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Rédigé le 16/09/2007 à 21:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
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INTRODUCTION
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Le tribunal de l'Histoire a, incontestablement, failli au principe d'impartialité en condamnant Mohammed par défaut, sans le connaître et en le déclarant coupable de tout ce que lui imputent ses pires adversaires. Tous les écrivains, anciens et modernes, déistes ou athées, sont d'accord pour accuser Mohammed d'imposture. D'un tel accord est née l'idée, pour les religieux notamment, que Mohammed a commis le blasphème de se donner comme envoyé de Dieu. Pour les athées, Mohammed fut un puissant génie qui assuma le rôle d'apôtre, afin de mieux abuser ses concitoyens.
Si les premiers, au moins ceux de bonne foi, par suite des enseignements de leurs directeurs spirituels, sont, jusqu'à un certain point, excusables, les derniers, les athées, sont responsables d'avoir perpétué les légendes inventées à dessein, responsables en ce sens que leur rôle d'historiens leur faisait un devoir de rechercher la vérité. Sans se laisser guider par des principes religieux auxquels, de leur propre aveu, ils ne croyaient pas.
Cette vérité, ils doivent la puiser, non dans les écrits de ceux qui proclament eux-mêmes leur parti pris, mais dans les archives de ceux qui ont adopté les principes posés par le fondateur de leur propre doctrine.
Les traditions de Mohammed sont là pour démontrer qu'il est impossible de les réunir dans une même tête sans le secours de la révélation. Un siècle ne suffirait pas pour approfondir les questions résolues par le Prophète. Un Copermic musulman, s'il s'était avisé de poser le principe de la pluralité des mondes, n'aurait pas été considéré comme hérétique et n'aurait pas vu ses écrits brûlés. Il suffit de quelques recherches pour savoir que Mohammed avait dit : «Les mondes sont au nombre de sept (chiffre par excellence désignant la pluralité) et dans chaque monde il y a un Prophète comme le vôtre.»
Pour comprendre et apprécier une doctrine,
il faut remonter à sa source, examiner ses bases, la juger ensuite en
elle-même et non la condamner sur les commentaires, les analogies,
déductions ou inductions d'écrivains plus ou moins compétents, sinon
animés d'un parti pris manifeste : «Le nombre de fables accumulées sur
les personnages historiques est toujours en raison de leur célébrité.
Tout homme dont le nom devient, à tort ou à raison, l'étiquette d'un
système, cesse de s'appartenir et sa biographie indique bien plus les
fortunes diverses du système avec lequel on l'a identifié que sa propre
individualité.»
C'est en partant de ce principe que l'auteur de ces
lignes, Renan, «le demi-philosophe» et les écrivains qui se sont
occupés de la vie de Mohammed ont présenté celui-ci dans une agitation
perpétuelle ; agitation pleine d'incohérence, de désordre et d'un
illogisme qu'on ne rencontre que dans les hospices de fous. A l'instar
de ceux qui, de nos jours, discutent encore si Job avait la gale ou
telle autre tare, tous attribuent à Mohammed certaines maladies :
attaques nerveuses, épilepsie, catalepsie, fièvre intermittente,
neurasthénie, etc. Les uns s'imaginent avoir découvert en lui les
symptômes de l'hystérie. Les autres déclarent qu'il était microcéphale.
Sprenger conclut à l'hystérie musculaire.
Tel est le pronostic diagnostic que les psycho-physiologistes modernes croient de leur devoir de fournir comme explication de l'acte de ce «fameux imposteur» qui s'est donné comme Prophète : «Il faut chercher l'explication de ce phénomène dans un mal dont souffrait Mohammed... Il est presque impossible de savoir si Mohammed, dans la dernière période de sa vie (car, pour la première, il n'y a pas de doute), croyait encore ou non à sa mission.» C'est à l'aide de telles phrases qu'un écrivain connu se jugeait à même de combattre la doctrine de Dieu et de taxer son apôtre d'imposture.
En réalité, Mohammed fut l'un des plus sains et des plus vigoureux esprits de son temps. Sa vie, tant privée que publique, défie toute critique. La logique divine a toujours été son guide. Pas plus dans le Coran (puisqu'on veut qu'il soit de lui) que dans les innombrables traditions dont il est réellement l'auteur, on ne trouverait une seule parole contraire à la morale. Loin de là, son existence a été d'une logique scrupuleuse et quant aux diverses questions, s'agit-il des plus insignifiantes, il ne rendait son jugement qu'à bon escient.
Sa vie, rapportée jusqu'à sa mort, presque au jour le jour, par des témoignages irréfutables, même par ceux de ses ennemis les plus irréductibles, cette vie étalée au grand jour crie santé, vigueur, courage, ordre et logique supérieure. Né de parents sains, allaité par une nourrice saine, élevé en pleine campagne et vivant de la vie de berger jusqu'à vingt ans, Mohammed ne devait-il pas échapper aux maladies chroniques ? De telles dispositions ne concourent-elles pas à former plutôt des hommes robustes que des corps chétifs et prédisposés à toutes les infirmités ? De fait, on ne connut à Mohammed aucune maladie. Jusqu'à ses derniers jours sa santé ne le trahit jamais. Seul l'esprit d'intolérance peut dicter d'autres conclusions.
S'il en était autrement, si ces écrivains qui ont consacré des années à leur infatigable labeur étaient sincères dans leurs recherches, ils auraient aisément découvert le bien-fondé de la mission qu'ils étudiaient. De la sincérité partielle au mensonge, il n'y a qu'un pas et ce pas est vite franchi. Or le fait que les légendes les plus absurdes sont non seulement retenues, mais insinuées sous la forme sarcastique démontre surabondemment la partialité manifeste des écrivains en question.
Les légendes imputées à Mohammed ne deviennet, à côté des atrocités de Néron, que pures bagatelles. Pourtant, les écrivains qui se respectent ne retiennent de la vie de l’incendiaire de Rome que les faits se rapportant à l’intérêt public et passent volontiers sous silence sa vie désordonnée. D’autres vont plus loin. Ils entreprennent sa défense et M. Bouche-Leclercq plaide que «Néron lui-même a droit à la justice». Quand imposera-t-on aux écrivains, voire aux prédicateurs, un minimum de respect à l'égard de ceux qui ne partagent pas leurs propres opinions religieuses ?
Chacun est libre de croire ce qui lui plaît ; quant à nous, musulmans, en vertu du principe posé par le verset suivant : «0 croyants, c'est à vous de songer à vous-mêmes ; l'égarement des autres ne vous nuira point si vous êtes vous-mêmes dans le droit chemin», il nous est formellement interdit de demander à quelqu'un quelles sont ses croyances et à plus forte raison de vouloir l'en détourner et lui en imposer d'autres.
Ici-bas tout est fait d'égards et de respect
réciproques. N'est-ce pas le manque de retenue et de logique dans les
paroles et les actes qui fut le point de départ des pires catastrophes
? C'est ainsi qu'on sème le dégoût et que l'on récolte le mépris. Le
respect ne va pas sans réciprocité. Seul celui qui n'a pas de respect
pour lui-même considère son semblable comme indigne de cette même
estime.
Un précepte divin ordonne à l'homme de manifester pour la
créature un respect fondé sur les devoirs mêmes que le créé doit au
Créateur. Marquer de l'aversion pour le prochain, c'est donc manifester
du mépris à l'égard du Maître de l'univers. Le fait d'aimer Dieu et de
l'adorer ne pourrait être méritoire, s'il n'était complété par un amour
désintéressé envers le prochain, surtout envers les déshérités de la
vie. En un mot, il n'y a d'autre base pour l'établissement d'une réelle
et perpétuelle fraternité universelle que le respect et l'amour
désintéressé du prochain.
Combien sublime est Mohammed quand il proclame à la face du monde : «Les créatures humaines sont la famille de Dieu et celle d'entre elles qui est la plus chère au Seigneur est celle qui est la plus utile à sa famille.» «Le comble de la raison, après la croyance en Dieu, est de montrer l'affection pour son prochain et de faire du bien à tout homme juste ou pervers.» «Ceux qui sont miséricordieux, le Clément sera miséricordieux envers eux. Ayez pitié de ceux qui sont sur la terre, celui qui est dans les cieux en aura pour vous.» «Faites l’aumône aux gens de toutes les religions.» Les plus grands philanthropes de nos jours n'arrivent pas à se dépouiller de leurs préjugés et, par suite, à conformer loyalement leurs actes avec le degré d'altruisme des immortelles paroles que nous venons de relater.
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(A suivre)
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16-09-2007
Marouane B.
