Originaire de l'agglomération de Rouen, Arthur Lamboy-Martin a livré un mémoire de Master sur les prisons normandes pendant la Guerre d'Algérie. On y apprend beaucoup de choses.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Normandie compte une vingtaine d’établissements pénitentiaires. Entre 1953 et 1955, 10 d’entre eux seront fermés définitivement pour cause d’insalubrité. Les autres de 1954 à 1964, seront occupés dans un premier temps par des détenus, militants du FLN et du Mouvement national algérien puis par les condamnés politiques de l’OAS, Organisation de l’Armée secrète.
La cohabitation avec les détenus de droit commun ne fut pas facile. C’est ce qu’a cherché à analyser pour un mémoire universitaire Arthur Lamboy-Martin, un étudiant de Mont-Saint-Aignan, près de Rouen (Seine-Maritime).
Né au Belvédère, ancien élève du lycée Corneille, à Rouen, Arthur Lamboy-Martin, 23 ans, se passionne pour l’histoire et consacre une grande partie de ses journées à la lecture d’ouvrages historiques tout en pratiquant pendant le temps qui lui reste l’escalade, la course à pied et la natation. Étudiant depuis 2016 à l’Université de Rouen, licencié d’histoire, il a trouvé sur sa route du Master Valorisation du Patrimoine L2, deux professeurs captivants : Yves Bouvier, venu de la Sorbonne professeur en histoire contemporaine et Marc André, maître de conférences, un des meilleurs connaisseurs de l’Histoire de la prison en France aux XIXe et XXe siècles. Il publiera en septembre prochain chez ENS Editions Une prison pour mémoire, Montluc de 1944 à nos jours. Il prend la direction du mémoire de master d’histoire d’Arthur sur Les prisons normandes pendant la guerre d’Algérie, 1954/1964.
Pendant deux ans, l’étudiant, véritable fourmi, va se plonger dans les archives conséquentes sur le sujet, aux Archives Nationales et aux Archives départementales de Seine-Maritime, lire les ouvrages parmi d’autres de Benjamin Stora sur la colonisation et la Guerre d’Algérie (en janvier 2021, il avait remis au Président Macron un rapport sur le sujet) ; de Jean-Pax Méfret, 1962, l’été du malheur paru en 2007, il fut détenu politique à 18 ans à Rouen ; de Jacqueline Gerroudj Douars et prisons. Cette militante, enseignante en Algérie, épousa la cause des combattants algériens pour l’indépendance. Arrêtée, condamnée à mort, graciée le 8 mars 1962, elle est morte en 2015.
Neuf prisons normandes
L’étudiant résume : « De novembre 1954 à juillet 1962, la France est bouleversée par la Guerre d’Algérie. Durant ce conflit, à travers les territoires d’Algérie et de métropole, des dizaines de milliers d’individus sont emprisonnés dans divers lieux : des commissariats, des camps, des hôpitaux, des prisons… L’état d’urgence en avril 1955 et les pouvoirs spéciaux votés en mars 1956 permettent à la France de se doter d’un arsenal judiciaire puissant et de condamner aisément des militants politiques. Nombre d’entre eux furent incarcérés à Rouen Bonne nouvelle, capacité de 500 places, Le Havre et Maison centrale de Caen, 400 places. Neuf prisons au total en Normandie. Les prisons normandes renvoient à tous types d’établissements dans lesquels des individus auraient pu être détenus ; des prisons classiques comme des maisons d’arrêt, des centrales, des centres de triage et d’observation mais aussi des camps, des hôpitaux, des écoles. La Guerre d’Algérie engendre une profusion d’incarcérations en Normandie car les prisons parisiennes sont rapidement encombrées. »
Dès les Accords d’Evian, les militants algériens sont libérés, en revanche, une part considérable des détenus OAS demeure en prison après 62, ainsi que certains objecteurs de conscience. Ils seront libérés en décembre 1964 puis en 1965 et 1966, les derniers en 1968.
La famille Hollande
Pour son mémoire, l’étudiant normand aurait aimé mener des enquêtes orales. Contacté, Jean-Pax Méfret, devenu journaliste et auteur-compositeur-interprète, n’a pas répondu. Philippe de Villiers a décliné. Ce dernier, dans son livre Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, évoque les visites qu’il rendait en famille, hiver 1964, à son père Jacques à la maison d’arrêt de Rouen. Ce dernier était incarcéré pour son rôle au sein de l’OAS. Philippe de Villiers indique que Georges Hollande, père de l’ancien Président de la République, médecin ORL à Bois-Guillaume, organisait des collectes de vêtements à Rouen que Jacques de Villiers, délégué des embastillés, distribuait à Bonne-Nouvelle aux officiers morts de froid.
Interrogé au cours d’un entretien accordé à Arthur Lamboy à Paris, il confirme : « Je me souviens des conversations à la maison et du soutien que mon père apportait aux partisans de l’Algérie française. Ces collectes étaient ponctuelles. Il était grandement investi dans les actions de solidarité. Je me souviens que certains détenus activistes, après leur libération, étaient accueillis chez nous. Certains y ont même dormi une nuit avant de repartir dans leur famille »
Constat final : la Guerre d’Algérie a beaucoup transformé les prisons françaises et notamment les normandes. Transformé aussi sans doute l’étudiant en histoire qui aimerait bien trouver plus tard un métier lié au patrimoine. Nul doute que ce travail sera livré un jour prochain au public.
ALGER- Le 25 septembre 1962 était proclamée la République algérienne démocratique et populaire, aboutissement d'un long et âpre combat du peuple algérien contre le colonialisme français qui, 132 ans durant, a tout fait pour asservir le peuple algérien en le dépossédant de sa terre et en le maintenant dans un état d'arriération.
Le texte proclamant la naissance de la République algérienne, adopté par l'Assemblée nationale constituante, énonce que "l'Algérie est une République démocratique et populaire assurant aux citoyennes et aux citoyens l'exercice de leurs libertés fondamentales et de leurs droits imprescriptibles".
L'Assemblée nationale constituante déclare dans la proclamation que la République algérienne, "en tant qu'organisme représentatif du peuple algérien", est "seule dépositaire et gardienne de la souveraineté nationale à l'intérieur et à l'extérieur".
Cette proclamation a mis fin définitivement et de manière irrévocable au déni par la France de la réalité algérienne et à ses prétentions de faire de l'Algérie un territoire français.
Elle a donné de la visibilité à l'Algérie en tant qu'entité politique et juridique sur la scène internationale. Quinze jours après l'annonce de la naissance de la République algérienne par le président de l'Assemblée nationale constituante, Ferhat Abbas, l'Algérie était devenu le 109ème pays membre de l'Organisation des Nations unies.
La proclamation faisait suite, aussi, à la signature, le 18 mars 1962, des Accords d'Evian entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et les représentants du gouvernement français, et au référendum d'autodétermination en Algérie, le 1er juillet de la même année, par lequel le peuple algérien s'était prononcé pour l'indépendance de l'Algérie.
Sur le plan institutionnel, elle signifiait qu'il était mis fin aux attributions et pouvoirs respectifs de deux organismes transitoires, en l'occurrence le GPRA et à l'Exécutif provisoire, issues du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), attributions et pouvoirs transférés à la République algérienne.
C'est dans ce cadre que le 29 septembre, Ahmed Ben Bella, un des dirigeants historiques de la Révolution, était investi par l'Assemblée nationale constituante premier président du Conseil des ministres.
La proclamation de la République algérienne a marqué, surtout, le début de la mise en place des institutions de l'Algérie indépendante et du processus d'édification nationale, dans un pays exsangue, ravagé par un colonialisme prédateur qui a bâtit une économie basée sur le pillage des ressources au service exclusif des intérêts économiques de la France.
Redressement et reprise du processus d'édification
L'Algérie a repris, aujourd'hui, sa marche vers le progrès et le développement socio-économique, grâce au parachèvement du processus d'édification institutionnel et à la consolidation de sa stabilité.
Le processus de redressement a commencé avec l'élection de M. Abdelmadjid Tebboune, à la présidence de la République, le 12 décembre 2019, qui a marqué le début de la concrétisation de ses 54 engagements pour une Nouvelle République.
Cette démarche a été entamée par la révision, le 1er novembre 2020, de la Constitution, dont les principaux amendements ont porté sur la limitation du renouvellement du mandat présidentiel à une seule fois, pour prévenir les dérives autocratiques, et la séparation et l'équilibre des pouvoirs pour consacrer l'Etat de droit, suivie d'élections législatives, le 12 juin de la même année, et d'élections locales, le 27 novembre de l'année suivante.
Dans le même temps, le Président Tebboune à pris plusieurs mesures pour relancer l'économie et la libérer des contraintes bureaucratiques (des centaines de projets d'investissement ont été ainsi débloqués), tout en veillant à préserver le pouvoir d'achat des citoyens, dans une conjoncture marquée par le renchérissement des prix des matières premières, comme conséquence de la pandémie de la Covid-19 et la crise en Ukraine.
Sur la scène internationale, l'Algérie, qui s'apprête à accueillir le Sommet de la Ligue arabe, joue de nouveau un rôle de premier plan.
Forte de sa position de principe traditionnelle de non ingérence dans les affaires internes des autres pays et de son action diplomatique au service de la paix et du développement dans le monde, sa voix est écoutée et respectée.
Sa médiation dans les dossiers malien et libyen, entre-autres, est hautement appréciée, car s'opérant dans le respect de la souveraineté des pays concernés et ne s'inscrivant nullement dans les agendas de puissances étrangères.
Né à Lyon de parents originaires de Sétif, en Algérie, Azouz Begag n’a évidemment pas manqué de suivre de près les déclarations du président français, qui doit terminer ce samedi 27 août une visite officielle de trois jours en Algérie, et celles de son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune. Ancien ministre français délégué à la Promotion de l’égalité des chances du gouvernement de Dominique de Villepin, il a désormais tourné la page de la politique politicienne, et revendique une liberté de parole retrouvée. Mais pour l’écrivain, scénariste et chercheur, la création et le politique se côtoient dans son œuvre comme dans son parcours.
Pour Azouz Begag, l’année littéraire a d’ailleurs été faste. Il a d’abord publié L’Arbre ou la maison (éd. Julliard, 2021), roman dans la veine autobiographique de son immense succès Le Gone du Chaâba (éd. Seuil, 1986). Puis Les Français ont encore leur mot à dire (éd. Plon, 2022), essai qui prend le pouls de la société française en proie à la montée de l’extrême droite. Pour Jeune Afrique, il livre également son regard sur les relations complexes entre l’Algérie et la France, en insistant particulièrement sur la question mémorielle.
Jeune Afrique : Dans votre dernier livre, Les Français ont encore leur mot à dire, le chapitre « L’Algérie, toujours et encore » commence par : « Soixante ans après son indépendance, l’Algérie fait encore jaser en France. » Emmanuel Macron s’apprête à clore, ce samedi, trois jours d’une visite officielle très attendue. Comment expliquer que les relations entre la France et l’Algérie soient aussi tendues ?
Azouz Begag : On n’efface pas cent-trente-deux ans de brutale colonisation en soixante ans ! Il y a tant de non-dits, de choses non-avouées, non-reconnues, qui sont encore enfouis dans les mémoires de là-bas et d’ici. La colonisation et la guerre qui a suivi ont créé des traumatismes de longue durée. À leur propos, chaque mot prononcé hier et aujourd’hui – « évènement », « crime contre l’humanité », « repentance » – a une charge émotionnelle insoupçonnable. L’hypersensibilité française et algérienne est encore très forte.
L’histoire de la colonisation et de la guerre sont-elles bien transmises en France et en Algérie ?
Bien sûr que non ! Qui connaît en France l’émir Abdelkader ? Qui sait ce que signifie « smala » ? Aux États-Unis, dans l’État de l’Iowa, une ville a été dédiée à l’émir Abdelkader : Elkader city ! Pour lui rendre hommage. En France, le maréchal Bugeaud est bien plus célébré que l’émir. Et pourtant…
Pensez-vous que le nouveau contexte géopolitique peut avoir un impact sur ces relations et, plus généralement, sur la politique étrangère algérienne ?
La manne gazière, qui a pris une valeur encore plus stratégique en raison des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, est en train de changer la donne pour le pouvoir et le peuple. L’Algérie est aujourd’hui courtisée pour ses richesses gazières. Elle a les cartes en main. J’espère qu’elles vont être utilisées pour améliorer le sort des millions de jeunes qui veulent se construire un avenir dans leur pays.
Le peuple algérien, en particulier sa jeunesse, s’est révolté en 2019, mais, malgré la chute de Bouteflika, nombreux sont ceux qui considèrent que l’ancien régime est resté en place, sous une nouvelle forme. Le Hirak a-t-il été un échec ou un premier jalon vers un véritable changement ?
