Capture d’écran floutée de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et montrant la colère de l’ambulancier, le 27 juin 2023 à Nanterre. (TWITTER)
Jugé jeudi en comparution immédiate pour « outrage » à l’encontre d’un policier, l’ambulancier, dont la colère a fait le tour des réseaux sociaux mardi après la mort de l’adolescent, a été dispensé de peine. Son collègue qui a filmé la scène a été relaxé.
D’emblée, il pleure. Pleure à nouveau. Puis pleure encore, emportant dans le flot de ses intarissables larmes la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Juste en bas, ce jeudi 29 juin après-midi, au pied du palais de justice qui jouxte la préfecture des Hauts-de-Seine, plusieurs milliers de personnes convergent. La marche blanche en hommage au jeune Nahel, 17 ans, tué mardi par un policier lors d’un refus d’obtempérer, s’est élancée un peu plus tôt de son quartier Pablo-Picasso.
Marouane D., lui, n’a pas pu s’y rendre. Il est là, traits tirés et air accablé dans le petit box vitré de cette grande salle aux bancs clairs, sans fenêtre, d’où l’on perçoit le bruit de quelques pétards tirés depuis la rue. Bras croisés et polo marine siglé du nom de sa société, il se tient droit à côté de son collègue Amine Z., en veste manches longues portant le même sigle. Leur tenue de mardi, quand ils ont été placés en garde à vue.
Ils sont jugés en comparution immédiate. Marouane D. pour « outrage » à policier. Amine Z. pour « divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser » un policier, l’exposant à un risque d’atteinte. C’est Marouane D. qu’on voit invectiver un policier sur cette vidéo publiée sur le réseau social Snapchat qui a tant circulé, depuis mardi, au point de largement dépasser le million de vues. C’est son collègue qui l’a filmée et diffusée.
« Tu vas voir ! Tu vas payer ! Je vais t’afficher sur les réseaux sociaux ! Tu ne vas plus vivre tranquille, frère ! » énonce en préambule la présidente pour rappeler les propos valant à Marouane D. d’être jugé. L’ambulancier de 32 ans les reconnaît « totalement ». Il pleure.
Sur les images tournées par son collègue, on le voit aussi s’adresser hors de lui en ces termes à un des policiers présents mardi devant l’entrée des urgences de l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre : « Là, tout le monde est en train de dormir, vous allez voir comment Nanterre va se réveiller. Il a 19 ans [en réalité 17 ans], tu vois qu’il a une gueule d’enfant. Pour un défaut de permis ! Pour un défaut de permis, frère !Je le connais le petit, je l’ai vu grandir ! »
« Amalgame »
Mardi matin, Marouane D. vient de déposer un patient quand un ami l’appelle et lui apprend ce qu’il vient de se passer. Il lui envoie la vidéo. Puis Marouane D. apprend que c’est Nahel, qu’il connaît si bien, qui est la victime de ce tir policier. « Pile-poil à ce moment-là, j’arrive aux urgences, je vois un policier avec l’écusson de la brigade motocycliste et il me dit bonjour, explique Marouane D. mais je ne peux pas dire bonjour à quelqu’un qui a tué quelqu’un que je connais. » Il pleure. « Ce n’est que de l’émotion, madame », dit-il en admettant « avoir fait l’amalgame ».
« On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac, poursuit l’ambulancier en se confondant en excuses, j’ai vidé mon cœur, je regrette, je n’ai jamais voulu en arriver là. » Juste après, devant l’entrée des urgences où il doit récupérer un patient, le jeune homme est plaqué au mur, menotté, interpellé. « On m’a dit “t’as menacé de mort notre collègue”, mais c’était l’émotion », repète-t-il sans cesse.
C’est quand l’officier de police judiciaire lui lit ses propos, en garde à vue, qu’il prend conscience de leur teneur. « J’ai dit des choses assez graves quand même, admet-il, mais à aucun moment je n’ai voulu nuire. Je suis quelqu’un de très discret. » Des larmes roulent encore sur ses joues. Père de famille ayant grandi à Nanterre, l’ambulancier apprécié de ses patients et de son employeur présent dans la salle, qui a obtenu son diplôme haut la main avec une note de 19,5, souhaite se racheter. « Je l’ai accusé pour rien, s’il veut que je refasse une vidéo pour m’excuser… » S’il s’est laissé dépasser par son émotion, dit-il aussi, c’est parce qu’il connaissait si bien Nahel, son ancien voisin.
« Nahel, on le surnommait “Michelin” »
« La semaine dernière encore, il était avec ma fille, dit-il au tribunal, ma mère le connaît, mes frères et sœurs le connaissent. » Sa mère gardait Nahel quand il était petit. « Quand il est né, on le surnommait “Michelin” comme le bonhomme parce qu’il était un peu gros », se souvient-il aussi en pleurs. « C’est comme s’il faisait partie de ma famille, c’est comme si on m’avait enlevé mon petit frère », livre-t-il encore. En tant que professionnel de santé, c’est sûr, il aurait dû prendre sur lui : « J’ai dû faire face dans mon métier à des situations difficiles, mais Nahel était vraiment quelqu’un de proche. »
A sa gauche, son collègue Amine Z. est à son tour invité à s’expliquer. « J’ai l’habitude de “snapper” mon quotidien, quand je filme, je ne fais pas exprès, ce n’est pas dans le but de nuire à qui que ce soit », déclare-t-il au tribunal. S’il a filmé la scène, c’est pour « se protéger » : « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de quelque chose que je n’avais pas fait », poursuit-il en affirmant ne pas s’entendre avec Marouane D. et vouloir changer de binôme. « Je suis en insertion, j’ai été addict aux jeux d’argent, j’ai des dettes, j’essaie de m’en sortir en travaillant. »
Ces images, il les a ensuite publiées sur Snapchat « en story privée », soit dit-il à une trentaine de ses contacts. « Je n’aurais pas dû filmer,dit-il, je m’excuse ».« Le problème, c’est que ce qui est sur la toile est indélébile », répond l’avocate du policier, en arrêt de travail depuis, qui défend deux autres agents visibles sur les images, « à un moment un zoom est fait sur le policier, et envoyer ces images à 30 ou 10 000 personnes, c’est la même chose ».
« Conséquences dramatiques »
Le procureur n’est pas convaincu. « Quel intérêt de filmer ? Pourquoi votre première réaction n’est-elle pas de calmer votre collègue ? Et puis filmer pour vous protéger, c’est une chose mais pourquoi diffuser ces images ? Vous saviez, à partir du moment où il était identifié, que cela allait avoir des conséquences dramatiques pour le policier et sa famille. » Le délit reproché à Amine Z., récent, a été créé en 2021 après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Le procureur requiert à l’encontre d’Amine Z. douze mois de prison, à l’encontre de Marouane D. trois mois de prison avec sursis et 600 euros d’amende.
L’avocate de ce dernier, Sarah Mauger-Poliak, elle, n’en revient toujours pas que son client soit là pour cela. « Quand la famille m’appelle et me dit qu’il va être jugé en comparution immédiate, je me dis qu’ils ne sont pas au courant de tout, lance-t-elle à la barre, mais si : il a bien fait 48 heures de garde à vue pour un malheureux outrage qu’il regrette sincèrement. »
A elle, alors, de hausser le ton : « Il est où l’outrage ? C’est “Tu vas voir !”, “Tu vas plus vivre tranquille, frère !” On a combien d’outrages chaque jour ? Quand on connaît l’engorgement des juridictions, s’il fallait venir déférer tous les outrages… » Et d’ajouter : « Fallait-il aussi absolument le menotter ? Ne pouvait-on pas le convoquer ? » Elle demande la relaxe, sinon une dispense de peine.
« Il “snappe” tout »
Sa consœur Mélody Blanc, pour l’autre ambulancier, plaide aussi la relaxe. Pour elle, l’intentionnalité n’est pas caractérisée. « Il “snappe” tout à longueur de journée : ses recettes, ses voyages… Une heure après, quand on lui a dit les proportions que cela prenait, il a supprimé la vidéo. » « Je m’excuse, répète son client, cela va me servir de leçon, je ne savais pas pour la nouvelle loi. »
Son collègue Marouane D. lui emboîte le pas et enchaîne : « Je ne suis pas à l’origine de cette vidéo ni de cet effet boule de neige, dehors on me reconnaît, je n’ai pas les épaules pour cela… Je suis prêt à faire ce qu’il faut pour rétablir la vérité et la dignité de ce policier. »
Le tribunal l’a reconnu coupable, mais compte tenu notamment du contexte et de ses liens avec la victime, l’a dispensé de peine. Son collègue, lui, a été relaxé. Un troisième jeune homme était jugé avant eux pour avoir diffusé, sur Snapchat encore, l’identité et la commune de résidence du policier désormais mis en examen pour le meurtre de Nahel. Avec le commentaire : « C’est le nom de ville du fdp [fils de pute, NDLR] qui a tué notre frère. » Il a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze avec sursis probatoire. A ce moment-là, la marche blanche avait déjà pris fin depuis un moment, une nouvelle nuit de violences débutait.
Le jeune homme circulait à scooter dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 juillet alors que des pillages émaillaient le centre-ville. La procureure de Marseille avait jugé « probable » que sa mort ait été provoquée « par un choc violent au niveau du thorax causé par le tir d’un projectile de type Flash-Ball ».
Cinq policiers de l’antenne marseillaise du RAID ont été placés, mardi 8 août en matinée, en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur la mort d’un jeune homme, victime d’un arrêt cardiaque vraisemblablement provoqué par un tir de lanceur de balles de défense (LBD) pendant les émeutes début juillet. La juge d’instruction en charge de cette enquête ouverte pour « coups mortels avec arme » a également ordonné l’audition, comme témoins, d’autres policiers de cette unité d’élite de la police nationale, engagée dans les opérations de maintien de l’ordre.
Circulant à scooter, Mohamed Bendriss, un livreur âgé de 27 ans, avait été transporté à l’hôpital alors qu’il venait de s’effondrer, cours Lieutaud, dans le centre-ville de Marseille en proie, cette nuit du 1er au 2 juillet, à de nombreux pillages de magasins. Le jeune homme regagnait le domicile de sa mère. Lors de l’autopsie étaient révélés deux impacts sur le corps de la victime, l’un à la cuisse, l’autre en pleine poitrine. « Les éléments de l’enquête permettent de retenir comme probable un décès causé par un choc violent au niveau du thorax causé par le tir d’un projectile de type Flash-Ball », écrivait la procureure de la République de Marseille, Dominique Laurens, le 5 juillet. A cette date, il n’était pas possible de déterminer le lieu où le drame s’était passé, ni si Mohamed Bendriss avait ou non pris part aux émeutes, ni même s’il avait circulé dans cette zone. Selon des proches de la victime, ce père d’un enfant, et dont l’épouse en attendait un second, aurait été vu, quelques instants plus tôt, en train de filmer des interpellations dans une rue commerçante, à quelques encablures du cours Lieutaud.
De très nombreuses vidéos ayant été conservées pour nourrir les procédures ouvertes contre des pillards, certains enregistrements auraient permis de conduire l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et la police judiciaire – les deux services d’enquête cosaisis – jusqu’aux fonctionnaires du RAID. Au vu des déclarations des gardés à vue et des explications qui seront fournies par leurs collègues, la juge d’instruction devrait décider de leur présentation ou non en vue d’une éventuelle mise en examen.
Un cousin de la victime également blessé
Les avocats de l’épouse et de la mère de la victime, qui se sont constituées partie civile, se réjouissent de cette accélération de l’enquête. Dans un communiqué publié en juillet, Mes Frédéric Coffano et Thierry Ospital indiquaient que les deux femmes n’entendaient pas polémiquer et « porter des accusations ou anathèmes à l’encontre de quiconque », manifestant uniquement leur « volonté indéfectible de connaître les auteurs de cette mort troublante et violente, et ce dans le cadre d’une procédure loyale et objective ».
