs missions sont de vanter à outrance le système assimilationniste ou le déni de mémoire est fortement présent. Ces partisans du modèle assimilationniste savent au fond d’eux-mêmes qu’ils ont vendu leurs âmes en étant du côté de l’amnésie imposée du plus fort. Leur réveil se fait souvent douloureusement lorsqu’on les relève de leur poste en politique ou dans les sphères où ils avaient été placés en tant que porte-drapeaux du modèle assimilationniste. Ils se retrouvent soudainement animés par un nouvel élan de solidarité envers leur communauté d’origine, ou perdus dans les limbes de la République qui les renvoie à leur triste condition de « musulmans » où d’enfants d »indigènes ».
La faiblesse de cette population toujours en quête d’identité et de mémoire apaisée est peut être liée à l’absence d’intellectuels capables de les éclairer pour réveiller un peu leur conscience et leur courage face à une bien-pensance très active en particulier sur ces questions mémorielles.
4. L’inéluctable réparation des crimes et dommages de la colonisation française en Algérie.
La France, via son Conseil Constitutionnel, a évolué dans sa décision n° 2017-690 QPC du 8 février 2018, en reconnaissant une égalité de traitement des victimes de la guerre d’Algérie permettant le droit à pension aux victimes civiles algériennes. Nous nous en félicitons mais la mise en œuvre a été détournée par des subterfuges juridiques rendant forclos quasi toutes les demandes des victimes algériennes. Comme si la France faisait un pas en avant et deux en arrière car elle ne savait pas affronter courageusement les démons de son passé colonial, pour apaiser les mémoires qui continuent de saigner.
Il ne peut y avoir une reconnaissance des crimes contre l’humanité commis en Algérie par la France et dans le même temps tourner le dos aux réparations des préjudices subis y compris sur le plan environnemental. La première marche du chemin de la réparation financière c’est de nettoyer les nombreux sites nucléaires et chimiques pollués par la France en Algérie ainsi que les nombreuses victimes comme le confirme l’observatoire de l’Armement. C’est une question de droit et de justice universelle car tout dommage ouvre droit à réparation lorsqu’il est certain, ce qui est le cas en Algérie. Sauf si on considère la colonisation française en Algérie comme une œuvre positive comme la France tente de le faire croire depuis la promulgation de la loi du 23 février 2005 qui est un outrage supplémentaire à la dignité des algériens.
La France ne peut échapper à cette réparation intégrale car sa responsabilité est pleinement engagée.D’une part c’est une question de dignitéet d’identité des algériens qui ne s’effacera jamais de la mémoire collective de cette nation.
C’est pourquoi les jeunes générations contrairement à l’espérance de certains ne cesseront d’interpeler la France et l’Algérie sur cette question mémorielle.
Sur la nature de cette réparation, la France devra suivre le chemin parcouru par les grandes nations démocratiques comme l’Italie qui, en 2008, a indemnisé la Lybie à hauteur de 3.4 milliards d’euros pour l’avoir colonisé de 1911 à 1942, mais aussi : l’Angleterre avec le Kenya, les Etats unis et le Canada avec les amérindiens ou encore l’Australie avec les aborigènes. L’Allemagne a accepté, depuis 2015, le principe de responsabilité et de réparation de ses crimes coloniaux avec les Namibiens mais butte sur le montant de l’indemnisation. Avec le risque pour l’Allemagne d’une action en justice devant la Cour Pénale Internationale du gouvernement Namibien, avec l’assistance d’un groupe d’avocats britanniques et la demande de 30 milliards de dollars de réparations pour le génocide des Ovahéréro et des Nama.
La France elle même s’est fait indemniser de l’occupation allemande durant la première et seconde guerre mondiale à hauteurs de plusieurs milliards d’euros d’aujourd’hui. Au même titre, l’Algérie indépendante doit pouvoir être réparée des crimes contre l’humanité et dommages qu’elle a subi de 1830 à 1962.
Cette dimension historique a un lien direct avec le présent car les évènements semblent se répéter, les banlieusards d’aujourd’hui sont en grande partie les fils des ex-colonisés. On continue à leur donner, sous une autre forme, des miettes avec comme point culminant cette nouvelle forme de discrimination,poison ou racisme invisible, matérialisé dans toutes les strates de la société.
L’Histoire ne doit pas se répéter dans l’hexagone, les miettes accordées ici et là sont révélatrices d’un malaise profond de la République française. En particulier, son incapacité à fédérer tous ses citoyens, poussant certains à la résignation, au retranchement et parfois aux extrémismes.
Paradoxalement, c’est le modèle français qui produit le communautarisme alors qu’il souhaite le combattre.
Comme un exercice contre-productif, il lui explose au visage car il ne sait pas comment l’aborder. C’est aussi ce modèle qui pousse un grand nombre de ces citoyens franco algériens à ne pas être fier d’être français. Cette révolution algérienne fait partie de l’Histoire de France à la fois comme un traumatisme à plus d’un titre, mais aussi comme un lien sensible entre les Français quelles que soient leurs origines. Le cœur de cette double lecture est lié à cette singularité algérienne qui n’a jamais démenti ses attaches à l’islam. Cet islam a été utilisé par la France comme porte d’entrée pour coloniser l’Algérie et soumettre sa population. Il a aussi donné la force à cette population algérienne de faire face au colonialisme français, comme porte de sortie de la soumission.
En France et ailleurs, cette religion semble interpeller les sociétés dans lesquelles elle s’exprime. A l’heure d’une promulgation d’une loi sur le séparatisme qui risque de stigmatiser un peu plus cette population musulmane ou les algériens sont nombreux, l’enlisement semble se perpétuer comme si l’apaisement des mémoires tant voulue était un peu plus affaibli car nous sommes toujours incapable d’expliquer à nos enfants le traitement différencié à l’égard des victimes de cette tragédie historique.
5. L’Algérie face à ses responsabilités historiques.
Le silence de l’Algérie est lourd car elle n’a pas su appréhender la question de sa mémoire d’une manière énergique et l’illégitimité de ses gouvernances successives a maintenu des revendications peu soutenues à l’égard de la France. Pire, les problématiques algériennes ont trop souvent, surfé sur cette fibre mémorielle pour occulter leurs inefficiences à gérer d’une manière performante le pays.Aujourd’hui, L’Algérie ne peut plus faire table rase du passé colonial français et se contenter de quelques mesurettes ou gestes symboliques. L’Algérie au nom de ses chouadas doit assumer une revendication intégrale, celle de la reconnaissance pleine et entière de la responsabilité des crimes et dommage de la colonisation en Algérie.
L’objectif de cette réparation n’est pas de diaboliser l’ex-puissance coloniale, mais au contraire de lui permettre de se réconcilier avec elle-même afin d’entrer définitivement dans une ère d’amitié et de partenariat. L’Algérie a laissé perdurer une approche minimaliste comme si elle était tenue par son ex puissance coloniale, tenu par le poison corruption qui la gangrènede l’intérieur et qui la fragilise dans son rapport avec la France. Comme si l’Algérie enfermée dans une position toujours timorée avait peur de franchir la ligne de l’officialisation de sa demande de réparation alors que la France l’avait faite de son coté en légiférant en 2005 sur les bienfaits de la colonisation française en Algérie. Aujourd’hui, au nom de la mémoire des chouadas, l’Algérie doit également assumer ses responsabilités historiques.
6. L’urgence d’agir.
Sur la question mémorielle, reconnaître la responsabilité de la France sur les crimes et les dommages coloniaux y compris écologiques et les réparer financièrement au même titre que les principales grandes puissances mondiales. Abroger la loi de 2005 sur les bienfaits de la colonisation, la loi Gayssot et la loi sur l’antisémitisme pour déboucher sur une seule loi générique contre tous les racismes permettant de rassembler au lieu de diviser. Nettoyer les sites pollués nucléaires et chimiques et indemniser les victimes. Restituer la totalité des archives algérienne. Signer un traité d’amitié avec l’Algérie et suppression des visas entre les deux pays.
« Je suis né français en Algérie, j’ai grandi au Maroc et poursuivi des études de photographie en Suisse, avant de travailler comme photographe de stars à Paris. Mais ce que je voulais vraiment, c’était être photojournaliste et les États-Unis me fascinaient.