Actuellement, le pouvoir en place ne peut pas ignorer la colère qui gronde chez nombre d’Algériens frustrés par leur sort et qui ne veulent plus s’y résigner. En ce sens, le Hirak laissera des traces dans l’histoire. Notamment celle d’un beau mouvement populaire cité en exemple dans le monde entier.
Comment sortir de ce qui ressemble à une impasse dans les relations entre le Maroc et l’Algérie ?
Les peuples algérien et marocain sont frères. Dans leur cœur, il n’y a pas de frontières. Le bon sens populaire va aider à la solution politique des différends qui minent ces deux pays depuis des décennies.
Vous portez un regard très critique sur l’évolution du débat politique en France. Dans votre livre, vous évoquez le « grand remplacement ». Comment a-t-on pu en arriver là en France ?
Comme « race », « islamo-gauchisme », la formule « grand remplacement » est d’une perversité effrayante. Elle voudrait rendre compte d’une invasion des barbares qui se ferait par les canalisations de la société. L’antisémitisme s’est toujours nourri de ces odieuses imageries. « On n’est plus chez nous ! » J’entends ce slogan depuis une génération. Qui sont les « nous » qui se revendiquent légitimes chez eux et souhaiteraient purifier la France et son identité ?
Le zemmourisme s’est abreuvé depuis une dizaine d’années à cette source profonde et féconde du racisme élémentaire. Zemmour est enterré, mais 89 députés du Rassemblement national sont entrés à l’Assemblée nationale pour défendre ses idées au sein même de la République. La France a tellement changé. C’est anxiogène.
Vous parlez également de « l’islamo-gauchisme » en dénonçant le flou du terme. Certains l’ont utilisé pour dénoncer son influence dans le milieu universitaire que vous connaissez bien. De quoi ce mot est-il le nom ?
C’est vraiment un vocable nauséabond. Il ne veut rien dire du tout, mais signifie beaucoup dans les esprits des gens qui le colportent. Quand je pense que Frédérique Vidal, l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur voulait commander une étude au CNRS pour cerner l’ampleur de ce soi-disant fléau qui gangrènerait l’université. Pure folie !
L’écrivain Salman Rushdie a été victime d’une attaque au couteau. Êtes-vous inquiet quant aux atteintes à la liberté d’expression ? Que pensez-vous du droit au blasphème ?
Personnellement, je ne pratique jamais le blasphème. Je respecte trop les croyants de toutes religions. En tant qu’écrivain, cependant, j’interdis quiconque d’interdire à un artiste la totale et libre expression de sa vision du monde. Je suis voltairien. Je suis un amoureux éperdu de la liberté.
Quels sont vos projets littéraires ?
Je termine un roman d’amour sur la jalousie maladive et ses terribles conséquences sur l’équilibre d’un couple.
Et vos projets politiques ?
C’est fini depuis longtemps. J’en suis content. Je suis libre !
Dans « Les Vertueux », Yasmina Khadra évoque les Turcos de l’armée française. Un roman dont le souffle épique est au service de la mémoire collective. Interview.
Difficile de se réinventer quand, comme Yasmina Khadra, on a écrit une œuvre aussi riche et passionnante. Et pourtant, avec Les Vertueux, l’écrivain algérien, aujourd’hui âgé de 67 ans, parvient encore à nous surprendre. Toujours aussi inspiré lorsqu’il parle de son pays, il ressuscite la mémoire des Turcos, les tirailleurs algériens qui ont servi dans l’armée française, et nous plonge dans les tranchées de la première guerre mondiale, au sein de leur héroïque deuxième régiment.
Parmi les Turcos, Yacine Chéraga, à peine sorti de l’adolescence, contraint de faire la guerre à la place du fils d’un caïd qui a pouvoir de vie et de mort sur le jeune homme et sa famille. Yacine s’illustre sur les champs de bataille sous le nom de caporal Hamza.
Ce n’est que la première partie d’une fresque épique qui fait vibrer la corde sensible des grands sentiments humains. Selon les propres dires de Yasmina Khadra, « dévoiler un seul pan de cette histoire gâcherait tout le reste ». C’est pourquoi nous resterons discrets sur les multiples rebondissements qui nous captivent du début à la fin.
Lors de son retour en Algérie, après la guerre, Yacine demande à Sid, son frère d’armes : « Alors pourquoi ne se souviendrait-on pas de nous autres [les tirailleurs algériens] ? — Parce que c’est comme ça. Si nous avons été égaux dans le martyre, l’Histoire ne retiendra que les héros qui l’arrangent », répond Sid. Par la puissance de sa plume, Khadra met des noms, des visages, des récits sur ces grands oubliés de l’Histoire.
Jeune Afrique : D’où vous est venue l’idée de ce roman ?
Yasmina Khadra : Elle s’est ancrée en moi il y a une quinzaine d’années, quand j’ai préfacé une bande dessinée consacrée aux Turcos. Ne me manquait plus qu’à trouver une bonne histoire capable de nous transporter, de nous faire vivre une époque qui expliquerait pourquoi nous sommes devenus un peuple d’écorchés vifs. Yacine Chéraga, mon personnage principal, m’a paru à même d’incarner ce que les Algériens de la première moitié du siècle dernier ont traversé.
C’était une époque où les paradoxes s’affrontaient sans pour autant se croiser. Les différentes communautés évoluaient dans des mondes parallèles. Face aux milliers de questions qui se posaient, les réponses étaient rares et n’expliquaient pas grand-chose. Yacine était dans cette perplexité permanente. Il subissait sans savoir pourquoi. La Grande Guerre, la trahison, la traque, la peur et les aléas de la loyauté le rendaient étranger à lui-même. Cependant, grâce à sa candeur prophétique, il continuait à garder le cap, tirant de chaque épreuve une formidable leçon de vie. Les Vertueux sont une escale dans la mémoire tourmentée, une sorte de conjuration que je laisse découvrir au lecteur. Dévoiler un seul pan de cette histoire gâcherait tout le reste.
Comme tous les habitants du douar, Yacine est un miséreux, voué à le rester toute sa vie. L’armée, dans laquelle il est enrôlé de force, est-elle paradoxalement une chance pour lui d’échapper au système féodal qui règne alors ?
Yacine n’a pas accepté de partir à la guerre pour échapper à la tyrannie du caïd, ni pour offrir à sa famille les moyens d’une existence décente. Il n’a pas eu le choix. Le caïd a été très clair. La menace qui pesait sur lui en cas de refus ne faisait aucun doute.
À l’époque, certains caïds se permettaient tout. C’étaient des satrapes, pour qui la vie d’un sujet n’avait pas plus de valeur que celle d’un mouton sacrificiel. Ils bénéficiaient d’une impunité absolue aux yeux de l’administration coloniale, qui leur avait délégué une partie de son autorité afin d’assujettir « la populace ». Beaucoup de caïds ont participé à la spoliation des terres appartenant aux autochtones pour les céder aux colons. Les incessantes insurrections du peuple algérien ont souvent été torpillées par la trahison de ces mêmes caïds. Le roman s’attarde sur ces faits-là.
L’histoire des Turcos, et des soldats coloniaux en général, est-elle suffisamment racontée en France et en Algérie ?
Qui se souvient des Turcos aujourd’hui, notamment en Algérie ? Les nouvelles générations n’en entendent même pas parler. Dans nos livres d’histoire, on se limite à la guerre de libération de 1954-1962. Nos héros sont les maquisards et leurs dirigeants. Les Turcos, eux, sont perçus chez nous comme des souvenirs dérangeants. Ils étaient les soldats de la France.
Quand le seul fait d’écrire en français est considéré comme une infâme allégeance à la France, imaginez comment sont perçus ceux qui sont morts ou qui ont combattu sous l’uniforme français ! Il ne s’agit pas là de traumatismes historiques, mais d’un besoin maladif de s’inventer des ennemis, des souffre-douleur et des boucs émissaires. Le mal est profond. Pour certains, la seule culture qui reste est la culture de l’invective, de la diabolisation et de l’exclusion. Cette attitude se veut « légitime ». Ceux qui n’ont pas d’arguments choisissent la dramatisation outrancière et l’animosité criarde pour se donner de l’importance et un minimum de contenance.
« Les Vertueux », de Yasmina Khadra, Mialet-Barrault Éditeurs.
Vos scènes de bataille sont saisissantes. Vous êtes-vous servi de votre expérience militaire pour vous mettre à la place de vos personnages ?
L’écrivain a cette faculté de s’interroger sur les époques et les événements, puis de se les approprier. C’est sa vocation. Beaucoup d’auteurs ont magistralement décrit la guerre sans avoir tiré un seul coup de feu, sans même avoir touché à un fusil. Pour ce qui me concerne, peut-être mon expérience militaire m’a-t-elle aidé à mieux cerner l’absurdité des hommes. Je n’ai pas raconté la guerre, je l’ai écoutée avant de la traduire aux lecteurs. Les événements que je relate ne sont que des supports destinés à exposer les états d’âme de ceux qu’on envoie au charbon sans qu’ils sachent, au juste, pourquoi on leur fait croire que se trouver sur un champ de bataille est plus gratifiant que d’être dans le lit d’une femme.
Dans l’Algérie colonisée que vous dépeignez, il y a énormément de misère, et aussi une petite frange de bourgeois musulmans que Yacine côtoie. La colonisation est-elle l’enfant du capitalisme ?
Aucun rapport. L’Algérie était une nation moderne avant 1830. Elle avait autant de madrasa que la France avait d’écoles. Elle avait ses poètes, ses savants, ses architectes, ses hommes d’affaires, ses administrateurs, ses seigneurs, ses jardins d’Eden, ses médinas florissantes. Et elle comptait énormément de familles riches. Certaines d’entre elles ont financé les différentes insurrections qui ont jalonné les cent trente-deux ans d’occupation. L’histoire coloniale a occulté cette réalité pour se focaliser sur les franges sociales défavorisées, afin de montrer la colonisation sous l’habit humanitaire et civilisationnel.
Yacine a beaucoup enduré et, pourtant, il pardonne. Peut-on tout pardonner individuellement ? Peut-on et doit-on tout pardonner collectivement, en particulier l’histoire coloniale de la France en Algérie et dans le monde ?
Le pardon est un accès à la libération de soi-même. Chacun est libre de choisir la façon de renaître de ses meurtrissures. On peut soit tourner la page et ouvrir un nouveau chapitre pour aller de l’avant, soit se verrouiller dans la frustration et cohabiter avec ses vieux démons jusqu’à ce que mort s’ensuive. Tourner la page ne signifie pas l’effacer. La mémoire se doit d’être préservée, mais elle ne doit pas chahuter l’aube des lendemains qui chantent.
Or c’est exactement l’effet inverse qui se produit de nos jours. En France comme en Algérie, les vieux démons veillent au grain. Pour quel dessein ? Aucun de sérieux. On entretient la haine faute de savoir se recueillir sur les morts en pensant aux générations de demain, qui n’ont aucune raison de porter sur leurs épaules et dans leur conscience les méfaits de leurs ancêtres. Il existe, hélas, des gens qui sont persuadés que la rancœur est l’unique port d’attache qui leur reste en ce monde à la dérive.
Vous parlez de l’absurdité de la première guerre mondiale et ce mot, qui revient à plusieurs reprises, fait écho à l’actualité. Une troisième guerre mondiale est-elle possible ?
Je ne pense pas à la guerre, mais à ses victimes, à ces jeunes qui aspirent à vivre le peu de joies que l’existence leur concède et qui sont appelés à mourir pour des slogans aussi creux que les douilles des balles perdues. La guerre est la plus grande arnaque que les hommes aient inventée depuis qu’on leur a fait croire qu’il existe des causes plus importantes que leur vie.
Tant que l’on continuera à « s’atomiser » les uns les autres afin que les harangues belliqueuses nous paraissent plus enthousiasmantes que nos propres chants intérieurs, les tambours funèbres supplanteront toutes les symphonies de nos rêves et de nos certitudes. Heureux celui qui envoie au diable les causes idéologiques pour s’émerveiller devant une coccinelle courant sur du gazon ou un colibri s’abreuvant dans une corolle de fleur. Dans L’Attentat, j’ai écrit : « Il n’y a rien au-dessus de ma vie, et ma vie n’est pas au-dessus de celle des autres. » C’est peut-être ce que l’on devrait se répéter, de temps en temps, pour s’éveiller à la vérité, c’est-à-dire à la plus juste des causes : vivre et laisser vivre.
