Un policier est actuellement en garde à vue pour des faits de violence sur un homme le premier juillet. Le parquet de Marseille a ouvert une quatrième enquête pour des violences policières en marge des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. L’IGPN est saisie. Marsactu a recueilli le témoignage de la victime, Otman, 36 ans.
Nouvelle enquête ouverte, nouveau policier mis en cause et nouvelle victime qui dénonce des violences de la part des forces de l’ordre à Marseille (Bouches-du-Rhône) en marge des émeutes. Après le décès de Mohamed Bendriss, après les blessures infligées par des tirs de flashball sur Hedi et Abdelkarim, Marsactu a pris connaissance de l’existence d’une quatrième victime.
Otman*, 36 ans, a déposé plainte le 19 juillet notamment pour « violences en réunion » et « omission de porter secours ». Le document, que nous avons pu consulter, accuse une fois encore l’action policière menée ces soirs-là dans le centre de Marseille.
Contacté, le parquet de Marseille confirme l’information révélée ce mardi par Libération, avoir ouvert une enquête pour violences en réunion et avec arme ayant causé une ITT de plus de huit jours, abus d’autorité, menace ou acte d’intimidation sur une victime. D’après nos informations, une enquête a été ouverte dès le mois de juillet et confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Un fonctionnaire est actuellement en garde à vue dans les locaux de la « police des polices ». Selon nos sources, il est en poste à la division centre marseillaise.
Les faits remontent au samedi 1er juillet dernier, aux alentours de 22 h 30. Marseille vit sa troisième nuit d’émeutes consécutives à la mort de Nahel, adolescent tué à bout portant par un policier à Nanterre quatre jours plus tôt. Après avoir remonté la Canebière, des émeutiers sont arrivés sur la place Jean-Jaurès, certains par le bas du cours Julien, d’autres par la rue Saint-Savournin. Sur la place, soudain, des jeunes courent, des policiers font de même, des fourgons passent à toute vitesse. Sur le sol, à l’angle de la rue Saint-Savournin et de la place, Otman, lui, ne bouge pas. Habillé de noir, l’homme est étendu sur le ventre, les mains menottées. Il est inerte, semble inconscient. Son visage est maculé de sang, comme le sol au niveau de sa tête.
Autour de lui, une dizaine de fonctionnaires de police font les cent pas et maintiennent les quelques témoins – dont deux journalistes de Marsactu présents sur place – à distance. Il est 22 h 50. À l’hôpital de la Timone où Otman sera examiné à 0 h 35, les médecins lui découvriront quatre fractures au visage.
Coups de pied au visage
Otman ressortait du tabac pillé lorsqu’une vingtaine de policiers sont remontés à son niveau en courant. C’est à ce moment qu’il est interpellé avec deux autres hommes. Une arrestation que plusieurs témoins et riverains contactés par Marsactu décrivent spontanément comme « très violente. » Dans sa plainte, Otman explique avoir été « ceinturé par un policier » qu’il décrit comme « très grand et très imposant », soulevé, puis « [jeté] violemment à plat au sol ». Le dépôt de plainte détaille : « Il perd alors quasiment connaissance, et ne dispose pas de souvenirs précis. Il a seulement le sentiment d’avoir reçu une pluie de coups, et d’entendre des gens crier : “Arrêtez, vous allez le tuer”. »
Plusieurs vidéos de cette séquence ont circulé sur les réseaux sociaux. Sur l’une d’elles, on perçoit distinctement un policier donner plusieurs coups de matraque à Otman, au sol et encerclé par une douzaine d’agents. La majorité des fonctionnaires sont en tenue de maintien de l’ordre. Pour la plupart, ils portent des cagoules ou bien des casques équipés de deux bandes bleues.
Un riverain qui a vu la scène raconte : « Nous voyons les policiers interpeller les hommes, dont un de manière très très violente. Ils l’ont jeté au sol puis immédiatement frappé. C’était direct : ils l’attrapent et ils le matraquent. Ils étaient cinq sur lui. » Ce témoin confirme qu’Otman est alors « à quatre pattes pour se protéger. Il ne rend pas les coups, il ne se débat pas. À un moment, je vois ses jambes qui bougent. Et après, elles ne bougent plus ».
