iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
Le 14 septembre 1970, le Maroc, l'Algérie et la Mauritanie se réunissent pour accélérer la décolonisation du Sahara, alors colonisé par l'Espagne.
Des enfants dans un camp sahraoui près de Tindouf, en 2019
Il y a cinquante ans aujourd'hui, le 14 septembre 1970, les chefs d'Etat marocain, algérien et mauritanien se réunissaient à Nouadhibou, en Mauritanie. Au cœur de ce sommet : la formation d'un front commun pour accélérer la décolonisation du Sahara espagnol, situés aux confins des trois pays. Quelques éléments de contexte historique.
En 1970, l’actuel Sahara occidental est encore une colonie espagnole – il le restera jusqu’en 1975.
Au sortir des années 1960, après les vagues d’indépendances en Afrique, et dans un contexte de Guerre froide, les fronts anticoloniaux se forment.
En 1969, Mouammar Kadhafi arrive au pouvoir en Libye et il prône un panarabisme révolutionnaire qui trouve de larges échos au sein des populations.
Tensions sous-régionales
Le Maroc et la Mauritanie, voisins du nord et du sud du territoire sahraoui, entretiennent des relations tendues. Les deux Etats mettent chacun en avant leur proximité historique et démographique avec les habitants de ce territoire. "Nous avons la même musique, la même culture que les Sahraouis, les Amazighs, les Touaregs", nous explique un ancien diplomate de la région qui ajoute : "Je crois qu'Ould Daddah [le président mauritanien de l'époque] avait vraiment pour préoccupation l'aspect humain".
Par ailleurs, le territoire sahraoui regorge de ressources naturelles (dont des mines de phosphates).
Houari Boumediene se méfiait du royaume marocain
L’Algérie, indépendante depuis 1962, a un conflit latent avec le Maroc sur la zone frontalière autour de Tindouf. La même source diplomatique explique que le président algérien Boumediene se méfiait du roi Hassan II du Maroc qu’il soupçonnait de passer des accords secrets avec l’Espagne, alors qu’Alger accueillait de nombreux militants indépendantistes à cette époque, dont des Canariens. En Mauritanie, on admire la lutte menée par l'Algérie pour son indépendance de la France.
Les chancelleries occidentales se méfient du FLN algérien et de la Libye de Kadhafi, soupçonnés de propager une idéologie révolutionnaire.
Une tempête de sable et un bateau
Finalement, le Maroc et la Mauritanie parviennent à aplanir leur différend et les trois voisins essaient de s’allier contre le colonisateur espagnol.
Et c’est ainsi que des séries de négociations ont lieu courant 1970, qui culminent avec le sommet de Nouadhibou, sur un bateau, en pleine tempête de sable, le 14 septembre 1970.
Un accord pour les Sahraouis, sans les Sahraouis
Ce jour-là, aucun représentant sahraoui n’est convié à la table des négociations. Le Front Polisario qui lutte encore aujourd’hui pour l’indépendance du Sahara occidental n’est créé qu’en 1973 mais Oubi Bouchraya Bachir, représentant actuel du Front Polisario auprès des institutions européennes, estime que les intérêts des Sahraouis étaient vraiment au cœur des négociations de 1970 :
"Seule l’Algérie est restée conséquente avec l’esprit de ce communiqué final. Et le Maroc est isolé après le retrait de la Mauritanie, sa reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et l’établissement de relations d’amitié et de fraternité avec le Front Polisario et la République sahraouie."
Des femmes brandissent le drapeau de la République arabe sahraouie démocratique
Après le retrait de l'Espagne, les luttes continuent
En 1975, l’Espagne renonce à sa colonie du Sahara, sans toutefois organiser le référendum d'autodétermination promis aux Nations unies.
Le Maroc et la Mauritanie tentent d’annexer le Sahara occidental, mais le Front Polisario s’y oppose, soutenu par l’Algérie et la Libye.
La Mauritanie change de tactique et reconnaît le Sahara occidental en 1979 et le Front Polisario comme son seul représentant. En mars 2020, le président mauritanien Ghazouani confirme cette ligne immuable, selon lui, de la politique étrangère de son pays.
Dès 1979 et le retrait de la Mauritanie, le Maroc annexe la partie sud du territoire qu’il considère comme ses « Provinces du Sud ».
Depuis la création du mouvement, le Front Polisario lutte pour le droit à l’autodétermination des Sahraouis.
Le dossier est toujours source de tensions entre l’Algérie et le Maroc.
Le conflit du Sahara occidental n’a toujours pas été réglé en dépit de Casques bleus stationnés sur place depuis 1991.
Psychiatre révolutionnaire, écrivain fulgurant, acteur des indépendances africaines, admiré par Césaire, Sartre, cité par des dizaines de rappeurs, Frantz Fanon a combattu toute forme d’aliénation jusqu’à sa mort à 36 ans, quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie à laquelle il avait œuvré.
Fanon a vécu dans une période historiquement extraordinaire et il n’a pas arrêté de s’engager, nourri de sa pratique personnelle de psychiatre, de spécialiste de la désaliénation, comme il le pensait lui-même". Jean Khalfa, professeur au Trinity College de Cambridge, spécialiste d’histoire de la philosophie et d’anthropologie, a édité des textes inédits de Frantz Fanon, publiés à La Découverte en 2015. C'est dans la vie et l'œuvre de cet essayiste"désaliénateur", dans toute les dimensions possibles de l'aliénation - culturelle, psychiatrique, coloniale et plus largement politique, que nous vous proposons d'entrer.
L'aliénation culturelle
Le parcours foudroyant de Frantz Fanon commence en Martinique, dans une famille métisse modeste, et s’accélère quand il s’engage librement en 1943, à 17 ans pour défendre la France contre l'oppression nazie.
“Chaque fois que la liberté et la dignité de l’homme sont en question, nous sommes tous concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes”Frantz Fanon.
Mais en métropole, Fanon déchante vite : prêt à sacrifier sa vie, il est rejeté, humilié à cause de la couleur de sa peau. À 24 ans, il veut témoigner de son expérience d’homme noir dans un essai majeur : Peau noire, masques blancs, publié par Le Seuil en 1952. "Le Nègre n'existe pas. Pas plus que l'homme blanc", y écrit-il. Dans cet ouvrage, il mobilise psychologie, philosophie, linguistique et littérature pour analyser la névrose collective créée par la colonisation.
Pour lui, même la culture est un acte politique, comme il l'exposera bien plus tard dans l'une des rares archives sonores publiques de ses interventions, enregistrée au Congrès international des écrivains et artistes noirs en 1956. Il développe notamment l'exemple de la "musique noire" : "Le blues, plainte des esclaves noirs, est présenté à l’admiration des oppresseurs. C’est un peu d’oppression stylisée qui revient à l’exploitant et au raciste. Sans oppression et sans racisme, pas de blues. La fin du racisme sonnerait le glas de la grande musique noire."
L'aliénation mentale
Grâce à son statut d’ancien combattant, Fanon obtient une bourse pour étudier la médecine. Sa thèse de psychiatrie bouleverse le réductionnisme de la maladie mentale à des déterminations purement physiologiques (neurologiques) et montre le rôle que peuvent avoir l’histoire de l’individu et de la société dans son développement. Cette thèse de psychiatrie porte aussi en germe sa critique de toute forme d’aliénation : c’est le regard porté par l’autre qui nous rend étranger à nous-mêmes.
Alice Cherki, ancienne élève de Fanon et autrice d'une biographie le concernant, l'exprimait ainsi dans un documentaire sur France Culture, en 2011 : "C’est l’aliénation non seulement économique, culturelle, mais aussi subjective, individuelle. Il voulait la libération de l’Homme, sur tous les plans. C’est ça son originalité, qu’on retrouve aujourd’hui."
C’est dans un hôpital algérien de Blida où il est nommé par hasard, puis dans les hôpitaux tunisiens, que Fanon expérimente sa psychiatrie novatrice. "Pour lui, la folie est une pathologie de la liberté. C’est-à-dire un mode d’être défini par des automatismes. Et le travail du psychiatre, c’est de rendre à l’individu sa liberté", analyse Jean Khalfa. Fanon abolit la camisole ; ses thérapies renouent avec des pratiques culturelles ancestrales : jeux, chants, contes… et il se bat contre les conceptions médicales racialistes alors dominantes. "Le racisme vulgaire, primitif, simpliste, prétendait trouver dans le biologique la base matérielle de la doctrine : forme comparée du crâne, dimension des vertèbres, etc. Cela veut dire que le Noir d’Afrique, normalement, est un désintégré, physiologiquement", répétait Frantz Fanon au Congrès international des écrivains et artistes noirs en 1956.
L'aliénation coloniale
En Algérie, Fanon continue à observer l’anéantissement des colonisés et comprend que les traitements psychologiques ne suffiront pas. "Exploitation, torture, razzias, racisme, se relaient à des niveaux différents pour littéralement faire de l’autochtone un objet inerte entre les mains de la nation occupante", se souvenait Frantz Fanon au Congrès international des écrivains et artistes noirs.
Dès 1954, il s’engage auprès du Front de Libération Nationale (FLN). Menacé, cible d'attentats, expulsé, il renonce à la nationalité française et s’exile à Tunis, d’où ses tribunes dans la presse retentissent dans le monde entier. Il prône le panafricanisme, l'internationalisation des luttes. Son influence sur les indépendantistes grandit lorsqu’il devient ambassadeur itinérant du gouvernement provisoire algérien pour l’Afrique sub-saharienne au Ghana. Pour lui, la quête de liberté exige de tout lui sacrifier. L’insurrection est un devoir, quitte à user de la violence. "Fanon a joué un rôle assez important dans plusieurs congrès. Et ce rôle, c’était de dire finalement que la tactique de la décolonisation non violente était sans doute dépassée. Il avait l’expérience de la guerre d’Algérie. Et puis un peuple qui s’est libéré lui-même est un peuple qui ne sera pas asservi, ou qui sera plus difficilement asservi à l’avenir", poursuit Jean Khalfa.
Frantz Fanon insiste sur cette violence nécessaire dans Les Damnés de la terre, en 1961 : “La décolonisation laisse deviner à travers tous ses pores des boulets rouges, des couteaux sanglants. Car si les derniers doivent être les premiers, ce ne peut être qu’à la suite d’un affrontement décisif et meurtrier des deux protagonistes.”
Les Damnés de la terre, son chef-d’œuvre, est préfacé par Sartre. Le texte liminaire du philosophe exacerbe le propos de Fanon sur la violence, et crée un malentendu durable sur son exaltation supposée du terrorisme.
Laminé par une leucémie, Frantz Fanon utilisera ses ultimes forces pour alerter sur la confiscation des indépendances par les bourgeoisies nationales et le culte des leaders. Après avoir été soigné en URSS, il meurt à Washington, mais souhaite être inhumé en Algérie. Il y a droit à des funérailles nationales.
Longtemps occultée en France, son influence est immense : sur les activistes, comme les Black Panthers ou le mouvement Black Lives Matter, les penseurs, comme Edward Saïd, Judith Butler ou Achille Mbembe, les artistes comme Lauryn Hill et des dizaines de rappeurs des deux côtés de l'Atlantique. Cet héritage est à relire précisément, loin des interprétations réductrices et des identités sclérosées, pour, au contraire, inventer une liberté nouvelle. "Un homme libre est un homme qui n’est pas déterminé par un héritage, donc il y a une forte critique de toute idée d’identité comme forme de servitude, pour Fanon", conclut Jean Khalfa.
"Je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères. Je dois me rappeler à tout instant que le véritable saut consiste à introduire l’invention dans l’existence.”Frantz Fanon,Peau noire, masques blancs.
La question du jour du mercredi 8 juillet réunissant deux intellectuels algériens m’avait choqué à lire ci-après). Je m’étais demandé à quel titre La Croix publiait ce point de vue qui aurait été justifié si les auteurs avaient été interdits de tribune en Algérie. J’avoue avoir été déconcerté par le souhait commun des deux protagonistes de voir la France exprimer des excuses, seul moyen pour eux de soulager les Algériens et de les aider dans leur quête de démocratie. Les lettres de lecteurs parues dans le journal du 10 août ne font, à mon avis, que retourner l’argumentaire sur la colonisation et de ce fait enferment la nécessaire réflexion sur un avenir. De mon point de vue, le meilleur service à rendre à nos amis algériens est de les inciter, cinquante-huit ans après l’indépendance de leur pays, à effectuer un vrai travail de recherche de leur histoire en commençant par l’histoire du territoire que recouvre le pays aujourd’hui. Histoire dont le point de départ ne serait pas le début de la colonisation mais remonterait aux racines linguistiques culturelles et cultuelles de ce que forment aujourd’hui les différentes wilayas aussi éloignées que celles d’Annaba et Oran sur la largeur de la Méditerranée ou celles d’Alger à Tamanrasset sur la profondeur du continent africain. L’ensemble du territoire n’a pas connu la conquête romaine comme les routes commerciales transafricaines n’ont pas profité à toutes les régions. Que ces recherches passent par l’histoire de la colonisation et de la décolonisation française est une évidence mais il a existé un avant forcément riche de grandeurs et de décadences expliquant la période pré-contemporaine comme il existe un après qu’il va falloir comprendre, expliquer en profondeur sous ses aspects idéologiques, religieux, politiques, économiques, pour éviter de le reproduire. Le vrai sujet pour nos amis est de rechercher dans ce passé les richesses des diversités et comment se le réapproprier dans une unité nationale respectueuse du passé intégrant, digérant les racines régionales linguistiques, religieuses, économiques… Les soubresauts actuels et la remise en cause d’errements du pouvoir est une opportunité à saisir, et les Algériens sont bien placés pour savoir que faire table rase du passé n’enfante pas automatiquement un avenir radieux.
Allez, encore une humiliation de plus, un énième acte de contrition de la France agenouillée face à l’Algérie ?
Les anciens égorgeurs de pieds-noirs et d’appelés du contingent, les pontes du FLN (ceux qui pillent l’Algérie tout en se faisant soigner chez l’ancien colonisateur), les milliers de « centenaires » touchant leur retraite au bled mais aussi les nouveaux envahisseurs, barbus et voilées, haïssant notre pays mais vivant sur son dos, doivent jubiler !
La France repentante, via son président Emmanuel Macron, pourrait rendre à Alger le canon mythique ayant servi à défendre la cité barbaresque, « maîtresse intraitable de la Méditerranée » vivant de rapines, d’abordages, de razzias et du commerce des esclaves.
Un canon qui servait également en représailles aux attaques des marines françaises : des prisonniers chrétiens étaient introduits par la bouche avant d’être pulvérisés par les boulets…
Rapatrié à Brest après la conquête de 1830, comme trophée de guerre, nous devrions donc rendre « Baba Merzoug » (devenu « La Consulaire ») en hommage à la future « réconciliation franco-algérienne » (mais quelle réconciliation possible avec une Algérie vidée de ses pieds-noirs et « judeinrein » mais déversant en France, sa jeunesse et ses smalas revendicatives, antifrançaises et antisémites ?)
Car il paraît que nous devrions faire « destin commun » avec ce pays dont l’hymne national appelle (encore) à la vengeance contre la France.
Pourtant, il suffit d’écouter la petite-bourgeoise « antiraciste » Camelia Jordana et les indigénistes à la Houria Bouteldja pour deviner que leurs perpétuelles chouineries victimaires ne sont qu’un prétexte pour mieux soumettre, coloniser et s’approprier notre pays.
En fait, puisque (presque) personne ne s’y oppose, nous serons bientôt mûrs pour vivre la même tragédie qu’il y a 1400 ans, quand les Arabo-musulmans éradiquaient la civilisation romaine (ou byzantine) et convertissaient les Berbères.
Dans 50 ans, au rythme de l’invasion migratoire et de la démographie, la France deviendra bien « l’Algérie de Tamanrasset à Dunkerque ».
Mais après tout, élection après élection, c’est peut-être le souhait des Français inconscients : soumission, dhimmitude et asservissement.
Le canon Baba Merzoug va-t-il quitter Brest pour Alger ?
L’Algérie réclame le retour de son mythique canon, pris par les Français en 1830 et érigé en colonne à Brest.
Depuis une décennie et plus, le sujet est régulièrement mis sur la table par l’Algérie. Le pays réclame le retour sur son sol d’un trophée de guerre de la marine française, le canon Baba Merzoug, pièce maîtresse de la défense du port d’Alger dès le XVIe siècle.
Monstrueux pour son époque avec ses 12 tonnes de bronze et ses 7 mètres de long, il pouvait projeter des boulets de 80 kilos à près de 5 kilomètres.
Cette arme n’était pas seulement un outil de défense.
Elle a aussi servi à humilier délibérément la France, à deux reprises au moins. En 1683, lorsqu’une flotte française commandée par l’amiral Abraham Duquesne bombarde Alger pour libérer les esclaves chrétiens, le consul français, le prêtre Jean Le Vacher, est placé devant le Baba Merzoug et déchiqueté par son tir.
En 1688, son successeur André Piolle est traité de la même façon…
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En décembre 2012, l’Élysée avait sérieusement étudié le sujet afin d’offrir un « cadeau symbolique de la réconciliation » franco-algérienne, à l’occasion d’une visite d’État du président François Hollande.
Durant laquelle il lancera : « Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. »
Il n’évoquait certes pas le cas de l’Algérie, qui réclame donc le retour de son canon emblématique, parmi un ensemble de 158 objets, mais le cadre était dressé. Ce n’était que partie remise.
La première est la restitution, début juillet, par la France à son ancienne colonie d’Afrique du Nord des restes (les crânes) de vingt-quatre combattants algériens tombés lors de la conquête au XIXe siècle…
Le 24 juillet, Emmanuel Macron a demandé à l’historien Benjamin Stora un rapport sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », que celui-ci doit rendre avant la fin de l’année.
Dans sa lettre de mission, le chef de l’État indique qu’« il importe que l’histoire de la guerre d’Algérie soit connue et regardée avec lucidité […] Je souhaite m’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien. Le sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée ».
