Le peuple de France a cessé de prêcher en silence. Il vient d’afficher son attrait pour l’outrance. Il a voté en pissant comme un chien, pour marquer sa différence. Je vais vous dire pour quoi son choix scandalise ma petite conscience.
En premier, parce que ce peuple n’a pas trouvé mieux pour dénoncer son Roi Ubu que d’annoncer qu’il est imbu de lui-même… même s’il s’aime moins qu’il ne déteste les autres. Vrai nationaliste, faux patriote.
En deuxième, parce que ce peuple a fait rougir ce matin mon ange-gardien, en lui murmurant à l’oreille que la bête immonde pouvait aussi prétendre au bien, en substituant à sa haine des juifs, fort ancienne, son mépris pour l’islam et les musulmans. C’est plus rentable et donc plus supportable… En troisième, je n’ai rien contre les excès sauf lorsque ça devient exécrable. Je tends l’oreille et j’entends cette musique que je ne trouve pas bonne lorsqu’elle ronronne : « On est chez nous ! On est chez nous ! »…
Je sors de mes gonds, je deviens Antigone dont le sens du devoir s’est dressé contre l’abus du pouvoir. Et je dis NON au peuple de France quand il choisit l’ultime offense, celle qui n‘a d’autre issue que de froisser les consciences. NON au déshonneur. NON à l’identité peureuse et malheureuse…
Aucune fermeture sur soi ne peut faire office de Loi, ni constituer une ouverture avantageuse. Il faut être content de soi ou incompétent pour prétendre le contraire. Je n’en veux pas aux élus mais seulement aux électeurs qui ont voté en chœur pour leur fausse blancheur.
Le peuple de France s’apprête dans sa conquête du pouvoir à envoyer à Matignon un garde du corps pour sauvegarder son âme. Mais quelle âme, messieurs-dames ? Je sais que je vous déçois et c’est pour cette raison que je me déchois de ma nationalité en la rendant à Bardella qui en a beaucoup plus besoin !
Le témoignage de Kheira Garne s'est déroulé au cabinet de maître Ben Braham.
Mohamed Garne, le fruit du viol de sa mère par des soldats français pendant la guerre d'Algérie. Il est né le 19 avril 1960 à El-Attaf (Algérie), a mis des années à découvrir sa mère biologique. Il est la première victime de guerre d'Algérie reconnue par la justice française.
Les crimes de la gestapo française et les non-dits de la cinquième république durant la guerre d’Algérie et la collaboration de l’état français dans le nouvel ordre mondial du XXI -ème siècle.
La France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce domaine des crimes d’états, crimes contre l’humanité commis en son nom pendant cette Guerre de Libération de l’Algérie. Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour cela ?
J'avais assuré le tournage sur Alger, pour le compte de l'émission Secrète de famille diffusée sur France 2.
Il y avait la journaliste Saliha pour les interviews. Deux cadreurs pour les prises de vue, Luc et Abbane. Et Hadj Nacer pour la prise de son.
L'écran affiche tour à tour les plateaux télé saturés de graphiques et de bandeaux des « Urgents », et le match Espagne-Géorgie de l'Euro 2024. Face à l'écran, dans le salon de cet appartement algérois, les convives algériens, français et franco-algériens, de divers horizons professionnels, suivent avec attention les résultats du premier tour des législatives, entrecoupant la tension par des bribes sur la performance footballistique des Espagnols. Ce dimanche matin, les convives s'étaient déplacés au consulat français d'Alger pour voter. « Il y avait un peu plus de monde que pour les européennes, mais ça ne va pas changer grand-chose », estime un cadre d'une entreprise française installé en Algérie depuis trois ans. « Il y a eu un vote de refus plus qu'un vote d'adhésion, il y a une colère contre le système actuel », poursuit-il. Son voisin, entrepreneur franco-algérien, se dit « inquiet » par l'avancée fulgurante du Rassemblement national (qu'il qualifie toujours de « Front national »), mais il dit comprendre le vote RN. « L'extrême visibilité des incivilités choque de plus en plus en France », reconnaît-il.
« Désolé, mais un jeune d'origine algérienne qui fait n'importe quoi dans la rue fait plus de bruit médiatiquement qu'un autre fils d'immigrés algériens qui se tient à carreau et travaille honnêtement », tranche-t-il. Pour cette entrepreneuse française, qui dit voter à gauche « par conviction et non pour faire barrage », il y a « urgence à comprendre pourquoi près de 12 millions de Français ont voté RN ». « Il ne faut pas stigmatiser les gens, je ne crois pas qu'il y ait 12 millions de racistes dans mon pays, mais l'establishment refuse de se remettre en question. C'est dramatique », lance-t-elle. Avant d'ajouter : « Je rentre chaque vacance en France, et tout ce que je constate, avec le recul d'une expatriée, est que les services publics s'effondrent, que la ruralité est abandonnée à son sort, que mes parents retraités s'en sortent de moins en moins… D'ailleurs, je n'ose même pas leur demander pour qui ils ont voté. » Un convive algérien, dont le grand-père a été ouvrier en France il y a plusieurs décennies, se dit « effaré » par ces résultats. « Si la France bascule, c'est un message terrible pour le monde entier. Que restera-t-il des pays des droits de l'homme ? C'est un message d'encouragement pour libérer la parole raciste, les gestes antiétrangers », s'inquiète-t-il.
« Macron a perdu son pari »
Le lendemain, lundi, c'est au tout de la presse algérienne d'analyser les résultats du premier tour des législatives françaises. Le quotidien francophone El Watan titre : « L'extrême droite aux portes du pouvoir ». « Si la vigilance était de mise hier [dimanche] soir, l'inquiétude concerne surtout le soir des résultats du second tour, le 7 juillet, note le correspondant du journal à Paris. Le chaos engendré par une désormais potentielle victoire du RN n'est pas exclu.
Le journal L'Expression, pour sa part, préfère rester dans la nuance, estimant que « rien n'est encore vraiment joué et que, au jeu des tractations, des désistements et des triangulaires plus ou moins négociées, la composition de la future Assemblée nationale, au soir du 7 juillet, demeure encore incertaine ». Sur sa une, le quotidien arabophone El Khabar, considère que « Macron a perdu son pari » et s'inquiète, dans son analyse, de l'impact d'un exécutif RN sur les relations franco-algériennes. Le quotidien fait parler le président de l'association Solidarité Diaspora, basée à Marseille, Youcef Bouabboune, qui voit dans la victoire du RN une « occasion pour la communauté algérienne à l'étranger de s'unir pour un projet global au profit des Algériens de l'étranger ».
Dans cette interview, l'activiste associatif franco-algérien a, par ailleurs, réitéré la demande de l'abrogation de l'article 67 de la Constitution algérienne qui interdit aux binationaux d'occuper des postes dans l'État « liés à la souveraineté et à la sécurité nationale ». Pour rappel, le RN qui a lancé l'idée de limiter certaines fonctions étatiques aux seuls nationaux, avait, par la voie de Sébastien Chenu, cité l'Algérie « où il y a une liste de postes de hauts fonctionnaires interdits aux binationaux ». La récente loi sur l'information empêche, aussi, les binationaux d'être propriétaires d'un média. « De toute manière, ici ou là-bas, les binationaux sont toujours les souffre-douleur des politiques : nous sommes « traîtres » en Algérie, et suspectés d'une criminelle double allégeance en France », s'agace l'entrepreneur franco-algérien parmi les convives de la soirée électorale.
Sur les réseaux sociaux, les commentaires fusent sur l'avenir des relations bilatérales entre les deux pays mais surtout sur l'avenir des binationaux et des Algériens installés en France. La question des visas, notamment, inquiète. « Avec le RN au pouvoir, bye bye les visas, faudra trouver d'autres destinations que la douce France », poste un internaute. Plus politique, l'éditorialiste Nadjib Belhimer considère sur Facebook que « ce qui est annoncé n'est pas nécessairement ce qui sera mis en œuvre si l'extrême droite parvient à obtenir une majorité et à former un gouvernement, mais la position algérienne vis-à-vis de ce qui se passe reste floue ».
