L’écrivain Yasmina Khadra renoue avec son public algérien
une petite tournée dans son pays natal où il a rencontré ses nombreux fans et ranimé les polémiques que suscitent sa personnalité et son parcours
Dans Les Vertueux, Yasmina Khadra propose une plongée dans l’Algérie de l’entre-deux-guerres (AFP/Joël Saget)
« Je reviens me ressourcer. Je reviens parmi les miens pour donner à la jeunesse algérienne cette envie d’aller encore plus loin. Et puis, l’Algérie, c’est ma patrie, je n’en ai pas d’autre. J’ai un seul passeport, il est algérien. »
C’est détendu, souriant voire jovial que Yasmina Khadra confie à Middle East Eye sa satisfaction de revenir en Algérie. Après des mois d’absence en raison de la pandémie, l’écrivain algérien de 67 ans a été acclamé par plus d’un millier de personnes dans la grande salle de la Maison de la culture Mouloud-Mammeri (autre grand écrivain algérien décédé en 1989) à Tizi Ouzou (Kabylie).
Durant son séjour, du 16 au 19 juillet, il est aussi passé par Oran (Ouest) et Alger avec le même succès.
Pour de nombreux journalistes et observateurs, l’écrivain est venu faire la promotion de son nouveau roman, Les Vertueux, qui sortira le 24 août aux éditions Mialet-Barrault. Lui s’en défend : « Je ne suis pas venu faire la promotion de ce livre. Je suis simplement venu rencontrer mes lecteurs », répond-il sèchement à MEE, qui l’a rencontré le 20 juillet dans le salon d’un hôtel algérois.
Tantôt taquin, tantôt ferme et nerveux, l’auteur du roman Les Hirondelles de Kaboul veut faire de ce nouveau et volumineux roman un point d’orgue, l’aboutissement d’une longue et riche carrière de plus de 40 ans.
« Après ce livre, je peux mourir ! », affirme Mohamed Moulassehoul de son vrai nom, ex-officier de l’armée algérienne devenu célèbre sous le pseudo de Yasmina Khadra avec Morituri, un roman noir très politique.
« Tant pis pour eux ! »
Et, en s’arrachant du divan sur lequel il est assis, il répète à l’envi avoir « franchi un cap » dans sa production littéraire. « Les Vertueux va scotcher et émerveiller. Je me suis régalé à l’écrire durant trois ans pour mériter tout mon lectorat. Malgré tous les succès que j’ai eus pour les ouvrages précédents, j’ai le sentiment, pour la première fois de ma vie, d’avoir franchi un cap en écrivant Les Vertueux », s’est-il encore exclamé le 16 juillet dans la salle du Théâtre régional d’Oran.
Lorsqu’on lui demande de résumer ce dernier opus, Yasmina Khadra nous renvoie à une citation de Yacine, le personnage principal du roman. « J’ai vécu ce que j’avais à vivre et aimé du mieux que j’ai pu. Si je n’ai pas eu de chance ou si je l’ai ratée d’un cheveu, si j’ai fauté quelque part sans faire exprès, si j’ai perdu toutes mes batailles, mes défaites ont du mérite – elles sont la preuve que je me suis battu. »
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MEE lui a demandé s’il parlait de lui. « Oui, c’est moi », a-t-il répondu, avec une assurance déconcertante mais habituelle chez lui.
Étrangement, l’auteur conçoit aussi ce roman comme une catharsis, une thérapie qui l’a débarrassé de ses démons. L’homme, d’habitude clivant, se calme et refuse de polémiquer.
Les critiques qui lui reprochent – surtout sur les réseaux sociaux – en vrac, de « se prendre pour Dieu », d’avoir rencontré l’ambassadeur de France en Algérie ou d’écrire en français, il les balaie d’un revers de la main : « Tout ça, c’est du passé. Avec ce livre, je sens que je suis vraiment passé à autre chose. Aujourd’hui, la seule chose qui m’intéresse, c’est moi, ma femme, mes enfants, et ceux que j’aime. »
Il avoue n’avoir « aucune relation » avec d’autres écrivains algériens, mais jure que « ce n’est pas de [sa] faute ». « J’ai toujours fait le premier pas », assure-t-il. « Mais il n’y a jamais eu de retour ».
Un peu agacé, il lance « Tant pis pour eux ! », puis se ressaisit avant de philosopher : « L’amour, c’est comme la haine, c’est une question de liberté. »
Yasmina Khadra préfère faire l’éloge de ses lecteurs, « les seuls qui m’intéressent », et ces derniers le lui rendent bien. À Tizi-Ouzou, par exemple, Yasmina Khadra interprète l’accueil chaleureux du public comme un signe que « le livre a bonne place » dans la société algérienne.
« Tout ça, c’est du passé. Avec ce livre, je sens que je suis vraiment passé à autre chose. Aujourd’hui, la seule chose qui m’intéresse, c’est moi, ma femme, mes enfants, et ceux que j’aime »
- Yasmina Khadra
« Je suis très content parce que je suis reconnu par les miens. Je suis doublement fier, parce qu’ailleurs aussi, dans les autres pays, les salles sont archi-combles. Mais quand c’est chez moi, ça me renforce dans mes convictions », s’enorgueillit l’écrivain devant quelques journalistes présents.
« Lorsqu’on voit un tel engouement autour d’un écrivain, autour du livre, on est contraints de croire que nous ne sommes pas prêts à disparaître », assure-t-il, les yeux illuminés par une fierté non dissimulée. C’est la preuve que « le livre progresse » dans le pays.
Porté par cet élan populaire, Yasmina Khadra est convaincu que les livres font avancer les nations. « Un pays qui n’a pas de livres à proposer est un pays qui risque de pourrir sur ses pieds », professe-t-il.
Présent lors de la conférence de presse donnée à la bibliothèque nationale d’Algérie le 18 juillet par l’auteur de Ce que le jour doit à la nuit, le journaliste et critique littéraire et également écrivain Nadjib Stambouli note, subjugué, dans le quotidien Le Jour d’Algérie : « De mémoire de journaliste culturel, pour voir une telle affluence à une rencontre littéraire en salle, il faut remonter à des décennies, et encore, c’était pour des récitals poétiques. »
Un parcours singulier
Malgré ce succès populaire, Yasmina Khadra a un regret : il n’a pas été en mesure, à part à Oran, de dédicacer ses ouvrages, une tendinite l’empêchant de soumettre sa main à un répétitif exercice de signature.
« C’était plus fort que moi. Et vous étiez un millier. Une nuit n’aurait pas suffi et mon bras n’aurait pas tenu. Mais je promets de me rattraper la prochaine fois. Un million d’excuses », a-t-il regretté sur sa page Facebook.
S’il séduit autant, Yasmina Khadra sait qu’il ne doit pas cela uniquement à ses talents de romancier. Son parcours singulier de jeune soldat devenu officier supérieur de l’armée algérienne puis écrivain à succès passionne. Il en parle régulièrement.
S’il se dit fier « d’avoir servi son pays » durant les années de guerre entre l’armée au pouvoir et les groupes islamistes armés dans les années 1990 lorsqu’il était officier de l’armée algérienne, il se souvient avec amertume de ses premiers succès littéraires, lorsque, caché sous un pseudo, il ne pouvait même pas rencontrer ses lecteurs ou les journalistes. C’est à cette période-là, la deuxième moitié des années 1990, qu’il a commencé à utiliser le nom de sa femme, Yasmina Khadra, comme nom d’auteur.
Les auteurs algériens secouent la littérature francophone
Et lorsque le milieu littéraire a appris qu’il était soldat, « c’était la paranoïa », se souvient l’enfant de Kenadsa, dans le Sud-Ouest de l’Algérie. Les milieux littéraires, notamment en France, se posaient beaucoup de questions sur l’identité de l’auteur. Pire, ils « se demandaient même si c’est moi qui écrivais », se souvient-il.
L’environnement de l’armée n’aide pas à l’émancipation de l’écrivain. Lorsqu’il demande une autorisation pour participer à une émission de télévision, il est envoyé « à Tamanrasset, à 2 000 kilomètres au sud d’Alger », se souvient-il dans un sourire gêné.
Ce qui ne l’empêchera pas de « résister ». S’il est parti plus tard à l’étranger, c’est « pour exister » et non pas pour « chercher la notoriété ».
« Quand j’ai quitté l’Algérie [au début des années 2000], j’étais déjà traduit dans douze ou treize langues », appuie-t-il. L’écrivain revendique désormais une présence éditoriale dans « cinquante-trois pays » et des traductions dans cinquante-huit langues sur cinq continents.
Ce qui fait de lui, selon ses propres termes, « l’écrivain qui a ouvert le monde à la littérature algérienne ». De la mégalomanie ? « Pas du tout. C’est une information ! », se défend-il en invitant ses détracteurs à « se féliciter » de la réussite de l’un des leurs.
Après plus de 30 romans, Yasmina Khadra n’a pas l’intention de s’arrêter d’écrire. « Je vais faire une pause, mais je ne vais pas m’arrêter », prévoit celui qui déclarait, il y a quelques semaines, qu’il allait mettre fin à sa carrière.
« C’était juste pour faire plaisir à mes détracteurs », s’amuse-t-il, provocateur. Il veut que son histoire serve d’exemple aux jeunes, qu’il invite à ne pas se dissocier de « leurs rêves ».
« Car, même si vous n’arrivez pas à les réaliser », promet-il, « vous aurez au moins le mérite d’y avoir cru jusqu’au bout. Et c’est ce qui nous fait avancer. »
Le 26 mars 1962 à 14h50, des soldats du 4ème régiment de tirailleurs placés face à plusieurs milliers de manifestants pieds-noirs favorables à l’Algérie française, tirent dans la foule rue d’Isly, dans le centre d’Alger, faisant plus de 80 victimes. Les médias n’ont pas cru devoir consacrer à ce massacre des études en rapport avec la gravité de l’événement. L’invité de Philippe Conrad, Jean Monneret, docteur en Histoire et spécialiste du conflit algérien, s’emploie à détailler les signes déclencheurs de cette tuerie.
Une ténébreuse affaire : la fusillade du 26 mars 1962 à Alger par Jean Monneret – L’Harmattan – 160 p. – 15,50 €
EEn 1957, les services français orchestrent un attentat contre le docteur Louis Tonellot, un directeur d’hôpital installé au Maroc et jugé trop proche des indépendantistes algériens. « Le Monde » révèle les dessous de cet « ordre de tuer » délivré par Paris, le premier connu, contre un citoyen français.
Cette nuit de juin 1957, la ville marocaine d’Oujda, frontalière de l’Algérie, devait être encore chaude du soleil de la journée. Ses habitants, dans les quartiers européens comme dans la médina, avaient dû laisser les fenêtres des chambres ouvertes, les rideaux flottant au gré de quelques souffles d’air.
Au centre de la cité, dans sa villa bourgeoise, le docteur Louis Tonellot, directeur de l’hôpital Maurice-Loustau, tardait à s’endormir, en dépit de l’heure avancée. Ce chirurgien de 46 ans était assis à son bureau. Il n’avait pas eu beaucoup de chemin à parcourir pour venir de l’hôpital. La maison familiale, entourée d’un grand jardin, se trouvait juste en face. Une rue à traverser, un bel escalier à gravir, et il arrivait chez lui, auprès des siens.
Les trois enfants du couple, deux garçons et une fille, dorment profondément. La petite dernière, Michèle, 6 ans à peine, a rejoint sa mère dans le lit parental. Tout semble paisible lorsque, tout à coup, une explosion retentit et fait trembler l’édifice. La bombe, deux kilos d’explosif plastique, était posée sur la terrasse des parents. La déflagration a soufflé les vitres, le mobilier et l’huisserie de la pièce. La fillette et sa mère ont été blessées par des éclats. Le père, lui, n’a rien, et peut donc prodiguer les premiers soins après s’être assuré que ses deux fils sont indemnes. A l’évidence, l’attentat visait à tuer. C’est un miracle si personne n’est mort. L’engin avait été mal orienté, conclueront les enquêteurs.