Grande affaire du quinquennat, le retour de la France vers la Méditerranée, de la Libye aux eaux gréco-turques, du Liban au Maghreb, exige des gestes symboliques forts.
La restitution du Baba Merzoug n’en serait-elle pas un ?
Voici le point de vue – comme toujours guerrier et revanchard- d’un Algérien d’Algérie sur la question.
M. Macron, rendez-nous Baba Merzoug !
Pour récupérer notre patrimoine historique, faisons tonner les canons !
Par Noureddine Khelassi
[…] Dans la panière riche des litiges bilatéraux, figure en bonne place le mythique canon algérois Baba Merzoug qui fut une terreur militaire des siècles durant en Méditerranée sous domination de la Régence d’Alger…
Son histoire propre est indissociable de celle de la Régence turque et de la colonisation de l’Algérie…
En 1542, pour célébrer la fin des travaux de fortification, Baba Hassan fait fabriquer un gigantesque canon par un fondeur vénitien, long de 6,25 mètres et d’une portée de 4,872 km – exceptionnelle pour l’époque. Cette pièce est baptisée affectueusement Baba Merzoug, père fortuné et protecteur béni de la rade et de la ville…
Avec ses mille pièces d’artillerie, dont le canon en chef était Baba Merzoug, Alger avait mérité donc son surnom de Mahroussa. Dormez en paix braves gens, les canons algérois tirent au loin !
Les Algériens, maîtres intraitables de la Méditerranée
Plus d’un siècle plus tard, après avoir dicté aux Hollandais et aux Anglais des pactes de non-agression, les corsaires algériens deviennent les maîtres intraitables de la Méditerranée.
Cette année-là, ils capturent une frégate française et vendent son commandant comme esclave sur l’actuelle place algéroise des Martyrs
[ha tiens, l’esclavagisme n’était donc pas que le fait d’Européens ? NDA]
Louis XIV, le Roi-Soleil, soucieux de rester en lumière, réagit en envoyant l’amiral Abraham Duquesne à la tête d’une expédition punitive d’une centaine de navires lourdement armés. Cette fois-ci, les marins français disposaient de bombes et de boulets incendiaires. Leur puissance de feu finit par contraindre le dey à demander un armistice et l’ouverture de négociations.
L’intermédiaire français est alors le vicaire apostolique Levacher, désigné par le roi comme consul à Alger depuis 1671. Duquesne exige et obtient la libération de la plupart des captifs chrétiens. Mais c’était sans compter sur un certain Mezzo Morto, alias Hadj Hussein, riche renégat génois qui fomenta alors un complot politique, assassina Baba Hassan et ligua la population algéroise contre l’envahisseur français. L’amiral Duquesne reprend alors les bombardements.
Mezzo Morto, devenu dey, inaugure en ces temps-là une méthode de représailles très expéditive et restée célèbre : le consul Levacher est introduit dans la bouche de Baba Merzoug avant que les artilleurs algériens ne fassent feu. C’est depuis ce jour que la marine française a donné le nom de La Consulaire à Baba Merzoug, en mémoire du diplomate pulvérisé.
Après lui, d’autres captifs malchanceux subirent les mêmes foudres canonnières, et la terrifiante réputation de Baba Merzoug s’en trouva d’autant plus grandie…
Le militant de la mémoire Belkacem Babaci […] demande de nouveau aux autorités françaises la restitution de Baba Merzoug et d’autres canons de la marine algérienne [à] savoir, les huit couleuvrines en bronze gisant sur le sol, à l’entrée de l’esplanade de l’Hôtel des Invalides.
Mais, il ne faut pas rêver, et surtout ne pas croire aux promesses quand elles existent.
Pour revoir un jour Baba Merzoug à Alger, là où il a craché des boulets de feu des siècles durant, il faut plutôt sortir les canons de la fermeté et du bon droit !
Tonner, comme doivent le faire les autorités algériennes, présidence de la République et ministère de la Défense en tête. Sortir le gros calibre pour revendiquer sa restitution.
Tonnerre de Brest, ce ne serait alors que justice que de rapatrier de cette ville grise et triste Baba Merzoug, père national affectueux, jadis dispensateur de baraka aux Algérois ! Bénis soient donc son tube et son affût exceptionnels !
[…] Tout bien mal acquis est condamné à revenir à ses légitimes propriétaires. C’est presque une fatalité historique [gonflés les descendants des envahisseurs-pilleurs venus d’Arabie ! NDA] […] Alors, Monsieur le Président Macron, rendez-nous notre bien patrimonial spolié, rendez-nous notre père Baba Merzoug !
On ne vous en supplie guère, on vous l’exige !
Publié le 3 septembre 2020 - par François des Groux
S’il importe que la mémoire de la colonisation française et de la guerre d’Algérie soit vraiment connue et regardée avec lucidité de part et d’autre de la Méditerranée, comment approcher au plus près possible une histoire qui soit celle des faits eux-mêmes et qui ne soit pas une histoire idéologisée ou instrumentalisée en permanence ? C’est la mission qu’est appelée à accomplir la Commission mixte algéro-française sur les questions mémorielles de la colonisation récemment mise sur pied. En attendant, voici un bref rappel ci-après de quelques éléments-clés de cette mémoire : Juillet 1962. La France coloniale a perdu la guerre. L'Algérie a gagné son indépendance et recouvré sa souveraineté. Tout était à reconstruire dans un pays dévasté, ruiné par 132 ans de colonisation, et les circonstances historiques après 1945 n'ont pas favorisé le cheminement de l'Algérie vers l'avènement d'un Etat indépendant démocratique. Or tout est à (re)construire à présent car en France, depuis, une autre guerre est en train de sourdre : les émigrés, leurs enfants, leurs petits enfants -deuxième, troisième générations- français pourtant, sont, presque 58 ans après l'indépendance, toujours considérés comme des «indigènes» ; et, en Algérie, les traces sournoises du colonialisme se cristallisent souvent en des violences intestines. «La reconnaissance lucide et juste, de part et d'autre, de ce passé aiderait peut-être à avancer», suggère l'historienne Sylvie Thénaud. Cette reconnaissance mutuelle ne devrait pas poser tant de difficultés car les uns -tel Jules Ferry dans son «Discours sur la colonisation»- et les autres -tel Aimé Césaire, dans son «Discours sur le colonialisme»- décrivent bien les mêmes choses. Et lorsque les choses sont dites, les mémoires peuvent être partagées et l'Histoire écrite. En replongeant dans l'histoire de la colonisation française de l'Algérie, on trouve d'étranges similitudes entre cette conquête et les interventions de l'OTAN, bras armé des Etats-Unis, en pays musulmans. Mission civilisatrice hier, démocratie et droits de l'homme aujourd'hui, crimes et pillages sans fard hier, mainmise arrogante sur des pays stratégiques aujourd'hui, derrière l'épouvantail usé (et ab-usé) de la paix mondiale menacée.
Voici les «bienfaits» de la colonisation !
Pourtant, «quel mal les Musulmans ont-ils fait au monde durant ce temps ?» C'est la question posée par le Dr Jurgen Todenhofer, magistrat et ancien député chrétien-démocrate, lors d'un entretien à la télévision allemande. Sa réponse est cinglante : «Les Musulmans n'ont causé aucun mal à l'humanité et au monde ces deux cents dernières années. Au contraire...». Et son réquisitoire est sans appel : Les Européens de l'Ouest (…) ont brutalement colonisé et massacré des millions de musulmans». «Inutile de commencer par les Croisades», poursuit-il, pour voir «combien, nous, Européens de l'Ouest, sommes beaucoup plus violents que ne l'ont jamais été les Musulmans». «La Première et la Seconde Guerre mondiale ont fait 70 millions de morts. Qui a commis cela ? Pas les Musulmans. Qui a tué 6 millions de juifs ? Pas les musulmans. Le communisme soviétique a tué 30 millions de personnes, le communisme chinois près de 40 millions. Ce ne sont pas des Européens de l'Ouest mais pas non plus les Musulmans.» Le magistrat député analyse alors : la base du conflit avec les Musulmans repose sur le fait que les Européens de l'Ouest voient les Musulmans et particulièrement les Arabes, ainsi que l'écrivait Jean-Paul Sartre, comme des demi-singes : «Nous ne les prenons pas au sérieux. Nous les considérons comme des animaux (...). Et de telles actions ont engendré un grand ressentiment.» Voici les «bienfaits» de la colonisation ! La Franceest le seul Etat dit démocratique et la seule ancienne puissance impériale européenne où des dispositions législatives qualifient de façon positive cette période de l'histoire. Cette colonisation, volonté d'un pouvoir politique et civil, d'une justice aux ordres, et dont l'idéologie dominante -les hommes, les peuples ne sont pas tous égaux- perdure sournoisement. Lors d'un colloque au Sénat français, l’historien Olivier Le cour Grand-maison a conclu son intervention par un appel solennel : «Les nouvelles autorités politiques de la France s'honoreraient à reconnaître que la France, ses autorités, ses militaires, son pouvoir politique, ont commis, justifié et légitimé des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité entre 1830 et 1962.»Les peuples occidentaux condamnent unanimement le colonialisme déclaré. Pour l'Histoire, il va sans dire aussi que les journalistes et les intellectuels de la rive nord de la Méditerranée s'honoreraient assurément à rompre le silence sur la victoire du colonisé et à cesser de maquiller le colonialisme. De la sorte, peut-être parviendra-t-on, de part et d’autre de la Méditerranée, à atteindre cette relative paix des mémoires tant souhaitée ?
Karima Lazali, Le Trauma colonial. Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l’oppression coloniale en Algérie, La Découverte, coll. Sciences humaines, septembre 2018.
Septembre 2018… C’est la date de publication de cet essai. De plus, l’auteur de ces lignes l’avait reçu avant, sous forme d’épreuves – durant l’été 2018, donc. Et voilà, ce n’est qu’aujourd’hui, en ce tout début de l’an 2020, que je me décide à en rendre compte. J’avais pourtant vraiment apprécié ce texte à la première lecture. Alors quoi ? Il est vrai que je fais partie d’une génération qui n’a pas été directement concernée par la guerre d’Algérie – guerre qui n’en était pas une, en France, jusqu’au 18 octobre 1999, lorsque fut promulguée la loi, votée quelques mois auparavant par l’Assemblée nationale, qui marqua sa reconnaissance officielle ; d’ailleurs cette loi s’adressait surtout aux anciens combattants, qu’elle « reconnaissait » comme tels et auxquels elle ouvrait donc des droits liés à cette condition. Je n’ai pas eu connaissance d’un quelconque « grand débat » ouvert à ce propos[1] – même si le sujet ressort de temps à autre dans les médias, par exemple lorsqu’un historien tombe sur un carton d’archives du fonds de la préfecture d’Alger – de l’époque de la dite « bataille d’Alger » : « Un rapide sondage me tire tout de suite, raconte-t-il[2], de la sorte de torpeur qui m’avait gagnée après des journées de consultation bien peu fructueuses. Ce que j’ai entre les mains, je le réalise tout de suite, est une archive rare et précieuse. Car, fait exceptionnel, l’appareil d’État colonial lui-même y documente indirectement mais avec précision et sur une grande échelle l’intensité et l’ampleur de la terreur qu’il a organisée. » Le carton contient en effet des centaines de fiches correspondant à des signalements de « disparitions » de « Français Musulmans », comme on désignait alors les colonisés des « départements français d’Algérie ». On ne saura probablement jamais pourquoi ces documents ont échappé à la destruction systématique des archives de leurs crimes par les paras du général Massu. Quoi qu’il en soit, cette découverte miraculeuse a abouti à la création du site 1000autres.org[3], lequel s’est mis au service des recherches sur ce que sont devenus ces « disparus[4] ».
Mais je n’ai pas répondu à ma question : pourquoi n’avoir pas parlé plus tôt de ce livre que je tiens pour excellent ? Je pense qu’il y a deux réponses – l’une plutôt, disons, « personnelle », et l’autre qui relève plus de la politique, via la mémoire collective (ou plutôt son absence). La première vient d’une amie à laquelle j’avais demandé son avis sur ce livre et qui m’avait répondu qu’elle le trouvait difficile à lire – elle se demandait même « à qui » il était destiné, estimant, si j’ai bien compris, que son abord un peu ardu en disqualifiait le contenu. Cette amie connaît bien mieux que moi l’Algérie, dont ses parents sont originaires : ce qui avait fourni un alibi commode à ma paresse naturelle… L’autre raison est plus « sérieuse » et concerne probablement beaucoup plus de monde. Elle tient en fait à cela même qu’analyse le livre : les blancs de la mémoire et de la parole qu’a engendrés, chez les colonisateurs et chez les colonisés, le « trauma colonial ». Karima Lazali utilise très souvent ce terme de « blanc », afin de nommer ce qui fut effacé, pire, rendu indicible par la terreur coloniale. Je n’en ai pas été victime, bien heureusement pour moi mais, comme on sait, les exactions du colonialisme n’ont pas touché que les colonisés, car elles ont fait et font encore retour, par effet boomerang, chez les colonisateurs[5]… et chez leurs « descendants » (au sens large). De ce point de vue, je pourrais dire que j’ai tendance, à l’instar de nombre de mes contemporains, à éviter ce sujet – et, retour à mon premier motif de procrastination, à le « laisser », voire à le « déléguer » aux « premi·ère·s concerné·e·s », c’est-à-dire aux descendant·e·s des colonisé·e·s : « En France, écrit Karima Lazali dans son introduction, il semblerait que le traitement de cette “affaire” [elle parle de l’héritage de la colonialité] repose sur le fantasme que l’histoire de la colonisation serait le seul apanage des historiens et des ex-“indigènes”[6]. » Où l’on voit une fois de plus que le « personnel » (en l’occurrence, la « première raison » de mon silence à propos de ce livre) est aussi politique. Mea culpa, donc.
Un événement heureux est cependant venu me sortir de ma torpeur : le hirak, ce « mouvement » de protestation qui s’est déclenché en Algérie le 22 février dernier à l’occasion de l’annonce, trois jours auparavant, de la candidature à sa réélection du Président Bouteflika[7]. Les Algériens, dépassant la peur de la répression féroce qui s’était régulièrement abattue sur les précédentes manifestations d’opposition, se sont mis à « vendredire », c’est-à-dire à descendre en masse dans les rues à travers tout le pays chaque vendredi. Le 3 janvier, ils ont « vendredisé » une quarante-sixième fois[8] – et il semble qu’ils et elles (plusieurs témoignages rapportent la présence importante des femmes dans les manifestations) étaient toujours aussi nombreuses et déterminées. Non content·e·s d’être là chaque vendredi, les étudiant·e·s manifestent aussi chaque mardi : ils « mardisent ». Ces innovations lexicales sont plus importantes qu’il n’y paraît au premier abord, particulièrement dans le contexte algérien. En plus de la question de la langue, le hirak a remis au premier plan la question de la mémoire, celle de la guerre d’indépendance, mais aussi et surtout celle des civils écartés du pouvoir par les militaires. Autant de thèmes abordés par Karima Lazali dans son livre – sans parler, bien sûr, du plus prégnant : celui des silences et des blancs, qu’ils soient « français » ou « algériens ». Précisément, il fallait bien que je sorte du mien !
Deux autres événements encore m’ont poussé à reprendre la lecture du Trauma colonial. Tout d’abord la vision du film Terminal Sud, de Rabah Ameur-Zaïmeche, récemment projeté par chez nous. Il décrit, en gros, les années de la guerre civile en Algérie, même si le flou y est volontairement maintenu sur la datation et les lieux des événements[9]. Ce film m’a fortement impressionné car il m’a fait ressentir physiquement ce que décrit Karima Lazali : le traumatisme engendré par des massacres réunissant bourreaux et victimes dans le même anonymat morbide – « Qui tue qui ? » était la question que tout le monde se posait durant les années 1990 en Algérie, tant les militaires avaient repris à leur compte les méthodes de leurs prédécesseurs français : enlèvements, disparitions, tortures, tous procédés recommandés par la « DGR[10] » et auxquels répondaient les atrocités commises par les dits « islamistes ».
Second événement : l’empêchement, en novembre dernier, de la projection du film Résistantes de Fatima Sissani par une coalition de circonstance de membres du Rassemblement national, de pieds-noirs et d’anciens harkis à Sainte-Livrade-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne. Le film est un montage d’entretiens avec des femmes algériennes qui ont combattu aux côtés des partisans de l’indépendance pendant la guerre d’Algérie. « Évidemment, cette horde d’ignares n’a même pas vu le film, a déclaré Fatima Sissani. Car alors ils auraient découvert qu’à aucun moment les harkis ne sont mentionnés et qu’il ne s’agit pas d’une apologie du FLN. » C’est moi qui souligne : bien sûr qu’il ne s’agissait pas du contenu précis du film. Mais quelle meilleure illustration que celle-ci pourrait-on trouver des séquelles du trauma colonial ? « Nous souhaitions donner la parole à des femmes engagées d’hier à aujourd’hui. Mais il semble malheureusement que l’Histoire soit encore trop douloureuse pour pouvoir engager un dialogue serein. », ont indiqué les organisateurs de la rencontre au cours de laquelle devait avoir lieu la projection. Effectivement, là est bien le problème. Je ne doute pas une seule seconde que des militants du Rassemblement national aient œuvré à répandre des rumeurs sur le film dans le but d’attiser l’amertume et le ressentiment des pieds-noirs et des harkis contre leurs (anciens) ennemis. Mais cette amertume, ce ressentiment existent, sans quoi les néofascistes auraient été bien en peine de mobiliser des troupes grâce à leur seule force de persuasion. L’amertume, le ressentiment existent, qu’on le veuille ou non[11], et ils persistent, entre autres, parce que la parole n’est toujours pas libérée, parce nulle part (ni en Algérie ni en France) on ne voit ni n’entend de tentative d’éclaircissement, et encore moins de dialogue contradictoire entre les anciennes parties prenantes au conflit. C’est pourquoi, me semble-t-il, il est urgent de lire et d’entendre les voix qui tentent de « démêler ces cheveux » qui cachent une guerre de bientôt deux siècles[12], pour paraphraser le sous-titre de Résistantes : Tes cheveux démêlés cachent une guerre de sept ans.
