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Le pays a célébré dans la discrétion les événements du 5 octobre 1988, alors que les spéculations sur un amendement de la Constitution et un troisième mandat de Bouteflika vont bon train et que la situation politique, économique et sécuritaire reste peu stable.
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Les Algériens ont-ils tiré les leçons du 5 octobre 1988 ? Si le but initial, ou du moins l’un des buts, de ces émeutes qui ont bouleversé l’histoire contemporaine du pays était d’instaurer la démocratie, il semblerait que la réponse soit bien mitigée, voire négative. Certes, la décennie noire marquée par le terrorisme et les affrontements entre islamistes armés et régime a pris fin, et le climat sécuritaire s’est amélioré. Mais, tout compte fait, l’Algérie était promise à un changement qui n’a pas eu lieu. Vingt ans plus tard en effet, c’est la grande désillusion. La construction démocratique du pays est remise aux calendes grecques, une « parenthèse démocratique » qui s’est fermée, d’autant plus que le régime s’apprêterait à effectuer un amendement constitutionnel qui permettrait au président Abdelaziz Bouteflika de briguer un 3e mandat.
Est-ce donc le retour à la case départ ?, se demandent les Algériens. A quoi ont servi les réformes politiques entreprises au lendemain des événements du 5 octobre, alors que l’opposition est quasi muselée, et que le pouvoir en place tient à rester en place ? Si l’on ne peut pas nier les acquis, ils n’ont pas donné suite aux résultats attendus. L’on est passé du parti unique au pluralisme politique, du dirigisme économique à l’économie de marché, de la presse « unique » à l’ouverture du champ médiatique, les multiples maux de l’Algérie n’en sont pas pour autant réduits.
Aujourd’hui donc, c’est une certaine confusion qui règne en Algérie. Annoncée à plusieurs reprises au cours des deux dernières années, la réforme constitutionnelle fait actuellement l’objet d’un silence du pouvoir et d’une inertie de l’opposition, alors que les prochaines présidentielles sont prévues en avril 2009. A quelques mois de cette date, les Algériens n’ont pas d’idée claire sur le candidat qu’ils devront choisir, alors que dans tout régime démocratique, la pré-campagne électorale débute au moins un an avant les élections.
Mais cela fait deux ans que l’actuel président Abdelaziz Bouteflika reste indécis, ou plutôt discret : faut-il procéder à la révision de la Constitution, ce qui lui permettrait d’effectuer un troisième mandat, ou doit-il céder sa place ? Selon les partis de la coalition nationale, la révision de la Constitution aura lieu « en temps voulu », car « chaque chose a son temps ».
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Révision constitutionnelle dans les « deux mois »
Pour Abdelaziz Belkhadem, ex-chef du gouvernement et secrétaire général de l’instance exécutive du parti au pouvoir, le Front de Libération National (FLN), la révision constitutionnelle aurait lieu dans 2 mois. C’est ce qu’il a récemment affirmé lors d’une cérémonie organisée par son parti dans une banlieue algéroise. M. Belkhadem a, lors de cette rencontre de proximité avec les cadres de son parti, réitéré la position de sa formation politique favorable à « l’amendement de la Constitution et la candidature du président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, à un troisième mandat présidentiel ». Il n’est un secret pour personne que le FLN en sera le principal bénéficiaire, eu égard au nombre de portefeuilles ministériels qui lui sont accordés et à son rôle dans les choix décisionnels au sein des appareils de l’Etat. Aussi, les partis politiques qui gravitent autour du cercle présidentiel, le Front de libération national, le Rassemblement National Démocratique (RND) d’Ahmed Ouyahia et le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) d’Abou-Djerra Soltani expriment le vœu d’amender la Constitution qui limite le mandat présidentiel.