« Ce serait une erreur de réagir au discours hostile de l'extrême droite de la part du pouvoir algérien », estime le journaliste Athmane Lahiani. « Alger devrait rester sur sa double position. D'abord ne pas se faire entraîner dans des conflits politiques avec le RN sur les questions de l'immigration ou de la mémoire, estimant qu'il s'agit de politique intérieure. Cela éviterait de trop parasiter les relations bilatérales. L'autre posture est de se servir de ces mêmes positions de l'extrême droite pour faire pression sur Paris pour régler au plus vite la question mémorielle », conclut-il.
Loin de ces considérations politiques, les convives de la soirée électorale s'apprêtent à rentrer chez eux. Le 4 à 1 infligé par l'Espagne à la Géorgie peine à occuper les dernières discussions. La plupart préparent les vacances en France et tous pensent à la prochaine soirée électorale du 7 juillet. « Nous irons voter, c'est l'essentiel », soupire l'entrepreneur franco-algérien.
Réagissant à ces résultats, Emmanuel Macron a appelé à un « large rassemblement démocrate et républicain » au second tour.
Un journaliste tenant une carte "Législatives 2024", à Paris, le 30 juin 2024. Photo AFP / LUDOVIC MARIN
Le parti d'extrême droite Rassemblement national (RN) et ses alliés arrivent largement en tête du premier tour des élections législatives anticipées en France, avec plus de 34% des voix, selon de premières estimations.
L'extrême droite distance à ce stade l'alliance de gauche du Nouveau Front populaire (28,5% à 29,1%) et encore davantage le camp d'Emmanuel Macron (20,5 à 21,5%), selon ces premières estimations. Le RN obtiendrait une large majorité relative à l'Assemblée nationale voire une majorité absolue selon trois projections en sièges.
Réagissant à ces résultats, le président Emmanuel Macron a appelé à un « large rassemblement démocrate et républicain » au second tour des élections législatives en France face au RN. « La participation élevée au premier tour (...) témoigne de l'importance de ce vote pour tous nos compatriotes et de la volonté de clarifier la situation politique », a-t-il dit dans une déclaration écrite. « Face au Rassemblement national, l'heure est à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour », a-t-il ajouté.
« Alternance politique » S'exprimant de son côté la première à ses partisans, la cheffe de l'extrême droite Marine Le Pen a appelé à « lancer le redressement de la France » avec le parti de l’ « unité et la concorde nationale ». Prônant une « alternance politique », elle a demandé aux Français d’accorder une majorité absolue au RN au second tour pour que Jordan Bardella soit nommé Premier ministre, prévenant que sous la barre des 289 députés, il n’aurait pas la marge de manœuvre nécessaire pour appliquer son programme. En remerciant « chaleureusement les électeurs », elle a appelé à choisir au second tour « la coalition de la liberté, de la sécurité et de l’unité ». Dans une allusion à la polémique sur les restrictions possibles contre les binationaux, la tête de file du RN a affirmé qu’« aucun Français ne perdra de droits ». « Ce 30 juin renaît l’espérance, mobilisez vous pour que le peuple gagne », a-t-elle conclu.
Deuxième à prendre la parole, Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France Insoumise, a affirmé que ce vote a « infligé une lourde et indiscutable défaite » au président et au parti présidentiel. Celui qui était accusé d’être un repoussoir pour les électeurs du centre a fustigé Emmanuel Macron pour »avoir poussé les électeurs à choisir entre lui et le RN », estimant que la formation de l’union des gauches avec des candidatures communes dès le premier tour et le bond de la participation « ont déjoué ce piège ». Jean-Luc Mélenchon a salué l’engagement de la jeunesse et des quartiers populaires lors de ce scrutin, appelant à donner une majorité au NFP, « car il est la seule alternative », alors que de nombreuses triangulaires incluent des candidats de gauche. S’il n’a pas appelé à voter pour d’autres partis, le dirigeant de LFI a affirmé que le NFP se retirera des triangulaires où il est arrivé troisième. « En toute circonstance (...) notre consigne est simple, directe et claire, pas une voix, pas une siège de plus pour le RN », a-t-il conclu.
Qu’ils soient candidats, militants, élus ou anciens ministres, ils constatent un déferlement de haine décuplé par la montée de l’extrême droite en France, jusqu’à Najat Vallaud-Belkacem, dont la binationalité a été pointée du doigt par le député sortant RN Roger Chudeau sur BFMTV jeudi.
Qu’ils soient candidats, militants, élus ou anciens ministres, ils constatent un déferlement de haine décuplé par la montée de l’extrême droite en France, jusqu’à Najat Vallaud-Belkacem, dont la binationalité a été pointée du doigt par le député sortant RN Roger Chudeau sur BFMTV jeudi.
« Je« Je pense que c’était une erreur, et que ce n’était pas une bonne chose pour la République. » Ce sont les mots du député sortant du Rassemblement national (RN) Roger Chudeau, tenus sur le plateau de BFMTV jeudi 27 juin. Il y faisait référence à l’ancienne ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, et à sa double nationalité, qui aurait dû, selon lui, l’empêcher d’arriver à de telles responsabilités. « Les postes ministériels doivent être détenus par des Franco-Français, point final. » Et d’ajouter : « Il y a un problème de double loyauté, à un moment donné. »
Ces déclarations s’inscrivent dans un contexte bien particulier : celui des élections législatives prévues les 30 juin et 7 juillet, fortement marquées par la montée du RN et de ses idées mortifères, et par des violences physiques et verbales que subissent de plus en plus de personnes racisées, y compris parmi les candidat·es, militant·es, élu·es ou ancien·nes ministres. « Ce qui me surprend, c’est la surprise des observateurs », tacle Najat Vallaud-Belkacem, soulignant que le signe distinctif de cette formation politique – le RN – n’est autre que le racisme.
« Ce n’est que cela. Le reste, les cravates, le programme social, les belles paroles, c’est de l’habillage. Que les gens soient surpris montre à quel point on a réussi à se faire manipuler collectivement, au point d’oublier quel est l’ADN de ce parti », pointe celle qui est aujourd’hui présidente de l’association France terre d’asile. Rien de nouveau, estime-t-elle donc, davantage outrée par la légitimité désormais donnée à un parti d’extrême droite. Qu’on lui reproche – encore – sa binationalité ? « Je suis exposée à ce type d’accusation depuis des années. »
Et d’ajouter : « Je vis en France depuis quarante-deux ans, j’ai été adoptée par ce pays et j’en ai embrassé les valeurs. Malgré cela, on me renvoie à mon origine, et à travers moi les millions de Français qui sont binationaux ou ontun parent immigré. »
Des centaines de messages racistes
« On ne sera jamais assez français à leur goût. La chasse à ceux qui ne leur ressemblent pas est ouverte, on est dans l’assignation identitaire la plus totale », déplore-t-elle, constatant que les partisans du RN ne s’en prennent pas seulement aux étrangers et étrangères en situation irrégulière ou dit·es délinquant·es, mais aussi à celles et ceux qui « réussissent » et « s’intègrent ». « Ça, ils ne le supportent pas. »
Cette violence, Sabrina Ali Benali, candidate sous la bannière Nouveau Front populaire (NFP) en Seine-Saint-Denis, la décrit comme étant « impressionnante ». Auparavant, dit-elle, « c’était surtout sous pseudo sur les réseaux sociaux ». Aujourd’hui, c’est « open bar ».
Cette médecin franco-algérienne évoque des centaines de messages racistes reçus chaque jour depuis le début de la campagne, l’invitant à « rentrer au bled » et invoquant l’arrivée au pouvoir du RN pour la « dégager ». « On a aussi franchi un cap dans le vocable. C’est fasciste, ils parlent de race, nous qualifient de parasites, me disent que je devrais m’agenouiller devant la race blanche qui est supérieure… »
À cela s’ajoutent des insultes sexistes et des amalgames autour du terrorisme. « Maintenant, c’est Arabe = musulman = terroriste. Quand on sait que ma famille a fui les années noires en Algérie, c’est dur d’être assimilée à ça », confie-t-elle.