À partir de 1965, et pendant plus de trente ans, j’ai sillonné les États-Unis pour documenter autant de sujets que possible sur la société américaine et capturer l’esprit de cette époque. Dans les années 1960, New York était une ville sale et dangereuse. J’ai fait des reportages approfondis sur la construction du World Trade Center, les gangs du Bronx et la violence de la 42e Rue. Ces années symbolisaient la liberté d’expression et c’était excitant d’être jeune. Le pays traversait de profonds changements et il semblait que tout le monde était dans la rue en train de protester. J’ai photographié la génération sex, drugs and rock n’roll, les hippies, la naissance du mouvement de libération des femmes et les astronautes d’Apollo XI revenant de la lune. C’était une période exaltante sur laquelle, cependant, planait l’ombre des crimes de la prison de Cummins Farm, les conditions inacceptables de la vie carcérale et l’utilisation de la chaise électrique. Il y aura également les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Dans les années 1970, le rêve américain semblait se désintégrer. La Statue de la Liberté fut prise en otage par des opposants à la guerre du Vietnam. Le New York Times publia les Documents du Pentagone qui révélèrent une décennie de mensonges sur cette même guerre. L’affaire du Watergate provoqua le départ de Nixon, les Américains n’avaient plus confiance en leur gouvernement. J’ai couvert la montée du mouvement noir américain et le Ku Klux Klan. Puis l’impensable est arrivé : pendant l’embargo sur le pétrole de 1973, les États-Unis manquèrent d’essence. Durant les années du président Carter, j’ai illustré la pauvreté dans son état, la Géorgie. L’esprit américain souffrait d’une baisse d’enthousiasme. Et pourtant la guerre du Vietnam était terminée et la jeunesse américaine allait enfin retrouver son optimisme et sa véritable expression à travers le mouvement hippie. Dans les années 1980, les Américains étaient prêt à un renouveau. Les baby boomers vieillissaient et voulaient tout avoir. J’ai été témoin du consumérisme à outrance et de l’exubérance des yuppies. L’ordinateur personnel était né, l’armée américaine autorisa finalement les femmes à la servir, la Statue de La Liberté subit un ravalement. Le président Reagan annonçait la promesse “d’une Amérique comme une cité brillante au sommet d’une montagne” et déclara que “le futur sera nôtre”. Alors que la cupidité nourrissait l’illusion d’un succès national, mes photos témoignaient aussi du déclin de l’industrie automobile et des fermes familiales, du sort des pauvres, des sans- abris, des vieux et des isolés sociaux. Difficile pour moi de voir que le pays allait mieux.
Lorsque je regarde, une à une, ces photos prises pendant ce quatre siècle, elles semblent au premier abord décrire un état de chaos, émeutes, protestations, désintégration et conflit. Mais prises dans leur ensemble, ces images montrent la naissance houleuse, parfois douloureuse, de l’Amérique du XXIe siècle — une nation où un président noir, des mariages homosexuels et des femmes chefs d’entreprises sont la norme plutôt que l’exception. Elles accomplissent ce que les photos font de mieux, figeant dans le temps des moments décisifs pour un examen futur. Elles forment un portrait personnel et historique d’un pays que j’ai toujours observé de manière critique, mais avec affection, et pour lequel j’ai une énorme reconnaissance. »
Il n'est pas nécessaire de présenter Pierre Laffont aux lecteurs qui ont suivi pendant huit ans le déroulement du drame algérien, en tout cas pas aux rapatriés d'Algérie - et singulièrement de l'Oranais - qui ont partagé son destin. Aux autres, rappelons qu'il représenta sa ville à l'Assemblée nationale de 1958 à 1961, et surtout qu'il dirigea jusqu'à sa nationalisation, en 1963, le quotidien le plus influent de l'Ouest algérien, l'Echo d'Oran.
D'origine " pied-noir ", profondément attaché à sa province oranaise, Pierre Laffont n'a cependant jamais été assimilé à ces féodaux de l'Algérie française décidés à défendre leurs privilèges par tous les moyens. Il était certes partisan de l'intégration, mais refusa toujours de cautionner la violence, d'où qu'elle vînt, et eût le mérite, surtout dans les derniers mois, de continuer à exprimer avec mesure des opinions que l'O.A.S. défendait déjà avec d'autres méthodes...
Mais s'il n'a pas cédé aux passions de l'époque et s'il a désapprouvé (tout en les comprenant) les excès de ses concitoyens, Pierre Laffont partage aujourd'hui pleinement la rancœur des rapatriés et des spoliés. Qu'il ait attendu six ans pour témoigner n'atténue en rien la sévérité des jugements qu'il porte sur la politique qui a abouti aux accords d'Evian, ou plutôt à ce qu'il en reste. Et son amertume est d'autant plus grande qu'il s'était engagé plus que d'autres - notamment en jouant le jeu de l'autodétermination (en préconisant, naturellement, la " francisation ", - en sorte qu'il s'est senti davantage trompé lorsque " l'Algérie française " est devenue " l'Algérie algérienne ", puis l'Algérie indépendante.
Pierre Laffont s'est sans doute estimé d'autant plus floué qu'il avait eu le rare privilège de recevoir à deux reprises des confidences du général de Gaulle. Il était peut-être prêt à admettre, en 1959, que " l'Algérie de papa (était) morte ". Mais l'entretien de la fin de 1960 (dont le texte vaut la peine d'être relu) ne pouvait lui laisser soupçonner que des négociations allaient s'engager sans tarder avec le F.L.N., et que " l'abandon " serait bientôt consommé.
A l’approche des 60 ans des accords d’Evian, le chef de l’Etat veut regarder avec « courage et lucidité » la guerre d’Algérie. Décryptage par Georges-Marc Benamou, qui travaille à une fresque sur ce conflit pour France Télévisions.
Quelles sont-elles ? Il convient de s’attaquer à tous les tabous ! A ceux de l’histoire française : les ravages de la première colonisation ; les promesses non tenues de la IIIe République ; la répression après l’émeute meurtrière de Sétif ; la guerre votée par la gauche et la torture couverte par ses ministres ; le mépris dans lequel ont été tenus les Européens d’Algérie par la classe politique ; ou encore l’abandon des harkis par de Gaulle. Comme aux tabous de l’histoire algérienne : une idéalisation du FLN au détriment des véritables pionniers (Ferhat Abbas ou Messali Hadj) ; une essence militaire de ce FLN (qui laisse des traces) ; la terrible guerre civile avec les messalistes, qui fera 10 000 morts ; et tant d’autres déchirements d’où sortiront vainqueurs les plus durs, les moins démocrates, comme le colonel Boumediene. Des zones d’ombres qu’il faut éclairer à distance des raisons d’Etat. Avec cette volonté de pacifier, de réconcilier.
Est-ce parce qu’Emmanuel Macron n’appartient pas à la génération de cette guerre qu’il peut s’en saisir ? Oui, probablement. Le travail de mémoire sur le “tabou Vichy” a occupé les années 1980-1990. Sans faire de parallèle entre les deux périodes, le temps de se pencher sur la guerre d’Algérie est venu. Mais le président prend un risque à l’approche de la présidentielle. A lui de réussir à dépasser les tensions mémorielles en trouvant une cohérence à sa démarche.
La France n’était pas l’Allemagne nazie. Elle n’a pas à présenter d’excuses. Elle doit affronter son histoire
Le gouvernement algérien est-il prêt ? Malheureusement, j’ai peu d’espoir. Pour les autorités algériennes, la mémoire de la guerre d’Algérie est le pilier du régime, la manière de légitimer son pouvoir. La France doit enclencher le mouvement, faire pression pour que la vérité soit dite et aider au renforcement des passerelles entre nos peuples – qui existent déjà avec les écrivains, les historiens...
La réconciliation peut-elle se faire sans repentance ? Il faut dénoncer le système colonialiste, qui était insoutenable et indéfendable, et, comme le propose Emmanuel Macron, “déplier toutes les pages” de cette histoire tragique et complexe. Mais la France n’était pas l’Allemagne nazie. Elle n’a pas à présenter d’excuses. Elle doit affronter son histoire, rechercher et assumer la vérité des faits et considérer toutes les souffrances : celle des nationalistes algériens, des harkis trahis, des pieds-noirs maltraités par la France, des milliers de disparus, sans oublier le peuple des appelés et les militaires… Qu’Alger fasse de même.
Quand l'Algérie me manque, je relis “Noces”, d’Albert Camus
Vous avez quitté l’Algérie en 1962, à 5 ans. Quel est votre rapport avec elle ? Lointain, étrange, en même temps si proche. Pour nombre de ceux qui y sont nés, c’est un pays qui était interdit. Quand il me manque, je relis “Noces”, d’Albert Camus. D’ailleurs, pour raconter cette guerre dans la vérité, dans l’humanité, il convient de chausser ses lunettes : Camus est un juste dans ce conflit. Il meurt deux ans avant les accords d’Evian, quand la véritable guerre s’embrase.