Peu de temps après, la police locale arrête un Marocain, un employé de maison renvoyé quelques mois plus tôt. A en croire le dossier judiciaire, il aurait agi par vengeance. Condamné à la prison, il n’en dira jamais plus sur ses motivations.
Le docteur Tonellot, lui, se dit qu’il n’a pas agi seul et que cet attentat, clairement ciblé, a sans doute un lien avec ses prises de position « politiques ». Farouche anticolonialiste, le médecin a eu le temps de se mettre du monde à dos dans les rangs des soutiens de l’Algérie française, de part et d’autre de la frontière. Il sait qu’on lui reproche, depuis deux ou trois ans, d’être « l’ami des fellagas », les Algériens engagés dans le combat pour l’indépendance.
D’autres hypothèses, plus fantaisistes, circulent à l’époque sur cette tentative d’assassinat. Des officiels français laissent ainsi entendre que le Front de libération nationale (FLN) algérien aurait pu la commanditer. Le docteur Tonellot, décédé à Montpellier en 1996, et sa famille en sont restés au stade des hypothèses. Jamais ils n’ont su la vérité.
Soixante-cinq ans après, Le Monde est en mesure de lever le voile sur cet épisode oublié : ce sont les autorités françaises elles-mêmes, prêtes à tout pour conserver l’Algérie, qui avaient autorisé cette opération contre le chirurgien, jugé gênant par Paris. Autrement dit, ce dernier a été victime d’un « ordre de tuer », le premier connu à ce jour, donné par un gouvernement français contre l’un de ses ressortissants.
La preuve ? Un document confidentiel, daté de l’été 1958, exhumé du fonds d’archives personnelles de Jacques Foccart, homme de confiance du général de Gaulle, chargé de suivre les services secrets et les affaires africaines. Cette pièce, et d’autres découvertes par Le Monde aux archives diplomatiques et dans celles du ministère des armées, montrent à quel point l’histoire du docteur Tonellot s’inscrit dans le cadre de la guerre secrète menée en Afrique du Nord entre 1956 et 1962.
« On n’a jamais su »
Pour comprendre d’où viennent ces documents, il faut revenir au printemps 1958. Tout juste de retour au pouvoir, le général de Gaulle confie à Foccart la coordination d’un programme d’opérations clandestines sur fond de conflit algérien.
Au cours de l’été, soit un an après l’attentat contre le chirurgien français d’Oujda, Foccart demande ainsi au service action du Sdece (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, l’ancêtre de la DGSE), chargé de telles missions – menaces, attentats, sabotages, mais aussi assassinats –, de lui rendre compte de l’ensemble des « opérations réalisées depuis le 1er janvier 1956 ». Un état des lieux avant d’envisager la suite.
En retour, Jacques Foccart reçoit du Sdece un tableau classé « secret-défense » indiquant, pour chaque action conduite par les agents français, le « but à atteindre », le lieu, les moyens utilisés et le résultat. Sur les trente-huit opérations mentionnées, dix-sept ont été réussies, dix-sept ont été annulées, notamment « sur ordre supérieur » ou pour « sécurité douteuse », et quatre sont qualifiées d’« échec[s] ». Au titre des projets d’assassinats, on relève, parmi les cibles, des noms d’Européens, souvent des Allemands membres de réseaux de soutien du FLN, de chefs de la rébellion algérienne ou de trafiquants d’armes étrangers.
En regardant attentivement, un seul patronyme à consonance française figure dans ce tableau : « Tonnelot ». Les informations qui y sont attachées, à part l’orthographe – Tonellot prend un seul « n » et deux « l » –, corroborent les événements vécus par la famille du médecin un an plus tôt. Il est écrit : « Tonnelot – Oujda – Juin 1957 – Dépose d’une charge sur la terrasse de l’objectif – La famille est atteinte ». Le Sdece qualifie cette opération de « réussite partielle », une appréciation assez flatteuse au regard de la réalité. Ce document, désormais accessible, atteste donc la responsabilité des services français dans cet attentat.
« Nous n’avons jamais cru que l’ancien employé de maison avait fait ça tout seul, raconte aujourd’hui Michèle Cayot-Tonellot, blessée ce soir-là. On se disait que cela pouvait avoir un lien avec le fait que papa était favorable à l’indépendance de l’Algérie et qu’il soignait tout le monde sans distinction, y compris des gens du FLN qui traversaient la frontière. Plus tard, on a pensé à l’OAS [Organisation armée secrète, un groupe armé clandestin pro-Algérie française], mais on n’a jamais su.» Elle poursuit : « J’avais à peine 6 ans. On a eu l’impression que la bombe avait été lancée du toit. J’ai aussi le souvenir d’un impact au pied du lit où j’étais avec maman. J’ai été blessée, mais cela aurait pu être beaucoup plus grave. »
Confrontée aux archives de Jacques Foccart prouvant la responsabilité de l’Etat français, Michèle Cayot-Tonellot confie que cette information a réveillé de douloureux souvenirs chez certains membres de la famille, notamment ses frères. « J’ai été plus protégée qu’eux, même si au lycée, des camarades me traitaient de “fille de fellaga”. »
Sur les éventuels griefs de la France contre son père, elle s’insurge : « C’était un gaulliste, un anticolonialiste et un homme qui faisait peu de compromis avec ses convictions, c’est vrai, mais il n’était pas encarté au FLN ».
Médecin atypique
Louis Tonellot naît le 19 avril 1911, à Oran, une ville portuaire située dans le nord-ouest de l’Algérie. Il se marie avec Yvonne Sendra, qui a, pour sa part, grandi à Sidi Bel Abbès. Dès le début des « événements », la famille de la jeune femme prend fait et cause pour le maintien de ce territoire dans le giron français, ce qui ne facilite pas les relations.
L’activisme de son époux ne se limite pas au conflit algérien. Louis Tonellot, c’est d’abord un tempérament. En 1943, alors qu’il faisait passer des visites médicales aux futurs goumiers, ces soldats de l’armée d’Afrique qui participeront, notamment, à la libération de la Corse puis à la campagne d’Italie, un aspirant lui aurait lancé, sous forme de boutade, qu’il ne prenait guère de risques installé derrière son bureau. En guise de réponse, Louis Tonellot s’est engagé et il a intégré comme médecin-chef l’état-major du IVe tabor goum, rattaché, en juin 1943, à la VIIe armée américaine du général Patton. Nommé lieutenant, il a débarqué en Sicile à l’été 1943. « On nous a toujours dit que papa avait été décoré de la Silver Star par l’armée de Patton, mais nous ne l’avons jamais retrouvée », glisse sa fille.
Le lieutenant Tonellot n’ira pas plus loin. Il retrouve la vie civile auprès des siens à Midelt, une ville du centre du Maroc, où il exerce en tant que médecin jusqu’en 1953, s’occupant notamment des ouvriers employés dans les mines d’Aouli.
Là aussi, son passage laissera des marques. A l’époque, ce pays ne reconnaît pas encore la silicose comme une maladie professionnelle. Or, en auscultant d’anciens mineurs, le docteur Tonellot constate les graves affections pulmonaires provoquées par cette maladie. Lors d’un congrès de médecins, il s’indigne : « Niant l’évidence avec une mauvaise foi consommée, les cadres de la mine assuraient qu’il s’agissait de cas de tuberculose. (…) Proposition me fut faite d’être muté pour un poste de mon choix. Inutile de dire que je refusais. Je n’acceptais que lorsque le diagnostic que j’avais établi fut finalement confirmé en 1953, entraînant la reconnaissance officielle de cette maladie. »
En 1955, on lui confie la direction d’un petit hôpital de province, à Berkane, puis d’un autre à Mogador (l’actuelle Essaouira). Alors que le pays vient d’accéder à l’indépendance, il affiche sa volonté de participer à la naissance d’un « Nouveau Maroc ». Cet engagement le rapproche des dirigeants du pays, comme le président du conseil marocain, son ami Ben M’Barek Lahbil Bekkaï, lequel le promeut, le 31 mars 1956, directeur de l’hôpital Maurice-Loustau d’Oujda et, par la même occasion, chef du service régional de la santé publique. Début avril, voici Tonellot installé sur place.
Sa prise de fonctions n’échappe pas aux services de renseignement français, ni au consulat de France dans cette ville. L’ambassade, à Rabat, s’agace vite, elle aussi. Dès l’automne suivant, une longue « note de renseignement sur l’hôpital Maurice-Loustau et sur la situation médicale dans la province d’Oujda » remonte à Paris.
Y sont relatés dans le détail les bouleversements entraînés par la nomination de ce directeur atypique. Ces précisions notamment : « Appartenant au mouvement Conscience française, adhérent au mouvement France-Maghreb, affilié au Parti communiste, le docteur Tonellot, précédemment chef de l’hôpital Hudde à Berkane, avait été muté à Mogador pour des raisons politiques et professionnelles. » Le courroux naissant des autorités françaises est, dans un premier temps, lié au fait, selon cette même note, qu’« il s’attache à faire de Loustau un centre hospitalier exclusivement marocain, où pourraient être soignés et traités les rebelles blessés en Algérie ».
« Lutte ouverte contre les autorités »
Trois mois suffisent pour que Louis Tonellot réforme en profondeur le fonctionnement de l’établissement. Il renouvelle le personnel soignant et provoque la démission de cinq des huit médecins en poste. Les services de renseignement y voient une manœuvre pour « les remplacer par des médecins choisis uniquement en fonction de leurs convictions politiques ». D’après la note, cette affirmation est en partie fausse. Ainsi, le docteur Bonnel, chirurgien et « ex-militant du Parti communiste, acquis à la cause des rebelles algériens », opérait déjà des rebelles blessés avant l’arrivée du docteur Tonellot.
L’ambiance à l’hôpital est tendue. Le directeur pousse les mandarins vers la sortie. Le docteur Benhaïm, chargé du service de médecine générale, refuse de partir. Il finit par accepter quand il est menacé d’être privé de salaire à compter du 30 juin 1956. Le chef du service d’oto-rhino-laryngologie et d’ophtalmologie, le docteur Veyrier, tente de plaider sa cause auprès de la Direction de la santé et de l’hygiène publique, à Rabat. En vain. Il part aussi le 30 juin. Le docteur Massonneau, responsable du service de phtisiologie, visé par une pétition signée par des malades qui demandent son départ, obtient un congé administratif de quatre mois, dans l’espoir de revenir. La pédiatre, le docteur Benoit-Jeanette, part d’elle-même, remplacée par le docteur Rahal, « un Français musulman d’Algérie », mentionnent les services de renseignement. Les recours des exclus devant l’ordre des médecins n’aboutissent pas. Des médecins algériens, les docteurs Saïd de Marnia et Haddam, rejoignent le docteur Rahal.
Louis Tonellot recrute également des adjoints de santé marocains à Rabat et à Casablanca pour, dit-il, « remettre l’hôpital d’aplomb ». Sa stratégie de recrutement, localement ou dans d’autres hôpitaux de la région, énerve ses collègues européens. Le renseignement français relaie ce sentiment : « Le personnel musulman, fort de l’appui qui lui est ainsi accordé, n’accepte plus ni ordres ni remarques de la part de ses supérieurs français. Ces derniers sont souvent l’objet de plaintes injustifiées de la part de malades marocains poussés par des meneurs tolérés ou protégés par le docteur Tonellot. »
Au mois d’avril 1956, à l’entrée en fonctions du nouveau directeur, l’hôpital Maurice-Loustau compte 600 lits. Jusqu’en mars, 500 d’entre eux étaient occupés par des Marocains et une centaine par des Européens. Le nombre de ces derniers tombe à une dizaine après l’arrivée du docteur Tonellot. L’une des explications de cette soudaine désertion, à en croire la note de renseignement, serait « les vexations dont sont victimes les Européens dans leur amour-propre ». Derrière cette formulation se cache une raison que même le « secret-défense » qui frappe ces documents ne saurait totalement dissimuler. Avant le changement de direction, les malades, selon qu’ils soient français de souche ou marocains, étaient logés dans des services distincts, « cela non dans un esprit raciste, précise la note, mais pour respecter les différents modes de vie des Européens et des musulmans ». Jugeant cette séparation contraire à ses valeurs et à l’esprit du « Nouveau Maroc », le docteur Tonellot a rassemblé les patients dans les mêmes salles et fait servir à tous la même nourriture marocaine.