Karima Lazali est psychologue clinicienne et psychanalyste[13]. « L’idée d’écrire cet ouvrage, dit-elle au début de son introduction, est née de la comparaison entre mes expériences de psychanalyste à Alger et à Paris. Les outils usuels de cet exercice de libération subjective permettant au sujet de découvrir ses propres aliénations ne suffisaient pas à provoquer chez mes patients algériens une séparation des diverses injonctions de l’intime, du social et du politique. » À Paris aussi les patients de Karima Lazali souffrent des séquelles (peut-être faudrait-il dire plus que des séquelles) de ce qu’elle nomme « la colonialité » et qui désigne la longue période (cent trente-deux ans) de la colonisation française de l’Algérie. S’interdisant, en raison du secret professionnel, de citer directement ses patients, elle s’est tournée, afin d’illustrer et d’étayer les leçons qu’elle a tirées de son expérience clinique, vers des travaux d’historiens, des essais d’acteurs engagés tel Frantz Fanon et aussi vers les œuvres d’écrivains algériens de langue française parmi lesquels on citera Kateb Yacine, Mohammed Dib, Nabile Farès, Mouloud Mammeri…
Il est bien difficile de résumer pareil ouvrage. J’essaierai simplement d’en indiquer quelques axes qui forment, me semble-t-il, l’armature de son raisonnement.
Effraction coloniale
Tout commence par « l’effraction coloniale » (titre du chapitre 2) : on ne mesure pas assez ce qu’a représenté la conquête française de l’Algérie. Selon les historiens, c’est environ un tiers de la population qui a disparu suite aux massacres de masse et aux épidémies et famines qui s’en sont suivies. Soit environ un million de morts, dont huit cent cinquante mille « directement » assassinés par l’armée française. Voilà qui est vite dit. J’ai déjà recommandé naguère[14] la lecture du « livre essentiel », selon les termes de Karima Lazali, de François Maspero : L’Honneur de Saint-Arnaud, qui raconte l’histoire de l’un de ces officiers français qui pratiquèrent les « enfumades » – assassinant par asphyxie des centaines de personnes : hommes, femmes, enfants et vieillards, dans les grottes où elles s’étaient réfugiées – et je ne peux que me répéter : lisez, ce livre ou bien d’autres, mais lisez, car ces mots : « un million de morts », « un tiers de la population », sont bien faibles pour dire ce qui devrait être dit[15]… Et même si cela était dit, tout ne le serait pas encore. Ainsi, non contents de massacrer les populations rencontrées sur leur chemin, les colonisateurs ont-ils prétendu qu’elles n’existaient tout simplement pas. Comme ailleurs, aux États-Unis en particulier, mais aussi, entre autres, en Afrique du Sud puis en Palestine, on a raconté qu’il s’agissait de « terres vierges », sans habitants – ou alors en quantité négligeable et qui de toute façon ne travaillaient pas les terres et donc les occupaient en toute illégitimité.
« Une des spécificités de la conquête française de l’Algérie a été d’affirmer, contre l’évidence, que ce territoire était sans histoire ni culture, sorte de terre vierge à conquérir, écrit Karima Lazali. Ce qui a entraîné un phénomène particulier : l’impression – au sens premier de l’imprimerie de l’encre sur le papier – dans l’esprit des individus concernés, colons et “indigènes”, d’un blanc historique. L’héritage et la transmission de langues, de mythes, de poésies et de traditions se retrouvaient en déshérence. La désignation des autochtones par le terme d’“indigènes” témoigne de cet imaginaire d’un peuple dépourvu d’histoire, mythe fondateur de la colonialité. […] Ce travail d’effacement des langues et de l’histoire est un trait spécifique de la colonialité française en Algérie. Imposés au début du xxe siècle, les protectorats au Maroc en Tunisie n’ont pas fait l’objet par la France de la même entreprise d’éradication du passé “indigène”. »
Donc : primo, on vous tue ; deuxio, on ne vous a pas tué tant que ça puisqu’aussi bien vous n’existiez pas ; et tertio, au cas où vous auriez existé un petit peu quand même, on vous en ôte jusqu’au souvenir en vous confisquant votre nom. Oui, cela aussi : en mars 1882 est promulguée une loi sur l’état-civil, en même temps qu’est mis en place le « code de l’indigénat ». « L’administration coloniale décide alors de changer le système traditionnel de nomination tribale de chaque individu, jugé trop complexe pour bien identifier les individus. Ce système procédait par un enchaînement de noms, et un renvoi : nom du père, du grand-père, du lieu-dit, etc. Il s’agissait d’un nom qui faisait localité, au sens fort, liant par le père les générations à la terre et à l’histoire. Dans ce système ancestral, le nom du père (lui-même nom de son père, et du père de celui-ci, etc.) et la terre étaient des propriétés collectives, qui rendaient difficile une lisibilité par l’administration coloniale. L’autochtone s’y reconnaissait, alors que le colon s’y perdait. D’où la volonté d’imposer un système de nomination français, avec réduction au prénom et à un nom attribué par l’administration. Lequel était parfois référé au nom de la filiation, mais aussi souvent complètement décroché de toute trace historique et généalogique. » On voit bien le double intérêt de cette opération pour les colons : d’abord, s’y retrouver, savoir qui est qui selon une vision administrative de la « population », mais aussi, en brisant les liens entre le nom et la terre… s’approprier cette dernière, justement : « […] pour l’administration coloniale, cette loi répondait également à l’objectif d’identifier les biens, en particulier les terres de la propriété collective en usage dans le système traditionnel : l’individualisation par des noms fictifs facilitait les transactions immobilières et les expropriations de terres, engagées dès le début de la colonisation. »
Selon Freud, rappelle Karima Lazali, « le nom d’un homme est une partie constitutive capitale de sa personne, peut-être un morceau de son âme ». C’est pourquoi, poursuit-elle, « la destruction du nom est bien le meurtre de la matière du symbolique par la loi coloniale. Ainsi, les individus ont été massivement renommés, ou plutôt, a-nommés [je souligne], par l’administration hors référence à leur généalogie, au risque que dans une même famille, les descendants aient des patronymes différents, faisant des uns et des autres des étrangers à leur naissance et donc de potentiels sujets à l’inceste par la voie du mariage. Cette destruction des généalogies par des attributions de noms, hors histoire et ascendance, s’est parfois effectuée en donnant aux personnes d’un même village des noms commençant par une lettre de l’alphabet identique, afin de les contrôler de manière individuelle et d’éliminer définitivement le collectif tribal : les noms d’un premier village commençaient tous par la lettre A, ceux du suivant par la lettre B., etc. jusqu’au dernier village. […]
Il a suffi de treize années pour instituer cet état-civil. On imagine l’effroi et la sidération que cela a engendré quand on sait qu’en Algérie, les filiations étaient établies depuis des milliers d’années. Cette destruction est grave en ce qu’elle brise le lien à l’histoire et à la généalogie, faisant voler en éclat ce qui fait tenir la loi symbolique en organisant l’interdit de l’inceste par la reconnaissance des liens de ses membres. Le nom donné par l’administration coloniale devenait le marqueur de la destruction du vivant et du mort (l’ancêtre). Il était interdit, sous peine de sanctions graves, de ne pas utiliser ce nouveau nom donné qui correspondait à une bascule d’une position de sujet vers celle d’un objet à identifier, répertorier, traquer… »
Cet effacement, au sens propre (enfin, plutôt sale, immonde même) du terme, cette disparition organisée des ancêtres que l’armée avait déjà tués physiquement durant la conquête, comment imaginer que cela reste sans conséquences sur leurs descendants ?
La guerre des frères
La plus terrible de ces conséquences fut sans conteste la perte de la diversité – plus précisément peut-être, la perte de l’estime de la diversité que représentaient les peuples algériens d’avant la colonisation et, corollaire funeste, la méfiance de l’Autre, de tout Autre. La colonialité était devenue une sorte de bloc binaire colons/colonisés cimenté, voire bétonné par la haine de l’Autre. Le problème des Algériens était qu’ils n’avaient plus de terres (de lieux), d’ancêtres ni de traditions sur lesquelles s’appuyer afin de trouver la force de résister. C’est pourquoi ils eurent recours à l’arabe[16] et à la religion musulmane afin de retrouver « une communauté d’appartenance qui réinscrive de la dignité ». Ce qui était une manière de poursuivre, en quelque sorte, la dynamique coloniale en inventant de toutes pièces un « État-nation » qui n’avait jamais existé avant la conquête française. Et comme souvent dans ce type de structure, ce fut la logique de guerre qui l’emporta : les militaires s’emparèrent du pouvoir qu’ils n’ont plus lâché jusqu’aujourd’hui. Il commencèrent par marginaliser Messali Hadj, leader historique du nationalisme algérien, puis ils assassinèrent Ramdane Abane, dirigeant du FLN qui avait le tort de prôner la prééminence des civils sur les militaires dans l’organisation de la résistance, ce qui avait d’ailleurs été approuvé par le congrès du FLN dit de la « Soummam » en 1956. Il n’est pas indifférent de voir les « vendredistes » du 27 décembre rendre « un vibrant hommage », selon le journal El Watan, à Ramdane Abane[17].
Lorsque la jeunesse se révolta en 1988 (soit une génération qui n’avait pas connu l’intouchable « guerre d’indépendance »), les généraux survivants des luttes fratricides n’hésitèrent pas à leur tirer dessus. Ils surent aussi tirer parti de la résistible montée en puissance des islamistes en « organisant » une nouvelle décennie de terreur, ponctuée d’exactions et de massacres et dont on ne saura probablement jamais qui y a tué qui[18].
Et cette réitération du pire n’a pas oublié non plus les changements de noms : « En Algérie, dit-elle, beaucoup de noms patronymiques ont été a nouveau modifiés suite à des “erreurs” de transcription au moment du passage au passeport biométrique en 2009. L’aspect fictif des patronymes algériens s’est pleinement révélé à cette occsion du passage d’une langue (français) à l’autre (arabe), réitérant l’opération coloniale de destruction des patronymes. Les noms hérités durant la colonisation – afin de s’assurer une maîtise de la population et des terres – devenaient quasi méconnaissables lors de leur retranscription en arabe. Car l’état-civil algérien a continué à se référer aux codes de retranscription imposés par l’administration coloniale, c’est-à-dire à ce qui avait fait du lieu de la filiation un non-lieu. […]
L’impossible transcription des noms dans l’Algérie indépendante est […] une conséquence du procédé colonial, car le patronyme est porteur d’un héritage impossible. Désormais, le nom disloque au lieu de rassembler, de reconnaître et d’identifier. La mutilation des patronymes dans l’Algérie indépendante est une mémoire en acte de la destruction des noms sous la colonisation, témoignant d’une réitération de l’histoire. […] Cette mutilation des noms indique clairement la poursuite dans l’entre-soi de l’œuvre coloniale. »
Sur cette question essentielle du traitement colonial des noms, Karima Lazali cite Jean Amrouche : « Il faut comprendre, écrit-il, que la première condition nécessaire pour exister est d’avoir un nom qui vous soit propre, qui ne soit pas dérobé, usurpé ou imposé. Que de temps à autre des individus, cas exceptionnels et aberrants, déraciné du passé de leur race, parviennent à s’enraciner dans le corps d’une nation d’adoption, c’est parfaitement concevable. Comme il est concevable que des émigrés oublient leur pays d’origine que généralement ils ont fui pour de bonnes raisons. Mais assimiler sur place tout un peuple suppose la destruction progressive de ce qui le constitue comme peuple, c’est-à-dire proprement un génocide[19]. »
Karima Lazali conclut son livre, dont je n’ai donné ici qu’un aperçu – je devrais, en particulier, insister sur le fait qu’elle cite longuement de nombreux·ses auteur·e·s, algérien·ne·s surtout –, avec Frantz Fanon. Celui-ci avait eu l’intuition que l ‘indépendance ne signifierait pas forcément l’émancipation, mais pourrait s’accompagner d’un nouvel asservissement. « Effacement de la mémoire, disparition des corps, dessaisissement de l’être, tels sont les signifiants du véritable “pacte colonial” qui vise à maintenir les sujets fascinés et “envoûtés” (Fanon) dans une dimension anté-politique. » S’appuyant toujours sur Fanon, Karima Lazali poursuit un peu plus loin « […] il apparaît que la part colonisée du sujet est à la recherche de son désenvoûtement. […] Ici [Fanon] avance deux pistes : d’une part, le colonialisme est occupation des espaces, dont celui du “mental” ; d’autre part, ladite décolonisation ne peut avoir lieu sans une libération du sujet par lui-même, ce qui implique un collectif autorisant et accueillant. Il s’agit donc de permettre et de construire des mises en scène qui impliquent de la catharsis. » Lazali se réfère à l’action théâtrale de Kateb Yacine et d’Abdelkader Alloula (ce dernier fut assassiné durant la guerre intérieure). Mais on peut aussi se demander si ce « collectif autorisant et accueillant » ne pourrait pas aussi être celui des « vendredistes » et des « mardistes[20] » dont l’un des slogans est tout simplement « Istiqlal ! Istiqlal ! » (« Indépendance ! »), puis « Les généraux à la poubelle, l’Algérie aura son indépendance[21] » – c’est en tout cas le vœu que je forme en cette nouvelle année.
[1] Sauf à considérer celui qu’ouvrit l’adoption, par l’Assemblée nationale en février 2005, d’une loi « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » qui disait, entre autres, à son article 4 : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » (C’est moi qui souligne.) Ce texte suscita une levée de boucliers, si bien que cet article 4 fut modifié – la deuxième phrase citée ci-dessus fut enlevée. L’Appel des Indigènes de la République fut lancé à ce moment-là, contre une certaine ambiance « néocoloniale » qui se répandait alors dans la sphère politico-médiatique. On se souviendra aussi des émeutes qui eurent lieu dans les banlieues à la fin de la même année.
[3]http://1000autres.org/sample-page : « La disparition de Maurice Audin est signalée à la préfecture par Josette Audin le 27 juin [1957], puis à nouveau par Louis Audin, son père, fin juillet. Quelques semaines plus tard, une “affaire Audin” éclate en métropole, qui permet à l’opinion de connaître, au-delà de ce sort tragique, le phénomène des “disparitions” et son mécanisme, dont le jeune universitaire membre du Parti communiste algérien est aujourd’hui encore le symbole unique. Maurice Audin ne fut qu’un parmi beaucoup d’autres. Mais, dans leur immense majorité, les proches d’Algériens victimes comme lui des parachutistes ne furent pas seulement confrontés à une police et à une justice qui fonctionnaient alors comme des auxiliaires zélés de la répression militaire. Socialement et politiquement déjà “invisibles” du fait de la situation coloniale, suspectés de terrorisme, ils ne disposèrent pas de relais dans une opinion française métropolitaine fort peu soucieuse de leur sort. Pour eux, les parachutistes ont, en somme et jusqu’à aujourd’hui, parfaitement réussi leur disparition. » L’État français (par la voix du président de la République) a reconnu en 2018 sa responsabilité dans la disparition et la mort sous la torture de Maurice Audin, qui était devenu un symbole parce qu’il était blanc (on disait alors : « européen ») et communiste, et surtout grâce aux efforts de quelques intellectuels courageux, particulièrement Pierre Vidal-Naquet qui publia en 1958 L’Affaire Audin (éditions de Minuit, rééd. 1989).
[4] Au passage, je ne peux pas manquer de relever que « disparus » et « disparitions » nous font immanquablement penser aux dictatures militaires du cône sud de l’Amérique latine – Argentine, Chili… Et il n’est pas anodin de relever que les bourreaux des patriotes algériens accomplirent par la suite de fructueuses carrières dans la formation des tortionnaires de ces pays-là. Cette histoire est racontée par Marie-Monique Robin dans Escadrons de la mort, l’école française (éd. La Découverte/Poche, 2008).
[5] Ce que montrait très bien l’excellent livre de Jérémie Piolat, Portrait du colonialiste (La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2011).
[6] Sauf quand « le politique » s’en mêle : « […] en France, l’éventualité du trauma colonial se renverse parfois en capitalisation pour le politique : les “bénéfices de la colonisation” pour les sujets ex-“indigènes”. » (Introduction, p. 13.)
[7] Plus précisément : « Le 9 février 2019, la confirmation de la candidature de M. Bouteflika, grabataire, à un cinquième mandat présidentiel provoquait une onde de colère et d’indignation. Alors qu’articles, montages photographiques et textes rageurs foisonnaient sur les réseaux sociaux, c’est à Kherrata, le 16 février 2019, que ce qui allait devenir le Hirak a démarré. Dans cette petite ville de l’Est algérien, théâtre des massacres du 8 mai 1945 commis par l’armée française et ses supplétifs européens contre la population musulmane, des jeunes sont sortis dans la rue pour protester contre la réélection annoncée du président. Le 19, son portrait géant accroché à la façade de la mairie – conformément au culte de la personnalité imposé à la population – était arraché et déchiqueté par la foule. Trois jours plus tard, le vendredi 22, après qu’un appel anonyme à manifester eut circulé sur les réseaux sociaux, débutait dans tout le pays, jusqu’aux villages les plus reculés, un mouvement qui déboucha à la fois sur la démission de M. Bouteflika et sur l’annulation du scrutin prévu le 18 avril. » Arezki Metref, « Hirak, le réveil du volcan algérien », Le Monde diplomatique, décembre 2019. La publication de cet article, qui est une sorte de « récapitulatif » très instructif sur le hirak, a valu à ce numéro d’être interdit en Algérie. On peut le lire en ligne sur le site du journal.
[8] D’ailleurs, je note que je ne suis pas le seul à me taire beaucoup sur l’Algérie : en effet, si je ne me trompe pas, mon hebdo en ligne préféré, lundi matin, a parlé du hirak… une seule fois ! (le 22 mars dernier)
[9] On peut lire : 2018, sur certaines pierres tombales lors d’un enterrement, comme l’on reconnaît sans doute possible la Camargue et la région du delta du Rhône vers la fin du film, au point qu’un critique a pu parler de « Françalgérie », un peu comme on dit « Françafrique ».