Quel sera le message de la fresque historique que vous écrivez avec Benjamin Stora ? Curieusement, nous nous connaissions peu. Nous nous sommes retrouvés sur cette volonté d’ouvrir tous les placards de l’Histoire et de porter un regard camusien pour comprendre cette forme de guerre civile qu’elle fut aussi : une histoire de combats, mais également d’amitié entre deux peuples.
Georges-Marc Benamou a écrit l’ouvrage « Un mensonge français. Retours sur la guerre d’Algérie » (éd. Robert Laffont).
Un rapport sur la mémoire de la colonisation et la guerre d'Algérie ! L'idée est vraiment originale, mais le contenu le sera-il autant ? Pas sûr ! Cela est d'autant plus vrai que les Algériens ne cherchent pas seulement des aveux de repentance de la part de l'ex-puissance coloniale sur son passé noir en Algérie, mais aussi leur propre autodétermination (à eux) dans le contexte survolté du Hirak. Ce Hirak-là s'est révélé comme la force agissante du peuple, sa porte-voix et l'écho véridique de ceux d'en bas comme on dit. C'est pourquoi, aujourd'hui, au vu des données réelles sur le terrain, l'exécutif du président Tebboune n'a ni la légitimité politique ni le poids diplomatique requis ni moins encore l'assentiment du petit-peuple pour négocier un dossier lourd comme celui de la mémoire, avec une ancienne puissance coloniale, au passé démocratique et institutionnel bien ancré. Si l'Algérie et la France partagent une mémoire commune de plus d'un siècle, celle-ci n'en reste pas moins une mémoire lourde, faite de déchirements, de souffrances, de deuils, d'enfumades, de tortures, de répressions, d'extermination systématique, bref, de tout ce qui constitue "ce patrimoine éthique de la douleur", pour emprunter un mot cher à la sociologue franco-tunisienne Sophie Bessis. D'où le devoir d'éviter "le solde de tout compte" mémoriel, en contrepartie du silence outre-mer sur les abus de pouvoir "autoritaire" d'Alger. Cela risquerait de creuser davantage le fossé entre les deux peuples "amis" en quête incessante de réconciliation. Mais pourquoi ai-je parlé de "solde de tout compte mémoriel" ? Tout simplement parce que le rapport de l'historien Benjamin Stora sur la mémoire, remis il y a quelques jours au président français Emmanuel Macron, ne saurait résumer à lui seul, et d'un seul trait de plume, un siècle et demi de colonisation. Certes, il contient autant d'étapes appréciables pour la rencontre des deux peuples, mais cela reste malheureusement en deçà de ce qui est attendu des Algériens, à savoir : une véritable réconciliation des mémoires, par la désignation du coupable et de la victime devant l'arbitre de l'histoire. Cela dit, il est difficile d'accepter de tourner la page, sans l'avoir bien lue auparavant !
Puis, un écueil de taille se présente du côté algérien : personne ne sait la part réelle prise par le conseiller à la présidence chargé des archives et de la mémoire nationale, Abdelmadjid Chikhi en l’occurrence, dans l'élaboration de ce rapport-là ? La partie française a-t-elle travaillé en collaboration avec celle de l'Algérie ? Ou a-t-elle imposé sa vision unilatérale, en raison de la faiblesse de cette dernière, politiquement parlant ? Ou, enfin, les deux parties ont établi, chacune, un rapport à part, lesquels pourraient déboucher dans les mois à venir sur un rapport de synthèse, de nature à servir de document-référence pour l'avenir ? La confusion entourant les circonstances de l'élaboration d'un tel rapport et la rapidité de son annonce par l'Elysée suscitent, il est vrai, des interrogations légitimes, voire des appréhensions de part et d'autre de la Méditerranée !
Emmanuel Macron, en difficulté dans les sondages d'opinion, sait parfaitement que, d'une part, "la carte algérienne" peut peser dans la prochaine échéance présidentielle en Hexagone (s'attirer la sympathie d'une grande partie de l'électorat de l'extrême droite et du courant "algérianiste" revanchard qui considère encore, dans son subconscient, que l'Algérie fait partie intégrante de la France). De l'autre, le locataire de l'Elysée n'est pas sans savoir que le pouvoir de Tebboune est vacillant, et l'équilibre clanique au sommet, bat de l'aile, surtout après le décès de l'ex-chef de l'Etat-Major Ahmed Gaïd Saleh, le parrain symbolique du président actuel. En fait, Paris lorgne du côté d'Alger qui lui sert d'appui "électoralo-économique" (l'enjeu des élections et le pétrole) quand celui-ci (Alger) le voit plutôt d'un œil sceptique (la peur d'ingérence ou d'immixtion dans ses affaires intérieures), et aussi comme un appui "sûr" dans le renforcement de son système autoritaire. Bref, l'éternelle "Françalgérie" semble être le dada des élites des deux rives, recroquevillées dans leurs réflexes passéistes, à mille lieues de la vraie réconciliation attendue par les masses d'en bas ! Toutes ces raisons-là ont retardé toute avancée dans un terrain mémoriel, dont tout porte à croire qu'il est à jamais miné. Il est évident qu'un dossier mémoriel aussi complexe, comme la colonisation en Algérie, a besoin pour être mené à terme dans de bonnes conditions, du temps, d'une bonne dose de courage politique, d'une coopération bilatérale accrue, de la quête minutieuse des archives, du retour sans hésitation aux sources et surtout de l'appui d'institutions démocratiques réellement représentatives des deux peuples en question. Hélas ! Force est de constater, du moins pour ce dernier point, que ce n'est pas le cas de l'Algérie, en particulier depuis le 22 février 2019, date du début du Hirak, ayant vu s'enclencher une contestation du pouvoir en place par une large majorité du peuple.
Ces considérations d'ordre factuel, ne peuvent voiler celles reliées à l'aspect historique lui-même de la question mémorielle. Nul besoin de revenir ici sur les séquelles post-traumatiques du colonialisme, que j'ai soulevés déjà dans un long article, paru il y a quelques années dans la presse algérienne. (1) Rien qu'à parler de la torture, par exemple, pendant cette horrible guerre d'Algérie, on se rendra compte que la tâche de le réconciliation "algéro-française" ou "franco-algérienne" n'est pas du tout facile. Dans un entretien au journal El-Watan en 2000, l'historien Jean-Claude Einuadi se livre à un constat sans ambages sur l'ex-puissance coloniale : "La responsabilité de l'Etat français, dit-il, était totalement engagée [...] et quand je dis l'Etat, je ne confonds pas l'Etat avec la France en tant que pays et en tant que nation, parce que la France, en tant que nation, est constituée d'opinions diverses, et au cours de ces années-là, il y eut ceux qui ont mis en oeuvre la torture et ceux qui l'ont dénoncée, il y a également ceux qui en ont été victimes." (2) Pour rappel, déjà à l'époque de la célèbre Bataille d'Alger, la pratique systématique de la torture n'a cessé de frapper d'infamie les institutions de la IVe République, puis plus tard après 1958, celles de la Ve République. Ainsi, devant la commission de la justice de l'Assemblée Nationale, un certain ministre de l'Intérieur du nom de François Mitterand (chantre de la démocratie "droit de l'hommiste" dans les années 1980-1990), aurait complètement nié la mise en oeuvre de cette machine funeste de la torture. Plein d'historiens pensent que Mitterand voulait occulter ce fait pour briguer le poste du Président de Conseil. D'autres officiels à l'instar de Michel Debré, Guy Mollet, Robert Lacoste, Maurice Bourgès Maunoury, ont observé la même attitude. "C'était le mensonge d'Etat, conclut J.-C. Einaudi. Les députés qui ont voté en 1956 les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, [alors président du Conseil (NDLR)], ont engagé leur responsabilité mais aussi celle de l'Etat français. Les militaires ont agi dans le cadre de pouvoirs spéciaux qui leur ont été donnés par le gouvernement qui lui-même, les avait reçus de l'Assemblée Nationale."