En septembre dernier, le patron du RND et actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait déclaré : « Il y a deux années et demie, j’avais dit que le débat sur la Constitution était surréaliste, car au lieu de consacrer plus d’énergie au développement, on en perdait dans la spéculation. Mais aujourd’hui, son moment est venu. Elle aura lieu ». « Bien sûr, a-t-il précisé, la révision est du ressort du président, tout comme la candidature qui est une initiative personnelle, mais nous insistons pour la candidature et la réélection du président ». Cette annonce d’Ahmed Ouyahia, qui s’exprimait plus en tant que premier responsable du RND qu’en tant que chef de l’exécutif traduit le souci des autorités de couper court aux affabulations.
A en croire les propos de MM. Belkhadem et Ouyahia, les deux chambres, le Parlement et le Sénat, auront à modifier l’article 74 de la loi fondamentale du pays relatif à la limitation des mandats présidentiels lors de la session d’automne. Or, de source parlementaire, il a été annoncé que cette révision ne se ferait pas lors de cette session qui s’achèverait en janvier 2009, et que dans ce cas, il pourrait y avoir un amendement par voie référendaire.
Si la candidature de Bouteflika est imminente dans une conjoncture marquée par le soutien des partis de l’alliance présidentielle, l’opposition reste à la traîne dans le choix d’un candidat. Ce n’était pas le cas aux présidentielles de 1999 et 2004, lors desquelles des noms comme Hocine Aït Ahmed, chef du plus vieux parti d’opposition, le Front des Forces Socialistes (FFS), les islamistes Ali Benflis et Abdellah Djaballah ou encore le leader du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), Saïd Sadi, constituaient, sinon des concurrents de taille, du moins des concurrents en bonne et due forme à Bouteflika.
Le grand handicap de l’opposition réside dans le fait qu’elle ne parvient pas à s’organiser indépendamment du pouvoir. Cette opposition ne cesse de critiquer le système politique algérien, mais reste incapable de se remettre en question, ni d’apporter un vrai projet de société. Tout porte à croire donc que malgré le silence du président Abdelaziz Bouteflika, ce dernier prendra en main pour la troisième fois consécutive la destinée de l’Algérie.
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Abir Taleb
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Octobre 88 : l’explosion
«La foule d’action, foule d’amour ou foule de haine»
H. Delacroix
Par Belkacem Ahcène-Djaballah *
Sans
dresser une liste exhaustive des heurs et malheurs de la vie politique
interne du pays juste avant le 5 Octobre, liste que le journaliste Abed
Charef a su répertorier avec détails dans son ouvrage, on peut se
limiter au déroulement de faits majeurs, c’est-à-dire ceux qui, par
leurs retombées ou leurs retentissements, ont participé à la création
d’un climat propice à toutes les explosions.
Il y a, d’abord, des grèves : A la Société Nationale la Capitale la Capitale. Presque
L’autre
grève importante est déclenchée le 30 Septembre. C’est celle des postes
et télécommunications algéroises qui, commencée au Centre de tri
d’Alger-gare, s’est étendue assez vite aux principaux centraux et
bureaux de poste. Le travail reprendra en partie le 2 Octobre... pour
s’arrêter... à Oran, le même jour. Bien sûr, ce sont là les arrêts de
travail les plus importants qui ont, en quelque sorte, constitué le
point culminant d’un mouvement ininterrompu qui a occupé tout l’été :
grève des pilotes d’Air Algérie en Mai, de l’Eniem de Tizi-Ouzou,
etc... Toutes ces grèves ont des raisons avouées, liées à la famille
des conflits socio-professionnels internes comme l’inapplication de
certains termes
du Statut général du travailleur : Retard dans l’élaboration des statuts internes, octroi des primes, demandes de rappels_ depuis
1985, re-cotation des postes de travail et augmentation des salaires,
changement de responsables, attribution de logements, etc...
revendications qui ne peuvent être comprises, bien sûr, que situées
dans un contexte économique et social se détériorant à une allure
vertigineuse, avec un coût de la vie croissant plus vite qu’un pouvoir
d’achat qui stagne ou baisse, pour les revenus bas et moyens.