[10] Sur la DGR, ou doctrine de la guerre révolutionnaire, voir Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort…, op. cit. ; également, sur le site de Lundi matin, les articles de Jérémy Rubinstein : « Les dérives d’une absence (d’analyse) », 4 février 2019 et « La doctrine de guerre révolutionnaire popularisée. L’influence des romans de Jean Lartéguy en Argentine », 27 novembre 2017.
[11] Dire cela n’est en aucune façon les approuver ni les justifier. Ne faisons pas du Valls « à l’envers », qui disait qu’« expliquer [le contexte, les motivations des attentats du 13 novembre 2015], c’est déjà vouloir un peu excuser »…
[12] On se souvient que la conquête française de l’Algérie a débuté en 1830.
[13] Elle exerce à Paris et à Alger, respectivement depuis 2002 et 2006.
[15] Il faut ajouter à ce sinistre bilan les crimes commis ensuite par ces même sabreurs contre le peuple français en juin 1848, en décembre 1851 (coup d’État de Napoléon dit « le petit »), durant l’écrasement de la Commune par les Versaillais et encore en Algérie en 1871, durant la terrible répression du soulèvement des « indigènes » dirigé par El Mokrani. Avant d’exporter, au xxe siècle, leur savoir-faire en Amérique latine, les militaires français l’avaient aussi exercé, un siècle auparavant, contre leur propre peuple. Notons au passage que les premières générations de ces militaires auront servi sans états d’âme successivement une monarchie (Louis XVIII puis Charles X en 1830, Louis-Philippe jusqu’en février 1848, l’éphémère Deuxième République jusqu’en décembre 1851, l’Empire jusqu’en 1870 et enfin la Troisième République). Qu’importe le régime, pourvu qu’il y ait du civil désarmé à massacrer (pardon, à « comprimer », comme disait des musulmans, en tordant un peu la bouche, ce cher hérault de la démocratie : Tocqueville !)
[18] Ce sujet mériterait évidemment un plus long développement – c’est le cas dans Le Trauma colonial où il fait l’objet d’un chapitre entier et revient à différentes reprises dans les autres. Je me borne à reprendre ici les chiffres que donne le livre : 200 000 morts et de 15 000 à 20 000 disparus – ces derniers relevant essentiellement des services de sécurité de l’État. La question a été officiellement « réglée » en 2005 par une loi dite « de réconciliation nationale » qui « blanchit » les bourreaux des différents camps (il semble qu’il y ait eu, comme durant la guerre d’indépendance entre les patriotes, de sérieux accrochages entre différentes factions islamistes) sans se préoccuper plus de faire la lumière sur les victimes, ce qui condamne leurs proches à un « deuil impossible ». Ici encore, il faut souligner que le hirak est animé avant tout par des jeunes nés après la « décennie noire ».
[19] Jean El Mouhoub Amrouche, Un Algérien s’adresse aux Français. Ou l’histoire de l’Algérie par les textes, 1943-1960, L’Harmattan, 1994.
[20] Entre autres choses à relever sur le hirak, il y a le rôle des supporters de foot, à propos desquels j’ai pu lire ici ou là qu’ils auraient été à l’origine des manifestations, dont ils assurent dans une certaine mesure le service d’ordre, et dont ils avaient inventé les chants et les slogans avant, au cours des matchs de foot… (Voir à ce sujet Mickaël Correia, « En Algérie, les stades contre le pouvoir », Le Monde diplomatique, mai 2019, lisible en ligne.) Pour reprendre les termes de James C. Scott dans La Domination et les arts de la résistance, ce sont eux, les supporters, qui pouvaient laisser affleurer en public le « texte caché » des dominés, depuis leurs « sites cachés » que sont les tribunes des stades… (https://antiopees.noblogs.org/post/2019/12/16/la-domination-et-les-arts-de-la-resistance/ Il semble aussi que la victoire de l’Algérie à la Coupe d’Afrique des nations soit venue à son tour mettre de la joie dans les manifestations, lesquelles, fait notable, n’ont cédé jusqu’ici à aucune des provocations, pourtant nombreuses, des services de sécurité qui auraient bien aimé en finir avec cette contestation par les moyens habituels : soit un massacre de plus et la terreur recommencée.
Comment, au travers des deux conflits mondiaux, les États-Unis, puissance mineure au début du siècle, s’affirment comme la puissance majeure du xxe siècle ?
Origines de la décolonisation
Les origines sont multiples. La guerre de 39-45 a joué un rôle d’accélérateur déterminant.
La colonisation a été brutale et a fonctionné surtout au profit des métropoles.
Les puissances coloniales sont affaiblies et déconsidérées. En 1945 les puissances coloniales sont surtout des pays vaincus qui ne semblent pas avoir les moyens de reprendre le contrôle de leurs colonies.
La charte de l’Atlantique (août 1941) a posé comme principe fondamental le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
La charte de San Francisco (juin 1945) crée l’ONU. L‘ONU devient une tribune pour les campagnes anti-coloniales. Les peuples colonisés s’y font entendre.
Les deux Grands, EU et URSS, soutiennent la décolonisation.
Dans le monde arabe, en mars 1945 se constitue une ligue arabe.
En Asie les mouvements nationalistes sont plus puissants et plus anciens. En Inde, le Parti du Congrès mené par Gandhi se prononce dès 1942 pour un départ « aussi vite que possible » des Britanniques (c’est le slogan « Quit India »).
Réactions variées des métropoles :
Face à ces évolutions, les puissances coloniales ont eu des réactions très variées :
La Grande Bretagne :
C’est la plus grande puissance coloniale et c’est elle qui accepte le plus facilement la décolonisation. Une volonté de décoloniser en douceur pour maintenir des liens avec les colonies, d’où la création du Commonwealth à travers lequel GB et anciennes colonies restent liées. Peu de guerres coloniales.
La France :
La France a plus de mal que l’Angleterre à se séparer de son empire colonial. En 1945, les Français pensent encore que la France ne pourra pas être une grande puissance sans son empire. La France a mis du temps à évoluer. Elle a connu des situations très variées : décolonisations à l’amiable ou guerres très meurtrières.
Partout où ils étaient nombreux les colons furent un frein à la décolonisation et ont bloqué toute évolution pacifique vers la décolonisation. Le meilleur exemple reste l’Algérie avec son million de pieds-noirs.
Les décolonisations négociées
En Asie Britannique
Les britanniques savent se retirer à temps pour éviter les guerres ouvertes.
En Inde, une indépendance dramatique
Une volonté d’indépendance ancienne.
Le 15 août 1947, l’Inde et le Pakistan deviennent officiellement indépendants. C’est l’aboutissement de longues et douloureuses tractations entre le colonisateur britannique et les Indiens mais plus encore entre les Indiens eux-mêmes .
Résistance non violente menée par Gandhi. Indépendance le 15 août 1947 mais partition du pays entre l’Union Indienne bouddhiste et le Pakistan musulman qui deviennent deux états rivaux.
Le 30 janvier 1948, six mois seulement après l’indépendance, le Mahatma Gandhi est assassiné par un extrémiste hindou.
La partition de l’Inde est le partage des territoires de l’ex-territoire colonial des Indes britanniques, au moment de l’indépendance, le 15/août/1947, en deux nations indépendantes, l’Inde et le Pakistan .
Partition de l’Inde (1947)
Cette séparation était une exigence de Muhammad Ali Jinnah, le leader de la Ligue musulmane qui craignait qu’une Inde unique ne devienne un état hindou. Elle est refusée cependant par Gandhi et dans un premier temps par les leaders du Parti du Congrès. Tous s’y résoudront sous la pression de Lord Mountbatten qui veut mener l’affaire le plus rapidement possible.
Le tracé définit un Pakistan formé de deux parties séparées géographiquement, le Pakistan oriental, devenu aujourd’hui le Bangladesh, et le Pakistan occidental, le Pakistan de nos jours, toutes deux à population majoritairement musulmane. L’Inde, quant à elle, est constituée des régions à majorité hindoue.
Le dispositif de la partition est fortement controversé et il est largement responsable d’une grande partie de la tension que le sous-continent indien connaît depuis sa mise en place.
La guerre d’Algérie : la plus violente des décolonisations (1954-1962)
L’Algérie est française depuis 1830. Ce sont des départements français avec 1 million d’Européens (pieds-noirs).
Revendications pacifiques anciennes mais répression de la France (ex. à Sétif le 8 mai 1945, répression sauvage de manifestations) qui refuse toute évolution.
D’où formation d’un parti indépendantiste : le FLN. A la Toussaint 1954, le FLN déclenche une série d’attentats. Mendès et Mitterand déclarent : «l’Algérie, c’est la France». Début de la guerre d’Algérie.
Envoi du contingent. Succès militaires français. Mais malaise grandissant en métropole (question de la torture, manifestation d’intellectuels contre la guerre, Français soutenant le FLN ).
Faiblesse du pouvoir politique à Paris et crise du 13 mai 1958 qui entraîne le retour de de Gaulle.
De Gaulle au début indécis (“Je vous ai compris”), puis, à partir du 16 septembre 1959, c’est le début d’un long processus vers l’indépendance. Réactions violentes en Algérie des colons et d’une partie de l’armée : putsch des généraux (1961) puis OAS.
18 mars 1962 : accords d’Evian. Indépendance de l’Algérie.
Très complet sur guerre d’Algérie http://www.memo.fr/article.asp?ID=CON_DEC_005
La Guerre d’Algérie
Les origines du conflit
L’Algérie est un département français depuis 1848
Entre-deux guerres, des mouvements nationalistes sont nés, réclamant la reconnaissance de l’identité musulmane, le droit de vote aux musulmans, ou encore une répartition des terres plus juste.
L’Algérie est fortement mise à contribution durant la seconde guerre mondiale
8 Mai 1945 :
Emeutes à Sétif en réponse à l’arrestation de Messali Hadj (leader du « parti populaire algérien »). Répression disproportionnée et meurtrière par l’armée française.
De 1950 à 1954, la société musulmane se paupérise. Il y a 8,5 millions de musulmans contre 500 000 européens, qui possèdent la terre et empêchent tous les projets de réformes d’aboutir.
L’administration locale est quasi-inefficace par manque de fonctionnaires.
1954 – 1958 : la IV° République face à la crise Algérienne
1954 :
Création du FLN (fusion de tous les groupes indépendantistes algériens), qui réclame l’indépendance et commence l’insurrection dans les Aurès. 1er attentats en novembre (la Toussaint rouge)
1957 :
Les pleins pouvoirs sont accordés au général Massu pour briser la guerre « par tous les moyens ».
C’est le début d’une torture systématique et légale. Malaise politique en France. La presse dénonce la torture et l’opinion publique se lasse de l’Algérie. Cependant, il n’y a qu’un seul parti s’opposant à la guerre : le PCF
Début 1958 : Revirement de l’opinion publique (le contingent est en Algérie depuis bientôt 2 ans). La IV° République est accusée d’être impuissante, les activistes gaullistes présentent de Gaulle comme l’ « homme de la situation ».
13 Mai 1958 : – L’armée et les colons font un putsch à Alger et proclament la création d’un « comité de salut public ».
1°Juin 1958 : De Gaulle est investi chef du gouvernement.
2 Juin 1958 : Il obtient les pleins pouvoirs pour réformer la constitution.
De Gaulle rétablit l’autorité politique et civile en Algérie. Il fait des promesses de réformes aux musulmans. Et lance une grande offensive militaire pour affaiblir le FLN.
15 Septembre 59 – Automne 60
4 Novembre 1960 : Discours de De Gaulle, la république algérienne existera un jour.
Les colons, furieux, manifestent. Contre manifestation du FLN qui tourne à l’émeute et casse le mythe selon lequel « le FLN ne représente qu’une minorité ».
Janvier 1961 : Référendum, ¾ des français sont prêts à laisser l’Algérie s’autodéterminer.
Juillet 1961 :
Création de l’OAS, qui sème le trouble (assassinat du maire d’Evian,…) Une guérilla urbaine est engagée entre OAS et FLN, en Algérie et en métropole. Mars 1962 : L’armée tire sur les colons à Alger.
18 Mars : Accords d’Evian signés, 90% des français les approuvent .
Mai : Retour des pieds noirs (« la valise ou le cercueil ») . 1° Juillet 1962 : L’Algérie est indépendante.
L’après décolonisation
En une trentaine d’années à peine (1945-1975), les empires coloniaux ont disparu. Certaines décolonisations se sont déroulées pacifiquement, comme en Afrique noire française ; d’autres ont tourné au drame, comme en Algérie où la guerre d’indépendance a duré huit ans.
La décolonisation a soulevé d’immenses espoirs : le « tiers-monde », comme l’on disait désormais, allait s’unir, peser sur les affaires du monde, s’enrichir ; encore trente ans après, la plupart de ces espoirs ont été cruellement déçus.
Devenus indépendants les nouveaux États doivent établir de nouvelles bases politiques et économiques.
L’Inde se dote rapidement d’une constitution. Nehru et le parti du Congrès dirigent la plus grande démocratie du monde. Mais le pays est marqué par de grandes inégalités sociales et une forte croissance démographique (360 millions d’habitant en 1950, 550 en 1970); il est touché à plusieurs reprises par de graves famines. Le gouvernement indien engage une réforme agraire puis la « révolution verte » qui favorisent la paysannerie aisée mais permet au pays d’atteindre l’autosuffisance alimentaire au début des années 1970.
En Algérie, le nouveau pouvoir est rapidement accaparé par le FLN. L’armée conserve un rôle majeur dans la vie politique ; elle contribue au renversement du président Ben Bella en 1965.
Boumediene qui lui succède, engage des réformes économiques en vue d’industrialiser le pays : nationalisation des entreprises, planification de l’économie. L’agriculture reste le point faible de l’économie dans un pays majoritairement rural et dont la population croît très rapidement (11 millions d’habitants en 1960, 18 en 1980).
Une nouvelle place dans le monde
En 1955, 29 pays africains et asiatiques se réunissent à Bandung (Indonésie). Ils se prononcent pour la poursuite de la décolonisation et déclarent leur indépendance à l’égard des Grands sur la scène internationale.
Le non-alignement est réaffirmé lors de la conférence de Belgrade en 1961 : les 25 participants refusent un monde partagé en deux blocs et souhaitent donner un rôle au tiers monde. Les conférences suivantes des non-alignés réunissent un nombre croissant d’États (75 en 1973 à Alger).
L’unité et le non-alignement du tiers monde ne résistent cependant pas aux recherches d’alliances et d’aide auprès des deux Grands. En 1971, l’Inde signe un traité avec l’URSS, tandis que le Pakistan est soutenu par les États-Unis.
Les pays du tiers monde partagent souvent les mêmes problèmes de développement : malnutrition, analphabétisme… Leurs dirigeants dénoncent une organisation inégale de l’économie mondiale : leurs pays sont réduits à être des pourvoyeurs de matières premières au profit des grands pays consommateurs.
Au sommet d’Alger en 1973, les non-alignés revendiquent un nouvel ordre économique international prenant en compte les intérêts des pays en développement. Peu après l’ONU rédige une «déclaration des droits et des devoirs économiques ». Mais le développement devient de plus en plus inégal ; certains pays s’enfoncent dans sous-développement tandis que d’autres connaissent une rapide croissance dans une économie mondialisée.
«Ce qui est scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue.» (Simone de Beauvoir – Djamila Boupacha – p. 220 – Gallimard – 1962)
Je viens de me libérer péniblement des souffrances induites par un corona, sans danger pour certains, impitoyable et fatal pour d’autres. Je suis sous suivi médical à Alger, et, selon les premiers résultats, les choses ont tout l’air d’aller de mieux en mieux. Néanmoins, 80 ans d’âge, assaisonné d’un diabète chronique et d’une prostate coriace et persistante des décennies entières, ça peut nuire aux espoirs et aux espérances de vie.
Il est indiqué de se revivifier et d’injecter de bonnes doses d’optimisme pour permettre au moral de tenir bon et de résister aux bourrasques qui menacent de projeter notre corps contre les récifs et les écueils.
Heureusement, les sciences médicales et leurs praticiens sont plus que présents et se dressent comme des sentinelles, prêts à donner l’assaut contre des «envahisseurs maléfiques», invisibles et sournois, et les obliger à battre en retraite.
Ce qui m’a perturbé davantage ces derniers temps et réduit mon énergie, c’est d’avoir été dans l’impuissance de réagir promptement pour rendre hommage à une grande avocate, une grande militante anticolonialiste que nous retrouvons sur tous les fronts, debout, infatigable, passionnée, engagée, déterminée. Je veux nommer la vénérable, l’honorable, la respectable Gisèle Halimi. Je fus très mal à l’aise d’avoir commis le ratage d’une évocation, combien regrettable que la «raison de santé» m’imposa douloureusement.
Il y a quelques années, dans les années 1960 ou 1970 probablement, j’ai eu la chance d’avoir entre les mains Djamila Boupacha, ouvrage signé par Gisèle Halimi et préfacé par Simone de Beauvoir, compagne du célèbre philosophe Jean-Paul Sartre. Puis, malheureusement, on me déroba l’ouvrage. Assez souvent quand on consent à prêter un ouvrage, c’est assurément désespérer de le récupérer. J’avais perdu deux choses à la fois :
1.- Plus aucune chance d’exploiter le contenu de l’ouvrage qui rassemble témoignages et cheminement de toutes les péripéties du procès – de Djamila Boupacha et tant d’autres – de la rue Cavaignac où siégeait le tribunal militaire, en tant que rouage de l’appareil répressif colonial. 2.- Sur une page du livre figurait une reproduction du portrait de Djamila Boupacha exécuté par le célèbre peintre Pablo Picasso, antifranquiste, innovateur du cubisme, des périodes identifiées à travers les couleurs et signataire de la prodigieuse fresque Guernica qui fit le tour du monde et des époques. Le portrait consacré à Djamila fut signé par Picasso le 8 décembre 1961.
Plus d’une trentaine d’années après, un déplacement dans la ville de Boris Vian m’offrit un cadeau inespéré. Sur les quais de la Seine (Saint-Michel), découverte miraculeuse d’un ouvrage usé par le temps et par une édition plusieurs fois décennale : Djamila Boupacha.