Rien à rajouter à cet épisode, doublement traumatisant, et pour les Algériens et pour certains Français d'Algérie, amis du FLN, à l'image de Maurice Audin, Henri Alleg, Fernand Yveton, etc. Ne parlons pas des aveux tardifs du général Paul Aussaress qui avait revendiqué haut et fort dans son ouvrage paru en 2001 (sans être aucunement inquiété par la justice de l'Etat français "démocratique"), avoir étranglé de ses propres mains vingt-cinq Algériens, après les avoir torturés, tué Larbi Ben M'Hidi (l'un des neuf historiques du FLN), et surtout, fait gravissime, défenestré l'avocat Ali Boumendjel après lui avoir fait subir les pires sévices ! (3) Ce fut cette situation lamentable qui a poussé le général Jacques Paris de La Bollardière, un des seuls braves à critiquer cette torture systématisée, à dire ce qui suit, en 1971 dans une interview au Nouvel Observateur : " Sur le plan moral, la torture me semblait inacceptable. Elle nous amène à nous comporter comme les Nazis" (4). Le Nazisme ! Voilà que tout est résumé ici à propos de cette "oeuvre infâme" de la colonisation que l'ex-président Nicolas Sarkozy voulait coûte que coûte glorifier dans son fameux discours de Dakar en 2007. Un discours d'une grande vacuité mémorielle où "le président moralisateur" s'est permis de traiter les peuples africains hors de l'histoire et s'est adonné volontiers à l'art de prestidigitation politicienne sur le dos de la mémoire, au sein de l'université qui portait le nom même de l'un des chantres de l'africanité "Cheikh Anta Diop" ! Pathétique !
Kamal Guerroua.
Notes de renvoi
1- Voir mon article "Quand les effets du colonialisme deviennent une gangrène", Le Quotidien d'Oran, 12 novembre 2015.
2- Jean Claude Einaudi, interview in El Watan 2000.
3- Paul Aussaress, Services spéciaux, Algérie 1955-1957 : Mon témoignage sur la torture, éditions Perrin, Paris, 2001.
4- Paris de La Bollardière, interview in Nouvel Obsevateur, 15 novembre 1971.
J’étais plus préparé qu’un autre en mars 1960 quand j’ai été incorporé directement à l’école militaire d’infanterie de Cherchell qui se trouve à environ 50 km à l’ouest d’Alger. Je dis plus préparé car je suis Pied-Noir, né à Alger de parents et de grands-parents tous nés en Algérie. Famille de Pieds-Noirs de la première heure, mes grands parents maternels Alsaciens, les Schnell sont arrivés en 1870 et ma grand mère Henriette est née à Blida en 1882. Mes grands parents paternels Pyrénéens les Laffont sont arrivés 10 ans plus tard et mon grand père Amédée est né à Philippeville en 1883. Quand ma grand mère maternelle est arrivée a Casablanca, le port n’existait pas et un marocain l’a portée de la felouque à la plage sur ses épaules. Quand à moi, si j’ai été élevé au Maroc où mes grands parents maternels avaient une ferme entre Casablanca et Rabat, j’étais balloté entre le Maroc et l’Algérie où j’ai passé les années de la seconde guerre mondiale. C’est ainsi que je parle l’arabe dialectal et que j’ai en moi un amour profond pour ces deux pays.
J’avais fait l’Ecole Photo des Arts et Métiers de Vevey (Vaud) en Suisse. Étant sursitaire et me trouvant près de Chambéry, j’ai profité du programme de la Préparation Militaire Supérieure qui m’était offert par le consulat de France à Lausanne. Je suis sorti major de cette PMS ce qui m’a valu d’être incorporé avec le grade d’Aspirant. Embarqué à Marseille, je suis arrivé à l’Ecole Militaire d’Infanterie de Cherchell (EMIC) le 3 mars 1960. Si j’arrive à l’école de Cherchell avec un Leica autour du cou je ne vais pas le porter souvent. Le premier parcours du combattant restera mémorable. Les marches de nuit sont interminables, les marches forcées, les “rallyes“, les “nomados“, sont des tas d’épreuves physiques qui vont se succéder pendant six mois pour faire de nous des officiers qui seront capables de faire 50km topos sur la carte soit plus de 100 kms par jour dans les montagnes, et les djebels. Nous trimbalions en permanence 25 kilos sur le dos comprenant un paquetage de vêtements secs, la toile de tente, une couverture, articles de toilette, et une ration. Nous portions le casque lourd, une arme et les “brelaches“ qui sont un arrimage réglementaire de bretelles au ceinturon pour supporter les munitions, les grenades, et la gourde. Sur le terrain de nuit comme de jour nous apprenions à faire des embuscades, etc.. Bref, nous apprenions notre future fonction d’officier en Algérie.
Le 14 juillet, comme l’exige la tradition militaire était l’occasion de montrer la promotion sortante dans les rues de Cherchell devant la population. L’officier de presse de l’école m’a demandé de faire des photos de ces cérémonies et de photographier l’Ecole, photos qui allèrent aux archives de l’EMIC. Nous avons eu la visite du général De Gaulle le 11 décembre 1960. J’apprenais à faire du reportage. Après avoir été maintenu six mois à l’EMIC comme officier de Presse, le 16 février 1961 j’arrivais à Mascara. J’allais me présenter au commandant du 158e bataillon d’infanteries du secteur de cette ville. C’était mon affectation finale en Algérie, j’y resterai jusqu’à ma démobilisation. Je prenais le commandement de la deuxième section qui était une harka basée à Dublineau, une bourgade de quelques habitants à 15km au nord. La question me fut posée : “Vous êtes Pied-Noir ? – Oui et tous mes parents sont nés en Algérie, et je vis chez ma mère au Maroc, à Casablanca.“
Ma harka comprenait des appelés : deux sergents, deux caporaux et un simple soldat comme radio. Le gros de ma troupe était constitué d’une quarantaine de harkis dont un sergent et deux caporaux qui parlaient assez bien le français. Ils comprenaient bien mon arabe et nous avons tout de suite eu de bons rapports. Notre harka occupait deux baraquements à la limite du village. J’avais pour chambre une pièce sans fenêtre qui avait du être un petit magasin. J’y trouvais un lit de camp et une armoire à glace qui me servit à faire un auto portrait pour envoyer plus tard à la famille.
Le terrain de la région était extrêmement accidentée et fait parti de la chaîne des Béni Chougranes qui n’est pas très haute mais est constituée de talwegs profonds et escarpés. Le sol est argileux, très dénudé sur les hauteurs à cause de l’érosion du à la déforestation. Une semaine plus tard, une jeep et un 4X4 de la gendarmerie vint me prendre, on mit une heure à monter par une route défoncée et souvent inexistante pour arriver au douar de M’Zaourat. Le chef du village avait été égorgé cette nuit là.
Toute la population 150 personnes environ dont un tiers d’enfants, était prostrée dans leurs mechtas. Ces pauvres gens étaient effondrés et apeurés, leur désolation et pauvreté étaient si évident. Après concertation de toutes les autorités, il fut décidé que je resterai à M’Zaourat pour y construire un poste faire acte de présence, surveiller et renforcer l’auto-défense dérisoire qui avait été mise en place trop sommairement. La tâche à accomplir était très grande, nous avions d’abord besoin d’une route. J’obtins des fonds pour embaucher les hommes de mon douar afin qu’ils participent aux travaux et en plus ils ramenaient de l’argent pour leurs familles. Pratiquement tous les hommes capables de travailler furent volontaires. Les travaux de la route durèrent plus d’un mois et les véhicules pouvaient monter facilement et par tous les temps au poste.
La légion m’envoya une section disciplinaire de Djenien Boureg qui était leur bagne aux portes du Sahara. Je dirigeais les travaux et les légionnaires savaient tout faire, vite et bien. Les murs des ruines furent relevés, les toits remis en place. Il y eu deux grandes pièces pour le logement des harkis, un petit foyer salle à manger pour mes sous-officiers et moi. Nous avons construit aussi l’obligatoire tour de garde qui dominait le poste et le village et il y avait tout en haut un harki de garde 24 heures sur 24. Le drapeau français flottait désormais sur la région.