La candidate dit ressentir de la « peine » pour ses proches, arrivés en France et « partis de rien », soucieux de « s’intégrer » au point de ne pas enseigner l’arabe à leurs enfants, dont elle fait partie. « On l’a su bien plus tard mais c’était pour nous éviter de subir le racisme qu’ils avaient vécu. »
Pour se préserver et poursuivre le combat, Aly Diouara, candidat NFP en Seine-Saint-Denis également, tente de ne pas s’attarder sur les messages haineux qui lui parviennent. En tout cas pas dans leur intégralité.
« C’est extrêmement violent. On me dit que je vais retourner en Gambie, on m’insulte de singe [Aly Diouara est noir – ndlr]. Des trucs d’un autre temps », déplore-t-il, qui lui sont adressés sur les réseaux sociaux mais aussi par mail. Jusqu’ici, lors des tractages en circonscription, il dit avoir été épargné par des agressions verbales ou physiques.
« Mais quand je vois le chauffeur de bus agressé puis renversé dans le Val-de-Marne, on se demande comment on en est arrivés à un tel niveau de violence et de racisme assumé. »
À Belfort, le militant Karim Merimèche a vécu ces violences sur le terrain, alors qu’il tractait pour le candidat sortant La France insoumise (LFI) Florian Chauche le 17 juin, comme le rapporte France Bleu. « On s’est retrouvés sur un parking à la Roseraie, raconte-t-il à Mediapart. J’ai tendu un tract à deux hommes se trouvant dans une voiture, qu’ils ont refusé de prendre. »
Ces derniers expliquent au militant qu’ils votent « Front national, euh, Rassemblement national ». La suppléante du candidat, Mathilde Regnaud, aurait alors demandé s’ils avaient conscience de « voter pour un parti raciste ». « Ils ont répondu qu’ils n’étaient pas racistes et que le parti ne l’était pas non plus », poursuit Karim Merimèche.
Mais après avoir digressé sur l’élection de Mitterrand, « ils [lui] demandent où [il] étai[t] à ce moment-là ». « J’ai compris où ils voulaient en venir, alors j’ai précisé que j’étais né en France. » Il ne s’attendait pas à un tel déferlement.
« L’un des hommes m’a dit : “Rentre dans ton pays, sale bougnoule, dégage, rentre chez toi.” J’étais choqué, je n’ai rien dit et je me suis éloigné. Mais il a continué, en me traitant encore de “sale bougnoule de merde” et en disant à Mathilde d’aller “se faire sauter par les bougnoules”. »
Deux témoins de la scène parviennent à identifier l’homme, à bord d’un véhicule de fonction de la société Optymo, chargée des transports en commun dans le Territoire de Belfort.
Karim Merimèche a porté plainte le lendemain, mardi 18 juin, pour injures à caractère racial. Il ne comprend pas comment « on a pu en arriver là aujourd’hui », condamnant l’idéologie raciste, xénophobe, sexiste et liberticide de l’extrême droite. « Je l’ai très mal vécu, j’en ai fait des nuits blanches. Être renvoyé à son origine et sa couleur de peau après tout ce qu’il s’est passé dans l’histoire est incompréhensible. »
Vendredi 28 juin, la députée sortante et candidate NFP Mélanie Thomin a dénoncé, dans un communiqué, les « attaques racistes » subies par Kofi Yamgnane à Paris jeudi 20 juin. Ancien ministre et ancien maire de la commune de Saint-Coulitz (Finistère), ce binational franco-togolais a été agressé sur un quai de la gare Montparnasse à Paris, relate-t-il au Télégramme.
«Toi, tu as intérêt à te préparer à rentrer chez toi en Afrique », « On va vous foutre tous dehors », a asséné un passant en croisant sa route. « Je sens qu’il se passe quelque chose de différent, que les racistes se sentent libérés », a-t-il confié au quotidien régional.
« J’ai oublié de dire ma tristesse face à tout cela », conclut avec amertume Najat Vallaud-Belkacem, qui ne croit pas aux démentis de Marine Le Pen quant aux attaques de Roger Chudeau mais se raccroche aux nombreuses expressions de soutien reçues depuis jeudi.
Pour l’ancienne ministre, la question qui se pose désormais est la suivante : veut-on exclure un Français sur cinq, sachant que 13 millions de personnes sont immigréesou ont au moins un parent immigré, selon l’Insee ? « Il faut élever notre seuil d’intolérance collective face au racisme, comme on a pu le faire face au sexisme. »
À la veille des élections législatives, le collectif Arabengers a tenu samedi 29 juin un événement public pour « raconter l’Algérie », bien loin du récit révisionniste tenu par une extrême droite nostalgique du « temps béni » des colonies.
LaLa veille du premier tour, des centaines de jeunes Francilien·nes, pour la plupart issu·es de l’immigration maghrébine, se sont retrouvé·es à Pantin (Seine-Saint-Denis) pour un grand événement sur l’histoire de l’Algérie. Un moment de partage, de communion et même de fête, avant la catastrophe que serait pour elles et eux l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
Les Arabengers, groupe de jeunes femmes maghrébines binationales, composé de journalistes, de réalisatrices et d’historiennes, avaient prévu de longue date de tenir la deuxième édition de leur événement « Raconter l’Algérie » samedi 29 juin. Elles avaient trouvé des artistes pour la fin de soirée, du rappeur Fianso à la chanteuse Flèche Love, et étaient dans les dernières finitions quand Macron a dissous l’Assemblée nationale.
Dans la salle du Dock B, bar de Pantin où se tient l’événement, on discute de l’Algérie, de la Palestine, mais aussi, surtout, de l’extrême droite et des élections législatives. Des keffiehs sur les épaules, des drapeaux kabyles et algériens sur les murs. Et à la question habituelle : « Ça va ? », nombreuses sont celles et ceux qui répondent « pas trop »,voire « pas du tout ». Car les Algérien·nes, arabes ou kabyles, binationaux et binationales, enfants et petits enfants d’immigré·es, savent qu’avant de prendre le nom de Rassemblement national (RN), le Front national (FN) s’est construit sur la haine du peuple algérien et dans la nostalgie du temps des colonies.
« On n’a jamais pensé à annuler l’événement. C’est un vrai souffle pour nous, dans ce contexte particulièrement étouffant », explique Farah Khodja, juriste d’origine algérienne, membre des Arabengers et créatrice de la plateforme en ligne Récits d’Algérie, dont le but est de recueillir des témoignages d’Algérien·es et de Français·es qui ont été acteurs, actrices, témoins ou victimes de la guerre d’indépendance. « On raconte notre histoire nous-mêmes, ce qui nous permet aussi de nous inscrire contre celles et ceux qui la réécrivent en niant les violences subies par le peuple algérien. »
Yasmine, étudiante en communication originaire du Pas-de-Calais, et sa copine Kaissa, étudiante en droit, sont venues de Lille. « En ce moment, c’est un cauchemar. On n’est pas appréciés en France et on le sent dans la rue », assure la première. « À la fac, c’est un peu compliqué, complète la seconde. J’ai passé un oral au premier semestre dont je me souviens encore. Ma copine – maghrébine – passait avant moi. Elle est sortie en pleurs parce que l’une de nos professeurs lui a lancé : “Mais tu parles français, toi ?” Elle est née et a grandi en France. » Et de se réjouir de participer à un événement où elles ne sentent pas jugées pour ce qu’elles sont.
Panique
À l’unisson, les participant·es disent leur crainte de voir l’extrême droite imposer un ordre racial en France par la « préférence nationale », instaurer une ambiance où les racistes les plus violent·es se sentiront encore plus autorisé·es à agir.