Rédigé le 15/09/2007 à 22:58 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
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Le 31 août a été marqué par le 50e anniversaire de la Merdeka en Malaisie : l'indépendance obtenue après plus de 400 ans de domination coloniale. Le combat pacifique et non-violent mené par les Malais n'a certes pas été aussi médiatisé que celui du Mahatma Gandhi en Inde, mais ce qu'a accompli la Malaisie reste impressionnant et pourrait bien servir d'exemple au reste du monde, tant d'un point de vue économique que pour montrer comment construire une société à la fois dynamique, multiraciale, multiethnique et multiculturelle.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Lors de son accès à l'indépendance, la Malaisie était l'un des pays les plus pauvres du monde. Bien qu'il soit difficile d'obtenir des données fiables, son PIB (en termes de pouvoir d'achat) était comparable à celui d'Haïti, du Honduras et de l'Égypte, et 5% environ en dessous de celui du Ghana. Aujourd'hui, il fait 7,8 fois celui du Ghana, plus de cinq fois celui du Honduras et plus de 2,5 fois celui de l'Égypte. Au palmarès mondial de la croissance, la Malaisie occupe l'une des premières places, avec la Chine, Taiwan, la Corée du Sud et la Thaïlande.
En outre, les bénéfices de la croissance ont été partagés. La grande pauvreté devrait être éliminée d'ici 2010, avec un taux de pauvreté général chutant à 2,8%. La Malaisie a réussi à réduire visiblement les écarts de revenus entre les divers groupes ethniques, en opérant non pas un nivellement par le bas, mais un nivellement par le haut.
Cette réussite est due en partie aux nombreuses créations d'emplois. Alors que le chômage pose problème dans la majeure partie du monde, la Malaisie importe de la main d'œuvre. Dans les cinquante années qui ont suivi l'indépendance, 7,24 millions d'emplois ont été créés, soit une augmentation de 261%. Aux États-Unis, cela équivaudrait à créer 105 millions d'emplois.
Les raisons de ne pas s'attendre à une telle réussite ne manquaient pourtant pas. Au moment même où la Malaisie accédait à l'indépendance, le prix Nobel d'économie Gunnar Myrdal écrivait un livre influent intitulé Asian Drama, dans lequel il prédisait un avenir sombre pour la région.
La Malaisie est un pays riche en ressources naturelles, mais, à quelques exceptions près, les pays de ce type souffrent généralement de la célèbre "malédiction des ressources naturelles" : non seulement ils ne s'en sortent pas aussi bien que prévu, mais ils s'en sortent même moins bien que les pays qui n'ont pas autant de ressources. Alors que les richesses naturelles devraient faciliter l'accès à une société plus égalitaire, les pays qui ont le plus de ressources sont, en général, ceux qui connaissent les plus grandes inégalités.
En outre, le fait que la société malaise soit multiraciale et multiculturelle rendait le pays plus vulnérable aux conflits civils tels qu'il y en a eu dans de nombreux autres pays riches en ressources (les différents groupes essayant souvent de s'accaparer les richesses). Dans de nombreux cas, les minorités s'efforcent de tirer profit de ces richesses pour servir leurs propres intérêts, au détriment de la majorité la Bolivie, qui est l'un de ces nombreux pays où la population est pauvre en dépit d'importantes richesses naturelles, vient ici immédiatement à l'esprit.
Lors de son indépendance, la Malaisie a aussi fait face à une insurrection communiste. Il fallait gagner "les cœurs et les esprits" des personnes vivant à la campagne et, pour cela, redistribuer les bénéfices économiques et limiter les "dommages collatéraux" touchant des civils innocents une belle leçon pour l'administration Bush en Irak, si seulement elle prenait la peine d'écouter les avis émanant de personnes extérieures au petit cercle de ses proches.
Ajoutons que, en dépit des belles paroles sur le "fardeau de l'homme blanc", les puissances européennes ne firent pas vraiment en sorte d'améliorer le niveau de vie des pays qu'ils occupaient. La chute spectaculaire de la part de l'Inde dans le PIB mondial lors de la domination britannique (la Grande-Bretagne ayant voté des lois commerciales avantageant ses producteurs de textile au détriment de ceux de ses colonies), en est l'exemple le plus parlant.
La politique des puissances coloniales, qui consistait à diviser pour mieux régner, permit à de petites populations européennes de dominer des populations beaucoup plus vastes en dehors de l'Europe, et de s'adonner au pillage de leurs ressources naturelles sans trop investir dans le capital physique, humain et social nécessaire à une société démocratique autonome et prospère. Il a fallu des dizaines d'années à nombre d'anciennes colonies pour échapper à cet héritage. En conséquence, comment l'économiste peut-il rendre compte de la réussite malaise ? Économiquement, la Malaisie a appris de ses voisins. Trop d'anciennes colonies, en rejetant leur passé colonial, se sont tournées vers la Russie et le communisme. La Malaisie a prudemment choisi une autre voie, préférant prendre modèle sur les pays très performants de l'Est asiatique. Elle a investi dans l'éducation et la technologie, encouragé un taux d'épargne élevé, mis en place des programmes solides et efficaces de discrimination positive et adopté des politiques macroéconomiques sûres.
La Malaisie a aussi compris que la réussite nécessite que le gouvernement joue un rôle actif. Fuyant les idéologies, elle a suivi ou rejeté les conseils extérieurs de manière on ne peut plus pragmatique. Ainsi, durant la crise financière de 1997, elle n'a pas suivi la politique prônée par le FMI et, en conséquence, a été le pays le moins sévèrement touché. Au sortir de la crise, la Malaisie n'était pas minée par les dettes et les entreprises en faillite, comme tant de ses voisins.
Cette réussite n'est, bien entendu, pas qu'une question d'économie : si la Malaisie avait suivi les recommandations du FMI, elle aurait détruit le tissu social créé durant les quatre décennies précédentes.
La réussite
malaise mérite donc d'être étudiée non seulement parce qu'elle nous
donne une recette de prospérité économique, mais aussi parce qu'elle
nous apprend à vivre ensemble, dans la tolérance, le respect, le
partage d'une humanité commune et la jonction des efforts vers des buts
en commun.
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par Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie
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Rédigé le 15/09/2007 à 11:02 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
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D’apparence simple et limpide, ce récit développe deux dialectiques contradictoires. D’une part, il donne l’air de pratiquer l’art de l’esquive, de prôner l’inadmissible à travers un narrateur apathique, soupçonneux, menant une vie dénuée de toute ambition, replié sur lui-même, peu enclin au partage et incapable de communier avec le monde. D’autre part - sur un plan plutôt auctoral -, il affiche une propension évidente à aller vers une parole sans fards ni préétablis. La vanité, l’excès d’autorité, les valeurs archaïques bourgeoises et religieuses se heurtent ici à une écriture qui les dénonce dans sa dérision. Autant de tendances significatives de gêne, de non-dits, de motivations obscures. Ainsi conçu de façon problématique tant par ce qu’il dit que par ce qu’il ne dit pas, le texte acquiesce et prête le flanc aux démonstrations subjectives. A tel point que certains croient reconnaître en Meursault le double parfait de Camus, mettent sur le compte de celui-ci un crime commis par un être de papier.
A partir de là, le sens de l’histoire racontée s’éloigne de sa vocation originale. Sens qui en premier lieu réside dans une pluralité de perspectives et entend répondre à une tension située en amont du projet d’écriture. L’objectif visé : montrer comment un ordre pétri de désinvolture peut déshumaniser et faire se replier dans la haine de soi et de l’autre. La période qui a donné naissance au récit, l’a inspiré à l’auteur, est saturée de signes. Les enjeux de la critique et ses nombreux préconçus, fréquemment mis en avant, estompent l’écart pris par Camus vis-à-vis de l’être colonial. L’on s’attarde ainsi si peu ou pas du tout sur les facteurs qui acculent à la désespérance ; l’on rend inenvisageables le programme comme les objectifs du récit. Cela, alors que cet écart est axial et doit être retenu particulièrement : l’analyse textuelle confirme sa réalité et le montre dans sa forme pluridimensionnelle. Il est de nature aussi bien technique qu’esthétique, psychologique, morale, idéologique, stratégique, voire caractéristique de la vocation libertaire de l’art.
A ce propos, et pour ne retenir que celle-ci, la vocation de l’art est de toujours s’affranchir de la société qui lui octroie ses moyens et ses prétextes. L’art peut même se défaire de la tutelle du créateur. Aussi étonnant que cela paraîtrait, celui-ci n’est en réalité que ce point de friction commun à la société et à cette tension que l’on dit originelle. Soit le lieu précis de l’éclat, de la déchirure, du fracas, de la douleur et en effet de la conscience. Non seulement l’auteur règle ses comptes avec la société mais, souvent et à son insu propre, avec lui-même - l’individuel et le collectif n’étant pas sans se refléter. Seuls donc triomphent le temps condensé et l’histoire : l’art nous exprime à travers les conflits qui nous opposent au monde et à nous-mêmes, à travers nos contrariétés, nos confusions, notre impuissance. Son authenticité, et peut-être aussi sa vérité, résident en cela : son indépendance. Il est dans cet écart que prend l’auteur vis-à-vis de sa société, échappant à l’un comme à l’autre mais non sans puiser préalablement dans leurs mésententes l’exigence d’une éthique ou les perspectives d’un compromis.
