« Je suis né français en Algérie, j’ai grandi au Maroc et poursuivi des études de photographie en Suisse, avant de travailler comme photographe de stars à Paris. Mais ce que je voulais vraiment, c’était être photojournaliste et les États-Unis me fascinaient.
À partir de 1965, et pendant plus de trente ans, j’ai sillonné les États-Unis pour documenter autant de sujets que possible sur la société américaine et capturer l’esprit de cette époque. Dans les années 1960, New York était une ville sale et dangereuse. J’ai fait des reportages approfondis sur la construction du World Trade Center, les gangs du Bronx et la violence de la 42e Rue. Ces années symbolisaient la liberté d’expression et c’était excitant d’être jeune. Le pays traversait de profonds changements et il semblait que tout le monde était dans la rue en train de protester. J’ai photographié la génération sex, drugs and rock n’roll, les hippies, la naissance du mouvement de libération des femmes et les astronautes d’Apollo XI revenant de la lune. C’était une période exaltante sur laquelle, cependant, planait l’ombre des crimes de la prison de Cummins Farm, les conditions inacceptables de la vie carcérale et l’utilisation de la chaise électrique. Il y aura également les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Dans les années 1970, le rêve américain semblait se désintégrer. La Statue de la Liberté fut prise en otage par des opposants à la guerre du Vietnam. Le New York Times publia les Documents du Pentagone qui révélèrent une décennie de mensonges sur cette même guerre. L’affaire du Watergate provoqua le départ de Nixon, les Américains n’avaient plus confiance en leur gouvernement. J’ai couvert la montée du mouvement noir américain et le Ku Klux Klan. Puis l’impensable est arrivé : pendant l’embargo sur le pétrole de 1973, les États-Unis manquèrent d’essence. Durant les années du président Carter, j’ai illustré la pauvreté dans son état, la Géorgie. L’esprit américain souffrait d’une baisse d’enthousiasme. Et pourtant la guerre du Vietnam était terminée et la jeunesse américaine allait enfin retrouver son optimisme et sa véritable expression à travers le mouvement hippie. Dans les années 1980, les Américains étaient prêt à un renouveau. Les baby boomers vieillissaient et voulaient tout avoir. J’ai été témoin du consumérisme à outrance et de l’exubérance des yuppies. L’ordinateur personnel était né, l’armée américaine autorisa finalement les femmes à la servir, la Statue de La Liberté subit un ravalement. Le président Reagan annonçait la promesse “d’une Amérique comme une cité brillante au sommet d’une montagne” et déclara que “le futur sera nôtre”. Alors que la cupidité nourrissait l’illusion d’un succès national, mes photos témoignaient aussi du déclin de l’industrie automobile et des fermes familiales, du sort des pauvres, des sans- abris, des vieux et des isolés sociaux. Difficile pour moi de voir que le pays allait mieux.
Lorsque je regarde, une à une, ces photos prises pendant ce quatre siècle, elles semblent au premier abord décrire un état de chaos, émeutes, protestations, désintégration et conflit. Mais prises dans leur ensemble, ces images montrent la naissance houleuse, parfois douloureuse, de l’Amérique du XXIe siècle — une nation où un président noir, des mariages homosexuels et des femmes chefs d’entreprises sont la norme plutôt que l’exception. Elles accomplissent ce que les photos font de mieux, figeant dans le temps des moments décisifs pour un examen futur. Elles forment un portrait personnel et historique d’un pays que j’ai toujours observé de manière critique, mais avec affection, et pour lequel j’ai une énorme reconnaissance. »
Jean-Pierre Laffont
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