Cette fois-ci, il n’est plus question de m’en défaire. À mon passif, un autre ratage (dans le journalisme, un ratage est la pire des choses qui puisse arriver à un praticien de la presse) combien regrettable celui-ci. Pendant mon séjour dans la capitale de l’héroïne de la commune de 1870, Louise Michel, je me suis procuré les coordonnées de l’avocate. Visite d’hommage et de courtoisie et d’affranchissement aussi. Déception. Sa secrétaire me fit part de l’absence des murs de Paris d’une avocate qui fut la mal-aimée du régime colonialiste et des colons et qui mettait les «bouchées doubles» pour confondre la justice militaire et autres institutions coloniales sur les dossiers les plus honteux : les arrestations arbitraires, les disparitions et la torture, devenue, somme toute, une véritable institution.
Une rencontre qui m’aurait affranchi sur un certain nombre de questions, surtout dénouer cette énigme, à savoir pourquoi la «désertion» de François Mauriac du mouvement «Pour Djamila Boupacha», initié par Gisèle Halimi et animé avec une ferveur exemplaire par Simone de Beauvoir, dès le lendemain de l’arrestation de Djamila Boupacha sous plusieurs chefs d’inculpation. Pourtant François Mauriac fut certainement le personnage qui avait dénoncé très tôt la torture – 1955 – pratiquée honteusement par les institutions militaires et policières françaises dès les premiers coups de feu de l’insurrection du 1er Novembre 1954.
Question en suspens, puisque nos calendriers n’avaient pas coïncidé pour consacrer une rencontre combien aurait-elle été enrichissante pour un chercheur toujours en quête d’une partie manquante d’un puzzle, jamais complété, jamais reconstitué. L’histoire est, en fait, un perpétuel questionnement et, comme en astronomie, les «trous noirs» ne sont jamais totalement conquis, totalement explorés…
Dans «l’affaire Boupacha», Gisèle Halimi déploie une énergie toute particulière qui emprunte deux voies à la fois, simultanément, complémentaires et qui fusionnent vers un objectif essentiel, à savoir désarçonner l’édifice judiciaire colonial et enclencher (ou déclencher) une mobilisation d’une partie de l’élite intellectuelle française autour d’une cause précise, en premier chef, le dossier Boupacha mais à travers lequel entraîner un véritable mouvement de dénonciation de la torture et d’opposition à la guerre coloniale.
La première action est de nature strictement juridique. La seconde, si elle prend le relais de la première, elle est davantage politique puisqu’elle va impliquer des personnalités de divers horizons.
Si Gisèle Halimi est «au four et au moulin», elle laisse cependant le soin à Simone de Beauvoir de manier – habilement, efficacement et intelligemment – le gouvernail politique qui va permettre à ces deux grandes dames de mettre en péril un régime qui chancèle, un empire en déchéance, une république qui s’entête désespérément à assembler des débris et les épaves d’un navire qui chavire à toutes les tempêtes, s’enfonce dans les abysses malgré tous les déguisements, les rafistolages et autres «bricolages» politiques faits de mensonges et de comédies.
Côté juridique – ou justice coloniale – (consulter Sylvie Thénault) les armes étaient ô combien inégales. L’appareil judiciaire était d’une taille surprenante et gigantesque par rapport aux «coups» et aux conclusions de l’avocate du FLN – ou de l’ensemble des avocats du FLN. Les combines étaient telles que l’avocat de Boupacha s’épuisait dans l’épuisement (c’est le cas de le dire) des délais réglementaires qu’on lui accordait pour séjourner à Alger. Assez souvent, la procédure tournait à l’avantage de la justice militaire et, comble de la malhonnêteté, on s’arrangeait pour désigner un avocat d’office qui «caressait» dans le sens du poil et n’osait jamais importuner les juges militaires de la rue Cavaignac, devant lesquels défilaient à longueur d’année les résistants de l’ALN et du FLN.
D’une rive à l’autre, l’atmosphère qui régnait dans les tribunaux n’était – évidemment – pas la même. Si à Paris, Vergès, Benabdallah et Oussedik «semaient la panique dans les prétoires» (Les porteurs de valises – Rotman et Hamon), à la rue Cavaignac, les barreaux étaient sévèrement gardés et il était plus aisé pour les magistrats militaires de manipuler les procédures judiciaires à leur guise en plus des menaces ouvertement prononcées contre les défenseurs et les insultes haineuses proférées contre eux par la faune des pieds-noirs qui «accueillent» avocats et inculpés dans les salles d’audience par un récital houleux, bien achalandé d’un vocabulaire raciste, malveillant.
En dépit de cette atmosphère infestée par un appel au lynchage et encouragé par le tribunal militaire de la sinistre rue Cavaignac qui porte le nom d’un ignoble criminel de la conquête française, maître Gisèle Halimi – et ses confrères – se cramponnait, vaille que vaille, aux fragiles cordes de la procédure et parvenait avec adresse à «troubler» elle aussi les prétoires algérois et gagner quelques batailles juridiques en utilisant les armes et les contradictions de l’adversaire et débusquer les failles d’un appareil judiciaire pourtant solidement barricadé dans la lenteur et les astuces les plus mesquines et les plus déshonorantes.
Malheureusement pour l’avocate et sa «cliente», le procès de Boupacha sera certainement le plus long de tous les procès intentés aux Algériens pendant la guerre d’indépendance. Le plus long, en ce sens qu’il chevauchera sur «deux territoires». Le premier acte en Algérie, le second en France au prix d’une harassante procédure. Maître Gisèle Halimi remet en cause les examens médicaux et exige le transfert de Djamila Boupacha en France et obtient l’intervention d’experts et, parallèlement, elle accède à la saisie d’une juridiction autre que celle qui sévit à Alger. Bien sûr, nous avons l’impression que la bataille juridique – aux armes toujours inégales – est presque remportée. La procédure est frappée – sciemment – d’une lenteur inouïe ; en somme, la défense s’oppose à une «arme à double tranchant» qui rend les démarches pénibles et la besogne fastidieuse. Boupacha subit, entre-temps, le poids d’un fardeau psychologique traumatisant, consécutivement à ces «va-et-vient entre les cabinets des magistrats et les cabinets médicaux, ces derniers appelés à «exhiber» ce qui resterait des traces de la torture. Le temps s’écoulant, il subsiste, bien sûr, le risque d’effacement de toute marque de sévices subis.
Djamila Boupacha, tourmentée dans son âme et persécutée dans son corps, a traîné assez longtemps une infirmité dans la région de l’épaule parce que les parachutistes français s’étaient mis à piétiner son corps avec haine et brutalité. Faire traîner les choses, alourdir au maximum les procédures, c’est inévitablement réduire toutes les chances aux experts médicaux de «la Métropole» de découvrir la moindre trace qu’auraient laissée des actes de brutalité et de violence, signés par l’institution militaire française qui passe le relais à l’institution judiciaire, chargée de parachever et justifier les «opérations de pacification» ou «du maintien de l’ordre».
Le comble de l’anachronisme ou encore celui de la bassesse et de la mesquinerie dont fait état l’autorité judiciaire, c’est lorsqu’elle réclame à la défense les «frais de transfert» de Djamila Boupacha d’Algérie vers la France.
C’est d’ailleurs par quoi nous tenterons de résumer l’action politique qui s’est toujours superposée ou accompagnait la bataille purement juridique. Au-devant de la scène, nous retrouvons, bien sûr, Simone de Beauvoir, toujours «flanquée» de Gisèle Halimi qui vont, toutes les deux, lancer le mouvement «Pour Djamila Boupacha».
Faut-il préciser aussi, qu’avant de satisfaire à la «quête» de la collecte des «frais de transfert» de Boupacha – les caisses de la trésorerie officielle étant «pratiquement vides» — le comité pour Djamila Boupacha a déjà franchi d’importantes étapes. Des meetings, rencontres marathons brassent et mobilisent autour de la cause une partie de l’élite intellectuelle française (cinéastes, acteurs, comédiens, écrivains, journalistes, d’anciens résistants antinazis, artistes, de simples citoyens aussi). En définitive, Simone de Beauvoir, personnalité très influente, adoptée et écoutée dans les milieux du savoir, de la production intellectuelle, a le don de la persuasion. De surcroît, c’est aussi la compagne d’une autre lumière du temps : Jean-Paul Sartre, philosophe du siècle et père d’un «existentialisme» qui séduit une colonie fébrile d’une jeunesse française, toujours en quête et en attente de réponses définitives aux énigmes du monde et des sociétés qui bourdonnent dans tous les sens sans aucune précision sur le chemin à prendre.
Le 24 juin 1960, c’est le coup d’envoi. Le comité Djamila Boupacha organise une conférence de presse pour dévoiler au grand public que des choses horribles ont lieu en Algérie où le régime ne parle que «d’événements», de «pacification» ou de «maintien de l’ordre», contre une minorité d’agitateurs et de bandits de droit commun. Après l’intervention de l’auteur du Deuxième Sexe qui inaugure les débats, c’est Bianca Lambin qui donne lecture de la lettre du père de Djamila Boupacha qui, dans un français phonétique, décrit les effroyables et humiliantes séances de tortures qu’il avait atrocement subies. Le silence et l’émotion dans la salle étaient tels que la lectrice est saisie de sanglots. C’est Simone de Beauvoir qui se charge de terminer la lecture du supplicié aux accents si sincères, si émouvants et si révoltants à la fois. Bon nombre de Françaises, anciennes résistantes ou déportées pendant la Seconde Guerre mondiale, adhèrent sans hésiter, avec un engagement politique exemplaire, au mouvement qui n’est autre que le précurseur du manifeste des 121. Germaine Tillon et Anise Postel, toutes deux anciennes déportées, s’acquittèrent d’un rôle remarquable au sein du comité pour dénoncer les tortionnaires de Djamila Boupacha.
Aux rencontres qui apportent davantage d’éclairages sur une guerre que le régime maquille effrontément en «événements» ou encore – hypocritement – en «opérations de maintien de l’ordre», s’ajoutent des dizaines de correspondances que compile, tous les jours, le comité pour Djamila Boupacha et dont le contenu exprime colère et réprobation contre les pratiques indignes dont avaient souffert auparavant les Français sous l’occupation allemande.
Émotions aux accents intenses, dénonciation d’une guerre injuste livrée à un peuple qui exige sa liberté, solidarité avec une jeune femme – Djamila Boupacha – «abîmée» moralement et physiquement par une armée immorale au service d’un «empire colonial agonisant» qui creuse lui-même son propre tombeau en terre algérienne ; ce sont là mille et une opinions que certaines Françaises et certains Français ont refusé de refouler indéfiniment ou se taire sur des méfaits honteux commis – tous les jours – en leur nom. Écrivains de renom et de talent grossissent les rangs du mouvement, animé et conduit avec une intégrité morale et intellectuelle, épuré de tout esprit démagogique et manipulateur ; action incarnée par deux femmes indignées et en colère : Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. Si François Mauriac se fait remarquer par une absence qui nous taraude encore l’esprit, les lettres françaises sont puissamment et merveilleusement présentes grâce à une écrivaine qui a déjà conquis les milieux de la littérature française : Françoise Sagan. La «mère» de Bonjour tristesse rejoint, sans hésiter, le comité et la lettre qu’elle lui adresse a provoqué un véritable choc dans les consciences et induit une accélération supplémentaire au mouvement, en suscitant de nouvelles adhésions notamment. Le contenu du «document» de Françoise Sagan – une femme en colère et en douleur – ne pouvait pas traverser le paysage médiatique et l’opinion publique dans l’indifférence. La force littéraire, l’émotion, l’indignation exprimées par une femme d’esprit sont autant d’incitations à la dénonciation de la torture et à la formation de nouveaux contingents en devoir de donner l’assaut au mensonge et à la supercherie.
Pendant que le comité piloté par Simone de Beauvoir sensibilise courants et opinions, sème le sentiment de la révolte, le réseau Jeanson mis en place – dans la clandestinité – est déjà à l’œuvre et en mouvement.
Le Comité Audin animé par l’historien Pierre Vidal-Naquet tient la dragée haute aux ennemis de la justice et de la vérité ; l’affaire Ali Boumendjel, jeté par-dessus le 6e étage d’un immeuble à El-Biar, a déjà provoqué de sérieux remous dans les sphères politiques dirigeantes.
La guillotine est mise en action le 19 juin 1956 avec la première décapitation de H’mida Zabana, estropié et à moitié aveugle, marchant vers l’échafaud avec courage et dignité. L’assassinat de Mohamed-Larbi Ben M’hidi par une pendaison «convertie», sans honte ni pudeur, en suicide par une armée qui a fait du sens de l’honneur une bouse de vache.
Ce sont de tragiques chapitres qui ne sont d’ailleurs que des «arbres qui cachent la forêt», écrira plus tard Raphaëlle Branche (La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie – Gallimard – 2001), puisque ce sont des «événements connus qui n’ont pu contourner le scandale, tandis que tout le paysage s’était transformé en un «vaste chantier» de répression, de séquestration, de torture, en «corvées de bois», déguisées en «évasions…
C’est ce qui fera dire, entre autres, à Simone de Beauvoir, cependant qu’elle remue ciel et terre pour mettre à… terre les « professionnels du mal (Benyoucef Benkhedda), la compagne de l’auteur des Mains sales (c’est le cas de le dire) proclamera en effet une sentence irrévocable pour définir avec un sentiment de révolte et d’indignation tout ce qui est mis au service de «la raison d’État», à savoir que «ce qui est scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue». (Djamila Boupacha – Gallimard – 1962).
Dans le même article, consacré en premier chef au cas Djamila, la femme-philosophe étale librement sa pensée et son opinion en ajoutant notamment : «Quand les dirigeants d’un pays acceptent que les crimes se commettent en leur nom, tous les citoyens appartiennent à une nation criminelle.» (Article publié par le journal Le Monde.)
Dans l’affaire «Djamila Boupacha», l’auteure dénonce le gouvernement français qui se tait – en vérité, il cautionne et autorise – sur la torture et les assassinats que commet l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Je me suis permis de remanier, à mon tour, la pensée pour dire : «Quand les citoyens d’un pays acceptent que les crimes se commettent en leur nom, ils deviennent autant des criminels que les dirigeants qui ordonnent de les commettre.» C’est affirmer que les pensées voyagent dans le temps et dans l’espace avec cette faculté de correspondre aux situations qui prévalent à travers les époques, tellement les régimes tyranniques se ressemblent par le recours diabolique et rusé à la notion consacrée «inviolable», l’éternelle «raison d’État», l’arme la plus redoutable qui autorise tous les abus, toutes les injustices, toutes les manipulations et tous les endoctrinements. La planète pullule d’exemples qui se sont relayés à travers les siècles et à travers les espaces. Pour reprendre le dossier Djamila, il faut rappeler que tous les subterfuges, toutes les ruses juridiques furent utilisés par l’appareil judiciaire colonial pour faire traîner indéfiniment le procès. Certes, les deux femmes, l’avocate et l’accusée, arrivent à bon port parce que la guerre d’Algérie venait de connaître l’épilogue dicté par le cours de l’Histoire, celui de l’indépendance des Algériens. En vérité, maître Gisèle Halimi arrive exténuée mais triomphante. Tandis que Djamila, elle aussi, arrive essoufflée, épuisée, l’âme traumatisée, le corps blessé mais combien réconfortée et réjouie puisque son pays et son peuple recouvrent liberté et dignité, au terme d’un long combat, âpre et acharné.
«Nous ne sommes rien sur cette terre si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples, celle de la justice et celle de la liberté.» (Frantz Fanon)
Au lendemain de l’offensive du 20 Août 1955 dans la Zone II lancée par Zighoud Youcef, c’est l’hécatombe. C’est la vengeance et la haine. Armée et milice interviennent sans pitié, rappelant le crime génocidaire de mai et juin 1945, à Sétif, Kherrata et Guelma. Skikda et sa région connaissent le même drame. 10 à 12 000 Algériens sont massacrés avec le fer, les encouragements et la bénédiction de Jacques Soustelle, alors gouverneur général, un triste sire zélé et défenseur intraitable d’une Algérie plus française que jamais.
L’Algérie a connu trois grands criminels politiques, ennemis implacables du peuple algérien dont il faut dresser les portraits en guise de témoins pour l’Histoire et la postérité. Le premier, c’est le sanguinaire sous-préfet André Achiary qui a décimé la fine fleur de la jeune Guelmoise en mai et juin 1945, en instaurant une cour martiale et en armant des groupes de miliciens – y compris enfants et adolescents – qui se ruèrent à cœur joie dans la chasse à l’Arabe. Le deuxième, avec le même profil, c’est-à-dire enclin au meurtre collectif et individuel des Algériens, c’est Jacques Soustelle, gouverneur général, qui ordonne le crime génocidaire contre les populations de Skikda et toute sa région pour venger, comme en Mai 1945, moins d’une centaines d’Européens. Imitant Achiary qui massacra des milliers d’Algériens à Guelma, Jacques Soustelle, vingt-quatre heures après les troubles, promet de distribuer des armes aux colons.
Ce qui veut dire, ni plus ni moins, qu’une autorisation au crime.
À nouveau, l’Histoire va prendre acte d’une réédition des massacres de mai et juin 1945. On pourchasse n’importe qui, on tire sur n’importe qui. Qu’importe. On massacre des milliers d’innocents. Les «coupables» avaient déjà rangé leurs «armes hypothétiques» trois ou quatre jours après le mouvement insurrectionnel. En réalité, décision est prise de faire la guerre aux populations désarmées. Tout le monde hurle à la vengeance. Colons et dirigeants. Gisèle Halimi, la future avocate de Djamila Boupacha, écrira à ce propos, lorsqu’elle aura à assurer la défense des inculpés du 20 Août 1955, lors de leur procès qui aura lieu en février 1958. Je cite : «Chaque Algérien est un fellaga qui s’ignore. Il l’a été, il l’est ou le sera. À exterminer donc» (Le lait de l’oranger – p.129 – Gallimard 1988).