Il y a, ensuite, des «scandales» : Souvent totalement vrais, parfois basés sur des faits certes réels, mais très déformés par la rumeur :
-
Celui de la distribution des terres agricoles, dont certaines parmi les
meilleures, au profit de hauts responsables politiques ou proches du
pouvoir, de fonctionnaires et, dit-on, de prêtenoms. Et ce, suite à
l’opération de réformes du secteur de l’agriculture: Domaines
socialistes transformés en exploitations agricoles collectives (EAC),
entre autres. Parmi le «gros lot» distribué, il y avait des parties
parmi les plus succulentes du domaine Bouchaoui (ex-domaine Borgeaud, à
30 kilomètres
- Celui de la Banque Extérieure
-
Il y a, aussi, une action que l’on peut classer dans la rubrique des
scandales... comme toute action programmée ou projetée par un groupe
restreint au profit d’une couche limitée de la population et ce, sans
respect des principes politiques et culturels élémentaires et de
l’intérêt général. Ici, il s’agit des menées francophiles (qu’il faut
différencier de la francophonie) pour maintenir, à Alger, l’accès
d’enfants algériens au Lycée Descartes de la Capitale la France la République
Il y a, enfin, mille et une rumeurs :
Parfois princesses, souvent reines de la communication nationale, sur
le terrain, depuis presque l’indépendance, c’est-à-dire depuis que la
politique s’est totalement saisie des circuits de l’information
nationale juste avant le 19 Juin 1965, à la fin du règne de Ben Bella
(le «final» de la mainmise devant se réaliser pleinement avec un projet
de fusion Alger-Républicain / Ech Chaâb).
Concernant l’explosion d’Octobre, ce qui est absolument certain, c’est qu’il y avait un appel de grève générale pour le 5 Octobre.
Qui l’a lancé, qui a participé à sa propagation à travers le pays, là
est encore tout le mystère, mystère que chacun, jusqu’à ce jour,
s’acharne à vouloir déchiffrer, les uns pour démontrer que l’émeute
était organisée et non spontanée et n’a donc aucune racine solide et,
surtout, que les changements qui ont suivi n’avaient aucune raison
d’être, les autres, pour découvrir ceux qui ont «fabriqué, au sein même
des cercles proches du pouvoir», l’événement et ses suites.
Ainsi, pour
Mohamed-Chérif Messadia, lors d’une interview publiée par El Massa
(28/29 Juillet 1991), tout a été «fabriqué» à partir de 1986 par
les forces extérieures hostiles à la volonté d’existence de
l’Algérie... Avec la complicité, bien sûr, de services des
renseignements et de ceux qui voulaient la libéralisation de
l’économie. Saâd Bouokba, d’El Massa (6 Octobre 1991) abonde
dans le même sens du complot : «Le 5 Octobre n’a pas été une exigence
populaire et idéologique, mais une exigence de pouvoir pour casser la
stagnation politique et idéologique qui présidait à la préparation du 6ème
Congrès», et révèle (?) qu’un rapport sur ce qui se préparait a été
remis au Chef de
l’Etat en Avril 1990. Tous les recoupements et toutes les analyses
poussent à croire qu’effectivement, l’événement a été préparé, «quelque
part» - mais certainement pas par la «CIA» comme veulent le faire
croire, de manière farfelue, certaines nouvelles «têtes» politiques,
comme le président du RNA, qui a accusé tous les responsables de l’époque, lors d’une conférence de presse tenue le 15 Septembre 1991...
allant jusqu’à nommer Abdelhamid Brahimi et Taleb Ibrahimi – par la
création des conditions favorables à une explosion, mais rien n’indique
qu’une heure H avait été fixée de façon précise, ce qui laisse croire,
au cas où l’hypothèse de la fabrication de l’événement est retenue, que
le facteur de la spontanéité a joué tout de même un grand rôle, allant
au-delà des espérances... des factions qui s’affrontaient dans les coulisses : Chadli
Bendjedid contre Messadia, ou le gouvernement contre le Fln si l’on s’en tient à la thèse de Rachid Boudjedra (El Watan, 2 Avril 1992), ou la bourgeoisie bureaucratique contre la bourgeoisie libérale (Abderrahmane Mahmoudi).
