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Rédigé le 19/10/2008 à 21:06 dans Souvenirs, Tourisme | Lien permanent | Commentaires (0)
La goyave, le fruit des prophètes
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La goyave, raconte la légende la plus répandue au Moyen-Orient, est un fruit qui était très apprécié par les prophètes.
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Des siècles après, elle reste encore, jusqu'à nos jours, très prisée dans cette partie du globe au point à devenir l'indétrônable fruit national dans nombre de pays, notamment en Palestine et en Jordanie. Notoire pour sa saveur succulente et son agréable arôme, la goyave est, selon un botaniste, le fruit tropical du goyavier, arbre originaire de l'Amérique centrale, où elle est toujours cultivée depuis 2000 ans.
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Au demeurant, entre la légende qui lui confère une touche de sacralité
et la vérité scientifique qui remonte son origine au Nouveau monde, le
choix est vite fait. Bien entendu, sur son goût et ses vertus
médicinales avérées. Qu'en est-il de la notoriété de la goyave en Algérie ? Occupe-t-elle une place de choix dans la corbeille sur les
tables des foyers des Algériens ? Ou au contraire, c'est un fruit peu
ou carrément méconnu de nous ? A priori, tout porte à croire que c'est
une variété rarement consommée. «Mis à part quelques goyaviers plantés
dans les jardins de particuliers, notamment dans le Sud et la région
Centre, notre ferme est, pour le moment et à ma connaissance, la seule
exploitation agricole spécialisée, depuis 1978, dans la culture de la
goyave», se targue El Hadj Hamada, fellah exploitant de la EAC 11,
située dans la commune de Fouka, wilaya de Tipasa. Tout de même,
rectifie-t-il, elle a été introduite en Algérie durant la période
coloniale.
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«Actuellement, renchérit-il, notre patrimoine en goyaviers est de 350 arbres. Nous entamons notre récolte à partir du mois de septembre. Celle-ci s'étale des fois jusqu'au terme de l'année». Cela dit, son écoulement dans les marchés, selon notre vis-à-vis, se fait parcimonieusement.
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Ce manque de débouchés dans sa commercialisation pose, en quelque façon, problème pour ses cultivateurs. «Quoique difficilement, nous trouvons toujours preneurs. Les plus férus de la goyave sont les habitants de Fouka qui l'ont introduite dans leurs habitudes alimentaires. Aussi, les Palestiniens établis en Algérie viennent souvent chez nous pour se ravitailler en grandes quantités. On compte également parmi notre fidèle clientèle quelques familles algéroises, celles des villes limitrophes et du Sud du pays», révèle El Hadj Hamada. De forme presque identique à celle de la poire, la variété de goyave cultivée à Fouka est d'une couleur verte. A sa maturité elle devient jaune tirant vers le blanc.
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Le fruit est ferme et moelleux, sa peau est lisse. Sa chaire sucrée couvre un noyau, également comestible, constitué de petites graines tendres au croquer, collées les unes aux autres par un liquide blanc épais.
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«La goyave peut être consommée nature, en jus (mixée avec du lait) ou en confiture. Dans tous les cas mes enfants en raffolent», confie volontiers Fatima Rahmani, une habitante de Koléa, venue faire le plein de goyaves à Fouka. Et d'ajouter : «A chaque fois que je viens ici, je profite pour repartir avec quelques feuilles de goyavier qui me serviront à préparer des infusions. Car ses vertus calment entre autres la toux et facilitent la digestion». En effet, à propos de ses qualités curatives et son apport en vitamines, un tour sur internet suffit pour persuaderplus d'un à adopter ce fruit. Ainsi, il s'avère que la goyave est riche en vitamines A, B et C. sa peau contient près de cinq fois plus de vitamines C que l'orange et trois fois plus que le kiwi. Ce fruit recèle également une quantité importante de calcium, de fer, de magnésium et de potassium.
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«Je crois que ce fruit mérite le droit de cité chez nous, en plus de son bon goût, ses qualités curatives et son apport nutritionnel ne sont plus à prouver. Cela étant, il y a risque dans l'avenir que mes arbres meurent, l’un après l'autre. Ce qui est vraiment atroce pour moi qui me suis occupé d'eux depuis des années.
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Donc pour leur éviter ce sort, je sollicite les pouvoirs concernés afin qu'il m'aide à creuser un puits, puisque la quantité exploitée ici pour l'irrigation est devenue insuffisante. Il faut sauver les goyaviers», conclut El Hadj Hamada.
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Amirouche Lebbal.
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Rédigé le 18/10/2008 à 19:17 dans Divers | Lien permanent | Commentaires (2)
«Tant attendu, le jour J du téléphérique Belcourt-Salembier est enfin arrivé.
C'était samedi matin (1).
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Une petite pluie fine qui vous transperçait jusqu'aux os, cabines aux vitres embuées, drapeaux de l'inauguration qui claquaient sous les rafales de vent, personnalités «imperméabilisées», curieux gosses rangés sous les rampes de lancement, parapluies ouverts des parents prudents et enfin assaut des grilles de l'entrée parce que c'était gratuit pour deux jours.
Dans la nacelle officielle, ont pris place M. Jacques Chevallier, maire d'Alger, et de nombreux conseillers municipaux, puis MM. De Lavergne, directeur des T.A., Laparre, ingénieur en chef adjoint à la direction, Ebrard, ingénieur de l'exploitation, Godard, inspecteur, Ould Aoudia, Bortolotti, Richier, délégués à l'Assemblée algérienne, Me Rime, premier adjoint au maire, le Père Beaud, curé de La Redoute... et en route.
10 h 35 ! On quitte le ciel de Diar El-Mahçoul. La cabine glisse sans difficulté. «Bon graissage», remarque un inquiet. «Confortable», dit un architecte. «Vitesse constante parfaite», note un ingénieur... A mi-chemin, nous croisons la cabine qui monte. On se salue l'espace d'un éclair... de magnésium !
En bas, c'est la foule, la ville, les toits de la rue Chopin, du bd Amiral Guépratte, les longs cous des usines, les champs de guimauve, les figuiers, les cactus. Mille cris montent jusqu'à nous. Et nous atterrissons enfin après 70 secondes de vol. Le soupir est général. «Déjà, quel dommage ! Une réalisation dont on peut être fier, car, après tout, les T.A. (2), c'est un peu nous tous».
C'est en ces termes que J.H.P., l'auteur de l'article, rapportait l'événement dans Revue Printemps-Alger 1958.
Dans la dénomination de ce premier téléphérique d'Afrique du Nord, il est fait allusion au sanctuaire de Sidi M'hamed, dont le cimetière est situé à Belcourt, ou à celui de Sidi Messaoud en amont de la falaise. Ce nouveau moyen de transport reliera donc, sur un parcours aérien de 200 mètres, ce site à Diar El-Mahçoul, haut perché sur une dénivelée de 106 mètres. A partir de cette station, la vue sur la baie d'Alger est imprenable. Une des plus belles au monde, elle constitue un arc presque régulier, enserré entre le Cap Matifou à droite et l'Amirauté à gauche. On devine de proche en proche Fort-de-l'Eau, Lavigerie. Maison-Carrée est reconnaissable à Oued El-Harrach qui dévale des monts de Chréa. Indemne jusqu'à Sidi Arcine, il deviendra un pestilentiel égout à ciel ouvert, réceptacle des rejets de fabriques d'engrais et autres produits chimiques. La moutonnière, qui tiendrait son nom des cheptels ovins qui s'engouffraient dans le port pour être exportés, longe le rivage. La voie ferrée, dont les rails scintillent au soleil, pénètre jusqu'au coeur de la ville. Au niveau des Sablettes, c'est déjà le port et l'usine à gaz combustible, appelé gaz de ville. Le Hamma, incrusté entre le Bois des Arcades et la rue Sadi Carnot, offre à la vue le Stade Municipal (20 Août) et le non moins célèbre paradis terrestre du Jardin d'essai.
De ce jardin d'acclimatation, nous retiendrons ce qui en était dit dans un écrit de l'époque. « A quelques kilomètres à l'est d'Alger, après le Hamma au Nord et descendant jusqu'au battant des lames (la Méditerranée) au Sud, s'étend le Jardin d'Essai sur une superficie de 80 hectares. Il fut créé dès 1832 dans un but scientifique et expérimental par A. Hardy sur une zone conquise sur les marécages, concédé à la Compagnie Algérienne et repris en 1914 par l'Etat. Il y a organisé une école d'horticulture et une école ménagère agricole. Ce jardin d'acclimatation vit l'introduction de végétaux et d'arbres exotiques... Cet envoûtement a inspiré bien des poètes, des peintres et même un grand musicien, le compositeur Camille Saint-Saëns. Le Jardin d'Essai est l'une des perles d'Alger. (2)
En laissant gambader le regard avide, le Mauritania et l'Aéro-Habitat accrochent la vue : ce sont les deux buildings modernes de la ville. Sidi Bennour, au loin à gauche, est reconnaissable à la silhouette de la cathédrale de Notre-Dame d'Afrique. L'éternelle Casbah recouvre de ses palais et maisons à terrasses, tel un voile de blancheur, la colline qui dégringole jusqu'au pied de l'eau au Bastion 23, ou Palais des Raïs. Le Penione est ce bout de terre qui émerge des flots et vite rejoint par une jetée.
Le centre-ville, plus compact, laisse entrevoir quelques espaces verts du square Bresson, du parc de Galland et du parc Laferrière (Khemisti) sur le Plateau des Glières (Esplanade du Palais du Gouvernement), appelé jadis Forum. Ceinturé par des boulevards portant tous les noms de gloires militaires de l'empire français en déclin, de De Lattre à Joffre et à Berthezène, ce lieu symbolisait la puissance coloniale dans ce qu'elle avait de dominateur. Les clameurs des ultras sont montées en ces lieux un certain 13 mai 1958 : les tenants de l'Algérie française, dont beaucoup d'autochtones, créaient un Comité de Salut Public à la tête duquel on intronisait le sinistre général Salan. La Quatrième République émettait ses premiers râles.
C'était là où l'on brûlait le haïk de nos aïeules en signe de fidélité à la mère patrie en danger. Toute de collines verdoyantes, la Blanche était jalousée par Marseille et Nice. Le dégradé serti de belles demeures et d'anciens palais ottomans va du balcon St Raphael (El-Biar) au Télemly et des Tagarins à la rue des Quatre Canons.
Au pied du Bois des Arcades, Belcourt de la première moitié des années cinquante du siècle écoulé est là, à portée de main. En fait, où commençait et où finissait-il, ce grand quartier populaire d'Alger ? Il est communément admis que le grand Belcourt intègre le Hamma : à ce titre, il serait limité au nord par la rue Sadi Carnot (Hassiba Benbouali), les halles centrales (aujourd'hui disparues) incluses, au sud par l'interminable chemin Fontaine Bleue (Med Zekkal) et à l'ouest par le Champ de Manoeuvres (1er Mai) et le Ruisseau au sud. Sa colonne vertébrale est la rue de Lyon (Med Belouizdad) qui débute à quelques mètres de l'entrée de l'Hôpital Mustapha, à l'entame des arcades, et qui finit au Ruisseau.
Grouillante de par son attrait commercial et ses luxueuses vitrines, cette rue principale était recouverte de pavés, ce qui permettait son entretien sans trop de dégâts. En plus du Monoprix, elle abritait les chausseurs Bata et André.
Les Chemins de Fer de la région algéroise (CFRA) desservaient le quartier par une rame de tramway qui venait de la place du Gouvernement (place des Martyrs). Ce transport urbain était alimenté par deux perches électriques. Commode et propre, on ne l'entendait point venir, n'était-ce le tintement de sa clochette. Les grandes pénétrantes étaient constituées des rues Alfred de Musset, de l'Union, Julienne, de Lorraine, Guiauchain, Villaret Joyeuse (abritant l'entreprise de peintures Vve Côte). A l'angle de cette dernière et de la rue de Lyon se trouve toujours le cercle sportif local. Le boulevard Cervantès faisant le parallèle avec celui dédié à l'Amiral Guépprate, surnommé le « mangeur de feu » pour ses faits de guerre dans les Dardanelles, est ce haut lieu historico-littéraire où le père de Don Quichotte se réfugia après sa fuite des geôles des Barbaresques.
Il n'était consacré aux autochtones que les rues Cheikh El-Kamel et Mustapha Pacha Abdou. A la jonction des rues Albin Rozet et Marey, se trouve le marché indigène d'El-Akiba. Oasis orientale, les senteurs des encens, l'odeur du café torréfié prenaient au nez. On criait, on s'interpellait avec bonhomie. C'est le vrai... souk dans sa connotation conviviale. Les rues de Suez et de l'Union rattachent la rue de Lyon au bd Thiers dans le Hamma. La rue Mustapha Pacha Abdou, qui déboule de l'école Van Vollenhoven, aboutit à la place du Monoprix, actuelle place du 11 Décembre 1960. Agrémentée par des kiosque de fleuristes et le pittoresque photographe qui se cachait sous un voile noir pour immortaliser ses prises de vue, elle était le centre du quartier.
Passées dans l'histoire, les manifestations du même nom seront les prémices annoncées de la fin de la colonisation. Cette place fut le théâtre de tuerie orchestrées par les contre-manifestants. On réprimait dans le sang une manifestation au départ pacifique et au moment où De Gaulle faisait sa tournée des popotes. La revue des rues et boulevards portant des noms de colons, militaires ou hommes du culte montre, si besoin est, le peu de cas qui était fait des autochtones. Déracinés dans leur propre pays, ils ne pouvaient que couver la révolte.
Le cimetière de Sidi M'hamed, qui se trouve à proximité de la station inférieure du téléphérique, était le lieu où se regroupaient les femmes, appelées péjorativement « moukères », pour commercer entre elles le vendredi, jour de visite aux morts. De tous les quartiers d'Alger, Belcourt est probablement le seul quartier qui était divisé à parts égales entre les Arabes et les pieds-noirs. Chacune des communautés avaient son propre marché, ses cafés, ses salles de cinéma. A propos de cinéma, le quartier ne disposait pas moins de sept salles de projection, presque toutes fermées, hélas, aujourd'hui.
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Farouk Zahi
15-10-08
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Notes et source :
1) Février 1956.
2) Devenus Régie départementale des transports algérois (RDTA), ensuite Régie syndicale des transports algérois (RSTA) au lendemain de l'indépendance.
3) «Le Diadème et les perles», Yvon Grena, une fenêtre ouverte sur le Monde méditerranéen.
Rédigé le 17/10/2008 à 10:07 dans Divers | Lien permanent | Commentaires (0)
... plus jamais ça !
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Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu la police
Assommer des manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N'a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la Commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance.
Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ?
C'était le 17 octobre 1961
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«La France est un pays de flics, à tous les coins
d’rue y’en a 100, Pour faire régner l’ordre public, Ils assassinent
impunément...»
Hexagone (Amoureux de Paname) 1975. Renaud Séchan.
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Le 17 octobre 1961, un crime d’Etat a été commis
sous un ciel obscur de la capitale française par un certain Maurice
Papon, préfet de police, sur instruction de son gouvernement. Paris!
Capitale des droits de l’homme, des égalités et de la fraternité. La
capitale de la paix quoi! à se référer aux concepts ostensiblement
affichés sur les armoiries de ses institutions et de ses municipalités.