Me Arié Alimi, autre défenseur de l’épouse, a par ailleurs déposé une plainte avec constitution de partie civile pour le compte d’Abdelkarim Y. , 22 ans, gravement blessé à l’œil gauche, dont il aurait perdu l’usage, la nuit précédente, par un tir de LBD. Le jeune homme est le cousin de Mohamed Bendriss. Entendu par l’IGPN, saisie par le parquet d’une enquête ouverte pour « violences volontaires en réunion ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par personne dépositaire de l’autorité publique et avec arme », il aurait, selon son défenseur, évoqué un policier vêtu de noir le ciblant depuis la tourelle d’un véhicule blindé léger. Un policier cagoulé, comme y sont autorisés les fonctionnaires du RAID, précise l’avocat.
« S’il s’avère que les policiers du RAID sont impliqués à la fois dans le décès de Mohamed Bendriss et la mutilation de son cousin Abdelkarim, la veille, alors c’est la décision même de les faire intervenir qui doit être passée au crible pénal », estime l’avocat.
La garde à vue des fonctionnaires du RAID intervient moins d’une semaine après la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) de maintenir en détention provisoire un des quatre policiers d’une brigade anticriminalité de Marseille mis en examen, le 21 juillet, pour violences volontaires aggravées commises sur Hedi R., un jeune homme de 22 ans très grièvement blessé au crâne par un tir de LBD et passé à tabac, la même nuit que la mort de Mohamed Bendriss et dans le même secteur. Quatre autres fonctionnaires avaient été initialement placés en garde à vue, mais aucune suite judiciaire n’a été donnée les concernant. Cette incarcération provisoire d’un policier est à l’origine du mouvement inédit ayant poussé des centaines de fonctionnaires marseillais à se mettre en arrêt maladie tout au long du mois de juillet. Plusieurs syndicats de police ont fait le choix de ne pas commenter cette nouvelle affaire tant que leurs collègues sont en garde à vue.
Trois des trente et une enquêtes confiées à l’IGPN et ouvertes dans le sillage des émeutes concernent donc des faits commis à Marseille et le seul décès recensé en marge de l’épisode de violences urbaines qui a secoué la France durant plusieurs jours après la mort du jeune Nahel M., victime du tir d’un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre, fin juin.
Hasard de calendrier, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’est rendu, mardi matin tôt, dans un commissariat marseillais, où il s’est entretenu durant une heure avec une soixantaine de policiers, « de façon informelle et constructive sur des sujets police classiques concernant les moyens et les conditions de travail », affirme une source policière. Ce déplacement, « hors presse et hors élus », avait pour objectif de féliciter des fonctionnaires du commissariat du 15e arrondissement qui, dimanche 6 août, avaient saisi 220 kilos de cannabis à l’occasion d’un contrôle.
Par Luc Leroux(Marseille, correspondant)
Publié aujourd’hui à 17h46, modifié à 18h32https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/08/apres-la-mort-de-mohamed-bendriss-en-marge-des-emeutes-a-marseille-cinq-policiers-du-raid-en-garde-a-vue_6184844_3224.html.
Olivier Le Cour Grandmaison14 juillet 1953, lors d’un défilé pacifique de plusieurs organisations des gauches politiques et syndicales, les policiers tirent sur les militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) de Messali Hadj. Bilan : six morts et quarante-quatre blessés dans leurs rangs1. Quelques années plus tard, suite aux « événements » d’Algérie, certaines méthodes de la guerre contre-révolutionnaire – torture, exécutions sommaires, disparitions forcées – sont importées dans la capitale par le préfet de police Maurice Papon avec l’aval du Premier ministre, Michel Debré, et du chef de l’Etat, le général de Gaulle. Plusieurs dizaines de milliers de manifestantEs sont rassemblés pacifiquement à l’appel du FLN le 17 octobre 1961 à Paris et dans plusieurs quartiers populaires d’Île-de-France pour protester contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé ; plus de deux cents Algériens sont tués ce jour-là, notamment.Depuis, la situation n’a guère changé. À cela s’ajoute, dans les quartiers populaires habités par de nombreuses personnes racisées, des pratiques en partie inspirées de la doctrine de la guerre contre-révolutionnaire mise en œuvre pendant les conflits coloniaux menés par la France en Indochine puis en Algérie. Les moyens juridiques, matériels et humains employés lors des émeutes de novembre 2005 à Clichy-sous-Bois en attestent. L’application de la loi de 1955 sur l’état d’urgence, votée en pleine guerre d’Algérie, le confirme. De plus le recours par les forces de l’ordre à de nombreuses armes sublétales – les désormais célèbres lanceurs de balles de défense (LBD) –, à des blindés de la gendarmerie, à des drones et à des hélicoptères qui ont opéré de jour comme de nuit est maintenant banalisé. Au regard de la somme de ces éléments, la qualification de racisme institutionnel est adéquate puisqu’il s’agit de la mise en œuvre d’une politique publique qui implique la direction, toute la chaîne hiérarchique et le personnel d’un corps essentiel de l’appareil d’État.Passé les frontières intérieures, qui divisent le territoire national en espaces ségrégués, la police, qualifiée de « républicaine », se fait police d’exception qui use et abuse de pratiques de même nature. Pareillement, lorsque cette police est en présence de jeunes racisés dans certains lieux de la capitale où ils sont victimes d’une présomption de culpabilité et (mal) traités en conséquence. Quant à la République, dans les quartiers populaires son visage n’est pas celui de la libre, douce et fraternelle Marianne. En lieu et place de cette dernière se dressent les faces agressives et menaçantes des forces de police et de gendarmerie chargées de défendre l’ordre établi, celui-là même qui entretient inégalités, discriminations et racismes systémiques infligés à des millions d’hommes et de femmes, héritiers des immigrations coloniales et postcoloniales, et aux étrangers. Pis encore, traités de « sauvageons » et de « racailles », les plus jeunes sont réputés former une plèbe dangereuse qu’il faut mater par des violences réitérées et, au besoin, par le recours à des dispositions d’exception – la loi sur l’état d’urgence – aux origines coloniales avérées.Aux vociférations des extrêmes droites et des droites de gouvernement, qui exigent l’application des dispositions précitées, aux vocalises du gouvernement et du chef de l’État, qui en appellent au respect des institutions républicaines, il faut, a minima, opposer les revendications suivantes : abrogation de la loi du 28 février 2017, initiée par Bernard Cazeneuve puis votée par sa docile majorité. «Rédigée à la hâte» pour satisfaire les syndicats de police, dixit le Monde du 29 juin 2023, cette réforme a permis aux forces de l’ordre d’user plus largement de leurs armes ce qui a favorisé les drames que l’on sait. Il faut y ajouter l’interdiction immédiate des contrôles au faciès, la délivrance obligatoire par les fonctionnaires de police d’un récépissé aux personnes contrôlées, la suppression des LBD et des grenades de désencerclement, le retrait des fusils d’assaut HK G36 mis à la disposition des policiers et des gendarmes – une exception en Europe6. De plus, l’IGPN doit être supprimée et remplacée par une institution administrative indépendante, et la sinistre BRAV-M doit être dissoute.*Olivier Le Cour Grandmaison est universitaire, dernier ouvrage paru, avec O. Slaouti (Dir), Racismes de France, La Découverte, 2020.
1.Cf., le documentaire (2014) de D. Kupferstein, Les Balles du 14 juillet 1953.
2.Sur les événements de Pointe-à-Pitre (26-28 mai 1967), cf., sous la dir. de E. Dorlin, Mai 67. Massacrer et laisser mourir, Paris, Libertalia, 2023. Et sur le massacre d’Ouvéa, en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, le 5 mai 1988, cf., I. Leblic, « Chronologie de Kanaky Nouvelle-Calédonie (1774-2018) », in Journal de la société des océanistes, n° 147, 2018, pp. 529-564.
3.L’Égalité trahie. L’impact des contrôles au faciès, Open Society Justice Initiative, 2013, p. 5 et F. Jobard et R. Lévy, « Police, justice et discriminations raciales en France : état des savoirs » in CNCDH, La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, Paris, La Documentation française, 2010. Lors du quinquennat de F. Hollande, Mediapart a rendu public un mémorandum de « l’agent judiciaire de l’État » justifiant le contrôle de « la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère. » Mediapart, 26 février 2016.
4.Arrêt de la Cour de cassation, Chambre civile 1, 9 novembre 2016, 15-24. 210, p. 3, 6, 11. (Souligné par nous.)
5.Arrêt de la Cour d’appel pôle 4, chambre 13, 8 juin 2021, n° 19/00867.
Une première version de ce texte a été publiée par Mediapart.
Il y a quarante ans, la marche contre le racisme et pour l’égalité avait lieu. Aujourd’hui, le combat de celles et ceux qui hier se sont mobilisés, doit plus que jamais se poursuivre. Avec les nombreux collectifs des premiers concernés, les gauches politiques, syndicales et associatives doivent désormais mettre les revendications précitées au plus haut de leur agenda et organiser des manifestations dans toute la France pour les défendre, et défendre aussi la liberté d’association et de manifestation désormais systématiquement attaquée par la politique toujours plus autoritaire du chef de l’État.
Que les membres du parti de l’Ordre et beaucoup d’autres avec eux soient surpris par les violences aujourd’hui commises est surprenant. Leur étonnement n’est pas seulement étonnant, il est aussi d’une démagogie obscène au regard de la situation dont ils sont les premiers responsables. On ne méprise pas, on ne discrimine pas, on ne ruine pas tant d’existences pendant des années impunément. Des émeutes de novembre 2005, ils n’ont rien appris parce que leur seul souci, dans ces quartiers populaires, c’est d’y assurer ce qu’ils osent nommer « l’ordre républicain » qui n’est autre que le train-train de la domination, de l’exploitation et de l’oppression à « bas bruit ».
L’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2016 et celui de la Cour d’appel de Paris du 8 juin 2021 obligent à prolonger l’analyse puisque toutes deux se sont prononcées, en des termes sévères, à l’endroit des pouvoirs publics, contre le profilage racial auquel se livre la police. Sans rentrer dans le détail des arguments employés par la plus haute juridiction, retenons cette conclusion : une «violation aussi flagrante desdroits fondamentaux» constitue «une faute lourde engageant directement la responsabilité de l’État».4 Reconnu coupable, ce dernier est donc condamné, pas les fonctionnaires puisqu’ils agissent conformément aux directives de leur institution et de leur ministère. C’est donc bien une politique qui a pour auteur et défenseur l’État, ce pourquoi il est adéquat de soutenir qu’il s’agit bien d’un racisme d’État. Il permet de mieux comprendre aussi la persistance du racisme institutionnel au sein de la police, lequel perdure, entre autres, parce que ses origines se trouvent au sommet des pouvoirs publics qui, de facto, l’encouragent. Le 8 juin 2021, dans une affaire similaire, la Cour d’appel de Paris a de nouveau estimé que l’État avait commis une faute lourde5. Cette seconde condamnation prouve que ce dernier est désormais en situation de récidive. Extraordinaire impunité où se découvrent les limites inquiétantes de l’État de droit tant vanté par certains.
Si depuis la fin du conflit algérien, le temps des massacres d’État commis dans l’Hexagone n’est plus – il en va autrement en Guadeloupe et en Kanaky-Nouvelle-Calédonie2 –, des enquêtes et de nombreux ouvrages ont établi l’existence de pratiques policières discriminatoires à l’endroit des jeunes hommes racisés des quartiers populaires. Lorsqu’ils sont perçus comme « noirs » ou « arabes », la probabilité qu’ils soient soumis à un contrôle d’identité est, pour les premiers, six fois plus élevée que pour les personnes identifiées comme blanches, et huit fois pour les seconds. Dans une publication de la fondation Open Society de 2013, on lit ceci : «toutes les études convergent[…] vers le même constat: en France, les personnes issues des “minorités visibles” sont contrôlées bien plus fréquemment que leurs homologues blancs.»3 Précision essentielle : ces pratiques ne sont pas celles d’une institution policière qui agirait à l’insu du gouvernement : elles sont les conséquences directes, souhaitées et assumées d’une politique publique depuis longtemps défendue par des majorités de droite comme de gauche. Dès 1995, suite aux attentats commis par Khaled Kelkal, entre autres, et à la mise en place du plan Vigipirate, les unes et les autres ont soutenu puis renforcé ces orientations au nom de la lutte contre le terrorisme.