En effet, les dates de «grève générale » ou de «soulèvement généralisé»
ont été multiples, tout particulièrement à partir de la mi-Septembre. Le
19 Septembre, dans la matinée, c’est-à-dire juste avant la diffusion du
fameux discours, significatif du «ras-le-bol» selon certains, ou du
«feu vert pour la guerre civile» pour d’autres, prononcé par le
Président Chadli Bendjedid, après une absence de la scène qui a duré
près de deux mois, devant les membres du Bureau Politique du Fln, du
gouvernement et des bureaux de coordination des wilayate, un journaliste rapportait, de ( la ville natale d’un membre influent de la grande nomemklatura, grand manipulateur » devant
l’Eternel), une folle rumeur (dans les cafés entre autres) sur des manifestations populaires dans les jours qui suivent (c’est-à-dire
entre le 20 et le 25). Cette information valut, paraît-il, à son
auteur, bien des tracasseries et ce, plusieurs jours de suite. Pourquoi
? On se le demande encore. Ce journaliste aurait été même «interdit de se déplacer » hors de sa wilaya sans autorisation préalable.
Il
était évident que le jour J approchait à grand pas et devait, très
certainement, se dérouler bien avant le 6ème Congrès du Fln qui entrait
alors dans sa phase ultime de la préparation... et, aussi, dans l’étape
des négociations finales pour la redistribution des postes et du
pouvoir.
Bien d’autres incidents, d’apparence mineure, éclatèrent
ça et là, durant les premiers jours d’Octobre, que ce soit dans le
monde du travail ou ailleurs. Ainsi, le 4 Octobre, des lycéens, en
grève, allaient, durant trois heures, occuper les rues de Aïn El
Hammam, saccageant et brûlant le siège et la résidence de la daïra,
ainsi que quatre véhicules officiels. C’est le même scénario à Larbaâ
Nath Iraten où des vitres de plusieurs édifices publics étaient brisés.
Voulait-on que tout parte de la Kabylie
En
effet, le matin du Mercredi 5 Octobre, il y eut, à partir de 10 heures,
une manifestation de lycéens (et d’écoliers) en grève («racolés» écrit
le Monde). Elle se
déroule dans une atmosphère bon enfant, sous les yeux compréhensifs des
quelques policiers perdus dans la tempête. Dans son ouvrage édité en 1992, Kamel Bouchama, (Le FLN, instrument et alibi du pouvoir) précise que «les policiers» qu’on disait désarmés la veille, se sont éparpillés à travers les grandes artères de la Capitale
La
plupart des autres grandes villes vont suivre à un rythme fou...:
Jijel, Blida, Médéa, Saîda, Ain-Témouchent, Tlemcen, Mostaganem,
Annaba, Oran, Ain-Defla, Béjaia, M’Sila, Mascara, Sétif, El Eulma,
Remchi, etc... Avec, parfois, des morts. Seul, le Sud du pays, mis à part Laghouat, et la Grande Kabylie la Sûreté Nationale
Selon
les habitants des immeubles mitoyens et des personnes qui ont participé
à la marche, des voyous ont provoqué le service d’ordre sachant que
c’était le dernier barrage qu’ils allaient passer. Cette provocation a
pour but, toujours selon certains manifestants, d’attiser la colère de
gens et de provoquer des réactions en vue de faire durer, le plus
longtemps possible, les émeutes. Plusieurs blessés ont, en outre, pu
joindre les ruelles de la Casbah
Provocation
? Le terme est souvent revenu, non pas seulement pour ce qui concerne
la journée du 10 Octobre, mais aussi pour tout ce qui a précédé. Pour
le lundi 10 Octobre, elle est quasi- certaine. Et ce, à plusieurs
niveaux : - Tout d’abord, l’organisation elle même de la
marche par les «intégristes » religieux (du moins la tendance la plus
radicale), qui, avant l’intervention télévisée prévue du Président de la République
Et,
à ce moment-là, quelqu’un, de la foule, aurait tiré... La débandade qui
a suivi a entraîné la foule vers un groupe des forces de l’ordre en
position devant le DGSN... ce qui a entraîné une panique de tous les
côtés. Bilan officiel : 13 morts et 48 blessés.