« Déjà que les flics venaient nous violenter dans nos quartiers régulièrement, là ça va être pire,anticipe Lucie, étudiante franco-algérienne venant de Thiais (Val-de-Marne). Tous les ans, on a un mort dans nos quartiers, mais si le RN arrive au pouvoir, on devra aussi s’inquiéter des fachos qui vont se sentir pousser des ailes. »
La jeune femme regrette également la résignation d’une partie des personnes racisées en France : « Mon père a toujours subi le racisme. Pour lui, c’est ancré dans le pays. Il n’y croit plus. Moi je crois que notre génération de descendants de colonisés a davantage les armes pour analyser ce qu’on vit. »
Près de l’espace livres de l’événement, tenu par la librairie indépendante de Nanterre El Ghorba mon amour, des jeunes gens découvrent l’autrice algérienne Assia Djebar. Auprès de Mediapart, May*, juriste internationale, d’origine libanaise et algérienne, conseille de relire Frantz Fanon : « Le racisme a un effet clinique sur nos corps. Le mal-être qu’on peut ressentir est lié à cette coupure avec notre héritage », dit-elle. Elle raconte le « bien fou » que peut faire ce genre d’événement : « Arabengers, c’est aussi une communauté de personnes qui ont le même vécu et qui se rendent compte, ensemble, qu’on n’est pas fous, le racisme qu’on vit est bien réel. »
À plusieurs reprises dans l’après-midi, au fur et à mesure que les tables rondes se succèdent, les intervenants et intervenantes racontent l’importance de ne pas se laisser confisquer le récit franco-algérien.
Donia Ismail, journaliste à Slate et membre d’Arabengers, le rappelle : « Demain on vote, pour le Front populaire. Le RN, s’il arrive au pouvoir, fera la misère à tout le monde. Mais les Algériens et les Algériennes seront les premiers à en prendre plein la gueule parce que ce parti d’extrême droite a une histoire profonde avec l’Algérie française. »
Lors d'une table ronde intitulée « Et maintenant on fait quoi ? », Louisa Yousfi, journaliste, militante décoloniale et autrice de Rester barbare, explique que dans le « grand récit national français », la libération algérienne a été un ébranlement. « Il y a une cristallisation autour de la guerre mais surtout autour de la victoire. Ça a été une très grande défaite pour l’Empire français. Et le RN a encore ce fantasme-là de prendre sa revanche sur l’Algérie. »
« Pour l’extrême droite, les temps des colonies sont des temps bénis où les Arabes étaient à leur place, de sous-citoyens inférieurs », résume auprès de Mediapart Fabrice Riceputi, historien et chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent.
Pour lui, le travail d’Arabengers et de Récits d’Algérie est extrêmement utile, dans un pays où les comptes n’ont pas été réglés et où les récits des premiers et premières concernées ont été enfouis : « Elles interrogent leurs parents, les anciens, récoltent des récits dans des podcasts, des documentaires, des livres. C’est un mouvement très important de réappropriation, et ça vient en complément du travail des historiens. Et si l’extrême droite arrive au pouvoir, il y aura un clash extraordinaire entre cette génération et un pouvoir qui voudra, c’est sûr, réécrire l’histoire sous le prisme de l’apologie du colonialisme. »
Lors de la campagne des élections législatives, quelques élu·es de gauche ont rappelé que parmi les fondateurs du parti d’extrême droite se trouvaient un Waffen SS et nombre de collaborationnistes. Mais le passé et la matrice idéologique coloniale du Front national sont peu souvent rappelés. Pourtant, il y aurait tant de choses à dire, au passé comme au présent. « La nostalgie de l’Algérie française fait partie de l’ADN même du Front national », explique l’historien.
Fabrice Riceputi le rappelle dans un ouvrage récent : Jean-Marie Le Pen a torturé en Algérie pendant la guerre d’indépendance. La création du FN s’est aussi faite avec nombre de nostalgiques de l’Algérie française, dont Roger Holeindre, membre de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), mouvement terroriste d’extrême droite qui a défendu la colonisation française de l’Algérie en massacrant les civils. Elle est responsable, au bas mot, de 2 200 morts en Algérie et de 70 morts en France.
Au Dock B, lors du débat sur « l’esprit révolutionnaire algérien », un extrait du documentaire à paraître de Récits d’Algérie résonne dans la salle. On y entend une femme algérienne y raconter ses souvenirs de l’OAS : « Ils tuaient tout le monde, même des pieds-noirs qui étaient en faveur de la libération… C’était comme des cowboys qui tiraient sur tout le monde. On voyait la mort partout. Je me rappelle un postier mort, par terre. »
L’événement de Pantin ressemble, selon un participant, à « une soirée de clôture pour les Arabes en France ». Des personnes rappellent la prise de parole de José Gonzales, député RN qui, en juin 2022, donnait le coup d’envoi des travaux parlementaires.
en de la nouvelle Assemblée, il était invité à dire quelques mots au perchoir et a commencé en se présentant comme « l’enfant d’une France d’ailleurs arrachée à sa terre natale par le vent de l’histoire ». Et de continuer devant la presse : « Crimes de l’armée française ? Je ne pense pas. Crimes contre l’humanité ? Encore moins. Si je vous emmène avec moi en Algérie, dans le Djebel, beaucoup d’Algériens qui n’ont jamais connu la France disent “Quand est-ce que vous revenez ?” »
Les propos de ce genre sont légion à l’extrême droite, pour laquelle la nostalgie de l’Algérie française est toujours une base idéologique. Plus récemment, la candidate RN de la deuxième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Monique Becker, affichait sa nostalgie de l’Algérie française et estimait que l’OAS avait été « créée par les plus glorieux officiers de l’armée française », comme le rapporte StreetPress.
L’exemple de Perpignan
À Perpignan, les mairies successives se surpassent depuis des années dans l’exercice de réécriture de l’histoire algérienne. La droite locale a installé une stèle à la gloire de l’OAS et créé un Centre de documentation des Français d’Algérie qui, selon les associations locales antiracistes, célèbre « le bon temps des colonies ».
Depuis son arrivée à la mairie en 2020, le frontiste Louis Alliot a poursuivi cette œuvre coloniale. Il a inauguré une exposition à la gloire de l’Algérie française en 2021 et organisé un week-end d’hommage à « l’œuvre coloniale » l’année suivante. À cette occasion, un square de la ville a été renommé du nom de Mourad Kaouah, député de l’Algérie française, proche de Jean-Marie Le Pen. Le maire de Perpignan a aussi accordé des financements municipaux au cercle algérianniste, une officine pro-Algérie française, et fait renommer une esplanade au nom de Pierre Sergent, ancien chef de l’OAS.
« Et il y a un risque clair que cette politique soit appliquée au niveau national si le RN arrive au pouvoir,prévient Fabrice Riceputi. Je rappelle qu’en 2004, la droite a tenté d’imposer qu’on parle des aspects “positifs” de la colonisation à l’école. Cela été retiré par Jacques Chirac face à la pression des enseignants et des historiens, mais avec le RN au pouvoir, ça va revenir sur le tapis, sous une forme ou une autre. »
Une crainte partagée par les participant·es de l’événement « Raconter l’Algérie ». « Qu’est-ce qu’on va raconter à nos enfants sur l’Algérie avec le RN au pouvoir ? Qu’est-ce qu’on va leur dire de la colonisation ? »
Il y a l’histoire et la manière dont on la raconte, mais aussi le présent, et notamment le sort des Algériens et Algériennes immigré·es sur le sol français actuellement. Si, au niveau national, le RN s’est fait relativement silencieux sur l’histoire algérienne pendant cette campagne des législatives, le parti a proposé à plusieurs reprises de supprimer l’accord franco-algérien.
Sur scène, l’avocate Magda El Haitem rappelle que cet accord signé en 1968 « pour faciliter un peu le séjour des Algériens en France », « personne ne le connaît sauf les Algériens ». « Si l’extrême droite et la droite ont beaucoup mis l’accent dessus, c’est parce qu’elles en font un étendard pour dire qu’elles s’attaquent spécifiquement aux Algériens. »
Comme un ultime pied de nez, sous des youyous stridents, les descendant·es d’Algérien·nes qui ont passé l’après-midi à Pantin ont dansé toute la soirée, sur du rai, du chaibi, du rap. Avant, peut-être, la gueule de bois des élections. En attendant, May profite de la soirée et le dit avec fierté : « On est magnifiques, et ça les rend fous qu’on s’en rende compte, alors qu’ils ont si longtemps tenté d’instiller en nous la haine de nous-mêmes. »
Il n'y a plus d'utopie, plus d'horizon utopique. Tristes topiques pour nos visions politiques.Le meilleur n'aura pas lieu.On aura désormais toujours droit au moins pire. Le moins mauvais au lieu du vrai. Plus de paradis, plus d'enfer, juste un purgatoire...