Quel autre sens donner à cet écart de Camus ? Il n’est pas seulement un recul vis-à-vis de soi ni seulement ce qui témoigne du peu de crédit accordé à l’institution coloniale. Sa réalité réside dans des espérances contrecarrées, consiste dans un souci d’esthétique et de message à faire passer sans avoir à courir aucun risque. Le fait de devoir se justifier un jour ou l’autre, la crainte possible d’être qualifié de renégat, crainte qu’on retrouve chez nombre d’écrivains, rendent difficile l’entreprise d’exprimer ses reproches avec franchise et netteté. Les silences et les non-dits représentent autant de pièces vacantes dans le puzzle de Camus que d’interdits à déjouer. La concision de L’Etranger lui prête d’ailleurs l’aspect d’une parole pressée de conclure, d’un essai préoccupé de mener à bon port la bonne parole. Se frayer un passage : voilà en fait un projet qui aura coûté à l’écriture camusienne bien des détours. Parce que ce récit est concis et condensé, il faudrait pour cerner toutes ses dynamiques se garder de s’en remettre aux commentaires univoques, en soi sélectifs, amputés et arbitraires ; ceux-ci focalisent les regards sur les traits déjà suffisamment grossis par l’œuvre. Or seule une démarche qui réunit l’ensemble des dimensions - historique, psychologique, psychanalytique, philosophique, sociale, culturelle, artistique, symbolique, politique - peut convaincre L’Etranger de laisser traduire les silences de son dire.
Cet écart n’exclut en rien que Camus puisse apparaître à travers quelques traits de ses personnages. Son paradoxe personnel, ses amitiés, ses inimitiés, ses peines, en réalité il nous les livre comme à son insu. Ce sont là des interférences qui par ailleurs sont de nature pragmatique et stratégique : elles visent essentiellement à agir sur le lecteur, à conférer au récit une vraisemblance et une lisibilité bien particulières. En donnant l’illusion que Meursault peut être son double, Camus de fait accentue la réalité des faits narrés - il leur arroge plus de crédibilité, les rend dignes d’intérêt. Le journal tenu par Meursault, qui n’est autre que le roman lui-même, représente quant à lui un des procédés narratifs donnant l’illusion que l’auteur s’investit dans son personnage. Et, en effet, à travers Meursault, figure de pied-noir fonctionnaire, comme Camus le fut lui-même, s’établissent de multiples connexions. Leurs reflets et ce qu’ils suggèrent de réalité amènent le lecteur à adhérer au programme de l’auteur. Auteur et lecteur, ensemble, partent ainsi à la reconquête d’un sens du monde posé d’emblée comme chancelant. Deux perspectives donc de l’auteur : frapper l’esprit du lecteur, l’inviter ensuite à conclure à l’absurdité des lois qui régissent le monde.
L’écart entre l’auteur et le narrateur tout comme leurs similitudes sont donc palpables. Mais que l’un et l’autre puissent sur quelques plans se renvoyer la même image ne doit pas accorder d’autonomie au second. Les actions de celui-ci n’ont d’importance que par rapport aux liens (de convergence ou de divergence) qu’elles tissent avec les actions des autres personnages. C’est dans ce qu’elles apportent au sens général et dans ce qu’elles provoquent d’interrogations morales qu’il convient de les saisir. Si entre les deux instances, la frontière ne manque pas d’être fluctuante c’est du fait que le récit, outre le souci technique de vraisemblance, rapporte une réalité historique tout aussi âpre que celle où l’auteur lui-même se mire et s’implique. L’on reconnaît ici le malaise bouleversant d’un personnage amené (par les circonstances imaginées par l’auteur) à perdre toute confiance en l’homme - au point d’accomplir un geste monstrueux. A travers lui se profile certes l’auteur, toutefois il s’agit d’un auteur désarçonné par la conscience d’un impossible compromis, par ce que la réalité vécue laisse présager de colères corrosives à venir.
Tout compte fait, la question posée, de par sa polyvalence et sa complexité, de par les nuances qu’elle permet de déceler et les contours qu’elle recommande de ménager au récit, n’indique pas de tenir Camus pour un fac-similé du personnage. Ni d’ailleurs de se cantonner dans l’idée d’un meurtre comme visée unique de L’Etranger. En effet, fût-ce par défaut, fût-ce parfois à l’insu de son auteur, celui-ci amène à regretter l’absence d’une notion essentielle : la justice.
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Article rédigé par.
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Rédigé le 14/09/2007 à 17:37 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
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A la faveur de ce mois sacré de Ramadhan et avec l’aimable autorisation des éditions Thala et «La Nouvelle République» voici des extraits de l’excellent ouvrage «Introduction à l’étude de l’Islam» de l’auteur Abderrahmane Ben El-Haffaf (1881-1957) qui fait un exposé clair et concis sur l’Islam et sur le prophète Mohamed (QSASSL).
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Présentation
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Dans cet ouvrage, l'auteur Abderrahmane Ben El Haffaf, digne représentant de l'illustre famille algéroise Ben El Haffaf, fait un exposé clair et concis sur l'Islam et son Prophète Mohammed (que Dieu le bénisse).
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Partant des idées préconçues des adversaires de I'Islam, Ben El-Haffaf, sans heurter quiconque, démontre l'erreur ou le parti pris de ces écrivains qui cherchent à accabler la religion musulmane en utilisant des arguments fallacieux. Il examine les thèses les unes après les autres, aussi bien celles des athées, des laïques que celles des gens du Livre et amène progressivement le lecteur à découvrir la vérité et l'authenticité du Coran. Les références de l'auteur sont puisées dans les Ecritures Saintes, dans le Coran et la Sunna et dans les ouvrages écrits par des savants renommés.
En ce qui concerne l'historiographie (la sîra) du Prophète, l'auteur n'omet aucun événement vécu par l'envoyé de Dieu et chaque fois, c’est une occasion pour lui, de confirmer la mission prophétique de Mohammed (Qsssl). La volonté divine qui dirige ses pas et le conduit vers le triomphe de la vérité du monothéisme sur le polythéisme s’exprime par la révélation dont le contenu est la clémence, la patience, l’endurance, la réflexion et la méditation.
Ben El Haffaf passe après cette étude à l’analyse de la civilisation musulmane et ses réalisations dans tous les domaines ; il les présente tour à tour, en montrant combien la pensée musulmane était féconde. Le musulman doit d’abord chercher la science quel qu’en soit le coût.
Puis, il est tenu de la répandre autour de lui et n'en prive personne, quelle que soit sa croyance. Les Universités de Cordoue, d'Al-Azhar et de Baghdad étaient ouvertes à tout le monde.
L'auteur conclut son ouvrage après de longues citations, tirées des livres écrits par des personnalités renommées dans le monde de la science. Puis, il ajoute comme pour confirmer ces textes «rationnellement, historiquement, chrétiennement, la mission de Mohammed (Qsssl) ne saurait plus longtemps être mise en doute, le respect de notre Prophète s'impose donc à l'humanité au même titre que tous les Prophètes de Dieu».
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Rédigé le 13/09/2007 à 21:51 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Gibraltar est un peu à Boudjedra ce que
Tipaza est à Camus.
Une véritable obsession, à tel point que celui-ci reconnaît là, selon ses propres termes, son «phantasme central».
Gibraltar n'est pourtant pas une destination touristique. Rien sur place qui vaille qu'on s'y arrête, rien qui mérite une visite. Tarik aura beau sillonner les environs au volant de son véhicule de location : aucune trace visible de la fameuse bataille qui a opposé Ziad à Roderic, au VIIIe siècle, à la recherche de laquelle il s'est lancé. Et il reviendra de son voyage sans avoir rien vu, rien apparemment qui mérite un récit.
Tarik ne rentrera pourtant pas bredouille de son périple, tant s'en faut. Car Gibraltar est une destination mythique. Détroit, mais aussi frontière jalousement gardée, «impasse», pointe méridionale de l'Europe, cap à plus d'un titre, lieu de transit, de passage d'un continent à l'autre, Gibraltar se situe au point de rencontre de deux cultures. «Porte» de l'Europe pour les candidats à l'immigration, Gibraltar est la métaphore géographique qui, chez Boudjedra, noue ensemble une infinité de questions - historiques, politiques, linguistiques, esthétiques, et même éthiques, car cette géographie postule une morale. En somme, Gibraltar est un peu à Boudjedra ce que Tipasa est à Camus, ou encore ce que Pharsale est à Claude Simon. C'est dire que ce qui est en jeu ici à travers le «phantasme» de Gibraltar est le rapport de Boudjedra avec l'Occident, dans toute sa complexité.