Une autre témoin, dont l’attestation est versée au dossier, écrit : « Au bout d’un moment, la personne ne criait plus et semblait inconsciente. J’ai pensé qu’ils voulaient littéralement la réduire en bouillie. Les passants inquiets leur criaient d’arrêter mais les policiers continuaient de frapper. »
Un troisième témoin contacté par Marsactu se dit encore sous le choc de ce qu’il a vu : « J’ai hurlé : “Arrêtez ! Arrêtez ! Vous allez le tuer !” C’était horrible. Cette scène était traumatisante. Ils le frappaient à la tête avec leurs matraques. Ce degré de violence était totalement injustifié. »
Nicolas Chambardon, l’avocat d’Otman, partage ce point de vue. « Pendant plusieurs minutes après les coups de matraque et les coups de pied, un homme est resté au sol, dans son propre sang, les os du visage brisés, menotté alors qu’il était inanimé, détaille-t-il. Une enquête est en cours pour établir les responsabilités. Mais au regard de la loi, il me paraît clair qu’une telle violence n’était pas nécessaire et qu’elle a été exercée de manière totalement disproportionnée. »
Premiers secours
Pendant ce temps, les deux autres hommes interpellés à la sortie du tabac sont conduits jusqu’au fourgon de police. Leurs fiches de mise à disposition, consultées par Marsactu, indiquent qu’ils sont alors mis en cause pour des vols à l’intérieur du commerce. Elles révèlent aussi que les policiers interpellateurs appartiennent tous au service interdépartemental de sécurisation des transports en commun (SISTC). Otman dispose aussi d’une fiche de « mise à disposition ». Elle est datée de 22 h 45. Mais en haut de celle-ci, un agent a écrit en lettres majuscules : « non interpellé ». Car Otman ne repartira pas avec les policiers, mais avec les pompiers.
Lorsque la pluie de coups s’arrête, une vidéo versée à la plainte montre Otman seul à plat ventre et menotté, inerte, le visage en sang. « Les policiers ne [lui] portent pas secours malgré son inanimation totale et le sang qui s’écoule de sa tête », lit-on dans la plainte. C’est à ce moment que les fonctionnaires tentent de tenir les témoins à distance. Mais deux internes en huitième année de médecine parviennent à atteindre le blessé. « Il y avait du sang partout sur son visage et sur le sol autour de lui. J’ai essayé de voir s’il s’agissait d’une plaie hémorragique à comprimer. Mais il y avait tellement de sang, je ne trouvais pas d’où cela venait », indique Lou*. La soignante poursuit : « Je demande à un policier si cet homme a reçu un tir de flashball. On me répond non, qu’il a dû se couper avec du verre. Mais on ne finit pas dans cet état-là quand on se coupe avec du verre ! »
La jeune femme poursuit son auscultation et décèle chez l’homme étendu « un état de conscience altéré : il bredouille et il est perdu. Je m’aperçois qu’il a envie de vomir. Ce réflexe nauséeux est l’un des signes de trauma crânien. Avec mon camarade, nous demandons qu’ils lui enlèvent les menottes pour qu’on puisse le placer en position latérale de sécurité ». Elle doit négocier avant que les policiers finissent par accepter. La future médecin réalise alors un score de Glasgow. Cette classification des comas traumatiques permet d’évaluer l’état de conscience d’un patient : « On vérifie l’ouverture des yeux et les réponses verbales et motrices. En parfaite santé, nous sommes à 15, un patient à 8 est dans le coma et à 3 c’est le coma profond. L’homme à terre est à moins de 12 », précise-t-elle.
Coralie Bonnefoy, Clara Martot Bacry (Marsactu)
30 août 2023 à 14h51
https://www.mediapart.fr/journal/france/300823/emeutes-un-policier-marseillais-en-garde-vue-pour-avoir-fracasse-le-visage-d-otman
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