Mais c’est une autre raison qui va convaincre les autorités françaises et leurs agents d’essayer de l’assassiner : le nombre croissant de combattants du FLN soignés dans cet hôpital. « Ils accueillent des individus en lutte ouverte contre les autorités françaises en Algérie, se plaignent les services, et, grâce à des diagnostics volontairement erronés, font admettre les rebelles blessés àl’hôpital Loustau. » En mai 1956, la fiche d’un patient reçu par le médecin algérien Abdesslam Haddam indique : « Syndrome abdominal aigu. » Un autre médecin, français, constate, lui, deux blessures par balles et refuse de signer le bulletin d’hospitalisation, pour ne pas être complice.
Les synthèses des services
Le 16 juin 1956, sous les yeux d’un infirmier français qui joue les indicateurs pour le consulat de France à Oujda, le même docteur Haddam « a rendu visite à quinze rebelles admis la veille, les a accueillis comme des amis retrouvés et les a embrassés ». Le lendemain, le médecin algérien accompagne cinq d’entre eux, à 18 h 45, en salle de traumatologie. « Le docteur Haddam paraît être l’un des principaux organisateurs de l’aide apportée aux rebelles algériens », assurent les services, avant d’ajouter : « Depuis le mois d’avril 1956, le nombre de rebelles algériens blessés, soignés ou opérés à l’hôpital Loustau s’élèverait à une centaine. » La seule journée du 15 juin, dix blessés par balles sont hospitalisés.
Pour les services français, l’action des docteurs Tonellot, Bonnel, Haddam et « du personnel hospitalier qui leur est dévoué répond, en premier lieu, à celle dictée par le Parti communiste, dont ils sont tous militants ou sympathisants ». Puis, ces services abattent ce qu’ils pensent être leur meilleur argument : « Les précautions prises par ces médecins montrent d’ailleurs qu’ils n’ignorent rien du caractère illicite de leur activité, malgré une attitude qu’ils prétendent dictée par un sentiment purement humanitaire et par leur devoir de médecin. »
Les synthèses du Sdece et des autorités consulaires françaises au Maroc sur l’activité de l’hôpital Maurice-Loustau continuent d’alimenter, en 1956 et début 1957, le commandement militaire en Algérie. « Les soins donnés aux fellagas algériens blessés nécessitent un trafic complexe tant matériel qu’administratif pour dissimuler au maximum le nombre d’entrées, l’identité des entrants et justifier en malades marocains fictifs le nombre de malades algériens admis en fraude. Les individus ainsi hospitalisés sont d’ordinaire en possession de faux papiers d’identité et tous sont inscrits comme ressortissants marocains. »
Dès le mois de mai 1956, le renseignement français a signalé l’aménagement, à Oujda, à des fins de discrétion, d’une salle d’urgence dans le centre de santé attenant à l’hôpital, rue Jules-Colombani. Une décision prise, indiquent les rapports, pour « pratiquer des interventions chirurgicales sans attirer l’attention des médecins et du personnel français travaillant à l’hôpital et soustraire les hospitalisés à toutes les formalités administratives nécessaires pour entrer à l’hôpital ».
De fait, cet établissement joue un rôle très précis dans le circuit de prise en charge des blessés du FLN. Ces derniers sont soignés soit sur place en Algérie, soit au Maroc dans des zones contrôlées par l’armée de libération, telle celle de Béni-Snassen où se trouve un centre d’hébergement et un hôpital de campagne. Mais si leur état nécessite une intervention chirurgicale plus lourde, ils sont transportés à Oujda par les ambulances de l’hôpital de Berkane, dont les déplacements ne sont pas surveillés.
Début 1957, l’activité de l’hôpital Maurice-Loustau s’intensifie. Le renseignement militaire français au Maroc s’en fait l’écho dès le 4 janvier : « Afflux fellagas blessés à l’hôpital Loustau, Oujda, augmente suite aux accrochages récents région Tlemcen. » Le 13 février, nouveau message : « Un PC est installé à l’hôtel Marakech, à Oujda, où tout rebelle blessé est contrôlé avant et après hospitalisation à Loustau. Grosse circulation véhicules aux environs, avec appui autorités marocaines, flux de 400 rebelles soignés à Oujda, les grièvement atteints à Loustau, les autres chez des particuliers par des médecins itinérants de l’hôpital. Un asile d’aliénés désaffecté du quartier de Lazaret à Oujda sert depuis six semaines de centre de convalescence. »
La rancœur de Paris
L’attentat de juin 1957 contre le docteur Tonellot et sa famille ne change en rien la politique d’accueil et de soins du médecin en faveur des blessés algériens du FLN. Le 23 avril 1958, l’état-major français est ainsi informé par des chefs rebelles capturés par les forces de l’ordre que « les malades atteints de maux sérieux sont toujours hospitalisés à l’hôpital Loustau à Oujda, où ils reçoivent des soins des docteurs Haddam, Boukli, Sauvaget et Tonellot ».
Dans un premier temps, les autorités françaises ont cherché un biais juridique pour contrer le soutien des équipes de Tonellot au FLN. En vain. « Aucune poursuite ne semble actuellement possible au Maroc, à l’encontre des individus apportant leur aide à la rébellion algérienne avec l’accord tacite du gouvernement marocain, regrette un diplomate dans un autre document secret. La seule solution propre à stopper cette activité anti-française réside dans un renforcement des mesures de surveillance de la frontière algéro-marocaine. »
Le Sdece ne cache pas non plus sa rancœur contre le Maroc. Il le dit dans une note sur les « activités FLN au Maroc et sur l’aide marocaine à la rébellion algérienne » adressée, le 25 juillet 1957, au président du Conseil français de l’époque, le radical Maurice Bourgès-Maunoury. Pour le Sdece, les protections dont bénéficie le réseau Tonellot correspondent « au désir du gouvernement marocain d’apporter indirectement et sans se compromettre une aide effective à l’armée de libération algérienne ». Les agents français soulignent qu’« en dépit de sa prudence, le gouvernement marocain (…) apporte un soutien diplomatique à la cause algérienne » et œuvre pour le « financement » et le« recrutement d’Algériens résidant au Maroc, ou même des Marocains », voire pour du « trafic d’armes ».
Trop exposé, malgré la présence de gardes armés devant sa maison, le docteur Tonellot finit par quitter Oujda en 1959. A Rabat, il prend la tête de l’hôpital Avicenne (devenu Ibn Sina) à la demande du roi Mohammed V, dont il devient l’un des médecins. « Jusqu’en 1962, précise sa fille Michèle, nous avons été bannis de notre ambassade à Rabat et nous ne pouvions pas rentrer en France ».
Les choix de Louis Tonellot ont aussi eu des répercussions dans son cercle familial. Le mari de sa sœur est membre de l’OAS, organisation engagée dans une sale guerre contre les réseaux de soutien au FLN. Pourtant, l’engagement du docteur Tonellot va sortir ce même beau-frère d’un très mauvais pas. « Vers la fin de la guerre, raconte sa fille, le FLN a arrêté cet oncle et interrogé ma tante, sa femme. Ils se sont aperçus qu’elle avait comme nom de jeune fille le même que celui de mon père. Ils ont laissé la vie sauve à son mari. Autrement, ils l’auraient fusillé. »
Spectateur privilégié des luttes de pouvoir au sein du régime chérifien, ce père à la vie tumultueuse et riche prendra peu à peu ses distances avec Hassan II, notamment après la mort, le 16 août 1972, de Mohamed Oufkir, son ministre de l’intérieur, puis de la défense. Selon le pouvoir, qui l’accuse d’avoir fait partie d’un coup d’Etat raté, Oufkir s’est suicidé. « La femme d’Oufkir a demandé à papa, qui était ami avec son mari, de venir constater les causes de la mort par lui-même, se rappelle Michèle Cayot-Tonellot. Il n’a pas été long àdécouvrir la trace d’un impact de balle dans le dos… » Se reconnaissant de moins en moins dans les nouvelles générations au pouvoir, Louis Tonellot finit, en 1977, par rentrer en France, ce pays qui avait tenté de l’assassiner une nuit de juin 1957.
Par Jacques FollorouPublié le 12 mai 2022 à 03h14 - Mis à jour le 19 mai 2022 à 11h37
Le juriste Massensen Cherbi estime que l’amélioration économique du pays est significative depuis l’indépendance, le 5 juillet 1962, mais que le maintien de la primauté des militaires dans le système demeure une source de frustration pour la population.
Spécialiste de l’évolution constitutionnelle de l’Algérie, Massensen Cherbi est docteur en droit, diplômé de l’université Paris-Panthéon-Assas. Il est attaché temporaire d’enseignement et de recherche en droit public à Sciences Po Grenoble.
Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, quel bilan en faites-vous ?
Je vais commencer par une anecdote. Un jour, j’ai posé la question du bilan de l’indépendance à un Algérien à la retraite qui avait exercé la profession d’ingénieur et devait avoir autour de 18 ans en 1962. Il m’a répondu : « Quand j’étais jeune, on s’éclairait à la bouse de vache. » Aujourd’hui, il vit dans une belle villa sur les hauteurs d’Annaba, dans l’Est algérien. Il est incontestable que, sur le plan de l’économie ou de l’éducation, l’Algérie a enregistré des avancées en comparaison avec l’époque coloniale. Il y avait environ 15 % d’Algériens scolarisés à l’école de la République en 1954. Ils le sont pratiquement tous aujourd’hui.
On entend parfois, chez des nostalgiques de l’Algérie française, dire que la France avait construit une quinzaine de barrages en cent trente-deux ans de colonisation. Soixante ans après l’indépendance, l’Algérie en possède près de quatre-vingts. Ce qui n’a pas empêché les frustrations et le sentiment de « mal-vie ».
D’un côté, la rente pétrolière, qui a permis d’acheter la paix sociale, a contrarié la diversification de l’économie et a approfondi la dépendance aux hydrocarbures. D’un autre côté, l’enrichissement relatif n’a pas comblé des aspirations à l’épanouissement. Il y a même l’impression d’un grand gâchis au regard du potentiel dont le pays disposait et dispose toujours et qui aurait dû lui permettre d’aller vers l’avant.
La prééminence des militaires dans le système politique a été fortement contestée durant le Hirak, en 2019. Quelle est la réalité de cette emprise ?
Cette question s’est posée dès la guerre d’indépendance. Le congrès du Front de libération nationale (FLN) de la Soummam, en 1956, avait posé le principe de la primauté du politique sur le militaire. Néanmoins, son instigateur, Abane Ramdane, a été assassiné en 1957.
Les trois colonels, Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal ont alors pris le dessus au sein du FLN. Ils ont ensuite été eux-mêmes écartés par un autre colonel, Houari Boumédiène, qui a pris le pouvoir, durant l’été 1962, contre les wilayas [collectivités territoriales] de l’intérieur et le gouvernement provisoire de la République algérienne, par la force dont il disposait grâce à l’armée des frontières.
Un « système politique militarisé », selon la formule du juriste Madjid Benchikh, s’est ainsi mis en place, même si le régime avait une apparence civile à l’indépendance, avec le nouveau président Ahmed Ben Bella. Ce système est devenu encore plus ouvertement militaire après le coup d’Etat de Boumédiène, en 1965.
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Ce système est-il toujours en place ?
Les années 1980 avaient, certes, été marquées par une dépolitisation de l’armée, comme l’a montré la politologue Myriam Aït-Aoudia, avec une Constitution de 1989 qui avait enlevé à l’armée son rôle de bouclier de la révolution socialiste.
L’institution militaire s’est toutefois repolitisée à l’occasion de la montée en puissance du Front islamique du salut (FIS), qui a débouché sur la suspension du processus électoral, en janvier 1992. L’avènement du président Abdelaziz Bouteflika, en 1999, s’inscrivait ainsi dans une certaine continuité, puisqu’il avait lui-même été le protégé du colonel Boumédiène, auquel il devait sa carrière. Et c’est finalement l’armée qui l’a renversé, le 2 avril 2019. Car les manifestants du Hirak avaient beau scander « Non au cinquième mandat », Bouteflika restait en place.