Ce «phantasme» si singulier est-il un autre nom pour désigner la tentation de l'Occident, commune à bien des écrivains maghrébins ? C'est sans doute la première question qui vient à l'esprit. Sous couvert d'imaginaire géographique, le «phantasme de Gibrahar» met en jeu un phénomène psychologique qui ne peut se comprendre que par la prise en compte de la colonisation et de ses conséquences. Boudjedra s'attarde sur le phénomène d'identification avec le conquérant qui se produit malgré lui dans la psychologie du colonisé. Développant simultanément un rejet de soi et une admiration inavouable pour le colonisateur, pris pour modèle car il incarne celui qui a tous les droits, le colonisé devient l'émule du colonisateur, auquel il cherche à ressembler : «Ce bon vieux complexe de colonisé illustré par Frantz Fanon a la peau dure. Bien avant lui au XIVe siècle, Ibn Khaldûn évoquait, quant à lui, la fascination du vaincu pour son vainqueur. En Algérie, il est resté quelque chose de cette fascination pour l'ancien colonisateur», affirme Boudjedra. Considéré sous cet angle, le «phantasme» de Gibraltar pourrait donc n'être qu'une variante ou un résidu du complexe du colonisé, reformulé dans le registre de la géographie.
Ce sentiment, qui ne disparaît pas avec la fin de la colonisation, peut déboucher sur l'exil. Comme l'explique Albert Memmi dans son récent Portrait du décolonisé (2004), «le décolonisé rêve d'évasion : il est en somme un candidat à l'émigration, un immigré virtuel à l'intérieur de son propre pays.» Or, pour ceux que les fils de fer barbelés de Ceuta et Mellila ne suffisent pas à arrêter, émigrer, c'est aller de Charybde en Scylla : Topographie idéale pour une agression caractérisée, autre roman de Boudjedra, raconte les déambulations d'un immigré dans le métro parisien, ce dédale souterrain dont le personnage ne sortira pas vivant. En dépit de cela, et même si Boudjedra lui-même – à la différence de beaucoup d'écrivains algériens – a choisi de rester en Algérie plutôt que de céder à la tentation de l'Occident, pour les candidats à l'émigration, le départ, la grande traversée – «mettre la mer derrière» soi - restent de l'ordre du mythe.
Pourtant, la tentation de l'Occident ne saurait à elle seule expliquer le «phantasme» qui nous intéresse, et la spécificité du lieu qui occupe les pensées de Tarik mérite qu'on s'y arrête.
Car, si Gibraltar a la faculté de désigner métonymiquement l'Europe, toute l'Europe, cela tient à sa spécificité géographique. Qu'est-ce en effet que l'Europe ? Pour Valéry, l'Europe est "une sorte de cap du vieux continent, un appendice occidental de l'Asie". Lisant par-dessus l'épaule de Valéry, Derrida souligne dans L'Autre Cap à quel point cette géographie si particulière n'est pas seulement physique. Elle met en jeu une caractéristique essentielle de la pensée européenne : «L'Europe est (...) un cap géographique qui s'est toujours donné la représentation ou la figure d'un cap spirituel (...). L’Europe a aussi confondu son image avec celle d'une pointe avancée (...), donc d'un cap encore pour la civilisation mondiale ou la culture humaine en général.» Mais si l'Europe se tient pour une avancée - «l'avant-garde de la géographie et de l'histoire»-, le motif du cap est aussi consubstantiel à l'idée de déclin ou de fin, autres inventions européennes. En somme, aller à Gibraltar, ce serait pour Tarik (phénomène inverse du complexe du colonisé) l'occasion d'aller vérifier sur place et par soi-même que l'Europe, ancienne puissance coloniale, n'est plus que cela, «un petit cap du continent asiatique», réduit à l'exiguïté d'un territoire, incapable de penser ses propres limites, en mal d'identité. Petite route de campagne «exécrable», «minuscule bicoque misérable qui dégageait une impression de désolation et de malaise» : rien parmi ce qui s'offre au regard des deux voyageurs n'atteste le passé conquérant de la «maison» Europe.
L’idée fixe de Tarik - se rendre à Gibraltar - ne saurait cependant se réduire ni au complexe du colonisé ni à la preuve par le cap que l'Europe au passé colonial est devenue ce territoire étriqué qu'elle a toujours été. C'est dans le triple rapport au nom, à l'histoire et à Claude Simon que s'origine en effet le phantasme de Gibraltar.
Au nom, d'abord. Dans la logique de la fable, le désir de Tarik correspond à une quête identitaire, et le voyage prend sa source dans l'homonymie. Prénommé Tarik par son père, du nom du célèbre conquérant, Tarik Ibn Ziad, le personnage a hérité d'un prénom «lourd à porter». Aller à Gibraltar, point de départ de la conquête de l’Andalousie par les troupes arabo-berbères emmenées par Tarik contre les Wisigoths, c'est donc se lancer sur les traces de «l'illustre homonyme», dont la renommée a passé les siècles et qui a donné son nom au célèbre rocher. Lié aux guerres de conquête et à l'histoire des rapports sanglants entre l'Occident et le monde arabe, Gibraltar fournit l'occasion d'une méditation sur l'histoire. Quel lieu plus marqué par les vicissitudes de l'histoire que ce bout de terre à la fois dérisoire et mythique, aux confins méridionaux de l’Europe, ville «typiquement anglaise» située à la pointe Sud de l’Espagne, et longtemps soumise à la dominationarabe ?
C'est du reste en classe d'histoire que, trente ans plus tôt, Tarik avait découvert la fameuse exhortation prononcée par le chef Tarik Ibn Ziad à l'adresse de ses soldats, sitôt le détroit de Gibraltar franchi, et qui dans le livre comme un leitmotiv : «La mer est derrière vous et l'ennemi est devant vous.» Mais cette version officielle de l'histoire de la bataille avait été mise en question par le professeur algérien du jeune garçon, lequel avait émis des réserves sur l’authenticité de cette harangue, provoquant le ressentiment du père à l’endroit du professeur, accusé de trahison en pleine guerre nationaliste, et sonnant le glas des certitudes de Tarik : ce qu'on appelle communément histoire n’est qu’un tissu de légendes inventées par les historiographes, une «mascarade», «une énorme falsification», élevée au rang de mythe. Tournant le dos à cette histoire, le roman fournit au contraire l'occasion d’une médiation sur la symétrie des dates et le retour du tragique, puisque Boudjedra met en parallèle la violence de la conquête de l’Andalousie qui a débuté le 20 août 711 et le massacre de Constantine perpétré par l'armée française le 20 août 1955. Le parallèle reproduit le dispositif mis en œuvre par Claude Simon dans La Bataille de Pharsale. En effet, dans sa version originale publiée en arabe, le roman de Boudjedra se présentait dans son titre même comme un hommage à Claude Simon. Maarakat Azzoukak signifie littéralement : la bataille de l'impasse.
L'admiration de Boudjedra pour Claude Simon est particulièrement évidente dans Les Lettres algériennes où il confesse avoir lu passionnément «ce fabuleux roman» qu'est La Route des Flandres «en plein maquis algérien». L’éloge du Nouveau Roman français est complet : «Il a fait de moi un écrivain.» Autant dire que le Boudjedra de La Prise de Gibraltar est l'héritier de Claude Simon, un Européen. Car si Gibraltar sépare, c'est aussi le point de rencontre de deux cultures, un lieu de transit, ouvrant sur une politique du passage. La problématique de la traversée ou du passage est du reste thématisée à travers tout le livre, et l'on peut même considérer La Prise de Gibraltar comme le grand livre du passage. A la traversée du célèbre bras de mer par les troupes de Tarik Ibn Ziad lors de l'invasion s'ajoute, on l'a vu, celle entreprise par Tarik. Mais le motif de la traversée s'étend aussi à d'autres aspects de l'œuvre, et notamment la traduction d'une langue à l'autre, autre forme de passage, avec des références multiples à l'exercice scolaire de la version, lorsque le jeune élève doit traduire Ibn Khaldûn de l'arabe au français, à la demande de son père. Les difficultés qu'éprouve le garçon montrent combien ce passage-là est semé d'écueils. Traduire, c'est faire la guerre à la langue. C'est ce que suggère l'étymologie du mot «détroit», issu d'abord du latin districtus, «empêché, enchaîné», et au figuré «partagé, hésitant». Cette forme a donné aussi détresse, qui désigne une chose étroite. «Détroit» désigne donc un passage qui ne passe pas, et qu'il faut forcer.
Car pour Boudjedra, l'arabe et le français sont deux langues «à structures incompatibles».
Gibraltar est donc le lieu emblématique d'une œuvre hybride, «dyslexique», tout entière marquée par le phantasme du passage. Homme de l'entre-deux, du passage, du commerce entre les langues, Boudjedra l'est dans l'exacte mesure où La Prise de Gibraltar revendique ouvertement un héritage méditerranéen. Gibraltar vient ainsi rajouter son nom à la liste de ces ports dont l'œuvre romanesque de l'écrivain algérien abonde, tel celui de Bône où, enfant, Boudjedra entendait parler «arabe, français, sicilien, maltais, catalan, sarde, etc. On appelait cela un charabia, ajoute-t-il. C'est un mot arabe qui veut dire vendre et acheter !...»