A suivre
* Ancien DG de l’APS
( Octobre 1985-Mai 1990), Journaliste
1ère partie
*Cet article est , en fait, un extrait de l’ouvrage
de l’auteur, édité en 2005, à Dar El Gharb (Oran)
sous le titre Chroniques d’une démocratie «maltraitée
» (Octobre 1988- Décembre 1992)...
ouvrage qui n’a pas connu, en dehors d’Oran,
une large diffusion.
TÉMOIGNAGE. Le Quotidien d'Oran. Mardi 07 octobre 2008
Octobre 88 : les explications officielles*
«Une révolution digne de ce nom appartient à son siècle et à ses témoins»
Mostefa Lacheraf
- Par Belkacem Ahcène-Djaballah **
A dire vrai, les explications officielles concernant les «évènements d’Octobre» n’ont jamais été nombreuses et claires.
- Celles du Bureau politique du Fln, fournies suite à une réunion extraordinaire tenue le 5 Octobre,
et durant laquelle le Ministre de l’Intérieur, invité, a fait un
compte-rendu «portant sur les troubles de l’ordre public survenus dans
certains quartiers de la capitale», sont du plus pur style «langue de
bois», comme si tout n’était effectivement qu’un «chahut de gamins» ou,
peut-être, une kermesse tragique organisée que l’on peut stopper à tout
moment. Ainsi, pour lui, les atteintes à l’ordre public «trouvent leurs
origines dans les agissements de milieux restreints et aisément
réductibles, nostalgiques, intéressés à accrocher l’évolution
économique, culturelle et politique du pays aux influences
étrangères de tous bords et soucieux de contrarier, à la source, la
lutte désormais résolument engagée contre la spéculation, la
corruption, le renchérissent des prix et la manipulation des circuits
d’importation et de distribution».
- Les
premiers à fournir les informations assez complètes, mais cependant non
suffisantes, à la presse nationale (les directeurs de journaux
accompagnés des directeurs de rédaction et rédacteurs en chef) sont les
militaires. Le 17 Octobre, ils donnent, au siège même de l’Etat-major
général, à Aïn Naâdja, une conférence de presse » qui durera plus de
deux heures. Mais, le contenu n’est cependant pas repris par les
organes de presse à cause, d’une part, d’habitudes de rétention et
d’auto-censure dont il était difficile de se départir rapidement, et,
d’autre part, parce qu’il n’avait pas été précisé clairement que la
réunion était une conférence de presse dont les éléments pouvaient être
diffusés. Un document avait été alors distribué : «L’Armée
nationale populaire a vécu, ces derniers jours, une situation
exceptionnelle où ses unités ont eu à intervenir -parfois par l’usage
de la force - pour rétablir l’ordre public dans la capitale où des
exactions graves telles que la dévastation par l’incendie, le pillage
collectif, le vandalisme ont été provoquées.
Les
Forces habituellement chargées du maintien de l’ordre n’ayant pu venir
à bout de ces émeutes et des désordres, les pouvoirs publics ont eu
recours à une disposition constitutionnelle pour proclamer l’état de
siège dans la Capitale
- Engager, à l’intérieur de la Capitale
- Restaurer l’ordre, au besoin, par l’usage de la force avec des unités dont la préparation et l’équipement sont inadaptés à la mission dévolue ;
-
User, avec mesure et à bon escient, des pouvoirs exceptionnels
découlant de l’état de siège avec le souci de mieux préserver la
tranquilité publique.
C’est
ainsi que les liaisons et communications tant à l’intérieur du pays
qu’avec l’étranger n’ont pas été suspendues. Aucune mesure de censure
n’a été prise. L’action administrative des autorités publiques a été
soutenue.