Les mécanismes institutionnels étaient en effet impuissants à en permettre la destitution et il n’a démissionné qu’après un communiqué de l’armée l’appelant à quitter ses fonctions « immédiatement ». Et, durant toute cette année 2019, le pouvoir réel de l’armée ne s’est jamais fait autant ressentir.
C’est à ce moment-là qu’est apparue, au sein du Hirak, cette revendication d’un « Etat civil, non militaire », qui renvoie à la prééminence du politique sur le militaire, déjà formulée lors du fameux congrès de la Soummam ou encore dans le projet de Constitution de la fédération de France [du FLN], en 1962. En guise de réponse, l’armée l’a diabolisée avant d’introduire dans la Constitution amendée le 1er novembre 2020 une nouvelle disposition lui conférant la mission de défendre « les intérêts vitaux et stratégiques du pays » (article 30, alinéa 4). C’est-à-dire qu’elle ade jure constitutionnalisé ce qui, jusque-là, relevait du de facto. Le « pouvoir réel » de l’armée est désormais dans la Constitution.
Lors de son émergence, le 22 février 2019, on avait qualifié ce mouvement de « révolution du sourire ». Et, pour l’avoir vécu in situ, je peux témoigner que le terme était bien approprié. Les manifestants étaient heureux de pouvoir exprimer leur souveraineté, leur joie d’être Algériens, leur volonté de faire nation.
Puis est arrivée la répression, le 19 juin, avec le prétexte du drapeau amazigh [berbère] déployé dans les marches qui a ouvert la voie à la répression tous azimuts contre le Hirak. L’enthousiasme a alors cédé la place à une désillusion inversement proportionnelle. Je me souviens avoir enseigné, en décembre 2019, à Alger, à des étudiants, relativement privilégiés par ailleurs, qui me disaient : « Monsieur, on a tous envie de partir. »
Aujourd’hui, le sentiment prévaut d’un grand gâchis. Après l’enthousiasme populaire qui rappelait la joie de la libération de 1962, on avait l’impression de revivre le retournement de situation de l’été 1962. Comme s’il y avait un parallèle entre un Hirak « confisqué » et ce que Ferhat Abbas avait qualifié d’« indépendance confisquée ». L’ « indépendance » était d’ailleurs l’un des slogans-phares du Hirak, je me souviens même d’une pancarte sur laquelle il était écrit « 1962, indépendance du pays, 2019, indépendance du peuple ».
Mais cet échec du Hirak n’est-il pas également dû à ses propres faiblesses, et notamment à son incapacité à s’auto-organiser ?
Il y a eu, en fait, tout un arsenal répressif qui a empêché cette organisation. Le Hirak a dû faire face à un appareil constitutionnel et législatif liberticide, en matière de droits à manifester, à créer des associations ou des partis politiques. Et il y a eu aussi cette propagande visant à créer des ennemis de l’intérieur.
Bouteflika est parti, mais le système politique est resté en place durant tout le Hirak. C’est ce qui fait la différence avec la Tunisie, où le démantèlement du système Ben Ali [1987-2011] a pu autoriser une transition démocratique en 2011. Il est un peu facile d’accuser les faiblesses du Hirak alors qu’il a dû affronter un système répressif demeuré intact.
Cette emprise de l’armée n’est-elle pas due, au fond, aux circonstances de la naissance de l’Etat algérien, dans la violence d’une guerre coloniale ?
Je ne pense pas qu’il y ait de fatalité. Si l’on fait du droit comparé, on observe que la Ve République française est née d’un coup d’Etat militaire, le 13 mai 1958 à Alger, et cet événement fondateur n’a pas pour autant produit de système politique militarisé en France.
L’ex-URSS est issue d’une révolution armée, mais Staline, un civil, a rapidement pris le dessus sur le fondateur de l’Armée rouge, Trotski, jusqu’à purger une grande partie des officiers soviétiques. Il n’y a pas nécessairement de lien de cause à effet entre la mainmise des militaires et le fait d’être issu d’une révolution armée.
En Algérie même, l’armée avait accepté en 1989 d’accompagner la transition démocratique, processus remis en cause par la montée du FIS. Or ce péril islamiste a aujourd’hui disparu, on l’a bien vu lors du Hirak. Il n’y a pas d’irréversibilité, il est possible d’en sortir. L’armée elle-même gagnerait à la dépolitisation qui lui permettrait de renforcer ses attributs traditionnels de défense des frontières.
Qu’en est-il de l’idée de pluralité – linguistique, régionale, religieuse – de la société algérienne après soixante ans d’indépendance ?
C’est tout l’enjeu autour de l’identité. Doit-elle être enfermée, définie, ou doit-elle rester ouverte ? La difficulté s’était posée dès le mouvement national, notamment avec la définition d’une identité centrée uniquement sur l’islam et l’arabité tandis qu’un autre courant proposait que l’Algérie soit plus généralement qualifiée d’algérienne. Cette notion d’Algérie algérienne, qui a créé une crise en 1949 au sein du mouvement national, signifie que l’identité est diverse, vivante et qu’elle est susceptible d’évolutions. En 1962, le projet de Constitution de la fédération de France faisait ainsi simplement référence à une « culture nationale authentique » non définie, c’est-à-dire ouverte.
C’est pourtant la conception d’un enfermement sur l’islamité et l’arabité qui a fini par prévaloir dans les textes constitutionnels ou les chartes nationales. Face aux mouvements de contestation berbère – le « printemps berbère » de 1980 ou le « printemps noir » de 2001 –, l’amazighité va toutefois finir par être reconnue. La langue, le tamazight, va ainsi être constitutionnalisée comme langue nationale en 2002 puis langue officielle en 2016. Mais l’arabe demeure « la » langue nationale et officielle « de l’Etat », tandis que le tamazight est « une » langue nationale et officielle, sans préciser de quoi. Il y a donc une certaine ouverture au pluralisme linguistique mais celle-ci demeure assez limitée, formelle. La proportion d’Algériens scolarisés en tamazight n’excède pas quelques pour cent.
Et la diversité religieuse ?
Alors là, c’est le grand tabou. L’islam est religion d’Etat depuis 1963 et, sur le pluralisme religieux, l’Algérie s’est tantôt ouverte tantôt refermée.
En réalité, il y a toujours eu une certaine tolérance vis-à-vis des catholiques. Il y a même une reconnaissance des cultes – catholique, protestant et juif– dans la législation algérienne. Mais force est de constater que, avec le départ après 1962 des Européens et des juifs d’Algérie, le pays a perdu de cette diversité, ces dispositions législatives sont restées assez largement théoriques. Les Algériens ont ainsi vécu progressivement dans un entre-soi musulman, même si cet islam algérien a connu des rebondissements.
Après l’indépendance, l’islam réformiste a été promu contre l’islam traditionnel, confrérique et maraboutique. Puis, avec la montée de l’islam politique dans les années 1980, les autorités ont effectué une marche arrière, cette fois-ci en faveur de l’islam confrérique et maraboutique. Evoluant dans cet entre-soi musulman, les Algériens ne sont pas habitués à l’altérité religieuse. On le voit avec l’ordonnance de 2006 condamnant le « prosélytisme » à l’égard des musulmans, qui vise les néo-évangéliques mais aussi les catholiques.
Malgré les ouvertures, comme l’insertion dans les programmes scolaires de saint Augustin – né à Souk-Ahras (à l’époque Thagaste), en Algérie –, il y a toujours cet enfermement institutionnel. La liberté de conscience a ainsi été supprimée de la Constitution lors de la révision de 2020.
Cela signifie-t-il qu’il y a un approfondissement de l’islamisation de la société algérienne ?
C’est plus compliqué. En réalité, on a plutôt l’impression d’une sécularisation progressive de la société algérienne, comme ailleurs dans le monde. Les manifestations du Hirak, où les revendications islamistes étaient quasi nulles, l’ont bien montré. Il y a, en quelque sorte, un paradoxe entre un enfermement institutionnel dans une identité mono-confessionnelle et une sécularisation progressant lentement mais sûrement dans la société elle-même.
Comment les rapports avec la France ont-ils évolué depuis l’indépendance ?
Il faut faire la différence entre les rapports institutionnels entre Etats et la manière dont la population les perçoit. Quand l’amitié officielle est au plus haut, il y a la perception, au sein de la population, que la France soutient le régime.
Ainsi lors de la visite de Jacques Chirac à Alger, après la réélection de Bouteflika en 2004, le journal El Watan titra : « La caution de Paris » et Le Matin : « Chirac blanchit Bouteflika ». Puis, quand Emmanuel Macron a « salu[é] », en mars 2019, la décision de Bouteflika de renoncer à sa candidature à un cinquième mandat, ou quand il a exprimé son soutien au président Abdelmadjid Tebboune – déclarant, en novembre 2020 à Jeune Afrique, qu’il ferait tout son « possible pour [l’]aider » – l’impression a dominé, dans les rangs du Hirak, que la France manipulait les dirigeants d’Alger, qu’elle continuait de tirer les ficelles en coulisse, qu’elle n’avait, en fait, jamais quitté l’Algérie depuis 1962.
A contrario, si Paris critique les autorités algériennes, alors fuse l’accusation de la « main de l’étranger ». La difficulté pour la France est que, quoi qu’elle fasse, elle se trouve dans une position embarrassante.
J’ajoute un autre élément qui façonne la perception algérienne de la France. Il s’agit des chaînes françaises d’information en continu qui sont très regardées en Algérie. Or nombre de ces émissions donnent la parole sans contradiction à des tenants de la « nostalgérie »[nostalgie de l’Algérie française] énonçant des énormités sur la conquête et le passé colonial. Sans compter une couverture obsessionnelle des histoires de voile ou de burkini. Quand le public algérien voit et entend tout cela, il finit par se convaincre que la France demeure hostile à l’Algérie et aux Algériens vivant en France.
Le quotidien francophone, symbole de la presse privée née dans les années 1990, croule sous les dettes et ne peut plus payer ses salariés.
Un homme lit le quotidien « El Watan », à Alger, en septembre 2019. RYAD KRAMDI / AFP
Le journal « s’achemine vers la fermeture définitive ». Le constat du directeur de publication d’El Watan, Mohamed Tahar Messaoudi, confirme à sa façon la fin de « l’aventure intellectuelle », terme utilisé en 1990 pour désigner le démarrage, avec l’aide de l’Etat, d’une presse privée. Le quotidien francophone algérien, florissant il y a encore quelques années, est incapable de payer ses salariés depuis mars.
De guerre lasse, ceux-ci se sont engagés le 12 juillet dans une grève à répétition. Dimanche 24 juillet, ils ont entamé une nouvelle grève de quatre jours qui pourrait devenir illimitée. Trois mois après la décision du milliardaire Issad Rebrab de saborder le journal Liberté sans possibilité de reprise, c’est donc un autre titre phare de cette « aventure intellectuelle » qui risque de disparaître.
Lancé en 1990 par des journalistes venus du secteur public, El Watan a connu une longue période faste qui lui a permis d’investir, en association avec le journal arabophone El Khabar, dans une imprimerie. Mais depuis quelques mois, sa situation est devenue intenable. Ses comptes sont bloqués, l’administration fiscale lui réclamant 55 millions de dinars (près de 370 000 euros) de charges impayées tandis que le Crédit populaire d’Algérie exige le paiement d’une partie d’uncrédit de 45 millions de dinars.
Des dettes largement contractées, selon la direction, durant la période de la pandémie de Covid-19, qui « a lourdement impacté la santé financière de l’entreprise ».
Un « paquebot » désespérément vide
Si pour une partie du lectorat – qui s’est considérablement effrité au fil des ans –, El Watan est un « journal de référence » qu’il faut défendre à tout prix, d’autres réservent leur soutien aux salariés, en conflit avec les 18 actionnaires, auxquels ils reprochent une « mauvaise gestion » et l’absence de « geste envers les employés ». En aparté, des salariés estiment que les actionnaires ont suffisamment engrangé de dividendes, durant la longue période où le journal a été abondamment servi en publicité, pour être en mesure de débloquer la situation.