Car c'est bien du monde méditerranéen qu'il s'agit ici. Avec ses légendaires colonnes d'Hercule, le détroit de Gibraltar nous rappelle à quel point Boudjedra participe de cet héritage méditerranéen qui remonte à l’Antiquité. Boudjedra est même un peu grec. Littérairement s'entend, puisque sa conception de la littérature se situe dans la lignée de Sophocle, comme en témoigne la place qu'occupent la famille et le tragique dans son œuvre. Boudjedra envisage la littérature comme une forme de rébellion : il ne saurait à ses yeux y avoir de littérature digne de ce nom sans la part de «refus» que l'on est en droit d'attendre de tout texte littéraire, et son esthétique se fonde sur cet esprit de rébellion.
En 1986, année de la publication de La Prise de Gibraltar en arabe, l'Europe est en train de redessiner ses frontières et d'étendre sa limite méridionale puisque c’est l'année où l'Espagne et le Portugal font leur entrée dans la Communauté européenne. Dans le même temps, Boudjedra invente le «phantasme» de Gibraltar. Traduit de l'arabe en français l'année suivante, son roman nous rappelle à quel point l'Europe et l'Afrique du Nord, mitoyennes, sont vouées l'une à l'autre - historiquement, politiquement. Si l'Europe selon Valéry regardait «naturellement vers l'ouest», les géographes nous enseignent aussi qu'en vertu de la tectonique des plaques et de la poussée du continent africain, les deux bords du bassin méditerranéen se rapprochent. Qui sait ? Un jour, peut-être, ce détroit sera un isthme...
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Michel Lantelme, professeur à l’université de l’Oklahoma In Qantara
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Rédigé le 13/09/2007 à 18:05 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
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La pollution touche l’eau de mer qui présente non seulement une couleur douteuse, mais aussi des odeurs nauséabondes qui se dégagent et se répandent le long du boulevard Front de mer.
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La commune de Bou Ismaïl compte une zone d’activité, située en amont de la ville, dans laquelle de nombreux sites industriels sont opérationnels. « Pour réduire le taux de pollution, il est indispensable de construire 13 bassins de filtration », nous affirme le directeur de l’hydraulique de la wilaya de Tipaza. En fait, dans l’attente de la construction de la station d’épuration des eaux pour 150 000 habitants à partir de 2009, les responsables de la wilaya de Tipaza comptent procéder à un traitement primaire en optant pour l’évacuation des eaux usées selon le système gravitaire, afin de permettre les rejets de ces eaux nocives vers la mer avec moins de saletés, grâce à la multiplication des bassins de décantation. Le secteur de l’environnement de la wilaya de Tipaza est totalement dépassé, car pas du tout apte à mener des actions pour imposer une véritable politique environnementale. Plusieurs solutions sont proposées dans l’attente de 2009. Chaque complexe industriel sera donc soumis à un contrôle par les services de la wilaya, afin de pouvoir évaluer le degré de pollution de ces rejets des eaux toxiques et chimiques qui ont été dirigées vers le réseau d’assainissement de la ville de Bou Ismaïl, ce qui n’est pas logique. Le coût total de la réalisation du réseau d’assainissement est de 561 millions de dinars. Il faudra ajouter la pose de plus de 30 km de canalisation et la construction de 9 stations de relevage. Soit un réseau qui s’étend de Bouharoun vers Douaouda en passant par Bou Ismaïl. Ce réseau sera opérationnel d’une manière efficace à partir de la mise en service de la future station d’épuration des eaux de Bou Ismaïl, prévue au-delà de 2009. En revanche, la station d’épuration des eaux usées du chef-lieu de la wilaya de Tipaza sera opérationnelle à compter du mois de décembre prochain. Cette infrastructure empêchera le déversement des eaux usées vers la plage du Chenoua. Elle est appelée à récupérer les eaux usées de la zone d’activité de Sidi Amar, des localités de Nador et Tipaza et, enfin, de celles du complexe touristique de Matarès. Le coût de construction de la station d’épuration de Tipaza, pour 70 000 habitants, est estimée à 130 millions de dinars. La réalisation du réseau de collecte des eaux usées, le long du littoral de la wilaya de Tipaza, atténuera la pollution de la côte, mais surtout permettra l’ouverture d’autres plages pour la baignade, nonobstant son impact sur la préservation de la faune et de la flore marines. Il n’en demeure pas moins que le gigantesque projet de la centrale électrique érigée sur un site paradisiaque à l’ouest de Cherchell, au lieu-dit Essafah, en dépit de son impact économique positif, constituera, sans aucun doute, un élément destructeur, de surcroît pollueur contre ce magnifique environnement naturel, très fréquenté par des dizaines de milliers de familles algériennes. Grâce à l’implantation de cette centrale électrique, l’APC de Hadjeret Ennous a empoché la bagatelle de 110 millions de dinars en 2007. Le wali de Tipaza avait proposé aux élus locaux de dépenser cet argent pour l’achat des engins et équipements utiles pour le développement et l’entretien de la commune. Des citoyens nostalgiques habitués des lieux nous ont fait part de la disparition de nombreuses espèces de faune et de flore et s’interrogent déjà sur l’origine de ce nouveau phénomène. La pollution des eaux a suscité une mobilisation des citoyens et des responsables. Chaque partie tente de trouver des solutions, sans perdre de vue les intérêts des uns et des autres.
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El Watan du 11-9-07
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Rédigé le 11/09/2007 à 08:43 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Les Algériens, les vrais habitants d'Alger ne connaissent guère de
leur pays que la plaine de la Mitidja. Ils vivent tranquilles dans une
des plus adorables villes du monde en déclarant que l'Arabe est un
peuple ingouvernable, bon à tuer ou à rejeter dans le désert.
Ils n'ont vu d'ailleurs, en fait d'Arabes, que la crapulerie du sud qui grouille dans les rues. Dans les cafés, on parle de Laghouat, de Bou-Saada, de Saïda comme si ces pays étaient au bout du monde. Il est même assez rare qu'un officier connaisse les trois provinces. Il demeure presque toujours dans le même cercle jusqu'au moment où il revient en France.
Il est juste d'ajouter qu'il devient fort difficile de voyager dès qu'on s'aventure en dehors des routes connues dans le sud. On ne le peut faire qu'avec l'appui et les complaisances de l'autorité militaire. Les commandants des cercles avancés se considèrent comme de véritables monarques omnipotents; et aucun inconnu ne pourrait se hasarder à pénétrer sur leurs terres sans risquer gros... de la part des Arabes. Tout homme isolé serait immédiatement arrêté par les caïds, conduit sous escorte à l'officier le plus voisin, et ramené entre deux spahis sur le territoire civil.
Mais, dès qu'on peut présenter la moindre recommandation, on rencontre, de la part des officiers des bureaux arabes, toute la bonne grâce imaginable. Vivant seuls, si loin de tout voisinage, ils accueillent le voyageur de la façon la plus charmante; vivant seuls, ils ont lu beaucoup, ils sont instruits, lettrés et causent avec bonheur; vivant seuls dans ce large pays désolé, aux horizons infinis, ils savent penser comme les travailleurs solitaires. Parti avec les préventions qu'on a généralement en France contre ces bureaux, je suis revenu avec les idées les plus contraires.
C'est grâce à plusieurs de ces officiers que j'ai pu faire une longue excursion en dehors des routes connues, allant de tribu en tribu.
Le ramadan venait de commencer. On était inquiet dans la colonie, car on craignait une insurrection générale dès que serait fini ce carême mahométan.
Le ramadan dure trente jours. Pendant cette période, aucun serviteur de Mahomet ne doit boire, manger ou fumer depuis l'heure matinale où le soleil apparaît jusqu'à l'heure où l'oeil ne distingue plus un fil blanc d'un fil rouge. Cette dure prescription n'est pas absolument prise à la lettre, et on voit briller plus d'une cigarette dès que l'astre de feu s'est caché derrière l'horizon, et avant que l'oeil ait cessé de distinguer la couleur d'un fil rouge ou noir.
En dehors de cette prescription, aucun Arabe ne transgresse la loi sévère du jeûne, de l'abstinence absolue.
Les hommes, les femmes, les garçons à partir de quinze ans, les filles dès qu'elles sont nubiles, cest-à-dire entre onze et treize ans environ, demeurent le jour entier sans manger ni boire. Ne pas manger n'est rien; mais s'abstenir de boire est horrible par ces effrayantes chaleurs. Dans ce carême, il n'est point de dispense. Personne, d'ailleurs, n'oserait en demander; et les filles publiques elles-mêmes, les Oulad-Naïl, qui fourmillent dans tous les centres arabes et dans les grandes oasis, jeûnent comme les marabouts, peut-être plus que les marabouts. Et ceux-là des Arabes qu'on croyait civilisés, qui se montrent en temps ordinaire disposés à accepter nos moeurs, à partager nos idées, à seconder notre action, redeviennent tout à coup, dès que le ramadan commence, sauvagement fanatiques et stupidement fervents.
Il est facile de comprendre quelle furieuse exaltation résulte, pour ces cerveaux bornés et obstinés, de cette dure pratique religieuse. Tout le jour, ces malheureux méditent, l'estomac tiraillé, regardant passer les roumis conquérants, qui mangent, boivent et fument devant eux. Et ils se répètent que, s'ils tuent un de ces roumis pendant le ramadan, ils vont droit au ciel, que l'époque de notre domination touche à sa fin, car leurs marabouts leur promettent sans cesse qu'ils vont nous jeter tous à la mer à coups de matraque.