Dans l’Hexagone, de 1953 à la mort de Nahel, le 27 juin 2023, le nombre des victimes racisées, tombées pour différentes raisons sous les balles des forces de l’ordre, se comptent par centaines.
Jean-Philippe Ould Aoudia écrit :...Comment et pourquoi l'arabicide s'est-il à ce point banalisé ? La Ve République repose sur un crime fondateur, l'arabicide de masse, commis tout au long de la guerre d'Algérie, jusque dans les rues de Paris. Ses auteurs et ses responsables ont bénéficié d'une impunité totale, par le jeu des amnisties. Ce fut là le plus formidable encouragement à répéter en temps de paix, sur une échelle réduite, ce que militaires, policiers et " simples particuliers " avaient fait en temps de guerre.Depuis 1994, tout a été dit. Tout s'est aggravé. »
Jean-Philippe Ould Aoudia
Nous avions donné une conférence débat au Centre culturel algérien, en 1994 je crois, et j'y avais développé la notoriété dans le Midi d'anciens tueurs de l'OAS qui avaient pratiqué la ratonnade, c'est- à-dire l'assassinat d'un Arabe considéré comme un animal nuisible.
« En 1992, les éditions La Découverte publiaient, sous la plume du journaliste italien Fausto Giudice, et sous le titre Arabicides Une chronique française 1970-1991, l'analyse de quelques 200 meurtres d'Arabes, essentiellement Algériens, commis pendant vingt ans. Il écrivait :
Par micheldandelot1 dans Accueil le 8 Août 2023 à 08:02
Interpellés pour « destruction par incendie » et des violences contre des policiers après la mort de Nahel, trois jeunes hommes ont passé cinq semaines en détention. Lors du procès, l’absence d’éléments et des vidéos Snapchat ont remis en cause la version policière. Les trois prévenus ont été relaxés.
MehdiMehdi H. (21 ans), Hassan A. (20 ans) et Mohamed H. (19 ans) comparaissaient pour violences envers trois policiers de la BAC de Gagny (Seine-Saint-Denis) commises en réunion la nuit du 29 juin. Des faits de « destruction par incendie » en mettant feu à des poubelles sont également retenus contre certains d’entre eux.
Après avoir passé cinq semaines en détention provisoire, ces trois jeunes hommes ont été relaxés de l’ensemble des faits qui leur étaient reprochés, le vendredi 4 août. Retour sur une affaire symptomatique de l’emballement judiciaire qui a suivi la mort de Nahel et les révoltes qui ont embrasé les quartiers populaires.
À grand renfort de chiffres sur les interpellations et les condamnations, les ministres de la justice et de l’intérieur s’étaient félicités d’avoir su répondre efficacement aux révoltes. Une réponse pénale « rapide, ferme et systématique », selon les termes du garde des Sceaux. Mais ce vendredi 4 août, au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), c’est une autre histoire qui se dessine.
« Il y a eu beaucoup de procédures contre des émeutiers qui n’ont rien donné à cause de problèmes d’identification ou de preuves », admet la substitut du procureur, en préambule. Mais ses réquisitions restent implacables et vont de huit à douze mois de prison ferme pour les trois prévenus.
Le procès-verbal des policiers en question
« Un dossier de 90 pages qui repose uniquement sur les dires d’un policier dont on ne connaît même pas l’identité, c’est très mince pour trois accusations aussi graves », pointe maître Marie Geoffroy. Cette dernière représente deux jeunes hommes poursuivis pour jet de cocktail Molotov et feux de poubelles.
Deux jours après la mort de Nahel, les policiers interviennent dans la cité du Chenay sur la commune de Gagny (Seine-Saint-Denis). Il est 2 h 10 du matin quand une vingtaine de jeunes habillés en noir, « capuchés et cagoulés », incendient des poubelles. Selon le procès-verbal des policiers, leur arrivée sur place donne lieu à des lancers de feux d’artifice en leur direction. Dès lors, ils se replient près d’un espace vert où, assurent-ils, ils resteront plus d’une heure.
C’est depuis cet endroit que trois policiers affirment reconnaître Mehdi H. et Mohamed H. Dans la pénombre, ils auraient distingué les longs cheveux bouclés du premier, et perçu les traits encore juvéniles du second. « Mehdi H. coordonne les gestes des autres individus » en leur intimant l’ordre de jeter des feux d’artifice, rapportent les policiers. Mohamed H., lui, aurait lancé un cocktail Molotov.
Hassan A. est, quant à lui, surpris une heure plus tard en train de mettre le feu à une poubelle sur un parking en bas de chez lui. Il est le seul à être interpellé sur-le-champ. Dans cette affaire, le jeune homme avait d’abord été poursuivi pour des faits de violence. Faute de preuve, ces accusations n’ont pas été retenues contre lui.
Mohamed H. est interpellé à 10 h 30 à Gagny. Les policiers affirment reconnaître sa doudoune sans manches estampillée « North Face », un vêtement qu’il porte encore le jour de l’audience. Son avocate, Me Geoffroy, fait voler des feuilles, cite le procès-verbal des policiers. Elle peine à trouver des preuves incriminant le jeune homme, sans casier judiciaire jusqu’alors. À la barre, l’avocate fustige l’absence d’enquête et un dossier où la version policière, seule, devrait faire foi.
Mohamed H. n’apparaît pas sur l’exploitation des caméras de surveillance, tout comme Hassan A. « Est-ce que les policiers se trompent ? Ont-ils interpellé les mauvaises personnes ?, interroge l’avocate. Cela arrive. Il arrive également que les policiers mentent sur les procès-verbaux. » « Ce dossier est la meilleure illustration à la circulaire du garde des Sceaux » réclamant des peines « rapides, fermes et systématiques », se désole Me Geoffroy. « On se félicite de placer trois jeunes en détention provisoire. Mais derrière, ce sont des vies brisées », appuie l’avocate.
Un prévenu innocenté grâce àSnapchat
Mehdi H., le plus âgé des prévenus, risque le plus gros. Les policiers lui attribuent le rôle de donneur d’ordre. À l’audience, le jeune homme de 21 ans encourt sept ans de prison et 100 000 euros d’amende pour « violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique commises en réunion et avec arme », en l’occurrence un mortier de feu d’artifice.
Les enquêteurs disent « le distinguer malgré sa capuche » sur une vidéo prise par une caméra de la ville à 3 heures du matin. Un individu habillé tout en noir passe devant la caméra, mais les policiers aperçoivent des baskets à semelles orange. « C’est l’un des rares éléments à charge dans ce dossier », remarque le président du tribunal.
Mehdi H. est interpellé vers 4 h 30 du matin. Mais un élément interpelle : la couleur de son jogging diffère de celle aperçue sur les caméras de vidéosurveillance. Pour l’avocate des policiers et pour la substitut du procureur, Mehdi H. s’est changé. Mais « il n’est pas assez intelligent pour se changer intégralement », imagine cette dernière. Il porte toujours aux pieds des baskets à semelles orange.
Mais Snapchatmet en doute cette hypothèse. Mehdi H. a documenté la soirée via l’application et s’est pris en vidéo à deux reprises. Une première fois à 19 h 29 et la seconde à 3 h 39, peu de temps après sa présumée participation aux affrontements avec la police. Sur ses deux stories, le jeune homme porte invariablement un jogging blanc. « Les faits sont graves. Pourtant, les enquêteurs n’ont pas pris la peine de chercher à prouver que Mehdi H. s’était changé en réalisant une perquisition à son domicile pour trouver des vêtements noirs par exemple », s’étonne son avocate, Me Léa Zimmermann.
La faiblesse des éléments à charge n’a pas empêché la justice de faire preuve de sévérité à l’égard des prévenus. Après le renvoi de la comparution immédiate, Mehdi H., Hassan A. et Mohamed H. passent cinq semaines en détention provisoire. Incarcérés fin juin, ils restent présumés innocents en attente de leur jugement. En France, ces prévenus représentent une grande part des personnes en prison. En juillet 2023, un quart (27 %) des 74 513 personnes placées en détention était en attente de leur jugement.
Me Geoffroy, l’avocate de Mohamed H., a plaidé le 10 juillet dernier une demande de mise en liberté (DML). Elle a plusieurs arguments à faire valoir. Son client « vit chez ses parents, il a des garanties et n’a pas de casier ». Mais le juge a refusé au motif que cette libération adviendrait avant le jour de la fête nationale, le 14 juillet.
Après plusieurs heures de débats, le délibéré tombe. Tous les prévenus sont relaxés. Seul Mehdi H. reste en prison pour un autre délit, sans lien avec les révoltes urbaines.
Un choc carcéral risqué
Plus d’un mois après le décès de Nahel, l’affolement judiciaire semble arriver à son terme. Mais la période laissera des traces. Interrogé par le juge, Mohamed H. évoque son passage en prison. « À Fleury-Mérogis, j’ai vu ce qui pouvait se passer si on prenait le mauvais chemin. Il n’y a que des tueurs là-bas », balbutie le jeune homme. « Passer par la case prison alors qu’ils n’ont rien fait et que pour certains, ils n’ont pas de casier, cela va les marquer », appuie maître Marie Geoffroy.
Fin juillet, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, s’est félicité d’un taux de « 95 % de condamnations » après les révoltes. Des peines souvent accompagnées de prison ferme. Selon une étude conduite par des membres de son ministère, les plus jeunes des ex-détenus et les auteurs de vol simple ont un risque de récidive très supérieur à la moyenne.
Des profils qui correspondent à ceux des personnes écrouées après les révoltes urbaines. Des conséquences dont le ministre de la justice ne risque pas de se vanter.
Renée Greusard, journaliste à « l’Obs » et autrice féministe. (CHA GONZALEZ POUR « L’OBS »)
LE JOUR OÙ J’AI COMPRIS QUE J’ÉTAIS NOIRE (1). « Ce 31 décembre 2020, je suis médusée… » Notre journaliste Renée Greusard se souvient d’une blague d’apparence légère, qui cache en réalité un sentiment de malaise et de domination. Premier épisode d’une réflexion intime sur le racisme au quotidien.
Retrouvez tous les épisodes de la série « Le jour où j’ai compris que j’étais noire», issue de nos archives et initialement publiée en juillet 2022.
La blague vient d’être dite. Dès lors, je ne suis plus là. Quelques minutes (combien ?) pendant lesquelles mon esprit, comme dissocié, prend le large : je me sens au-dessus de moi-même. Seul reste dans la pièce mon corps qui doit avoir un air étrange, un peu bête ou au moins inhabité. Je vous raconterai ladite blague plus tard mais pour l’instant, je suis prise dans une sorte de dialogue intérieur conflictuel.
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« Calme-toi, ce n’est qu’une blague. » « Dis quelque chose, si tu ne dis rien, tu cautionnes… » « Si tu dis quelque chose, tu vas pourrir le réveillon ! » C’est le propre de ces blagues. Qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes, transphobes, ou grossophobes, elles mettent toujours les personnes concernées dans une position intenable. Si tu parles, tu jettes un froid. Si tu ne dis rien, tu culpabilises de ne rien dire. Je parviendrai finalement à extraire de ma bouche cette phrase : « On n’était pas censés prendre une photo, au lieu de faire des blagues racistes ? »
Et donc, la blague. C’est le 31 décembre 2020. Je suis en couple depuis moins d’un an avec Clément. Mais, il se trouve que ces dernières années, la vie sentimentale de mon nouvel amoureux a été chaotique. Et pour la troisième année consécutive, le voilà qui se présente avec une femme différente au réveillon de ses potes. On en a parlé dans la voiture avant d’arriver : Clément est mal à l’aise avec cette succession de femmes. Ça ne lui ressemble pas. Nous arrivons chez ses amis : Léna et Paul, un couple que j’ai tout de suite adoré. Chaleureux, accueillant, drôle, intéressant.