Des salariés estiment que les actionnaires ont engrangé assez de dividendes pour être en mesure de débloquer la situation
Les échanges ont tourné à l’aigre entre les deux parties à la suite du placardage d’une affiche clamant : « Nous travaillons, ils profitent ». En réaction, M. Messaoudi a accusé la section syndicale, dirigée par la journaliste Salima Tlemçani, d’être manipulée par l’ancien ministre de la communication Amar Belhimer, qui a mené une politique particulièrement agressive contre les médias indépendants.
Le directeur de publication a ainsi vu dans le slogan une « étrange similitude » avec le discours de M. Belhimer cherchant à accréditer, selon lui, la thèse qu’il y a « d’un côté une direction exploiteuse, qui profite affreusement du labeur de ses employés, et de l’autre un potentiel de travailleurs soumis à une exploitation implacable ». La direction devrait « regarder un peu du côté de la gouvernance de l’entreprise depuis sa création », a rétorqué la section syndicale.
L’une des erreurs de gouvernance les plus visibles est celle du nouveau siège du journal, construit au quartier des Oasis, à Hussein-Dey, avec vue imprenable sur la baie d’Alger. Le « paquebot » de huit étages, terminé en 2016, est resté en cale sèche, désespérément vide, l’administration refusant de donner un certificat de conformité en raison d’une surélévation non prévue dans le plan. Les dirigeants du journal ont ainsi offert une « aubaine » légale au clan du président de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, qui n’avait guère apprécié ses prises de position, en 2014, contre un quatrième mandat du chef de l’Etat.
A partir de cette année-là, le journal a vu la publicité institutionnelle se tarir, tandis que les opérateurs privés, par prudence ou sous pression, quittaient eux aussi le navire. Si la chute de M. Bouteflika au printemps 2019, à la suite du mouvement du « Hirak », a permis un rétablissement de la publicité publique, celle-ci a finalement été stoppée en août 2020 après la publication d’un article sur les biens des enfants de l’ancien chef de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah.
« On sablera le champagne à Rabat »
Les difficultés d’El Watan illustrent la situation de crise de la presse écrite en Algérie, dont le modèle économique est totalement dépendant de la publicité. Un levier puissant entre les mains des autorités, qui peuvent ainsi « réguler » les médias sans avoir à recourir aux suspensions et aux fermetures de titres.
Avec l’arrivée au pouvoir de M. Bouteflika, en 1999, une flopée de titres au tirage anecdotique avaient vu le jour pour émarger à la publicité institutionnelle, qui transite obligatoirement par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP). La gestion de la manne a favorisé les dérives, comme l’a illustré en juin la condamnation à six mois de prison de l’ancien international de football Rabah Madjer, propriétaire de deux journaux qui ont continué de recevoir pendant une année des chèques publicitaires alors qu’ils avaient cessé de paraître.
A partir de 2012, les ressources de la publicité (estimées par certains spécialistes à 200 millions d’euros par an), notamment des opérateurs de téléphonie et de l’agroalimentaire, ont largement quitté la presse écrite pour les télévisions privées, au statut précaire et révocable sans aucune forme de procès. Résultat : les autorités ont aujourd’hui un pouvoir de vie et de mort sur l’ensemble des médias.
Dans un éditorial-plaidoyer en direction des pouvoirs publics, El Watan affirme que si le journal venait à disparaître, « on sablera le champagne à Rabat », où l’on goûte peu son soutien au mouvement indépendantiste sahraoui du Front Polisario ; quant aux intégristes religieux, contre lesquels le quotidien a bataillé durant la décennie noire des années 1990, ils « trinqueront ». Mais chez les journalistes en grève, le sentiment prévaut que ni les actionnaires ni le pouvoir ne veulent éviter la fin de parcours du journal.
Le quotidien francophone, symbole de la presse privée née dans les années 1990, croule sous les dettes et ne peut plus payer ses salariés.
Un homme lit le quotidien « El Watan », à Alger, en septembre 2019. RYAD KRAMDI / AFP
Le journal « s’achemine vers la fermeture définitive ». Le constat du directeur de publication d’El Watan, Mohamed Tahar Messaoudi, confirme à sa façon la fin de « l’aventure intellectuelle », terme utilisé en 1990 pour désigner le démarrage, avec l’aide de l’Etat, d’une presse privée. Le quotidien francophone algérien, florissant il y a encore quelques années, est incapable de payer ses salariés depuis mars.
De guerre lasse, ceux-ci se sont engagés le 12 juillet dans une grève à répétition. Dimanche 24 juillet, ils ont entamé une nouvelle grève de quatre jours qui pourrait devenir illimitée. Trois mois après la décision du milliardaire Issad Rebrab de saborder le journal Liberté sans possibilité de reprise, c’est donc un autre titre phare de cette « aventure intellectuelle » qui risque de disparaître.
Lancé en 1990 par des journalistes venus du secteur public, El Watan a connu une longue période faste qui lui a permis d’investir, en association avec le journal arabophone El Khabar, dans une imprimerie. Mais depuis quelques mois, sa situation est devenue intenable. Ses comptes sont bloqués, l’administration fiscale lui réclamant 55 millions de dinars (près de 370 000 euros) de charges impayées tandis que le Crédit populaire d’Algérie exige le paiement d’une partie d’uncrédit de 45 millions de dinars.
Des dettes largement contractées, selon la direction, durant la période de la pandémie de Covid-19, qui « a lourdement impacté la santé financière de l’entreprise ».
Un « paquebot » désespérément vide
Si pour une partie du lectorat – qui s’est considérablement effrité au fil des ans –, El Watan est un « journal de référence » qu’il faut défendre à tout prix, d’autres réservent leur soutien aux salariés, en conflit avec les 18 actionnaires, auxquels ils reprochent une « mauvaise gestion » et l’absence de « geste envers les employés ». En aparté, des salariés estiment que les actionnaires ont suffisamment engrangé de dividendes, durant la longue période où le journal a été abondamment servi en publicité, pour être en mesure de débloquer la situation.
Des salariés estiment que les actionnaires ont engrangé assez de dividendes pour être en mesure de débloquer la situation
Les échanges ont tourné à l’aigre entre les deux parties à la suite du placardage d’une affiche clamant : « Nous travaillons, ils profitent ». En réaction, M. Messaoudi a accusé la section syndicale, dirigée par la journaliste Salima Tlemçani, d’être manipulée par l’ancien ministre de la communication Amar Belhimer, qui a mené une politique particulièrement agressive contre les médias indépendants.
Le directeur de publication a ainsi vu dans le slogan une « étrange similitude » avec le discours de M. Belhimer cherchant à accréditer, selon lui, la thèse qu’il y a « d’un côté une direction exploiteuse, qui profite affreusement du labeur de ses employés, et de l’autre un potentiel de travailleurs soumis à une exploitation implacable ». La direction devrait « regarder un peu du côté de la gouvernance de l’entreprise depuis sa création », a rétorqué la section syndicale.
L’une des erreurs de gouvernance les plus visibles est celle du nouveau siège du journal, construit au quartier des Oasis, à Hussein-Dey, avec vue imprenable sur la baie d’Alger. Le « paquebot » de huit étages, terminé en 2016, est resté en cale sèche, désespérément vide, l’administration refusant de donner un certificat de conformité en raison d’une surélévation non prévue dans le plan. Les dirigeants du journal ont ainsi offert une « aubaine » légale au clan du président de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, qui n’avait guère apprécié ses prises de position, en 2014, contre un quatrième mandat du chef de l’Etat.
A partir de cette année-là, le journal a vu la publicité institutionnelle se tarir, tandis que les opérateurs privés, par prudence ou sous pression, quittaient eux aussi le navire. Si la chute de M. Bouteflika au printemps 2019, à la suite du mouvement du « Hirak », a permis un rétablissement de la publicité publique, celle-ci a finalement été stoppée en août 2020 après la publication d’un article sur les biens des enfants de l’ancien chef de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah.
« On sablera le champagne à Rabat »
Les difficultés d’El Watan illustrent la situation de crise de la presse écrite en Algérie, dont le modèle économique est totalement dépendant de la publicité. Un levier puissant entre les mains des autorités, qui peuvent ainsi « réguler » les médias sans avoir à recourir aux suspensions et aux fermetures de titres.
Avec l’arrivée au pouvoir de M. Bouteflika, en 1999, une flopée de titres au tirage anecdotique avaient vu le jour pour émarger à la publicité institutionnelle, qui transite obligatoirement par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP). La gestion de la manne a favorisé les dérives, comme l’a illustré en juin la condamnation à six mois de prison de l’ancien international de football Rabah Madjer, propriétaire de deux journaux qui ont continué de recevoir pendant une année des chèques publicitaires alors qu’ils avaient cessé de paraître.
A partir de 2012, les ressources de la publicité (estimées par certains spécialistes à 200 millions d’euros par an), notamment des opérateurs de téléphonie et de l’agroalimentaire, ont largement quitté la presse écrite pour les télévisions privées, au statut précaire et révocable sans aucune forme de procès. Résultat : les autorités ont aujourd’hui un pouvoir de vie et de mort sur l’ensemble des médias.
Dans un éditorial-plaidoyer en direction des pouvoirs publics, El Watan affirme que si le journal venait à disparaître, « on sablera le champagne à Rabat », où l’on goûte peu son soutien au mouvement indépendantiste sahraoui du Front Polisario ; quant aux intégristes religieux, contre lesquels le quotidien a bataillé durant la décennie noire des années 1990, ils « trinqueront ». Mais chez les journalistes en grève, le sentiment prévaut que ni les actionnaires ni le pouvoir ne veulent éviter la fin de parcours du journal.
Conseiller honoraire à la Cour de cassation, ancien membre du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Grégoire Finidori, retrace le contexte historique français à la fin de la IVème République, puis le retour de De Gaulle. Il explique le revirement de la politique algérienne du chef de l’Etat qui va susciter une série de crises conduisant, à partir de 1961, à la création de juridictions de pure circonstance comme le Haut Tribunal militaire ou la Cour militaire de justice. C’est un regard professionnel sur ces juridictions et sur la façon dont les affaires ont été jugées qu’il nous délivre, tout en faisant revivre les figures marquantes de cette époque, des généraux putschistes au lieutenant-colonel Bastien-Thiry.
L'une des grandes réalisations emblématiques de l'Algérie indépendante fut le « Barrage Vert » qui fut lancé, voilà plus d'un siècle en concomitance, à l'époque, souvenez-vous, avec le grand chantier de réhabilitation du périmètre d'El Abadla, à Bechar.
Lancé par Feu Houari Boumediene, le Barrage Vert consistait à réaliser une immense barrière végétale formée d'essences forestières notamment, couvrant une vaste partie des Hauts Plateaux et de l'Atlas Saharien. Il s'agit, en fait d'une ceinture boisée qui devait servir de rempart à l'avancée du désert qui menaçait, à cette époque déjà, d'engloutir plus de sept millions d'hectares, particulièrement les zones steppiques. A l'époque, «l'opinion mondiale n'était pas aussi sensible qu'elle ne l'est aujourd'hui, aux problèmes écologiques et aux questions de dégradation des écosystèmes naturelles. C'est dire à quel point l'Algérie était en avance sur des questions aussi importantes, que celles du dérèglement climatique, de la désertification et du réchauffement planétaires, qui font le «buzz» aujourd'hui (Nordine Grim, 2020».
Aujourd'hui, soixante ans d'indépendance du pays, on ne peut qu'être orgueilleux des pleins acquis enregistrés des décennies durant dont le barrage vert en constitue l'une des facettes de ces réalisations de pleine mesure que les autorités d'aujourd'hui veulent en lui donner une nouvelle dimension. La réhabilitation de cette œuvre emblématique de notre pays leader africain dans la prise de conscience pour lutter contre la désertification, est acte de civilisation culturale et culturelle, à la fois.