J’ai su que le douar n’avait aucune ressource, en 1924 le cadastre était passé par là, et avait décidé que la route nationale passerait par la vallée pour rejoindre Mascara. Plus personne n’est revenu depuis pour s’occuper de cette petite population. La seule richesse était les crottes de leurs chèvres et de leurs moutons, ils les ramassaient à la main, en faisaient des tas, et quatre fois par ans, ils descendaient ce fumier à dos d’ânes pour le vendre aux colons qui cultivaient les orangers et les citronniers dans la vallée. Très touché par l’histoire des vieux qui n’arrivaient pas facilement à recevoir leur maigre pension de l’Etat, j’ai eu une initiative heureuse, j’ai fait embarquer dans notre GMC un matin à 7h la vingtaine de vieux qui pouvaient toucher de l’argent. Nous sommes arrivés à Mascara à l’ouverture de la poste, et j’ai supervisé les versements, à midi nous étions de retour au douar. Plus tard le vaguemestre payeur de la région, s’est enfin déplacé, et grâce à notre nouvelle route il est ensuite venu régulièrement tous les mois. Tout cela fut très apprécié par les villageois. Il y avait aussi la question sanitaire. Certains hommes et femmes et la plus part des enfants du village étaient chauves très jeunes à cause de la teigne, il y avait beaucoup de blessures infectées, et toutes sortes de maux d’oreilles, des yeux, et aussi des respirations sifflantes. J’ai fait venir le médecin militaire régulièrement et toutes les familles sont venues consulter le toubib. Ce fut un succès considérable, Le poste était terminé et les beaux jours arrivant, je redemandais l’aide de la Légion pour construire une petite école. Notre école manquait de tout, j’ai fait des démarches pour avoir des tables et des bancs et deux tableaux. Pour le reste, je suis allé acheter sur ma solde, et avec plaisir, à Oran, tout ce que j’ai pu trouver comme cahiers, crayons, papiers de toutes sortes, des craies, et beaucoup de livres d’images, de lettres et de chiffres, les cartes de géographie et de jolis posters montrant des scènes urbaines et rurales. On m’attribua un instituteur Corse, et tous les gamins du douar se ruèrent à l’école. Les populations dont j’avais la garde, n’ont jamais entendu parler des putschs ni de la situation politique qui se détériorait à Alger et encore moins du referendum. Le cessez-le-feu du 19 mars nous a tous surpris. Je ne saurais décrire la tragédie que fut pour moi l’ordre qui tomba à la radio : “Vous allez aujourd’hui abandonner le poste, le démanteler, et vous replier sur Josette Piton ce soir.“ Abandonner ce qu’on a fait, le détruire, amener le drapeau une dernière fois, et laisser ces pauvres gens livrés à eux mêmes me fut une épreuve terrible que je n’ai jamais oubliée. Juste avant mon départ le 21 mars il m’a fallu expliquer aux harkis leurs choix : soit ils étaient démobilisés avec une certaine somme d’argent et restaient en Algérie, soit il pouvaient venir en France mais seuls, ils ne pouvaient pas prendre un membre de leur famille avec eux. Un choix odieux, inacceptable et qui n’en était pas un. Mon cœur était lourd, je souffrais pour eux. Notre séparation fut brutale, le 22 mars je recevais l’ordre d’embarquer à Oran pour rentrer en métropole et rendre mon uniforme.
Le 30 juillet une lettre m’annonçait qu’ayant “créé une enclave de paix dans une région particulièrement difficile, par mon action auprès des populations, l’installation d’une école et d’un centre médico social, j’avais contribué à améliorer les conditions de vie de mon douar“… Je recevais pour cela la croix de la valeur militaire avec citation à l’ordre du régiment. Le 16 août 62 j’ai reçu une autre lettre disant que j’ai été nommé Lieutenant de réserve. Mon père rentrait d’Algérie à la même époque pour s’installer à Antibes et recommencer sa carrière à zéro. Il avait 60 ans. Je retournais au Maroc chez ma mère et commençais ma carrière de photographe. Je pense toujours à chacun de mes harkis.
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« Mon Algérie», co-écrit avec mon cousin Jean-Pierre Stora, est un hommage à nos parents arrachés du jour au lendemain à leur terre natale… C’était pour eux quelque chose de si douloureux qu’ils refusaient d’en parler et c’est un peu grâce à ce livre que j’ai compris ce qui s’était passé pour eux.
Je suis née moi aussi en Algérie mais j’ai quitté ce pays si tôt que j’ai toujours eu l’impression d’avoir raté un train, celui du bonheur. Mes parents y ont été si heureux !… Pour ma part, l’Algérie a juste eu le temps de m’inoculer le virus du rêve.
Dans « Mon Algérie« , nous avons recueilli les témoignages de 65 personnalités.
Tour à tour passionnés, rageurs, poétiques, évocateurs ou bouleversants, les témoignages de ces personnalités – célèbres ou anonymes – dressent le bilan sentimental et idéologique de ce que fut pour eux l’Algérie « d’avant », puis l’exil. Aux récits des aînés vient s’ajouter la parole des plus jeunes qui n’ont connu l’Algérie qu’à travers la culture familiale et les silences. On est surpris de la curiosité qui les anime.
Alger, la rue où je suis née.. Photo Jean-Pierre Stora
Une palette d’émotions, d’opinions et d’expériences qui contribue à éclairer avec pertinence cette page de l’Histoire brutalement tournée en 1962.
Parmi les personnalités qui s’expriment dans ce livre, citons : Karin Albou, Jean-Luc Allouche, Alexandre Arcady, Roland Bacri, Patrick Bruel, Jean-Claude Brialy, Marie Cardinal, Robert Castel, Edmond Charlot, Hélène Cixous, Jean Daniel, Jean-Pierre Elkabbach, Jacques Fieschi, Nicole Garcia, Louis Gardel, Guy Gilles, Edmond Jouhaud, Pierre Laffont, Enrico Macias, Daniel Mesguich, Jean-Noël Pancrazi, Jules Roy, Jacques Soustelle, Morgan Sportès, Geneviève de Ternant, Marthe Villalonga, Alain Vircondelet… et bien d’autres encore…
L’extrait :
Alger escaliers mogador Photo Jean-Pierre Stora
« Pendant bien des années, je pensais avoir oublié l’Algérie.. Mais elle agissait en moi de manière souterraine… Le chagrin, je l’ai eu beaucoup plus tard, en héritage. C’était celui de mon père qui a tant souffert de quitter cette terre. Il avait un petit commerce, une droguerie. Il aimait l’Algérie et les Algériens, mon père. Il voulait rester à Oran et y finir ses jours. Il disait : « On mettra des babouches mais on restera là ! » Mais mes parents n’ont pu s’y maintenir que deux ans après l’Indépendance : la vie devenait impossible… Moi, j’ai pris le bateau toute seule, à 15 ans, en Avril 1962 (…)
Le port d’Alger
C’est pendant la preparation de mon film “Le balcon sur la mer” que j’ai découvert à la première personne ce chagrin dont je vous parlais. Longtemps, je m’étais dit que c’était seulement celui de mon père..
J’ai tenté de communiquer à Jean Dujardin ma propre émotion pour qu’il puisse jouer le rôle. Je lui ai dit : voilà, c’est indéfinissable. C’est comme une déflagration, comme une enfance perdue qui vous revient. Ce n’est pas du chagrin et pourtant ce sont des larmes… On retrouve ce qui était perdu. Ca reste perdu, on le retrouve quand même, c’est ce paradoxe-là qui donne ce vertige, et je pense, les larmes… »
Dans l'Entretien de France 24, l’historien Benjamin Stora est revenu sur le rapport qu'il a remis au président Macron sur "les mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Il répond aux voix qui, en Algérie notamment, déplorent que le principe d'''excuses" ait été écarté de son travail. Pour le spécialiste de l'histoire algérienne, la "repentance" ou son refus enferment Paris et Alger dans une "polémique politique", qui les empêchent d'"affronter" pleinement leur douloureux passé mémoriel.
Benjamin Stora, qui a remis son rapport sur "les mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie" le 20 janvier au président Emmanuel Macron, affirme que la décision de présenter des excuses formelles de la France à l'Algérie est du domaine du "politique". Il appelle à plutôt se concentrer sur des "travaux pratiques" qui permettent de réconcilier les mémoires dans les deux pays. L'historien regrette les critiques émises à l'encontre de son rapport en Algérie et l'absence de réaction officielle d'Alger. Il appelle d'ailleurs le président algérien Abdelmadjdid Tebboune à s'exprimer afin d'enclencher une dynamique qui permette des avancées concrètes sur des sujets comme l'ouverture des archives, les disparus et l'éducation.
Selon lui, la reconnaissance par la France de l'assassinat de l'avocat nationaliste algérien Ali Boumendjel serait un geste fort, qui permettrait d'incarner les évéènements, comme lorsque Emmanuel Macron a admis la responsabilité de la France dans la mort du militant pro-FLN Maurice Audin. Benjamin Stora appelle également à plus d'efforts de la part des autorités françaises et algériennes pour identifier les victimes des essais nucléaires français dans le Sahara et éventuellement les indemniser, ajoutant que le même effort devrait être fait à propos de l'utilisation du napalm par l'armée française.
"La question n'est pas de rester dans les slogans politiques, repentance ou à bas la repentance, excuse ou pas excuse. Sinon, on reste dans la polémique politique".
L’historien Benjamin Stora revient sur le rapport qu'il a remis au président Macron sur "les mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie"
Après avoir tout essayé pour se maintenir en poste, Donald Trump s’est résolu à partir. Heureusement pour la démocratie, rares sont les perdants cloîtrés à ce point dans le ressentiment. Mais pour les chefs d’État, partir est toujours difficile : comment fait-on le deuil du pouvoir ? Peut-on se réinventer ou reste-t-on un éternel « ex » ?