Les Vertueux, de Yasmina Khadra, Mialet-Barrault Éditeurs, 541 pages, 21 euros
ttérature peut-elle nuire ? C’est l’une des questions qui traversent le cinquième roman de Kaouther Adimi, « Au vent mauvais », qui se déroule sur fond d’histoire de l’Algérie au XXe siècle.
Tarek et Leïla sont mis en scène par leur ami d’enfance, Saïd, dans un livre. Une publication qui transforme leur vie, percutée par ailleurs par la colonisation, la guerre mondiale, les luttes d’indépendance et la guerre civile.
Un récit fictionnel où l’on croise aussi Frantz Fanon, les Black Panthers, Yacef Saadi, la musique de Warda Al-Jazaïria, un récit qui nous entraîne, en un souffle, d’Alger à Rome en passant par Paris. Rencontre avec son autrice, Kaouther Adimi.
Jeune Afrique : Au vent mauvais s’inspire de l’histoire de vos grands-parents. Quand commence la fiction ?
Kaouther Adimi : Il y a une idée de départ : moi, qui reconnais dans un roman publié en Algérie mes grands-parents, car ils sont nommés et qu’il s’agit du même village où j’ai passé du temps. Après, j’ai imaginé tout le reste. Je dédie le livre à mes grands-parents car ils sont en quelque sorte à l’origine de cette idée, mais passée la dédicace, il n’y a que le roman. L’écrivaine disparaît – du moins jusqu’aux ultimes pages.
Le roman a pour décor l’histoire politique de l’Algérie au XXe siècle. Saïd, qui a fait de ses amis d’enfance, Tarek et Leïla, des héros de roman, dit qu’il s’agit de » « personnages dont les trajectoires ont été déterminées par les bouleversements du pays ».
Je crois que le XXe siècle fracasse Tarek et Leïla. Ils subissent la seconde guerre mondiale, la guerre d’Algérie, puis la parution du roman de Saïd qui les force à fuir et, enfin, la guerre civile. S’ils ne sont pas déterminés uniquement par les bouleversements de l’Algérie, ils sont en prise avec ces événements. Que faire à l’intérieur de ce cadre ? Tarek comme Leïla vont dévier de leur trajectoire initiale. Le premier en partant à Rome, la seconde en apprenant à lire. La parution du livre de Saïd va les forcer à prendre une nouvelle voie.
Vous faites référence à plusieurs pages de l’Histoire, dont la mutinerie de Versailles de 1944. Pouvez-vous revenir sur cet épisode méconnu ?
Le roman est constitué d’ellipses car ce n’est pas un roman historique. Je ne voulais pas que la grande histoire prenne le pas sur les trajectoires des personnages, mais pour autant, je ne pouvais pas faire abstraction de certains événements. Il me fallait par exemple trouver une façon de raconter le début et la fin de la seconde guerre mondiale sans être expéditive ni convenue. Lors de recherches, j’ai lu un article d’Emmanuel Blanchard sur une révolte de soldats nord-africains à Versailles, en décembre 1944. J’ai contacté les archives départementales des Yvelines et fouillé des tas de boîtes de documents. J’ai pu lire la correspondance du ministère de l’Intérieur, des militaires et officiels de l’époque.
L’histoire m’a semblé extraordinaire : il y avait ces centaines de soldats africains cantonnés à Versailles au lendemain de la libération de la ville, qui attendaient de pouvoir rentrer chez eux après deux ou trois ans au front ou dans les camps et qui vivaient dans des conditions déplorables. Peu à peu, le cinéma, les cafés, l’alcool leur ont été interdits par toute une série d’arrêtés, jusqu’à l’arrestation de trois d’entre eux et la mutinerie d’une partie des soldats. Ce qui donne lieu quelques semaines plus tard à une rafle organisée par le ministère de l’Intérieur. Tarek est au centre de cette révolte.
Le film La Bataille d’Alger et sa fabrication est une autre page importante racontée dans Au vent mauvais. Pourquoi ?
J’ai été marquée par le fait que ce tournage a eu lieu au lendemain de l’indépendance dans les lieux mêmes de la bataille d’Alger, filmé avec des acteurs non professionnels, des gens qui avaient connu la guerre. La réception du film est intéressante aussi : la France a mis des années à délivrer le visa d‘exploitation, les rares cinémas à l’avoir programmé ont dû faire face à une hostilité importante orchestrée par l’extrême droite et les nostalgiques de la colonisation… Pour Tarek, le tournage de La Bataille d’Alger, c’est ce moment où il réalise que la guerre perdure, à Alger dans les lieux de la guerre, mais aussi en banlieue parisienne.
Suite à une agression à Paris, Tarek décide de laisser derrière lui « la France, l’Algérie et tout ce merdier ». À quoi sert sa parenthèse à Rome ?
C’est un temps suspendu et le seul coup de folie que s’autorise Tarek, une folie nécessaire car il peut enfin mettre de côté ses démons, oublier un temps les guerres. C’est aussi, peut-être, une façon de dire que s’éloigner de l’axe Algérie-France permet une distance salutaire.
Votre année de résidence à la villa Médicis à Rome a-t-elle permis cela ?
J’ai été heureuse de pouvoir m’éloigner un peu, de ne pas être en France pendant l’année électorale, même si les débats puants sont tout de même arrivés jusqu’à moi. Rome a été pour moi, en revanche, un moment important de rencontre avec des artistes exceptionnels.
Le récit s’ouvre avec la mention des essais nucléaires effectués par la France en Algérie. Le premier « vent mauvais ». Dans quelle mesure le « vent mauvais » est à la fois l’absence de récits tout autant que la dominance de certains autres ?
Le vent mauvais c’est surtout cette chose présente dans les airs et autour de nous, malgré le temps qui passe, et auquel on ne peut échapper.
Ai-je le droit à un joker ? Son déplacement s’inscrit dans une relation entre l’Algérie et la France, qui, quoiqu’on en dise, est importante de par les liens humains, commerciaux, historiques, etc. Ce qui est perturbant dans la position d’Emmanuel Macron, c’est l’évolution du discours : il parlait de crime contre l’humanité lorsqu’il était candidat et aurait pu faire espérer beaucoup. Une ouverture réelle des archives, une approche différente sur les questions d’indemnités pour tous ceux et celles qui ont subi les essais nucléaires, les tortures, les crimes de guerre…
Quelle est la place de la guerre d’Algérie, aujourd’hui, dans les relations franco-algériennes ?
C’est une épine dans le pied de la France et dans beaucoup de familles françaises, souvent avides d’histoires et de réponses, une épine qui s’est infectée. Emmanuel Macron ne veut pas retirer les épines, il veut seulement calmer les douleurs de manière superficielle, alors qu’il faudrait regarder le pied, examiner la plaie et arracher l’épine. Par ailleurs, l’Algérie comme la France font mine de ne pas voir que la question de la guerre d’Algérie concerne aussi la manière dont l’État français a construit sa relation avec les Algériens sur son sol et avec les Français d’origine algérienne.
L’État algérien actuel ne se préoccupe pas de la manière dont nous sommes traités, ce n’est pas un enjeu pour lui. Quant à Emmanuel Macron, il mène une politique islamophobe, portée par un ministère de l’Intérieur d’extrême droite, raciste, qui, chaque jour, contribue à faire de la France un pays de plus en plus dangereux pour les musulmans, les Français originaires du Maghreb, etc. Il est naïf de croire qu’il n’y a pas là un héritage colonial. Certains discours de Marlène Schiappa ne sont pas sans rappeler les discours des femmes de généraux à l’époque de la guerre. La façon de vouloir réglementer la vie des musulmans est directement inspirée de la colonisation. Je ne crois pas de mon côté à une possibilité de relation apaisée entre l’Algérie et la France si ce sujet n’est pas traité avec lucidité et courage.
« Qu’héritent nos enfants de nos peines ? » demande justement Leïla. Vos fictions sont-elles une manière de transmettre les impossibilités de dire ?
L’impossibilité de dire, de parler, de communiquer, d’interagir et en même temps d’oublier sont des thèmes récurrents de mes romans. C’était déjà le cas dans mon premier livre, Des ballerines de Papicha, où chaque membre d’une famille racontait sa journée et se racontait, tout en étant incapables, les uns avec les autres, de la moindre interaction. La difficulté d’être soi, d’exister en tant qu’individu à part entière, de trouver le bon équilibre entre pudeur et parole, sont très présents dans Au vent mauvais.
Quels mots et quels silences vous ont été transmis ?
Je viens d’un pays où le silence est une forme de prolongement de la pudeur. On parle peu de nos douleurs et de nos drames, et c’est l’un des sujets du roman : que gardons-nous et que transmettons-nous des guerres que nous vivons ? Tarek et Leïla en subissent trois, dont ils ne parlent jamais à leurs enfants. Et leurs enfants et petits-enfants feront de même : moi-même, je n’évoque que rarement la guerre civile et ce que nous avons vécu dans les années 1990. Pour autant, ne rien dire ne signifie pas ne rien transmettre. Le silence est une forme d’héritage. Important, car il pousse celui qui le reçoit à essayer de découvrir ce qu’il recouvre.
Notre collaborateur Renaud de Rochebrune, dont les lecteurs de Jeune Afrique et de La Revue connaissent bien la signature, est brutalement décédé le 22 septembre à l’âge de 75 ans. Depuis les années 1970 et en parallèle de ses carrières d’auteur et d’éditeur, il n’avait jamais cessé de collaborer avec les publications du groupe.
« Et vous Renaud, qu’en pensez-vous ? » C’était une sorte de rituel, à Jeune Afrique comme à La Revue. Lorsqu’un grand sujet était débattu en conférence de rédaction, quand les avis s’opposaient, que les interprétations divergeaient, Béchir Ben Yahmed (décédé en 2021) aimait, souvent, se tourner vers Renaud de Rochebrune. Entré à Jeune Afrique dans les années 1970 après avoir commencé sa carrière au quotidien Le Monde, Renaud avait d’abord dirigé Economia, l’un des titres du groupe, avant d’occuper de multiples fonctions à JA, puis à La Revue. Silhouette longiligne enveloppée d’une veste délavée de couleur moutarde, l’intéressé se lançait, de sa voix éraillée à nulle autre pareille.
Lorsque BBY lui donnait la parole, il le faisait avec malice, presque avec amusement, tant tous les deux se connaissaient par cœur. Car Renaud, tous ceux qui l’ont côtoyé le savent, avait un avis sur (presque) tout. Et savait présenter et défendre cet avis avec talent, éloquence et, souvent, avec un peu d’entêtement. Qu’il s’agisse de parler de cinéma, du durcissement du régime chinois, des fluctuations du cours du pétrole, du bilan des socialistes au pouvoir en France, de littérature ou de la guerre d’Algérie, sa grande passion et la grande affaire de sa vie, Renaud avait toujours quelque chose à dire, et cela pouvait durer un certain temps. Et provoquer de virulents débats, dont BBY se régalait.
Éditeur, auteur, journaliste
Économiste de formation – il avait étudié à HEC, comme le fondateur de Jeune Afrique, ce qui contribuait à renforcer le lien particulier qui les unissait –, Renaud a eu mille vies. Journaliste bien sûr, mais aussi éditeur – chez Denoël, principalement –, auteur, historien, critique de cinéma… Cycliste, également, car le vélo était une passion qu’il a assouvie jusqu’au bout. Il racontait volontiers ses ascensions du célèbre Mont Ventoux, dans le sud de la France, et restait capable, à 70 ans passés, de s’embarquer pour l’Afrique du Sud avec un ami afin de participer à une course amateur organisée au Cap.
IL ÉTAIT TRÈS ÉRUDIT, TRÈS HISTORIEN, IL CONNAISSAIT DES MILLIARDS DE CHOSES
Auteur et éditeur, il avait collaboré à plusieurs biographies de personnages historiques tels que Mao ou Messali Hadj, et avait connu un certain succès au début des années 1990 avec son livre Les patrons sous l’occupation, coécrit avec son ami Jean-Claude Hazera.
Plus récemment, il avait publié avec Benjamin Stora une monumentale Guerre d’Algérie vue par les Algériens, dont les deux tomes sont parus en 2016 et en 2019. « Nous nous sommes rencontrés dans les années 1990, il était venu m’interviewer sur la guerre civile qui déchirait l’Algérie à ce moment-là et nous sommes très vite devenus amis. Il est venu me voir au Maroc et c’est là, je m’en souviens très bien, qu’il m’a proposé cette idée : écrire une histoire de la guerre d’Algérie, mais vue par les Algériens. J’ai dit oui, mais je ne pensais pas que cela nous prendrait vingt ans et que ce serait un travail aussi énorme », témoigne l’historien.