Historiquement, prôné comme étant une ceinture verte de plantations forestières et steppiques, le projet fut entamé en 1970, par décision juridique datant du 23 juin 1970 (JO-65) qui stipule la création du premier périmètre de reboisement à Moudjebara dans la wilaya de Djelfa qui fut d'ailleurs la pierre de lancement du barrage vert visant la reconstitution du couvert végétal par des peuplements forestiers et des plantations pastorales.
Ce projet d'envergure qui, à l'époque, avait été confiée aux jeunes du service national, pour sa réalisation avait pour objectif de réaliser une superficie de 3 millions d'hectares s'étendant sur 1.500 km et une largeur de plus de 20 km, il a connu dans la chronologie de son évolution trois grandes étapes essentielles. Il s'agit de :
1. La première étape est de 1970 à 1980 dont les travaux de réalisation se limitaient aux opérations de plantations et d'infrastructures. Cette période était marquée par la monoculture du pin d'Alep surtout. Le taux de réussite était assezmitigés modeste compte tenu des conditions écologiques locales peu favorables et à l'indisponibilité d'études susceptibles de préconiser les techniques et les espèces adaptées à la mise en œuvre du projet.
2. La deuxième phase, de 1981 à 1990, les lacunes ont été progressivement surmontées et des améliorations ont été apportées. Les opérations étaient prises en charge conjointement par les services des forêts et les appelés du service national. La provenance des semences était mieux maîtrisée et les essences de plants ont été diversifiées par l'introduction d'une quinzaine d'espèces locales ou exotiques.
3. La troisième étape, de 1990 à 1993, fut marquée par le désengagement des unités de réalisation de l'armée nationale populaire. Les services des forêts avaient pris le relais et toutes les mesures nécessaires pour poursuivre le programme. Il est toutefois à retenir que «lorsque les militaires lèveront le camp au printemps 1991, ils laisseront un bilan somme toutes très honorable de 280.000 hectares plantés en arbres forestiers et fruitiers.
A leur actif, il y a aussi la création d'un nombre considérable de pépinières d'où on puise aujourd'hui encore, une large gamme d'essences forestières et fruitières. On n'oubliera pas, non plus, toutes les retenues colinéaires qu'ils avaient réalisées pour mettre dans ces zones arides, de l'eau à la disposition des planteurs, ni les centaines de kilomètres de pistes et de tranchées pare-feux, laborieusement réalisées dans ces contrées lointaines et souvent enclavées » ( N. Grim 2020).
Un bilan établi pour le barrage vert, à l'époque a permis la réalisation de plantations forestières sur 121.000 ha, les plantations fruitières sur 3.000 h, pastorales sur 19.828 ha. Il a permis également de faire des fixations de dunes sur 2.465 ha, la réalisation de 42 unités de points d'eau, l'aménagement et l'ouverture de pistes sur 1553 Km (DGF, 2020).
Durant le quinquennat (2010-2014), une période correspondant à la mise en œuvre de la politique de renouveau agricole et rural la priorité fut donnée, au niveau de la zone du barrage vert, aux différentes plantations près de 11.600 ha en forestier, 5.500 ha en fourrager et pastorale et la plantation de plus de 7.100ha en fruitier pour protéger le sol contre l'érosion hydrique et éolienne.
Il y'a eu également la mise en défens de plus de 30.000 ha permettant d'améliorer l'offre fourragère pour satisfaire les besoins du cheptel existant, la réalisation de 330 unités de mobilisation d'eau et 1.900 km d'aménagement et d'ouverture de piste agricoles et rurales et plus de 27.000 unités d'élevage ont été distribuées.
Pour faire face au problème d'ensablement plus de 1.400 ha de dunes ont été fixées et plus de 1.700 ha de plantation de brise vent et d'alignement ont été réalisées.
Déjà, en 2010 et dans la perspective de l'élaboration d'un plan d'action permettant la protection, la réhabilitation et l'extension de cet ouvrage historique, la Direction Générale des Forêts a confié au BNEDER (Bureau national d'Études pour le Développement Rural), la réalisation d'une étude portant sur l'aire du barrage vert dont les résultats furent réceptionnés en 2016.
L'étude à travers ses résultats a prévu l'extension de l'aire du barrage vert de 3,7 à 4,7 millions d'hectares dont le domaine pastoral occupe 63%, les forets (18%) et le domaine agricole (15%) avec des objectifs d'appréhender les menaces qui pèsent sur le barrage, d'évaluer les impacts environnementaux et sociaux de cet investissement, d'analyser l'apport des différents programmes de lutte contre la désertification déjà menés et enfin, proposer un plan d'action opérationnel permettant la reprise et l'extension de l'ouvrage moyennant une stratégie adaptée au contexte économique, social et écologique qu'impose la réalité d'aujourd'hui.
Le plan d'action, issu de l'étude devra concerner les opérations de réhabilitation des plantations sur une superficie de 216.472 ha, l'extension forestière et traitement des dunes sur une aire de 287.756 ha; la réalisation de bandes routières vertes sur 26.780 ha ; l'extension agro-pastorale sur une superficie de 1.924. 620 ha ; la réalisation d'études d'aménagement et de développement forestier sur une surface de 354.000 ha, et d'études liées au classement de quatre (04) espaces fragiles en aire protégées sur une superficie de 33.570 ha.
Il est à noter qu'en date du 21 septembre 2019, le Conseil Interministériel, à travers ses résolutions est venu réconforter les programmes mis en place par le secteur de l'agriculture et du développement rural pour la lutte contre la désertification, il a été décidé, à l'occasion, la relance et la réhabilitation du Barrage vert avec la mise en place d'un dispositif permanent qui s'emploiera à la préparation, à la concrétisation et au suivi permanent du projet de restauration du barrage.
Une année plus tard, on se pencha sérieusement à la mise en œuvre du cadre conceptuel et opérationnel de relance du Barrage Vert et ce, sur orientations de Monsieur le Président de la République. Les résolutions du Conseil des ministres, tenu le 30 août 2020, mentionnent d'ailleurs, en termes d'urgence «de prendre les dispositions nécessaires pour relancer le barrage vert comme une priorité du secteur pour notamment arrêter la dégradation des terres».
Le projet fut par ailleurs inscrit comme action d'envergure dans le plan d'action du Gouvernement et la feuille de route sectorielle du développement agricole et rural, pour la période 2020-2024, lesquels sont l'émanation du Programme de Monsieur le président et de ses 54 engagements.
Dans la succession des opérations et en date du 17 juin 2021, le Ministère de l'agriculture et du développement rural, à travers la DGF, a lancé officiellement, à M'sila, l'initiative de restauration du barrage vert qui d'ailleurs, selon ses concepteurs, ne sera pas conçue seulement comme une opération de reboisement, mais plutôt comme une panoplie et mosaïque d'actions intégrées pour répondre aux problématiques ayant une incidence sur les conditions socio-économiques des populations des régions du Barrage vert.
Cette initiative a pour objectifs essentiels de lutter contre l'ensablement et la désertification en vue d'atteindre la neutralité de dégradation des terres et de mobiliser les ressources hydriques superficielles et souterraines, d'améliorer la résilience climatique des paysages agro-sylvo-pastoraux dégradés et séquestration du carbone et renforcer la résilience climatique des populations locales à travers la gestion des parcours et l'amélioration des chaînes de valeur des plantes forestières non ligneuses (PFNL) et des produits de l'élevage.
Pour ce faire, des mécanismes devront être mis en place pour assurer le soutien à l'agriculture pastorale de petite et moyenne taille, en particulier des femmes rurales, par le développement de petites fermes d'élevage et de plantations fruitières rustiques et améliorer les capacités techniques, organisationnelles et commerciales des habitants pour produire et commercialiser des PFNL (alfa, caroube, champignons, pistaches, noix et autres), des produits de l'élevage (laine pour tapis et burnous, ect.), l'apiculture à travers l'institution de coopératives, de poterie (artisanat) et d'autres produits de la steppe, tels que les plantes aromatiques et médicinales
Dans ce contexte et en vue d'appuyer l'initiative, il a été institué sur le plan organisationnel, un organe de coordination composé de représentants de 15 ministères, de 11 organismes et de représentants de la société civile, chargé de l'élaboration, de la mise en œuvre et de l'évaluation du programme national de lutte contre la désertification et de la relance du barrage. Cet organe a été installé le 25 octobre 2020, à l'occasion de la journée nationale de l'arbre.
Cet organe aura comme démembrement les comités locaux notamment au niveau des treize (13) wilayas concernées par le barrage vert. Ces comités seront chargés de la mise en œuvre du programme national de lutte contre la désertification et du plan d'action de la réhabilitation, extension et développement du barrage vert ;
Le cadre organisationnel comprend également l'institution d'un Comité scientifique et technique installé auprès de l'Institut National de la Recherche Forestière, chargé de la recherche en relation avec les missions de l'organe. Alors qu'une Direction dédiée au barrage vert « la Direction de la lutte contre la désertification et du barrage vert », a été créée au niveau de la DGF, par décret exécutif n° 20-302, du 15 octobre 2020 et qui aura pour tache l'élaboration de la stratégie nationale de la lutte contre la désertification et la mise en œuvre du plan d'action de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert.
Il est à souligner aussi que le plan d'action de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert devrait être appuyé par deux (02) projets de coopération technique avec la FAO et le PNUD. Le projet avec la FAO est intitulé «Amélioration de la résilience au changement climatique dans les zones de forêt sèche et steppiques du barrage vert algérien», qui concerne six 06 wilayas pilotes (Tébessa, Khenchela, Msila, Djelfa, El Bayadh et Naama)». Le projet de coopération avec le PNUD, intitulé : «Plan de restauration du barrage vert comme contribution à la mise en œuvre du PAN-LCD/aligné en Algérie» et qui cible sept (7) autres wilayas du barrage vert. Il s'agit des wilayas de Batna, Laghouat, Biskra, Sétif, BBA, Bouira et Médéa.
Ces deux projets viennent soutenir l'élaboration du plan national de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert pour la période 2023-2030.
La mise en œuvre du Plan d'action de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert se fera sous forme de projets de développement local, pour la période de 2022-2035 et concernera 13 Wilayas-173 communes-1200 localités dont 905 zones d'ombre (DGF, 2022).
Le barrage sera conçu alors, non seulement come une barrière à la désertification et à l'ensablement, mais vu sous une approche de protection des ressources naturelles, abordé sur une vision « sociaux économique » de valorisation de l'espace. Il sera par ailleurs conduit selon une démarche concertée intersectorielle. Il est à noter au demeurant que la carte de sensibilité à la désertisation effectuée en 2010 par la DGF, montre que plus de 13 millions d'hectares sont sensibles à la désertification uniquement dans la région steppique. Alors que la carte mondiale de dégradation des terres, réalisée en 2015 au profit du secrétariat de l'UNCCD mentionne que rien que pour la partie nord du pays 2,5 millions d'hectares sont dégradés en Algérie.
Cette tendance à la désertification constitue un autre justificatif pour la relance du barrage vert, car le phénomène de dégradation des terres, désertification demeure un problème des plus préoccupants, aggravées par les changements climatiques qui menacent la totalité des écosystèmes naturels et mènent à la réduction du potentiel et de la diversité biologique et la rupture des équilibres écologiques et socioéconomiques.
Dans ce cadre, il est utile d'envisager une approche intégrée visant à concilier d'une part la satisfaction des besoins des populations et d'autre part, la restauration et l'amélioration du potentiel productif des terres dans l'aire du barrage vert. La finalité étant la promotion économique et sociale des populations. Il devra par ailleurs viser la résorption du chômage par la création de créneaux porteurs de richesses et d'emploi et d'instaurer des écosystèmes favorables, à l'environnement, au tourisme et à l'agriculture et à la vie en milieu rural.
Enfin, il est à affirmer que la réhabilitation du barrage vert, œuvre emblématique de notre pays leadeur africain dans la prise de conscience pour lutter contre la désertification devra faire l'objet de priorités de développement vu sous l'angle de la durabilité écologique et la rentabilité économique.