Donald Trump a quitté le pouvoir comme il a gouverné : avec fracas. Son appel à marcher sur le Capitole, le 6 janvier 2021, restera dans les annales. Tout comme ses supporteurs – putschistes et clownesques à la fois – errant dans les couloirs du Congrès, appelant à « pendre Mike Pence », le vice-président, ou taguant sur les murs « Assassinez les médias ».
Une attaque en règle des institutions démocratiques… dans la ville même de George Washington, lui qui avait organisé la première passation de pouvoir démocratique de l’histoire. C’était en 1797. Autre époque, autres mœurs.
Le 6 janvier 2021, pendant quelques heures, la démocratie américaine a tutoyé l’abîme. Elle a finalement tenu, dotée de puissants garde-fous. L’épisode nous rappelle une réalité presque oubliée dans nos républiques bicentenaires : un candidat peut accéder au pouvoir par les urnes et, ensuite, en refuser le verdict.
« Assurer une transition apaisée est fondamental : cela permet la continuité de l’État malgré l’alternance politique »
Vincent Martigny, professeur de science politique
La démocratie, comme tous les régimes politiques, est bel et bien mortelle. « Le vote et le fait de rendre des comptes, donc de quitter le pouvoir, sont les deux expériences démocratiques fondatrices. Si l’un des deux fait défaut, on ne peut plus à proprement parler de démocratie », rappelle Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à la Sorbonne.
Si quitter le pouvoir suppose de partir en fin de mandat, savoir quitter le pouvoir requiert beaucoup plus. Et, notamment, d’admettre la régularité du scrutin, de concéder ouvertement sa défaite, de reconnaître une pleine et entière légitimité à son successeur… tout ce à quoi s’est refusé Donald Trump ces deux derniers mois.
« Assurer une transition apaisée et une passation de pouvoir sans accroc est fondamental : cela permet la continuité de l’État malgré l’alternance politique », indique Vincent Martigny, professeur de science politique à l’université de Nice et à l’École polytechnique. Quitter le pouvoir avec la manière ne relève donc pas que de l’élégance républicaine, encore moins du savoir-vivre : c’est l’essence même du processus démocratique.
Qui pouvait imaginer que Donald Trump, qui avait avalisé le scrutin de 2016 (après avoir néanmoins déjà dénoncé une « fraude massive » l’ayant empêché de remporter le vote populaire), torpillerait à ce point, quatre ans plus tard, le processus électoral ? Qui pouvait imaginer qu’il jouerait autant la meute (les affidés de QAnon, les Proud Boys, les suprémacistes blancs…) contre le peuple ?
Sa démagogie assumée, son art consommé des infox, ses diatribes incendiaires sur Twitter et sa façon d’ériger ses détracteurs en « ennemis du peuple » avaient alerté certains avant même sa prise de fonction. Barack Obama était de ceux-là.
« Nous ne sommes que des occupants temporaires de ce poste »
Barack Obama
Adressant en 2016, comme le veut la tradition, un courrier à son successeur pour son arrivée à la Maison-Blanche, le démocrate avait écrit à Donald Trump : « Nous ne sommes que des occupants temporaires de ce poste. Cela fait de nous des gardiens des institutions et des traditions démocratiques telles que l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la protection des droits civiques. (…) Quelles que soient les tensions politiques au jour le jour, il nous appartient de laisser ces instruments au moins aussi forts que dans l’état dans lequel nous les avons trouvés. » Des mots glaçants de prémonition.
Quitter le pouvoir n’est jamais aisé. Et plus encore lorsqu’on a occupé la fonction suprême. On préside aux destinées d’un pays et, du jour au lendemain, on appartient au passé. Exit la puissance, fini les honneurs, bienvenue chez les « ex ». Ex-président de la République, ex-chancelier, ex-premier ministre, ex-président du Conseil… Qu’importe le titre, votre place est désormais dans les livres d’histoire !
La plupart des sortants accusent pourtant le coup et font bonne figure. Conscients des enjeux, ils savent se hisser à la hauteur de l’événement. Certains veillent même, par quelques gestes symboliques, à asseoir la légitimité de leur successeur. Ainsi, George Bush père, sèchement battu par Bill Clinton en 1992, s’était montré magnanime dans la défaite.
S’adressant à son successeur dans le courrier qu’il lui a laissé pour sa prise de fonction, il écrivait ceci : « Votre succès est le succès de votre pays. (…) Je vous soutiens totalement. (…) Ne laissez pas les critiques vous décourager ou vous faire dévier de votre trajectoire. »
Le 8 mai 1995, François Mitterrand convie Jacques Chirac, élu la veille pour lui succéder, à la célébration du cinquantenaire de l’armistice de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, chaque président sortant a invité son successeurs à ces commémorations, en symbole de la transition pacifique du pouvoir. / RINDOFF-FIZET/BESTIMAGE
Des destins hors normes
Autres latitudes, autre geste. François Mitterrand marque les consciences, le 8 mai 1995, en invitant Jacques Chirac, élu la veille, à participer à ses côtés aux commémorations de la victoire des Alliés. À l’époque, quelques esprits chagrins avaient raillé leur complicité (surjouée, à leurs yeux), ratant par là même la force du symbole : deux hommes – et, à travers eux, deux camps – faisaient fi des querelles partisanes au nom de l’intérêt supérieur du pays. La tradition s’est d’ailleurs perpétuée depuis.
Gare, toutefois. Ces leçons de dignité peuvent cacher une fausse sérénité. Souvent, le départ a des allures de deuil. « Il y a un vrai travail psychique à engager », insiste le psychanalyste Roland Gori, auteur de La Nudité du pouvoir (Les Liens qui libèrent, 2018).
« Quitter le pouvoir fut douloureux pour tous les présidents de la Ve République »
Jean Garrigues, professeur d’histoire politique
Reprenant à son compte la théorie des « deux corps du roi », il l’applique à la figure présidentielle : « Le président est doté d’un corps personnel, physique, mais aussi d’un corps symbolique, politique, voire quasi mystique. Ces deux corps s’unissent en lui le temps de son mandat mais, au moment de partir, il lui faut faire le deuil du corps politique pour se replier sur son seul corps de mortel. Il y a là quelque chose de l’ordre de… l’amputation. C’est forcément violent. »
Sur le perron, au moment du départ, les sourires de façade masquent de vrais tourments. « Quitter le pouvoir fut douloureux pour tous les présidents de la Ve République », considère Jean Garrigues, professeur d’histoire politique à l’université d’Orléans, auteur des Perdants magnifiques (Tallandier, 2020).
Charles de Gaulle, l’orgueil blessé
À commencer par le premier d’entre eux, le général de Gaulle. Jouant son destin à quitte ou double au référendum du 27 avril 1969, il perd et quitte l’Élysée dans la foulée. La nuit même des résultats, il envoie un communiqué à l’AFP : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la Ve République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. » Deux lignes, pas une de plus. Plus laconique, on ne fait pas.
« Je ne suis plus concerné »
Général de Gaulle
« Je ne suis plus concerné », répète-t-il ensuite à ceux qui lui rendent visite à Colombey-les-Deux-Églises. Un détachement en guise d’armure. Car, derrière la bouderie somptueuse, l’homme est éprouvé, l’orgueil à jamais blessé. À sa mort l’année suivante, Yvonne, sa confidente de toujours, aura d’ailleurs ces mots devant la dépouille de son mari : « Il a tant souffert depuis deux ans… » (1).
Le 28 avril 1969, le général de Gaulle annonce sa démission au lendemain de<br/>la victoire du « non » au référendum sur la régionalisation et la réforme<br/>du Sénat. / Gamma/Keystone via Getty Images
Jacques Chirac, le sourire brisé
Ses successeurs tairont, eux aussi, la mélancolie de l’après-pouvoir. Elle affleure parfois dans leurs Mémoires. « Une formule de bon sens recommande de savoir quitter le pouvoir avant qu’il ne vous quitte’. (…) J’ai mis du temps à m’habituer à l’idée. (…) En fait, je ne crois pas m’y être réellement préparé », écrit Jacques Chirac dans les dernières pages des siens (voir ci-dessous).
« Savoir quitter le pouvoir avant qu’il ne vous quitte »
Jacques Chirac
Lui qui s’était si souvent répété en lorgnant sur l’Élysée « chaque pas est un but » quitte le palais présidentiel en mai 2007 le sourire brisé. Qu’il est loin ce jour de décembre 1994 quand il planifiait ses vieux jours avec Jean-Louis Debré : « Si je ne suis pas élu, on va ouvrir une agence de voyages. Tu vas la tenir et moi je vais voyager ! » Fini de blaguer, vingt ans plus tard, au moment de se mettre en retrait du pouvoir, absent aux autres et, certains jours, absent à lui-même.