Assez rapidement, pour détendre Clément, je choisis de rire ouvertement de la situation. Je dis : « Pas la peine de faire trop d’efforts avec moi, l’année prochaine, une nouvelle meuf occupera ma place ! » (Je suis drôle, non ?) Sur ce, Clément, toujours aussi mal à l’aise et pour poursuivre la rigolade, embraye : « Et en plus, cette année, ma nouvelle meuf a une petite touche exotique… »
Il parle de moi, là, oui.
Vilain petit canard
Ma mère est d’origine sénégalaise, mon père, Français. Je suis la seule personne qui semble racisée dans cette assemblée de six adultes et cinq enfants. Je lance à Clément un regard agacé. Je n’aime pas cet humour. Du tout. Mais pas grave, on en parlera plus tard tous les deux et surtout je n’ai pas envie de prolonger ce truc désagréable. C’est sans compter Léna, l’amie de Clément, qui embraye à son tour : « Et oui, Renée ! Tu es notre quota de couleur, ce soir ! »
Je me sens me liquéfier un peu. Cette impression soudaine et naissante d’être littéralement le vilain petit canard de la soirée : celui qui est tout noir. Cette sensation d’être mise dans un coin mais pas avec tout le monde. D’être exclue, tout simplement. Je crois que je ris les dents serrées, comme on fait parfois quand on est gêné. Cinq minutes plus tard, alors que je propose de la prendre en photo avec son amoureux (il porte des oreilles de renne), Léna qui est en plein dans une conversation légère avec un groupe d’amis sur son téléphone, me lance :
« On va plutôt prendre une photo de nous et je l’enverrai à mon groupe d’amis sur WhatsApp pour leur dire que je passe le jour de l’An avec une femme de couleur. »
Je ne sais pas ce que vous ressentirez, vous, en lisant cela. Peut-être trouverez-vous que ça n’était qu’une blague ? Ou au contraire que c’était violent ? Moi, qui en suis encore à la réaction du cœur, je me sens (sans contrôler ce truc) me dissocier. Léna prend un selfie d’elle et moi avec son smartphone. Je souris (un peu hébétée, sans savoir comme réagir) et je vois cette photo de moi, souriant bêtement à ses côtés, atterrir dans un groupe WhatsApp de personnes qui me sont tout à fait inconnues, avec cette légende : « J’ai presque embrassé une femme de couleur... Je tue le game ou pas ? Joyeux nouvel an. »
Je suis médusée et parviens seulement à dire, donc : « On n’était pas censés prendre une photo au lieu de faire des blagues racistes ? »
Rire « de » ou « avec »
Si je suis médusée, c’est que mes amis ne font pas ce genre de blagues et que je suis moi-même convaincue depuis un moment qu’elles sont problématiques. Je ne suis pas là pour me présenter comme une sainte. J’ai moi-même fait des blagues, dans le passé, dont j’ai très honte aujourd’hui. Mais un jour, j’ai arrêté. C’est Jason P. Steed, un avocat américain, prof de lettres et auteur d’une thèse sur la fonction sociale de l’humour (dans la littérature et les films) qui m’en a convaincu en 2016. Il avait alors fait un thread passionnant sur le sujet des blagues qu’on dit anodines, dans lequel il expliquait que l’humour est un outil social par lequel nous assimilons ou nous excluons. Il permet d’intégrer ou de tenir à l’écart du groupe.
Alors, ce jour-là, qu’a voulu faire Léna ? A-t-elle voulu m’inclure ou m’exclure ? Rire « de » ou « avec » moi ? Elle a voulu m’associer au groupe, c’est certain. Léna est l’amie de mon mec progressiste, la compagne d’un des amis les plus proches. Mais pour ça, elle a paradoxalement utilisé une blague excluante. Elle a inversé le rôle social de l’humour.
Pourquoi s’est-elle emmêlé les pinceaux ? Une sensation d’incongruité liée à son environnement l’a mise mal à l’aise, finit-elle par dire. Léna et Paul habitent un tout petit village dans une très jolie montagne. Là, on peut boire l’apéro en regardant le soleil se coucher derrière des camaïeux de couleurs sublimes mais on ne voit pas beaucoup de Noirs. Elle concède :
« Moi, dans mon entourage, je n’ai pas d’amis d’origine maghrébine par exemple. Là où je vis, il n’y avait qu’un enfant noir et il a déménagé. »
Alors ça lui faisait bizarre et il fallait le dire ?
« En fait, j’ai tendance à mettre les pieds dans le plat et s’il y a une réalité qui n’est pas dite mais qui est quand même présente, il n’est pas rare que, sans même y réfléchir, j’en parle. Ce jour-là, le fait que nous soyons tous blancs et que tu sois noire était existant. C’était certes censé être un non-événement, mais en réalité, c’était un événement. A force de vouloir faire comme s’il n’y avait pas de sujet, on vient écraser le réel », réfléchit-elle.
« Incongruité », c’est précisément le mot qu’emploie Jason P. Steed quand je lui parle de tout ça :
« Il semble que votre petit ami et ses amis ont vu votre couleur de peau comme une incongruité dans cette soirée. Vous étiez “différente” d’eux et ils ont essayé de faire quelque chose de ça, par l’humour. Parfois, l’humour, et en particulier l’humour lié à la race, a pour effet d’assimiler ET d’aliéner simultanément. »
Léna est intelligente. Après le réveillon, quelques mois plus tard, sentant que je n’avais pas trop goûté cet épisode, elle est, d’elle-même, revenue dessus. Par messages sur WhatsApp, je lui ai alors dit comment je m’étais sentie. Forcément, c’était désagréable pour elle aussi. « J’en garde un souvenir poisseux. » Aujourd’hui, je crois que Léna et moi sommes en paix avec cette histoire. Je l’aime beaucoup et ça ne changera pas. Elle reconnaît que la blague disait quelque chose de plus profond, et qu’effectivement, ce n’était pas juste une blague.
Mais un symptôme. De quoi au juste ?
Le poids des clichés
J’appelle Rokhaya Diallo, journaliste, autrice, et réalisatrice qui s’intéresse depuis longtemps à ces sujets pour qu’elle réagisse à cette problématique précise. « Une blague de ce genre montre juste que son autrice est un produit de la société. On est tous et toutes potentiellement racistes parce que le racisme est lié à un contexte sociohistorique de colonisation et qu’on est tous et toutes socialisés pour croire au racisme, qu’on le veuille ou non. » Et dans ce cas précis : « Il ne s’agit donc pas de dire qu’il y a des gentils qui ne sont pas racistes et des méchants qui le sont. Moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de qualifier les gens. Ce qui m’intéresse, c’est de qualifier leurs actes. »
C’est ce que j’ai fait ce soir-là, sans aller plus loin :
« On n’était pas censés prendre une photo au lieu de faire des blagues racistes ? »
Car à ce réveillon, je le sais, je ne suis pas au milieu de personnes qui votent Marine Le Pen ou Eric Zemmour. Je suis avec des gens de gauche, féministes, pour qui le mot « raciste » est une insulte. Des gens pour qui ce mot ne peut donc en aucun cas être accolé à leur personne ou à une blague dont ils seraient à l’origine. « Dans ma notion du moi, c’est inacceptable et je ne suis pas raciste », me dira plus tard Léna.
Nelly Quemener, sociologue et autrice de l’ouvrage « le Pouvoir de l’humour » (Armand Colin, 2014), explique d’ailleurs que ce qui crée la blague raciste, sexiste, etc., ce sont avant tout ses « effets de réception » :
« La même phrase dite par une personne homosexuelle devant une audience LGBTQIA + et par une personne hétérosexuelle devant une audience hétérosexuelle n’aura pas la même résonance. Ce qui compte, c’est la performance, pas les mots. »
« Tout le monde ne peut pas rire de tout de la même manière. Un nazi qui rit des juifs et Elie Kakou qui fait des blagues sur les juifs, ça ne raconte pas du tout la même chose »,abonde de son côté Rokhaya Diallo.
Reste que Nelly Quemener note l’ambivalence de ce genre de blagues et leur effet sur le réel. « Il y a une espèce de jeu ambigu, on va montrer qu’on sait que ce n’est pas bien de dire ça mais on le dit quand même, et par là on réinstitue des stéréotypes sous-jacents. » La blague raciste renforce les clichés et les positions. Si on rit au détriment d’une personne ou d’un groupe dont on ne fait pas partie, il y a de fortes chances pour qu’on soit juste en train de renforcer sa position de supériorité. Et l’on envoie le message, à l’intérieur du groupe, que le racisme est acceptable.
Il aura fallu que nous parlions, qu’elle s’introspecte, surtout, pour que Léna parvienne à cette conclusion : « OK, j’ai eu une attitude raciste. »
« Culpabilité blanche »
Dernière chose : pourquoi Léna a-t-elle utilisé une expression aussi désuète ? Pourquoi n’a-t-elle pas dit « noire » ?
Nelly Quemener s’attarde sur l’expression originellement anglo-saxonne : « personne de couleur ». C’est une expression qui a été « un lieu d’affirmation identitaire », mais elle présente cette particularité de ne pas faire du blanc… une couleur. « Il y a cette idée que la blanchité ne serait pas une couleur. » Comme si le blanc, c’était le neutre et que le reste détonnait. Et la chercheuse de poursuivre : « Une façon d’interpréter cette sortie, c’est aussi d’y voir l’expression d’une culpabilité blanche, une question qui est travaillée en recherche. Cette blague dit en réalité beaucoup plus de la personne qui l’a dite que de vous. Elle dit son malaise. »
En conclusion, cette blague était bien raciste (puisqu’elle est sous-tendue par la domination et parce qu’elle la renforce), mais elle n’implique pas que mon amie soit raciste. Elle est néanmoins la preuve de deux choses : la contamination raciste de toute la société sans exception et mon incongruité en milieu non urbain. Et pour la première fois, cela m’a fait mal.
Est-ce que parce que j’y étais confrontée pour la première fois ?
Est-ce parce que j’étais là dans un contexte amoureux, au tout début d’une histoire ?
Est-ce que parce que je fais un gros déni depuis des années ?
Je suis féministe depuis plus d’une vingtaine d’années. J’ai très vite compris que nous étions tous sexistes, qu’il ne s’agissait pas de distribuer des bons points mais de déconstruire les mécanismes à l’œuvre et que c’était un travail quotidien. On parle souvent de lunettes féministes. Le jour où on les enfile, on ne peut plus les quitter et on découvre chaque jour de nouvelles bizarreries sur ce sujet. Dernière en date de mon côté : une amie qui m’a fait remarquer qu’on disait « le petit de la vache ». Comme si les veaux étaient tous le fruit d’immaculées conceptions. Marrant, non ?
Bref, j’ai, très tôt, dans ma vie de jeune femme, enfilé ces lunettes.
Pourquoi m’aura-t-il fallu trente-six ans pour enfiler celles de l’antiracisme ?
La cour d’appel d’Aix-en-Provence a refusé, ce jeudi, la remise en liberté du gardien de la paix Christophe I., en détention provisoire depuis deux semaines. À l’audience, il a démenti toute participation aux violences contre Hedi R., 22 ans, mais admis pour la première fois avoir fait usage de son arme.
AixAix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).– Son incarcération, le 20 juillet, a entraîné une grève du zèle massive chez les policiers marseillais, un soutien inédit du directeur général de la police nationale et un festival de propositions pour éviter la détention provisoire aux policiers soupçonnés d’avoir commis des violences dans l’exercice de leurs fonctions.
Ce jeudi, la remise en liberté de ce gardien de la paix a été refusée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, devant laquelle il faisait appel de son incarcération. Dans un communiqué accompagnant cet arrêt, le parquet général détaille les motivations de la cour. Celle-ci insiste sur les « dénégations fallacieuses » du policier, qui « jettent le discrédit sur l'ensemble de ses propos », et juge la détention provisoire indispensable pour éviter toute concertation entre les mis en examen avant leurs interrogatoires.
Pour assister à l’audience, tôt ce matin, ce policier de 35 ans, Christophe I., a été extrait de sa cellule à la prison de Luynes pour être conduit devant la cour. Mis en examen depuis deux semaines pour des « violences aggravées » contre Hedi R., le 2 juillet à Marseille, le policier espérait bénéficier du même traitement que ses trois collègues, Gilles A., Boris P. et David B., placés sous contrôle judiciaire.