C'est pendant le ramadan que fonctionnent spécialement les Aïssaouas, mangeurs de scorpions, avaleurs de serpents, saltimbanques religieux, les seuls, peut-être avec quelques mécréants et quelques nobles, qui n'aient point une foi violente.
Ces exceptions sont infiniment rares; je n'en pourrais citer qu'une seule.
Au moment de partir pour une marche de vingt jours dans le sud, un
officier du cercle de Boghar demanda aux trois spahis qui
l'accompagnaient de ne point faire le ramadan, estimant qu'il ne
pourrait rien obtenir de ces hommes exténués par le jeûne. Deux des
soldats ont refusé, le troisième répondit:
- Mon lieutenant, je ne fais pas le ramadan. Je ne suis pas un marabout, moi, je suis un noble.
Il était, en effet, de grande tente, fils d'une des plus anciennes et des plus illustres familles du désert.
Une coutume singulière persiste, qui date de l'occupation, et qui parait profondément grotesque quand on songe aux résultats terribles que le ramadan peut avoir pour nous. Comme on voulait, au début, se concilier les vaincus, et comme flatter leur religion est le meilleur moyen de les prendre, on a décidé que le canon français donnerait le signal de l'abstinence pendant l'époque consacrée. Donc, au matin, dès les premières rougeurs de l'aurore, un coup de canon commande le jeune; et, chaque soir, vingt minutes environ après le coucher du soleil, de toutes les villes, de tous les forts, de toutes les Places militaires, un autre coup de canon part qui fait allumer des milliers de cigarettes, boire à des milliers de gargoulettes et préparer par toute l'Algérie d'innombrables plats de kous-kous.
J'ai pu assister, dans la grande mosquée d'Alger, à la cérémonie religieuse qui ouvre le ramadan.
L'édifice est tout simple, avec ses murs blanchis à la chaux et son
sol couvert de tapis épais. Les Arabes entrent vivement, nu-pieds, avec
leurs chaussures à la main. Ils vont se placer par grandes files
régulières, largement éloignées l'une de l'autre et plus droites que
des rangs de soldats à l'exercice. Ils posent leurs souliers devant
eux, par terre, avec les menus objets qu'ils pouvaient avoir aux mains;
et ils restent immobiles comme des statues, le visage tourné vers une
petite chapelle qui indique la direction de La Mecque.
Dans cette chapelle, le mufti officie. Sa voix vieille, douce, bêlante et très monotone, vagit une espèce de chant triste qu'on n'oublie jamais quand une fois seulement on a pu l'entendre. L'intonation souvent change, et alors tous les assistants, d'un seul mouvement rythmique, silencieux et précipité, tombent le front par terre, restent prosternés quelques secondes et se relèvent sans qu'aucun bruit soit entendu, sans que rien ait voilé une seconde le petit chant tremblotant du mufti. Et sans cesse toute l'assistance ainsi s'abat et se redresse avec une promptitude, un silence et une régularité fantastiques. On n'entend point là-dedans le fracas des chaises, les toux et les chuchotements des églises catholiques. On sent qu'une foi sauvage plane, emplit ces gens, les courbe et les relève comme des pantins; c'est une foi muette et tyrannique envahissant les corps, immobilisant les faces, tordant les coeurs. Un indéfinissable sentiment de respect, mêlé de pitié, vous prend devant ces fanatiques maigres, qui n'ont point de ventre pour gêner leurs souples prosternations, et qui font de la religion avec le mécanisme et la rectitude des soldats prussiens faisant la manoeuvre.
Les murs sont blancs, les tapis, par terre, sont rouges; les hommes sont blancs, ou rouges ou bleus avec d'autres couleurs encore, suivant la fantaisie de leurs vêtements d'apparat, mais tous sont largement drapés, d'allure fière; et ils reçoivent sur la tête et les épaules la lumière douce tombant des lustres.
Une famille de marabouts occupe une estrade et chante les répons avec la même intonation de tête donnée par le mufti. Et cela continue indéfiniment.
C'est pendant les soirs du ramadan qu'il faut visiter la Casbah. Sous cette dénomination de Casbah, qui signifie citadelle, on a fini par désigner la ville arabe tout entière. Puisqu'on jeûne et qu'on dort le jour, en mange et on vit la nuit. Alors, ces petites rues rapides comme des sentiers de montagne, raboteuses, étroites comme des galeries creusées par des bêtes, tournant sans cesse, se croisant et se mêlant, et si profondément mystérieuses que, malgré soi, on y parle à voix basse, sont parcourues par une population des Mille et Une Nuits. C'est l'impression exacte qu'on y ressent. On fait un voyage en ce pays que nous a conté la sultane Schéhérazade. Voici les portes basses, épaisses comme des murs de prison, avec d'admirables ferrures; voici les femmes voilées; voilà, dans la profondeur des cours entrouvertes, les visages un moment aperçus, et voilà encore tous les bruits vagues dans le fond de ces maisons closes comme des coffrets à secret. Sur les seuils, souvent des hommes allongés mangent et boivent. Parfois leurs groupes vautrés occupent tout l'étroit passage. Il faut enjamber des mollets nus, frôler des mains, chercher la place où poser le pied au milieu d'un paquet de linge blanc étendu et d'où sortent des têtes et des membres.
Les juifs laissent ouvertes les tanières qui leur servent de boutiques; et les maisons de plaisir clandestines, pleines de rumeurs, sont si nombreuses qu'on ne marche guère cinq minutes sans en rencontrer deux ou trois. Dans les cafés arabes, des files d'hommes tassés les uns contre les autres, accroupis sur la banquette collée au mur, ou simplement restés par terre, boivent du café en des vases microscopiques. Ils sont là immobiles et muets, gardant à la main leur tasse qu'ils portent parfois à leur bouche, par un mouvement très lent, et ils peuvent tenir à vingt, tant ils sont pressés, en un espace où nous serions gênés à dix.
Et des fanatiques à l'air calme vont et viennent au milieu de ces tranquilles buveurs, préchant la révolte, annonçant la fin de la servitude.
C'est, dit-on, au ksar (village arabe) de Boukhari que se produisent toujours les premiers symptômes des grandes insurrections. Ce village se trouve sur la route de Laghouat. Allons-y.
Quand on regarde l'Atlas, de l'immense plaine de la Mitidja, on aperçoit une coupure gigantesque qui fend la montagne dans la direction du sud. C'est comme si un coup de hache l'eût ouverte. Cette trouée s'appelle la gorge de la Chiffa. C'est par là que passe la route de Médéah, de Boukhrari et de Laghouat.
On entre dans la coupure du mont; on suit la mince rivière, la Chiffa; on s'enfonce dans la gorge étroite, sauvage et boisée.
Partout des sources. Les arbres gravissent les parois à pic, s'accrochent partout, semblent monter à l'escalade. Le passage se rétrécit encore. Les rochers droits vous menacent; le ciel apparaît comme une bande bleue entre les sommets; puis soudain, dans un brusque détour, une petite auberge se montre à la naissance d'un ravin couvert d'arbres. C'est l'Auberge du Ruisseau-des-Singes.
Devant la porte, l'eau chante dans les réservoirs; elle s'élance, retombe, emplit ce coin de fraîcheur, fait songer aux calmes vallons suisses. On se repose, on s'assoupit à l'ombre; mais soudain, sur votre tète, une branche remue; on se lève - alors dans toute l'épaisseur du feuillage c'est une fuite précipitée de singes, des bondissements, des dégringolades, des sauts et des cris.
Il y en a d'énormes et de tout petits, des centaines, des milliers peut-être. Le bois en est rempli, peuplé, fourmillant. Quelques-uns, captivés par les maîtres de l'auberge, sont caressants et tranquilles. Un tout jeune, pris l'autre semaine, reste un peu sauvage encore. Sitôt que l'on demeure immobile, ils approchent, vous guettent, vous observent. On dirait que le voyageur est la grande distraction des habitants de ce vallon. Dans certains jours, pourtant, on n'en aperçoit pas un seul. Après l'Auberge du Ruisseau-des-Singes, une allée s'étrangle encore; et soudain, à gauche, deux grandes cascades s'élancent presque du sommet du mont; deux cascades claires, deux rubans d'argent. Si vous saviez comme c'est doux à voir des cascades, sur cette terre d'Afrique! On monte, longtemps, longtemps. La gorge est moins profonde, moins boisée. On monte encore, la montagne se dénude peu à peu. Ce sont des champs à Présent; et, quand on parvient au faite, on rencontre des chênes, des saules, des ormeaux, les arbres de nos pays. On couche à Médéah, blanche petite ville toute pareille à une sous-préfecture de France.
C'est après Médéah que recommencent le, féroces ravages du soleil. On franchit une forêt pourtant, mais une forêt maigre, pelée, montrant partout la peau brûlante de la terre bientôt vaincue. Puis plus rien de vivant autour de nous.
