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Notre collaborateur Renaud de Rochebrune, dont les lecteurs de Jeune Afrique et de La Revue connaissent bien la signature, est brutalement décédé le 22 septembre à l’âge de 75 ans. Depuis les années 1970 et en parallèle de ses carrières d’auteur et d’éditeur, il n’avait jamais cessé de collaborer avec les publications du groupe.
« Et vous Renaud, qu’en pensez-vous ? » C’était une sorte de rituel, à Jeune Afrique comme à La Revue. Lorsqu’un grand sujet était débattu en conférence de rédaction, quand les avis s’opposaient, que les interprétations divergeaient, Béchir Ben Yahmed (décédé en 2021) aimait, souvent, se tourner vers Renaud de Rochebrune. Entré à Jeune Afrique dans les années 1970 après avoir commencé sa carrière au quotidien Le Monde, Renaud avait d’abord dirigé Economia, l’un des titres du groupe, avant d’occuper de multiples fonctions à JA, puis à La Revue. Silhouette longiligne enveloppée d’une veste délavée de couleur moutarde, l’intéressé se lançait, de sa voix éraillée à nulle autre pareille.
Lorsque BBY lui donnait la parole, il le faisait avec malice, presque avec amusement, tant tous les deux se connaissaient par cœur. Car Renaud, tous ceux qui l’ont côtoyé le savent, avait un avis sur (presque) tout. Et savait présenter et défendre cet avis avec talent, éloquence et, souvent, avec un peu d’entêtement. Qu’il s’agisse de parler de cinéma, du durcissement du régime chinois, des fluctuations du cours du pétrole, du bilan des socialistes au pouvoir en France, de littérature ou de la guerre d’Algérie, sa grande passion et la grande affaire de sa vie, Renaud avait toujours quelque chose à dire, et cela pouvait durer un certain temps. Et provoquer de virulents débats, dont BBY se régalait.
Éditeur, auteur, journaliste
Économiste de formation – il avait étudié à HEC, comme le fondateur de Jeune Afrique, ce qui contribuait à renforcer le lien particulier qui les unissait –, Renaud a eu mille vies. Journaliste bien sûr, mais aussi éditeur – chez Denoël, principalement –, auteur, historien, critique de cinéma… Cycliste, également, car le vélo était une passion qu’il a assouvie jusqu’au bout. Il racontait volontiers ses ascensions du célèbre Mont Ventoux, dans le sud de la France, et restait capable, à 70 ans passés, de s’embarquer pour l’Afrique du Sud avec un ami afin de participer à une course amateur organisée au Cap.
IL ÉTAIT TRÈS ÉRUDIT, TRÈS HISTORIEN, IL CONNAISSAIT DES MILLIARDS DE CHOSES
Auteur et éditeur, il avait collaboré à plusieurs biographies de personnages historiques tels que Mao ou Messali Hadj, et avait connu un certain succès au début des années 1990 avec son livre Les patrons sous l’occupation, coécrit avec son ami Jean-Claude Hazera.
Plus récemment, il avait publié avec Benjamin Stora une monumentale Guerre d’Algérie vue par les Algériens, dont les deux tomes sont parus en 2016 et en 2019. « Nous nous sommes rencontrés dans les années 1990, il était venu m’interviewer sur la guerre civile qui déchirait l’Algérie à ce moment-là et nous sommes très vite devenus amis. Il est venu me voir au Maroc et c’est là, je m’en souviens très bien, qu’il m’a proposé cette idée : écrire une histoire de la guerre d’Algérie, mais vue par les Algériens. J’ai dit oui, mais je ne pensais pas que cela nous prendrait vingt ans et que ce serait un travail aussi énorme », témoigne l’historien.
« Il travaillait tout le temps »
Les deux amis ne se sont plus quittés – Renaud était fidèle – et ont multiplié les travaux en commun, partant ensemble à Ramallah interviewer les dirigeants palestiniens, écrivant à quatre mains des articles sur le cinéma, l’une de leurs autres passions communes. « Il était très érudit, très historien, il connaissait des milliards de choses, se souvient encore Benjamin Stora. Il était toujours débordé, il travaillait tout le temps, jour et nuit. Renaud et moi, ce sont vraiment vingt ans de compagnonnage intellectuel. »
À 75 ANS, RENAUD RESTAIT SUR TOUS LES FRONTS
Avec Jeune Afrique aussi le compagnonnage fut long – près de cinquante ans – et fécond. Tour à tour journaliste, rédacteur en chef, conseiller, membre du comité éditorial, Renaud a été de toutes les aventures, suivant Béchir Ben Yahmed à La Revue tout en continuant de livrer des articles à JA.
« Nous nous étions rencontrés au milieu des années 1970, puis nous nous sommes retrouvés à La Revue, confirme son ami l’économiste et éditeur Marc Guillaume. Nous étions encore ensemble il y a une quinzaine de jours, je suis allé voir sa maison dans la Creuse, il est venu dans la mienne dans l’Aveyron. Nous avons parlé de vélo, nous voulions faire des ascensions ensemble, je l’avais associé à la revue d’écologie que je m’apprête à lancer, on avait mille projets… Je suis effondré. »
À 75 ans – qu’il a fêtés le 22 mars – Renaud restait sur tous les fronts. Son dernier article, nous l’avons publié mercredi dernier, il portait sur Ordalies, le tribunal de l’invisible, film subtil d’Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav sur les pratiques magiques au Congo. Son prochain texte aurait dû traiter du film The Woman King, sur les Amazones du Bénin. Lors de ses conversations sur le sujet avec le responsable des pages culture, il avait confié ne pas aimer le film, trop hollywoodien pour ses goûts d’esthète, mais il voulait tout de même en montrer les aspects les plus positifs. Déjà, il se préparait à aller voir Black Panther II, sans grand enthousiasme mais avec un sens consommé du devoir.
Indomptable
Plus à l’aise avec les films d’art et d’essai qu’avec les blockbusters grand public, il fuyait les mondanités du monde du cinéma, mais adorait tout de même suivre les grands raouts de la profession comme le Fespaco, à Ouagadougou, le Festival d’El Gouna en Égypte ou le festival de Cannes dans le sud de la France, qu’il ne manquait jamais. Il était d’ailleurs devenu l’un des meilleurs spécialistes du cinéma africain, dont il avait interviewé la plupart des grands réalisateurs.
Renaud de Rochebrune, c’était un de ces personnages n’entrant dans aucune case dont Béchir Ben Yahmed aimait à s’entourer. C’était aussi, à sa façon, un indomptable : dépourvu de tout goût pour la consommation, se contentant d’une vie intellectuelle intense, il menait sa barque en toute liberté. Sans Dieu ni maître. Salut, Renaud. Et merci.
Toute l’équipe de Jeune Afrique s’associe à la douleur de tes proches et de ta compagne, Françoise.
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