NEXEMPLE : :)
Tout sur les ancêtres de Jordan Bardella
Le destin incroyable d'un fils du village Aït R'zine à Béjaïa
L'analyse de la politique française vis-à-vis de la guerre d'Algérie et de son impact sur la société contemporaine révèle plusieurs dimensions complexes et interconnectées.
La rente mémorielle et les campagnes électorales
La guerre d'Algérie (1954-1962) a laissé des cicatrices profondes dans la mémoire collective française. Utiliser cette guerre comme une « rente mémorielle » signifie exploiter les souvenirs et les émotions associés à ce conflit pour des gains politiques. Cela se manifeste souvent lors des campagnes électorales où les politiciens font référence à la guerre d'Algérie pour séduire certains segments de l'électorat, notamment ceux des pieds-noirs, des harkis, et des militaires, tout en jouant sur les peurs liées à l'immigration et à l'islamisme.
Le refus de reconnaître la défaite et les crimes de guerre
La difficulté des élites françaises à accepter la défaite en Algérie est liée à une forme de déni nationaliste et à une réticence à admettre les erreurs du passé. La guerre d'Algérie a mis en lumière des pratiques telles que la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées, les camps de regroupement, les mines antipersonnel et les essais nucléaires dans le Sahara. La reconnaissance officielle de ces crimes contre l'humanité est souvent évitée pour ne pas ternir l'image de la nation.
Le racisme anti-immigration et anti-algérien
Cette incapacité à affronter le passé colonial contribue à un racisme structurel au sein de la société française. Le discours anti-immigration est souvent un écran de fumée pour un racisme plus ciblé contre les Algériens et les descendants d'immigrés algériens. Les stéréotypes négatifs et les discriminations systématiques envers cette communauté trouvent une partie de leur origine dans les traumatismes non résolus de la guerre d'Algérie.
L'Etat profond et la mémoire coloniale
L'Etat profond français, comprenant les institutions militaires, les services de renseignement, et certaines branches du gouvernement, conserve une influence notable sur la gestion de la mémoire coloniale. Ces institutions peuvent être réticentes à reconnaître officiellement les atrocités commises, car cela impliquerait de réévaluer des aspects fondamentaux de l'histoire et de l'identité nationale françaises.
Conséquences actuelles
Le refus de faire face au passé colonial a des répercussions sur les politiques contemporaines d'intégration et de cohésion sociale. La stigmatisation des populations d'origine algérienne et plus largement maghrébine contribue à des tensions sociales et à des divisions au sein de la société française. De plus, la gestion de cette mémoire coloniale continue d'alimenter les débats sur l'identité nationale et les valeurs républicaines, souvent en exacerbant les clivages politiques et culturels.
Pour avancer, une reconnaissance honnête et complète des événements de la guerre d'Algérie, ainsi que des crimes commis, est essentielle. Cela nécessite un effort collectif des élites politiques, des institutions et de la société civile pour transformer la rente mémorielle en un processus de réconciliation et de compréhension mutuelle. Sans cela, le passé colonial continuera de hanter la politique française et de nourrir des dynamiques de discrimination et de division.
La perception selon laquelle des figures intellectuelles comme Benjamin Stora feraient partie de l'Etat profond français et contribueraient à une narration biaisée de la guerre d'Algérie soulève des questions importantes sur la manière dont l'histoire est écrite et interprétée.
Benjamin Stora et la mémoire de la Guerre d'Algérie
Benjamin Stora est un historien reconnu pour ses travaux sur la guerre d'Algérie et les mémoires coloniales. Cependant, ses positions et interprétations, notamment sur des figures controversées comme Jean-Marie Le Pen et Ali la Pointe, sont parfois perçues comme reflétant une tendance à minimiser certains aspects sombres de l'histoire coloniale française.
1 Jean-Marie Le Pen : Stora a suscité des controverses en déclarant que Jean-Marie Le Pen, ancien dirigeant du Front national, n'a pas torturé pendant la guerre d'Algérie. Cette position contraste avec des témoignages et des documents suggérant le contraire, et elle est perçue par certains comme une tentative de blanchir des figures politiques impliquées dans des exactions.
2 Ali la Pointe : La déclaration selon laquelle Ali la Pointe, un combattant emblématique du FLN, s'est suicidé lors de l'assaut de la Casbah par les forces françaises, plutôt que d'être tué, est également contestée. Cette version est perçue comme une manière de diminuer le martyre des résistants algériens.
L'influence de l'Etat profond
La notion de l'Etat profond implique une influence continue et discrète des structures de pouvoir traditionnelles sur la mémoire et l'interprétation des événements historiques. Lorsque des historiens influents comme Benjamin Stora adoptent des positions controversées, cela alimente l'idée que l'Etat profond contrôle la narration historique pour protéger certaines figures et atténuer les aspects les plus condamnables de la colonisation.
Implications et conséquences
1- Défi de l'Objectivité historique : Les positions controversées de certains historiens peuvent nuire à la perception de l'objectivité dans l'étude de l'histoire. Lorsque des historiens influents semblent alignés avec des narrations qui minimisent ou justifient des actes condamnables, cela peut éroder la confiance du public dans la discipline historique.
2- Mémoire et réconciliation : La gestion de la mémoire coloniale est cruciale pour la réconciliation. Des interprétations perçues comme biaisées ou révisionnistes peuvent exacerber les tensions entre la France et ses anciennes colonies, en particulier l'Algérie, et entre différentes communautés au sein de la France.
3- Instrumentalisation politique : Les discours historiques peuvent être instrumentalisés par les politiciens pour des gains électoraux ou pour consolider des narratives nationalistes. Cela peut renforcer des divisions et des préjugés, et entraver les efforts pour une mémoire partagée et apaisée.
La controverse autour des déclarations de Benjamin Stora sur Jean-Marie Le Pen et Ali la Pointe illustre les défis persistants dans la gestion de la mémoire de la guerre d'Algérie. Elle souligne également la nécessité d'une réflexion critique et d'une vigilance constante pour garantir que l'histoire soit écrite de manière équilibrée et honnête, sans être influencée par des agendas politiques ou idéologiques. La réconciliation et la compréhension mutuelle passent par une reconnaissance sincère et complète des faits historiques, aussi douloureux soient-ils.
La critique de la théorie de la violence « de part et d'autre » dans le contexte de la guerre d'Algérie et du colonialisme en général souligne des points importants sur la légitimité de la lutte pour la liberté et les droits humains, ainsi que sur la reconnaissance des crimes coloniaux.
La théorie de la violence «de part et d'autre»
Cette théorie suggère une équivalence morale entre les violences commises par les forces coloniales et celles des mouvements de libération nationale. Dans le cas de la guerre d'Algérie, elle met en parallèle les actions du FLN (Front de libération nationale) et les exactions des forces françaises.
Critique de cette théorie
1. Contexte de légitimité :
-Lutte pour la liberté : La lutte des Algériens pour se libérer du colonialisme est fondamentalement une quête pour l'indépendance, la liberté, et les droits de l'homme. En ce sens, les violences commises dans ce cadre peuvent être perçues comme des actes de résistance contre une oppression systémique et une occupation illégitime.
-Colonialisme et oppression : En revanche, les violences commises par les forces coloniales sont souvent vues comme des moyens de maintenir une domination oppressive et de réprimer les aspirations légitimes à l'indépendance et à l'autodétermination.