C’est
pourquoi, et après un appel au calme diffusé par la voie des médias, la
première mesure prise fut l’instauration du couvre-feu. Cette première
mesure a permis :
- d’une part, de libérer la voie publique des attroupements et des obstacles qui l’encombraient ;
- d’autre
part, permettre aux services publics tels que protection civile, santé
publique, voirie, Sonelgaz, de remplir leur tâche afin de redonner à la
ville sa physionomie habituelle.
Dans
le souci d’éviter de faire encourir à la population des risques
inconsidérés : 1 - Des communiqués ont été diffusés recommandant aux
citoyens de restreindre les déplacements afin de leur éviter toute
confusion avec les groupes et manifestants persistant à perturber
l’ordre. 2 - Des consignes précises, tant verbales qu’écrites, ont été
données aux unités d’intervention afin de garder leur calme et de
n’user de la force qu’en cas de nécessité impérative. La mise en oeuvre
de l’ensemble de ces mesures et leur stricte application par les unités
de l’Armée nationale populaire ainsi que la prise de conscience de la
population devant la tournure grave des évènements ont permis le retour
au calme et la levée, dès
le 12 Octobre, de l’état de siège et des restrictions qu’il a
impliquées.
L’autorité
militaire déplore que ceci n’ait pu se faire sans que les pertes en
vies humaines n’aient été enregistrées tant du côté des émeutes que
celui des forces de l’ordre. Il était du devoir de l’autorité militaire
d’éclairer la presse nationale sur: - Le cadre légal de
l’intervention des Forces armées ; - Les dangers encourus par la
capitale, ses habitants et ses installations; - Les mesures prises ;
-Le déroulement des évènements».
Plus de deux années après, Le ministre de la Défense Nationale
-
L’autorité militaire ne s’est contentée, d’après le Général-Major, que
du rétablissement de l’ordre et de la sécurité sur la voie publique
sans prendre aucune autre mesure de restriction autre que le couvrefeu
et l’interdiction de rassemblements et manifestations. Il n’y a pas eu
de censure de la part de l’autorité militaire (ce qui est vrai !), la
presse étrangère n’a pas été refoulée (ce qui est aussi vrai !), et la
presse nationale était absente car la censure existait avant (ce qui
est encore plus vrai !). «Juste après les évènements, nous avons
convoqué, nous, militaires, la presse. Nous avons essayé de lui
expliquer la situation. Nous lui avons même parlé des pertes. Nous
avons donné aux journalistes la
liste des pertes. Nous leur avons dit, je m’en souviens, ne publiez
rien avant d’avoir vérifié sur le terrain (!). Rien n’a été fait. Les
informations n’ont pas été reprises...». - En ce qui concerne les
arrestations, l’interviewé a pensé que «dans ce cas, elles sont, je ne
dirai pas normales, mais il s’agissait d’avoir des informations. Nous
étions devant un mouvement d’apparence insurrectionnelle ». Quant à la
torture, il n’en a été informé, d’après lui, qu’après la levée de
l’état de siège de deux ou trois jours avant que la presse n’en fasse
état, «précisément à l’issue d’une réunion d’universitaires à Pierre et Marie Curie à Mustapha.
Les faits avaient été rapportés à titre privé par un ami, en écho du
sujet débattu durant la réunion. J’avoue avoir été réticent à croire
les faits rapportés, mais, hélas, par la suite, il a bien fallu se
rendre à la triste évidence
de la réalité».