Sur ma gauche un vallon s'ouvre, aride et rouge, sans une herbe; il s'étend au loin, pareil à une cave de sable. Mais soudain une grande ombre, lentement, le traverse, Elle passe d'un bout à l'autre,, tache fuyante qui glisse sur le sol nu. Elle est, cette ombre, la vraie, la seule habitante de ce lieu morne et mort. Elle semble y régner, comme un génie mystérieux et funeste. je lève les yeux et je l'aperçois qui s'en va, les ailes étendues, immobiles, le grand dépeceur de charognes, le vautour maigre qui plane sur son domaine, au-dessous de cet autre maître du vaste pays qu'il tue, le soleil, le dur soleil.
Quand on descend vers Boukhrari, on découvre, à perte de vue, l'interminable vallée du Chélif. C'est, dans toute sa hideur, la misère, la jaune misère de la terre. Elle apparaît loqueteuse comme un vieux pauvre arabe, cette vallée que parcourt l'ornière sale du fleuve sans eau, bu jusqu'à sa boue par le feu du ciel. Cette fois il a tout vaincu, tout dévoré, tout pulvérisé, tout calciné, ce feu qui remplace l'air, emplit l'horizon.
Quelque chose vous passe sur le front: ailleurs ce serait du vent, ici c'est du feu. Quelque chose flotte là-bas sur les crêtes pierreuses: ailleurs ce serait une brume, ici c'est du feu, ou plutôt de la chaleur visible. Si le sol n'était point déjà calciné jusqu'aux os, cette étrange buée rappellerait la petite fumée qui s'élève des chairs vives brûlées au fer rouge. Et tout cela a une couleur étrange, aveuglante et pourtant veloutée, la couleur du sable chaud auquel semble se mêler une nuance un peu violacée, tombée du ciel en fusion.
Point d'insectes dans cette poussière de terre. Quelques grosses fourmis seulement. Les mille petits êtres qu'on voit chez nous ne pourraient vivre dans cette fournaise. En certains jours torrides, les mouches elles-mêmes meurent, comme au retour des froids dans le Nord. C'est à peine si on peut élever des poules. On les voit, les pauvres bêtes, qui marchent, le bec ouvert et les ailes soulevées, d'une façon lamentable et comique.
Depuis trois ans, les dernières sources tarissent. Et le tout-puissant soleil semble glorieux de son immense
victoire.
Cependant, voici quelques arbres, quelques pauvres arbres. C'est Boghar, à droite, au sommet d'un mont poudreux.
A gauche dans un repli rocheux, couronnant un monticule et à peine distinct du sol, tant il en a pris la coloration monotone, un grand village se dresse sur le ciel, c'est le ksar de Boukhrari.
Au pied du cône de poussière qui porte ce vaste village arabe, quelques maisons sont cachées dans le mouvement de la colline; elles forment la commune mixte. Le ksar de Boukhrari est un des plus considérables villages arabes de l'Algérie. Il se trouve juste sur la frontière du Sud, un peu au-delà du Tell, dans la zone de transition entre les pays européanisés et le grand désert. Sa situation lui donne une singulière importance politique, car elle en fait une sorte de trait d'union entre les Arabes du littoral et les Arabes du Sahara. Aussi a-t-il toujours été le pouls des insurrections. C'est là qu'arrive le mot d'ordre, c'est de là qu'il repart. Les tribus les plus éloignées envoient leurs gens pour savoir ce qui se passe à Boukhrari. On a l'oeil sur ce point de toutes les parties de l'Algérie.
L'administration française seule, ne s'occupe point de ce qui se trame à Boukhrari. Elle en a fait une commune de plein exercice, sur le modèle des communes de France, administrée par un maire, vieux paysan à l'oeil endormi, flanqué d'un garde champêtre. Entre et sort qui veut. Les Arabes venus de n'importe où peuvent circuler, causer, intriguer à leur guise sans être gênés en rien. Au pied du ksar, à deux ou trois cents mètres, la commune mixte est gouvernée par l'administrateur civil qui dispose des pouvoirs les plus étendus sur un territoire nu, qu'il est presque inutile de surveiller. Il ne peut empiéter sur les attributions du maire, son voisin.
En face, sur la montagne, est Boghar, où habite le commandant supérieur du cercle militaire. Il a entre les mains les moyens d'action les plus actifs, mais il ne peut rien dans le ksar, commune de plein exercice. Or, le ksar n'est habité que par les Arabes. C'est le point dangereux qu'on respecte, tandis qu'on surveille avec soin les environs. On soigne le mal dans ses effets et non dans sa cause.
Qu'arrive-t-il? Le commandant et l'administrateur, quand ils s'entendent, organisent une sorte de police secrète à l'insu du maire, et tachent d'être informés mystérieusement.
N'est-il point surprenant de voir ce centre arabe, reconnu dangereux par tout le monde, plus libre qu'une ville en France, tandis qu'il serait impossible à un Français quelconque, s'il n'était protégé par quelque personnage influent, de pénétrer et de circuler sur le territoire militaire des cercles avancés du Sud.
Dans la commune mixte on trouve une auberge. J'y passai la nuit, une nuit d'étuve. L'air semblait brûlé par la flamme du dernier jour. Il ne remuait plus, comme s'il eût été figé par la chaleur.
Aux premières lueurs de l'aurore, je me levai. Le soleil parut, acharné dans sa besogne d'incendiaire. Devant ma fenêtre ouverte sur l'horizon déjà torride et silencieux une petite diligence dételée attendait. On lisait sur le panneau jaune: "Courrier du Sud!"
Courrier du Sud! On allait donc encore plus au sud en ce terrible mois d'août. Le Sud! quel mot rapide, brûlant! Le Sud! Le feu! Là-bas, au Nord, on dit, en parlant des pays tièdes: " le Midi ". Ici, c'est le "Sud". je regardais cette syllabe si courte qui me paraissait surprenante comme si je ne l'avais jamais lue. J'en découvrais, me semblait-il, le sens mystérieux. Car les mots les plus connus comme les visages souvent regardés ont des significations secrètes, dont on s'aperçoit tout d'un coup, un jour, on ne sait pourquoi.
Le Sud! Le désert, les nomades, les terres inexplorées et puis les nègres, tout un monde nouveau, quelque chose comme le commencement d'un univers! Le Sud comme cela devient énergique sur la frontière du Sahara. Dans l'après-midi, j'allai visiter le Ksar.
Boukhrari est le premier village où l'on rencontre des Oulad-Naïl. On est saisi de stupéfaction à l'aspect de ces courtisanes du désert.
Les rues populeuses sont pleines d'Arabes couchés en travers des portes, en travers de la route, accroupis, causant à voix basse ou dormant. Partout leurs vêtements flottants et blancs semblent augmenter la blancheur unie des maisons. Point de taches, tout est blanc; et soudain une femme apparaît, debout sur une porte, avec une large coiffure qui semble d'origine assyrienne surmontée d'un énorme diadème d'or.
Elle porte une longue robe rouge éclatante. Ses bras et ses chevilles sont cerclés de bracelets étincelants; et sa figure aux lignes droites est tatouée d'étoiles bleues.
Puis en voici d'autres, beaucoup d'autres, avec la même coiffure monumentale: une montagne carrée qui laisse pendre de chaque côté une grosse tresse tombant jusqu'au bas de l'oreille, puis relevée en arrière pour se perdre de nouveau dans la masse opaque des cheveux. Elles portent toujours des diadèmes dont quelques-uns sont fort riches. La poitrine est noyée sous les colliers, les médailles, les lourds bijoux; et deux fortes chaînettes d'argent font tomber jusqu'au bas-ventre une grosse serrure de même métal, curieusement ciselée à jour et dont la clef pend au bout d'une autre chaîne. Quelques-unes de ces filles n'ont encore que de minces bracelets. Elles débutent. Les autres, les anciennes, montrent sur elles quelquefois pour dix ou quinze mille francs de bijoux. J'en ai vu une dont le collier était formé de huit rangées de pièces de vingt francs. Elles gardent ainsi leur fortune, leurs économies laborieusement gagnées. Les anneaux de leurs chevilles sont en argent massif et d'un poids surprenant. En effet, dès qu'elles possèdent en pièces d'argent la valeur de deux ou trois cents francs, elles les donnent à fondre aux bijoutiers mozabites, qui leur rendent alors ces anneaux ciselés ou ces serrures symboliques, ou ces chaînes, ou ces larges bracelets. Les diadèmes qui les couronnent sont obtenus de la même façon.
Leur coiffure monumentale, emmêlement savant et compliqué de tresses entortillées, demande presque un jour de travail et une incroyable quantité d'huile. Aussi ne se font-elles guère recoiffer que tous les mois, et prennent-elles un soin extrême à ne point compromettre, dans leurs amours, ce haut et difficile édifice de cheveux qui répand, en peu de temps, une intolérable odeur. C'est le soir qu'il faut les voir, quand elles dansent au café maure.