Une cité qui s’est distinguée encore une fois, volontairement, par une
effusion de sang et de larmes de ses concitoyens. Ces
Français-musulmans, au statut d’indigènes, dont la valeur humaine est
monnayée en heure de travail, et son usage n’excède pas le seuil du
serf au service de la race des Gaules et de ses rebuts.
En une seule
nuit, 200 à 300 morts, dont la plupart noyés dans la Seine, selon le
décompte des historiens, alors que les chiffres dépassent en réalité le
double de ces estimations, subirent les affres de la haine raciale.
12.000 arrestations d’Algériens (11.538) opérées en l’espace de quatre
heures. Des milliers de handicapés à vie à cause des blessures, des
coups de crosse et d’actes de torture. La soirée s’est soldée, selon
certains analystes, par la plus grande rafle enregistrée depuis celle
du jeudi noir du 16 juillet 1942, qui emprisonnera 12.884 juifs
étrangers.
Et c’est également à Paris que la France s’est emparée
d’une nouvelle performance historique, inscrite celle-là dans les
annales de sa préfecture de police en matière de «crimes contre l’humanité».
Une tache indélébile supplémentaire dans les exploits inhumains qui
caractérisent la conquête coloniale de la France, depuis la Commune de
Paris.
Plus de 7000 policiers, 1400 CRS, et gendarmes mobiles
réveillés par la police de la préfecture et sur ordre express de Papon,
ont tenté d’étouffer dans l’oeuf, les cris de liberté exprimés
pacifiquement par une poignée de manifestants, sortis un soir défiler
leur sentiment de refus de la servitude. «Les manifestants de l’époque protestaient contre un ´´couvre-feu´´ qui avait été instauré par les autorités françaises», injustement, bien sûr, pour délit de faciès. Et le temps avait donné raison à ces indigènes.
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Un devoir de mémoire
Toute
agression, qu’elle soit verbale ou physique, n’est à mon sens, que
l’émanation du refus de l’autre. La traduction parfaite de la
xénophobie. Un sentiment d’une extrême anxiété, mêlé à une crainte
permanente, et poussé à son paroxysme, agresse, sans retenue, la
moindre forme jugée néfaste à son équilibre vital. C’est le sentiment
d’exclusion. C’est en fait, l’expression ultime de la haine, voire même
un racisme pur et dur. Ce qui s’oppose indéniablement aux vertus
d’abnégation, de justice et d’équité. Quand les agressions sont d’une
extrême violence, elles n’ont d’autre versant que les meurtres, les
massacres, les razzias et les exterminations. Et ne peuvent être en
conséquence être qualifiés que d’actes «inhumains» et «barbares».
La
France officielle refuse aujourd’hui de qualifier ses crimes. Et Dieu
en est témoin, qu’elle n’en a pas commis un ou deux, mais des milliers
depuis qu’elle a foulé cette noble terre. Nous n’avons pas encore
dressé le bilan exhaustif de ses multiples agressions pour le lui
coller à la figure et l’inviter à y répondre. Elle refuse ensuite de
les reconnaître et s’entête par-dessus tout, arrogante comme elle est,
à les circonscrire. Les gouvernements se succèdent, moulés pour
certains d’entre-eux dans un révisionnisme désuet ou un positivisme
dénués, et dans bien d’autres concepts, vidés de leur essence pour nous
proposer de suite, la lecture et l’écriture commune de l’histoire pour
éloigner l’offense.
La France, de droite ou de gauche, reste gauche
et titube à chaque occasion qu’elle fait face à son destin pour buter
encore une fois sur ce dur os qui la tient par la gorge, pour avaler de
travers ses échecs. Impossible de la faire changer d’avis malgré sa
maladresse. Tous les coups sont permis pour infléchir les tendances et
rediriger les préoccupations vers d’autres soucis. Sarko dribble,
slalome, navigue sans fins et sans buts. Au lieu de prendre son courage
à deux mains et faire face en homme responsable, à sa propre histoire,
comme l’ont déjà fait de nombreux pays à travers le monde, pour ne
citer que la récente sortie de l’Italie sur la Libye, il s’entête dans
de faux-fuyants, inféconds, qui tôt ou tard, le pousseront à buter sur
une désagréable impasse entre nos deux pays.
Cette attitude négative
ne peut qu’alourdir encore plus le poids historique du contentieux qui
pèse déjà sur le dos fragile de notre communauté à l’étranger. Les
banlieusards, les nouveaux indigènes de la République et les «désintégrés»
sont la face visible de ce refus de reconnaissance. S’ils sont fragiles
par leurs origines, la sélectivité pèsera bientôt lourdement dans les
sondages. Et la citoyenneté, bien qu’elle s’acquière, elle n’est pas un
don du ciel. Elle se pratique dans la civilité, l’urbanité et
l’acceptation de l’autre. Le 17 octobre 1961 est le dernier acte de la
répression coloniale dans toute la splendeur de sa haine envers
l’autre. L’indigène, à qui la France de Tocqueville rappelle qu’elle a
enseigné la démocratie naissante, la fraternité et l’égalité, inspirées
du modèle américain tant vénéré, reste muette devant ces crimes. Elle
lui a appris la soumission, imposé le mercantilisme, la razzia, le
brûlé vif, le gain facile. Elle l’a déraciné, spolié et transformé en
vagabond, en journalier, en khamas au point d’avoir oublié, voir perdu,
ses propres valeurs. Elle l’a exterminé, utilisé comme chair à canon.
Tel un baliseur du vide, rescapé d’un système oppressif, l’Algérien
erre aujourd’hui, insouciant dans les méandres de l’insaisissable
légèreté du quotidien.
Une positivité qui ne profite pas à tous.
Comme modèle, elle peut en être fière. Bourré de tous les défauts du
monde, résultats d’un apprentissage pratique, elle lui a par contre
appris à réfléchir, à méditer sur le sort qu’elle lui a réservé. Si
elle semble lui avoir transmis la culture de ses aïeux, de ses proches,
car elle en a fait d’abord usage pour instaurer sa suprématie, elle lui
a appris également l’entêtement à ne penser qu’à restituer cette
mémoire perdue ou chipée par «inadvertance» dans les bagages des pieds-noirs.
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L’Histoire rattrapera Papon
Le
décès de Maurice Papon ne nous fait ni oublier les crimes qu’il a
commis au nom de l’Etat français, ni l’exonère de ses exactions. Les
plaies sont encore ouvertes et les blessures aussi profondes que
l’horreur commise à l’encontre d’innocents, martyrs et oubliés, pour
que l’amnésie gagne les esprits et les coeurs se raffermissent sur
l’innommable. Il avait pourtant l’occasion de se repentir et
reconnaître ses méfaits au nom de la pénitence.
Souffrant jusqu’à
l’os d’une maladie ravageuse, il avait choisi la voie du mépris et de
l’entêtement, fidèle à ses agissements d’Octobre 1961 sous l’emprise
fiévreuse du racisme et de la xénophobie. Le refus de l’autre...,il
s’éteint.
Il peut continuer à jeter la faute sur ses semblables, les
autres, les donneurs d’ordre, même sous sa tombe, le jugement des
hommes retentira, alors que celui de Dieu, c’est peut-être déjà fait.
Maurice
Papon est un criminel qui a agi au nom de l’Etat français. Et comme
l’avait si bien exprimé notre ami, le professeur Olivier Le Cour
Grandmaison et non moins président de l’association du 17 Octobre 1961:
«la répression du 17 Octobre 1961, est un crime d’Etat». En s’interrogeant sur le fait que: «Qui
peut croire enfin,que le Premier ministre, Michel Debré, n’ait pas été
informé de cette mesure et du massacre perpétré en ces jours d’octobre
1961»? Ce qui vient à l’esprit, est comme si De Gaulle ne savait rien sur les massacres de Mai 45.
Nous.
Nous avons pris un mauvais pli, une triste habitude, en pauvres
assistés que nous sommes, à attendre que les autres fassent le boulot à
notre place. Même le devoir de mémoire est assujetti à cette situation
d’attentisme. Hier, ce fut la loi du 23 février 2005 qui allait passer
inaperçue et sans encombre, si ce n’était ces perturbateurs d’intellos
français - et de quoi je me mêle encore dirait l’autre - qui avaient
crié haut et fort leur indignation, dénonçant ce pseudo concept du «rôle positif de la colonisation», et ses intentions occultes.
Il
a fallut attendre la réaction du président de la République criant tout
haut son indignation, pour que certains politiques, associations,
réagissent à l’effet de décider de se réunir pour mijoter une «déclaration commune».
Pour que, six mois après, nos institutions hautes et basses fassent
montre d’une dénonciation, timide et inconséquente. Alors que nos
pseudo-historiens, ceux qui ne produisent que des inepties, avaient
réagi tardivement, sans rassembler pour la circonstance leurs efforts
et faire preuve de discernement en faisant converger leurs idées et
aiguiser leurs esprits, au lieu de verser chacun à sa manière, en solo,
dans sa diatribe inféconde, sur des questions pourtant sensibles ayant
un rapport direct avec l’histoire récente de notre pays.
Nous
assistons aujourd’hui à une réplique semblable à celle d’il y a
quelques années. Identique dans le fond comme dans sa forme.
L’Association du 17 Octobre 1961, nous devance, elle récidive en
dénonçant encore une fois le fait colonial et déclare son soutien à la
revendication légitime du peuple algérien qui s’exprime en fait dans
l’un des articles du statut de notre fondation.
«...Exiger des
autorités concernées et des instances compétentes de la communauté
internationale, la reconnaissance de ce crime contre l’humanité, sa
condamnation et son imprescriptibilité...»(1). C’est à cette fin
que compte parvenir notre fondation, comme souhaitent l’exprimer, ce
vendredi 17 Octobre à Paris, des associations, partis politiques et
syndicats par un rassemblement: «Exiger la reconnaissance officielle du crime commis par l’Etat français.»
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Kheiredine BOUKHERISSA *
Président de la Fondation du 8 Mai 45
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(1) Art 3 des statuts de la Fondation du 8 Mai 1945.
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Rédigé le 14/10/2008 à 18:23 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
1830-1962
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L’espace maghrébin et les politiques coloniales européennes
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Si l’on excepte les importations de blé de certains négociants marseillais, l’action des Lazaristes venus racheter les captifs victimes de la course algéroise, les bombardements réalisés contre la capitale barbaresque par Duquesne et d’Estrées, les contacts établis entre Versailles et Meknès à l’époque de Louis XIV et de l’Alaouite Moulay Ismaïl, enfin les reconnaissances du commandant Boutin pour le compte de Napoléon, les relations entre la France et le Maghreb sont demeurées réduites à très peu de chose jusqu’à la conquête d’Alger. Si elle n’avait pas dispersé ses forces entre son empire américain et ses vaines ambitions d’hégémonie européenne et si elle s’était engagée plus tôt dans les transformations de l’ère industrielle, l’Espagne aurait été mieux placée que la France pour jouer un rôle prépondérant au Maroc et dans l’ouest algérien, alors que le jeune royaume d’Italie pouvait logiquement espérer, pour des raisons évidentes de proximité géographique et d’importance du peuplement italien dans la Régence, commander aux destinées de la Tunisie, héritière de l’ancienne province romaine d’Afrique… Les hasards d’une conquête aux objectifs initialement incertains puis la volonté de compléter à l’est et à l’ouest la mainmise établie sur le territoire algérien firent que la France fut en situation de s’imposer dans ce vaste espace maghrébin qui, prolongé des étendues sahariennes, allait apparaître pendant plusieurs décennies comme le plus beau fleuron de son empire colonial.
Fruit des circonstances ou résultat d’une volonté politique cohérente, la conquête des territoires nord-africains s’effectua de 1830 à 1912 mais il faut attendre les années trente du XXe siècle pour obtenir une «pacification» complète de certaines régions du Maroc et de la Mauritanie, abusivement rattachée à l’Afrique occidentale française alors que les réalités géographiques, humaines et historiques commandaient naturellement de la placer dans l’espace chérifien, l’ancien Maroc ayant, à diverses époques de son histoire, poussé ses conquêtes jusqu’au Sénégal et au Niger.
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La chute de la Régence d’Alger
Dépendance nominale de l’Empire ottoman, la Régence d’Alger était placée sous l’autorité d’un dey qui avait longtemps tiré de la course barbaresque l’essentiel de ses ressources, ce que compromettait depuis le XVIIIe siècle la supériorité grandissante des flottes européennes. Kabyles sédentaires et Arabes nomades se partageaient l’intérieur du pays, les Turcs installés depuis le début du XVIe siècle n’ayant jamais contrôlé que les ports du littoral. La persistance d’un différend relatif à des livraisons de blé effectuées à l’époque du Directoire conduisit au fameux «coup d’éventail» reçu en 1827 par le consul de France et, faute de réparation, Charles X et son gouvernement – qui souhaitaient en finir avec l’insécurité persistant en Méditerranée occidentale et renforcer d’un succès extérieur le prestige de la monarchie restaurée, décidèrent l’envoi d’une expédition qui, placée sous les ordres du général de Bourmont, serait chargée de conquérir Alger. Plus de trente mille hommes furent ainsi débarqués à Sidi Ferruch le 14 juin 1830. Cinq jours plus tard, les troupes du dey étaient mises en déroute au combat de Staouéli et la prise de Fort L’Empereur entraînait le 4 juillet la capitulation de la ville où les Français faisaient leur entrée le lendemain. Quelques jours plus tard, une fois parti pour Naples le dey qui avait terrorisé depuis trois siècles la Méditerranée occidentale, l’État algérien disparaissait d’un coup. Victorieux, les Français se trouvèrent bien embarrassés pour exploiter leur succès, d’autant que la Révolution de juillet 1830 était venue compliquer la situation. Certains – et cette solution avait la faveur du gouvernement de Londres – songeaient alors à redonner au sultan ottoman l’administration directe de ces territoires pourtant bien éloignés de Constantinople. D’autres, comme le général Clauzel, voulaient engager la conquête de l’ensemble du pays. Prudent, le gouvernement de Louis-Philippe opta initialement pour une occupation limitée. Les Français s’installèrent ainsi dès 1830 à Oran, abandonnée depuis moins de quarante ans par les Espagnols, à Bône et à Bougie en 1832, puis à Mostaganem l’année suivante. La commission d’enquête envoyée sur place rendit ses conclusions en 1834 et approuva cette «occupation restreinte» dont les inconvénients en matière de sécurité des implantations françaises apparurent rapidement.