« Il travaillait tout le temps »
Les deux amis ne se sont plus quittés – Renaud était fidèle – et ont multiplié les travaux en commun, partant ensemble à Ramallah interviewer les dirigeants palestiniens, écrivant à quatre mains des articles sur le cinéma, l’une de leurs autres passions communes. « Il était très érudit, très historien, il connaissait des milliards de choses, se souvient encore Benjamin Stora. Il était toujours débordé, il travaillait tout le temps, jour et nuit. Renaud et moi, ce sont vraiment vingt ans de compagnonnage intellectuel. »
À 75 ANS, RENAUD RESTAIT SUR TOUS LES FRONTS
Avec Jeune Afrique aussi le compagnonnage fut long – près de cinquante ans – et fécond. Tour à tour journaliste, rédacteur en chef, conseiller, membre du comité éditorial, Renaud a été de toutes les aventures, suivant Béchir Ben Yahmed à La Revue tout en continuant de livrer des articles à JA.
« Nous nous étions rencontrés au milieu des années 1970, puis nous nous sommes retrouvés à La Revue, confirme son ami l’économiste et éditeur Marc Guillaume. Nous étions encore ensemble il y a une quinzaine de jours, je suis allé voir sa maison dans la Creuse, il est venu dans la mienne dans l’Aveyron. Nous avons parlé de vélo, nous voulions faire des ascensions ensemble, je l’avais associé à la revue d’écologie que je m’apprête à lancer, on avait mille projets… Je suis effondré. »
À 75 ans – qu’il a fêtés le 22 mars – Renaud restait sur tous les fronts. Son dernier article, nous l’avons publié mercredi dernier, il portait sur Ordalies, le tribunal de l’invisible, film subtil d’Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav sur les pratiques magiques au Congo. Son prochain texte aurait dû traiter du film The Woman King, sur les Amazones du Bénin. Lors de ses conversations sur le sujet avec le responsable des pages culture, il avait confié ne pas aimer le film, trop hollywoodien pour ses goûts d’esthète, mais il voulait tout de même en montrer les aspects les plus positifs. Déjà, il se préparait à aller voir Black Panther II, sans grand enthousiasme mais avec un sens consommé du devoir.
Indomptable
Plus à l’aise avec les films d’art et d’essai qu’avec les blockbusters grand public, il fuyait les mondanités du monde du cinéma, mais adorait tout de même suivre les grands raouts de la profession comme le Fespaco, à Ouagadougou, le Festival d’El Gouna en Égypte ou le festival de Cannes dans le sud de la France, qu’il ne manquait jamais. Il était d’ailleurs devenu l’un des meilleurs spécialistes du cinéma africain, dont il avait interviewé la plupart des grands réalisateurs.
Renaud de Rochebrune, c’était un de ces personnages n’entrant dans aucune case dont Béchir Ben Yahmed aimait à s’entourer. C’était aussi, à sa façon, un indomptable : dépourvu de tout goût pour la consommation, se contentant d’une vie intellectuelle intense, il menait sa barque en toute liberté. Sans Dieu ni maître. Salut, Renaud. Et merci.
Toute l’équipe de Jeune Afrique s’associe à la douleur de tes proches et de ta compagne, Françoise.
Slimane Zeghidour, journaliste à TV5MONDE, a grandi dans un camp de déplacés durant la guerre d'indépendance.
Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste à TV5MONDE, est né dans un village de montagne en Kabylie, où rien n'avait bougé depuis des siècles : ni la langue, ni les légendes, ni la mortalité infantile, ni l'habitude de vivre en communion avec la nature. Le gouvernement français durant la guerre d'Algérie décide de regrouper les villageois dans des camps pour les soustraire aux indépendantistes du FLN. À l'âge de 4 ans, Slimane Zeghidour est arraché à son village ancestral. Ce moment là est aussi pour lui la découverte de l'école, de l'hôpital, de la captivité et des "vrais Français". Témoignage.
TV5MONDE : Racontez-nous le cadre de votre enfance ? Comment vivez votre famille en Kabylie ?
Slimane Zeghidour : Je suis né le 20 septembre 1953 dans un hameau de Kabylie, un hameau complètement enclavé dans le Djébel. C'est à dire à l'écart de tout réseau routier administratif, routier ou postal. C'était un hameau où on ne voyait jamais d'Européen comme on disait à l'époque. Les seuls personnes du hameau qui avaient des contacts avec les Français, appelons les comme ça, étaient les aînés. C'était le cas de mon grand-père paternel. Il travaillait comme métayer chez des agriculteurs européens d'origine suisse à Sétif.
Sans la guerre, je ne serais pas là aujourd'hui pour témoigner. Je n'aurais pas connu l'école. Je n'aurais pas été soigné de la tuberculose. Deux frères et une soeur ont succombé à cette maladie.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Dans la mémoire du village, le rapport avec les Français était lié à la guerre. Des ancêtres étaient partis combattre au côté des Français lors de la guerre de Crimée (1853-1856) ou de la Première guerre mondiale (1914-1918).
Sans la guerre, je ne serais pas là aujourd'hui pour vous parler et témoigner. Je n'aurais pas connu l'école. Je n'aurais pas été soigné de la tuberculose. Deux frères et une soeur ont succombé à cette maladie. Je n'aurais jamais vu de Français.
Les "camps de regroupement" et la guerre d'Algérie. À partir de 1957, les militaires français décident de lutter contre la guérilla menée par le FLN en reprenant le contrôle de la population et en privant le FLN des moyens logistiques (abri, nourriture) qu'il obtient de gré ou de force auprès de la population. Pour cela, des zones interdites sont créées, où tout être vivant, homme ou animal, est abattu sans sommation. La population qui y vit est chassée de ses habitations et regroupée dans des villages de tentes. Plus d'un 1/3 de la population rurale algérienne sera regroupée dans ces camps, soit un peu plus de deux millions d'habitants selon l'historien Benjamin Stora. L'Algérie coloniale compte 10 millions d'habitants en 1954.
TV5MONDE : Comment était la vie quotidienne dans le village ?
La vie dans le village était assez morne, rythmée par les saisons. Nous nous éclairions avec la lampe à pétrole. Nous vivions dans des zones pentues à flanc de colline. Nous vivions d'une agriculture de subsistance. Nous cultivions de l'orge. Les fruits se résumaient aux figues de nos arbres. Comme légume on cultivait des fèves. Nous ne connaissions pas les pommes, les poires, les oranges et encore moins les bananes.
Le camp de regroupement d'Erraguene où se trouvaient Slimane Zeghidour et sa famille de 1957 à 1961.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
TV5MONDE : Comment votre famille a appris le début de la guerre d'indépendance (1954-1962) ?
Dans notre village nous n'avions aucun écho du déclenchement de la guerre. Nous n'avions pas de poste de radio et nous n'avions pas de journaux. Mais c'est la guerre qui est venue à nous. Lorsque les soldats français sont revenus de l'Indochine, ils ont mis en place des théories contre-révolutionaires. Ces théories s'inspiraient de cette maxime de Mao Zedong (révolutionnaire et dirigeant de la Chine communiste entre 1949 et 1976, ndlr) selon laquelle les révolutionnaires évoluent au sein de la population comme des poissons dans l'eau. C'est ce qu'avait fait le vietcong (mouvement communiste indépendantiste vietnamien, ndlr), lors de la guerre d'Indochine (1946-1954). Et donc la théorie contre-révolutionnaire consistait à retirer l'eau du poisson pour qu'il meure. Et l'eau du poisson c'était nous les villageois des villages enclavés où l'armée ne pouvait pas se rendre.
Le seul souvenir, à 4 ans, que j'ai de notre déménagement (en 1957), en catastrophe, de notre village est une image un peu sépia, lointaine. Je vois au loin des mulets chargés d'ustensiles de cuisine, de jarres en argiles, de nattes. Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
L'état major français décide de transférer tous les habitants des villages enclavés dans des camps dit de regroupement pour pouvoir les soustraire à l'influence de l'ALN, l'armée de libération nationale, bras armée du FLN. Mais ce n'était pas le seul objectif. Il fallait leur faire découvrir les bienfaits de la France, l'amour de la France et les convaincre qu'il est plus intéressant pour eux de se ranger du côté de la France que du côté du FLN.
TV5MONDE : Comment s'est passée l'arrivée des soldats ? Comment avez vous dû quitter le village ?
Le seul souvenir, à 4 ans, que j'ai de notre déménagement subi (en 1957), en catastrophe, de notre village est une image un peu sépia, lointaine. Je vois au loin des mulets chargés d'ustensiles de cuisine, de jarres en argiles, de nattes. C'est tout ce dont je me souviens. Je ne me souviens pas du trajet long de 7 km. Je ne me souviens pas de l'arrivée dans le camp, du premier jour dans le camp.
TV5MONDE : Comment était réglée la vie à l'intérieur du camp de regroupement ?
Nous avions construit une paillote comme les 6500 personnes qui étaient présentes dans le camp. Mon père a pu ensuite construire une barraque en bois avec de la tolle ondulée. C'était un palace absolu comparé aux abris du reste du camp. Et je me souviens par contre ce qu'était enfant le sentiment de courrir sur un espace plat. La cuvette était plate. C'était un sentiment bizarre. Nous venions de villages extrêmement pentus. Je me souviens du froid aussi d'un froid terrible dans cette cuvette. Le camp était entouré de barbelés électrifiés. Je me souviens avoir vu une chèvre completement explosée le long du barbelé. Je revois les étincelles.
Les conditions d'hygiène étaient effroyables. Plus de 10 % des personnes dans le camp sont mortes, essentiellement des enfants.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Nous étions 6500 dans le camp, dans une cuvette très humide, arrosée par les rivières. Et c'est là que nous enfants avons découvert l'école, une structure installée par l'armée. Les instituteurs étaient des "bidasses", des soldats. Les infirmiers étaient des soldats. Les médecins étaient des médecins militaires.
Les conditions d'hygiene étaient effroyables. Plus de 10 % des personnes dans le camp sont mortes, essentiellement des enfants. J'ai failli moi-même être emporté par une angine pulmonaire. J'en ai encore des séquelles dans mes poumons aujourd'hui. J'ai encore des traces de calcification.
C'est comme cela qu'il y a eu dans mon expérience personnelle une forme d'ambiguïté vis à vis de cette armée française. On voyait les bombardements de l'armée dans le Djebel environnant. Mais en même temps ce sont des gens en uniforme qui m'ont soignée de la tuberculose et ce sont des gens en uniforme qui m'ont appris à lire et à écrire.
Des enfants du camp d'Erraguene à l'école. Slimane Zeghidour se trouve à gauche de la photo.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
C'est cela cette dette étrange et cette expérience étrangère que j'ai avec l'armée française et avec cette guerre. Je suis conscient des effets désastreux de la guerre. Et en même temps si il n'y avait pas eu la guerre, dans mon cas, je ne serais pas là pour vous parler.
TV5MONDE : C'est la première fois que vous rencontriez des Français ?
C'était, sous la quatrième République, notre premier contact avec les Européens. En Alégrie, la population était divisée entre ceux que l'on nommait les Européens et ce que l'on nommait les musulmans. Et ce premier contact n'était pas avec les Français d'Algérie mais avec des soldats venant de la Savoie, de la Corse, ou du Vaucluse en Provence. Après 125 ans de colonisation, c'était la première fois que l'Algérie profonde rencontrait la France profonde. Des fils de paysans du Limousin rencontraient des paysans du Djebel.
Nous découvrions des Français qui étaient des infirmiers, des instituteurs ou des médecins.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
C'était un moment capital. La surprise a été totale pour les deux. Ces Français de France avaient été instruits avec des livres qui disaient que la France, la République aimait ces enfants. Et là ils découvrent une situation sociale qui ne s'apparentait pas à celle du Moyen-Âge mais bien à celle du Néolithique.
Et nous découvrions des Français qui étaient des infirmiers, des instituteurs ou des médecins. Les méchants pour nous c'etaient les légionnaires avec des Allemands, des Hongrois et les harkis qui n'étaient pas de la région mais qui venaient d'autres régions d'Algérie. Et les Français avec qui nous avions affaire c'étaient surtout des gens qui faisaient de l'assistance sociale et qui parlaient arabe ou kabile. C'étaient des gens qui faisaient partis de la SAS, la Section administrative spécialisée, organisme chargé d'aider les populations algériennes.
Un soldat français dans le camp d'Erraguene avec des habitants du camp.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
Le camp était tout sauf un camp d'extermination. Tout en réprimant, tout en faisant la guerre en faisant disparaître des gens, l'armée française avait un rôle d'assistance sociale, d'aide aux populations. L'armée française avait une main qui torturait et une autre qui soignait.
J'ai grandi donc avec le préjugé favorable que les Français étaient des gens bien. Mon père disait souvent : "Lui c'est un bon Français, comme si Français était un préjugé positif." J'apprendrai beaucoup plus tard que le barrage qui était en construction en amont du camp était protégé par un régiment de forces spéciales. Mais nous n'avions pas affaire à eux.