Les représailles de l’insurrection de la Zone VII (20 Août 1955) n’ont pas été scrupuleusement consignées par l’histoire du martyrologe algérien et de l’esprit de sacrifice de la paysannerie algérienne qui, sans armes automatiques entre les mains, a donné l’assaut aux postes de sécurité français et aux fermes coloniales. Le troisième criminel politique, c’est Robert Lacoste, ministre résident, qui s’active avec zèle pour faire le bonheur des colons dans la mise en mouvement de la guillotine un certain 19 juin 1959. Robert Lacoste, c’est encore lui qui applaudit des mains et des pieds le vote des pouvoirs spéciaux par le Parlement français (communistes compris) et s’égosille à chanter les méfaits des parachutistes français quand ils se mettent à l’œuvre malsaine et maléfique, celle de semer la terreur et de généraliser la torture. Le diplôme d’avocate en poche, Gisèle Halima se détourne de sa mère pour choisir la justice. Elle s’engage dans un chemin périlleux. Car être avocate sous le régime colonial est un métier à haut risque. Qu’importe. Elle défend les nationalistes tunisiens (Gisèle est tunisienne), les nationalistes algériens. Elle défend Mehdi Ben Barka et des syndicalistes marocains. Elle sera également présente en Espagne pour assurer la défense des Basques antifranquistes. En Palestine, elle défendra le plus ancien prisonnier dans les geôles d’Israël, Marwan Barghouti. Elle fit l’objet, bien sûr, de toutes les ruées haineuses, porteuses d’insultes les plus honteuses et les plus ignobles animées par des fanatiques israéliens que l’«ordre» n’inquiétera nullement. Cependant, c’est en Algérie qu’on lui remarquera une présence assidue dans la défense des résistants algériens. Le procès qui fera couler beaucoup d’encre est, bien sûr, celui de Djamila Boupacha.
Toutefois, le procès où Me Gisèle Halimi subit les plus grands risques et les intimidations les plus abjectes, c’est celui du 20 Août 1955, qui se déroule le 17 février 1958 à Skikda. Les 44 inculpés sont tous originaires d’El-Halia. Par quel hasard, la fille de Tunis va se trouver aux côtés des insurgés du 20 Août 1955 ? C’est l’un des captifs qui lui envoie une lettre de la prison de Skikda dont le contenu est un véritable cri de détresse. Nous estimons qu’il ne sera pas utile d’aller au cœur des événements dans les détails, ni de conduire le lecteur à travers les méandres de la justice, ni de décrire les duels juridiques entre défenseurs et accusateurs, ni sur le dénouement de l’affaire. Il serait trop long et trop fastidieux à la fois, compte tenu des spécificités du domaine. Pour nous, l’essentiel c’est de mettre en avant l’atmosphère débordante de menaces et emplie de terreur dans laquelle vont évoluer les avocats (maître Gisèle Halimi est accompagné par maître Léo Matarasso, un autre avocat de talent).
Rappelons dans ce contexte que plusieurs avocats du FLN furent assassinés par la Main Rouge ou par l’OAS pendant la guerre d’Algérie, entre autres, maîtres Pierre Poppie, Pierre Garrigues, Thuveny, Ould Aoudia, Abed… tandis que plusieurs autres furent carrément emprisonnés par les pouvoirs répressifs français. Maîtres Jacques Vergès fit l’objet d’un attentat à Paris. La veille de l’ouverture du procès du 20 Août 1955, Skikda est loin de souhaiter la «bienvenue» aux deux défenseurs des inculpés d’El-Halia. Les premiers tracas commencent au niveau des conditions d’hébergement. Le premier hôtel affiche un refus catégorique. Les avocats des «égorgeurs d’El-Halia» sont indésirables, soutient-on. Le climat d’interdiction de séjour est déjà entretenu par la presse locale coloniale qui ranime les passions et la haine contre les insurgés du 20 Août 1955, et incite la population européenne locale à «pourchasser» leurs défenseurs.
Le bûcher est dressé. Gisèle et son confrère vont être confrontés aux pires menaces et aux pires intimidations. On frappe aux portes du deuxième hôtel. Le patron semble accepter de les héberger mais deux heures après leur installation, tout agité, il les invite impérativement à quitter les lieux. Dernière tentative auprès du troisième et dernier hôtel de la ville de Skikda. Les deux avocats s’installent. Bon signe. Cependant, le danger plane toujours. L’hôtelier, la peur au ventre, les réveille brutalement vers cinq heures du matin pour les avertir que des Européens sont prêts à tout saccager et à tout brûler. Effectivement, dehors, il y a une très menaçante agitation. La situation est bel et bien grave. Les autorités ont les yeux bandés. Elles encouragent la loi du lynchage et ne manifestent aucune volonté ni ne prennent aucune mesure pour assurer l’accueil et la sécurité des deux défenseurs. À Skikda, la terreur règne. Les deux avocats sont pourchassés et traqués d’un endroit à un autre, d’un hôtel à un autre.
Dix ans auparavant, en 1947, deux avocats parisiens, maîtres Pierre Stibbe et Henri Douzon, ont échappé à des tentatives d’assassinat fomentées par des colons tueurs. Les deux avocats avaient rejoint Madagascar pour défendre des députés malgaches accusés d’être à l’origine du soulèvement qui a coûté au peuple malgache 89 000 morts. Il est fort utile, avant de clore le chapitre de la terreur à Skikda, de consigner quelques éléments sur ce qui s’était passé à Madagascar. Un dossier – global – qui doit être scrupuleusement exploité et par là même exhumer toutes les persécutions infligées aux avocats face à la justice coloniale partout dans les anciennes colonies. La journée du 23 mars (Ali Boumendjel fut assassiné le 23 mars 1957) est décrétée journée nationale de l’avocat, c’est-à-dire sur la défense et ses droits. C’est ce qu’on appelle «avoir du pain sur la planche». À Madagascar, les colons sèment la terreur. Maître Stibbe et Douzon sont pour ainsi dire condamnés à mort. Maître Pierre Stibbe est victime d’une tentative d’assassinat dont les auteurs ne seront jamais retrouvés. Maître Henri Douzon échappera miraculeusement à la mort. En septembre 1947, il fut enlevé par une bande de tueurs masqués, lynché et laissé pour mort dans la campagne à 25 km de la ville de Diego-Suarez, au cœur des broussailles auxquelles ses agresseurs mirent le feu. Une tentative de meurtre qui n’a pas empêché l’avocat de retourner à Madagascar l’année suivante, en 1948, pour assurer la défense des députés malgaches (Source : Amar Belkhodja – Barbarie coloniale en Afrique – Anep – 2002).
Retour dans le temps et dans l’espace. Skikda, février 1958. Procès du 20 Août 1955. Maîtres Gisèle Halimi et Léo Matarasso sont jetés dehors de l’hôtel, à 5h du matin, par le dernier hôtelier de la ville. Les troubles étaient imminents. Les colons de Skikda prêts à mettre le feu à l’hôtel si les deux défenseurs ne «vident» pas les lieux. Gisèle Halimi et son confrère, comme de vulgaires malfaiteurs, se plantent avec leurs bagages devant la salle d’audience. L’avocate n’est pas une dame à courber l’échine, à baisser les bras, à hisser le drapeau blanc, à fuir le danger. Elle lance le défi et met les instances judiciaires et gouvernementales carrément devant le fait accompli en déclarant avec grand fracas qu’elle «plaiderait même s’il lui faudrait camper en salle d’audience du tribunal». La presse française et étrangère prend acte de ce cri de révolte et d’indignation et s’adonne à mille et une spéculations et libre cours à l’imagination, unique dans les annales judiciaires : «placer des lits de camp ou dresser des tentes en salle d’audience» destinés à héberger des avocats (sans domicile fixe) indésirables dans les hôtels de la ville de Skikda. Il faut croire aussi que placer la justice face à une telle impasse, Gisèle Halimi espérait faire déplacer le lieu du procès. L’appareil judiciaire, implicitement, ne cède pas et maintient les dates et lieu du procès. Pour compenser l’idée des «tentes et des lits de camp en salle d’audience» et pouvoir assurer le sommeil des deux défenseurs, image qui amusait les esprits taquins des journalistes, à l’affût du sensationnel et de l’inédit, les autorités vont recourir à une sorte de réquisition qui ne dit pas son nom. Non pas celle qui aurait dû s’appliquer – par la coercition – aux trois hôtels de la ville accompagnée d’une mise en place d’un service de sécurité et de protection de deux «auxiliaires de justice», selon les bonnes convenances, l’usage et la tradition. Malheureusement, il s’agit d’une «réquisition» d’un autre ordre, d’une autre nature qui ne hasarde pas à fâcher les partisans de la haine et de la violence. Une «réquisition» qui se déguise par un esprit de confraternité puisque ce sont deux avocats locaux qui vont souscrire à l’hébergement de Me Gisèle Halimi et Me Léo Matarasso. En d’autres termes, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une capitulation devant les menaces et les intimidations que brandissent les chefs de la conscience locale européenne qui hurlent à la vengeance alors que 12 000 Algériens avaient déjà péri sous les balles de l’armée française et de la milice au lendemain même des offensives de l’ALN qui avait encadré les groupes de paysans volontaires. La vengeance était, par voie de conséquence assumée, largement, complètement assumée. Entièrement et impitoyablement accomplie. Car, «l’Algérien est un fellaga qui s’ignore. Il l’a été, il l’est ou le sera. À exterminer donc», avait soutenu Gisèle Halimi pour décrire une atmosphère qui persistera durant toute la guerre. Le peuple algérien étant devenu, dans son ensemble, un peuple de suspects qui doivent obligatoirement passer aux aveux. Convaincue de la «culpabilité collective», Me Gisèle Halimi nous dira à propos des inculpés du 20 Août 1955 : «Au moment où ils interrogent les suspects, les policiers ne disposent pas encore des témoignages qui contrediront, plus tard, l’autopsie. Alors ils foncent. Ces Algériens doivent être coupables. Comme ils n’en ont pas d’autres sous la main, ils entreprennent de leur arracher des aveux. Par tous les moyens. Supplice de la baignoire, du courant électrique sur tout le corps, des brûlures de cigarettes sur les testicules. On ne lésine pas sur les moyens. Le secret règne, l’impunité semble assurée.» (Gisèle Halimi – Le lait de l’oranger – p.149 – Gallimard – 1988).
L’un des accusés du 20 Août 1955 raconte les moments innommables vécus en salle de torture : «Ils nous ont esquintés, comment résister ? Même le fer tu le tords avec le feu… Alors tu imagines, un homme… Nous avons dit oui à ce qu’ils avaient tapé à la machine… Nous n’en pouvions plus…» (Le lait de l’oranger – p.151).
Dans le procès du 20 Août 1955, Gisèle Halimi et Léo Matarasso sont, par voie de conséquence, contraints à «dormir dans la clandestinité» chez des confrères qui craignent eux aussi de faire l’objet d’intimidations, voire même de représailles. D’autres persécutions et déboires attendent les deux avocats auxquels on vient d’interdire le «droit au sommeil».
On estime donc que le côté hébergement est chose réglée dans le silence et la soumission des autorités administratives et judiciaires qui abdiquaient à la volonté et aux menaces de groupes racistes qui exigent que d’autres têtes d’Algériens tombent pour combler le désir morbide de persister dans l’extermination d’une race, un sentiment jamais assouvi. Nouveau chapitre auquel nos deux avocats vont s’opposer : la restauration et la nourriture. Tracas qu’ils vont subir avec tout ce que cela comporte comme bassesse et perfidie parce qu’il vise à soumettre la personne humaine à l’humiliation. Les mots d’ordre visant à punir les deux défenseurs ont fait le tour de la ville de Skikda. C’est au tour des restaurateurs de fermer les portes de leurs établissements aux deux avocats que la population «pied-noire» de Skikda assimile à des «traîtres», des «complices» des «émeutiers tueurs» de la journée du 20 Août 1955.
C’est le règne de la terreur. Tous les restaurants de la ville refusent de servir des repas aux deux hôtes de la cité. Nous surpassons le seuil de l’outrage et de l’indécence infligés aux avocats venus plaider dans une fonction dont les trois sont reconnus dans toutes les contrées de la planète. Pas d’hébergement, pas de nourriture.
Il n’y a pas d’aussi vil et lourd fardeau que ces circonstances de rejet et d’exclusion absolue, que ce lot de contraintes, de chantages, d’intimidations, ces menaces hors de l’enceinte d’un tribunal, alors les «affrontements juridiques» sur la procédure, sa forme, son fond, les preuves, les aveux qu’on arrache par la torture, n’ont pas encore lieu.
Si le problème de l’hébergement est surmonté au prix de «réquisitions» amicales, de solidarité professionnelle, favorisées par pudeur et bonnes convenances, celui de la nourriture est laissé aux bons soins des concernés eux-mêmes. Personne ne cherche à s’en inquiéter. Gisèle et son confrère «paient» l’audace d’avoir accepté de défendre des «criminels». Tout le monde se frotte les mains. Les tenants de la justice coloniale, la population européenne de Skikda, les hôteliers qui se sont débarrassés à bon compte de clients indésirables qui leur auront attiré de pires ennuis d’une faune qui entretient, d’ores et déjà, les germes d’extermination qu’on retrouvera plus tard chez l’OAS (Organisation de l’armée secrète).
Enfin, les patrons de restaurants, volontairement ou sous la menace (qui sait) interdisent leur cuisine aux deux avocats pestiférés, mal-aimés, indésirables. Côté nourriture, Gisèle Halimi n’est pas d’avis de perdre pied. Elle va mettre sous la dent (c’est le cas de le dire) ce qu’elle trouve nécessairement sous la main : du pain – évidemment —, des olives, des orangs et des… cacahuètes.
Elle raconte dans un récit tragicomique les compensations des repas chauds par des rations de cacahuètes : «Ah ! les cacahuètes… Je me souviens en avoir ingurgité des kilos, pendant les suspensions d’audience, à midi, en guise de déjeuner, le soir dans ma chambre après le couvre-feu. Le vendeur de cacahuètes opère à toute heure du jour, tard dans la nuit, et à tous les coins de rue, d’où une appréciable facilité de ravitaillement» (Gisèle Halimi – Le lait de l’oranger – p.139 – Gallimard – 1988).
Puis il lui vient en mémoire que l’un des amis de son père possède dans la corniche de Skikda un bistrot à poissons. Son père, contacté par téléphone, l’orienta aussitôt et lui indique le lieu.
Le propriétaire des lieux se dispense d’accueillir les deux avocats avec chaleur et éclat. La peur rôdait partout. Il prit précaution de les isoler dans un endroit séparé de la salle publique, en évitant avec vigilance de tous les instants des «télescopages» compromettants. Décidément, les deux confrères commencent à être rompus aux rigueurs et aux exigences de la clandestinité.
Main basse sur Skikda. Sus aux avocats des Arabes. «Ils ne dorment pas chez nous. Ils ne mangent pas chez nous.» Un leit- motiv qui fait le tour de la ville. Il reste, cependant, encore un douloureux chapitre auquel les deux défenseurs vont devoir faire face avec beaucoup de force et de dignité : c’est malheureusement celui des insultes, des injures, des offenses les plus ignominieuses et les plus abjectes.
Le jour du verdict, les pieds-noirs emplissent la salle d’audience. Ils sécrètent le ressentiment envers les deux avocats comme la vipère sécrète son venin. Gisèle Halimi entend leurs commentaires : «Ils vont payer les salauds», «ces monstres à la casserole», quand nous passons devant eux. Un homme épais et rougeaud se lève et me crache à la figure. La femme assise près de lui ponctue : «Et s’en sortent, on aura votre peau.» (Le lait de l’oranger – p.159).
Les tourments, déboires et maltraitance morale que subit Gisèle Halimi pendant son séjour infernal à Skikda sont, en réalité, un avant-goût de ce qu’elle va endurer pendant toute la guerre d’Algérie, lorsqu’elle est en charge des procès du FLN.
Le procès du maquisard d’Aumale
À nouveau et à la même époque (1958) Gisèle Halimi défend un maquisard dont le procès a lieu à Aumale (Sour-el-Ghouzlane). Une aventure fort périlleuse est vécue à cause d’un trajet à hauts risques (les gorges de Palestro). Le train Alger-Bouira contourne les zones déclarées interdites par l’armée française. Cependant, de Bouira à Aumale point de transport. Les déplacements sont réglementés et organisés par convois sous escortes militaires, à des horaires précis. On refuse à l’avocate de se joindre au convoi qui transporte les juges composant le tribunal, sous prétexte qu’elle n’est pas commise d’office. Le président du tribunal la laisse plantée sur les lieux et ironise qu’elle n’a aucun espoir d’obtenir quelque facilité ou autorisation officielle pour le déplacement. Voici donc un échantillon qui annonce la couleur, qui affranchit d’ores et déjà l’avocate sur les prédispositions d’un tribunal dans la confection d’un verdict par anticipation et dans la conduite des débats
Longues à raconter ces péripéties où le suspense rivalise avec le risque : déplacement nocturne et dangereux, panne de véhicule, prise en charge par les Algériens de passage pour terminer le trajet Aïn-Bessem-Aumale ; si bien que le président du tribunal est – désagréablement – surpris quand il constate que l’avocate est bel et bien à l’heure, malgré tous les risques et les dangers qu’un relief géographique est propice à mettre en scène à tous moments. L’épisode transport n’est pas encore clos puisque l’avocate est obligée de solliciter les services de l’armée qui accepte de l’escorter jusqu’à Aïn-Bessem parce qu’à Aumale, comme à Skikda, plus aucune chance d’être hébergée dans un hôtel. D’ailleurs, les magistrats du tribunal militaire l’avaient devancé en «raflant» toutes les chambres de l’unique hôtel de Sour-el-Ghouzlane (Aumale).
Un dilemme qui va mettre Gisèle Halimi dans une bien mauvaise posture et qui va inévitablement la conduire à trancher par égard à sa profession, à sa dignité et à celle des Algériens qu’elle a choisi de défendre. En son âme et conscience, quand on examine assez bien les conditions dans lesquelles se déroule le procès du maquisard d’Aumale, Gisèle Halimi a résolu de sacrifier sa mère quand elle estime que la justice est menacée.