« La justice passe et elle travaille », a réagi jeudi en fin d’après-midi l’avocat de Hedi, Me Jacques-Antoine Preziosi. « La profession devrait se débarrasser de ceux qui jettent du discrédit sur elle », a-t-il ajouté, dénonçant également les « dérapages de la hiérarchie policière qui estime qu’il est plus important de soutenir les siens que de les écarter quand ils sont fautifs ».
De son côté, le syndicat Alliance l’a jugé « incompréhensible » et « très injuste ». « Notre collègue n’a pas à rester en prison », a commenté Sébastien Gréneron, le secrétaire départemental des Bouches-du-Rhône, annonçant : « On va continuer à soutenir nos collègues ».mbre de l’instruction a siégé dans la salle des assises face à une affluence inhabituelle, avec un public composé pour moitié de journalistes, mais sans rassemblement policier – le cas de Gilles A. qui a fait appel de son interdiction d’exercer devait également être examiné. Le huis clos demandé par la défense de Christophe I., désireuse de préserver la « sérénité des débats » et le secret de l’enquête, a rapidement été rejeté.
Christophe I. fait alors son entrée dans le box en verre réservé aux détenus. Avec son crâne rasé, son buste athlétique et son tatouage au bras gauche, ce policier de la BAC Sud marseillaise pourrait passer pour un prisonnier lambda, si ce n’est son assurance particulière et son parler administratif.
Cette audience, rappelle le président en préambule, vise seulement à trancher « deux questions » : existe-t-il « des indices graves et concordants » que Christophe I. a participé aux faits poursuivis, et les critères de la détention provisoire sont-ils remplis ? De l’avis du parquet général, c’est le cas.
« Je ne suis pas un fou de la gâchette »
Les débats donnent cependant l’occasion au policier de préciser sa position, voire d’en changer. Dans une déclaration spontanée, Christophe I. tient à exposer sa version des faits, sans attendre son premier interrogatoire au fond par la juge d’instruction, prévu le 30 août. Alors qu’il niait jusqu’ici tout tir au LBD en direction de Hedi R., le gardien de la paix reconnaît désormais avoir fait usage de son arme. Sans pour autant se montrer convaincu d’avoir causé ses graves blessures à la tête.
Le 1er juillet, le policier a pris son service à 19 heures. Lors de cette troisième nuit d’émeutes consécutives à la mort de Nahel, ses collègues et lui avaient la consigne « de ne plus interpeller » faute de place en garde à vue, affirme-t-il. Mais ils étaient chargés de « rétablir l’ordre » dans les rues en proie à des pillages. Christophe I., seul porteur de LBD de son équipage, a déclaré dix tirs au cours de cette seule nuit, contre des « groupes mobiles et hostiles » qui « lançaient des projectiles ».
Aux alentours de 2 heures du matin, la BAC tente de « sécuriser » une portion de la rue d’Italie, alors « plongée dans le noir », quand Christophe I. avise « deux individus entièrement capuchés » qui marquent un temps d’arrêt face à lui et s’enfuient. Le policier aurait alors vu Hedi R. « armer son bras pour jeter un objet », le conduisant à « faire usage du LBD à une reprise » et provoquer sa chute. Sur les lieux des faits, à l’angle de la rue d’Italie et de la rue du Commandant-Imhaus, les enquêteurs ont en effet retrouvé une cartouche de LBD percutée.
Le policier insiste sur le « contexte très particulier » de ces émeutes « inédites ». Son avocat enfonce le clou : des conditions « extrêmement dégradées », des mortiers, des lacrymogènes, du bruit et de la pénombre. À titre personnel, Christophe I. explique qu’il « revenai[t] de blessure » et avait tenu à travailler alors qu’il aurait pu « poursuivre [son] arrêt ». L’épuisement, explique-t-il, aurait pu lui faire perdre en lucidité.
« Je ne suis pas un fou de la gâchette », ajoute le mis en examen, qui dément avoir visé la tête ou cherché à blesser.Après son tir, estimant que « la situation est gérée par [ses] collègues », Christophe I. n’aurait rien vu du passage à tabac dénoncé par Hedi (lire son récit ici). « Il n’a fait que tirer, la suite ne le concerne pas », résume son avocat.
Des images corroborent le récit de la victime
Comme l’a écrit le parquet général dans son réquisitoire en vue de l’audience, révélé par Le Monde et dont Mediapart a également eu connaissance, les enquêteurs ont pu corroborer le récit de la victime par des images. Issues des caméras de la ville, d’une synagogue, d’un commerce et d’une vidéo de onze secondes tournée par un particulier, elles montrent le jeune homme se tenir la tête et tituber, puis un fonctionnaire en civil lui faire une balayette pour le faire tomber. Plusieurs lui assènent ensuite des coups de poing et de pied avant de le pousser à repartir, d’un dernier coup de pied aux fesses.
Conduit à l’hôpital de la Timone par son ami et des épiciers, Hedi voit son pronostic vital engagé. Les médecins relèvent un « traumatisme crânien grave » avec « hématome sous-dural gauche », causé par un objet contondant, entraînant une intervention chirurgicale en urgence. Il présente aussi une « fracture temporo-zygomatique gauche » qui nécessite une autre opération, des « hémorragies intra-oculaires multiples de l’œil gauche », dont il a à ce jour perdu l’usage, de « multiples lésions abrasives, notamment au niveau des jambes » et un « stress aigu réactionnel ».
À l’audience, personne ne conteste la gravité de ses blessures. Ni l’avocat du policier, Pierre Gassend, qui exprime sa « compassion » envers la victime et lui souhaite « un prompt rétablissement ». Ni l’avocat général, « marqué » comme tout un chacun par « le visage de ce jeune homme, apparu sur les écrans le crâne déformé ». Ni le président, soulignant que les policiers ont opté pour « une extrême minimisation de ce qui s’est passé ».
Depuis leur identification, en effet, les fonctionnaires présents sur place ont presque tous affirmé n’avoir aucun souvenir de l’épisode impliquant Hedi R. et son ami Lilian P.. Ils ne se rappelleraient ni d’un tir de LBD ni de coups. Certains ne se reconnaissent même pas sur les vidéos qui leur ont été présentées. Une commandante de la BAC, qui a assisté à la scène, n’a signalé aucun événement particulier. Comme si rien n’était arrivé.
« Vous avez tiré à trois mètres dans la tête »
Jusqu’à ce jeudi, Christophe I. concédait seulement s’être « retrouvé dans le secteur ». Son collègue Gilles A., celui qui conteste les conditions de son contrôle judiciaire, n’a reconnu qu’une fois confronté aux images avoir mis « un coup de pied malheureux » à Hedi R. Il l’a justifié en expliquant alors avoir dû se dégager de l’emprise de la victime, qui lui aurait attrapé la jambe droite. Ce soir-là, il portait des gants coqués.
« Vive l’incarcération, si elle permet aux gens de dire la vérité », raille Jacques-Antoine Preziosi, l’avocat de Hedi. « Cinq semaines après, il vient nous dire que oui, il a tiré », insiste-t-il, s’adressant directement au mis en examen : « Vous n’avez pas tiré à 20 mètres sur une silhouette, vous avez tiré à 3 mètres dans la tête. Vous mentez depuis le début. Vous êtes dangereux, monsieur. »
Dans ce dossier, « les sept policiers se sont téléphoné aussitôt qu’ils ont reçu les convocations IGPN », ajoute l’avocat de la partie civile, pour qui Christophe I. « s’est entendu avec toute son équipe pour mentir, dire qu’ils ne se souvenaient de rien ». Face à cette « amnésie collective », l’avocat appelle la cour à confirmer la détention du policier pour l’« isoler » de ses collègues.
« Préserver l’information judiciaire » jusqu’aux interrogatoires : c’est aussi le souhait de l’avocat général. À ses yeux, la détention provisoire est le seul moyen de prévenir la concertation frauduleuse entre les mis en examen ou une éventuelle destruction de preuves.
« Quelle que soit la confusion du moment, on est en droit d’attendre une totale coopération au moment où l’on cherche à savoir la vérité », ajoute le magistrat, fustigeant la position initialement adoptée par les policiers. « Ce qui a été déclaré aujourd’hui change la donne », conclut-il en saluant « le travail de réflexion » du mis en examen.
Pour la défense, la remise en liberté ne présenterait aucun risque. Pierre Gassend rappelle que son client s’est engagé « au service de la nation » et a « quatorze ans de voie publique derrière lui ». Aucune raison, donc, que son client « soit le seul martyr de la cause », alors que ses collègues sont libres, et qu’il fasse les frais de « l’émoi médiatique ».
L’avocat questionne davantage les réelles intentions de la victime, qui selon lui présentait « toute la panoplie d’un émeutier ou d’un pillard ». « Quand on vient “par curiosité” au contact des forces de l’ordre à 2 heures du matin, en étant porteur d’une capuche, à quoi peut-on s’attendre ? Ce soir-là, Christophe I. a estimé en une fraction de seconde qu’il fallait engager le tir sur monsieur R., qu’il pensait être un émeutier. »
Lors de l’une de ses auditions, le major Gilles A. a eu une expression malheureuse pour décrire le comportement de Hedi : même si rien ne démontre sa participation aux émeutes, il était « habillé en mode délinquant ». Du grain à moudre pour l’avocat du jeune homme, Jacques-Antoine Preziosi. « Moi, je porte souvent des vestes avec capuche, je me demande si je vais être en danger quand je vais au restaurant ou au cinéma le soir. Après le délit de sale gueule, le délit d’habit ? »
Hedi R. a été touché par le tir d’un Flash-Ball de la police et roué de coups par des policiers lors de la soirée d’émeute, à Marseille, dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 juillet, sans avoir fait partie des émeutiers. Ici, le 9 juillet 2023. SPEICH FREDERIC / MAXPPP
Sur les quinze pages d’un réquisitoire aussi neutre qu’implacable, la liste des blessures subies par Hedi R., 22 ans, dans la nuit du 1er au 2 juillet à Marseille, en occupe près de trois. Le document, que Le Monde a pu consulter, a été rédigé par le parquet général d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) alors que deux policiers mis en cause pour ces violences demandent, jeudi 3 août, la levée de sa détention pour l’un, de son contrôle judiciaire pour l’autre. Le ministère public s’oppose aux deux. La justice devrait donner sa décision vers 16 heures.
« Traumatisme crânien grave », fracture au visage, hématomes, abrasions diverses, hémorragies : lorsqu’il arrive aux urgences de l’hôpital de La Timone, à 2 h 15, le jeune homme est « en morceaux », pour reprendre une expression du cru. Intubé et sédaté, il est opéré en urgence, « en neurochirurgie pour effectuer une craniectomie décompressive ». En d’autres termes, pour lui ôter une partie du crâne afin de faire baisser la pression due à une hémorragie, sans doute provoquée par un tir de balle en caoutchouc. Depuis, le jeune homme a fêté son 22e anniversaire le 9 juillet avec une moitié de crâne manquante – son image, après plusieurs interviews, a fait le tour de France. Son esprit aussi est atteint. Deux certificats médicaux, rédigés les 5 et 6 juillet 2023 par des médecins de l’unité de soins intensifs, ajoutent « un syndrome de stress aigu » à cet inventaire de lésions physiques.
Que s’est-il passé, cette nuit du 1er au 2 juillet où Marseille flambait ? Des milliers d’émeutiers, près de cinq cents commerces dévastés ou pillés à l’occasion des violents affrontements qui ont suivi la mort de Nahel M., 17 ans, abattu par un tir policier après un refus d’obtempérer à Nanterre le 27 juin. Dans deux documents d’une quinzaine de pages, la justice a retracé, à l’aide de témoignages, d’auditions et grâce à l’exploitation de la vidéosurveillance, le déroulement des faits qui valent à quatre policiers des brigades anticriminalité (BAC) Centre et Sud de la ville d’être mis en examen pour des violences volontaires en réunion par personnes dépositaires de l’autorité publique, et à l’un d’eux d’être incarcéré à la prison de Luynes (Bouches-du-Rhône) depuis le 21 juillet.