2. Reconnaissance des crimes coloniaux:
-Crimes contre l'Humanité : Refuser de reconnaître le colonialisme comme un crime contre l'humanité signifie ignorer les souffrances infligées aux populations colonisées. Le colonialisme impliquait souvent l'exploitation, la discrimination raciale, la violence systématique, et la privation des droits fondamentaux.
-Mémoire et justice :
La reconnaissance des crimes coloniaux est essentielle pour la justice historique et pour la réconciliation. Ne pas reconnaître ces crimes revient à perpétuer une forme de déni et d'injustice historique.
Implications éthiques et morales
1. Asymétrie morale : Il y a une asymétrie morale entre la violence d'un mouvement de libération nationale et celle d'un pouvoir colonial. La première est souvent une réponse à l'oppression et une quête de justice, tandis que la seconde vise à maintenir une domination illégitime.
2. Légitimité de la résistance : La résistance contre le colonialisme est souvent vue comme légitime sur le plan moral et éthique, car elle cherche à restaurer la dignité humaine et à établir des sociétés justes et équitables.
3. Responsabilité historique : Les anciennes puissances coloniales ont une responsabilité historique de reconnaître les souffrances qu'elles ont infligées et de contribuer à la réparation et à la réconciliation.
Conclusion
La théorie de la violence « de part et d'autre » tend à effacer les contextes et les motivations derrière les violences, créant une fausse équivalence morale. La lutte contre le colonialisme est une lutte pour les droits de l'homme et la liberté, et il est crucial de reconnaître le colonialisme pour ce qu'il était : une série de crimes contre l'humanité qui ont causé des souffrances immenses et des injustices profondes. Une reconnaissance honnête et complète de ces faits est essentielle pour avancer vers une véritable réconciliation et une justice historique.
Le destin incroyable d'un fils du village Aït R'zine à Béjaïa
De la vallée de la Soummam aux ruelles de Villeurbanne, découvrez l'incroyable parcours des arrière-grands-parents de Jordan Bardella. Suivez nous dans un voyage au coeur des origines oubliées du président du RN...
Rassemblement national (RN) nous emmène loin des routes habituelles. Pas vers Drancy, encore moins vers Turin, mais en Algérie, dans la wilaya de Béjaïa, plus précisément à Aït R'zine, dans la daïra d'Ighil Ali. Dans notre quête d'un passé presque centenaire, nous rencontrons les cousins de celui qui plaide la rupture avec le pays de son ancêtre. Sur le chemin, la statue de Cheikh El Mokrani trône comme pour signifier la résistance héroïque du peuple algérien contre le colonialisme. Une sorte d'arrêt sur image qui vient souligner que les Algériens de 2024, de 1962 et de 1954, doivent beaucoup à leurs ancêtres. C'est prioritairement ce que retiennent les habitants de Aït R'zine. Au détour d'une ruelle, toute en pente, notre guide s'arrête devant les vestiges de ce qui fut la première petite maison des Mada où Mohand- Seghir naquit et a grandi jusqu'à l'adolescence. Nous sommes à la première décade du XXe siècle. On se surprend à imaginer la misère dans laquelle vit ce petit bout d'homme et sa famille, sous le joug d'une colonisation génocidaire. Sur le visage du cousin, dont les traits rappellent quelque peu ceux du président du RN, on imagine l'adolescent, son arrière- grand-oncle, obligé de quitter sa famille pour rembourser une dette colossale, dont la colonisation est pour beaucoup. Un véritable drame qui, par la force du temps, des évènements et des rencontres fortuites, a fini par engendrer un jeune politicien, né dans un quartier en France où vivent beaucoup de descendants d'émigrés algériens. L'écrasante majorité des congénères de Bardella ont sauvegardé, leur part d'Algérianité. À l'origine du succès politique construit dans le déni des ancêtres, une histoire de privation, d'émigration, mais aussi d'amour. Car Mohand-Seghir, a certes quitté sa Kabylie natale pour aider sa famille à rembourser ses dettes, mais sur son chemin de vie, il a croisé Denise Annette avec qui il a fait un bout de chemin. Une histoire familiale pleine de contradictions et de surprises, où passé et présent s'entremêlent de manière inattendue... Notre enquête débute par la recherche de la preuve. Il fallait confirmer ce qui se rapportait en France sur les origines réelles d'un chef du premier parti de France. Xénophobe et héritier direct d'un mouvement fasciste, antisémite et anti-émigré, créé par des criminels de l'OAS et SS allemands. Ces derniers pratiquaient la ratonnade systématique contre les Italiens et les Algériens sur plus de 70 ans d'Histoire. La contradiction est majeure, mais la preuve est néanmoins faite. Nous parvenons à nous procurer un extrait de l'acte de naissance de l'arrière-grand-père de Jordan Bardella. Sur ce document officiel, il est écrit en arabe, noir sur blanc ce que l'on pouvait lire sur les réseaux sociaux. Mohand-Seghir Mada est né le 12 novembre 1903 à Aït R'zine. Fils de Tahar et de Mada Dahbia, il a été inscrit à l'état civil le 13 novembre 1903 par l'administrateur principal de l'époque, Léon Lehocq. Mohand- Seghir Mada a épousé Denise Annette Jaeck le 27 février 1937 en France. Jordan Bardella a donc bel et bien des origines algériennes!
Un air de ressemblance...
Nos investigations nous conduisent ensuite à la famille Mada, originaire du village de Guendouz, chef-lieu de la commune de Aït R'zine. On se rend alors dans ce petit hameau devenu, aujourd'hui, une belle petite ville. À l'entrée, on est de suite attiré par la plaque d'une boucherie qui porte le nom très évocateur pour nous de: «Boucherie Mada!». Espérons que ce n'est pas un mauvais présage... On y trouve un jeune homme souriant et très sympathique. «Je suis Tarek Mada, propriétaire de la boucherie». Il nous lance: «Je suis le cousin de Jordan Bardella». Il nous invite à rencontrer le neveu de l'arrière- grand- père de Jordan Bardella. «C'est mon grand- oncle, le frère de mon père qui sont les enfants de Dada Bachir, grand frère de Mohand-Seghir», nous explique notre interlocuteur. On va donc à la rencontre de cet homme de 90 ans, l'aîné des Mada. Moussa est la copie conforme de Mohand-Seghir, dont la photo de sa pierre tombale est disponible sur Internet. En se rapprochant de cet homme, on est frappé par un petit air de famille avec le petit cousin, Jordan. Les yeux peut-être, la forme du visage sûrement. Ils ont en tout cas le même regard perçant, et l'allure sympathique, qui font l'image du protégé de Marine Le Pen. Il est content de nous voir. Il avoue n'avoir jamais connu son oncle qui n'a pas remis les pieds au pays depuis qu'il l'a quitté en 1921. C'est un «Amdjah» (un terme kabyle définissant les émigrés qui ont pris un aller- sans retour)!
L'histoire qui mène à la France
Mada Moussa, neveu de l'arrière- grand-père, de Jordan, nous raconte alors l'histoire de la famille. «En 1921, c'était la famine pour nous les autochtones. Par- dessus tout, ma famille a eu des problèmes de dettes». Cette même année Mohand- Seghir et son frère prennent le bateau en direction de la France. Leur aventure dure 15 longues années. Les dettes de la famille remboursées, avec en prime de petites économies accumulées, il était convenu qu'ils retournent au pays. Mohand-Seghir préfère rester en France au risque de prendre le statut d'«Amdjah». La cause: une belle petite parisienne lui a tourné la tête. Denise Annette Jaeck, a ravi le coeur de l'arrière- grand- père de Jordan! Elle en fut l'arrière- grand-mère et, de fait, une actrice du destin incroyable d'un arrière- petit-fils qui s'est laissé séduire par l'extrême droite. Les années passent, Mohand- Seghir finit par couper définitivement les ponts avec le reste de la famille. «On avait entendu parler de nos cousins, sans jamais les rencontrer. On savait que l'on avait, un cousin Roland René et deux cousines, Simone-Denise et Réjane, grand-mère de Jordan Bardella», fait savoir Moussa, l'aîné des Mada, encore en vie. Mais le destin a ses raisons que la raison ignore. Entre les Mada et les Bardella, une autre histoire naît, un autre amour. Rejane Mada rencontre, un enfant d'émigré comme elle, Guérimno Bardella, italien d'origine. Ils donnent naissance à Olivier Bardella, le père de Jordan. Cette fois, c'est une Algérienne qui épouse un Italien.