Le procès est suspendu «en cours de route» par un incident qui démontre que l’avocate du FLN n’était pas une femme à se mettre à genoux et subir passivement toutes les offenses qui la mettent entre l’étau du corps militaire, d’une part, et l’enclume du corps judiciaire, d’autre part.
Les premiers harcèlements, les insultes, ironiques et humiliantes, proviennent de militaires qui, après les opérations dans les djebels, se déguisent en magistrats du tribunal militaire pour statuer sur le sort des accusés algériens. Les provocations vont bon train à l’égard d’une avocate qui défend des résistants algériens que ces mêmes militaires combattent dans les djebels. Maniaques dans les histories de procédures, les défenseurs du FLN importunent et – voire même – déstabilisent des juges souvent pressés de juger, d’en finir et de classer rapidement les dossiers.
Les remontrances des juges et autres remarques désobligeantes se traduisent souvent comme un procès (c’est le cas de le dire) à l’adresse de l’avocate qui leur rend la tâche fort pénible et harassante et, somme toute, leur fait «perdre du temps» à cause d’individus indignes du moindre intérêt. Au fur et à mesure du déroulement des débats sur le maquisard d’Aumale, le colonel ne cesse d’ailleurs de l’apostropher, propos teintés de mépris et de racisme envers les Arabes et les accusés : «Voilà trois heures que vous nous obligez à discuter de ces paperasses… Et tout ça pour un seul bicot…Quand je pense… Cette nuit nous en avons tué une douzaine.» (Le lait de l’oranger – p.266). Maître Gisèle Halimi n’est pas épargnée de la risée, d’une atteinte à la moralité et à la dignité. Elle fait l’objet d’un assaut verbal impudique émanant d’un autre officier qui profère, irrespectueux et insolent : «Une femme comme vous, venir jusqu’ici pour défendre les Arabes… alors que vous êtes faite pour l’amour…» (Le lait de l’oranger – p.266).
Au terme de la première journée des débats, Gisèle Halimi est, malheureusement, contrainte de prendre place sur un camion militaire pour être déposée à Aïn-Bessem, puisque comme nous l’avions signalé plus haut, à Aumale point d’hébergement. Une contrainte qui l’incommode et qui lui fait supporter péniblement une sorte de compromis avec des militaires hostiles à sa présence, hautins et méprisant le rôle dont elle s’acquitte pour défendre les inculpés algériens.
Le lendemain, d’autres comportements malsains, anti-déontologie et provocateurs, vont pousser l’avocate à réagir avec colère et quitter la barre malgré les insistances et les supplications du président du tribunal dont le souci primordial était de mener le procès à son terme, le plus tôt, au plus vite, comme pour se débarrasser d’une corvée.
Les gouttes qui annoncent le débordement du vase commencent avec le commissaire du gouvernement qui intervient en prélude avec une remarque associée et assaisonnée par l’insulte et le mépris, comportement qui donne l’impression que ce personnage ruminait depuis la veille les propos d’humiliation qu’il destinait à l’adresse de l’avocate parisienne. Qu’on en juge (et c’est le cas de le dire) : «Ces avocats qui ont la trouille le soir et qui crachent sur l’armée sont bien contents de trouver des convois militaires pour les raccompagner.»
Une entrée en matière outrageante, malveillante qui blesse l’amour-propre de l’avocate qui «encaisse», espérant peut-être que le président du tribunal rappellerait à l’ordre le commissaire du gouvernement volontairement et manifestement indélicat. Rien de tout cela. Bien au contraire, le magistrat persiste et signe. Il laisse sa pensée voguer librement et ne se dispense guère d’user du ton méprisant et flagrant à l’encontre du corps des défenseurs. Qu’on en juge une seconde fois :
«Ces défenseurs parisiens qui traînent leur robe d’avocat dans la boue en acceptant de pareilles causes.» (Le lait de l’oranger – p.266). Cette fois-ci la coupe est trop pleine. Elle déborde. C’est tout le barreau de Paris qui est en cause, qui est cité à la barre (c’est aussi le cas de le dire). Gisèle Halimi range ses affaires, plie sa robe et quitte la salle d’audience. Le commissaire du gouvernement avait auparavant refusé de présenter des excuses publiques.
Procès suspendu. Repris plus tard avec désignation d’un avocat d’office, en prévention d’autres incidents, d’irritation et de colère – amplement justifiée – de Maître Gisèle Halimi. Qui ne tolère plus et qui refuse avec fermeté qu’il est hors de question de porter atteinte à l’honneur des avocats et à la dignité de leurs clients. Avant de quitter la salle d’audience, elle avait d’ailleurs exigé énergiquement des excuses en public ; considérant qu’«au-delà même du principe même ; il me semblait important, pour les Algériens, de sonner l’image d’une certaine dignité de leurs défenseurs». (Le lait de l’oranger – p. 267).
Fidèle à elle-même, à ses principes, à ses engagements, Gisèle Halimi s’est fait un jour expulser du prétoire parce qu’elle avait osé démontrer – avec force et insistance – qu’il n’y a aucune comparaison à faire entre des inculpés de droit commun et des hommes qui se battent pour l’idéal de liberté et d’indépendance. Elle faisait fi des balises et autres barrières conventionnelles qui plaçaient – beaucoup plus par usage et tradition que par des règlements rigides et formels – l’avocat dans une sorte d’obligation de réserve et de se garder, par voie de conséquence, de franchir les lignes rouges.
Pendant toute sa carrière, Gisèle Halimi militait sans répit pour le réaménagement de la prestation de serment de l’avocat et pour la remise en cause de certaines obligations contenues dans le «garde-fou».
Le combat est global. Il était donc hors de question pour Gisèle Halimi de plaider en acceptant la terminologie et le vocabulaire que partagent les rouages de la police, de la gendarmerie, de l’armée et de la justice, à savoir, entre autres, que les éléments qui composent l’ALN ne sont autres que des «associations de malfaiteurs», des «hors-la-loi», des PAM («pris les armes à la main», résistants urbains (terroristes), guerre répressive (opérations de pacification), exploitation du renseignement (torture) et ainsi de suite.
L’avocate de Djamila Boupacha n’est pas de cet avis. En face, les juges militaires ne partagent pas – eux aussi, évidemment – l’avis et le défi de celle qui deviendra l’une des championnes du mouvement féministe en France et qui s’intégrera aisément dans les plus hautes sphères de la vie politique française.
L’histoire des «droits de la défense» du FLN pendant la guerre d’indépendance rendra nécessairement hommage aux avocates et avocats qui ont accepté, au péril de leur vie, d’être aux côtés des opprimés avec une mention spéciale pour Gisèle Halimi, une «rebelle» du barreau qui n’a jamais eu peur de confondre ceux qui pratiquaient à outrance le maquillage de la vérité.
«Pouvait-on assimiler, par exemple, disait-elle, au cours d’un procès, les moudjahidine algériens aux malfaiteurs de droit commun ? Ils se battaient pour leur dignité d’homme. De sujets ils se voulaient citoyens. Ils récusaient la loi française, parce que loi d’exception et d’oppression. Je tentais de l’expliquer. Je fus expulsée du prétoire. Les juges me reprochèrent d’injurier le drapeau français, d’oublier mon serment.» (Gisèle Halimi – Le lait de l’oranger – pp.115, 116 – Gallimard – 1988).
Pendant le délire du 13 mai 1958, elle s’est trouvée, par curiosité, mêlée à une foule au bord de l’hystérie. C’était aux abords du Forum d’Alger. Malgré la furie et le tumulte collectif, vagues de bousculades et les hurlements pour une «Algérie plus que jamais française», Gisèle Halimi, malgré tout, fut reconnue par un élément déchaînée qui appelle «l’armée au pouvoir», pressé d’applaudir à l’instauration du fascisme. Il vocifère pour ameuter son entourage immédiat : «C’est Halimi, c’est Halimi, la p… du FLN.» Menace imminente d’un lynchage en règle, dans la foulée, au cœur de la foule. C’est de justesse que son confrère Garrigues l’empoigne et la délivre d’un étouffement certain et sème l’agité-agitateur qui talonnait l’avocate.
Gisèle Halimi, une cible à neutraliser et à abattre. Assurément. Les harcèlements et les menaces sont monnaie courante. Les coups de fils nocturnes et anonymes dans les hôtels à Alger ou Constantine véhiculent des menaces de mort et toute une panoplie de grossièretés que seuls les lâches sont capables de débiter.
C’est avec l’OAS que les menaces de mort acculent sérieusement l’avocate du FLN. Sa condamnation à mort est décrétée et rendue publique. Ordre est donné aux tueurs de l’OAS de l’exécuter à tous moments et en tous lieux, si bien que sa protection est assurée par les membres d’un comité universitaire antifasciste qui venait de se constituer pour la garde des personnalités menacées d’attentats par l’OAS.
Une grande aventure de risque et de combat s’achève avec la guerre d’Algérie. Pour Gisèle Halimi, la mission est accomplie. Peu ou pas de contacts avec les anciens résistants des réseaux FLN. Il est plus que nécessaire qu’un travail de mémoire et d’écriture historique soit lancé pour vulgariser des épisodes marginalisés par «l’histoire officielle» et livrés carrément aux effets pernicieux de l’oubli et de l’amnésie.
Gisèle Halimi, de son vrai nom Zieza Taïeb (son père aimait l’appeler «Zeiza»), est née le 27 juillet 1927 en Tunisie. Elle fait des études en droit et commence à plaider à l’âge de 22 ans. Dès lors, elle se passionne pour le barreau, parcourant des lieux et des cieux pour défendre les victimes de l’arbitraire et de l’injustice. Avant ce périple, faudrait-il rappeler qu’avec la capitulation de la France et l’avènement du pétainisme, le juif devenait le mal-aimé et soumis aux pires persécutions. Le racisme antijuif pratiqué en Algérie par l’administration coloniale était plus féroce que celui pratiqué en Tunisie. Myriam Ben évoqua dans ses écrits ce qu’elle subissait comme insultes et brimades de ses «camarades» écolières et écoliers fils de fonctionnaires.
À Tunis, Gisèle Halimi, elle aussi était devenue le souffre-douleur de sa propre institutrice qui passait son temps à la gifler et à l’insulter sous n’importe quel prétexte : «Sale juive» ou «sale bicote». «Vous êtes le diable, tous, vous voulez nous bouffer.» Gisèle Halimi – Le lait de l’oranger – p.62 – Gallimard – 1988).
L’avocate poursuivra sa carrière d’éclat en éclat, d’exploit en exploit. Si elle ne remporte pas toutes les victoires, elle aura laissé, néanmoins, des traces qui ne disparaîtront pas de sitôt, celles de ses conclusions et de ses plaidoiries, de ses cris de colère et de révolte, de ses mises au point percutantes et imparables, infligées avec courage et témérité aux magistrats de l’appareil judiciaire répressif militaire.
Infatigable, Gisèle Halimi est d’une assiduité remarquable dans les batailles juridiques, politiques, culturelles qu’elle mène et poursuit, après la guerre d’Algérie, aux côtés de Simone de Beauvoir, Germaine Tillon et d’autres femmes dont l’action a influé notablement sur la conduite des affaires publiques avec, certainement, une prise en compte au plan international. Gisèle fut ambassadrice auprès de l’Unesco. Ses fréquentations intellectuelles les plus passionnées – les plus affectueuses aussi – sont celles consacrées au philosophe du siècle : Jean-Paul Sartre. Comme Frantz Fanon, qui avait noué un rapport intellectuel – et humain — très particulier avec Sartre, Gisèle Halimi était, elle aussi, sous d’autres traits, devenue une collaboratrice rapprochée et intime de l’époux de Simone de Beauvoir.
Les luttes et les rendez-vous avec les grands moments de l’histoire politique qui l’ont interpellée à différentes étapes de son existence sont, pour la plupart, consignées aujourd’hui dans des ouvrages d’essence sociologique, philosophique, politique et où la femme, son statut, son devenir, son avenir, se trouvent au centre des préoccupations de la grande avocate et, qui, devant les dilemmes les plus angoissants, a toujours résolu de savoir «choisir» — notion – ou slogan – qui désigna le mouvement qu’elle anima avec Simone de Beauvoir.
Mais, on est en droit de s’interroger comment Gisèle Halimi, qui se mêlait à tout et de tout, avait-elle trouvé le temps d’écrire des livres : Djamila Boupacha (bien sûr), Gallimard 1962 ; La cause des femmes -1977), Le lait de l’oranger (Gallimard – 1988), Une embellie perdue (1995) et La nouvelle cause des femmes, entre autres. Il s’agit globalement d’une œuvre littéraire militante pour le statut et la condition de la femme mais aussi d’une mémoire fragmentée et répartie à travers certains ouvrages dont le contenu traite d’un ouvrage à un autre, des thèmes variés avec une grosse part, bien sûr, consacrée à la carrière d’avocate et aussi et surtout aux procès intentés aux résistants algériens par l’appareil judiciaire colonial français.
Chez Gisèle Halimi, ce n’est pas un exercice ordinaire d’une profession impliquée dans les barreaux, c’est beaucoup plus une mission, une passion et un engagement qui correspondent parfaitement à un tempérament hostile à tout ce qui porte atteinte à la liberté et à la dignité de l’être humain et à nuire à l’émancipation de l’individu. Pour Gisèle Halimi, le colonialisme rassemblait toutes les tares qu’il fallait combattre.
Ceci en harmonie et en conformité avec les orientations des dirigeants du FLN qui, de par une lucidité avérée, ne laissaient rien au hasard. Rien ne pouvait échapper à l’«organisateur hors pair que fut le regretté Abane Ramdane, conscient de tous les enjeux, y compris le rôle que doit jouer le corps des avocats, en plus de leur engagement politique, dans l’identification avec clarté de la révolution algérienne et ses combattants. N’est-ce pas à cause d’une remise en cause d’une terminologie mensongère et tendancieuse par les officines judiciaires que Gisèle Halimi fut expulsée manu militari d’un prétoire, au milieu d’une plaidoirie ? On l’avait accusée d’avoir porté atteinte aux idéaux inamovibles de la République française.
Les «avocats maison» ou ceux désignés d’office n’étaient guère autorisés à faire le moindre clin d’œil aux «conseils pratiques» du FLN en la matière. «Choisir», exprimer le courage et la volonté de choisir, de savoir choisir, voici le principe et le guide avec lesquels Gisèle Halimi refusait toute rupture. Car assez souvent quand on se trouve dans l’incapacité de savoir «choisir» avec une application rigoureuse de l’opportunité et de la promptitude, c’est inévitablement la consécration d’un ratage fatal avec les grands rendez-vous de l’Histoire. Avoir choisi le camp des Algériens en assumant une fonction qui consistait à les défendre contre tous les abus de la justice coloniale, Gisèle Halimi mérite que nous témoignons notre sincère déférence, notre affectueux hommage et exige de nous le devoir d’entretenir dans nos mémoires le souvenir de son noble combat et de le perpétuer dans le futur en meublant la conscience de notre jeunesse.
Entre 800 et 1000 combattants algériens ont été déportés sur l'île Sainte Marguerite (France), avec leurs familles, entre 1840 et 1880, en majorité des membres de la Smala de l'Emir Abd el-Kader. Beaucoup sont morts et enterrés sur l'île, la plus grande des quatre îles de Lérins, située en face de la ville de Cannes.
L'île Sainte Marguerite est séparée du continent par un détroit de 1.100 m. Elle est couverte par une forêt et s'étend d'Ouest en Est sur une longueur de 3 km, et sa largeur est de 900 m environ.
Dans ce cimetière sont enterrés environ 600 corps de prisonniers algériens décédés au fil du temps. Les tombes sont reconnaissables encore aujourd'hui aux cercles de pierres qui les entourent.
"Seront traités comme prisonniers de guerre et transférés dans un des châteaux ou forteresses de l’intérieur pour y être détenus, les arabes appartenant aux tribus insoumises de l’Algérie qui seraient saisis en état d’hostilité contre la France."
Cet arrêté du Maréchal Soult, ministre de la Guerre français, en 1841, allait créer les conditions de l'internement d'Algériens sur le sol français, jusqu'au début du XXe siècle indique Sylvie Thénault dans son étude intitulée « Une circulation transméditerranéenne forcée : l'internement d'Algériens en France au XIXe siècle. »
Désignés par l'arrêté de "prisonniers de guerre", ces Algériens transférés en France sont ceux pris "En flagrant délit d'insurrection, les conspirateurs armés, les chefs devenus suspects à cause de leurs relations avec l'ennemi ou de leur résistance persévérante à la domination française."
A partir de 1843, date de la prise de la Smala de l'Emir Abd el-Kader, plus de 500 hommes, femmes et enfants arrivèrent dans l'île. La tenue des registres laissant à désirer, différentes sources avancent carrément le double soit un millier de prisonniers qui ont été détenus dans cette île.
Selon l'historien Xavier Yacono, entre juin et juillet 1843, 49 hommes, 113 femmes, 89 enfants et 39 domestiques ont été débarqués sur l'île, escortés d'un contingent de soldats. Ils constituent la smala de l'émir Abd El-Kader. Un chef de guerre qui a résisté longtemps à l'armée coloniale française. Ses trois épouses, ses deux fils, sa famille, ses proches et ses subordonnés ont vécu plusieurs années dans la prison du fort.
" Vingt par cellule dans le fort "
Selon Jacques Murisasco, président de l'Association de défense du patrimoine historique de l'île, beaucoup de ces prisonniers sont morts sur l'île, notamment les enfants car les conditions de vie étaient particulièrement difficiles : « Au début, ils étaient à l'intérieur du fort, à vingt par cellule. Ils ne sortaient pas et dormaient sur des paillasses. Il y avait beaucoup de maladies à cause de l'eau qui venait des gouttières et était stockée dans des citernes. »
En 1842, alertées par un médecin, les autorités ont amélioré leur sort. « Un mur de 5,60 m de haut a été construit autour de la cour pour les laisser sortir. Et ils pouvaient prendre l'eau du puits » raconte encore Jacques Murisasco.