Des enfants en tenue kabyle traditionnelle dans le camp.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
Des familles d'ingénieurs vivaient non loin du chantier. Et le chantier était approvisionné par avion. Enfant, j'ai vu des avions avant de voir des automobiles ou des vélos.
Le chantier du barrage d'Erraguene a donné du travail à tous les hommes. Et donc les paysans qui vivaient au rythme des caprices de la nature, des saisons, des bonnes ou des mauvaises récoltes avaient soudain un revenu mensuel stable.
Comment dire cela ? C'est un coup de pied formidable dans le derrière ! C'était une entrée violente dans la modernité et l'économie de marché. C'était un choc avec aussi une élévation du niveau de vie.
J'ai été le premier à annoncer le cessez-le feu dans un groupe de paillotes du camp. C'est la première et la seule fois que j'ai vu mon père dans un tel état d'allégresse.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Mes parents étaient complètement illettrés. Mon père avait appris à écrire son nom et il avait ensuite passer son permis. L'armée a ouvert un marché et un abbatoir. Mon père et mon oncle ont ouvert une petite boutique. Après, ils ont acheté un camion. Et donc nous avons découvert des choses aussi banales que des navets, des oranges, des bananes, des aubergines. Nous n'avions jamais vu cela.
À l'école on a eu une maîtresse civile apres les soldats instituteurs. C'était la première Française que je voyais. Elle a dit à mon père : "Slimane c'est une bonne tête". C'était quelque chose d'extremement valorisant. Et donc je suis rentré dans la vie avec le plein de confiance en moi.
TV5MONDE : Comment se déroule pour votre famille et pour vous la fin du conflit ? Comment avez-vous appris le cessez-le-feu du 19 mars 1962 ?
Le barrage d'Erraguene dans lequel j'ai grandi a été inauguré en 1961. J'ai vu les eaux monter. On nous a déplacé dans un autre camp que l'on appelait "La Carrière". En 1961 les négociations étaient déja engagées avec le FLN. Le premier camp était ceinturé de barbelés. Ce n'était pas le cas dans le deuxième camp. Dans le premier camp nous n'avions pas de contact avec les maquisards, les indépendantistes du FLN. Dans le deuxième camp, la nuit tombée, les responsables du FLN venaient dans le camp. Ma mère leur faisait des frites et leur donner du pain et ils repartaient. La caserne française se trouvait loin au sommet d'une colline, à un kilomètre. Et un matin je suis sorti. Je n'avais pas école ce jour-là.
Avec l'expérience de mon enfance je n'ai jamais perçu les conflits de façon manichéenne. La guerre c'est le pire de l'homme mais c'est aussi le meilleur de l'homme même si c'est de manière très minoritaire.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
C'était le 19 mars 1962. J'ai vu un avion qui lachait depuis le ciel des tracts. J'ai lu le tract "Kessez le feu" et non "cessez-le feu "! Mais tout le monde a compris. J'ai été le premier à annoncer le cessez-le feu dans un groupes de paillotes du camp. C'est la première et la seule fois que j'ai vu mon père dans un tel état d'allegresse. Et ensuite nous sommes allés défiler.
TV5MONDE : Vous avez retranscrit dans un livre intitulé "Sors la route t'attend", votre expérience dans ce camp de déplacés. Que signifie ce titre ?
Dans le premier camp l'école était à un kilomètre et demi. Dans le deuxième camp, elle se trouvait à sept kilomètres. Il fallait traverser une fôret. J'avais parfois la flemme de partir. J'imaginais cette route comme un serpent, un être vivant. Je percevais la route comme un être vivant.Il fallait partir tôt le matin à pied. Et donc ma mère me disait les matins d'école : "Sors la route t'attend". J'ai écrit ce livre aussi en hommage à ma mère qui ne savait pas liren encore moins écrire. Elle est morte dix jours avant la publication de l'ouvrage.
Des enfants du camp jouent à l'entrée du camp d'Erraguene tenue par l'armée française.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
TV5MONDE : Vous êtes devenu journaliste, grand reporter. Vous avez couvert des conflits. Votre expérience de la guerre durant votre enfance a-t-elle eu un rôle dans le choix de votre métier ?
J'ai été effectivement grand reporter au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Russie. J'ai passé ma vie à couvrir des conflits. J'ai vu des camps de réfugiés en Irak, en Palestine. J'ai grandi dans la guerre mais je n'ai jamais fait le lien entre ce que j'ai vécu et mon métier. Cela montre l'extraordinaire capacité du psychisme humain à mettre en place des barrières hermétiques. Pourtant le camp c'était visible. Pourtant j'ai connu l'exode. Avec l'expérience de mon enfance je n'ai jamais perçu les conflits de façon manichéenne. La guerre c'est le pire de l'homme mais c'est aussi le meilleur de l'homme même si c'est de manière très minoritaire.
Slimane Zeghidour a retrancrit son expérience dans l'ovrage "Sors, la route t'attend".
DR
TV5MONDE : Le président français Emmanuel Macron essaie d'opérer un rapprochement mémoriel avec l'Algérie. Comment percevez-vous cette tentative de réconciliation des mémoires ?
Pour moi la mémoire c'est quelques chose de très personnelle. Je crois plus en l'histoire. Il y a les faits tels qui se sont déroulés et il y a la façon dont les gens les vivent ou les ont vécu. Ce sont deux choses totalement différentes pour moi. Toutes les mémoires font partie du conflit même si ce sont des mémoires amplifiées et exagérées. Pour cautériser les plaies la question des faits de l'histoire est primordiale. Mais en même temps, le poids des mémoires fait partie du conflit. Reconcilier les mémoires ? Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire. Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich a trouvé une très belle formule. Il a dit : "Je voudrais que l'on discute avec eux, les voisins israéliens non pas argument contre argument qui consiste à dire que l'un détruit des maisons et que l'autre pose des bombes sinon c'est sans fin. Je veux discuter vécu contre vécu. Faire comprendre à l'autre ce que l'autre a enduré et c'est de là que peut naître la réconciliation".
Saad Khiari est de cette race qui tend à disparaître, celle des intellectuels authentiques, pétri de culture et de connaissances, et qui décline idées et concepts avec une maîtrise parfaite de la langue arabe ou sa consoeur, la française.
Lui qui partage sa vie entre Paris, Alger et Marrakech, animé par un esprit de transversalité maghrébine trop rare aujourd’hui, est d’abord un cinéaste, diplômé, excusez du peu de la célèbre IDHEC, mais aussi auteur, essayiste, romancier.
On lui doit de nombreux articles et analyses sur l’Islam, la dialogue des religions, l’Algérie, etc., parus dans les plus grands titres de la presse maghrébine et hexagonale, et, notamment, deux ouvrages qui ont fait grand bruit lors de leur parution : « Catholique/Musulman : je te connais, moi non plus », en 2006, et « L’Islam et les valeurs de la République », en 2015.
Son dernier roman, « Le soleil n’était pas obligé », édité au Maroc par « La Croisée des Chemins », sera présent au 25è SIEL et figure parmi les titres en compétition pour le Prix Grand Atlas.
Saad Khiari a bien voulu répondre, avec la finesse qu’on apprécie tant chez lui, aux questions de www.lnt.ma et de La Nouvelle Tribune. A déguster sans modération…
Fahd YATA
La Nouvelle Tribune :
Vous avez publié il y a quelques mois aux Éditions La Croisée des Chemins un roman sous le titre : « Le soleil n’était pas obligé » et que vous présenterez lors de la 25ème édition du Salon International de l’Edition et du Livre de Casablanca, du 7 au 17 Février 2019.
Ce livre aborde la relation entre un personnage fictif, Marie Cardona, virtuelle fiancée de Meursault, le personnage principal du célèbre roman d’Albert Camus, « L’étranger », et l’écrivain algérien Kamel Daoud.
Ce romancier avait publié en 2016 un livre dédié à la victime inconnue de Meursault, « l’Arabe » sous le titre, « Meursault, contre-enquête » dans lequel il évoque le destin du frère de cet homme assassiné par le principal personnage d’Albert Camus.
Pourquoi reprendre à votre manière et aujourd’hui « la saga » de « L’étranger » en mêlant imaginaire et réel ?
Saad Khiari
J’aimerais en préliminaire avant de répondre à votre question, vous remercier de votre accueil et de l’hospitalité de vos colonnes et ensuite apporter la réponse à une question qu’on me pose souvent à propos du titre : « Le Soleil n’était pas obligé ». Je l’ai choisi en hommage à mon ami feu Cheikh Ahmadou Kourouma, dont le roman « Allah n’était pas obligé » a obtenu le Prix Renaudot en 2000. C’était un grand écrivain ivoirien engagé et un grand militant anticolonialiste.
Pour revenir à votre question, je dois à la vérité de préciser que je n’avais nullement l’intention de reprendre comme vous dites la saga de « L’Etranger ». L’idée m’est venue à la suite d’une lettre que j’avais fait publier par un grand hebdomadaire français, suite à la parution de « Meursault, contre-enquête » le roman de Kamel Daoud qui venait d’obtenir le Goncourt de premier roman. L’auteur tentait d’explorer à son tour et avec un immense talent, les zones d’ombre du fameux roman de Camus et notamment le fait que son auteur n’ait pas donné un nom à « l’Arabe ». Cette lettre avait eu beaucoup de succès auprès des internautes. Je l’ai adressée à Kamel Daoud et signée « Marie Cardona », la « fiancée » de Meursault.
Elle demande à le rencontrer au nom de ce que j’ai appelé la « proximité dans le malheur » puisque Marie Cardona avait perdu l’homme de sa vie (Meursault), le héros du roman de Camus. Il avait été condamné par la justice et exécuté pour avoir tué « l’Arabe » qui n’est autre que le frère du héros du roman de Kamel Daoud. J’avais pris le risque de donner corps à un personnage fictif (Marie Cardona) et à la faire exister en m’adressant à un auteur vivant ( Kamel Daoud ) au sujet d’un personnage fictif ( Meursault). L’exercice était séduisant d’une part, parce que j’en profitais pour parler d’un aspect important du drame de la guerre d’indépendance en Algérie ( nous y reviendrons ) et d’autre part, parce que je tenais là l’occasion de mettre mon petit grain de sel à mon tour dans le débat autour de l’œuvre d’Albert Camus, en créant une situation absurde, pour rester dans l’atmosphère du roman et d’un aspect majeur de l’œuvre d’Albert Camus.
Avec « L’étranger », « Meursault, contre-enquête » et « Le soleil n’était pas obligé », c’est en quelque sorte une trilogie sur la colonisation française de l’Algérie et ses suites qui est évoquée. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de « parfaire » l’œuvre de Kamel Daoud ?
Je suis très flatté par votre question parce qu’elle me place sans crier gare, à côté d’Albert Camus et de Kamel Daoud, mais je décline d’emblée ce que je considère comme une imposture car je n’ai pas leur talent et je n’aurai jamais l’audace et l’outrecuidance de lorgner sur un quelconque rapprochement avec ces deux auteurs immenses ; tout au moins sur ce plan-là.
Même si on l’a souvent écrit, mon roman ne fait pas partie de cette trilogie, sauf à considérer que les deux autres romans traitent essentiellement de la colonisation ; ce qui n’est pas tout à fait exact. J’aborde effectivement la colonisation de l’Algérie et ses conséquences, mais sous l’angle particulier de l’incompréhension entre les êtres à cause de l’absence de dialogue entre eux. Ibn Arabi a écrit : « L’homme est l’ennemi de ce qu’il ignore ».
C’est – mutatis mutandis – l’endroit par où ont péché les Français (pas dans leur ensemble naturellement, nous y reviendrons, là aussi). Comme je l’ai écrit, les pieds noirs « avaient découvert un peu tard qu’ils vivaient sur les terres de voisins dont ils avaient fini par oublier jusqu’à l’existence, à force de certitudes imposées et de mépris inconscients » (sic). Il faut peut-être rappeler pour ceux qui ne le savent pas, que le départ massif et dans des conditions dramatiques de la très grande majorité des pieds noirs au lendemain de la proclamation de l’indépendance en juin 1962, s’est fait sous la menace de l’O.A.S ( Organisation de l’Armée Secrète : groupe armé d’extrême droite animé par les putchistes. NDLR ). Le slogan de cette organisation à l’adresse des Français – « La valise ou le cercueil » – annonce à lui seul l’étendue de la catastrophe.