- Le
second à rencontrer la presse nationale le 22 Octobre pour, au passage,
mieux la clouer au pilori, comme si les journalistes avaient vraiment
la possibilité d’une libre expression durant des journées où personne
ne savait exactement où se trouvait tel ou tel responsable, est le
ministre de l’Intérieur, El Hadi Khediri, qui a dressé une sorte de
bilan : 159 morts (L’Hebdo Libéré, n° 70 du 30 Septembre au 6
Octobre 1992, avance le chiffre de 250 à 300) dont cinq parmi les
forces de l’ordre et sept carbonisés ou écrasés par les manifestants,
154 blessés et 161 milliards de centimes de dégâts matériels dont 121
milliards pour le secteur économique, 28 pour le secteur administratif
et 11,9 pour le secteur social, et 3
milliards pour le secteur privé (un bilan établi le 11 Octobre, sur la
base de rumeurs et de recoupements de sources médicales et
hospitalières, avait poussé la presse étrangère à avancer le chiffre de
450 à 500 victimes. Les mêmes sources estimaient, selon l’Afp, par la
suite, que le bilan définitif dépassait nettement 500 morts, sans qu’il
soit possible de donner de chiffres précis. L’Afp signalait, dans une
dépêche datée du 22 Octobre, que des responsables du ministère de
l’Information avaient fait état de plus de 176 morts auprès de l’Afp,
et de plus de 200 morts à la date du 9 Octobre, auprès d’autres
médias). Le ministre de l’Intérieur a présenté les évènements, à partir
de la soirée du Mardi 4 Octobre, à Alger, dans le quartier de Bab
El-Oued et à El-Harrach, en banlieue, et du Mercredi 5 dans le centre
d’Alger : «Le point de départ, a-t-il dit, a été une marche de lycéens,
bien canalisée, mais
qui a été débordée par des milliers d’autre jeunes, de tous bords, qui
se sont livrés à des actes de destruction généralisée, s’étendant
rapidement à plusieurs quartiers. Les forces de police, avec des moyens
pacifiques classiques de défense, a ajouté le Ministre, ont été vite
dépassées par l’ampleur du déferlement et les enquêtes en cours
détermineront les auteurs de telles manipulations. La faiblesse des
effectifs, a-t-dit, ne pouvait permettre à la police
d’être présente partout». Face à cette situation, El Hadi Khediri a
estimé que le recours à l’armée était devenu «indispensable pour
rétablir l’ordre», ajoutant que celle-ci «n’a fait usage des armes que
dans les cas extrêmes, en riposte à la violence ». «Elle a procédé, le
plus souvent, à des tirs de sommation, dont certains ont,
malheureusement, par ricochet, touché des personnes aux balcons
d’immeubles». A Alger, l’Armée, selon le ministre, ne disposait pas de
balles en caoutchouc et a été «surprise par ces jeunes, entraînés,
armés de bouteilles incendiaires, équipés de moyens de transport et de
transmission».
El
Hadi Khediri a, aussi, évoqué les «cagoulards» (Bouchkara) emmenés par
les forces de l’ordre dans des quartiers d’Alger pour dénoncer des
manifestants, à leur tour arrêtés : «Ce procédé colonial, a-t-il dit,
n’a pas été utilisé par la police, et j’ai donné l’ordre de tirer sans
hésiter sur toute personne qui utilise cette méthode». A propos des
arrestations, le ministre a indiqué qu’elles s’effectuent «dans le
cadre légal et qu’elles se poursuivront d’ailleurs dans le cadre de
l’enquête sur les évènements».
Le
ministre,qui a «regretté, avec amertume, l’absence des médias
algériens» pendant les évènements, a incité les journalistes à être «à
l’écoute des préoccupations du citoyen et à jouer » un rôle important
dans la voie du renouveau ». Une leçon qui venait assez tard, mais qui
sera retenue ! Enfin, il a évoqué les problèmes de la jeunesse,
«confrontée à des difficultés réelles qu’il convient de prendre en
charge», et la responsabilité des dirigeants du pays : «Nous avons tous
contribué à créer cette situation, a-t-il conclu, les uns par la
trahison, d’autres par le vol et d’autres par leur silence». Faute
avouée est à moitié pardonnée, dit-on ! En effet, cet ex-Directeur
général de la Sûreté
* Cet article est , en fait, un extrait de l’ouvrage de
l’auteur, édité en 2005, à Dar El Gharb (Oran) sous
le titre Chroniques d’une démocratie « maltraitée
» (Octobre 1988- Décembre 1992)_.ouvrage
qui n’a pas connu, en dehors d’Oran,
une large diffusion.
Suite et fin
** Ancien DG de l’APS
( Octobre 1985-Mai 1990), Journaliste
[Toutes les parties du texte mises en gras le sont par Tahar Hamadache]
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