François Hollande, la rude rupture
François Hollande ne s’épanche pas beaucoup plus sur son retrait. Mais, là encore, quelques lignes dans ses Mémoires (voir ci-dessous) trahissent la blessure que constitue son départ de l’Élysée et, plus encore, son choix de ne pas briguer de second mandat.
«D’un agenda surchargé à la page blanche, la rupture fut rude»
François Hollande
Revenant sur l’allocution dans laquelle il l’annonce aux Français, le socialiste précise qu’elle dure sept minutes et que ce sont là « sans doute les plus longues de (sa) vie ». Sur son retour à la vie civile, il dit sa difficulté à passer « d’un agenda surchargé » à « la page blanche » et finit par concéder : « la rupture fut rude ».
Le 14 mai 2017, François Hollande accueille Emmanuel Macron à l’Élysée pour la passation de pouvoir. / Denis Meyer/Hans Lucas
Valéry Giscard d’Estaing fut, au fond, le seul à assumer la douleur du départ. Et à dire combien son renvoi, en 1981, l’avait meurtri. Figé dans son geste d’adieu – un « Au revoir » se voulant simple mais qui, par ses accents tragiques, frisait le ridicule –, l’ancien président s’épancha à plusieurs reprises sur ses tourments d’après-défaite.
« Ce que je ressens n’est pas de l’humiliation, mais la frustration de l’œuvre inachevée. »
Valéry Giscard d’Estaing
« Ce que je ressens, ce n’est pas de l’humiliation mais quelque chose de plus sévère : la frustration de l’œuvre inachevée, écrit-il dans ses Mémoires (voir ci-dessous). J’en garderai une morsure d’une inguérissable nostalgie. » Revenu en politique, l’ancien président s’est longtemps rêvé en recours à droite. En vain. À chaque fois qu’une présidentielle approchait, ses espoirs de revanche s’éclipsaient.
Le 21 mai 1981, Valéry Giscard d’Estaing embrasse le drapeau brandi par la Garde nationale avant de quitter le palais présidentiel, où François Mitterrand lui succède après sept ans de mandat. / Rapho/Gamma
« Il faut une telle hybris, un tel narcissisme pour arriver jusqu’à la présidence qu’on ne peut pas bien vivre sa fin de mandat », affirme le chroniqueur Alain Duhamel. À l’entendre, la souffrance des « ex » serait à l’aune de leur ambition pour accéder au pouvoir suprême : démesurée.
En France comme ailleurs. On imagine l’amertume de Donald Trump après sa défaite en novembre, lui qui peut tweeter sans l’ombre d’un second degré : « Je ne suis pas intelligent, je suis un génie. » Céder sa place est toujours rude, mais sans doute l’est-ce plus encore lorsqu’on est doté d’un ego qu’aucun surmoi ne canalise.
« Tout le monde a son heure de gloire, mais certaines heures durent plus longtemps que d’autres »
Winston Churchill
La trace, fragile et éphémère, laissée dans l’Histoire ajoute encore à la frustration des sortants. Car, tous le savent, seule une poignée d’entre eux se fraie une place dans la mémoire collective. « Tout le monde a son heure de gloire, mais certaines heures durent plus longtemps que d’autres », s’amusait Winston Churchill, convaincu pour sa part d’avoir marqué le siècle. En France, le général de Gaulle pensait de même. « L’Histoire, c’est la rencontre d’une volonté et d’un événement », répétait l’homme du 18-Juin, en parlant de lui…
François Mitterrand
Voilà pour les destins hors norme. Mais quid de tous les autres ? La plupart des dirigeants ne croient pas à leur postérité. Ou feignent, par coquetterie peut-être, de ne pas y croire… C’était le cas de François Mitterrand.
« On se souvient tout juste de Toutankhamon. Que dira-t-on de moi dans quelques milliers d’années ?
François Mitterrand
Obsédé par l’idée de laisser sa trace dans l’Histoire, et ayant tenté de « griffer le temps » avec ses grands travaux, le socialiste n’en déclarait pas moins en avril 1995, à la veille de son départ : « On se souvient tout juste de Toutankhamon. Que dira-t-on même du général de Gaulle, de Pompidou, de Giscard, de moi et du prochain dans quelques milliers d’années ? »
Voilà qui rappelle Marguerite Yourcenar, sondeuse géniale des états d’âme de l’empereur romain Hadrien (2), qui définissait la postérité ainsi : des « siècles de gloire » précédant des « millénaires d’oubli ».
Faire son deuil du pouvoir est d’autant plus douloureux que chacun aurait souhaité faire plus, mieux, plus vite. « La marge d’action des politiques devient de plus en plus étroite du fait de la mondialisation et de l’hégémonie du marché, analyse Alain Duhamel. On assiste à une forme de dépossession du politique : les ressorts du pouvoir se brisent les uns après les autres et les hommes de gouvernement ont parfois le sentiment de n’être que des figurants. »
En 2020, François Hollande et Nicolas Sarkozy participent aux commémorations du 8 mai dans un format très restreint, en raison de la crise du coronavirus. / Jean-Claude Coutausse/Divergence
Rester en poste le plus longtemps possible
Grisés par la puissance au départ, tous ensuite se cognent au réel : le temps file, les réformes achoppent, l’impopularité gagne. D’où l’envie de la plupart d’entre eux de se maintenir en poste. Qu’importe l’âge ou la maladie !
Illustrations. À son retour en 1958, le général de Gaulle est presque septuagénaire. Il n’hésite d’ailleurs pas à jouer de son âge : « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? »
De l’autre côté de la Manche, Winston Churchill a 77 ans lors de son come-back au 10 Downing Street, en 1951. Le président Pompidou est emporté par la maladie alors qu’il était en fonction, à l’instar de Franklin Roosevelt, décédé en poste après avoir été élu quatre fois à la tête des États-Unis. Une réforme, votée en 1947, limitera ensuite à deux le nombre de mandats présidentiels outre-Atlantique.
Tous les présidents américains ou presque se représenteront à l’issue de leur premier mandat, non sans succès (Eisenhower, Nixon, Reagan, Clinton, Bush Jr., Obama). Qu’on ne s’y trompe pas, rester en poste le plus longtemps possible n’est pas une manie propre aux régimes présidentiels.
Les grandes démocraties parlementaires n’échappent pas à la règle, comme en témoigne la longévité de Margaret Thatcher à la tête de l’Angleterre, les reconductions successives de Helmut Kohl ou d’Angela Merkel à la tête de l’Allemagne, ou encore les allers-retours successifs de Silvio Berlusconi au Palais Chigi…
« Pour certains, l’exercice du pouvoir relève quasiment de la raison d’être »
Jean Garrigues
Certains tentent un retour, mais en vain. Comme Nicolas Sarkozy, candidat malheureux des primaires de la droite en 2016. Son souhait de revenir aux affaires avait surpris jusque dans son propre camp, lui qui affirmait, les yeux dans les yeux, à Jean-Jacques Bourdin lors de la campagne présidentielle de 2012 : « Si je perds, j’arrête la politique. »
Peut-être, sur le coup, était-il sincère ? Présider aux destinées d’un pays est un immense honneur mais l’âpreté de la tâche, le poids des responsabilités, la solitude de celui qui a le dernier mot peuvent aussi, certains jours, relever du fardeau. Nicolas Sarkozy, alors président, s’en était d’ailleurs confié à Charles Jaigu, journaliste au Figaro, en 2010 : « Aujourd’hui, mon travail me passionne, mais cette vie ne me plaît pas. »
Pourquoi revenir alors ? « Parce que, pour certains, l’exercice du pouvoir relève quasiment de la raison d’être », décrypte Jean Garrigues. Peut-être y avait-il de cela chez Nicolas Sarkozy, lui qui avoue sans fard être « tenaillé » par l’ambition présidentielle depuis l’adolescence (3). « On peut voir, chez tous ces politiques attachés au pouvoir, une question d’ego, bien sûr. Mais il n’y a pas que cela : derrière cette ambition, il y a aussi la volonté d’aller jusqu’au bout d’un projet politique », nuance l’universitaire.
Jimmy Carter assiste comme observateur aux élections générales au Liberia, en octobre 2005. Depuis la fin de son mandat, l’ancien président des états-Unis milite pour la paix et les droits de l’homme au sein de son ONG, le Carter Center. / Chris Hondros/Getty Images
Ceux qui passent le cap
D’autres passent sans difficulté le cap de l’après-pouvoir. En intégrant, par exemple, les instances internationales : ce fut le cas de Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique nommé ensuite émissaire du Quartet pour le Moyen-Orient, ou de son successeur, Gordon Brown, qui a depuis rejoint le Forum économique mondial.