Il fallait pendant ces terribles semaines sanglantes, beaucoup de courage et l’amour profond du peuple algérien, pour ne pas quitter le pays. J’ai eu l’immense bonheur de connaître dix ans plus tard, quelques-unes des familles qui n’ont pas quitté l’Algérie. C’étaient essentiellement des communistes et des progressistes qui avaient eu le courage de soutenir la lutte du peuple algérien pour son indépendance, au nom de la justice et des valeurs humanistes. Mon roman est pour une large part, une manière de leur rendre hommage. De même que j’y aborde la question de ce qu’on appelle les « petits blancs ». Ce sont ces français modestes qui vivaient entre eux, qui ne se mélangeait pas aux autochtones et qui n’avaient pas vu venir le soulèvement du peuple algérien et sa volonté de se libérer du colonialisme. C’est injuste de les assimiler dans leur totalité à des colons esclavagistes et racistes comme l’ont été les gros colons car il y avait aussi parmi ces pieds-noirs d’origine modeste, des hommes et des femmes qui certes n’avaient pas épousé la cause du peuple algérien, mais qui s’étaient retrouvés involontairement du côté de l’occupant.
Pensez-vous que le passé colonial de l’Algérie, qui est la trame sous-jacente de votre livre, interpelle encore les lecteurs et notamment ceux de votre pays d’origine ? Car, dans un premier temps, on peut penser que la décolonisation des esprits (et des cœurs) n’est pas accomplie après plus de cinq décennies d’indépendance de l’Algérie ?
Est-ce que le passé colonial de l’Algérie interpelle encore les lecteurs ? Je ne peux qu’exprimer un sentiment personnel, fondé plus sur des intuitions que sur des vérités. Je ne pense pas que plus de cinquante après la fin de la guerre, on s’intéresse de manière sérieuse à cette période de l’histoire de l’Algérie et des relations franco algériennes. En Algérie on n’insiste pas trop à mon goût dans l’enseignement sur cette période essentielle ou alors on le fait de manière inadéquate. En France, hormis les historiens et les chercheurs, cette question n’intéresse que l’extrème-droite et les nostalgiques de l’empire colonial. Je regrette profondément cette situation car on gagne toujours à s’adosser à l’histoire de manière objective quand on veut étudier l’évolution de la société et le mouvement des idées.
Guy Pervillé, Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie, Préface de Serge Barcellini, Ed Soteca, 2022
La guerre d’Algérie, contrairement à ce que l’on dit trop souvent, tient une place non négligeable dans les programmes d’histoire de l’enseignement secondaire français depuis les années 1980, et sa mémoire a fait l’objet d’un enseignement méthodologique particulier pour la préparation de l’oral du baccalauréat, concurremment avec celle de la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, ces deux histoires et ces deux mémoires sont loin d’être identiques. Les élèves et les enseignants en sont d’ailleurs bien conscients, et se sentent souvent moins à l’aise avec la plus récente qu’avec la plus ancienne des deux.
D’autre part, le statut reconnu par l’Etat à la mémoire de cette guerre n’est pas du tout le même en France et en Algérie. Il faut comprendre les raisons de cette différence et ses conséquences, d’autant plus importantes que l’Etat algérien s’est efforcé depuis plus d’un quart de siècle d’effacer cette différence en essayant d’obtenir que la mémoire française s’aligne sur la mémoire algérienne, sans succès jusqu’à présent.
L’auteur a donc voulu faire œuvre d’histoire contemporaine et immédiate, en allant jusqu’aux événements les plus récents.
Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine, a consacré de nombreux livres et articles à la guerre d’Algérie.
L’ouvrage de Guy Pervillé rentre dans la collection « Histoire de Mémoire », dirigée par Serge Barcellini.
Parmi les autres ouvrages publiés dans cette collection :
Rémi Dalisson, Histoire de la mémoire de la guerre de 14-18, 2015
Olivier Lalieu, Histoire de la mémoire de la Shoah, 2015
Emile Kern, Histoire de la mémoire du Premier Empire, 2016
Sophie Hasquenoph, Le devoir de mémoire, Histoire des politiques mémorielles, 2017
Véronique Gazeau-Goddet, Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet, Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie, puf, 2022
Cet ouvrage vient rompre le long silence tombé sur la mort de l’aspirant Bernard Goddet, l’un de quinze tués du 3/23e Régiment d’infanterie dans l’embuscade de Sakiet du 11 janvier 1958, à la frontière algéro-tunisienne. L’enquête s’est cristallisée autour du jeune homme qui a laissé des écrits et une abondante correspondance, croisés avec des sources archivistiques et des entretiens avec des appelés du 23e Régiment. Sorti d’HEC, chrétien, le jeune homme s’interroge sur différentes solutions pour mettre fin à la guerre. L’opération dans laquelle Bernard Goddet et ses camarades trouvent la mort est enfin mise au jour grâce aux archives militaires. Cette opération était-elle bien préparée ? L’événement soulève aussi la question des frontières. Ainsi, à la suite de l’embuscade, la France bombarde le village de Sakiet Sidi Youssef et déclenche ainsi une grave crise, tant internationale que nationale, qui se solde par la chute de la IVe République, avec le putsch d’Alger du 13 mai 1958.
Ce deuxième numéro de la nouvelle formule de L’Histoire-Collection, réunit les spécialistes de l’Algérie.
Le trimestriel du magazine L’Histoire fait peau neuve et devient un mook de 132 pages. Portfolios, cartes, BD, infographies, entretiens, complètent les articles pour éclairer le passé et en comprendre les enjeux.
Le temps long de l’Algérie a été privilégié : les violences de la conquête et du régime colonial français les huit ans d’une guerre qui déchira tous les camps, mais aussi les drames qui ont suivi l’indépendance de 1962.
Historia, Numéro spécial, Guerre d’Algérie, Le choc des mémoires, mars 2022
Historia revient dans ce dossier sur les points de tensions mémoriels entre la France et l’Algérie et publie, pour la première fois dans l’histoire des relations franco-algériennes un sondage, réalisé des deux côtés de la Méditerranée, qui ouvre de nouvelles perspectives pour un avenir apaisé.
Raphaëlle Branche (Dir) En guerre(s) pour l’Algérie, Témoignages, Tallandier, 2022
La guerre s’est achevée il y a soixante ans en Algérie. Elle a marqué durablement les sociétés française et algérienne et touché directement des millions de personnes. Comment ces Français et ces Algériens ordinaires l’ont-ils vécue ? Quinze femmes et hommes ont accepté de confier leurs souvenirs de jeunesse. Leurs témoignages sont essentiels pour écrire une histoire qui ne soit pas seulement celle des décisions et des grands événements politiques et militaires. Ils éclairent ce que furent des vies simples prises dans la tourmente de la guerre.
Ils étaient appelés du contingent, militaires de carrière, harkis ou militants indépendantistes (du FLN et du MNA) en métropole et en Algérie, mais aussi membre de l’OAS, simples civils algériens ou français. Conscients de l’urgence de témoigner, ils racontent la guerre vue d’un appartement d’Alger, d’une usine parisienne, du maquis, d’une caserne. Quelles peurs les habitaient ? Quels dangers ont-ils affrontés ? Quelles étaient aussi les raisons de leur engagement ? Quels étaient leurs espoirs ? Ils répondent à ces questions avec le souci constant de dire au plus vrai, de raconter au plus juste. Les témoignages ne se situent pas d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée. Ils ne sont pas au service d’une groupe de mémoire particulier. Au contraire, ils permettent d’explorer les multiples facettes de ce conflit complexe où guerre de libération et luttes fratricides se sont mêlées, où destruction et ravages se sont accompagnés d’aspiration au renouveau.
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Bartillat, 2022
Comment s’est développé en France, aux lendemains de la guerre de 1870, une volonté cohérente d’expansion coloniale ? Comment cette volonté s’est-elle affirmée, quels échos a-t-elle rencontrés dans les esprits et dans les cœurs ? Autour de quels thèmes la vision impériale française s’est-elle progressivement définie ? À quelles résistances s’est-elle heurtée et comment celles-ci se sont manifestées ? De l’époque où se consommait le partage du monde jusqu’aux derniers sursauts de la décolonisation, quelle place le fait et le débat colonial ont-ils en définitive occupé dans la conscience nationale française ? C’est à ces questions encore jamais abordées qu’a tenté de répondre Raoul Girardet.
Étude d’histoire collective des mentalités, des sentiments et des croyances, menée avec toute la rigueur méthodologique du spécialiste, ce livre est aussi l’histoire d’une idée, une idée que l’on voit naître, croître, combattre, s’imposer, puis décliner et succomber…
La renaissance de ce livre équilibré et original permettra justement d’offrir un regard pertinent sur le fait colonial qui fait tant débat aujourd’hui.
Simon Murray, Légionnaire, un Anglais dans la guerre d’Algérie, Perrin 2022
Le 22 février 1960, à l’âge de dix-neuf ans, Simon Murray pousse les portes du fort de Vincennes pour s’engager dans la Légion étrangère. L’Aventure commence : l’embarquement à Marseille, l’arrivée en Algérie, à Sidi bel-Abbès, les longs mois d’instruction, l’affectation au 2e régiment étranger de parachutistes, la guerre et la traque des fellaghas de la frontière marocaine à la frontière tunisienne, les Aurès, le putsch avorté de 1961, les accords d’Evian, la lente et difficile adaptation au temps de paix… Durant ses cinq années de service, Murray consigne dans ses carnets de bord son expérience quotidienne de la rude vie de légionnaire, l’entraînement, les marches sans fin et les échauffourées avec les fellaghas dans les montagnes de l’Atlas. La force du récit tient à la personnalité atypique de son auteur. Issu d’un milieu bourgeois, formé dans une vénérable école britannique, il s’enorgueillit de servir dans une unité légendaire. Telle est la vertu première de ce journal de guerre unique en son genre : il dit la vérité, toute la vérité et permet de comprendre l’organisation et les motivations de cette troupe à nulle autre pareille.
Un témoignage essentiel sur la guerre d’Algérie comme sur le quotidien des « hommes sans nom » qui composent la Légion étrangère.
Alice Kaplan, Maison Atlas, Le Bruit du Monde, 2022
Au début des années 1990, Emily quitte le Minnesota pour s’installer à Bordeaux. Sur les bancs de l’université, elle rencontre Daniel Atlas, un juif algérien dont elle tombe amoureuse. Il n’est encore qu’un jeune dandy lorsque la guerre civile déchire son pays, l’obligeant à quitter Emily et la France. De retour à El Biar, le quartier de son enfance, Daniel retrouve ses parents isolés et menacés. Cette illustre famille de commerçants, qui a connu l’Algérie colonisée puis indépendante, a choisi de rester sur cette terre envers et contre tout. Bien des années plus tard, Becca, une jeune Américaine fera elle aussi le voyage jusqu’à Alger pour mieux comprendre leur lignée.
Béatrice Commengé, Alger, rue des Bananiers, Verdier, 2022
« Le hasard m’avait fait naître sur un morceau de territoire dont l’histoire pouvait s’inscrire entre deux dates : 1830-1962. Tel un corps, l’Algérie française était née, avait vécu, était morte. Le hasard m’avait fait naître sur les hauteurs de la Ville Blanche, dans une rue au joli nom : rue des Bananiers. Dans la douceur de sa lumière, j’avais appris les jeux et les rires, j’avais appris les différences, j’avais aimé l’école au Soleil et le cinéma en matinée, j’avais découvert l’amitié et cultivé le goût du bonheur. »
En remontant le cours d’une histoire familiale sur quatre générations, Béatrice Commengé entremêle subtilement la mémoire d’une enfance et l’histoire de l’Algérie française. Au plus près de l’esprit des lieux, elle parvient à donner un relief singulier au récit de cet épisode toujours si présent de notre passé.
Henri-Christian Giraud, Algérie : Le piège gaulliste, Perrin, 2022
« Je ne me sens bien que dans la tragédie » Charles de Gaulle. Au terme de sa longue traversée du désert, Charles de Gaulle s’empare de la cause de l’Algérie française pour prendre le pouvoir en 1958. Loin des hésitations et des tâtonnements que certains historiens prêtent au Général à cette époque, Henri-Christian Giraud dresse le portrait d’un homme déterminé, guidé par une idée qu’il suivra tout au long de l’affaire algérienne : l’indépendance ne fut jamais pour lui une concession accordée à contrecœur, pas plus qu’une noble initiative anticolonialiste placée sous le signe du temps.