Le cimetière musulman de l'île témoigne encore aujourd'hui de cette partie méconnue de l'histoire de l'île.
Des cercles de pierres
Ce carré de sous-bois cacherait environ 600 corps de prisonniers musulmans décédés au fil du temps. Les tombes sont reconnaissables encore aujourd'hui au cercle de pierres qui les entoure. C'est la tradition chez les Algériens. Ils protégeaient ainsi les corps de l'appétit des charognards ».
Autre curiosité, la stèle patriotique à la mémoire des soldats morts pour la France qui trône dans le cimetière musulman : « Il n'y a aucun soldat ayant combattu pour la France ici. Et pourtant, les anciens combattants viennent tous les ans déposer deux gerbes » ironise jacques Murisasco.
Ouverture d'autres centres de détention
La surpopulation de l'île, consécutive à l'arrivée massive de "prisonniers de guerre" en 1843, allait entraîner l'ouverture d'autres centres de détention : le fort Brescou, au large du cap d'Agde, puis, en 1844-1845, les forts Saint-Pierre et Saint-Louis à Sète. À Toulon, où débarquaient les prisonniers d'Algérie, le fort Lamalgue, lieu de transit, tendait à devenir permanent. Chacun de ces forts avait une capacité d'une centaine de places, de 83 à Saint-Pierre jusqu'à 180 à Lamalgue. En 1847, tous étaient saturés. Les fonctionnaires du ministère de la Guerre pensèrent alors à l'île de Ré puis à l'île d'Aix, prévoyant la réfection de bâtiments sur place.
Les envois, par ailleurs, débordèrent ponctuellement des lieux prévus. En 1857, par exemple, un homme, « auteur de troubles et de désordres », fut envoyé pour trois ans à l'île de Ré36. En 1872, de même, celle de Porquerolles figurait dans la liste des destinations à donner, en sus de celles habituelles, à plus d'un millier d'« otages » de la province de Constantine, pris dans la répression de l'insurrection déclenchée par El-Mokrani. L'appropriation du château d'If fut aussi mise à l'étude. C'est dans ce contexte que des Algériens arrivèrent en Corse. En mars 1859, lors de la première désaffection de Sainte Marguerite, trente-sept hommes repérés comme « dangereux pour l'ordre public » furent en effet transférés à la caserne Saint-François d'Ajaccio. Puis, en 1864, alors que l'insurrection des Ouled Sidi Cheikh venait de débuter, la citadelle de Corte s'y ajouta. Elle compta jusqu'à 320 internés, avant d'être abandonné en 1868 ; la caserne d'Ajaccio avait de même cessé d'être utilisée. Puis l'insurrection d'el-Mokrani en 1871 entraîna le réemploi momentané de la citadelle de Corte, ainsi que l'usage de la citadelle de Calvi. En 1883, enfin, le « dépôt des internés arabes » de Calvi déménagea de la citadelle au fort Toretta. Ce fort devint le dépôt exclusif des internés d'Algérie l'année suivante, en 1884, au moment où Sainte Marguerite fut définitivement abandonnée. Les effectifs diminuèrent fortement avec la fin des insurrections. Alors que 500 hommes environ étaient présents au fort Toretta fin 1871, ils n'y furent jamais plus de 70 à 80 à la fois par la suite.
Le lieu d'inhumation des 24 internés morts à Calvi, identifiables dans les registres d'état civil de la commune, reste toujours inconnu.
Mohamed Belkhir et Cheikh Douina
En dehors des archives publiques, un seul témoignage nous est parvenu : celui de Mohamed Belkheir. Âgé d’une soixantaine d’années au moment de son internement, en 1884, Mohamed Belkheir fut interné à Calvi pour son incitation et sa participation à la révolte dans ce Sud-Oranais que les Français peinaient à soumettre. Si la durée de son internement reste discutée, il est sûr qu’il en revint avant de mourir vers 1905
« À Calvi exilé, avec Cheikh Ben Douina, nous voilà otages ! Quand agiras-Tu, Créateur, sauveur des naufragés entre deux océans ? J’étouffe et veux fuir du pays des roumi chez les musulmans.»
« Je suis en exil à Calvi, banni de mon pays en compagnie de Cheikh Douina, comme gages. Dieu qui m’a créé, quand pourrai-je me préparer (à partir d’ici) ? Ô Toi qui délivres ceux qui sont dans une impasse, délivre-nous des deux mers. Je me sens oppressé et voudrais décamper d’une terre d’infidélité et me rendre en terre d’Islam », lit-on aussi pour son incantation calvaise.
D'autres transferts d'Algériens ont eu lieu au XIXe siècle, en particulier vers les prisons. Celles de Nîmes, d'Aniane et de Montpellier recevaient ainsi, dans les années 1840, les condamnés d'Algérie à des peines supérieures à un an, en raison des insuffisances des structures pénitentiaires dans la nouvelle colonie en cours de conquête. Le procès des insurgés de Marguerite, au tout début du XXe siècle, s'est également tenu dans la région, à Montpellier. Ces flux contraints d'Algériens vers le sud de la France, pendant plus d'un demi-siècle, renvoient à une histoire plus large, dont Jocelyne Dakhlia a déploré l'absence et qu'elle appelle de ses voeux : celle de la présence « musulmane » en France. Les traces laissées par ces internements d'Algériens en France au XIXe siècle sont ténues – ainsi il reste des tombes à Sainte Marguerite.
3.300 prisonniers
On sait que les prisonniers les plus importants, comme les plus proches parents d’Abd El Kader, ont été emprisonnés sur l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes. A Sète, il semble que la plupart des prisonniers aient été capturés au cours des combats postérieurs à la prise de la Smala d’Abd El Kader, qui a eu pour conséquence immédiate la mise en détention de plus de 3.300 personnes réparties dans toutes les prisons disponibles sur le littoral méditerranéen. Certaines ont été dirigées vers le fort Ratonneau, près de Marseille, où 520 prisonniers étaient déjà incarcérés. D’autres ont été conduites au fort de Brescou, au large d’Agde.
200 martyrs enterrés à Marseille
Les registres municipaux d’état civil mentionnent un premier décès dès le 23 août 1845, soit cinq mois après l’emprisonnement de ces hommes à Sète. Ce premier décès enregistré est celui de Ahmed ben Sebah, âgé de 40 ans, originaire de Mascara. Entre 1845 et 1856 suivent 192 autres décès. Les causes de toutes ces morts sont inconnues. Tous ces prisonniers ont toutefois reçu des soins et leurs fins de vie ont été déclarées à l’ Hôpital Saint-Charles. Leurs dépouilles ont été ensevelies dans le cimetière communal, voisin des forts, dont la célébrité est devenue retentissante, à partir de 1945, après l’inhumation du poète et académicien local Paul Valéry en souvenir duquel ce cimetière est devenu le «Cimetière Marin».
Dans les années qui suivirent la prise de la Smala d’Abd El Kader par le duc d’Aumale, entre 1846 et 1855, à Sète, de ces proscrits, il en est mort 192. Le plus jeune avait 20 ans ; il s’appelait Salem Ben Meftah, fils de Meftah et de Aïcha ; il était né à Médéa et était journalier. Le plus vieux avait 89 ans ; il s’appelait Ben Youssef ben Saïd ; les archives ne disent rien d’autre que son numéro matricule : 189. Premières victimes de la première guerre de la France en Algérie, premiers martyrs des premiers combats des Algériens pour l’indépendance, tous ces laissés-pour-compte de l’histoire ont fini «à la fosse commune du temps» qu’évoquait dans ses chansons le poète sétois Georges Brassens, sans penser à leur tragique destin. La «Rampe des Arabes» est désormais leur mémorial.
Ni anciens combattants ni tirailleurs sénégalais
L'un milite, convaincu qu'il abrite des tirailleurs sénégalais. D'autres y honorent la mémoire d'anciens combattants... qui n'en sont pas. Quelle est la vérité?
Il a frappé à toutes les portes. Convaincu du bien fondé de sa démarche. Depuis sept ans qu'il a découvert son existence, Boubou Sow, président de l'association France-Sénégal de Cannes multiplie les démarches en faveur du cimetière musulman de Sainte-Marguerite. Une nécropole occupant environ 1 000 m2, au nord de l'île. Son objectif ? « Réhabiliter ce cimetière qui abrite des tirailleurs sénégalais. »
La réponse du ministère français de la Défense
Pour ce faire, le président Sow a écrit au député-maire, au sous-préfet, à madame l'ambassadeur du Sénégal en France et jusqu'au ministère de la Défense et des anciens combattants qui lui a répondu : « Il ne s'agit pas d'un cimetière sénégalais, mais d'un cimetière musulman. Ce site accueille les corps des fidèles de l'émir Abd el-Kader faits prisonniers à la prise de la Smala en 1843 et décédés sur place. Ce cimetière n'abrite donc pas des militaires morts pour la France, seul critère qui fonde la compétence du ministère de la Défense et des anciens combattants. » Et de regretter « de ne pouvoir réserver une suite favorable » à cette demande. Donc pas de tirailleurs sénégalais dans ce cimetière.
« Une violence à la vérité historique »
Mais qui sont en fait les musulmans enterrés au petit cimetière qui jouxte celui de Crimée se demande Nice matin qui a fait sa propre enquête « Ce sont des prisonniers algériens que l'autorité coloniale a fait déporter entre 1840 et 1884, pour des motifs essentiellement politiques », affirme Michel Renard, historien, qui a consacré un ouvrage au site sous le titre "Enquête ethnographique sur une nécropole musulmane oubliée". Pour Jacques Murisasco, « ce sont essentiellement des membres de la Smala d'Abd el-Kader. »
Reste un mystère : pourquoi la stèle érigée au centre du cimetière porte-t-elle l'inscription « A nos frères musulmans morts pour la France » ? « C'est une violence à la vérité historique, déplore Michel Renard, les musulmans enterrés ici sont morts " par " la France et non " pour " la France. » Et pourtant chaque 1er novembre, la ville de Cannes, le Souvenir français et l'association « les Amis des îles », viennent, chacun, déposer une gerbe au pied de la stèle. « Et ça dure depuis 1965 ! », souligne Jacques Murisasco.
« Certains n'en démordent pas ! »
Alors qui a fait graver cette stèle et pourquoi se demande Nice Matin. En fait, et bizarrement, personne ne le sait. Ni le service des cimetières, ni les archives, ni plusieurs historiens consultés. Pas même le Souvenir français, ainsi que confirment son président le général Morel, son vice-président René Battistini, et sa présidente honoraire, Geneviève de Bustos.
Pourquoi déposer une gerbe sur un site qui n'abrite pas d'anciens combattants ? « Par habitude », évacue l'un. « J'ai essayé de dire que ce n'était pas logique, invoque un autre, mais certains n'en démordent pas ! »
« Simplement, peut-être, par méconnaissance", relative Michel Renard. "Quoi qu'il en soit, c'est un endroit émouvant, alors pourquoi ne pas imaginer faire de Sainte-Marguerite, un lieu de réconciliation ? » espère l'historien.
(Cet article a déjà été publié dans notre édition du 29 août 2016 et celle du 18 août 2019, dans l'attente que les autorités algériennes consentent à s'occuper de ce pan de notre histoire)
L’offensive générale du Nord-Constantinois le 20 août 1955, dirigée par le chahid Zighoud Youcef est un évènement historique déterminant dans la lutte de Libération nationale, car elle a atteint ses objectifs politiques et militaires, confirmé l’union entre le peuple algérien et les dirigeants de la révolution face à la propagande et aux plans du colonialisme français.
D.R
L’offensive générale du Nord-Constantinois le 20 août 1955, dirigée par le chahid Zighoud Youcef est un évènement historique déterminant dans la lutte de Libération nationale, car elle a atteint ses objectifs politiques et militaires, confirmé l’union entre le peuple algérien et les dirigeants de la révolution face à la propagande et aux plans du colonialisme français. L’offensive s’était déroulée en plein jour par les moudjahidine, la population, appuyée par des moussebiline. Son impact et sa résonance se sont répandus à travers le territoire national. Les raisons sont nombreuses. Elle a brisé le blocus qui frappait la Wilaya I historique et enregistré un succès militaire. Des représailles barbares sont perpétrées par l’armée française à travers de larges campagnes d’arrestations et des exactions ayant ciblé des milliers d’Algériens, outre les bombardements terrestres et aériens des villages. Le nombre des victimes avait atteint les 12.000 chahids. La plus horrible exaction fut le massacre collectif commis le lendemain contre des milliers d’hommes et de femmes, d’enfants rassemblés au stade de Philippeville (nom colonial de Skikda). L’offensive a permis de faire la jonction entre les régions avec rapidité, de desserrer l’étau ennemi dans les Aurès. Cet évènement restera dans les annales de la révolution comme un symbole de sacrifice. Zighoud Youcef avait décidé de lancer cette offensive parce que la situation dans la région était particulièrement préoccupante après la mort de Didouche Mourad en janvier 1955. Les grandes opérations « Violette » et « Véronique » isolèrent le massif de l’Aurès, considéré comme le berceau de la révolution. Parallèlement, au mois de mai, le colonel Ducourneau installa son PC à Smendou et déclencha une série de violentes répressions dans la région. Plusieurs douars furent rasés et de nombreuses personnes abattues froidement, sans compter les humiliations et les bastonnades. Le général Parlange s’installa également à Constantine avec les pleins pouvoirs civils et militaires. Les effectifs de l’armée française furent portés à 100.000 hommes et une division fut transférée d’Allemagne en Algérie. C’est un véritable plan de guerre qui visait la destruction de la révolution. Les objectifs de cette offensive ont été atteints. On retiendra le fait qu’elle a permis d’abord de sceller l’unité de destin de l’Algérie et du Maroc, en faisant du deuxième anniversaire de la déposition du sultan Mohammed V une journée historique en Algérie. Le martyr Zighoud Youcef a poursuivi plusieurs buts: -Dégager les Aurès de l’emprise de l’armée française -Diluer la concentration des troupes françaises dans la région -Créer une situation irréversible dans la stratégie de lutte -Dissuader tout élément tenté par l’idée de « jouer à l’interlocuteur valable avec le pouvoir colonial » -Administrer la preuve de la détermination du peuple algérien pour le recouvrement de son indépendance. La mission a été concrétisée, mais la répression coloniale fut extrêmement dure et rappela les massacres du 8 mai 1945. Le 20 août 1955 est une continuation du souffle du Premier Novembre. Zighoud Youcef, qui a planifié cette offensive, est né le 18 février 1921 à Condé Smendou, une commune de la wilaya de Constantine qui porte actuellement son nom. Il tomba dans une embuscade au lieu dit El Hamri sur les hauteurs de Sidi Mezghiche, et mourut au champ d’honneur le 23 septembre 1956. Chef politico-militaire remarquable, il a réussi à combiner Intifada et tactiques militaires. Son nom restera à jamais lié à cette offensive que la plupart des historiens impartiaux considèrent comme ayant marqué le jour où la France a perdu l’Algérie.
Un congrès emblématique
La tenue du Congrès de la Soummam, au village d’Ifri-Ouzellaguen, situé au nord-ouest de Bejaïa, le 20 août 1956 est considérée comme un acte majeur dans la lutte de Libération nationale. Des décisions importantes sont prises dans les domaines politique, militaire et structurel. Abane Ramdane, son architecte, appuyé par Larbi Ben M’hidi, allait doter la révolution d’institutions, de principes conducteurs, d’un encadrement plus efficace et plus représentatif, d’une orientation politique indispensable. C’est un acquis de première importance pour la révolution de par le fait que le Congrès a réussi à rassembler un grand nombre de responsables de plusieurs régions éloignées, malgré quelques défections, de par l’élaboration d’une plateforme dite de la Soummam, ambitieuse, qui embrassait presque tous les aspects de la révolution. Son élément le plus remarquable résidait dans les conditions qu’il énumérait pour des négociations de paix avec la France. Il y était notamment dit qu’il ne pouvait y avoir de cessez-le-feu avant la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie. Les négociateurs du FLN allaient s’y maintenir sans amendements ni modification jusqu’à l’acte final. C’est un des grands évènements qui ont marqué la révolution de Novembre 1954. Il s’est déroulé en plein combat et au cœur même du territoire national, sans que l’ennemi en découvre la date et le lieu, au même titre que le déclenchement de Novembre 54. Le colonel Amirouche avait concentré plusieurs centaines de moudjahidine et mis au point une habile diversion. Tenir un tel rassemblement sur un terrain où les forces ennemies sont supposées contrôler la région, des responsables éminents qui se réunissent pendant plusieurs jours dans le secret absolu dans les maquis de la Wilaya III est une grande victoire. Le Congrès de la Soummam a permis d’élaborer une stratégie de guerre digne des grandes révolutions contemporaines, capable de faire face à une armée disposant d’un armement imposant, soutenue par les forces de l’Alliance atlantique. L’unification de la direction armée est réalisée pour la première fois. L’une des décisions les plus significatives de ce congrès est matérialisée par la création d’un Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Une sorte de parlement révolutionnaire, qui avait seul le droit de prendre des engagements relatifs à la souveraineté nationale comme, par exemple, ordonner un cessez-le-feu. Il fut créé un Comité de coordination et d’exécution (CCE) dont la mission est de diriger le mouvement révolutionnaire, synchroniser les actions et surtout enraciner la lutte au sein des masses populaires. Ce comité, symbole de la direction collégiale, était composé de cinq membres. On relève aussi l’organisation du territoire national en six wilayas subdivisées en zones (mintaqas), plus la Zone autonome d’Alger, la création de la Fédération de France du FLN. On note également l’organisation des Moudjahidine en une armée digne de ce nom, avec ses unités régulières, avec ses grades jusqu’à celui de colonel. Abane Ramdane avait instauré la primauté du politique sur le militaire, la prééminence de l’intérieur sur l’extérieur. Des décisions sont prises dans les domaines de l’organisation populaire, de la logistique, de la santé… Rien n’est laissé au hasard. C’est un Congrès de l’unité et de l’action qui a assuré la continuité du combat libérateur.
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