Les cousins «rebeus» du président du RN!
Les deux branches des Mada se perdent jusqu'aux années 1980. L'un des enfants de Bachir, un des frères de Moussa, va travailler en France. Sur les Pages jaunes, il retrouve son cousin Roland René, frère de la grand-mère de Jordan. Les liens sont renoués. Les cousins sympathisent et Roland décide de découvrir, l'Algérie, le pays de ses origines. «Il vient plusieurs fois au pays», nous révèle Tarik Mada, notre ami boucher. «La fille de Roland, Véronique, finit par épouser mon frère aîné Farid. Il travaille chez Renault et vit à Montreuil», ajoute Tarik. Les Mada voudraient certainement y trouver leur revanche, contre ce petit Jordan qui refuse de regarder par-delà la Méditerranée. Ils n'en disent rien de bon et concentrent leurs souvenirs sur ceux, d'entre eux, qui ont donné leur vie pour l'indépendance de l'Algérie. Les enfants de cette nouvelle union, Yani et Elyas, réécriront à leur tour l'histoire de cette famille...
Il est écrit en arabe, Mohand-Seghir Mada est né le 12 novembre 1903 à Aït R'zine. Fils de Tahar et de Mada Dahbia, il a été inscrit à l'état civil le 13 novembre 1903 par l'administrateur principal de l'époque, Léon Lehocq. Mohand-Seghir Mada a épousé Denise Annette Jaeck le 27 février 1937 en France.
Un collectif de 150 diplomates anciens et en poste, peu habitués à s’exprimer ainsi publiquement, ont publié une tribune, le 23 juin 2024 dans Le Monde, pour alerter sur les conséquences d’une victoire du Rassemblement national (RN) en matière de relations internationales. Les extrêmes droites — du RN à Reconquête en passant par des groupuscules qui servent souvent d’écoles de formation — voient le Proche-Orient au prisme de leurs obsessions franco-françaises : l’islam, l’immigration… Sans toujours en évaluer les retombées diplomatiques.
Beyrouth, 21 février 2017. La candidate d’extrême droite à la présidentielle française Marine Le Pen (à gauche) rencontre le cardinal libanais Mar Bechara Boutros al-Rai (au centre), le patriarche maronite d’Antioche et de tout le Levant, en présence du député français Gilbert Collard (2e à droite) à le Patriarcat Maronite de Bekerk
Par « extrême droite française », on entend les partis politiques Rassemblement national (RN) et Reconquête, qui participent au jeu électoral et peuvent être aussi nommées « droites radicales » en raison de leurs propositions sur l’immigration, la « priorité nationale » et la place des religions minoritaires (islam, judaïsme) dans la communauté nationale — laquelle est définie, avant tout, comme une communauté d’héritage ethnoculturel au sens barrésien de « la terre et les morts ».1 La position de cette famille politique sur le Proche-Orient est déterminée par un corpus idéologique moins élaboré et moins riche que celle, qui n’est pas unanime, des formations groupusculaires situées aux marges (identitaires, nationalistes-révolutionnaires et même monarchistes héritiers de l’Action française). Pour ces groupuscules, la place des juifs dans la société française a été un sujet essentiel, et l’attitude de la France vis-à-vis du sionisme, d’Israël et du monde arabe a donné lieu à des débats intenses, entre antijuifs philo-israéliens et antijuifs philo-arabes.
En ce qui concerne le RN et Reconquête, cette réflexion se produit dans le cadre d’un projet politique de conquête du pouvoir qui doit comprendre la trame d’une politique étrangère. Aux marges, cette préoccupation est absente, mais elle ne doit pas être négligée car cette part groupusculaire du spectre politique est en général une école de formation des futurs cadres des partis. Elle exprime souvent, sous une forme brute, des idées (racisme antimusulman, antisémitisme décomplexé), qui apparaissent de manière euphémisée dans des organisations politiques contraintes à une certaine forme de respectabilité.
LE SÉPARATISME DU RASSEMBLEMENT NATIONAL
Dans son programme pour les élections législatives intitulé « Défendre votre pouvoir d’achat, votre sécurité et votre identité », le RN demeure très discret sur la politique étrangère. Bien que sa position de principe sur la situation en Palestine/Israël soit de soutenir une solution à deux États, il s’oppose à la reconnaissance immédiate d’un État palestinien, Jordan Bardella arguant que, dans le contexte du 7 octobre 2023, cela reviendrait « à légitimer le Hamas »2. Cet argument rejoint l’une des propositions essentielles du RN en matière de politique intérieure, à savoir l’interdiction de l’idéologie « islamiste », qui a fait l’objet d’une proposition de loi présentée en 2021 en réponse à la loi « séparatisme ».3 Selon le député européen RN et ancien magistrat Jean-Paul Garraud, ce texte aurait pour objectif de bannir une mouvancequi refuse de respecter la laïcité, qui est un facteur de scission majeur induisant des menaces graves pour l’unité de la nation et l’intégrité de son territoire, qui est incompatible avec les droits, libertés et principes reconnus ou consacrés par la Constitution et notamment la dignité de la personne humaine ou la liberté de conscience et d’expression4 .
e, souvent présentée comme issue de la matrice des Frères musulmans, ne sont pas énoncés, et les conséquences que l’adoption d’une telle loi aurait sur les relations de notre pays avec le monde arabo-musulman pas davantage. Ce qui est certain, c’est que le RN cible un pays en particulier : le Qatar. Le député Jean-Philippe Tanguy dénonçait ainsi, le 22 octobre 2023, le fait que « ça fait des années qu’on déroule le tapis rouge dans la vie politique française, mais également dans la vie économique du pays aux investissements qataris »5, tandis que Jordan Bardella, toujours dans le contexte de l’après 7 octobre, assurait : « On sait par ailleurs que le Qatar finance pourtant des mouvements terroristes comme le Hamas. »
Ce ciblage de Doha a-t-il à voir avec le fait, révélé en 2019 par Mediapart, que le parti avait renfloué ses caisses, après la campagne électorale de 2017, avec un emprunt de 8 millions d’euros auprès d’un homme d’affaires, opérant essentiellement en Afrique, mais dont les fonds ont été transférés depuis une société de gestion d’actifs basée à Abou Dhabi en direction de la Société générale, alors banque du Front National (FN)6 ? Il est très probable que ce transit par les Émirats ait été une simple question d’opportunité. L’Afrique semble au cœur des préoccupations politico-financières du RN, bien davantage que le Proche-Orient.
Il faut également regarder la tradition française de protection des chrétiens orientaux et le choix stratégique de sortir du commandement militaire intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) afin de restaurer l’autonomie de notre défense nationale vis-à-vis des États-Unis.
La question des « chrétiens d’Orient » a été abordée, le 14 août 2020, dans une tribune de la députée européenne Dominique Bilde, consécutive à l’explosion du port de Beyrouth7 Elle y déplore « l’exode de la communauté chrétienne du Liban », en particulier des maronites qui, « avec les coptes d’Égypte ou les chrétiens de Syrie et d’Irak, quittent massivement leur pays d’origine depuis des décennies maintenant », en raison de la pression de l’État islamique et du Hezbollah. Mais cette tribune, dans laquelle transparait la nostalgie du Liban d’avant 1975, est avant tout écrite dans une optique de politique intérieure française : islamisation, ingérences étrangères et faillite de l’État sont vues comme des maux du Liban qui menacent la France d’implosion.