Elle fut un moyen, un prétexte pour la France de s’extraire d’une colonie dont elle n’avait plus rien à espérer. Convaincu de servir l’intérêt supérieur de son pays, de Gaulle doit faire face à de nombreux obstacles : l’armée, l’opinion publique, le gouvernement, le peuple français, la presse, les agitateurs, les Européens d’Algérie… Autant d’intransigeants que ce « prince de l’ambiguïté » entend surmonter à sa façon. Faisant miroiter l’association aux uns, la sécession aux autres, louvoyant entre représentants de l’URSS, du FLN, du GPRA et de son propre camp, de Gaulle orchestre d’une main de maître, et par une série de coups montés, le piège dans lequel tous les acteurs du conflit vont être amenés à glisser, jusqu’à la tragédie finale. Un document capital, fondé sur des archives inédites, notamment soviétiques, et des observations presque quotidiennes de nombreux témoins clés des événements.
Maxime Tandonnet, Georges Bidault, de la Résistance à l’Algérie française, Perrin, 2022
Fondée sur d’abondantes archives personnelles récemment ouvertes et de nouveaux témoignages, cette biographie de Georges Bidault (1899-1983) brosse le portrait romanesque d’un professeur d’histoire issu de la France profonde, militant chrétien dans l’entre-deux-guerres, engagé dans la lutte clandestine au sein du mouvement Combat dès 1941 et devenu, en 1942, le plus proche compagnon de Jean Moulin avant de lui succéder à la tête du Conseil national de la Résistance. Ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle à la Libération, il prit personnellement une part déterminante à la reconquête du « rang » international de la France en 1945, malgré des relations tendues avec l’homme du 18 Juin. Créateur d’un parti politique, l’inclassable Mouvement républicain populaire (MRP), Bidault fut l’un des principaux dirigeants de la IVe République, plusieurs fois reconduit au Quai d’Orsay en pleine guerre froide, visionnaire de la réconciliation européenne et bête noire de Staline, mais aussi président du Conseil à l’origine de grandes réformes sociales dont la création du SMIG.
Pourtant, son style exagérément bohème, mâtiné d’un sens aigu de la dérision et de la provocation, le condamna à l’incompréhension puis à la solitude. Au début des années 1960, son engagement en faveur de l’Algérie française acheva de le diaboliser et d’en faire un authentique paria contraint à l’exil avec son épouse Suzanne Borel, ancienne résistante et première femme diplomate française. Grand-croix de la Légion d’honneur, compagnon de la Libération, passé en quelques années de la lumière du héros à la nuit du pestiféré, hanté par le déclin de la France et de l’Europe mais pourfendeur de la résignation, Bidault sort aujourd’hui de l’oubli grâce à la plume savante et passionnée de Maxime Tandonnet.
Pierre Pellissier, Les derniers feux de la guerre d’Algérie, Perrin, 2022
Le couchant de l’Algérie française. Cet ouvrage brasse les derniers mois de « l’Empire » et apporte une réponse à de nombreuses questions demeurées en suspens. Oui, avant même les accords d’Evian, des contacts entre l’Etat français et le FLN ont eu lieu contre l’OAS et les populations réfractaires à l’indépendance. Oui encore, il y a eu un engagement commun contre le maquis de l’Ouarsenis. Un ordre a été effectivement donné pour ouvrir le feu contre des civils, rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962. Un général français a bien refusé de voir les massacres d’Oran et de venir en aide aux victimes. Le livre s’attarde également sur le refus de la métropole d’accueillir les harkis et autres supplétifs au service de la France, sur son indifférence, également, devant l’exode des pieds-noirs. Cet ouvrage, nourri de sources inédites, fait la lumière sur la fin crépusculaire de l’Algérie française.
Saad Khiari, Le soleil n’était pas obligé, orientseditions, 2021
Dans « l’Etranger », le célèbre roman d’Albert Camus, Meursault est condamné à mort et exécuté pour avoir assassiné l’ « Arabe », laissant seule sa compagne Marie Cardona. Des dizaines d’années plus tard, celle-ci vit seule dans le sud de la France et apprend par le roman de Kamel Daoud « Meursault, contre-enquête » que l’auteur n’est autre que le propre frère de l’ « Arabe ». Meursault, l’unique homme de sa vie a donc été guillotiné pour avoir tué le frère unique de l’auteur. Convaincue que le malheur partagé crée la proximité, elle se sent dès lors proche de Kamel Daoud et cherche à le rencontrer. Elle décide de partir en Algérie pour des raisons que l’auteur nous dévoile dans ce roman au cours de ce voyage éprouvant et difficile mais riche en découvertes surprenantes.
Daniel Saint-Hamont, Lionel d’Arabie, Orients Editions, 2021
Daniel Saint-Hamont est un scénariste connu pour avoir décrit au cinéma ou dans ses romans les affres et les souffrances des Pieds-noirs d’Algérie, aussi bien dans leur exode que lors de la leur arrivée en France. Le Coup de Sirocco, Le Grand Pardon, Le Grand Carnaval, l’Union Sacrée, ne sont que quelques-uns des films qu’il a signés ou cosignés, el plus souvent avec le réalisateur Alexandre Arcady.
On ne sait toutefois pas que le père de l’auteur était en fait algérien et musulman, marié à une Pied- noire chrétienne, dont la sœur avait elle-même épousé un Juif. Deux événements très rares dans l’Algérie d’alors.
Lionel d’Arabie revient sur cette histoire familiale enfouie où cultures et religions, Bible, Coran et Evangiles mélangés se bousculent dans un tourbillon étonnant qui fait tour à tour sourire et pleurer.
Alexandre Lalanne Berdouticq, Souvenirs du colonel de la Chapelle, Dans les tempêtes de l’Histoire, de la drôle de guerre au putsch d’Alger, Ed Pierre de Taillac, 2022
En avril 1961, le colonel de la Chapelle commande le célèbre 1er régiment étranger de cavalerie. Considérant « qu’il y a des choses qui ne se font pas », il fait le choix d’engager son unité dans le putsch d’Alger. Cet officier courageux a commencé sa carrière à l’âge de 20 ans comme simple soldat. Pendant les vingt-sept ans où il servira la France les armes à la main, Gilbert de la Chapelle sera impliqué dans toutes les guerres où sera engagé notre pays : la campagne de France (1940), la guerre fratricide en Syrie (1941), la dure campagne de Tunisie (1943) et la libération de la France (1944-45)
Il part en Indochine en 1951 et s’illustre à la tête d’un groupement amphibie pendant deux ans puis sert un an à l’état-major du commandant en chef, entre autres lors de la bataille de Diên Biên Phu. Après un premier séjour en Algérie, il se voit confier le commandement du 1er REC en 1960. Ces souvenirs offrent un éclairage original sur les tempêtes de l’Histoire qu’a traversées l’armée française au XXe siècle, vécues par un acteur étranger aux passions. Son témoignage, inédit, a été recueilli par le général Lalanne Berdouticq en 1995 sur des cassettes audio. Il se révèle exceptionnel et apporte à l’Histoire bien des précisions sur des événements parfois peu connus.
Dominique Lormier, Histoires secrètes de la guerre d’Algérie, Alisio Histoire, 2022
Soixante ans après les accords d’Évian, la guerre d’Algérie (1954-1962) demeure un événement majeur et douloureux de notre histoire contemporaine. De nombreuses zones d’ombre restent à ce jour non élucidées : faits d’armes, arrestations, missions secrètes, guérillas…
Dans cet ouvrage, Dominique Lormier revient sur les moments déterminants du conflit jusqu’à la déclaration d’indépendance et donne voix aux récits de 23 acteurs de la guerre d’Algérie : politiques, anciens combattants, officiers et simples soldats, Pieds-noirs et nationalistes algériens, partisans et adversaires de l’Algérie française. Ils racontent à l’historien leur guerre, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu. Et leur parole, bien des décennies après, brûle encore.
Jean-Claude Degras, De la monarchie à la France libre, Destins d’officiers et de soldats français de la Caraïbe, 2022
Il y a quatre siècles, le hasard et la géographie ont placé les Antilles au cœur du monde. De la monarchie à la République, des soldats et des officiers nés sur ces terres françaises ont par éducation, désir de s’émanciper ou esprit d’aventure, choisi le métier des armes. Dans le chaos de l’histoire, leurs motivations disparates en ont fait des héros et rarement des proscrits avec pour seule devise la France ou l’honneur de servir leur conscience. Ce dictionnaire qui décrit leur parcours rappelle l’apport des îles des Caraïbes à l’histoire de France avec pour seul passeport pour l’existence : la vie ou la mort.
Jean-Claude Degras est délégué général du Souvenir Français pour le département de la Guadeloupe.
Jean-Yves Séradin, La maison d’à côté ou les trois filles du Professeur Lot, à l’ombre des Mots, 2022
En 1939, le grand historien Ferdinand Lot achète la villa Breiz-Izel à Trégastel sur la Côte de Granit rose. Le prix Osiris obtenu pour l’ensemble de son œuvre lui permet cette acquisition. Il a 73 ans. Avec son épouse Myrrha d’origine russe, médiéviste et théologienne, il projette d’y retrouver ses filles lors des longues vacances d’été : Irène et son mari Boris Vildé, linguiste et ethnologue né à Saint-Pétersbourg comme sa belle-mère, Marianne et son mari Jean-Berthold Mahn, historien et Eveline, la cadette. La défaite de juin 1940 ne le permettra pas. La famille Lot ne peut tolérer que les principes de la République française soient piétinés par les envahisseurs nazis et les Français qui les soutiennent. Dès la fin de l’été 1940, Boris prend la direction de ce qui va devenir le Réseau du Musée de l’Homme. Eveline y participe, tapant des articles pour le journal publié par Boris et ses amis : Résistance. Jean-Berthold, après un séjour en Espagne, rejoindra les armées de la France Libre. Le 23 février 1942, Boris est fusillé avec six camarades au Mont Valérien. Le 23 avril 1944, Jean-Berthold est tué dans une embuscade lors de la conquête alliée de l’Italie. Amoureuse d’Anatole Levitsky, ethnologue d’origine russe lui aussi, adjoint de Boris, fusillé ce 23 février 1942, Eveline sera doublement frappée. Les trois sœurs sublimeront leurs souffrances dans un intense travail intellectuel : Irène, bibliothécaire et linguiste, Marianne, historienne, et Eveline, ethnologue. Chaque été, les trois filles du Professeur Lot venaient se ressourcer à Trégastel. L’auteur les a connues dès le milieu des années 1950. Sa maison familiale est voisine de Breiz-Izel. Dans ce livre, ses souvenirs de vacances ouvrent les portes de leurs histoires et de leurs œuvres.
Jean-Claude Auriol, Les insoumises de 1914-1918, La résistance des femmes oubliée, 2022
« Ce que personne ne sait et qui ne laisse pas de trace, n’existe pas… « . Cette phrase de l’écrivain Italo Sveso décrit bien la résistance durant la Première Guerre mondiale et notamment celle des femmes. Qu’elles soient françaises ou belges, elles se sont révoltées face aux exactions des troupes allemandes. Dans cet ouvrage l’auteur a voulu honorer et rendre publiques, les épreuves de celles qui n’ont pas eu le beau rôle dans cette tragédie que fut la Grande Guerre, et parmi cette foule anonyme, il a choisi celles qui ont résisté dans un mouvement jusque-là inconnu.
Ce livre répare un oubli. Il interroge sur les conditions de vie et de lutte des résistantes, espionnes disait-on à l’époque. Il met en lumière les parcours exceptionnels des femmes ayant œuvré dans la vie politique et économique du pays.
Au moyen d’une sélection de témoignages, ce document propose d’explorer diverses facettes de la guerre clandestine dans les régions occupées. Ainsi le lecteur pourra connaître les différentes formes de cette guerre secrète : l’espionnage ferroviaire, la transmission de courriers, l’édition et la distribution d’une presse clandestine ou encore l’histoire de la « ligne », barrière électrifiée le long de la frontière belgo-hollandaise. Sans oublier les difficultés quotidiennes, la peur, les différentes craintes et soucis engendrés par la féroce répression de la « Polizei » allemande.
Grande absente de l’historiographie de la Grande Guerre, la résistante féminine retrouve la place qui correspond à la vaillance, mais aussi à la souffrance, engendrées par la lutte contre l’occupant. Il est vrai que le terme de résistance n’a pas la même valeur sémantique de celle du second conflit mondial, car elle ne fut pas armée. Mais cette lutte de l’ombre a généré des héroïnes obscures, humbles, voire marginales. Toutes ces résistantes resteront hostiles à l’occupant, insensibles aux punitions et sourdes aux invitations à trahir.
Nicolas Balique, Tu verras du pays mon fils, Paroles d’appelés en Algérie, 2022
Un film écrit et réalisé par Nicolas Balique, président du comité du Souvenir Français de Martigues dans les Bouches-du-Rhône. Il a retrouvé et interviewé des anciens appelés de la guerre d’Algérie qui racontent leurs souvenirs de la guerre, et le retour en France et à leur vie après les accords d’Evian.