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Abd El-Kader
Commandant de la place d’Oran, le général Desmichels négocia alors avec l’émir de Mascara Abd el-Kader un traité qui fit du jeune chef arabe le porte-parole de la plupart des populations de l’Ouest algérien, un statut qui rendit rapidement dangereux ce jeune chef, investi du prestige que lui valait sa réputation d’être un descendant du Prophète (QSSSL). La destruction, en juin 1835, d’une colonne française au défilé de La Macta et la mise à sac de Mascara à titre de représailles marquèrent alors le début d’une guerre qui ne pouvait se terminer que par la défaite totale de l’un des deux adversaires. L’échec de l’action lancée en novembre 1835 contre Constantine conduisit cependant à la conclusion, l’année suivante, du traité de La Tafna qui reconnaissait à Abd el-Kader le contrôle de fait de l’arrière-pays d’Oran et d’Alger. La conquête très difficile de Constantine en octobre 1837 et la création du port de Philippeville dissimulaient mal la fragilité de la position française alors que le traité de La Tafna n’était pour Abd el-Kader qu’une trêve préludant à la reprise de la guerre sainte contre l’envahisseur. La lutte reprit donc en 1839 mais les colonnes mobiles organisées par le général Bugeaud finirent par avoir le dessus sur un adversaire privé de points d’appui solides. Réfugié au Maroc, l’émir parvint à entraîner le sultan contre les Français mais la victoire de l’Isly (4 août 1844) et le bombardement des ports de Tanger et de Mogador obligèrent le souverain chérifien à traiter et à se désolidariser d’un allié bien encombrant. Revenu en Oranie mais constamment traqué par les troupes françaises, l’émir se rendit au duc d’Aumale le 23 décembre 1847. La logique de l’expansion avait balayé le projet d’une simple occupation restreinte et des colons encore peu nombreux commençaient à s’installer quand la Révolution de 1848 puis l’établissement du Second Empire vinrent ouvrir une ère nouvelle dans la toute jeune histoire de l’Algérie française.
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La conquête du Sahara
Il convenait tout d’abord de terminer une conquête encore inachevée en 1850. Les campagnes menées par le général Randon eurent raison en 1857 des dernières résistances kabyles. Il était également nécessaire pour garantir la sécurité des plateaux du Tell et du massif des Aurès de contrôler les bases arrière des pillards nomades que constituaient les oasis des confins sahariens. L’occupation de Laghouat, d’Ouargla et de Touggourt fut réalisée sans grandes difficultés entre 1852 et 1854 mais la prise de contrôle des oasis du Mzab et d’Aïn Sefra n’intervint qu’en 1881-1882, celle d’In Salah et du Touat qu’en 1900-1901. Il fallut aussi attendre la liaison établie en 1900 entre Alger et le Tchad par la mission Foureau-Lamy et le combat de Tit – qui marqua, en 1902, la fin des résistances touareg dans la région du Hoggar – pour que soient enfin soumis les immenses territoires du Sud, ce Sahara auquel devaient s’attacher les noms de Duveyrier, de Flatters, de Laperrine et de Charles de Foucauld.
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La Tunisie, enjeu entre la France et l’Italie
À l’est de l’Algérie, la Régence de Tunis apparaissait comme un enjeu stratégique de première importance, à la charnière des Bassins occidental et oriental de la Méditerranée. Gouvernée par un bey théoriquement soumis à la Sublime Porte mais en réalité à peu près indépendante, la Tunisie était l’objet des convoitises rivales de la France et de l’Italie. La première entendait assurer, à l’est, la sécurité de ses territoires algériens et éviter que l’Italie ne contrarie ses ambitions en Égypte et au Levant en prenant le contrôle des accès de la Méditerranée orientale. Confrontés à une surpopulation inquiétante, les dirigeants du jeune royaume d’Italie rêvaient d’une grande politique coloniale et le territoire de l’ancienne Afrique romaine – prolongement naturel de la péninsule et de la Sicile, où la minorité européenne était constituée pour l’essentiel d’Italiens – était un objectif dont la conquête constituait une priorité pour le gouvernement de Rome. Roustan et Maccio, les deux consuls français et italien, se dépensèrent sans compter pour profiter des difficultés financières du bey mais la France pouvait espérer la neutralité bienveillante de l’Angleterre, peu désireuse de voir la jeune Italie prendre, sur la route de Suez jugée vitale pour les communications impériales britanniques, le contrôle complet du détroit de Sicile. Elle allait également bénéficier des calculs de Bismarck, soucieux de calmer les espoirs de revanche et d’encourager «le coq gaulois à user ses ergots dans les sables du Sahara». Les incursions des pillards Khroumirs en territoire algérien fournirent le prétexte nécessaire et Jules Ferry, soutenu par Gambetta, put faire valoir à des Chambres réticentes – la droite catholique voulait privilégier la ligne bleue des Vosges et la gauche radicale se voulait anticolonialiste en même temps qu’elle rappelait l’échec des aventures mexicaines du Second Empire – qu’il était nécessaire d’aller s’emparer en Tunisie de «la clef de la maison algérienne». En avril 1881, les troupes françaises pénétrèrent dans la Régence où le bey ne tenta pas de résister et accepta de signer, le 12 mai 1881, le traité du Bardo qui faisait de la Tunisie un protectorat français. Quelques mois plus tard, les troupes françaises durent faire face à des révoltes dans les régions de Kairouan et de Sfax mais celles-ci furent rapidement étouffées.
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Le Maroc au cœur des rivalités européennes
La mainmise sur le Maroc s'avéra plus difficile à réaliser. Le royaume Chérifien demeurait en effet, au tournant du siècle, avec l'Éthiopie et le Libéria, l'un des derniers territoires africains encore indépendants. Héritier d'une longue histoire, illustrée par plusieurs grandes dynasties, le Maroc avait, jalousement, préservé son indépendance, mais l'autorité du sultan ne s'étendait qu'au bled es makhzen et le souverain devait compter avec les dissidences chroniques des tribus berbères accrochées à leurs repaires montagnards. Outre la France, le Maroc intéressait par ailleurs au plus haut point plusieurs puissances européennes, parmi lesquelles l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie et, plus récemment, l'Allemagne, depuis que l'Empereur Guillaume II avait décidé de mettre en œuvre la «politique mondiale» dont s'était toujours méfié Bismarck. Plusieurs crises internationales survinrent ainsi, à propos du Maroc, et retardèrent longtemps la mise en place du protectorat français. Le «coup de Tanger» – le discours prononcé en 1905 dans cette ville par le Kaiser – conduisit à la conférence internationale d'Algésiras qui, l'année suivante, laissa une marge de manœuvre importante à la France, qui s'était déjà entendue avec l'Italie, en 1902, et avec l'Angleterre, en 1904, pour acheter – contre l'abandon de ses prétentions en Tripolitaine et en Égypte – sa liberté d'action dans le royaume chérifien. L'émeute de Casablanca, consécutive à la construction d'un chemin de fer dont le tracé traversait un ancien cimetière musulman – entraîne en 1907 un massacre d'ouvriers européens et le bombardement de la ville. L'affaire des légionnaires déserteurs accueillis au consulat d'Allemagne est à l'origine d'une nouvelle crise franco-allemande en 1908. Elle est, à peine, réglée quand l'intervention française à Fès, engagée en 1911 à la demande du sultan, a pour conséquence l'arrivée, devant Agadir, de la canonnière Panther et le débarquement d'un petit contingent allemand. L'habileté de Joseph Caillaux permet, cependant, de surmonter la crise, au prix du «troc» qui laisse à la France les mains libres, au Maroc, contre la remise à l'Allemagne d'une partie du Congo. Plus rien ne pouvait arrêter les Français et la convention de Fès, conclue en 1912 avec le sultan Moulay Hafid, établit un protectorat qui allait durer un peu plus de quarante ans. La prise de Marrakech, dès 1912, celle de Taza en 1914, permettent au général Lyautey de «tenir» le Maroc avec des effectifs réduits, tout au long de la première guerre mondiale, mais des poches de résistance montagnardes persisteront jusqu'au début des années trente et la guerre du Rif, qui mit en péril le Maroc espagnol, incita les Français à intervenir contre le chef indépendantiste Abd el-Krim, finalement contraint à la reddition.
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Le statut administratif de l'Algérie : du second Empire…
L'Algérie et les deux protectorats tunisien et marocain connurent des régimes différents. Une fois réalisée la conquête du territoire algérien, la question se posa de son statut administratif. Le pays devait-il relever des autorités civiles ou des chefs militaires ? Était-il souhaitable d'y développer une colonisation de peuplement ? Quelle politique convenait-il d'adopter vis-à-vis des populations indigènes ? Autant de problèmes auxquels furent apportées des solutions successives et contradictoires, dont aucune ne se révéla, finalement, satisfaisante. Bugeaud avait rêvé d'une colonisation militaire de paysans-soldats, mais les volontaires se firent attendre. Le Second Empire, à ses débuts, remplaça le Gouverneur général, qui était un militaire, par un Ministre de l'Algérie et plaça les territoires civils sous l'autorité de préfets tout en encourageant initialement la poursuite de la colonisation, une entreprise incertaine dans la mesure où la situation démographique et économique de la France ne pouvait guère susciter des vocations pour le départ outre-mer.
Les colons venus de métropole furent toujours trop peu nombreux et, si l'on excepte les vaincus de juin 1848 et de décembre 1851, certains Alsaciens-Lorrains protestataires de 1871 et quelques communards éloignés outre-Méditerranée, les immigrants ne furent jamais en mesure de fournir les masses nécessaires à une véritable colonie de peuplement, alors qu 'Espagnols, Italiens ou Maltais formaient une bonne partie des arrivants. La colonisation posait, également, le problème des terres qui, quand elles ne furent pas directement mises en valeur, comme ce fut le cas dans la Mitidja, furent prélevées sur les biens communautaires indigènes ou les terrains de parcours des éleveurs nomades de l'intérieur.
Une telle situation ne pouvait qu'être source de conflit ; Napoléon III en prit conscience, après le voyage qu'il effectua en Algérie en 1860, à l'issue duquel il tenta de mettre en œuvre sa nouvelle politique dite du «royaume arabe». Appliquant à l'Algérie le principe des nationalités, qui lui était cher, l'Empereur, qui préférait «utiliser la bravoure des Arabes, que pressurer leur pauvreté», imaginait alors un royaume indigène associé à la France, ce qui impliquait de limiter la colonisation européenne et de rendre au pouvoir militaire son ancienne primauté en constituant, notamment, des «bureaux arabes».
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… à la IIIe République
À l'inverse, les républicains victorieux revinrent au régime civil, prétendirent assimiler l'Algérie à la France, créèrent trois départements, confiés à des préfets, et firent des Israélites autochtones des citoyens français de plein droit. Ces transformations entraînèrent des troubles graves qui culminèrent, en mars-juillet 1871, avec la révolte du cheikh Mokrani.
Elle fut promptement réprimée, et les terres confisquées furent distribuées aux colons alors que la centralisation Jacobine, triomphante, s'appliquait à un pays bien différent de la France métropolitaine. Jules Ferry, lui-même, en convenait, en 1892, en constatant dans le rapport d'une commission sénatoriale «que les lois françaises n'ont point la vertu magique de franciser tous les rivages sur lesquels on les importe, que les milieux sociaux résistent et se défendent et qu'il faut, en tout pays, que le présent compte grandement avec le passé… Il n'est, peut-être pas, une seule de nos institutions, une seule de nos lois du continent, qui puisse, sans des modifications profondes, s'accommoder aux 270 000 Français, aux 218 000 étrangers, aux 3 267 000 indigènes qui peuplent notre Empire algérien…». Une relative autonomie fut reconnue à l'Algérie à partir de 1896, dans la mesure où le Gouverneur général redevint le chef de l'administration algérienne, qui ne dépendit plus, directement, des ministères parisiens concernés. À partir de 1898, l'Algérie eut son propre budget, voté par les Délégations financières où siégeaient des délégués élus d'Européens et de notables indigènes. Le pays connut des progrès rapides, largement mis en avant par la célébration – en 1930, un an avant la grande Exposition coloniale du bois de Vincennes, du centenaire de la conquête.
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Les protectorats tunisien et marocain
Établi en 1881, le régime du protectorat tunisien fut précisé, en 1883, par de nouvelles conventions. Le pays gardait son gouvernement et son administration indigènes, mais sous contrôle français. Les différents services administratifs furent, ainsi, dirigés par de hauts fonctionnaires français, et un résident général reçut la haute main sur le gouvernement alors que la France représentait le pays sur le plan international. La colonisation se développe, rapidement, et permet le développement des cultures de céréales et de la production d'huile d'olive, ainsi que l'exploitation des mines de phosphates et de fer, alors que les français installent, à Bizerte, un grand port de guerre. Confié à Lyautey, le Maroc devient, sous son autorité, un modèle de colonisation réussie. Hostile aux projets assimilationnistes, qu'il jugeait parfaitement irréalistes, le chef militaire qui s'était formé à l'école de Gallieni sut pacifier un pays traditionnellement rebelle et établit, solidement, l'autorité du sultan mais il reconnut, en même temps, l'identité et la personnalité du royaume Chérifien et s'efforça de les valoriser, de réaliser, en fait, à un demi-siècle de distance, ce qui avait été le projet de royaume Arabe algérien de Napoléon III. Cela ne nuit, en rien, à la modernisation du pays, symbolisée par le rapide essor de Casablanca, alors que l'installation de la capitale Chérifienne à Rabat, sur la côte atlantique, rompait avec la tradition qui avait fait de Fès, de Marrakech ou de Meknès les grandes cités historiques de l'intérieur du pays.
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Un bilan de la colonisation française
Il n’est guère facile, aujourd’hui, d’établir un bilan impartial de la colonisation française en Afrique du Nord, un bilan qui s’écarte, à la fois, des nostalgies impériales de «la plus grande France» mais, aussi, des lectures «anticolonialistes», étroitement manichéennes. La colonisation reposa, pour une part, sur d’importantes spoliations foncières mais, aussi, sur la mise en valeur de terres demeurées, jusque-là, incultes ; ces transformations contribuèrent à la création d’une agriculture moderne et performante, sacrifiée en Algérie, après l’indépendance, à une volonté de collectivisation aux conséquences catastrophiques. En 1935, les terres de colonisation ne représentaient, en Algérie, qu’un quart des surfaces exploitées, un chiffre qui permet de replacer dans de justes limites la dépossession initiale. En parallèle, d’importants travaux d’infrastructures étaient réalisés dans le domaine routier et ferroviaire – le réseau ferré passe en Algérie de 1 373 km, en 1881, à 4 724 km, en 1932. Alors que la population de souche européenne voyait ses effectifs augmenter rapidement – de 235 500, en 1872, à 946 000, en 1936 – la population indigène progressait, beaucoup plus vite, grâce à la révolution médicale introduite par les conquérants : de 2 300 000 musulmans en 1872 à 5 148 000 en 1914, et à près de dix millions en 1960.
Demeurée longtemps très insuffisante, la scolarisation des enfants indigènes réalisa, ensuite, de rapides progrès après la seconde guerre mondiale et un effort considérable de promotion sociale fut réalisé au moment de la guerre d’Algérie, dans le cadre du plan de Constantine, alors que la mise en valeur des ressources de pétrole et de gaz du Sahara permettait d’envisager un développement rapide du pays.
Les sacrifices consentis au service de la
France, par les populations nord-africaines, à l’occasion des deux guerres
mondiales, contribuèrent, également, à tisser des liens plus étroits entre la
métropole et cet outre-mer, si proche, alors que, dès les années trente, les
premières vagues de travailleurs immigrés maghrébins venaient fournir à la
métropole une partie de sa main d’œuvre industrielle.
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La fin des protectorats et l’indépendance
Fleuron de l’Empire, au temps de l ‘Exposition coloniale et du centenaire de la conquête de l’Algérie, l’Afrique du Nord française allait choisir, un quart de siècle plus tard, les voies de l’indépendance.