Le Barrage vert est l'une des réalisations de ces soixante ans d'indépendance du pays que nous célébrons avec orgueil et fierté, sa réhabilitation est peut être considérée comme une œuvre de civilisation qui restera pour les générations présentes et futures nourris du sens que les arbres et les forets durent longtemps, le long temps des générations et ça sera un héritage pour les enfants d'Algérie d'aujourd'hui et de demain.
Les wilayas concernées aujourd'hui par le Barrage Vert: Biskra; Tebessa; Khenchela; Batna; Sétif; Msila; Bordj Bouarreridj; Bouira; Médéa; Djelfa; Laghouat; El Bayadh;Naama
1. UNCCD : Convention des Nations Unies pour la Lutte Contre la Désertification.
2. Nordine Grim (2020).- Barrage vert: au temps où l'Algérie était à la pointe du combat écologique. https://www.algerie-eco.com/2020/12/23/barrage-vert-au-temps-ou-lalgerie-etait-a-la-pointe-du-combat-ecologique/
3. Documents du Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural et de la DGF (2020-2022).
Joe Biden a critiqué lundi 25 juillet la passivité de Donald Trump au moment où ses partisans entraient dans le Capitole, le 6 janvier 2021.
Joe Biden a critiqué lundi 25 juillet l’inaction de son prédécesseur Donald Trump lors de l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, qu’il a qualifié « d’enfer digne du Moyen Âge ». « Pendant trois heures, l’ancien président des États-Unis, battu, a observé les événements se produire, assis dans le confort de sa salle à manger privée, près du Bureau ovale », a lancé le président démocrate en marge d’une conférence d’une organisation de chefs policiers afro-américains.
« Tandis qu’il faisait ça, des policiers courageux ont vécu un enfer digne du Moyen Âge, en étant recouverts de sang, cernés par un carnage, face à une foule déchaînée qui croyait aux mensonges du président vaincu », a-t-il poursuivi. « La police a été héroïque ce jour-là. Donald Trump n’a pas eu le courage d’agir », a souligné Joe Biden, notant qu’on ne pouvait pas « être pro-insurrection et pro-police », ou « pro-insurrection et pro-démocratie ».
« Failli à son devoir de commandant en chef »
Ces critiques font écho aux conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du 6 janvier, qui a estimé lors d’une audition publique jeudi dernier que le milliardaire républicain avait « failli à son devoir de commandant en chef » en n’intervenant pas pour stopper pendant trois heures le déferlement de violences de ses partisans au Congrès.
Joe Biden, critiqué par ses adversaires pour le regain de violences dans le pays, est à quelques mois d’élections législatives cruciales, qui pourraient voir le parti républicain reprendre la Chambre des représentants actuellement dominée par les démocrates.
Les crimes de la colonisation et la fierté de la libération, la mémoire douloureuse, le retour du religieux et les combats féministes... A l’occasion du 60e anniversaire des accords d’Evian, l’avocate et écrivaine algérienne revient sur un passé qui ne passe toujours pas.
Wassila Tamzali
La Croix L’Hebdo :Wassyla Tamzali, le 18 mars 1962, les accords d’Évian mettaient fin à sept ans de conflit entre la France et l’Algérie. Mais la guerre est-elle vraiment terminée ?
W. T. : Il faut distinguer la guerre terrible que nous avons vécue, qui est finie, et la manière dont, aujourd’hui encore, en France comme en Algérie, cette histoire pèse lourdement sur nos présents. En Algérie, on ne peut pas oublier cette guerre parce qu’elle est l’élément fondateur du pays comme l’est la Révolution française pour vous.
Durant le mouvement du Hirak, qui a mobilisé à partir de février 2019 des millions de gens contre le régime, on a vu les manifestants ressortir les photos des moudjahidines, les combattants de la libération. Une jeune fille me disait récemment : « Ce qui me rend le plus triste, c’est que mon grand-père est mort pour l’indépendance. » En ce sens, la guerre est toujours la référence majeure du peuple algérien.
Dès le début du conflit, la France a voulu croire qu’elle avait affaire à une révolte des pauvres. Beaucoup pensaient qu’il aurait suffi de faire des réformes économiques pour éteindre l’incendie. Cette idée est fausse. Ma famille, par exemple, avait un statut social privilégié, ce qui ne l’a pas empêchée de sacrifier beaucoup, comme les autres, à la cause de l’indépendance. Quand on analyse ce qu’a été le nationalisme algérien, on s’aperçoit qu’il est né dans la société urbaine, toutes classes confondues, avec des idées volées à la France – la République, la liberté, l’égalité –, avant de dériver vers un nationalisme identitaire et plus religieux qui va s’imposer comme un pouvoir absolu. On en est toujours là : comment passer de la libération à la liberté.
Comment cela ?
W. T. : Pour nous, les Algériens, le mythe fondateur reste la libération de la colonisation. Nous sommes à la fois humiliés d’avoir été colonisés et fiers de nous être libérés contre une des plus puissantes armées du monde. C’est cette tension qui soude les parties très différentes qui constituent le peuple algérien et qui en gomme tous les particularismes culturels, idéologiques, sociaux. Comment revendiquer la démocratie sans comprendre qu’elle est avant tout basée sur la liberté de l’individu ? La difficulté de penser et vivre la liberté individuelle, notamment des femmes, est une des raisons de l’échec du Hirak. Comme elle a été une des raisons de l’échec de l’utopie des premières années de l’indépendance. Jusqu’aux militants dits « de gauche », la société est restée sourde aux désirs libertaires qu’elle portait en elle.
Vous aviez 20 ans en mars 1962. Quels souvenirs en gardez-vous ?
W. T. : J’étais à Genève où mon oncle était réfugié. Il faisait partie du MALG, le ministère de l’armement du FLN (Front de libération nationale), et s’occupait du transport d’armes. Certaines étaient acheminées à l’intérieur de fûts d’huile destinés à l’usine de mon grand-oncle sur le port d’Alger. Une petite histoire dans la grande. Le soir, nous avons dîné avec des membres des équipes de négociations d’Évian. Il y avait une grande amitié entre ces hommes, une allégresse devant la fin de la guerre. Ils parlaient du retour avec émotion. Enfin ! Mais à Alger, ça a vite dégénéré. L’OAS (Organisation de l’armée secrète) a mis en place une riposte délirante : on tuait à vue les « Arabes ». Les « Arabes » ont riposté. Le slogan « la valise ou le cercueil » a mis le feu aux poudres, la panique s’est emparée des pieds-noirs. De l’aéroport d’Alger, je garde une image d’apocalypse.
Votre père, nationaliste, est assassiné en 1957 par un responsable local du FLN. Comment surmonte-t-on un tel traumatisme, si c’est possible ?
W. T. : Ce drame, j’ai mis longtemps à le comprendre. Dans Une éducation algérienne, la mort de mon père sert de fil rouge. Le livre commence par la veillée de son corps et se termine par son assassinat. Entre les deux, je raconte ce qui est plus un parcours initiatique qu’un récit de vie. Longtemps après l’indépendance, devant ma maison familiale, au cœur du domaine agricole que nous possédions près de Bougie (aujourd’hui Béjaïa, à l’est d’Alger, NDLR), je comprends que les pauvres montagnards qui l’occupent sont ceux que la colonisation a refoulés dans les montagnes, les contraignant à vendre la force de leurs bras à ceux-là mêmes qui occupaient leur terre. Cet épisode, je l’ai appelé « la revanche des tribus ».
Lorsque les Français arrivent en Kabylie, cette région emblématique de la résistance algérienne est dirigée par des tribus qui possèdent les terres de pâturage. Celles-ci vont être confisquées et vendues à une compagnie financière suisse qui va les revendre à des colons. Ma famille a racheté une exploitation à des viticulteurs venus du Lyonnais. Nous vivions avec les signes extérieurs des colons. En écrivant ce livre, j’ai compris que j’étais sur le chemin de l’histoire et qu’elle me broyait. Et tuait mon père. On dit que la révolution dévore ses enfants…
En quoi cela vous a-t-il délivrée ?
W. T. : Cela m’a délivrée du sentiment que le destin m’avait désignée aveuglément, un sentiment d’injustice invivable. J’ai compris que ce n’était pas ma famille qui était visée mais que nous étions sur le chemin du ressentiment de ce peuple à qui on avait tout enlevé. Il était venu reprendre ce qui lui appartenait. J’ai souffert et je continue de souffrir du meurtre de mon père, mais j’ai fait le chemin nécessaire pour continuer à vivre en passant du sentiment d’injustice à la conscience de la tragédie. La mise en forme d’un drame qui vous renvoie à l’histoire d’un pays, d’un peuple. Voilà pourquoi je n’ai jamais envisagé de quitter l’Algérie, je n’ai jamais cessé de l’interroger. Je pense qu’elle a une dette envers moi. Beaucoup d’Algériens partagent cette idée que l’Algérie leur doit quelque chose.
Quelle est cette dette dont l’Algérie devrait s’acquitter ?
W. T. : L’Algérie me doit la liberté, elle me doit la démocratie, elle me doit le bonheur. C’est pour cela que mon père est mort. Devant la situation calamiteuse que nous vivons, j’entends tant de douleurs s’exprimer. Et puis, il y a aussi les erreurs, les dérives commises durant la guerre de l’ombre par l’organisation clandestine. Qui peut aujourd’hui apaiser nos mémoires ? L’État algérien reconnaîtra-t-il un jour sa responsabilité comme héritier du Gouvernement provisoire, du FLN ? Ce serait un geste de grandeur. Mais on est loin de ça ! Quand mon père est mort, les Français se sont emparés de cette mort pour leur propagande : « Voyez, ils se tuent entre eux. » Devant ce crime inouï, on nous a demandé de nous taire, on nous a dit : « On vous expliquera plus tard. » Rien n’est venu. Nous sommes nombreux dans ce cas à vouloir non pas rouvrir les pages de la haine et de la violence mais simplement enterrer nos morts. Mon livre Une éducation algérienne est la sépulture de mon père.
Dans La Tristesse est un mur entre deux jardins, vous dites que la colonisation a enfreint l’ordre du monde. Expliquez-nous…
W. T. : Quand on conquiert un pays, quand on établit une hiérarchie entre les races, on enfreint l’ordre du monde. C’est ce qui me fait dire que les Algériens n’ont que faire d’excuses ou de réparations. C’est trop tard. Il ne fallait tout simplement pas venir. Ils veulent entendre que la colonisation est une violation de l’ordre du monde. Que par cette énonciation, le colonisateur reconnaisse ses responsabilités. On s’en éloigne de plus en plus.
Pacifier la relation entre la France et l’Algérie, c’est l’objectif du rapport remis au président Macron en janvier 2021 par l’historien Benjamin Stora. Rapport que vous qualifiez de « pétard mouillé ». Que lui reprochez-vous ?
W. T. : Benjamin Stora est passé à côté de l’essentiel. Il explique avoir fait un exercice pratique, loin des slogans idéologiques tels que la repentance. Il épouse la politique des petits pas, confiant que le temps finira par faire son œuvre. Mais rien ne pourra advenir sans avoir, au préalable, énoncé une position éthique sur l’histoire. Lorsqu’en 2017, le candidat Macron est venu à Alger dire que la colonisation était un crime contre l’humanité, il avait raison. C’était limpide et clair. Les Algériens attendent cette reconnaissance d’un président, à l’instar de celle de Jacques Chirac lorsqu’il a reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs sous Vichy.
Pourquoi n’est-ce toujours pas possible ?
W. T. : Primo Levi raconte un cauchemar qu’il faisait souvent lorsqu’il était déporté par les nazis : dans un déjeuner de famille, il essayait de dire la vie des camps, et sa mère, ses sœurs détournaient la tête. Personne ne voulait l’écouter. Lorsqu’on a reconstruit la France, après la Seconde Guerre mondiale, il a fallu des années pour parler de la Shoah. Pour l’Algérie, on est encore dans ce travail. Aujourd’hui, comme dans le rêve de Primo Levi, le peuple algérien veut raconter son histoire, mais le peuple français ne veut toujours pas entendre. Il n’y a aucune empathie envers le peuple arabe et le peuple algérien en particulier. Les Français ne voient pas les Algériens, ils ne se reconnaissent pas en eux. Nous sommes des intrus les uns pour les autres. Hier la colonisation, aujourd’hui l’émigration : nous ne sortons pas de cette image de l’intrus. Nous avons besoin de nous libérer : les Français de leur imaginaire de colonisateurs et les Algériens de celui de colonisés.