Avant-première au cinéma La Cascade le jeudi 17 mars 2022 à Martigues.
France télévision, C’était la guerre d’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Juillet 1962, l’Algérie est indépendante. Ils sont des millions à travers tout le pays à fêter la naissance d’une nation et la fin de 130 années de présence française. Un million d’autres, Européens, appelés les « Pieds-noirs », nés en Algérie, enracinés depuis des générations quittent le pays dans un dramatique exode. « La guerre d’Algérie, c’est la guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu », a dit Ferhat Abbas, le premier président du gouvernement provisoire de la République algérienne. Et pourtant cette guerre qui longtemps n’aura pas de nom va durer huit longues années. De 1954 à 1962, la guerre d’Algérie, ce sont un million et demi de jeunes appelés français, contre des milliers de maquisards, côté algérien, 30 000 morts militaires français, des centaines de milliers d’Algériens tués, des milliers d’Européens disparus au moment de l’indépendance… On devrait dire « les » guerres d’Algérie. Une guerre entre nationalistes algériens et l’armée française bien sûr, mais aussi une guerre entre Algériens ; celle qui opposa cruellement deux mouvements indépendantistes rivaux. Et l’autre qui opposa les harkis, ces musulmans pro-français, au Front de libération nationale algérien (FLN) et qui fit, à l’indépendance, des dizaines de milliers de morts, côté harkis. Et enfin la guerre franco-française qui commence à Alger en juin 1958 par un grand malentendu. Une guerre qui divisa la France, la terrorisa durant des années et faillit la faire basculer dans le chaos. C’est tout cela la guerre d’Algérie. L’histoire de deux peuples déchirés un temps, mais liés à jamais par ce passé commun.
A partir d’archives rares, restaurées et colorisées, C’était la guerre d’Algérie, est un film sans tabou et à hauteur d’hommes. Tous les tabous de cette « guerre sans nom » sont abordés : les tabous de la colonisation française et de ses promesses non tenues ; mais aussi les tabous d’une histoire algérienne méconnue, avec ses vainqueurs et ses victimes…
Arte, En guerre(s) pour l’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Soixante ans après les accords d’Evian, cette série documentaire retrace l’un des plus traumatisants conflits coloniaux du XXe siècle. En archives et à travers l’expérience intime de celles et ceux qui l’ont vécu en France et en Algérie, un récit aussi éclairant que touchant.
Brahim, chauffeur de car, assiste dans les Aurès, le 1er novembre 1954, à l’assassinat de deux passagers. Cet attentat, signé par le FLN, compte parmi les dizaines qui éclatent ce jour-là sur tout le territoire algérien. Il marque le début de la guerre de libération. Installée depuis 1830 en Algérie, la France coloniale est restée sourde aux alertes. Après le « Manifeste du peuple algérien » de Ferhat Abbas publié en 1943, et malgré les massacres des environs de Sétif et Guelma en 1945, cette dernière ignore encore qu’elle est condamnée, se berçant de l’illusion que la « Méditerranée traverse la France comme la Seine, Paris ». Entre richesse de la plaine de la Mitidja et misère de l’immense majorité de la population, entre discriminations et insouciance, l’histoire de chacun ne paraît pas raconter le même pays.
Ils sont civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN et du MNA, combattants de l’ALN, intellectuels et étudiants, réfractaires, employés de l’administration française en Algérie, membres de l’OAS, supplétifs de l’armée française, porteurs de valises… Soixante ans après, toutes et tous, certains pour la première fois, racontent avec une émotion intacte, la guerre telle qu’ils l’ont vécue, à hauteur de jeunes adultes ou d’enfants : les douleurs subies, les actes de violence commis, les illusions brisées, les regrets et les espoirs aussi.
France télévision, Les appelés de la guerre d’Algérie, Un si long silence, 2022
Un film documentaire qui donne la parole à des appelés partis en Algérie à 20 ans. Ils racontent leur expérience de la guerre d’Algérie, mais surtout le retour en France après la fin du conflit, le retour à la vie qu’ils avaient laissée, et l’incompréhension des proches pour qui la guerre d’Algérie était déjà un lointain souvenir.
Alexis Rousseau, Verdun la première Ligne, en ligne sur YouTube
Court-métrage réalisé par Alexis Rousseau sur un jeune soldat engagé sur la première ligne française à Verdun.
Pour visionner le court-métrage :
La mémoire à travers les spectacles
Les renards volants, L’homme de boue, 2022
L’homme de boue est un seul-en-scène bouillonnant de dynamisme et de fureur de vivre. Le comédien entraîne le public dans un voyage émotionnel à travers 4 ans d’une guerre indicible, celle de 14-18. Rendu vivant par sa parole, le texte apparaît alors troublant de modernité et de poésie. L’acteur virevolte entre les objets parsèment le plateaux seuls compagnons d’armes qui le soutiennent dans les méandres de cette histoire. Complétés par de la vidéo et une bande sonore qui mélange styles et époques, l’Homme de Boue est une pièce hors du temps qui nous rappelle que, finalement, cela aurait pu être écrit aujourd’hui.
Musée Clémenceau, Des femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, du 8 mars 2022 au 30 juillet 2022
Le musée Clémenceau présente Des Femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, une exposition s’intéressant aux positions de Clémenceau sur les droits des femmes à travers plusieurs portraits féminins parmi ses relations : Louise Michel, Marguerite Durand, Sévérine, Rose Caron et d’autres. Réputé misogyne, Georges Clémenceau, à partir de 1894, une fois divorcé, tout en continuant à mener sa vie d’homme libre, œuvre pour la reconnaissance de certains droits aux femmes. Loin de devenir féministe. Il Refuse le puritanisme et se batte contre les humiliations et l’injustice, il combat « l’ordre moral bourgeois » et revendique des droits économiques et sociaux pour les femmes.
Les expositions conseillées par François Rousseau, journaliste du Patrimoine
Musée de l’Ordre de la Libération, Entre ombre et lumière, Portraits de Compagnons de la Libération
Photos François Rousseau
C’est la disparition d’Hubert Germain, dernier Compagnon de la Libération, qui a conduit Christian Guémy, alias C215 à réaliser des portraits pour garder leur mémoire. Il n’en est pas à son coup d’essai dans ses représentations de personnages de la Seconde Guerre mondiale. On se souvient par exemple de sa sculpture de haut-relief de Joséphine Baker boulevard de l’Hôpital à Paris.
Christian Guémy exprime son émotion d’exposer à côté de la tenue de Jean Moulin, portée sur une des photos les plus importantes du 20e siècle. «On est au-delà d’un projet strictement artistique, on est dans le champ des valeurs. C’est la diversité des Compagnons qui est passionnante. Ils ont fait plus que ce que le destin aurait pu leur proposer.»
Le choix des 30 Compagnons représentés ne pouvait pas ignorer quelques grands noms qui sont autant de repères pour le grand public. Dans un souci d’équilibre, il exprime tout l’éventail politique de l’époque, d’Estienne d’Orves à Jean-Pierre Vernant.
C215travaille avec des pochoirs fabriqués par ses soins et des bombes aérosols. Il joue sur les contrastes entre ombre et lumière. Les documents originaux servant de supports aux pochoirs, journaux, objets militaires, ont été glanés par l’artiste. Le portrait de Romain Gary est peint sur une veste d’aviateur, tandis qu’une valise sert de support à celui de Marie Hackin. On verra Félix Éboué sur une carte d’Afrique et Leclerc dominant une carte d’Europe.
Comme exemple pour la jeunesse, C215 a choisi Henri Fertet, lycéen, dont la lettre à ses parents avant d’être fusillé montre sa maturité et sa force et bien sûr Daniel Cordier, entré en résistance à 20 ans et dont le portrait fait la couverture du catalogue.
Pour toucher tous les publics et en particulier ceux qui ne franchissent pas le seuil des Invalides, C215 a peint sur du mobilier urbain de l’arrondissement ces mêmes portraits de Compagnons.
Avec chaque portrait, le catalogue de l’exposition montre aussi le plan de l’exposition hors les murs.
François Rousseau
Jusqu’au 8 mai 2022
Musée de l’Ordre de la Libération Hôtel national des Invalides
Ouvert tous les jours de 10h à 18h (nocturne le mardi jusqu’à 20h)
Plein tarif: 14€, réduit: 11€ (avec l’entrée au musée de l’Armée)
Publication: C215 Entre ombre et lumière Portraits de compagnons de la Libération, 120 pages, illustrations couleur, broché avec rabats, Critères Éditions, prix 13,5€
Avec les clichés de 8 femmes photographes de guerre qui couvrent le sort des réfugiés, des victimes civiles et des femmes au combat, l’exposition met en évidence l’implication des femmes dans tous les conflits. Peut-être plus que les hommes, elles prennent des images sans cacher l’horreur des événements.
Sylvie Zaidman, conservatrice du musée de la Libération de Paris, explique: «Nous sommes un musée d’histoire dont le rôle est de faire de la pédagogie. L’exposition, qui couvre plusieurs conflits différents dans le temps et les lieux, permet l’explication du présent par l’histoire.»
Les photos proposées aux organes de presse alertent l’opinion publique dans la limite de ce qu’elle est prête à accepter. On remarquera certaines mises en scène pour adapter la photo aux besoins de la presse.
Prenons l’exemple de Gerda Taro, née dans une famille juive de Galicie avant de s’installer en Allemagne. Elle échappe au nazisme et part pour Paris en 1933. Initiée à la photographie par Robert Capa, elle couvre avec lui la guerre civile en Espagne où elle succombe en juillet 1937. Elle tombe rapidement dans l’oubli, d’autant plus qu’une grande partie de ses images est attribuée à Capa. Ce n’est qu’au début du 21e siècle qu’est redécouvert son travail de photographe de guerre.
Sa photo du bataillon Tchapaiev sur le front de Cordoue porte un regard sur l’armée du peuple. La vision de Gerda Taro paraît la plus proche de nous, en référence au conflit actuel qui secoue de nouveau l’Europe. On verra le fac-similé de la Une de Ce soir du 28 juillet 1937: Notre reporter photographe Mlle Taro a été tuée près de Brunete.
La Guerre d'Algérie fut un réel bouleversement pour la France impérialiste. Et pour y faire face, il fallait des soldats, des tanks, des fusils, mais aussi et surtout des prisons. Celles de Paris étant pleines à craquer, ce sont celles de la Normandie qui étaient venues à la rescousse. C'est là l'une des conclusions d'un travail qui a pris plus de 2 ans à un étudiant français.
Originaire de l'agglomération de Rouen, Arthur Lamboy-Martin a, en effet, livré un mémoire de Master sur les prisons normandes pendant la Guerre d'Algérie. Les vérités qui y sont contenues sont d'une valeur historique certaine. « Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Normandie compte une vingtaine d'établissements pénitentiaires. Entre 1953 et 1955, 10 d'entre eux seront fermés définitivement pour cause d'insalubrité. Les autres de 1954 à 1964 seront occupés dans un premier temps par des détenus, militants du FLN et du Mouvement national algérien, puis par les condamnés politiques de l'OAS, Organisation de l'Armée secrète », confie Lamboy-Martin à Actu.fr[1].
thur Lamboy-Martin, avec son mémoire « Les prisons normandes pendant la guerre d'Algérie ». Photographie d'André Morelle
Passionné d'histoire, l'étudiant résume son travail comme suit : « De novembre 1954 à juillet 1962, la France est bouleversée par la Guerre d'Algérie. Durant ce conflit, à travers les territoires d'Algérie et de métropole, des dizaines de milliers d'individus sont emprisonnés dans divers lieux : des commissariats, des camps, des hôpitaux, des prisons… L'état d'urgence en avril 1955 et les pouvoirs spéciaux votés en mars 1956 permettent à la France de se doter d'un arsenal judiciaire puissant et de condamner aisément des militants politiques ».
Lamboy-Martin ajoute que « nombre [de ces prisonniers] furent incarcérés à Rouen Bonne nouvelle, capacité de 500 places, Le Havre et Maison centrale de Caen, 400 places. Neuf prisons au total en Normandie. Les prisons normandes renvoient à tous types d'établissements dans lesquels des individus auraient pu être détenus ; des prisons classiques comme des maisons d'arrêt, des centrales, des centres de triage et d'observation, mais aussi des camps, des hôpitaux et des écoles. La Guerre d'Algérie engendre une profusion d'incarcérations en Normandie, car les prisons parisiennes sont rapidement encombrées ». « Dès les Accords d'Évian, les militants algériens sont libérés. En revanche, une part considérable des détenus OAS demeure en prison après 1962, ainsi que certains objecteurs de conscience. Ils seront libérés en décembre 1964 puis en 1965 et 1966, les derniers en 1968 », précise Lamboy-Martin.
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