La volonté américaine et soviétique d’en finir avec les empires coloniaux européens, au lendemain de la seconde guerre mondiale, ne pouvait que favoriser la puissante aspiration à l’indépendance qui gagnait, alors, les peuples d’Afrique ou d’Asie. Le sultan Mohammed V et le parti nationaliste Istiqlal au Maroc, le parti Néo-Destour de Bourguiba, en Tunisie, réclament la fin du protectorat et la France, contrainte d’abandonner l’Indochine en 1954, doit concéder l’indépendance. Les accords de Carthage, conclus à l’été de 1954, préparent l’accès de la Tunisie à une pleine souveraineté, acquise en 1956. La situation est plus complexe au Maroc, où le sultan Mohammed V est momentanément déposé et exilé à Madagascar, avant qu’Edgar Faure et Antoine Pinay ne concluent, en 1955, avec ses représentants, les accords qui entraînent l’indépendance du pays, proclamée elle aussi en 1956.
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La Guerre d’Algérie
Alors que les indépendances de la Tunisie et du Maroc s’inscrivaient dans leur statut de protectorat qui était, par nature, temporaire, ce ne fut qu’à l’issue d’une guerre de près de huit ans que l’Algérie accéda à l’indépendance. Née de la conquête et de la colonisation, l’Algérie était française depuis plus longtemps que Nice et la Savoie. Une population de souche européenne représentant, en 1960, environ 10% de la population totale, donnait au pays un caractère particulier. Enfin, la guerre révolutionnaire déclenchée par le Front de Libération Nationale, tournée d’abord contre une population musulmane, qu’il importait de contrôler, ne pouvait qu’engendrer une logique de violence sans fin, une guerre qu’aucun des deux belligérants ne pouvait, dans la durée, espérer gagner complètement. Le caractère toujours trop tardif des réformes octroyées, les élections truquées, les grandes inégalités séparant les masses musulmanes de la minorité européenne – au sein de laquelle le petit peuple «pied-noir» était autrement nombreux que les «colons» caricaturés par la propagande hostile – ne pouvaient qu’entraîner une volonté de changement que sut exploiter le FLN, après les premières tentatives du mouvement des Ulémas, de l’Étoile nord-africaine de Messali Hadj et du Mouvement du Manifeste du Peuple Algérien de Fehrat Abbas. Alors que s’exprimaient, déjà, ces aspirations, demeurées longtemps modérées, les représentants de l’Algérie au Parlement faisaient échouer les projets de réforme du gouverneur Violette, notamment celui concernant le double collège électoral, qui ne sera adopté qu’après la seconde guerre mondiale mais qui apparaîtra, alors, très insuffisant. Quand la métropole prendra conscience de l’ampleur du problème, la guerre déclenchée à la Toussaint de 1954 sera déjà commencée et les grandes ambitions manifestées par le plan de Constantine arriveront trop tard. Refusant de voir s’éterniser un conflit qui isolait la France et risquait de devenir un fardeau toujours plus lourd, le général De Gaulle fera le choix, contesté par beaucoup, d’une indépendance qui, accordée au FLN, signifiait le sacrifice de la minorité européenne établie depuis plusieurs générations outre-Méditerranée. Alors que la décolonisation de la Tunisie et du Maroc pouvait être considérée comme réussie, ce que semblent confirmer les bons rapports maintenus depuis avec le royaume chérifien et avec la Tunisie de Bourguiba, puis du président Ben Ali, la fin dramatique de la guerre d’Algérie a ouvert des plaies qui ne sont pas encore guéries même si, au-delà d’une histoire tragique, l’empreinte française est demeurée forte dans l’ensemble du Maghreb.
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Philippe Conrad
14-10-08
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Rédigé le 13/10/2008 à 22:05 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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Voici un ouvrage qui constitue une source incroyable de connaissances, de détails historiques sur Alger. Topographie et histoire générale d’Alger traduit de l’auteur espagnol Diego par A. Berbrugger et Monnerot Haëdo et publié par la maison d’édition Grand Alger Livres dirigée par Kamel Chehrit qui en anime la collection histoire. Chaque chapitre de cet ouvrage... ... est une fenêtre ouverte sur le passé de cette ville que l’on découvre, historiquement, à travers ses murailles, ses portes… La présentation est signée par Abderrahmane Rebahi, un journaliste qui choisit les exercices les plus difficiles à expliciter. Classé dans la collection Histoire dirigée par Kamel Chehrit, cet ouvrage bénéficie ainsi d’une promotion par les éditions Grand Alger Livres, une heureuse initiative.
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Présentation
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Topographie
et Histoire générale d’Alger est le livre premier de la Topographia
general de Argel du bénédictin Diego d’Haëdo, captif espagnol, qui
séjourna à Alger de 1578 à 1581. Il n’est donc pas inutile de répéter
d’emblée ici ce que nous avons déjà dit dans notre présentation de
l’Histoire des Rois d’Alger – Epitome de los Reyes de Argel -, du même
auteur.
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L’un des traducteurs du présent texte, le Dr Monnereau – au demeurant un savant très éclairé qui, au passage, ne manque jamais de battre en brèche certaines assertions fausses et incongrues de Haëdo par des notes pertinentes -, à l’instar de beaucoup d’historiens de son siècle, nie carrément la réalité du séjour de Haëdo à Alger : «On sait qu’Haëdo, qui n’est jamais venu à Alger, a écrit son livre d’après des renseignements fournis par les nombreux captifs chrétiens qu’il racheta au nom de l’archevêque de Palerme».
Mais voici déjà plus d’un siècle que la découverte d’un manuscrit du Père Dan (Les illustres captifs), conservé à la Bibliothèque Mazarine, a irréfragablement établi qu’Haëdo a séjourné à Alger, mettant ainsi fin à la thèse négatrice qui avait jusque-là prévalu dans les milieux savants de l’époque.
Contrairement à l’Histoire des Rois d’Alger – où l’on voit Haëdo s’appesantir beaucoup plus à la succession des souverains et aux événements de l’histoire politique du gouvernement ottoman de la Régence au XVIe siècle -, la Topographie privilégie une vision ethnographique, où l’intérêt va toujours en priorité à la vie quotidienne et aux mœurs des Algériens.
Le regard qu’Haëdo porte sur le relatif cosmopolitisme des habitants civils et militaires du pays est celui d’un ecclésiastique bénédictin, fanatiquement attaché à la foi chrétienne, en dehors de laquelle il ne peut concevoir d’autre voie de salut et à laquelle il rapporte tous ses jugements de valeur.
Cet état d’esprit le porte souvent à un aveuglement très choquant par rapport à l’islam qu’il connaît très mal et de manière superficielle, à tel point que son texte fourmille d’inexactitudes, de faussetés et de préjugés des plus grossiers.
Notre auteur a-t-il pu acquérir, durant sa courte captivité, une assez bonne connaissance de l’arabe, du kabyle ou du turc ? Cela est hautement improbable, et il n’est que de voir de quelle façon fantaisiste il orthographie les noms de personnes ou de lieux et les termes vernaculaires, ainsi que le sens qu’il assigne à ces derniers pour penser le contraire. Avec ce lourd handicap linguistique, il est logiquement présumable qu’Haëdo a surtout bénéficié pour son instruction de ce qui se colportait parmi les nombreux captifs chrétiens et renégats ignorants, faune humaine misérable et ignorante auprès de laquelle il glanait ses informations.
Pourtant, abstraction faite de ses vices congénitaux, la Topographie demeure une mine de renseignements géographiques, historiques, socio-économiques, culturelles et religieuses de tout premier ordre, et qui prend une dimension exceptionnelle, eu égard à l’absence de sources locales plus sérieuses, plus fiables et plus complètes.
C’est le gouvernement d’Alger sous toutes ses coutures qui y est dépeint : la fondation d’Alger et l’origine de son nom, la description de ses murailles, de ses portes, de ses basions, de ses châteaux forts, de ses rues et de ses maisons ; les différentes catégories des habitants qui y vivent, leurs mœurs culinaires et vestimentaires, leurs coutumes matrimoniales, la description du mobilier des maisons ; la place, le rôle et l’importance du corps des janissaires au sein du pouvoir, l’organisation de la course en mer et les règles de répartition du butin ; les marchands et artisans, les marabouts, les juifs d’Alger, les langues usitées en Alger et les monnaies qui y ont cours, les mœurs sexuelles, les fontaines et édifices publics… Notons qu’Haëdo va même se forcer à reconnaître, dans un chapitre spécial, qu’il y a quelque chose de bon chez le Turc et le Maure : «Dieu n’a créé aucun être sans le doter de quelque bonne qualité ou vertu, bien qu’elle soit quelquefois cachée pour les hommes. En effet, nous voyons que la vipère, animal si venimeux, sert dans la composition de la thériaque et qu’avec combien de poisons on fait de très excellents remèdes. Je dis cela parce que les Maures et les Turcs d’Alger ne laissent pas d’avoir quelque chose de bon, et de posséder aussi quelques vertus humaines et naturelles qui, bien que pas assez nombreuses pour faire excuser leurs grands vices, doivent cependant être signalées et décrites».
En conclusion, disons-le tout net : en dépit de sa tonalité sectaire et des nombreuses faussetés et inexactitudes qui en entachent parfois la qualité testimoniale, l’œuvre d’Haëdo reste, à défaut d’un texte plus fiable et mieux élaboré, d’une valeur documentaire irremplaçable pour tous ceux, spécialistes ou amateurs, qu’intéresse de bien connaître le fonctionnement des rouages du gouvernements turc d’Alger au XVIe siècle et les multiples aspects de la vie quotidienne des différentes communautés soumises à son autorité.
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De la résistance et des portes et murailles en particulier
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Le
circuit des murailles de cette ville peut être, par sa forme, comparé à
un arc muni de sa corde ; son front de mer s’étend entre l’est et
l’ouest, le port suit également cette direction ainsi que les angles,
galeries et les terrasses de toutes les maisons qui sont dépourvues de
fenêtres, comme nous le dirons plus loin. Les murs, qui représentent le
bois de l’arc, sont établis sur une colline qui va, en s’élevant
graduellement, jusqu’à son sommet et les maisons qui suivent aussi
cette direction, sont bâties les unes au-dessus des autres, de telle
sorte que les premières, bien que grandes et hautes, n’empêchent point
la vue de celles qui se trouvent derrière elles. Une personne qui, de
la mer, fait face à la ville d’Alger, se trouve avoir à sa droite l’une
des extrémités de cet arc correspondant au nord-ouest ; en face le
sommet de cette ville, qui regarde le sud, en inclinant un peu vers
l’ouest, à sa gauche, enfin, l’autre extrémité, qui est orientée vers
le sud-est.
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Entre ces deux points extrêmes et pour compléter la ressemblance que nous avons indiquée, s’étend, en figurant la corde de l’arc, une muraille moins élevée que les autres, bordant la mer et continuellement battue par la vague.
Notre comparaison se trouve, il est vrai, un peu défectueuse en ce qui
concerne la corde de l’arc, parce que la muraille qui la figure, au
lieu d’aller en ligne droite d’une extrémité à l’autre, comme cela doit
être fait, avant d’atteindre le côté droit de l’arc, une forte saillie
en mer, sur une pointe naturelle, formant une espèce d’angle ou
d’épaulement. C’est à partir de cette pointe ou saillie, qui part de
l’extérieur d’une porte de la ville, que commence le môle établi par
Kheir ed-Din Barberousse pour former le port, ce qu’il effectua en
comblant, par un terre-plein, la courte distance qui existait entre la
ville et l’îlot. Au-delà de cette pointe, la terre et la muraille
forment une rentrée qui va rejoindre directement l’extrémité droite de
l’arc. Cette enceinte est, de tout point, très solidement bâtie et
crénelée à la mode ancienne. Du côté de la terre, son pourtour est de 1
800 pas et de 1 600 sur le front de mer, ce qui lui donne un
développement total de 3 400 pas. La hauteur de l’ancienne muraille,
qui s’élève en amphithéâtre, est, d’à-peu près, 30 palmes ou empans et
de 40, environ, pour la portion bâtie sur les rochers qui longent la
mer ; elle est, partout, d’une épaisseur moyenne de 11 à 12 palmes.
A cette enceinte continue, Barberousse, en 1532, fit ajouter un mur
qui, passant sur le terre-plein par lequel il avait réuni la ville à
l’îlot, pour former le port, va directement en se portant sur la gauche
rejoindre cet îlot. Ce mur a, environ, 300 pas de longueur, 10 empans
d’épaisseur et 15 de hauteur, seulement il est beaucoup moins élevé que
les autres fortifications. Il a été établi, surtout, dans le but
d’amortir sur ce point l’action des vagues furieuses fréquemment
soulevées par les grands vents d’ouest qui, en empêchant la circulation
sur le môle, auraient, en outre, causé des avaries sérieuses aux divers
bâtiments qui s’y trouvent amarrés. Un peu plus tard, en 1573, le pacha
Arab Ahmed compléta ce travail en faisant enceindre d’un mur l’îlot, à
l’exception de la partie méridionale, qui comprend le port. Ce mur est
beaucoup plus bas que celui du môle, c’est plutôt une sorte de parapet
pour, qu’en temps de guerre, l’ennemi ne puisse pas débarquer sur
l’îlot et se rendre maître du port, ce qui lui donnerait,
infailliblement, toute facilité pour balayer la terre avec son
artillerie.
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Des portes d’Alger
Neuf portes, pratiquées dans le mur d’enceinte, facilitent au public
l’entrée et la sortie de la ville. Nous allons les décrire,
successivement. Près de l’extrémité droite de l’arc, que nous avons dit
être située au nord-ouest, se trouve une porte appelée Bab el-Oued,
s’ouvrant à peu près dans la même direction.
A partir de cette porte en suivant (à l’extérieur) le mur d’enceinte que l’on se trouve avoir à main gauche, on gravit la montagne et, après un parcours de 800 pas, on atteint le sommet de la ville (milieu de l’arc) où s’élève la Casbah, ancienne forteresse dans laquelle est percée une petite porte dite de la Casbah, et regardant à peu près le sud-ouest. A vingt pas de là, environ, sur la même ligne, existe une autre petite porte dépendante également de la Casbah et orientée de même que la précédente. Ces deux portes sont réservées exclusivement au passage des janissaires et soldats qui habitent et gardent cette forteresse.
En suivant la pente du terrain on arrive, à 400 pas plus loin, devant une grande porte très fréquentée qui se nomme la Porte Neuve et fait face, en plein, au midi. L’inclinaison du terrain continue et, quand on a franchi une distance de 400 pas encore, on rencontre une autre grande porte dite Bab Azoun, regardant le sud-est ; elle s’ouvre sur une rue longue d’environ 1 260 pas et correspond à la porte opposée de Bal el-Oued, par laquelle nous avons commencé cette description.
La porte Bab Azoun est extrêmement fréquentée à toute heure du jour : en effet, elle donne issue à tous ceux qui veulent se rendre aux champs, dans les douars ou dans toutes les localités de la Berbérie. C’est par là, également, que pénètrent les provisions de bouche, ainsi que les Maures et Arabes, qui de toutes parts, se rendent à la ville. A cinquante pas, environ, au-dessous de cette porte se termine la mer, l’angle de la muraille que nous avons comparé, ci-dessus, à l’extrémité gauche de l’arc, ou muraille du front de mer, qui va en droite ligne sur une longueur de 800 pas pour atteindre le môle ; avant d’y arriver, à une distance de 300 pas environ, on rencontre un pan de mur indiquant une construction plus récente et qui s’avance sur la mer en forme de demi-lune. Dans sa concavité, qui est de 80 pas, cet ouvrage renferme un chantier de construction où, conjointement avec celui qui est établi sur l’îlot, on y construit les galères et autres bâtiments. Cet arsenal n’a aucune ouverture à l’intérieur de la ville, mais il est en communication avec la mer au moyen de deux portes, en forme d’arceaux, bâties en pierre et possédant, chacune, les dimensions nécessaires pour donner librement passage à une galère désarmée. Ces deux ouvertures sont séparées par un court espace que remplit une maison destinée au logement des patrons de navires (en réparation).