Certains se reconvertissent plutôt dans le privé, comme les ex-chanceliers allemands Helmut Schmidt (devenu rédacteur en chef de l’hebdomadaire Die Zeit) ou Gerhard Schröder (recruté par le géant russe Gazprom).
La plupart de ces « ex » donnent des conférences aux quatre coins du globe, faisant fructifier leur carnet d’adresses. Au risque d’alimenter la polémique, comme ce fut le cas de l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso, recruté par la banque Goldman Sachs et soupçonné ensuite de faire du lobbying… auprès de l’Union européenne.
Le rajeunissement de la classe politique devrait banaliser encore ce type de reconversion. Emmanuel Macron, dépeint un temps comme un météore politique pour avoir accédé à l’Élysée à 39 ans, est désormais entouré de quadras en Europe.
Le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a 35 ans. Son alter ego danoise, Mette Frederiksen, vient de fêter ses 42 ans. La première ministre finlandaise, Sanna Marin, a tout juste 35 ans. Leur homologue belge, Alexander De Croo, a 45 ans. Jacinda Ardern, à la tête de la Nouvelle-Zélande, vient de passer le cap de la quarantaine.
« Cette génération a accédé aux responsabilités en sachant pertinemment qu’elle se reconvertirait un jour », note Vincent Martigny, professeur de science politique à l’école polytechnique. Il y a une vingtaine d’années encore, prendre les rênes d’un pays signait la fin d’une longue ascension politique. C’est de moins en moins vrai. De quoi, sans doute, rendre moins douloureux le départ…
D’autres encore, comme Bill Clinton ou Nelson Mandela, choisissent de « servir autrement » leur pays, en créant une fondation. Mais, là encore, les pratiques évoluent : le couple Obama, convaincu du pouvoir de l’image, a créé une société de production, Higher Ground, promouvant les questions « de race, de classe, de démocratie et de droits civiques ». Des documentaires labellisés « Obama » sont aujourd’hui diffusés sur Netflix dans le monde entier.
« Une manière de continuer à façonner l’opinion et, quelque part, à gouverner les conduites », décrypte le psychanalyste Roland Gori. On repense alors à la célèbre formule de Carl von Clausewitz : « La guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens. » Deux siècles plus tard, on pourrait réécrire la fameuse maxime : la guerre de l’image n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens…
« Ma foi exige que je fasse tout ce que je peux, où que je sois, chaque fois que je le peux, aussi longtemps que je le peux »
Jimmy Carter
Plus rare, certains « ex » se réinventent totalement. Jimmy Carter est de ceux-là. Élu à la Maison-Blanche à 52 ans, il est battu en 1980 par Ronald Reagan. Douze ans plus tard, le démocrate se voit décerner le prix Nobel de la paix pour ses médiations dans différents conflits internationaux.
« Ma foi exige que je fasse tout ce que je peux, où que je sois, chaque fois que je le peux, aussi longtemps que je le peux », expliquait-il. Son engagement témoigne aussi d’une certaine conception de la politique : la politique comme recherche insatiable du bien commun, et non comme recherche obstinée des honneurs.
Ainsi accueillit-il sans rancune cette remarque du comité Nobel lors de la remise de son prix : « L’Histoire ne retiendra peut-être pas Jimmy Carter comme le président le plus efficace des États-Unis. Mais il est assurément le meilleur ancien président que ce pays ait jamais eu. » Preuve qu’il y a une vie après la présidence ! Puisse Donald Trump, entre deux swings sur les greens de Floride, s’en convaincre…
Donald Trump et Melania, sur la base aérienne Andrews, dans le Maryland, pour la cérémonie de fin de mandat, le 20 janvier 2021. Contrairement à la tradition, il n’assistera pas à la cérémonie d’investiture de son successeur. / Stefani Reynolds/UPI/MAXPPP
Pour aller plus loin
► Un podcast
« Quitter le pouvoir »
Dans ce podcast en trois épisodes, « La Fabrique de l’histoire », sur France Culture, revient sur les départs de l’Élysée sous la Ve République. Que dire lorsque l’on quitte ses fonctions ? Quels souvenirs laisse-t-on dans la mémoire collective ? Pourquoi certains choisissent-ils de dresser leur bilan et de faire leurs adieux, quand certains décident de ne rien dire ? Autant de questions auxquelles journalistes et politiques répondent
L’ouvrage retrace les derniers jours des présidents de la Ve République. Il permet de toucher du doigt l’ambiance des fins de règne mais aussi la vérité de l’homme derrière le dirigeant. Le tout sans verser dans l’impudeur, ni le pathos.
Sous la dir. de Solenn de Royer et d’Alexis Brezet, Éd. Perrin-Le Figaro, 280 p., 17,90 €.
► Un film
Le Promeneur du Champs-de-Mars
Ce long-métrage, adaptation du roman de Georges-Marc Benamou (Le Dernier Mitterrand), retrace la fin de la vie et les dernières semaines à l’Élysée de l’ancien président, incarné à l’écran par un Michel Bouquet bluffant… et césarisé pour le rôle !
De Robert Guédiguian, 2005, 1 h 57.
► Un débat
« De Gaulle, l’homme derrière le mythe »
Diffusé sur Public Sénat à l’occasion des 50 ans de la mort du Général, ce documentaire suivi d’un passionnant débat revient sur les derniers mois de la vie du grand homme.
Si l’Algérie connaît actuellement de grandes difficultés, si elle vit dans un tel chaos, si la jeunesse ne sait plus vers qui se tourner à la recherche de repères, de valeurs, si le pays est aujourd’hui sur le fil du rasoir, c’est parce qu’il a oublié, occulté son passé. Le présent, l’avenir d’un peuple ne peuvent exister qu’à partir d’un passé, d’une mémoire. Mais la révolution a été effacée, gommée. Ceux-là même qui y ont participé se sont tus, comme s’il fallait surtout ne plus en parler, ne pas gêner en quelque sorte. De même que la Révolution française fut un modèle pour les pays européens, la révolution algérienne a été et reste le modèle et le symbole de la libération pour les pays du tiers monde. Par le million et demi d’Algériens qui alors ont donné leur vie, l’Algérie a été la banque de sang du continent africain. Elle a permis la libération de tous ces pays, elle fut leur phare. La révolution a été le fait du peuple, d’hommes et de femmes farouchement déterminés et indomptables, des rebelles, à l’instar de Si Azzedine qui livre ici son expérience. Avec ce livre, il a voulu faire œuvre de témoin de l’Histoire au quotidien. Les événements se déroulent ici de l’intérieur, sur le terrain, au milieu du peuple et avec lui. Si Azzedine se revendique comme Algérien ayant combattu au milieu et avec le peuple. S’il a mené à bien sa « mission », comme il le dit, c’est qu’il l’a menée en communion totale avec ses compagnons de lutte. L’intérêt tout particulier de ce livre réside dans cette narration au quotidien, sans concession aucune…
VIDEO A l’occasion des 50 ans de l’indépendance de l’Algérie nous permet de découvrir des images de Jean-Pierre Laffont qui fut, avec son épouse Eliane, un pilier historique des agences Gamma et Sygma. En revisitant ses archives, Jean-Pierre a exhumé des images faites dans sa jeunesse d’officier chargé de la vie d’un douar.
Au début de l’année, alors que j’exposais les photos, réalisées par mon père, du camp de harkis de La Londe-les-Maures dans le Var, il m’écrivait : « J’ai adoré les photos de ton père. Sous-bite (ndlr : jargon militaire pour sous-lieutenant), j’avais une harka en Algérie en 1961 jusqu’en avril 1962. Je viens de scanner une cinquantaine d’images que j’ai réalisées là-bas. » Le jeune officier appelé crée une école, un dispensaire médical. Il fait de son mieux, avec cœur. Achète des fournitures scolaires à Oran sur sa solde, se démène pour ces citoyens de seconde zone que sont alors les algériens. Arrive le cessez-le-feu, l’indépendance et il doit ré-embarquer pour « la métropole » en laissant derrière lui ses harkis qui ne sont autorisés à le suivre qu’en abandonnant leur famille. Cruelles et inacceptables conditions. Jean-Pierre Laffont en restera marqué pour le restant de ses jours. Ses photos montrent déjà chez le jeune homme une belle maîtrise du cadrage et un sens du récit en images. Merci à lui et à Jean-François de ce témoignage émouvant.
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