Coups de poing et de pied
L’ami qui accompagne Hedi, Lilian P., est le premier à livrer le récit de la soirée, dès la fin d’après-midi du 2 juillet. Le jeune homme, coiffeur de formation qui effectue des extras dans la restauration, confesse une « forme de “curiosité” pour justifier sa présence à Marseille, en ajoutant qu’il avait l’habitude de sortir le soir avec Hedi ». Vers 2 heures du matin, Hedi l’appelle : veut-il le rejoindre pour se rendre à Marseille ? Il acquiesce, prend sa voiture et la gare « près de la Joliette » pour retrouver son ami sur le Vieux-Port. Quelques minutes plus tard, alors qu’ils marchent dans la rue, ils croisent cinq hommes à l’angle des rues d’Italie et du Commandant-Imhaus, dans le 6e arrondissement de la ville. A ce moment-là, assure-t-il, il entend une voix les interpeller : « Vous allez où comme ça ? »
« Le témoin, poursuivent les magistrats, affirmait n’avoir pas eu le temps de répliquer dans la mesure où l’un des membres du groupe sortait quelque chose de son pantalon, qui s’apparentait à une matraque télescopique, pour tenter de lui donner un coup sur la tête. Il parait le coup et partait en courant. » Hedi le suit, paniqué. Un « plop » caractéristique retentit. Il chute au sol presque aussitôt.
Toujours selon Lilian P., « au moins trois des membres du groupe se jetaient sur ce dernier en lui donnant des coups de pied et de poing, alors que lui-même se trouvait à environ dix mètres de la scène. Craignant pour sa personne, il n’intervenait pas ». Et il voit son ami traîné au sol vers une ruelle, « hors de son champ de vision ».
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Auditionné à son tour deux jours plus tard, Hedi complète le récit de son ami. « Ensuite, déclare-t-il, c’est allé très très vite. (…) Ils nous ont tiré dessus au Flash-Ball. Ils n’ont tiré que sur moi, une balle dans la tête. De là, je suis tombé au sol. Quand je suis tombé au sol, les policiers sont venus me chercher, ils m’ont traîné dans le coin de la rue. Ils m’ont tabassé, ils m’ont mis des coups de poing dans la tête, des coups de pied, ils m’ont frappé avec les matraques. »
Versions divergentes
C’est à partir de ce moment précis que les versions divergent entre celle fournie par Hedi R. et Lilian P. et celle avancée par les policiers. Les investigations de la police judiciaire de Marseille et de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) permettent, sitôt l’ouverture d’une information judiciaire contre X, le 18 juillet, d’identifier une « colonne constituée de sept policiers de la brigade anticriminalité, engagés sur les lieux et aux horaires correspondant à la commission des faits ». Quatre d’entre eux, un major et trois gardiens de la paix, désignés de XH01 à XH04, sont directement impliqués dans les faits. L’un d’eux, XH01, est bien équipé d’un lanceur de balles de défense (LBD), que les non-initiés désignent souvent du terme générique de « Flash-Ball ».
Placés en garde à vue, tous les policiers décrivent à l’unisson « le contexte insurrectionnel dans lequel ils étaient amenés à intervenir, synonyme d’épisodes de violences sur la voie publique inédits dans leur intensité, auxquels ces policiers expérimentés n’avaient jamais été confrontés ». Ils évoquent aussi un trafic radio saturé et des geôles de garde à vue bondées, et n’oublient pas de préciser le manque de visibilité dans la rue d’Italie, théâtre des violences, totalement dépourvue d’éclairage. Plus surprenant, tous s’accordent à affirmer n’avoir été témoins d’aucun tir de LBD sur place. Jeudi matin à l’audience toutefois, le policier C.I., identifié comme le tireur, a admis un tir, mais « rien ne prouve » que ce soit celui qui a blessé le jeune Hedi, selon son avocat. A cela s’ajoutent des déclarations pour le moins troublantes quant au rôle et aux gestes de chacun des policiers présents sur les lieux cette nuit-là.
Le plus gradé, le major, affirme d’abord « ne jamais avoir frappé quelqu’un qui se trouvait au sol ». Puis, confronté à des images de vidéosurveillance, il admettra l’avoir fait. Un autre, qui fait pourtant partie de la même équipe, affirme « ne pas être en mesure d’identifier quiconque sur les images tirées de la vidéosurveillance, formule qu’il appliquait à sa personne », note le parquet général d’Aix-en-Provence. Le tireur au LBD, lui, nie contre l’évidence toute participation aux violences : « Pour ma part, dit-il au magistrat instructeur, je n’ai pas assisté aux faits. Encore une fois, la rue d’Italie étant dans le noir, je n’ai pas assisté à la scène. » Mais, finira-t-il par ajouter, « il se trouvait dans un état d’épuisement qui pouvait avoir entamé sa lucidité », étant entendu que « l’absence de souvenirs plus précis ne se réclamant aucunement d’une volonté de dissimulation ». Deux autres policiers, enfin, présents sur les lieux, ne se souviennent pas du déroulement de la soirée, pas davantage que d’une « confrontation » avec deux individus.
Moins d’une minute
Quatre caméras de surveillance appuient les témoignages de Hedi R. et son ami Lilian P., selon le réquisitoire du parquet général d’Aix-en-Provence. « L’exploitation, dans le temps de la flagrance, des images issues de la vidéoprotection municipale, ne semblait pas remettre en cause l’économie générale de ce récit quant au cheminement du plaignant et de son ami », précise même le texte.
En dépit de positionnements parfois éloignés de l’action, et d’une luminosité basse dégradant la qualité des images, ces quatre angles de vue racontent un assaut durant au total moins d’une minute. L’exploitation de la caméra de la synagogue Ohel-Torah, située du 96 rue d’Italie, offre même des « éléments primordiaux ». Elle montre ainsi qu’à 1 h 56 min et 35 secondes – l’horodatage commence avec le déclenchement de la caméra, il ne coïncide pas nécessairement avec l’horaire proprement dit –, alors qu’il vient d’être touché par le tir de LBD, Hedi est déséquilibré par un « violent coup de pied (…) au niveau des mollets ou des chevilles, ce qui faisait chuter le jeune homme au sol. Ce dernier se retrouvait alors en position assise, entouré de plusieurs policiers ».
Deux secondes plus tard, le même policier qui vient de le balayer lui assène « deux coups de pied en direction de son bassin ou de son ventre ». Couché, Hedi reçoit encore un coup de poing. Puis, à 1 h 56 min et 48 secondes, un nouveau policier fait son apparition pour lui donner « une gifle ou un coup de poing au visage ou sur la tête ». Le jeune homme parvient à se rétablir, s’assied tant bien que mal « avec une main sur son visage ou sa tête, s’apprêtant à se relever » et prend un « nouveau coup de pied dans les jambes ».
Une autre vidéo, tournée par un riverain témoin direct des faits, vient même ajouter une touche d’humiliation à ce traitement. Alors que le jeune homme quitte les lieux « d’un pas hésitant », totalement sonné, un policier lui délivre un coup de pied aux fesses. Il s’effondrera, inconscient, quelques minutes plus tard, au moment où le propriétaire d’une épicerie de nuit et son camarade Lilian P. le chargent dans la voiture qui le conduira en trombe vers les urgences de l’hôpital de la Timone. Les assaillants, formellement reconnus selon le réquisitoire, se sont déjà évanouis dans la nuit.
Débrayages perlés et dépôts d’arrêts maladie
Jeudi matin, parmi les douze dossiers au menu de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, celui de C. I., 35 ans, concentrera toutes les attentions. Ce membre de la BAC Sud nuit de Marseille demande la levée de son incarcération à la prison de Luynes. Son audition sera suivie de très près. Par les policiers marseillais et leurs collègues qui multiplient, depuis son incarcération, débrayages perlés et dépôts d’arrêts maladie. Par la hiérarchie, qui redoute l’effet d’une décision de maintien en détention sur les troupes. Par l’institution judiciaire, enfin, soucieuse de démontrer son indépendance à cette occasion après, notamment, les déclarations du directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, qui avait estimé dans une interview accordée au Parisienqu’« avant un éventuel procès, un policier
Un autre membre du groupe de policiers, G. A., 51 ans, soumis pour sa part à un contrôle judiciaire, sera, lui aussi, entendu jeudi, dans l’espoir de recouvrer la liberté. D’après le réquisitoire lié à son dossier, il confirme avoir donné un coup de pied « en haut de son corps vers sa tête » à Hedi R., mais nie avoir compris que le jeune homme était grièvement blessé. Du reste, n’était-il pas « habillé en mode délinquant », capuche rabattue sur le visage ? Au passage, le réquisitoire des magistrats aixois fait le lit de rumeurs distillées par des sources policières anonymes depuis une dizaine de jours : loin du délinquant multirécidiviste complaisamment décrit « en off », Hedi R. n’a fait l’objet que de deux procédures mineures, une conduite sous l’empire de produits stupéfiants, un défaut de permis de conduire.
Les réquisitions de l’avocat général appellent, en revanche, à confirmer le placement en détention de C. I. et le contrôle judiciaire de son collègue G. A. Les occasions de discussion, voire de dissimulation inquiètent d’autant plus la justice que les premières auditions des policiers ont révélé aux yeux des magistrats des indices d’entente. La « nécessité d’éviter toute concertation frauduleuse » implique, selon le parquet général, de tenir les prévenus isolés les uns des autres.
Fait rare, dans un communiqué publié le 24 juillet, le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, Renaud Le Breton de Vannoise, et la procureure générale Marie-Suzanne Le Quéau, ont prévenu : « Il appartient à l’autorité judiciaire seule de qualifier les faits et de conduire les investigations utiles à la manifestation de la vérité, et ce en toute impartialité et à l’abri des pressions. »
Par Thomas Saintourens et Antoine Albertini
Publié aujourd’hui à 06h52, modifié à 13h00https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/03/c-est-alle-tres-vite-minute-par-minute-la-justice-a-reconstitue-le-tabassage-d-hedi-r-grievement-blesse-par-des-policiers-a-marseille_6184299_3224.html.
The young man suffered severe head injuries during an altercation in the southern French city amidst the riots following the police killing of Nahel M. Witness testimony and camera footage are helping judges in their investigation.
Hedi R. a été touché par le tir d’un Flash-Ball de la police et roué de coups par des policiers lors de la soirée d’émeute, à Marseille, dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 juillet, sans avoir fait partie des émeutiers. Ici, le 9 juillet 2023. SPEICH FREDERIC / MAXPPP
The list of injuries sustained by 22-year-old Hedi R. in Marseille on the night of July 1 in Marseille occupies almost three of the 15 pages of an indictment that is as neutral as it is uncompromising. The document, which Le Monde had access to, was drawn up by the prosecutor's office in Aix-en-Provence. One police officer implicated in the violent incident is requesting that his detention be ended, while the other is requesting that his judicial supervision be lifted. The prosecutor is opposed to both requests. The court is expected to announce its decision at around 4 pm.
When he arrived in the emergency room at La Timone Hospital at 2:15 am, Hedi R. was in bad shape, with severe head trauma, a facial fracture, hematomas, various abrasions and hemorrhages. Intubated and sedated, he underwent emergency surgery "to perform a decompressive craniectomy" –in other words, removing part of his skull to relieve the pressure caused by a hemorrhage, likely caused by a rubber bullet. Since then, he celebrated his 22nd birthday on July 9 with half his skull missing. After several interviews, the pictures of his face have been widely shared. His mind is also affected. Two medical certificates, written on July 5 and 6, 2023 by doctors in the intensive care unit, add "acute stress syndrome" to this inventory of physical injuries.
What happened on the night of July 1, when Marseille was ablaze? There were thousands of rioters, and nearly 500 businesses were destroyed or looted during the violent clashes that followed the death of 17-year-old Nahel M., who was shot dead by the police after refusing to comply with orders during a traffic stop in Nanterre, west of Paris, on June 27. In two 15-page documents, based on witness statements, interviews and video surveillance footage, investigators have retraced the events that led to the indictment of four police officers from the city's anti-crime brigades (BAC) on charges of the intentional use of violence by public officials, one of whom has been detained since July 21.