Le premier de ces arceaux est rempli, ordinairement, par un mur haut de deux tapias, que l’on démolit toutes les fois qu’il s’agit d’y faire passer une galère, que l’on veut échouer ; la seconde est fermée excepté à sa partie tout à fait supérieure, par une porte en bois, garnie d’une serrure et de cadenas ; elle sert à l’entrée et à la sortie des ouvriers de l’arsenal.
A quarante pas de ce chantier, dans une muraille qui a été faite postérieurement en vue de rapprocher de la mer l’enceinte de la ville, on trouve une petite porte qui correspond à une autre semblable située à 50 pas à l’intérieur, et ouverte dans l’enceinte primitive. Cette dernière porte, où veille continuellement une garde, est fermée la nuit avec beaucoup de soin. La première de ces deux portes qui baigne ans la mer s’appelle Porte de la Douane ; ce nom lui vient d’une petite maison sise à côté qui est, à proprement parler, la Douane où l’on décharge et enregistre avant leur entrée en ville toutes les marchandises apportées par les commerçants chrétiens ; celles, au contraire, que portent les navires turcs et maures sont débarquées sur le môle. Ces deux petites portes donnent également passage aux pêcheurs qui vont ou prendre la mer, ou vendre en ville le produit de leur pêche : il y passe beaucoup de monde, principalement le matin.
Nous avons parlé plus haut de l’angle saillant que forme le front de mer, à son point de rencontre avec le môle qui va se souder à l’îlot. Dans cet angle, et à 200 pas de la porte de la Douane, s’en trouve une autre très importante appelée Bab zira (Bab el-Djezira, la porte de l’île) donnant accès au port ; elle est pour ce motif extrêmement fréquentée du matin au soir par un concours considérable de gens de mer chrétiens, maures et turcs, et par une infinité de marchands et gens de toute condition.
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Des cavaliers et bastions que renferme l’enceinte d’Alger
Bien que, dans son pourtour, la muraille contienne un grand nombre de tours et de cavaliers, ces ouvrages étant tous d’ancienne forme et très faibles, on ne peut guère en compter que six sur lesquels repose la défense de la place.
Commençant ainsi que nous l’avons fait plus haut, nous prendrons pour point de départ l’extrémité droite de l’arc que nous avons dit être située au nord-ouest. Sur cette extrémité qui touche la mer, il existe un bastion avec terre-plein de vingt pas carrés, avec neuf embrasures, dont trois regardent le nord, trois l’ouest, et trois le sud-ouest. Ce bastion n’a été armé jusqu’ici que de cinq pièces de petite artillerie : trois tournées vers la terre et deux vers la mer ; il est d’une hauteur d’environ 26 empans et fut construit en 1576 sous le règne du pacha Rabadan (Ramdhan), renégat sarde.
En suivant la muraille extérieure, ainsi que nous l’avons fait
précédemment, on arrive comme il a été dit à la porte Bab el-Oued,
au-dessus de laquelle est bâtie une tour ou bastion de peu
d’importance, sans terre-plein et dépourvue d’artillerie. Cette tour
est percée de six embrasures, deux en avant et deux de chaque côté. On
trouve à 400 pas de là en gravissant la côte, un petit bastion muni
d’un terre-plein : il est haut de 21 empans, large de 15 ; il contient
six embrasures qui ne sont points armées.
Quand on a franchi une autre distance de 400 pas, on atteint le sommet
sur lequel s’élève la Casbah ; c’est ainsi qu’on appelle la forteresse
antique de la cité. Elle n’est formée en réalité que par un pan de
muraille haut de 25 empans, saillant du corps de l’enceinte d’à peu
près trois ou quatre pas, et qui, après un parcours de 10 pas dans une
direction nord et sud, vient par un angle rentrant se relier de nouveau
à l’enceinte principale. Fermée à l’intérieur de la ville par un mur
plus faible et de même étendue, cette forteresse dont la superficie est
de 100 pas de long sur 60 de large est en quelque sorte séparée du
reste de la fortification. Son mur extérieur est flanqué d’un
terre-plein d’une épaisseur de 20 empans, et présente en saillie deux
tours également terrassées, et contenant ensemble sur un espace assez
étroit à peu près huit pièces de canon de petit calibre.
Dans l’intérieur de la Casbah habitent dans des logements spéciaux
soixante janissaires, vieux soldats presque tous mariés qui, nuit et
jour, gardent cette forteresse avec une grande vigilance.
A partir de ce point, on sait la muraille en descendant la côte et l’on
trouve la Porte Neuve qui est, ainsi que nous l’avons dit, distante de
400 pas. Cette porte est surmontée à son flanc gauche d’un petit
bastion sans terre-plein, haut de 23 empans et percé de six
embrasures : deux sur la face antérieure regardant le sud, et deux
autres sur chacune de ses faces latérales : ce bastion n’est point muni
d’artillerie.
En continuant à descendre jusqu’à une distance de 450 pas, et après avoir passé devant la porte Babazoun, il existe au bord de la mer au point où nous avons figuré l’extrémité gauche de l’arc, un bastion de forme carrée, haut de 25 empans, de 20 pas de diamètre, et revêtu d’un terre-plein dans toute son étendue. On y compte neuf embrasures : trois tournées vers le sud-ouest, trois au sud-est et trois au nord-est. Ce bastion qui n’est armé que de trois pièces de petit calibre assez disposées, fut fondé par Arab Ahmed en 1573 pendant qu’il était pacha et gouverneur d’Alger.
Si maintenant nous suivons comme nous l’avons fait précédemment la muraille battue par la mer (corde de l’arc), nous ne trouverons plus aucun autre ouvrage de défense jusqu’au môle. Là seulement, au-dessus de la porte Bab zira (Bab el-Djezira), s’élève un magnifique bastion qui est bien le meilleur et le plus grand qu’il y ait dans Alger. Cet ouvrage d’une longueur de 30 pas, sur une largeur de 40, est plus large que long ; il est terrassé et casematé sur les points les plus importants ; dépourvu d’embrasures, il est entouré d’un parapet qui s’étend du nord au sud et commande le port. Dans toute son étendue, il est garni de 23 bouches à feu coulées en bronze de première qualité, et constituant la meilleure artillerie de toute la place. Six ou huit seulement de ces canons sont montés sur leurs affûts ; de ce nombre est une pièce à six bouches apportée de Fez en 1576 par Rabadan Vaja (Ramdhan Pacha) après qu’il eut mis Muley Maluch (Moula Abdel Malek) en possession du royaume dont cette ville est la capitale.
Ce bastion est sous la surveillance continuelle d’une garde composée d’artilleurs et de soldats des autres corps. Il a été construit par le caïd Saffa, d’origine turque, lorsque pendant l’année 1551, et une partie de 1552, il gouverna à titre de khalifa ou lieutenant pendant l’absence de Hassan Pacha, fils de Barberousse, la seigneurie d’Alger et ses dépendances.
Il y a également dans l’île dépendante du port, deux petites tours : l’une renferme un phare pour indiquer aux navigateurs l’entrée du port pendant la nuit, mais on ne l’allume jamais ; l’autre sert d’abri à la garde chargée de surveiller le port et les navires au mouillage, afin que l’ennemi ne vienne pas les incendier, ainsi que cela est arrivé quelquefois. Ces deux tours sont peu importantes et ne contiennent point d’artillerie ; elles furent construites par Arab Ahmed en 1573 en même temps que le parapet décrit ci-dessus qui clôture l’île à sa partie intérieure.
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09-10-2008
Abderrahmane Rebahi
Rédigé le 11/10/2008 à 23:54 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
... et de sa noble et antique origine
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Il
est certain que si cette ville ne leur eût pas offert et au-delà tous
les avantages de l’Italie, sous le rapport du climat, de la facilité
d’y mener une existence heureuse, ils n’eussent pas abandonné le sol
natal pour vivre à jamais sur la terre d’Afrique et en faire une
seconde patrie. Pline qui vécut au temps de Néron et de Vespasien et
qui dédia son histoire à Titus, fils de ce dernier, raconte que depuis
le règne de Claude, Iol Cesarea était l’une des villes les plus
célèbres de cette époque.
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Le titre de colonie romaine était alors une illustration fort ambitionnée par toutes les villes : leurs habitants suivant les auteurs jouissaient de toutes les libertés, privilèges et exemptions accordés aux citoyens de Rome ; ils étaient considérés comme leurs égaux : ils pouvaient, tant que l’usage en fut conservé, voter sur toutes les affaires relatives à la république romaine, et concourir non seulement à toutes fonctions ou emplois, mais encore prétendre au gouvernement de l’Italie, des autres provinces de l’empire, et à celui de Rome elle-même. Les habitants des colonies romaines étaient tellement romains par les lois, les usages, les cérémonies, la langue et jusque dans leurs jeux publics qu’Aulu Gèle a dit que ces colonies n’étaient qu’une extension de Rome, ou bien suivant d’autres auteurs, la représentation en petit du peuple romain lui-même.
Les habitants d’Alger se trouvaient dans toutes les conditions que nous venons d’exposer, au temps d’Adrien qui fut le 15e empereur romain. Ptolémée qui vivait à cette époque vers 135 de J.-C, signale parmi les villes de la Mauritanie Césarienne inscrites dans ses tables, Iol Cesarea, qu’il qualifie de colonie romaine. Il devait en être également ainsi à l’époque du règne d’Antonin-le-Pieux, vers 160 de J.-C, puisque dans son itinéraire de toutes les villes de l’empire romain, il la désigne de la même manière. Plus tard, lors de la décadence de cet empire, quand sous la conduite de leurs rois Gunther et Genséric, les Vandales et les Alains appelés par le comte Boniface qui gouvernait au nom de Valens III, passèrent en l’an 427 de J.-C., d’Espagne en Afrique, mettant à feu et à sang toutes les villes de ce pays, il est à croire que Iol Cesarea n’eût pas un sort meilleur que celui d’autres villes très importantes des deux Mauritanies mises à sac et rasées par ces barbares impitoyables. Des événements analogues ont dû se produire également quand vers l’an de J.-C 697, sous le règne de l’empereur Léonce, les Arabes conquirent et ruinèrent l’Afrique entière. Ce fait est signalé par Jean Léon dans sa description de ce pays ; quand en parlant du cap Matifou, situé à 12 milles à l’est d’Alger, il dit qu’il y avait sur cette pointe avancée, une ville importante bâtie par les Romains, et détruite par les Goths, dont les pierres ont dû servir à réédifier presqu’en totalité Alger qui devait être alors entièrement rasée. Bien que cet auteur n’explique pas clairement la destruction et le rétablissement de cette ville, on peut être certain que malgré les désastres qu’elle eut à subir à deux reprises différentes, par suite de la double invasion des peuplades barbares, elle n’en fut pas moins habitée sans interruption.
Ce fait, à défaut d’autres preuves, est démontré par l’existence actuelle de vieilles tours, d’anciennes mosquées, et de tous les édifices publics construits d’après les règles de cette architecture des anciens dont on trouve des traces dans les autres villes de la même époque. L’existence de ces monuments devait inviter les habitants à ne pas abandonner cette ville. Un autre motif les y retenait encore, le voisinage de la mer qui baigne ses murailles, et la commodité de son port formé naturellement par une petite île distance de la côte d’une protée d’arbalète. Bien qu’il ne fût pas disposé alors pour la sécurité du mouillage comme il l’est aujourd’hui par suite des travaux entrepris par Kheir ed-Din Barberousse, il offrait aux navires un refuge assez sûr. A ces avantages venaient s’ajouter d’abord l’abri des murailles d’une ville que sa situation rendait inexpugnable à cette époque où l’on ne combattait qu’avec la lance et l’épée, ensuite la fertilité de ses vastes plaines, et des collines environnantes couvertes d’arbres fruitiers, donnant naissance à des sources abondantes qui répandaient à profusion leurs eaux dans un nombre infini de jardins délicieux.
Il n’est, donc, pas possible de croire qu’une localité si abondamment pourvue de tout ce qui peut servir à l’existence n’eût pas trouvé les habitants disposés à jouir de ces dons que la nature leur avait si libéralement répartis.
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D. H.
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Rédigé le 11/10/2008 à 23:47 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
Pour quels motifs on a donné à cette ville le nom d’Alger
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L’invasion arabe occasionna en Afrique, en Espagne, dans les Baléares et les autres pays environnants des changements étranges et considérables à tous les points de vue, notamment en ce qui concerne la religion et les mœurs.
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En Afrique et en Espagne, où cette invasion jeta les plus profondes racines, il n’y eut pas une ville, une bourgade, une montagne, une rivière, une fontaine, un arbre, une plante, qui ne perdit son nom usuel pour en recevoir un autre tout différent.
Cette peste (de changement de noms), porta un si grave préjudice aux
beaux-arts et principalement à la philosophie, à l’astrologie, à la
médecine professées par quelques Arabes, qui jusqu’à ce jour les
savants n’ont cessé de travailler pour nettoyer ces écuries d’Augias,
et encore ne sont-ils pas parvenus à écarter la quantité infinie de
noms et d’expressions arabes qui entachent les sciences et les arts. Je
cite ce fait parce que c’est ainsi que procédèrent les Arabes dès leur
arrivée à Iol Cesarea : ils enlevèrent à cette ville son nom antique
pour lui donner celui d’El-Djezaïr, qui veut dire l’Ile. Cette
dénomination ne provient pas de ce que cette ville est située en face
et un peu à l’ouest des îles Baléares, comme semble l’indiquer Léon
l’Africain, mais bien de ce que, dès le principe, elle a été établie
vis-à-vis et à proximité de la petite île dont nous avons déjà parlé,
qui se trouve distante de la côte d’une portée d’arbalète.
Donc, pour les Arabes, ce nom d’El-Djezaïr signifie la ville de l’Ile
(des îles). Mais comme il arrive fréquemment qu’on ne prononce jamais
les mots d’une langue étrangère sans en modifier l’accentuation, nous
autres chrétiens, nous avons, par suite d’une mauvaise prononciation,
altéré le nom arabe d’El-Djezaïr, qui est devenu Argel pour les
Espagnols, et Algieri pour les Italiens et les Français.
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Des différents souverains maures qui ont occupé Alger
Lorsque par suite de leur occupation les Arabes divisèrent l’Afrique et l’Espagne en plusieurs royaumes et commandements, Alger qui avait porté pendant si longtemps le titre de capitale, échut en partage aux rois de Tlemcen, dont elle reconnut la souveraineté jusqu’au jour où Abuferid (Abu Fehri), roi puissant de Tunis, s’empara de la ville de Bougie. Ce prince, qui avait rendu tributaire le roi de Tlemcen, partagea, au moment de sa mort, ses Etats entre ses trois fils ; le plus jeune, nommé Abd el-Aziz, reçut pour sa part un vaste territoire, et fit de la ville de Bougie la capitale de son royaume.
