30 août 2023 à 16h53
En publiant une vidéo rendant grâce à Martin Luther King, sans un seul enfant noir et sans évoquer une seule fois son combat contre la ségrégation raciale, le ministère de l’éducation s’attire une pluie de critiques. Ce n’est pas la première fois que la France fait preuve de mémoire sélective sur les figures des droits civiques américaines.
Sur le fond comme sur la forme, rien ne va dans cette vidéo publiée mardi 28 août par les services de communication du ministère de l’éducation nationale, pour célébrer les 60 ans du discours de Martin Luther King en 1963, devant le Lincoln Memorial à Washington.
Dans ce court clip, on voit des collégiens, lauréats d’un concours de langue anglaise, tous blancs, reprendre le célèbre « I have a dream » du pasteur américain (il sera assassiné cinq ans plus tard en raison de ses combats), pour appeler à plus d’égalité entre « les femmes et les hommes », « les petits et les grands », les « chrétiens et les musulmans », célébrer une « nature florissante », ou encore un monde dans lequel les « outsiders » deviendraient des « winners ».
Pas une personne de couleur dans le court montage réalisé par le ministère de l’éducation nationale pour reprendre l’introduction du discours de Martin Luther King en 1963 et, surtout, pas un mot sur le racisme ou la ségrégation raciale, une lutte à laquelle le pasteur et militant des droits civiques a pourtant consacré sa vie. Le choix des protagonistes interroge d’autant plus qu’une classe de Guadeloupe a été lauréate dudit concours, comme le relève le site de critique des médias Arrêt sur images.
Chahuté sur les réseaux sociaux, le ministère a tenté d’argumenter, avant de carrément supprimer la pastille. « Cette vidéo a été réalisée le 30 juin dernier, à l’occasion de la cérémonie de remise de prix du concours The More I Say, qui encourage la pratique créative de l’anglais au collège », expliquent ses services. « Face au trouble suscité par cette vidéo et à la violence de certains commentaires à l’égard des élèves qui s’étaient investis avec enthousiasme dans ce projet, le service communication du ministère a décidé de retirer cette vidéo de ses réseaux sociaux », conclut le ministère dirigé par Gabriel Attal.
Sur le fond, le choix du ministère de penser que l’exercice pouvait servir d’hommage à Martin Luther King laisse pantoise la chercheuse Maboula Soumahoro, maîtresse de conférences en civilisation américaine, actuellement chercheuse associée au département Ideas and Imagination de l’université Columbia, à Paris.
« Ne pas parler de racisme quand on parle de Martin Luther King, c’est un vrai tour de force, commente-t-elle. Cela me semble à la fois triste et dangereux. L’Éducation nationale est l’outil de la puissance de l’État dans la distribution des savoirs, surtout dans le cadre de l’idéologie républicaine où le lien est très fort entre ces savoirs et la fabrication du citoyen français. »
L’absence de tout lien avec le contexte français interroge tout autant Maboula Soumahoro. « On isole le discours de 1963, oubliant le reste de l’action de Martin Luther King, dont la campagne de boycott menée avant à Birmingham dans l’Alabama. On oublie de dire que la Marche contre le racisme et pour l’égalité en France s’est inspirée directement de ce discours vingt ans après, on masque les effets concrets de ce discours sur notre pays. On oublie de dire que Martin Luther King est un pasteur et un prêcheur, en pleine polémique sur la laïcité et les abayas. À ce point-là, c’est de la magie… »
Utiliser des figures de l’antiracisme américaines de manière édulcorée ou incomplète, effacer le cœur même et la radicalité de leur action, ce n’est pourtant pas une première dans le paysage politique français.
En mars dernier, Valérie Pécresse, la patronne de la région Île-de-France, membre du parti Les Républicains, annonçait vouloir débaptiser le lycée Angela-Davis de Saint-Denis, jugeant insoutenables certaines de ses positions, notamment sur le féminisme et la laïcité. « Dans un lycée français, on doit apprendre à aimer la France », expliquait alors l’élue.
Malgré un débat houleux remonté jusqu’au ministère de l’éducation nationale dirigé alors par Pap Ndiaye, Valérie Pécresse a persisté, préférant à Angela Davis (sa trajectoire est décortiquée ici) une autre femme noire américaine, Rosa Parks, « figure emblématique de la lutte contre la ségrégation aux États-Unis », selon Valérie Pécresse. Mais jugée moins sulfureuse sans doute.
« Cela relève à nouveau, là encore, d’une profonde ignorance : Rosa Parks était bien plus radicale qu’on ne le croit, explique Maboula Soumahoro. La France ne prend de ces figures lointaines, américaines, comme Rosa Parks, Martin Luther King, que ce qu’elle veut, ce qu’elle en comprend, et elle comprend mal. C’est risible pour quiconque s’intéresse un tant soit peu au sujet. Mais ça montre bien la tension entre la question des savoirs et la question politique dans notre pays. »
Mathilde Goanec
30 août 2023 à 16h53
https://www.mediapart.fr/journal/france/300823/martin-luther-king-sans-le-racisme-l-hommage-rate-du-ministere-de-l-education
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