The friend accompanying Hedi, Lilian P., was the first to give an account of the evening, in the late afternoon of July 2. The young man, a hairdresser who does extra work in the restaurant industry, explained his presence by stating that he was "curious" about what was happening in Marseille and that he often went out with Hedi in the evening. Around 2 am, Hedi called him: Did he want to join him to head into Marseille? Lilian agreed, took his car and parked it "near La Joliette" to meet his friend at the Vieux-Port. A few minutes later, as they were walking down the street, they passed five men at the corner of Rue d'Italie and Rue du Commandant-Imhaus, in the city's 6th arrondissement. He said that at that moment, he heard a voice call out to them, asking, "Where are you going?"
According to the investigators, "the witness did not have time to retaliate as one of the members of the group took something out of his pants, which looked like a telescopic baton, to try and hit him on the head. He dodged the blow and took off running." Hedi followed in panic. A distinctive "plop" sounded. He fell to the ground almost immediately.
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According to Lilian P., "At least three members of the group threw themselves at him, kicking and punching, while he himself was about 10 meters away from the scene. Fearing for his life, he didn't intervene." And he saw his friend being dragged along the ground toward an alleyway, "out of his field of vision."
Interviewed two days later, Hedi completed his friend's account. "Next, it all happened very, very quickly (...) They shot at us with Flash-Balls. They only shot me in the head. From there, I fell to the ground. When I fell to the ground, the police picked me up and dragged me around the corner. They beat me up, they punched me in the head, they kicked me, they hit me with the truncheons."
Divergent versions
It is at this precise moment that the accounts provided by Hedi R. and Lilian P. diverge from those of the police. Probes by Marseille police detectives and the Inspectorate General of National Police (IGPN, an internal unit investigating police misconduct) immediately led to the opening of a judicial investigation on July 18, identifying a "column made up of seven police officers from the anti-crime brigade, deployed at the scene and at the times corresponding to the acts committed." Four of them, a major and three officers referred to as XH01 to XH04, were directly involved in the events. One of them, XH01, was indeed equipped with a rubber bullet gun, which some often refer to using the generic term "Flash-Ball."
Taken into custody, all the police officers described in unanimous terms "the insurrectionary context in which they had to intervene, synonymous with the incidents of violence on the public highway unprecedented in their intensity, with which these experienced officers had never been confronted." They also spoke of saturated radio traffic and overcrowded police custody cells. Further, they did not fail to mention the lack of visibility on the Rue d'Italie, the scene of the violence, which had no lighting whatsoever. More surprisingly, they all agreed that they had not witnessed any rubber bullets shots being fired at the scene. At the hearing on Thursday morning, however, police officer C.I., identified as the shooter, admitted to firing a shot. But "nothing proves" that it was the shot that wounded Hedi R., according to his lawyer. Added to this are some troubling statements about the role and actions of each of the police officers present during the incident.
The most senior officer, the major, began by asserting that he "never hit anyone on the ground." Then, confronted with CCTV footage, he admitted to having done so. Another member of the same team claimed "not to have been able to identify anyone on the CCTV footage, an explanation he applied to himself," noted the prosecutors. As for the rubber bullet shooter, he denied any involvement: "As far as I'm concerned," he told the investigating judge, "I did not witness the events. Once again, as the Rue d'Italie was completely dark, I did not witness the scene." But he added that "he was in an exhausted state, which may have affected his mental clarity," on the understanding that "the absence of more precise memories in no way indicates a desire to cover up." Lastly, two other officers present at the scene have no recollection of how the evening unfolded, nor of any "confrontation" with the two individuals.
Less than a minute
Four surveillance cameras support the testimonies of Hedi R. and Lilian P., according to the indictment issued by the prosecutors. "The use (...) of footage from the municipal video-protection system did not appear to call into question the general structure of the account as regards the path taken by the complainant and his friend," the text goes on to state.
Despite the fact that the cameras were sometimes positioned far from the action and that the low light levels degraded the quality of the footage, these four angles tell the story of an assault lasting less than a minute in total. The recording from the camera at the Ohel Torah synagogue, located at 96 Rue d'Italie, even provides " key evidence." It shows that at 1 hour, 56 minutes and 35 seconds – the time stamp begins when the camera is triggered and does not necessarily coincide with the actual time – Hedi, who had just been hit by the rubber bullet, is thrown off balance by a "violent kick (...) to the calves or ankles, causing the young man to fall to the ground. He then found himself in a sitting position, surrounded by several police officers."
Two seconds later, the same policeman who had just swept him off his feet gave him "two kicks in the direction of his pelvis or stomach." Lying down, Hedi was punched again. Then, at 1 hour, 56 minutes and 48 seconds, a new policeman appeared to deliver "a slap or a punch to the face or head." The young man managed to recover, sitting down as best he could, "with one hand on his face or head, preparing to get up," and took another "kick to the legs."
Another video, shot by a neighbor who witnessed the incident firsthand, adds a touch of humiliation to this treatment. As the young man left the scene "hesitantly" and totally stunned, an officer kicked him in the buttocks. He collapsed, unconscious, a few minutes later, just as the owner of an all-night grocery store and Lilian P. loaded him into the car that was to rush him to the emergency room of the Timone Hospital. The assailants, formally recognized according to the indictment, had already vanished into the night.
A closely followed hearing
On Thursday morning, among the 12 cases on the agenda of the investigating chamber of the Aix-en-Provence Court of Appeal, 35-year-old C. I. will be the focus of attention. This member of Marseille's BAC police unit, identified as the rubber bullet's shooter, is requesting that his incarceration be lifted. His hearing will be followed very closely: By Marseille police officers and their colleagues, who, since his incarceration, have been staging a series of walkouts and filing for sick leave. By higher-ups, who fear the impact of a decision to keep him in custody on their forces. And finally, by the judicial system, which is anxious to demonstrate its independence on this occasion, notably after the statements made by Frédéric Veaux, director general of the national police force, in an interview with Le Parisien: He said that "ahead of a possible trial, a police officer should not be in prison."
Another member of the group of police officers who is under judicial supervision, 51-year-old G. A., will also be heard on Thursday, in the hope of regaining his freedom. According to the indictment linked to his case, G. A. confirmed that he kicked Hedi R. "in the upper part of his body toward his head" but denies that he realized that the young man was seriously injured. Besides, wasn't he "dressed in a delinquent style," with his hood pulled down over his face? In passing, the indictment makes mincemeat of rumors distilled by anonymous police sources over the past 10 days or so: Far from the recidivist delinquent described off the record by those sources, Hedi R. had only been the subject of two minor proceedings, one for driving under the influence of narcotics and the other for driving without a license.
The prosecutors' recommendations call for upholding C. I.'s detention and G. A.'s judicial supervision. The opportunities for discussion, and even concealment, are all the more worrying for the courts since the police officers' initial hearings have revealed signs of collusion in the eyes of the judges. According to the prosecutors, the "need to avoid any fraudulent collusion" requires that the defendants be kept isolated from one another.
In an unusual move, the top judge of the Aix-en-Provence court of appeal, Renaud Le Breton de Vannoise, and the prosecutor, Marie-Suzanne Le Quéau, issued a joint communiqué on July 24, warning: "It is the sole responsibility of the judicial authorities to evaluate the facts and carry out the investigations required to establish the truth, in complete impartiality and free from pressure."
Thomas Saintourens and Antoine Albertini
Translation of an original article published in French on lemonde.fr; the publisher may only be liable for the French version.
Comme tous les 31 juillet, un hommage lui est rendu par la gauche au Café du Croissant, lieu de son assassinat dans le 2ème arrondissement de Paris.
Le directeur de L'Humanité et sénateur PCF, Fabien Gay, y était présent pour délivrer un discours en l'honneur de Jean Jaurès, faisant écho à la situation démocratique que connait notre société aujourd'hui.
Mais la situation est grave c’est pourquoi j’en appelle, moi aussi, à l’union de la gauche en confirmant qu'il est indispensable de privilégier, en urgence, l'union de tous les partis de gauche : communistes, socialistes, verts, insoumis, etc...
L’un des quatre policiers mis en examen à Marseille pour des violences à l’encontre de Hedi est déjà apparu dans une information judiciaire relative au tabassage d’Angelina, en 2018. Cet agent, qui avait nié toute implication, n’a pas été poursuivi à l’issue d’investigations plombées par l’absence de vidéos exploitables et le mutisme de la hiérarchie. Mais l’enquête vient d’être rouverte.
Pascale Pascariello
31 juillet 2023 à 12h04
LeurLeur anonymat a jusqu’ici été préservé et toute une profession le protège, plus que jamais. Mais l’identité de l’un des quatre policiers mis en examen dans l’affaire Hedi, jeune homme de 22 ans touché par un tir de LBD à Marseille, puis tabassé et « laissé pour mort »(selon ses termes), mérite pourtant d’être examinée.
D’après nos informations, David B. est l’une des figures centrales d’une précédente information judiciaire ouverte pour des faits de violences assez similaires, commis en décembre 2018 à Marseille. Une jeune fille de 19 ans, Angelina (plus connue sous le pseudonyme de Maria), avait été gravement blessée par un tir de LBD en marge des manifestations des « gilets jaunes », puis passée à tabac par plusieurs policiers, à ce jour non identifiés par la justice.
Dans l’affaire Hedi, David B. a pu être identifié, comme ses collègues de la BAC, grâce à l’exploitation d’enregistrements de caméras de vidéosurveillance de la ville, de celles d’un commerce et d’un lieu de culte, et de vidéos d’un témoin, d’après les informations recueillies par Mediapart.
Visé par un tir de LBD et tabassé le 1er juillet, Hedi n’a toujours pas reçu le moindre coup de fil du gouvernement. Les syndicats de police, eux, ont été accueillis avec les honneurs au ministère de l’intérieur. Ils font « pression » pour obtenir un statut juridique à part.
Ilyes Ramdani et Pascale Pascariello
28 juillet 2023 à 16h58
uiQui a dit que l’exécutif méprisait le dialogue social ? La rencontre entre le ministre de l’intérieur et les organisations professionnelles de la police, jeudi 27 juillet, avait de quoi faire pâlir de jalousie les autres membres du gouvernement. Gérald Darmanin a été « à l’écoute », « proche de ses troupes », « ouvert » et « conscient des attentes », ont salué à l’unisson les représentants des fonctionnaires de police, réunis place Beauvau. « Je veux assurer les policiers de toute ma reconnaissance et de toute ma confiance », a dit le ministre.
Une concorde qui ferait plaisir à voir si elle n’avait pas pour socle le soutien à des policiers accusés d’avoir tabassé et laissé pour mort Hedi, un jeune homme de 22 ans, après lui avoir tiré dessus au lanceur de balles de défense (LBD), à Marseille (Bouches-du-Rhône), dans la nuit du 1er au 2 juillet. Déjà applaudis à leur sortie de garde à vue, les quatre agents sont désormais mis en examen et l’un d’eux a été placé en détention provisoire. Soupçonné d’être l’auteur du tir, il a affirmé en audition ne se souvenir de rien, n’avoir rien vu et ne pas se reconnaître sur les images, comme l’a révélé BFMTV jeudi.
« Le savoir en prison m’empêche de dormir », a déclaré Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale (DGPN), dans Le Parisien dimanche 23 juillet. En guise de soutien à leur collègue, des policiers ont cessé de travailler à Marseille et ailleurs en France, arrêts maladie à l’appui ; d’autres se sont placés en « code 562 », une sorte de service minimum destiné à exprimer leur fronde. Un mouvement impossible à quantifier précisément, faute de communication gouvernementale. Gérald Darmanin a simplement indiqué qu’à ce jour « moins de 5 % » des policiers « se sont mis en arrêt maladie ou ont refusé d’aller au travail ».
Dans tous les cas, le mouvement de contestation a dégradé ou mis en pause l’activité de nombreux commissariats à travers le pays.