Le village est silencieux. Des formes blanches gisent étendues le long des maisons. La nuit brûlante est criblée d'étoiles; et ces étoiles d'Afrique brillent d'une clarté que je ne leur connaissais pas, une clarté de diamants de feu, palpitante, vivante, aiguë.
Tout à coup, au détour d'une rue, un bruit vous frappe, une musique sauvage et précipitée, un grondement saccadé de tambours de basque que domine la clameur aigre, continue, abrutissante, assourdissante et féroce d'une flûte qu'emplit de son souffle infatigable un grand diable à la peau d'ébène, le maître de l'établissement. Devant la porte, un monceau de burnous, un paquet d'Arabes qui regardent sans entrer et qui forment une grande lueur mouvante sous la clarté venue de l'intérieur.
Au-dedans, des files d'êtres immobiles et blancs assis sur des planches, le long des murs blancs, sous un toit très bas. Et par terre, accroupies, avec leurs oripaux flamboyants, leurs éclatants bijoux, leurs faces tatouées, leurs hautes coiffures à diadème qui rappellent les bas-reliefs égyptiens, les Oulad-Naïl attendent.
Nous entrons. Personne ne bouge. Alors, pour nous asseoir, et selon l'usage, on saisit les Arabes, on les bouscule, on les rejette de leur banc et ils s'en vont, impassibles. D'autres se tassent pour leur faire place. Sur une estrade, au fond, les quatre tambourineurs, avec des poses extatiques, battent frénétiquement la peau tendue des instruments; et le maître, le grand nègre, se promène d'un pas majestueux, en soufflant furieusement dans sa flûte enragée, sans un repos, sans une défaillance d'une seconde.
Alors, deux Oulad-Naïl se lèvent, vont se placer aux extrémités de l'espace laissé libre entre les bancs et elles se mettent à danser. Leur danse est une marche douce que rythme un coup de talon faisant sonner les anneaux des pieds. A chacun de ces coups, le corps entier fléchit dans une sorte de boiterie méthodique; et leurs mains, élevées et tendues à la hauteur de l'oeil, se retournent doucement à chaque retour du sautillement, avec une vive trépidation, une secousse rapide des doigts. La face un peu tournée, rigide, impassible, figée, demeure étonnamment immobile, une face de sphinx, tandis que le regard oblique reste tendu sur les ondulations de la main, comme fasciné par ce mouvement doux, que coupe sans cesse la brusque convulsion des doigts.
Elles vont ainsi, l'une vers l'autre. Quand elles se rencontrent, leurs mains se touchent; elles semblent frémir; leurs tailles se renversent, laissant traîner un grand voile de dentelle qui va de la coiffure aux pieds. Elles se frôlent, cambrées en arrière, comme pâmées dans un joli mouvement de colombes amoureuses. Le grand voile bat comme une aile. Puis, redressées soudain, redevenues impassibles, elles se séparent; et chacune continue jusqu'à la ligne des spectateurs son glissement lent et boitillant.
Toutes ne sont point jolies; mais toutes sont singulièrement étranges. Et rien ne peut donner l'idée de ces Arabes accroupis au milieu desquels passent, de leur allure calme et scandée, ces filles couvertes d'or et d'étoffes flamboyantes.
Quelquefois, elles varient un peu les gestes de leur danse.
Ces prostituées venaient jadis d'une seule tribu, les Oulad-Naïl. Elles amassaient ainsi leur dot et retournaient ensuite se marier chez elles, après fortune faite. On ne les en estimait pas moins dans leur tribu; c'était l'usage. Aujourd'hui, bien qu'il soit toujours admis que les filles des Oulad-Naïl aillent faire fortune au loin par ce moyen, toutes les tribus fournissent des courtisanes aux centres arabes.
Le propriétaire du café où elles se montrent et s'offrent est toujours un nègre! Dès qu'il voit entrer des étrangers, cet industriel s'applique sur le front une pièce de cinq francs en argent, qui tient collée à la peau par on ne sait quel procédé. Et il marche à travers son établissement en jouant férocement de sa flûte sauvage, montrant avec obstination la monnaie dont il s'est tatoué pour inviter le visiteur à lui en offrir autant.
Celles des Oulad-Naïl qui sont de grande tente apportent dans leurs relations avec leurs visiteurs toute la générosité et la délicatesse que comporte leur origine. Il suffit d'admirer une seconde l'épais tapis qui sert de lit pour que le serviteur de la noble prostituée apporte à son amant d'une minute, dès qu'il a regagné sa demeure, l'objet qui l'avait frappé.
Elles ont, comme les filles de France, des protecteurs qui vivent de leurs fatigues. On trouve parfois au matin une d'elles au fond d'un ravin, la gorge ouverte d'un coup de couteau, dépouillée de tous ses bijoux. Un homme qu'elle aimait a disparu; et on ne le revoit jamais.
Le logement où elles reçoivent est une étroite chambre aux murs de terre. Dans les oasis, le plafond est fait simplement de roseaux tassés les uns sur les autres et où vivent des armées de scorpions. La couche se compose de tapis superposés.
Les gens riches, arabes ou français, qui veulent passer une nuit de luxueuse orgie, louent jusqu'à l'aurore le bain maure avec les serviteurs du lieu. Ils boivent et mangent dans l'étuve, et modifient l'usage des divans de repos.
Cette question de moeurs m'amène à un sujet bien difficile.
Nos idées, nos coutumes, nos instincts diffèrent si absolument de ceux qu'on rencontre en ces pays, qu'on ose à peine parler chez nous d'un vice si fréquent là-bas que les Européens ne s'en scandalisent même plus. On arrive à en rire au lieu de s'indigner. C'est là une matière fort délicate, mais qu'on ne peut passer sous silence quand on veut essayer de raconter la vie arabe, de faire comprendre le caractère particulier de ce peuple.
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Guy de Maupassant : Province d'Alger.
Texte établi à partir des articles Les Oulad-Naïl et Le Ramadan parus dans Le Gaulois des 11 et 25 août 1881 et publié dans le recueil de voyage Au soleil.
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Rédigé le 09/09/2007 à 08:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
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Rédigé le 08/09/2007 à 22:46 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Bouteflika au chevet d'un blessé à Batna
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Le sang de Batna n'avait pas encore séché qu'une nouvelle attaque-suicide a endeuillé ce matin le pays : 17 morts, dont 15 garde-côtes de la marine de guerre algérienne, et une trentaine de blessés à Dellys, un petit port de Kabylie, à quelque 70 km à l'est d'Alger, selon un bilan encore provisoire de sources hospitalières.
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Le kamikaze était à bord d'une fourgonnette remplie d'explosifs, selon les premiers témoignages recueillis par l'AFP sur place. Son identité n'est pas connue, ni son appartenance politique.
Le bilan risque de s'aggraver lourdement, a averti un officier de la protection civile, qui s'employait à évacuer les blessés notamment par hélicoptère sur l'hôpital local et les autres hôpitaux de la région. Plusieurs civils, en particulier des travailleurs du port de Dellys, figurent parmi les blessés.
Selon les premières constatations, le fourgon piégé a explosé à proximité de la caserne des garde-côtes composée de chalets en préfabriqué, dont la plupart ont été éventrés par la puissance du souffle de la déflagration.
Des débris de bois, de ferraille et de béton jonchaient le port sur plusieurs centaines de mètres à la ronde. Des vêtements et des valises ont été projetés sur les poteaux électriques et les barrières du port.
Un ballet d'ambulances toutes sirènes hurlantes et d'hélicoptères survolant la ville était visible à partir des lieux de l'attentat. Le port a été immédiatement bouclé et un cordon de policiers antiterroristes y a été déployé. La tension était à son apogée.
La ville de Dellys a été également investie par les forces de sécurité, alors que la population consternée tentait de s'informer sur l'attentat auprès de policiers nerveux au visage fermé.
La région de Dellys, en Kabylie, avait été le théâtre de plusieurs attaques islamistes ces dernières années. Adossée à la montagne de Sidi Ali Bounab, célèbre pour sa forêt touffue, elle est considérée comme un fief des islamistes depuis le début des violences en 1990.
Cette attaque à la voiture piégée intervient au surlendemain d'un attentat-suicide visant le cortège du président Abdelaziz Bouteflika à Batna (est de l'Algérie), qui a fait 22 morts et plus de 100 blessés, et à quelques jour du début du ramadan (jeûne musulman) propice au Jihad (guerre sainte), selon les islamistes.
Plusieurs attentats kamikazes ont eu lieu depuis le 11 avril en Algérie. Deux attaques simultanées à la voiture piégée avaient visé le palais du gouvernement (centre d'Alger) et un commissariat de la banlieue est de la capitale, faisant au moins 30 morts et plus de 200 blessés, selon un bilan officiel.
A Lakhdaria (ancienne Palestro, 70 km à l'est d'Alger), une caserne de l'armée avait été le 11 juillet la cible d'un kamikaze à bord d'un véhicule frigorifique piégé. L'attaque avait fait 10 morts et 35 blessés parmi les militaires.
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Rédigé le 08/09/2007 à 09:31 | Lien permanent | Commentaires (7) | TrackBack (0)
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