« Le français est mon butin de guerre », disait l’écrivain Kateb Yacine. Et vous, quel est votre butin sur la France ?
W. T. : Mon butin de guerre, ce sont les Lumières et principalement l’universalité. C’est ce qui a touché une grande partie des élites colonisées, nationalistes surtout. Dans les années 1940-1950, Ferhat Abbas, l’un des pères du nationalisme algérien, racontait que, quand il était enfant, on frappait ses doigts avec une règle en fer lorsqu’il ne savait pas sa leçon « Liberté, égalité, fraternité ». « Et maintenant que je la brandis, on me met en prison », écrit-il dans son livre Le Jeune Algérien, publié en 1930 pour le centenaire de la colonisation. La guerre d’Algérie va fortement délégitimer la France, et avec elle l’Occident, et son discours sur la liberté, l’égalité, les droits de l’homme. Ces principes vont être remis en cause, non seulement en Algérie, mais dans l’ensemble des pays anciennement colonisés. C’est d’ailleurs l’un des thèmes du débat aujourd’hui, la remise en cause de l’universalité. C’est ainsi qu’à l’indépendance, l’Algérie va revendiquer sa culture, son identité, largement basée sur l’islam. Voilà pourquoi toutes celles qui, comme moi, vont exiger la liberté, seront accusées de parler comme des Françaises et sommées de se taire.
Qu’est-ce qui vous a éveillée au féminisme ?
W. T. : L’écrivaine Assia Djebar affirmait qu’« en Algérie, même les pierres sont féministes ». Quand vous vous éveillez dans le patriarcat, vous ne pouvez pas ne pas être féministe. J’avais 13 ans lorsque la cuisinière m’a dit un après-midi à l’heure du goûter : « Non ! Le gros morceau du gâteau n’est pas pour toi, il est pour ton frère ! » Je suis allée voir mon père qui m’a répondu que les filles et les garçons avaient les mêmes droits. Depuis, personne n’a pu me convaincre que les filles et les garçons n’étaient pas égaux.
Je vivais plus ou moins libre dans une famille éclairée, mais dès que je sortais, je redevenais une jeune femme algérienne soumise à la loi générale de la société. Très vite, j’ai compris ce que disait Simone de Beauvoir : on ne peut pas être libre seule. Pourtant, je n’ai pas vu tout de suite la nécessité d’un mouvement féministe. Quand les féministes françaises du groupe « Psychanalyse et politique » sont venues me voir dans mon cabinet d’avocat, en 1976, je leur ai répondu que je n’étais ni libre ni féministe. Nous pensions que la révolution socialiste allait libérer les Algériens et les Algériennes du même coup. Quelle erreur !
Qu’est-ce qui vous a ouvert les yeux ?
W. T. : C’est à l’Unesco, où j’étais en charge du programme sur les droits des femmes, que j’ai compris la nécessité d’un mouvement féministe autonome. À mon arrivée, le directeur m’a dit qu’il était content d’accueillir une « femme normale » à ce poste. Les Algériennes n’étaient pas précédées par une réputation de féministes. Il a vite déchanté ! J’y ai introduit toutes les questions liées à la sexualité et au corps des femmes – l’excision, la prostitution, le viol –, ce qui fait le cœur de la discrimination sexiste, bouleversant les traditions d’une organisation qui se cantonnait jusqu’alors à l’éducation et à la culture.
Aujourd’hui, comment se porte le mouvement féministe en Algérie ?
W. T. : Comme tous les mouvements progressistes, il est malmené car profondément subversif. Maintenir les femmes sous la domination du père, des frères, du mari est un moyen d’assurer la pérennité du pouvoir sur l’ensemble de la société. Un moyen primitif et efficace. Vous connaissez l’histoire de la brioche de la reine Marie-Antoinette. Ici, c’est le calife qui demande : « Mais que veut le peuple ? » Le vizir lui répond : « Sire, le peuple veut la liberté. » « Eh bien, donnez-lui les femmes ! » Avec le recul, je me rends compte combien nous payons cher l’appauvrissement et l’enfermement du peuple pendant la colonisation.
Au moment de l’indépendance, le pays était dans un tel état de délabrement qu’il est tombé entre les mains de ceux qui avaient la force. Et ce nouveau pouvoir a très bien compris que, dès lors qu’il laisse à l’homme la place de chef de famille, il n’aura pas de problème. La famille était le seul refuge pendant la colonisation. Sa défense, son maintien, son pouvoir sur tous les membres est au centre des préoccupations sociales, culturelles et politiques de tous les Algériens, qu’ils soient islamistes ou marxistes, militaires ou intellectuels.
Dans ce contexte, ce n’est jamais le bon moment de poser la question des femmes. Celles-ci doivent se soumettre à l’ordre patriarcal et aux obligations religieuses qui leur sont faites, comme de mettre un voile – ce qui n’est que la partie visible de cette charge. Ce qu’aujourd’hui les femmes acceptent massivement. Ne nous trompons pas : il ne s’agit pas de choix, mais de consentement. Ce mot que le mouvement #MeToo a fait sauter en éclats. Dans une logique patriarcale, le consentement équivaut à un libre choix. Dans la logique féministe, il signifie contrainte, oppression.
Quel est votre rapport à l’islam ?
W. T. : Disons que je suis libre-penseur. La seule solution pour l’Algérie, comme pour les pays arabes, est la laïcité. La liberté de conscience est la première des libertés, la mère de toutes les libertés, partout dans le monde et encore plus dans nos pays. En Algérie, on ne peut pas dire que l’on ne croit pas. Je dirais même que l’on ne peut pas croire que vous ne croyez pas. Cela reste un secret largement partagé et farouchement gardé. Il en va de la sécurité des personnes. La religion est devenue un instrument de contrôle de la société fort et dangereux.
L’islam d’aujourd’hui n’a que peu à voir avec l’islam de mon enfance. Ce que je vois autour de moi, c’est une religion qui étouffe sous la montée des radicalismes, des interdits, d’une bigoterie généralisée. Et pour ce qui concerne les femmes et leurs devoirs, croyez-moi, l’invention des hommes est sans limites ! La religion a tué la croyance et la foi. Dommage, car je crois aux vertus de la transcendance pour conduire les sociétés vers l’humanisme.
À chaque génération, l’Algérie a connu des mouvements de contestation. Qu’est-ce qui empêche le peuple algérien de transformer son pays ?
W. T. : C’est la question que se posent 41 millions d’Algériens tous les jours… Comment les millions de personnes mobilisées lors du Hirak n’ont-elles pas pu renverser un pouvoir, si puissant soit-il ? Il y a là une forme d’impuissance qui ne peut pas être tout à fait étrangère à l’histoire du pays. L’Algérie est en arrêt sur image. La guerre contre la colonisation a été une guerre pour redevenir nous-mêmes. Alors qu’une révolution se fait pour atteindre ce que l’on veut devenir. La colonisation nous a appris à dire non. Nous ne savons que dire non. Comme nous avons dit non aux Français, nous disons non à ce régime. Il nous manque d’apprendre à dire oui, et avant cela, à savoir à quoi on veut dire oui. Un projet qui nous dépasse. Une utopie.
Après toutes les épreuves et les désillusions traversées, où puisez-vous la force de ne pas désespérer ?
W. T. : J’ai appris de mon grand-père espagnol, qui était maçon, que pour construire une maison, il faut poser une première brique puis une autre avec un fil à plomb. De mon grand-père algérien, qui aimait raconter des histoires, j’ai appris à rêver en regardant les étoiles. Alors je pose une brique sur l’autre, le mieux que je peux, ici et maintenant, sans attendre l’Histoire et sans perdre des yeux les étoiles.
Vous dirigez, depuis 2015, un centre d’art contemporain que vous avez créé à Alger. L’art comme un pont sur la Méditerranée ?
W. T. : J’ai appelé ce lieu « Les Ateliers sauvages », non pas au sens de barbares, mais par référence aux fleurs sauvages qui poussent dans les terres abandonnées. Sur ces territoires de la culture et de l’éducation laissés en jachère, confrontés à la violence de la guerre civile des années 1990, survivants à la violence, à la peur et au désespoir, de jeunes artistes ont réinventé la vie à l’aune de leurs désirs d’exister. Plus que vivre : exister.
Les Ateliers sauvages ont été pensés pour accompagner cette profusion d’images qui ne demandaient qu’à surgir. Nous avons besoin de nous éloigner de nos imaginaires de colonisés, de donner naissance à des images qui nous permettront enfin de communiquer entre nous, les Algériens, et avec vous, les Français. Car vous aussi vous devez réinventer votre imaginaire, sortir du confort de votre histoire. Pour enfin pouvoir s’envisager l’un l’autre, comme l’écrit la philosophe Marie-José Mondzain, avec « un regard sans précédent ».
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Ses dates
1941 Naissance à Béjaïa (ex-Bougie), à l’est d’Alger, d’un père d’origine turque et d’une mère d’origine espagnole.
1957 Assassinat de son père par un responsable local du FLN.
1966 Devient avocate au barreau d’Alger.
1979 Devient haute fonctionnaire internationale à l’Unesco, responsable des programmes de lutte contre les violations des droits des femmes.
1992 Cofonde le collectif Maghreb Égalité.
2007 Parution d’Une éducation algérienne (Gallimard, 2012)
2009 Parution d’Une femme en colère. Lettre d’Alger aux Européens désabusés (Gallimard, 2009).
2015 Fonde « Les Ateliers sauvages », centre d’art contemporain à Alger.
2021 Parution de La Tristesse est un mur entre deux jardins, cosigné avec l’historienne Michelle Perrot (Odile Jacob, 2021).
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Son objet
Les valises
« L’objet qui ne me quitte pas, que je ne range jamais très loin, c’est ma valise ou plutôt mes valises. Pourtant, je ne voyage pas, je nomadise. Je vais d’un endroit à l’autre et j’y reviens, suivant les saisons, les besoins. Mes déplacements ressemblent plus à des transhumances qu’à de folles aventures. Alors, la valise devient cette maison que je déplace, remplie pour moitié et plus d’objets inutiles que j’étale dès que j’arrive dans un hôtel, une maison d’hôte, une chambre d’amis. Des objets comme des livres, des carnets de notes, des crayons, des écharpes, une cafetière parfois. »
Son inspiration
Les livres
« Difficile de parler de tel livre et de faire silence sur les autres. Je parlerai de mes livres du confinement. J’ai découvert la poétesse américaine Louise Glück grâce au Nobel de littérature qu’elle a reçu en 2020. Nuit de foi et de vertu (Gallimard, 2021) est resté longtemps sur ma table de chevet, idéal pour accompagner ces plongées en soi qu’étaient mes jours de confinée. Un plaisir différent, jubilatoire, est la découverte de Maya Angelou, figure emblématique du mouvement américain pour les droits civiques. Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage (Lgf, 2009) est un grand livre, par ce qu’il nous dit, mais aussi par sa forme. Le troisième, c’est K comme Kolonie (La Fabrique, 2020) de la philosophe Marie-José Mondzain, née à Alger en 1942. Son plus petit livre en taille, mais quel livre ! J’y ai trouvé les mots que je cherchais. »
Son lieu
La Corse
« La première fois que je suis allée en Corse, j’y ai retrouvé le paysage dans lequel je suis née à Béjaïa, des côtes vierges, d’une beauté sauvage et minérale. J’y ai une maison, à la pointe sud de l’île, qui donne sur la mer. C’est le territoire ultime de la France depuis lequel je peux voir, si je regarde loin, l’Algérie. J’y ai beaucoup d’amis. La Corse est, comme l’Algérie, un de ces pays méditerranéens souvent envahis, jamais conquis. Des pays de montagnes réfractaires à beaucoup de choses. On dit qu’Ulysse y fit naufrage. »
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