RENCONTRE AVEC UN EXTRÉMISTE ISRAÉLIEN
Ce tropisme franco-français présidait déjà à la rencontre, en 2015, entre Marine Le Pen et le premier ministre égyptien Ibrahim Mahlab, la présidente du RN déclarait alors : « Le président Al-Sissi est un des leaders qui a le message le plus clair à l’égard du fondamentalisme. » De même, si sa visite au Liban en 2017 comprenait des rencontres avec des interlocuteurs plus diversifiés (le président Michel Aoun, le premier ministre Rafik Hariri, le mufti de Beyrouth, le patriarche maronite et Samir Geagea, chef chrétien maronite des Forces libanaises), Marine Le Pen avait mis en avant, en sortant de Baabda, le palais présidentiel libanais, « l’inquiétude que nous partageons face à la très lourde crise des réfugiés », autrement dit face à l’immigration. Dans un geste symbolique à destination des militaires, elle avait pris soin de déposer une gerbe au pied de la stèle en l’honneur des soldats français, dont ceux du « Drakkar »8, morts au Liban depuis 1975.
L’impression dominante est donc celle d’une politique proche-orientale qui vise avant tout à des gains de politique intérieure. Ainsi, faute de pouvoir encore se rendre en Israël en raison de l’interdit qui pèse sur elle (pour combien de temps ?), Marine Le Pen rencontre, les 18 et 19 mai 2024 à Madrid, le ministre israélien (Likoud) de la diaspora Amichaï Chikli, connu pour ses outrances, puisqu’il qualifie l’Autorité palestinienne de « néo-nazie ». Insérée dans le cadre plus vaste d’une réunion des droites radicales européennes pilotée par le parti espagnol Vox, cette rencontre a pour but de crédibiliser l’assertion de Jordan Bardella : « Le Rassemblement national est le meilleur bouclier pour les Français de confession juive. »
RECONQUÊTE : UN NATIONALISME ENCORE PLUS FERMÉ
Fondé le 30 avril 2021 par Éric Zemmour, Reconquête, au devenir incertain après les élections européennes et le départ de Marion Maréchal, inscrit clairement son programme dans le cadre d’un nationalisme plus fermé encore que celui du RN. Il se réclame d’une « tradition judéo-chrétienne » opposée à une autre « islamo-gauchiste », qui représenteraient non pas des sensibilités au sein du peuple français, mais « deux peuples [qui] ne sont d’accord sur rien » et « se détestent de plus en plus »9. Visitant Israël dans l’atmosphère particulière de l’après 7 octobre 2023, l’essayiste a confirmé sa croyance dans un conflit de civilisations avec le monde arabo-musulman, qui opposerait à la fois Israël et les forces du djihad, et, en France, les personnes issues de l’immigration arabo-musulmane dont l’attitude de conquête aurait comme résultat que « dans les banlieues (…) désormais, il n’y a quasiment plus de Juifs et de chrétiens ». Zemmour en est persuadé, la position du président Emmanuel Macron, affirmant à la fois son soutien à la sécurité d’Israël et la nécessité d’un État palestinien, découle de l’existence de ces deux « peuples » séparés dans la France contemporaine, à qui il faudrait, selon le « en même temps » macronien, donner des gages.
Cette position ne découle pas, contrairement à une idée reçue, d’un calcul électoral, même s’il est arrivé en tête chez les électeurs français vivant en Israël, dont seulement 8 % ont voté aux élections européennes. Zemmour assume le combat civilisationnel. Il le fait simplement d’une manière binaire et simpliste n’ayant rien à voir avec la vision métaphysique d’un Pierre Boutang qui, à partir de 1967 et d’un point de vue néo-maurrassien, voyait dans Israël, État et peuple (au sens de Am Israel, donc de peuple juif), le « dépositaire des valeurs anciennes de l’Europe » et « le plus profond défi du vingtième siècle au matérialisme historique que des penseurs juifs du siècle précédent avaient jeté à la conquête du monde ».10 Malgré le souverainisme de Zemmour, on serait tenté de voir dans son attitude la même forme d’occidentalisme que chez Geert Wilders ou, pour retenir une référence française, dans le slogan du mouvement Occident des années 1960 : « Défendre l’Occident partout où il se bat ». Il est incontestable que les choix d’Éric Zemmour, pour qui l’islam est incompatible avec la citoyenneté française, découlent en partie de son expérience personnelle de français de confession juive originaire d’Algérie, chantre d’une assimilation dont la capacité et la volonté sont déniées à l’Autre arabo-musulman. Cette posture ne peut déboucher que sur la « remigration » qu’il appelle de ses vœux, voire sur un conflit civil tel que décrit dans le roman de Jean Raspail Le Camp des saints (publié chez Robert Laffont en 1973).
L’INCONNUE DES RELATIONS AVEC LE MAGHREB
Le RN comme Reconquête ont un programme d’arrêt total de l’immigration non européenne qui compliquera énormément les relations futures avec le Maghreb. D’autant que Jordan Bardella a annoncé le 24 juin 2024 vouloir interdire aux binationaux, nombreux dans l’administration française, de travailler dans certains secteurs stratégiques comme la défense — ce qui n’est sans doute que le prélude à une remise en cause du droit à la binationalité.
Accompagné par l’abrogation du droit du sol, ce volet identitaire du programme RN, validé par Éric Ciotti et ceux des Républicains qui l’ont suivi, ouvre la possibilité d’une crise majeure avec nos voisins d’outre-Méditerranée.
Jordan Bardella a déclaré que son parti proposait d’abroger les accords franco-algériens de 1968 pour résoudre la question de l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) : cela ne peut résulter que d’une négociation bilatérale, qui devra aussi avoir lieu avec les autres pays qui ne délivrent qu’avec réticence les laissez-passer consulaires permettant les reconduites à la frontière. Et toute négociation bilatérale supposant des concessions de part et d’autre, la France a-t-elle une si grande marge de manœuvre vis-à-vis des pays d’émigration ? C’est peu probable, la vision que le RN a de l’histoire coloniale et de la guerre d’Algérie étant en outre un repoussoir total à une relation équilibrée avec Alger. Au Maroc, on envisage l’arrivée éventuelle d’un gouvernement RN d’une manière plus mesurée : au négatif, la politique migratoire (la Tunisie, elle, a une approche beaucoup plus restrictive sur l’immigration africaine qui peut converger avec celle du RN) et l’opposition du parti aux accords de libre-échange ; au positif, la possible reconnaissance officielle de la souveraineté marocaine sur le Sahara, qui serait perçue à Alger comme une provocation de plus, et une possible coopération sécuritaire maintenue avec Paris.
La relation avec le Maghreb et la partie la plus compliquée de la politique étrangère d’un éventuel gouvernement RN, parce qu’elle est la plus chargée d’histoire ; du côté français, de préjugés xénophobes, et du côté algérien, de volonté, partagée par la population, de ne pas céder à l’ancien colonisateur. Pour ne rien arranger, la question de la pratique de l’islam en France, que le RN veut limiter, y compris en interdisant l’abattage rituel halal et l’envoi d’imams venus du Maghreb comme de Turquie. Cette mesure risque d’ouvrir une crise de confiance avec l’ensemble du monde arabo-musulman.
MIROIR DES FRACTURES FRANÇAISES
Au total, le Proche-Orient et le Maghreb sont pour l’extrême droite, avant tout, un miroir des fractures françaises et le champ où se déploient les forces, en premier lieu l’islamisme, vues comme une menace pour l’essence culturelle et ethnique supposée du peuple français. Notre histoire coloniale accentue ce tropisme de revanche, dans une sorte de souhait sous-jacent d’une « croisade après les croisades » et dans un contexte où la volonté de « normalisation » des droites radicales rejette à l’ultra-droite le vieux fonds antisémite hérité de l’antijudaïsme chrétien comme Drumont, Maurras et Vichy. Une des questions qui se pose alors que le RN peut arriver au pouvoir est de savoir combien de temps cet héritage antisémite pourra être tenu en lisière par une direction dont rien ne dit que la base militante la suit complètement. Et quel est le risque que la désignation de l’arabo-musulman comme ennemi intérieur fasse de la France un pays isolé, incapable de peser au Proche-Orient, ostracisé au Maghreb et plus loin encore.
JEAN YVES CAMUS
Codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques Chercheur rattaché à l’IRIS (Institut des relations internationales...
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