Peu après la mort de son père, Abd el-Aziz ayant déclaré la guerre au souverain de Tlemcen, fit de continuelles excursions sur divers points du territoire de ce royaume et particulièrement du côté d’Alger, qui n’est éloigné de Bougie que d’environ 120 milles d’Italie, soit 30 lieues. Les habitants de cette ville se voyant mal défendus par le roi de Tlemcen, vinrent faire leur soumission à Abd el-Aziz, lui payèrent un tribut, et par ce fait, se rendirent à peu près indépendants, vivant en quelque sorte sous forme de république. Cet état de choses se maintint jusqu’en l’année 1509, époque à laquelle le comte Pedro Navarro, agissant au nom du roi d’Espagne, enleva aux Maures les villes d’Oran et de Bougie.
Les habitants d’Alger, craignant de voir apparaître sous leurs murs ce conquérant qui, dans sa course victorieuse, avait déjà assiégé et détruit plusieurs villes du littoral barbaresque, résolurent, d’un commun accord, de se mettre sous la protection du chef puissant des Arabes de la Mitidja, vaste contrée avoisinant leur ville. Ce cheikh, nommé Selim El-Eutemi, se chargea, en effet, de les défendre ; il les protégea d’une manière efficace, pendant plusieurs années, jusqu’au jour où les Turcs se rendirent traîtreusement maîtres d’Alger en s’en emparant de la manière que nous allons exposer.
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Comment Alger tomba au pouvoir des Turcs
Depuis longtemps déjà, les habitants d’Alger s’étaient adonnés aux
courses sur mer avec quelques navires à rames construits chez eux,
volant, causant aux chrétiens le plus grand préjudice ; mais après la
conquête du royaume de Grenade effectuée par le Roi Catholique, en
l’année de N. S. 1492, ces actes de piraterie augmentèrent
considérablement par suite du passage en Barbarie d’un grand nombre de
Maures, nés et élevés en Espagne, se trouvaient, par leur connaissance
pratique des côtes de ce pays, et de celles des îles voisines de
Majorque, Minorque, Ivice, etc., dans les conditions les plus
favorables pour exercer sur ces divers points leur coupable industrie ;
c’est effectivement ce qu’ils firent.
Après que le comte Pedro Navarro, agissant au nom du Roi Catholique,
eut enlevé, ainsi que nous l’avons dit, la ville d’Oran aux Maures en
l’année 1509, ce souverain fit diriger une flotte puissante sur Alger
et sur Bougie dans l’intention de détruire ces deux villes et d’en
chasser tous les corsaires qui y trouvaient un abri. A cette nouvelle,
les habitants d’Alger, frappés de terreur, s’empressèrent de se
soumettre à l’obéissance du roi d’Espagne et conclurent avec lui un
traité de dix ans par lequel ils s’engageaient à lui payer chaque année
un tribut.
Mais comme la principale intention du Roi Catholique était d’empêcher la continuation de la piraterie des Algériens, il fit établir, soit de bon gré soit de force, sur l’île que nous avons dit si rapprochée de la ville d’Alger, un fort dans lequel il installa, sous les ordres d’un capitaine, une garnison de deux cents hommes, largement pourvus de vivres, d’artillerie et de munitions. Par ce moyen, les Algériens furent suffisamment empêchés de se livrer à la course sur mer, et à toute tentative de rébellion jusqu’à la mort de ce souverain qui eut lieu au mois de janvier 1516, à cette nouvelle, ils résolurent de profiter de cette circonstance pour se débarrasser du joug des chrétiens.
A cet effet, ils adressèrent des envoyés à Barberousse qui se trouvait alors à Giger (Djidjelli), ville de la côte située à 180 milles à l’est d’Alger, pour le supplier, au nom de cette bravoure et de cette expérience dans la guerre dont il avait donné tant de preuves, de vouloir bien venir au plus tôt avec ses galères et ses troupes turques les délivrer du pouvoir des chrétiens et de la vexation continuelle qu’ils subissaient par leur présence dans ce fort, s’engageant à le récompenser lui et ses soldats des efforts qu’ils tenteraient dans ce but. En entendant les propositions de ces émissaires, Barberousse fut extrêmement charmé de l’occasion qui lui était offerte de réaliser le désir qu’il caressait depuis longtemps de se rendre maître d’Alger, et d’un grand royaume en Berbérie. Il témoigna, donc, à ces Algériens la peine qu’il éprouvait de les voir si maltraités par les chrétiens, il leur exprima son plus vif désir de les délivrer de cette oppression, et les renvoya très satisfaits de cette réponse. Prenant immédiatement ses dispositions, il embarqua quelques jours après sur huit galères à destination d’Alger, la majeure partie de ses Turcs avec de l’artillerie et des munitions, et se dirigea lui-même vers cette ville par la route de terre avec le reste de ses troupes.
Dès son entrée dans cette place, Barberousse, désireux de montrer ses bonnes intentions envers la population, se mit aussitôt à canonner la forteresse de l’île (le Pénon), mais sans résultat appréciable à cause de la faiblesse de son artillerie. Comme son principal but était de se rendre maître d’Alger, il étrangla quelques jours après de ses propres mains dans un bain Selim el-Eutemi (Et-Teumi), chef des Arabes de la Mitidja, qui, ainsi que nous l’avons dit, commandait dans la ville, et l’avait reçu dans sa propre maison avec la plus grande courtoisie. Dès que ce meurtre fut accompli, les Turcs parcoururent les rues de la ville proclamant à grands cris «Barberousse souverain d’Alger». Les habitants saisis d’épouvante, n’osant faire aucune résistance, furent contraints de se soumettre au pouvoir de Barberousse, ainsi que nous le raconterons avec de plus amples détails dans l’histoire des Pachas ou Gouverneurs d’Alger. Cet événement eut lieu dans le courant du mois d’août 1516, et depuis cette époque, les Turcs, sans cesser d’occuper Alger, n’en ont pas moins étendu leur domination sur toute la Berbérie. Ils ont acquis, sur mer et sur terre, pour les entasser dans Alger, un si grand nombre de richesses, que si cette ville fut autrefois une capitale riche et puissante, on doit à plus forte raison la considérer aujourd’hui comme la plus célèbre et la plus renommée non seulement de la Berbérie, mais encore de toutes les villes, qui au Levant et à l’Occident, sont soumises à l’obéissance de la Turquie.
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Rédigé le 11/10/2008 à 23:31 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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L’été dernier, Le Mague publiait un article commentant les liens qui unissaient Albert Camus et les libertaires. À l’approche des XXVes rencontres méditerranéennes Albert Camus qui se dérouleront les 10 et 11 octobre à Lourmarin sur le thème Le don de la liberté : Albert Camus et les libertaires, les éditions Egrégores versent au dossier un puissant argumentaire.
Dédié chaleureusement à Catherine Camus, l’ouvrage regroupe de nombreux textes de et sur Camus rassemblés et commentés par Lou Marin. Depuis trente ans, Lou Marin milite au sein d’un courant anarchiste non-violent de langue allemande, Graswurzelrevolution, continuateur de la revue française Anarchisme et non-violence que l’on retrouve à présent sur Internet sous l’appellation Anarchisme et non violence 2. Pour les anarchistes, Albert Camus est une référence incontournable. En particulier pour celles et ceux qui sont touché-e-s par les réflexions de Camus sur la violence révolutionnaire. Comme le rappelle cet ouvrage, l’auteur de L’Homme révolté, admirateur de Gandhi, rejetait toutes les violences. « Je crois que la violence est inévitable (…) Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence », expliquait-il.
C’est en rencontrant Rirette Maîtrejean (1887-1968), co-éditrice du journal L’Anarchie avec Victor Kibaltchich (alias Victor Serge), qu’Albert Camus fut sensibilisé à la pensée libertaire. Rirette était correctrice au journal bourgeois Paris Soir. Albert y était rédacteur et secrétaire de rédaction. Au marbre comme pendant les mois d’exode, en 1940, avec Rirette et des typos, correcteurs et imprimeurs souvent anarcho-syndicalistes, Camus eut le temps de découvrir les traditions libertaires en France. Peu à peu, Camus, le « camarade absolument parfait », fit la connaissance des anarchistes responsables de diverses publications françaises (Le Monde libertaire, Défense de l’Homme, Liberté, Le Libertaire, Témoins…) ou étrangères (Volonta, Solidaridad Obrera, Arbetaren, Die freie Gesellschaft, Reconstruir, Babel…). Camus collabora régulièrement à certains de ces journaux et rencontra ses animateurs. Il profita même de son séjour à Stockholm, lors de la remise de son prix Nobel en 1957, pour se faire interviewer par Arbetaren et visiter les locaux de la Sveriges Arbetaren Centralorganisation (SAC), l’organisation anarcho-syndicaliste suédoise.
Dans les années 1930, Albert Camus semblait avoir déjà des prédispositions pour les analyses libertaires. Il s’était fait viré du parti communiste, en 1937, parce qu’il soutenait Messali Hadj, leader du Mouvement nord-africain (MNA), parti rival du FLN qui entretenait des contacts avec le mouvement libertaire et les syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne (où Camus allait écrire). Le drame espagnol touchait aussi particulièrement Camus le méditerranéen. Appels, articles et meetings se succédèrent pour venir en aide aux militants antifranquistes. En février 1952, salle Wagram à Paris, il participa à un meeting pour soutenir cinq militants de la CNT condamnés à mort. Malgré les querelles qui faisaient rage entre eux et Camus, André Breton et Jean-Paul Sartre avaient fait le déplacement.
Albert Camus s’exprima régulièrement dans Témoins, revue antimilitariste et libertaire qui était ouverte à tous les courants anars. Son antimilitarisme l’engagea naturellement aux côtés de l’anarchiste Louis Lecoin, dans les colonnes de la publication Défense de l’Homme, mais aussi dans la lutte pour l’obtention d’un statut en faveur des objecteurs de conscience. Écrit par Camus, le projet de statut fut approuvé par les membres du comité de secours aux objecteurs de conscience et diffusé par les militants pacifistes et libertaires, notamment dans un numéro spécial de la revue Contre-courant.
Textes à l’appui, l’ouvrage revient sur les polémiques provoquées par L’Homme révolté, sur les débats dans Témoins ou dans La Révolution prolétarienne. Il est question encore des Groupes de liaison internationale (GLI), du soutien apporté à Maurice Laisant lors du procès fait aux Forces libres de la Paix, des campagnes en faveur de Gary Davis (aviateur de l’US Air Force) ou contre la peine de mort, des réactions de Camus au moment des émeutes de Berlin-Est en 1935, de Poznan en 1956, de la révolution hongroise…
Textes politiques et philosophiques se succèdent pour cerner le Camus qui affirmait : « Bakounine est vivant en moi ». Mais, parmi tous ces textes, c’est sans doute le témoignage des ouvriers du Livre (réunis par Georges Navel en vue d’un article dans leur publication professionnelle) qui donne le mieux la dimension humaine de notre ami. « C’était vraiment un gars du marbre Camus, on pouvait le considérer comme un ouvrier du Livre (…) Il avait toutes nos qualités et tous nos défauts, il était exactement dans l’ambiance du marbre aussi bien du point de vue gaieté, du point de vue blague, il était dans tous les coups, dans la tradition », dit Roy, un délégué syndical de Combat à l’époque où Camus en était le rédacteur en chef. « Camus était plus souvent au marbre qu’à la rédaction », dit un autre. « Une chose qui peut surprendre, c’est que s’il était à l’aise parmi les ouvriers, il n’était pas à l’aise parmi les journalistes. Peut-être n’avait-il pas été admis par les journalistes comme il avait été admis par nous », suggère Rirette Maîtrejean.
Comme le constate en épilogue Freddy Gomez, « la place laissée vide par la disparition de Camus l’espagnol ne fut jamais comblée ». En mai 1952, dans une réponse adressée à Gaston Leval, Albert Camus affirmait que la société de demain ne pourra pas se passer de la pensée libertaire. En 2008, cette évidence devient de plus en plus criante. Que les libertaires retroussent leurs manches…
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Par Paco
06-10-2008
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Albert Camus et les libertaires (1948-1960), éditions Egrégores, 268 pages. 15€.
Camus est né en Algérie, en 1913, dans une famille pauvre. Orphelin de père (tué en 1914 lors de la bataille de la Marne), Albert a été élevé par sa mère, une femme d’origine espagnole presque sourde et analphabète, et sa grand-mère. Soutenu par ses instits et professeurs, dont Louis Germain et Jean Grenier, il fera de brillantes études mais, touché par la tuberculose, ne pourra pas décrocher l’agrégation et le professorat qu’il convoitait
C’est à Alger républicain que Camus fera ses premières armes dans le journalisme. Ecrivain, dramaturge, essayiste, il écrira et publiera successivement La Révolte dans les Asturies (1936), L’Envers et l’endroit (1937), Noces (1939), L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe (1942). Pendant la guerre, il rejoindra la rédaction de Combat clandestin. À la Libération, il en deviendra le rédacteur en chef. Il quittera Combat en 1947 et poursuivra son œuvre en publiant La Peste (1947), Lettres à un ami allemand et L’État de siège (1948), L’Homme révolté (1951), La Chute (1956)... En 1957, Camus a reçu le prix Nobel de littérature. La même année sortait Réflexions sur la peine capitale. Il est mort le 4 janvier 1960 dans un accident de voiture. Son ami Michel Gallimard était au volant. Camus avait quarante-sept ans et jouissait d’une renommée internationale. Il est enterré dans le cimetière de Lourmarin, village où il avait acheté une maison en 1958.
La guerre d’Algérie faisait des ravages à la mort de Camus. Elle est pour beaucoup dans les polémiques qui entourèrent l’écrivain. Bien que Pied-noir, Camus a été l’un des premiers à dénoncer le colonialisme français et à soutenir les Algériens musulmans dans leur volonté d’émancipation culturelle et politique, tout en émettant de très sérieuses réserves sur le FLN qu’il jugeait trop autoritaire et centraliste.
Sa vive sympathie pour le mouvement libertaire n’aida pas à apaiser les critiques. De nombreux indices illustrant son attachement à la tradition anarchiste parsèment ses écrits, pièces de théâtre, essais et romans. Pour ne parler que de lui, L’Homme révolté résonne comme une véritable profession de foi. L’ouvrage s’inscrit dans une problématique purement libertaire. Comment faire la révolution en évitant le recours à la terreur ?
Dans les années 1940 et 1950, Camus entretiendra des liens étroits avec les responsables de journaux anarchistes, francophones ou non. Parmi eux, Rirette Maîtrejean (coéditrice du journal L’Anarchie), Maurice Joyeux et Maurice Laisant (du Monde libertaire), Jean-Paul Samson et Robert Proix (de la revue culturelle et antimilitariste Témoins), Pierre Monatte et André Rosmer (de La Révolution prolétarienne), Louis Lecoin (de Défense de l’homme et de Liberté), Gaston Leval et Georges Fontenis (du Libertaire), Giovanna Berneri (veuve de l’anarchiste Camillo Berneri assassiné à Barcelone, du journal italien Volontà), José Ester Borràs (du journal espagnol Solidaridad Obrera)... Camus avait aussi des contacts avec des journaux anarcho-syndicalistes suédois (Arbetaren), allemand (Die freie Gesellschaft) et latino-américain (l’Argentin Reconstruir).