Jeudi, à Beauvau, les organisations syndicales n’étaient pas venues se contenter des déclarations d’amour du ministre. Leurs revendications étaient précises : élargissement de la protection fonctionnelle (le financement des frais de justice par l’État, y compris pour les policiers soupçonnés de violences), maintien des primes quand un agent est suspendu, anonymisation des procès-verbaux d’audition de policiers mais aussi – et surtout – exemption de la détention provisoire pour les policiers soupçonnés de violences en service.
À tout cela, Gérald Darmanin n'a pas fermé la porte. « Le ministre était plutôt d’accord avec nos propositions », a triomphé Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance, jeudi soir. « On a des garanties pour sécuriser le métier de policier », a embrayé Grégory Joron, chef de file d’Unité SGP Police-FO. « Le ministre a accueilli les propositions des syndicats et demandé au DGPN d’étudier leur faisabilité opérationnelle et juridique, fait savoir son entourage. Le temps était à l'écoute et au soutien, il n'a pas pris position, hormis sur la protection fonctionnelle qui fait consensus. »
Pendant ce temps-là, Hedi est chez lui, à Marseille. Il a perdu dix kilos et une partie de son crâne, il voit flou, il parle lentement, il est soumis à des migraines quotidiennes, il doit vivre avec un casque en attendant de nouvelles interventions chirurgicales. Mercredi, il a de nouveau témoigné devant la caméra de Konbini. La vidéo a été vue près de 30 millions de fois en deux jours.
Pas de quoi susciter la compassion de Gérald Darmanin, stoïque lorsqu’un journaliste lui a demandé une réaction à ce sujet. « Moi, je ne commente pas les affaires judiciaires en cours, a-t-il répondu. S’il y a eu faute, elle sera sanctionnée par la justice. Je veux apporter évidemment mon soutien à toute personne qui se sent blessée [sic]. Mais je veux aussi dire que les policiers réclament du respect, pas l’impunité. »
Plus étonnant encore, ni Élisabeth Borne ni Emmanuel Macron n’ont adressé le moindre mot d’empathie à l’égard du jeune homme. Contactés, les conseillers presse de la première ministre et du président de la République n’avaient pas répondu à l’heure de publication de cet article. En déplacement à Marseille jeudi et vendredi, la nouvelle secrétaire d’État à la ville, Sabrina Agresti-Roubache, n’en a pas profité pour aller voir Hedi ou sa famille, ni pour leur adresser le moindre message de soutien.
La justice s’inquiète, son ministre baisse la tête
Vendredi, lors d’un déplacement, Éric Dupond-Moretti a rappelé que la justice « a besoin, comme les policiers, de respect, elle a besoin d’indépendance, elle a besoin qu’on la laisse travailler ». « La justice ne se rend pas dans la rue et ne se rend pas sur les plateaux de télévision », a-t-il ajouté.
Mais le ministre de la justice n’a pas souhaité donner son avis sur la demande des policiers d’un statut spécifique en matière de détention provisoire. Il a même acté le principe d’une rencontre, en septembre, avec Gérald Darmanin et les syndicats de policiers, pour évoquer leurs desiderata législatifs. « Moi je dis merci [aux policiers], a enfin insisté, vendredi, le garde des Sceaux. Merci pour ce qu’ils ont fait, merci pour leur engagement, pour leur courage. »
Le ministre terminepar ailleurs la semaine affaibli par son renvoi, confirmé vendredi, devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts. Une situation que dénoncent, dans un communiqué commun, l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM) : « Nos organisations considèrent que cette situation décrédibilise le garde des Sceaux et, par ricochet, affaiblit l’institution judiciaire toute entière. »
Dans la matinée de vendredi, les conférences nationales des procureurs généraux et des premiers présidents de cours d’appel ont tiré, de leur côté, la sonnette d’alarme – fait rare. « Une nouvelle fois, la remise en cause par le ministre de l’intérieur de l’application de la loi pénale par les magistrats constitue une critique directe des décisions de justice et de la déontologie professionnelle des magistrats », regrettent les signataires.
À propos des récents placements en détention provisoire décidés dans les affaires du jeune Hedi et de Nahel M. à Nanterre, ils insistent : « La remise en cause publique de ces décisions par les plus hauts responsables de la police nationale et par le ministre de l’intérieur lui-même ne peut que renforcer l’inquiétude [...] quant à la dégradation de l’État de droit que de tels propos révèlent. » Une charge inédite, sans doute, contre le locataire de la Place Beauvau.
« Ce qui me désespère, ajoute un magistrat parisien, c’est la rhétorique de la première ministre et du président de la République, qui disent qu’ils ne peuvent pas commenter une décision de justice alors que la question qui leur est posée est plutôt : le chef de la police française le peut-il ? »
La tétanie du pouvoir
Au milieu du grand silence ministériel sur la situation de Hedi, l’interview du ministre de la fonction publique, Stanislas Guerini, sur BFMTV vendredi, a quelque peu détonné. « Cette vidéo restera gravée en moi, a expliqué l’ancien dirigeant du parti présidentiel. À ce jeune homme dont la vie sera irrémédiablement changée, on ne peut que souhaiter de la force, du courage, adresser des mots et des paroles à sa famille et souhaiter que la vérité et la justice soient faites. C’est ce que la République lui doit. Dire cela, ce n’est pas parler contre les policiers comme je l’ai trop entendu dans le débat public. »
Le même matin, dans Midi libre, Gabriel Attal a pris quelques distances avec l’offensive policière des derniers jours. « Je n’ai pas compris les mots que [Frédéric Veaux] a employés sur la détention provisoire », a indiqué le nouveau ministre de l’éducation nationale. « L’autorité, ce sont des règles, a-t-il aussi souligné. Je crois qu’il faut toujours faire attention à ne pas les fragiliser en donnant le sentiment que certains pourraient être au-dessus ou en dessous des lois. »
Ces deux sorties de fidèles du chef de l’État mettent paradoxalement en lumière l’état de tétanie d’un pouvoir incapable de prononcer des mots aussi simples depuis une semaine. En 2016, sur le plateau de Mediapart, Emmanuel Macron se faisait pourtant solennel. « Je serai intraitable, promettait-il. Il faut mettre en cause la hiérarchie policière quand il y a de manière évidente un problème. Il faut une responsabilité policière et administrative quand il y a des comportements déviants. »
En 2019, il s’emportait en conseil des ministres contre ces « hauts fonctionnaires qui font de la politique parce que leur ministre n’en fait pas », appelant à « ne pas surpolitiser la haute fonction publique ». Pas plus tard que la semaine dernière, il exhortait les membres de son gouvernement, en tapant du poing sur la table du conseil des ministres, à « diriger leur administration ».
Autant de grands concepts évaporés dans la fronde policière. Face à une corporation irascible et volontiers menaçante, qui se vante toujours d’avoir obtenu la tête du prédécesseur de Gérald Darmanin, Christophe Castaner, en 2020, l’exécutif courbe l’échine. Après les propos de Frédéric Veaux, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne se sont contentés d’une condamnation du bout des lèvres (« nul n’est au-dessus des lois »), précédée et suivie de mots de soutien et de considération à l’égard des forces de l’ordre.
L’escalade policière, le silence des gendarmes
Conscients que le rapport de force est à leur avantage, soutenus par leur hiérarchie et leur ministre, les syndicats de police ne comptent pas s’arrêter là. « Nous demandons que le policier soupçonné d’avoir commis une infraction dans l’exercice de ses fonctions reste en liberté et puisse percevoir l’intégralité de son salaire, primes comprises, tant qu’il n’a pas été jugé, formule Éric Henry, d’Alliance. Nous souhaitons aussi que l’interdiction d’exercer son métier ne s’applique qu’à la voie publique pendant la durée de la procédure judiciaire. »
Dans Le Figaro, Linda Kebbab (Unité SGP Police-FO) assume de « maintenir la pression ». « Nous voulons des magistrats spécialisés sur l’usage des armes par les forces de l’ordre, précise la syndicaliste. Nous travaillons à rencontrer les présidents des groupes parlementaires, de la majorité présidentielle au Rassemblement national, pour la création rapide d’un statut spécifique du policier mis en cause dans ses fonctions. Il faut légiférer rapidement. » Le RN, qui dispose d’une journée de « niche » parlementaire le 12 octobre, pourrait être tenté de saisir la balle au bond en déposant une proposition de loi.
En dehors de la droite et de l’extrême droite, le coup de pression trouve pour l’instant peu de soutiens. Mais la gendarmerie nationale, qui serait concernée au même titre que la police par une réforme législative, brille par son silence. Son patron, à l’inverse de Frédéric Veaux, n’a pas dit un mot.
« Il ne faut pas attendre de réaction, décrypte auprès de Mediapart un haut gradé de la gendarmerie. On garde et on se doit de garder une certaine mesure et un respect par rapport à la magistrature. » La même source dénonce « une dérive qui dure depuis plusieurs années », « une dégradation de la police, une hyperpolitisation, un poids démesuré des syndicats qui font du chantage », et juge que « l’instrumentalisation de la police par Darmanin et ses prédécesseurs mène droit dans le mur ».
« Les gendarmes ne sont pas des chevaliers blancs et certains sont mis en cause pour avoir fait un usage disproportionné de la force, poursuit ce responsable de la gendarmerie. Mais nous ne demandons pas à être au-dessus des lois et je pense que c’est évidemment dangereux de faire une nouvelle loi pour protéger davantage les forces de l’ordre de poursuites en cas de délit ou de crime. Il faut rester dans le cadre du droit commun. Que Darmanin réponde ainsi favorablement aux demandes les plus extrêmes des syndicats de police, ce sont les prémices de l’effondrement de notre État de droit. »
« La police est instrumentalisée comme jamais et ça va être dangereux, réagit de son côté un haut responsable du ministère de l’intérieur et spécialiste du maintien de l’ordre, qui a eu sous ses ordres plusieurs unités de police. Elle a trop été utilisée pour éteindre le feu et être en première ligne lorsque le gouvernement a voulu imposer des réformes par la force. » Une référence aux mouvements des « gilets jaunes » et contre la réforme des retraites.
« Les brebis galeuses n’ont pas leur place dans la police », ajoute-t-il, mais « le ministre de l’intérieur est obligé de répondre aux demandes les plus inquiétantes des syndicats pour garder le contrôle sur la base et éviter des mouvements comme celui des “policiers en colère” [né en 2016 à la suite de l’agression de policiers à Viry-Châtillon – ndlr]. De là à accepter de proposer une nouvelle loi... Ce serait franchir une nouvelle étape vers le déni des dérives au sein de la police et donner un blanc-seing aux policiers qui agissent comme des électrons libres, aux va-t-en-guerre ». Selon ce responsable, la « police n’est pas au-dessus des lois et pour retrouver une sérénité, il faut que les lois s’imposent pour tous en France ».
De son côté, un commandant ajoute : « Ils ne peuvent se passer de la police, il y a trop de risques de manifestations ou d’émeutes. Et l’exécutif ne peut se couper de la police à un an des Jeux olympiques. » Il regrette néanmoins que « depuis quelques années, la législation ait été revue pour répondre aux volontés des syndicats qui ne sont pas forcement justifiées ou peuvent avoir des effets pervers et faire prendre plus de risques, pour les citoyens comme pour les policiers... ». L’assouplissement du cadre légal de l’usage des armes lors des refus d’obtempérer (par une loi de 2017) en est un exemple. « Ces évolutions législatives inquiétantes en disent long sur la fébrilité de l’exécutif... »
Un haut fonctionnaire, spécialiste des questions de sécurité, ne partage toutefois pas ces avis. Interrogé sur l’impunité des policiers qui se voit renforcée, il préfère ne pas commenter, jugeant simplement que « le ministre a bien géré la sortie de crise avec les syndicats en évitant des frondes incontrôlables ».
Gérald Darmanin est persuadé que le soutien de la police lui est indispensable sur le plan politique, alors qu’il ambitionnait de remplacer la première ministre à Matignon. Vendredi, sur France 2, le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a réclamé la démission du ministre, ainsi que celles du préfet de police de Paris et du DGPN. « Tous les trois défient la République, a accusé le député, malgré le risque de sédition. »
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