Les interventions d’Albert Camus aux côtés des anarchistes sont nombreuses. Il soutenait par exemple l’antimilitariste Maurice Laisant lors du procès fait aux Forces libres de la paix qui étaient poursuivies pour leur lutte contre la guerre d’Indochine. « Il me semble impossible que l’on puisse condamner un homme dont l’action s’identifie si complètement avec l’intérêt de tous les autres hommes. Trop rares sont ceux qui se lèvent contre un danger chaque jour plus terrible pour l’humanité », plaida-t-il devant un tribunal sourd à ses arguments. Le compte-rendu de l’audience fut publié en février 1955 dans Le Monde libertaire. Camus était présent dans les meetings et manifestations organisés par les libertaires contre la répression en Espagne ou dans les pays de l’Est (à Berlin-Est en 1953, à Poznan et à Budapest en 1956). « Le monde où je vis me répugne, mais je me sens solidaire des hommes qui y souffrent », disait-il.
Auteur d’articles publiés dans Le Libertaire et dans Le Monde libertaire, Camus était également très proche des syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne avec qui il fonda les Groupes de liaison internationale (GLI) qui aidaient les victimes des régimes totalitaires, staliniens et franquiste notamment. La situation en Espagne était au cœur de ses préoccupations. Dans Le Libertaire du 26 juin 1952, il publia un texte pour exposer les raisons de son refus de collaborer avec l’UNESCO où siégeait un représentant de l’Espagne franquiste. Quand Louis Lecoin lança, en 1958, sa campagne pour l’obtention d’un statut pour les objecteurs de conscience, Albert Camus était toujours là. Membre du comité de secours aux objecteurs aux côtés d’André Breton, de Jean Giono, de Lanza del Vasto, de l’abbé Pierre, il rédigea le projet de statut et participa activement à la campagne qui aboutira, en 1963, par une victoire qu’il ne verra pas. Homme révolté, insoumis, admirateur de Gandhi, Camus milita contre tous les terrorismes et imprégna de non-violence son idéal libertaire. « Ni victimes ni bourreaux... »
Après sa disparition brutale, les anarchistes furent abattus. Leur désarroi se lisait dans Le Monde libertaire de février 1960. Le mensuel publia des contributions de Maurice Joyeux, Maurice Laisant, F. Gomez Pelaez, Roger Lapeyre, J.-F. Stas et Roger Grenier. La rédaction du ML signa un article intitulé Albert Camus ou les chemins difficiles. Ce qui résume bien la vie et l’œuvre d’un philosophe qui refusait d’être considéré comme un guide, un maître à penser.
« Albert Camus, qui au-dessus de tout plaçait l’esprit d’équipe, était notre camarade, écrivaient les anars en deuil. Son amitié, qui n’a jamais supposé une adhésion entière à toutes les solutions que nous proposons aux hommes, ne s’est jamais relâchée. Sa présence, dans nos manifestations, ses contacts avec quelques-uns d’entre nous aux heures difficiles en font foi. » Maurice Laisant, qui avait reçu un soutien appuyé de Camus devant la 17ème Chambre correctionnelle, ne cachait pas non plus son émotion : « Chacun voudrait dire son deuil de celui que nous perdons et en le faisant aujourd’hui, j’ai le sentiment de reconnaître la dette de tous les pacifistes envers celui qui fut plus qu’un grand homme : un homme ! »
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Par Paco
10-08-2008
Rédigé le 08/10/2008 à 17:05 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
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Le pays a célébré dans la discrétion les événements du 5 octobre 1988, alors que les spéculations sur un amendement de la Constitution et un troisième mandat de Bouteflika vont bon train et que la situation politique, économique et sécuritaire reste peu stable.
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Les Algériens ont-ils tiré les leçons du 5 octobre 1988 ? Si le but initial, ou du moins l’un des buts, de ces émeutes qui ont bouleversé l’histoire contemporaine du pays était d’instaurer la démocratie, il semblerait que la réponse soit bien mitigée, voire négative. Certes, la décennie noire marquée par le terrorisme et les affrontements entre islamistes armés et régime a pris fin, et le climat sécuritaire s’est amélioré. Mais, tout compte fait, l’Algérie était promise à un changement qui n’a pas eu lieu. Vingt ans plus tard en effet, c’est la grande désillusion. La construction démocratique du pays est remise aux calendes grecques, une « parenthèse démocratique » qui s’est fermée, d’autant plus que le régime s’apprêterait à effectuer un amendement constitutionnel qui permettrait au président Abdelaziz Bouteflika de briguer un 3e mandat.
Est-ce donc le retour à la case départ ?, se demandent les Algériens. A quoi ont servi les réformes politiques entreprises au lendemain des événements du 5 octobre, alors que l’opposition est quasi muselée, et que le pouvoir en place tient à rester en place ? Si l’on ne peut pas nier les acquis, ils n’ont pas donné suite aux résultats attendus. L’on est passé du parti unique au pluralisme politique, du dirigisme économique à l’économie de marché, de la presse « unique » à l’ouverture du champ médiatique, les multiples maux de l’Algérie n’en sont pas pour autant réduits.
Aujourd’hui donc, c’est une certaine confusion qui règne en Algérie. Annoncée à plusieurs reprises au cours des deux dernières années, la réforme constitutionnelle fait actuellement l’objet d’un silence du pouvoir et d’une inertie de l’opposition, alors que les prochaines présidentielles sont prévues en avril 2009. A quelques mois de cette date, les Algériens n’ont pas d’idée claire sur le candidat qu’ils devront choisir, alors que dans tout régime démocratique, la pré-campagne électorale débute au moins un an avant les élections.
Mais cela fait deux ans que l’actuel président Abdelaziz Bouteflika reste indécis, ou plutôt discret : faut-il procéder à la révision de la Constitution, ce qui lui permettrait d’effectuer un troisième mandat, ou doit-il céder sa place ? Selon les partis de la coalition nationale, la révision de la Constitution aura lieu « en temps voulu », car « chaque chose a son temps ».
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Révision constitutionnelle dans les « deux mois »
Pour Abdelaziz Belkhadem, ex-chef du gouvernement et secrétaire général de l’instance exécutive du parti au pouvoir, le Front de Libération National (FLN), la révision constitutionnelle aurait lieu dans 2 mois. C’est ce qu’il a récemment affirmé lors d’une cérémonie organisée par son parti dans une banlieue algéroise. M. Belkhadem a, lors de cette rencontre de proximité avec les cadres de son parti, réitéré la position de sa formation politique favorable à « l’amendement de la Constitution et la candidature du président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, à un troisième mandat présidentiel ». Il n’est un secret pour personne que le FLN en sera le principal bénéficiaire, eu égard au nombre de portefeuilles ministériels qui lui sont accordés et à son rôle dans les choix décisionnels au sein des appareils de l’Etat. Aussi, les partis politiques qui gravitent autour du cercle présidentiel, le Front de libération national, le Rassemblement National Démocratique (RND) d’Ahmed Ouyahia et le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) d’Abou-Djerra Soltani expriment le vœu d’amender la Constitution qui limite le mandat présidentiel.
En septembre dernier, le patron du RND et actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait déclaré : « Il y a deux années et demie, j’avais dit que le débat sur la Constitution était surréaliste, car au lieu de consacrer plus d’énergie au développement, on en perdait dans la spéculation. Mais aujourd’hui, son moment est venu. Elle aura lieu ». « Bien sûr, a-t-il précisé, la révision est du ressort du président, tout comme la candidature qui est une initiative personnelle, mais nous insistons pour la candidature et la réélection du président ». Cette annonce d’Ahmed Ouyahia, qui s’exprimait plus en tant que premier responsable du RND qu’en tant que chef de l’exécutif traduit le souci des autorités de couper court aux affabulations.
A en croire les propos de MM. Belkhadem et Ouyahia, les deux chambres, le Parlement et le Sénat, auront à modifier l’article 74 de la loi fondamentale du pays relatif à la limitation des mandats présidentiels lors de la session d’automne. Or, de source parlementaire, il a été annoncé que cette révision ne se ferait pas lors de cette session qui s’achèverait en janvier 2009, et que dans ce cas, il pourrait y avoir un amendement par voie référendaire.
Si la candidature de Bouteflika est imminente dans une conjoncture marquée par le soutien des partis de l’alliance présidentielle, l’opposition reste à la traîne dans le choix d’un candidat. Ce n’était pas le cas aux présidentielles de 1999 et 2004, lors desquelles des noms comme Hocine Aït Ahmed, chef du plus vieux parti d’opposition, le Front des Forces Socialistes (FFS), les islamistes Ali Benflis et Abdellah Djaballah ou encore le leader du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), Saïd Sadi, constituaient, sinon des concurrents de taille, du moins des concurrents en bonne et due forme à Bouteflika.
Le grand handicap de l’opposition réside dans le fait qu’elle ne parvient pas à s’organiser indépendamment du pouvoir. Cette opposition ne cesse de critiquer le système politique algérien, mais reste incapable de se remettre en question, ni d’apporter un vrai projet de société. Tout porte à croire donc que malgré le silence du président Abdelaziz Bouteflika, ce dernier prendra en main pour la troisième fois consécutive la destinée de l’Algérie.
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Abir Taleb
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Octobre 88 : l’explosion
«La foule d’action, foule d’amour ou foule de haine»
H. Delacroix
Par Belkacem Ahcène-Djaballah *
Sans
dresser une liste exhaustive des heurs et malheurs de la vie politique
interne du pays juste avant le 5 Octobre, liste que le journaliste Abed
Charef a su répertorier avec détails dans son ouvrage, on peut se
limiter au déroulement de faits majeurs, c’est-à-dire ceux qui, par
leurs retombées ou leurs retentissements, ont participé à la création
d’un climat propice à toutes les explosions.
Il y a, d’abord, des grèves : A la Société Nationale la Capitale la Capitale. Presque
L’autre
grève importante est déclenchée le 30 Septembre. C’est celle des postes
et télécommunications algéroises qui, commencée au Centre de tri
d’Alger-gare, s’est étendue assez vite aux principaux centraux et
bureaux de poste. Le travail reprendra en partie le 2 Octobre... pour
s’arrêter... à Oran, le même jour. Bien sûr, ce sont là les arrêts de
travail les plus importants qui ont, en quelque sorte, constitué le
point culminant d’un mouvement ininterrompu qui a occupé tout l’été :
grève des pilotes d’Air Algérie en Mai, de l’Eniem de Tizi-Ouzou,
etc... Toutes ces grèves ont des raisons avouées, liées à la famille
des conflits socio-professionnels internes comme l’inapplication de
certains termes
du Statut général du travailleur : Retard dans l’élaboration des statuts internes, octroi des primes, demandes de rappels_ depuis
1985, re-cotation des postes de travail et augmentation des salaires,
changement de responsables, attribution de logements, etc...
revendications qui ne peuvent être comprises, bien sûr, que situées
dans un contexte économique et social se détériorant à une allure
vertigineuse, avec un coût de la vie croissant plus vite qu’un pouvoir
d’achat qui stagne ou baisse, pour les revenus bas et moyens.
Il y a, ensuite, des «scandales» : Souvent totalement vrais, parfois basés sur des faits certes réels, mais très déformés par la rumeur :
-
Celui de la distribution des terres agricoles, dont certaines parmi les
meilleures, au profit de hauts responsables politiques ou proches du
pouvoir, de fonctionnaires et, dit-on, de prêtenoms. Et ce, suite à
l’opération de réformes du secteur de l’agriculture: Domaines
socialistes transformés en exploitations agricoles collectives (EAC),
entre autres. Parmi le «gros lot» distribué, il y avait des parties
parmi les plus succulentes du domaine Bouchaoui (ex-domaine Borgeaud, à
30 kilomètres
- Celui de la Banque Extérieure
-
Il y a, aussi, une action que l’on peut classer dans la rubrique des
scandales... comme toute action programmée ou projetée par un groupe
restreint au profit d’une couche limitée de la population et ce, sans
respect des principes politiques et culturels élémentaires et de
l’intérêt général. Ici, il s’agit des menées francophiles (qu’il faut
différencier de la francophonie) pour maintenir, à Alger, l’accès
d’enfants algériens au Lycée Descartes de la Capitale la France la République
Il y a, enfin, mille et une rumeurs :
Parfois princesses, souvent reines de la communication nationale, sur
le terrain, depuis presque l’indépendance, c’est-à-dire depuis que la
politique s’est totalement saisie des circuits de l’information
nationale juste avant le 19 Juin 1965, à la fin du règne de Ben Bella
(le «final» de la mainmise devant se réaliser pleinement avec un projet
de fusion Alger-Républicain / Ech Chaâb).
Concernant l’explosion d’Octobre, ce qui est absolument certain, c’est qu’il y avait un appel de grève générale pour le 5 Octobre.
Qui l’a lancé, qui a participé à sa propagation à travers le pays, là
est encore tout le mystère, mystère que chacun, jusqu’à ce jour,
s’acharne à vouloir déchiffrer, les uns pour démontrer que l’émeute
était organisée et non spontanée et n’a donc aucune racine solide et,
surtout, que les changements qui ont suivi n’avaient aucune raison
d’être, les autres, pour découvrir ceux qui ont «fabriqué, au sein même
des cercles proches du pouvoir», l’événement et ses suites.
Ainsi, pour
Mohamed-Chérif Messadia, lors d’une interview publiée par El Massa
(28/29 Juillet 1991), tout a été «fabriqué» à partir de 1986 par
les forces extérieures hostiles à la volonté d’existence de
l’Algérie... Avec la complicité, bien sûr, de services des
renseignements et de ceux qui voulaient la libéralisation de
l’économie. Saâd Bouokba, d’El Massa (6 Octobre 1991) abonde
dans le même sens du complot : «Le 5 Octobre n’a pas été une exigence
populaire et idéologique, mais une exigence de pouvoir pour casser la
stagnation politique et idéologique qui présidait à la préparation du 6ème
Congrès», et révèle (?) qu’un rapport sur ce qui se préparait a été
remis au Chef de
l’Etat en Avril 1990. Tous les recoupements et toutes les analyses
poussent à croire qu’effectivement, l’événement a été préparé, «quelque
part» - mais certainement pas par la «CIA» comme veulent le faire
croire, de manière farfelue, certaines nouvelles «têtes» politiques,
comme le président du RNA, qui a accusé tous les responsables de l’époque, lors d’une conférence de presse tenue le 15 Septembre 1991...
allant jusqu’à nommer Abdelhamid Brahimi et Taleb Ibrahimi – par la
création des conditions favorables à une explosion, mais rien n’indique
qu’une heure H avait été fixée de façon précise, ce qui laisse croire,
au cas où l’hypothèse de la fabrication de l’événement est retenue, que
le facteur de la spontanéité a joué tout de même un grand rôle, allant
au-delà des espérances... des factions qui s’affrontaient dans les coulisses : Chadli
Bendjedid contre Messadia, ou le gouvernement contre le Fln si l’on s’en tient à la thèse de Rachid Boudjedra (El Watan, 2 Avril 1992), ou la bourgeoisie bureaucratique contre la bourgeoisie libérale (Abderrahmane Mahmoudi).
En effet, les dates de «grève générale » ou de «soulèvement généralisé»
ont été multiples, tout particulièrement à partir de la mi-Septembre. Le
19 Septembre, dans la matinée, c’est-à-dire juste avant la diffusion du
fameux discours, significatif du «ras-le-bol» selon certains, ou du
«feu vert pour la guerre civile» pour d’autres, prononcé par le
Président Chadli Bendjedid, après une absence de la scène qui a duré
près de deux mois, devant les membres du Bureau Politique du Fln, du
gouvernement et des bureaux de coordination des wilayate, un journaliste rapportait, de ( la ville natale d’un membre influent de la grande nomemklatura, grand manipulateur » devant
l’Eternel), une folle rumeur (dans les cafés entre autres) sur des manifestations populaires dans les jours qui suivent (c’est-à-dire
entre le 20 et le 25). Cette information valut, paraît-il, à son
auteur, bien des tracasseries et ce, plusieurs jours de suite. Pourquoi
? On se le demande encore. Ce journaliste aurait été même «interdit de se déplacer » hors de sa wilaya sans autorisation préalable.
Il
était évident que le jour J approchait à grand pas et devait, très
certainement, se dérouler bien avant le 6ème Congrès du Fln qui entrait
alors dans sa phase ultime de la préparation... et, aussi, dans l’étape
des négociations finales pour la redistribution des postes et du
pouvoir.
Bien d’autres incidents, d’apparence mineure, éclatèrent
ça et là, durant les premiers jours d’Octobre, que ce soit dans le
monde du travail ou ailleurs. Ainsi, le 4 Octobre, des lycéens, en
grève, allaient, durant trois heures, occuper les rues de Aïn El
Hammam, saccageant et brûlant le siège et la résidence de la daïra,
ainsi que quatre véhicules officiels. C’est le même scénario à Larbaâ
Nath Iraten où des vitres de plusieurs édifices publics étaient brisés.
Voulait-on que tout parte de la Kabylie
En
effet, le matin du Mercredi 5 Octobre, il y eut, à partir de 10 heures,
une manifestation de lycéens (et d’écoliers) en grève («racolés» écrit
le Monde). Elle se
déroule dans une atmosphère bon enfant, sous les yeux compréhensifs des
quelques policiers perdus dans la tempête. Dans son ouvrage édité en 1992, Kamel Bouchama, (Le FLN, instrument et alibi du pouvoir) précise que «les policiers» qu’on disait désarmés la veille, se sont éparpillés à travers les grandes artères de la Capitale
La
plupart des autres grandes villes vont suivre à un rythme fou...:
Jijel, Blida, Médéa, Saîda, Ain-Témouchent, Tlemcen, Mostaganem,
Annaba, Oran, Ain-Defla, Béjaia, M’Sila, Mascara, Sétif, El Eulma,
Remchi, etc... Avec, parfois, des morts. Seul, le Sud du pays, mis à part Laghouat, et la Grande Kabylie la Sûreté Nationale
Selon
les habitants des immeubles mitoyens et des personnes qui ont participé
à la marche, des voyous ont provoqué le service d’ordre sachant que
c’était le dernier barrage qu’ils allaient passer. Cette provocation a
pour but, toujours selon certains manifestants, d’attiser la colère de
gens et de provoquer des réactions en vue de faire durer, le plus
longtemps possible, les émeutes. Plusieurs blessés ont, en outre, pu
joindre les ruelles de la Casbah
Provocation
? Le terme est souvent revenu, non pas seulement pour ce qui concerne
la journée du 10 Octobre, mais aussi pour tout ce qui a précédé. Pour
le lundi 10 Octobre, elle est quasi- certaine. Et ce, à plusieurs
niveaux : - Tout d’abord, l’organisation elle même de la
marche par les «intégristes » religieux (du moins la tendance la plus
radicale), qui, avant l’intervention télévisée prévue du Président de la République
Et,
à ce moment-là, quelqu’un, de la foule, aurait tiré... La débandade qui
a suivi a entraîné la foule vers un groupe des forces de l’ordre en
position devant le DGSN... ce qui a entraîné une panique de tous les
côtés. Bilan officiel : 13 morts et 48 blessés.
A suivre
* Ancien DG de l’APS
( Octobre 1985-Mai 1990), Journaliste
1ère partie
*Cet article est , en fait, un extrait de l’ouvrage
de l’auteur, édité en 2005, à Dar El Gharb (Oran)
sous le titre Chroniques d’une démocratie «maltraitée
» (Octobre 1988- Décembre 1992)...
ouvrage qui n’a pas connu, en dehors d’Oran,
une large diffusion.
TÉMOIGNAGE. Le Quotidien d'Oran. Mardi 07 octobre 2008
Octobre 88 : les explications officielles*
«Une révolution digne de ce nom appartient à son siècle et à ses témoins»
Mostefa Lacheraf
- Par Belkacem Ahcène-Djaballah **
A dire vrai, les explications officielles concernant les «évènements d’Octobre» n’ont jamais été nombreuses et claires.
- Celles du Bureau politique du Fln, fournies suite à une réunion extraordinaire tenue le 5 Octobre,
et durant laquelle le Ministre de l’Intérieur, invité, a fait un
compte-rendu «portant sur les troubles de l’ordre public survenus dans
certains quartiers de la capitale», sont du plus pur style «langue de
bois», comme si tout n’était effectivement qu’un «chahut de gamins» ou,
peut-être, une kermesse tragique organisée que l’on peut stopper à tout
moment. Ainsi, pour lui, les atteintes à l’ordre public «trouvent leurs
origines dans les agissements de milieux restreints et aisément
réductibles, nostalgiques, intéressés à accrocher l’évolution
économique, culturelle et politique du pays aux influences
étrangères de tous bords et soucieux de contrarier, à la source, la
lutte désormais résolument engagée contre la spéculation, la
corruption, le renchérissent des prix et la manipulation des circuits
d’importation et de distribution».
- Les
premiers à fournir les informations assez complètes, mais cependant non
suffisantes, à la presse nationale (les directeurs de journaux
accompagnés des directeurs de rédaction et rédacteurs en chef) sont les
militaires. Le 17 Octobre, ils donnent, au siège même de l’Etat-major
général, à Aïn Naâdja, une conférence de presse » qui durera plus de
deux heures. Mais, le contenu n’est cependant pas repris par les
organes de presse à cause, d’une part, d’habitudes de rétention et
d’auto-censure dont il était difficile de se départir rapidement, et,
d’autre part, parce qu’il n’avait pas été précisé clairement que la
réunion était une conférence de presse dont les éléments pouvaient être
diffusés. Un document avait été alors distribué : «L’Armée
nationale populaire a vécu, ces derniers jours, une situation
exceptionnelle où ses unités ont eu à intervenir -parfois par l’usage
de la force - pour rétablir l’ordre public dans la capitale où des
exactions graves telles que la dévastation par l’incendie, le pillage
collectif, le vandalisme ont été provoquées.
Les
Forces habituellement chargées du maintien de l’ordre n’ayant pu venir
à bout de ces émeutes et des désordres, les pouvoirs publics ont eu
recours à une disposition constitutionnelle pour proclamer l’état de
siège dans la Capitale
- Engager, à l’intérieur de la Capitale
- Restaurer l’ordre, au besoin, par l’usage de la force avec des unités dont la préparation et l’équipement sont inadaptés à la mission dévolue ;
-
User, avec mesure et à bon escient, des pouvoirs exceptionnels
découlant de l’état de siège avec le souci de mieux préserver la
tranquilité publique.
C’est
ainsi que les liaisons et communications tant à l’intérieur du pays
qu’avec l’étranger n’ont pas été suspendues. Aucune mesure de censure
n’a été prise. L’action administrative des autorités publiques a été
soutenue.
C’est
pourquoi, et après un appel au calme diffusé par la voie des médias, la
première mesure prise fut l’instauration du couvre-feu. Cette première
mesure a permis :
- d’une part, de libérer la voie publique des attroupements et des obstacles qui l’encombraient ;
- d’autre
part, permettre aux services publics tels que protection civile, santé
publique, voirie, Sonelgaz, de remplir leur tâche afin de redonner à la
ville sa physionomie habituelle.
Dans
le souci d’éviter de faire encourir à la population des risques
inconsidérés : 1 - Des communiqués ont été diffusés recommandant aux
citoyens de restreindre les déplacements afin de leur éviter toute
confusion avec les groupes et manifestants persistant à perturber
l’ordre. 2 - Des consignes précises, tant verbales qu’écrites, ont été
données aux unités d’intervention afin de garder leur calme et de
n’user de la force qu’en cas de nécessité impérative. La mise en oeuvre
de l’ensemble de ces mesures et leur stricte application par les unités
de l’Armée nationale populaire ainsi que la prise de conscience de la
population devant la tournure grave des évènements ont permis le retour
au calme et la levée, dès
le 12 Octobre, de l’état de siège et des restrictions qu’il a
impliquées.
L’autorité
militaire déplore que ceci n’ait pu se faire sans que les pertes en
vies humaines n’aient été enregistrées tant du côté des émeutes que
celui des forces de l’ordre. Il était du devoir de l’autorité militaire
d’éclairer la presse nationale sur: - Le cadre légal de
l’intervention des Forces armées ; - Les dangers encourus par la
capitale, ses habitants et ses installations; - Les mesures prises ;
-Le déroulement des évènements».
Plus de deux années après, Le ministre de la Défense Nationale
-
L’autorité militaire ne s’est contentée, d’après le Général-Major, que
du rétablissement de l’ordre et de la sécurité sur la voie publique
sans prendre aucune autre mesure de restriction autre que le couvrefeu
et l’interdiction de rassemblements et manifestations. Il n’y a pas eu
de censure de la part de l’autorité militaire (ce qui est vrai !), la
presse étrangère n’a pas été refoulée (ce qui est aussi vrai !), et la
presse nationale était absente car la censure existait avant (ce qui
est encore plus vrai !). «Juste après les évènements, nous avons
convoqué, nous, militaires, la presse. Nous avons essayé de lui
expliquer la situation. Nous lui avons même parlé des pertes. Nous
avons donné aux journalistes la
liste des pertes. Nous leur avons dit, je m’en souviens, ne publiez
rien avant d’avoir vérifié sur le terrain (!). Rien n’a été fait. Les
informations n’ont pas été reprises...». - En ce qui concerne les
arrestations, l’interviewé a pensé que «dans ce cas, elles sont, je ne
dirai pas normales, mais il s’agissait d’avoir des informations. Nous
étions devant un mouvement d’apparence insurrectionnelle ». Quant à la
torture, il n’en a été informé, d’après lui, qu’après la levée de
l’état de siège de deux ou trois jours avant que la presse n’en fasse
état, «précisément à l’issue d’une réunion d’universitaires à Pierre et Marie Curie à Mustapha.
Les faits avaient été rapportés à titre privé par un ami, en écho du
sujet débattu durant la réunion. J’avoue avoir été réticent à croire
les faits rapportés, mais, hélas, par la suite, il a bien fallu se
rendre à la triste évidence
de la réalité».
- Le
second à rencontrer la presse nationale le 22 Octobre pour, au passage,
mieux la clouer au pilori, comme si les journalistes avaient vraiment
la possibilité d’une libre expression durant des journées où personne
ne savait exactement où se trouvait tel ou tel responsable, est le
ministre de l’Intérieur, El Hadi Khediri, qui a dressé une sorte de
bilan : 159 morts (L’Hebdo Libéré, n° 70 du 30 Septembre au 6
Octobre 1992, avance le chiffre de 250 à 300) dont cinq parmi les
forces de l’ordre et sept carbonisés ou écrasés par les manifestants,
154 blessés et 161 milliards de centimes de dégâts matériels dont 121
milliards pour le secteur économique, 28 pour le secteur administratif
et 11,9 pour le secteur social, et 3
milliards pour le secteur privé (un bilan établi le 11 Octobre, sur la
base de rumeurs et de recoupements de sources médicales et
hospitalières, avait poussé la presse étrangère à avancer le chiffre de
450 à 500 victimes. Les mêmes sources estimaient, selon l’Afp, par la
suite, que le bilan définitif dépassait nettement 500 morts, sans qu’il
soit possible de donner de chiffres précis. L’Afp signalait, dans une
dépêche datée du 22 Octobre, que des responsables du ministère de
l’Information avaient fait état de plus de 176 morts auprès de l’Afp,
et de plus de 200 morts à la date du 9 Octobre, auprès d’autres
médias). Le ministre de l’Intérieur a présenté les évènements, à partir
de la soirée du Mardi 4 Octobre, à Alger, dans le quartier de Bab
El-Oued et à El-Harrach, en banlieue, et du Mercredi 5 dans le centre
d’Alger : «Le point de départ, a-t-il dit, a été une marche de lycéens,
bien canalisée, mais
qui a été débordée par des milliers d’autre jeunes, de tous bords, qui
se sont livrés à des actes de destruction généralisée, s’étendant
rapidement à plusieurs quartiers. Les forces de police, avec des moyens
pacifiques classiques de défense, a ajouté le Ministre, ont été vite
dépassées par l’ampleur du déferlement et les enquêtes en cours
détermineront les auteurs de telles manipulations. La faiblesse des
effectifs, a-t-dit, ne pouvait permettre à la police
d’être présente partout». Face à cette situation, El Hadi Khediri a
estimé que le recours à l’armée était devenu «indispensable pour
rétablir l’ordre», ajoutant que celle-ci «n’a fait usage des armes que
dans les cas extrêmes, en riposte à la violence ». «Elle a procédé, le
plus souvent, à des tirs de sommation, dont certains ont,
malheureusement, par ricochet, touché des personnes aux balcons
d’immeubles». A Alger, l’Armée, selon le ministre, ne disposait pas de
balles en caoutchouc et a été «surprise par ces jeunes, entraînés,
armés de bouteilles incendiaires, équipés de moyens de transport et de
transmission».
El
Hadi Khediri a, aussi, évoqué les «cagoulards» (Bouchkara) emmenés par
les forces de l’ordre dans des quartiers d’Alger pour dénoncer des
manifestants, à leur tour arrêtés : «Ce procédé colonial, a-t-il dit,
n’a pas été utilisé par la police, et j’ai donné l’ordre de tirer sans
hésiter sur toute personne qui utilise cette méthode». A propos des
arrestations, le ministre a indiqué qu’elles s’effectuent «dans le
cadre légal et qu’elles se poursuivront d’ailleurs dans le cadre de
l’enquête sur les évènements».
Le
ministre,qui a «regretté, avec amertume, l’absence des médias
algériens» pendant les évènements, a incité les journalistes à être «à
l’écoute des préoccupations du citoyen et à jouer » un rôle important
dans la voie du renouveau ». Une leçon qui venait assez tard, mais qui
sera retenue ! Enfin, il a évoqué les problèmes de la jeunesse,
«confrontée à des difficultés réelles qu’il convient de prendre en
charge», et la responsabilité des dirigeants du pays : «Nous avons tous
contribué à créer cette situation, a-t-il conclu, les uns par la
trahison, d’autres par le vol et d’autres par leur silence». Faute
avouée est à moitié pardonnée, dit-on ! En effet, cet ex-Directeur
général de la Sûreté
* Cet article est , en fait, un extrait de l’ouvrage de
l’auteur, édité en 2005, à Dar El Gharb (Oran) sous
le titre Chroniques d’une démocratie « maltraitée
» (Octobre 1988- Décembre 1992)_.ouvrage
qui n’a pas connu, en dehors d’Oran,
une large diffusion.
Suite et fin
** Ancien DG de l’APS
( Octobre 1985-Mai 1990), Journaliste
[Toutes les parties du texte mises en gras le sont par Tahar Hamadache]
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Rédigé le 08/10/2008 à 09:07 dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
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