L'une des grandes réalisations emblématiques de l'Algérie indépendante fut le « Barrage Vert » qui fut lancé, voilà plus d'un siècle en concomitance, à l'époque, souvenez-vous, avec le grand chantier de réhabilitation du périmètre d'El Abadla, à Bechar.
Lancé par Feu Houari Boumediene, le Barrage Vert consistait à réaliser une immense barrière végétale formée d'essences forestières notamment, couvrant une vaste partie des Hauts Plateaux et de l'Atlas Saharien. Il s'agit, en fait d'une ceinture boisée qui devait servir de rempart à l'avancée du désert qui menaçait, à cette époque déjà, d'engloutir plus de sept millions d'hectares, particulièrement les zones steppiques. A l'époque, «l'opinion mondiale n'était pas aussi sensible qu'elle ne l'est aujourd'hui, aux problèmes écologiques et aux questions de dégradation des écosystèmes naturelles. C'est dire à quel point l'Algérie était en avance sur des questions aussi importantes, que celles du dérèglement climatique, de la désertification et du réchauffement planétaires, qui font le «buzz» aujourd'hui (Nordine Grim, 2020».
Aujourd'hui, soixante ans d'indépendance du pays, on ne peut qu'être orgueilleux des pleins acquis enregistrés des décennies durant dont le barrage vert en constitue l'une des facettes de ces réalisations de pleine mesure que les autorités d'aujourd'hui veulent en lui donner une nouvelle dimension. La réhabilitation de cette œuvre emblématique de notre pays leader africain dans la prise de conscience pour lutter contre la désertification, est acte de civilisation culturale et culturelle, à la fois.
Historiquement, prôné comme étant une ceinture verte de plantations forestières et steppiques, le projet fut entamé en 1970, par décision juridique datant du 23 juin 1970 (JO-65) qui stipule la création du premier périmètre de reboisement à Moudjebara dans la wilaya de Djelfa qui fut d'ailleurs la pierre de lancement du barrage vert visant la reconstitution du couvert végétal par des peuplements forestiers et des plantations pastorales.
Ce projet d'envergure qui, à l'époque, avait été confiée aux jeunes du service national, pour sa réalisation avait pour objectif de réaliser une superficie de 3 millions d'hectares s'étendant sur 1.500 km et une largeur de plus de 20 km, il a connu dans la chronologie de son évolution trois grandes étapes essentielles. Il s'agit de :
1. La première étape est de 1970 à 1980 dont les travaux de réalisation se limitaient aux opérations de plantations et d'infrastructures. Cette période était marquée par la monoculture du pin d'Alep surtout. Le taux de réussite était assezmitigés modeste compte tenu des conditions écologiques locales peu favorables et à l'indisponibilité d'études susceptibles de préconiser les techniques et les espèces adaptées à la mise en œuvre du projet.
2. La deuxième phase, de 1981 à 1990, les lacunes ont été progressivement surmontées et des améliorations ont été apportées. Les opérations étaient prises en charge conjointement par les services des forêts et les appelés du service national. La provenance des semences était mieux maîtrisée et les essences de plants ont été diversifiées par l'introduction d'une quinzaine d'espèces locales ou exotiques.
3. La troisième étape, de 1990 à 1993, fut marquée par le désengagement des unités de réalisation de l'armée nationale populaire. Les services des forêts avaient pris le relais et toutes les mesures nécessaires pour poursuivre le programme. Il est toutefois à retenir que «lorsque les militaires lèveront le camp au printemps 1991, ils laisseront un bilan somme toutes très honorable de 280.000 hectares plantés en arbres forestiers et fruitiers.
A leur actif, il y a aussi la création d'un nombre considérable de pépinières d'où on puise aujourd'hui encore, une large gamme d'essences forestières et fruitières. On n'oubliera pas, non plus, toutes les retenues colinéaires qu'ils avaient réalisées pour mettre dans ces zones arides, de l'eau à la disposition des planteurs, ni les centaines de kilomètres de pistes et de tranchées pare-feux, laborieusement réalisées dans ces contrées lointaines et souvent enclavées » ( N. Grim 2020).
Un bilan établi pour le barrage vert, à l'époque a permis la réalisation de plantations forestières sur 121.000 ha, les plantations fruitières sur 3.000 h, pastorales sur 19.828 ha. Il a permis également de faire des fixations de dunes sur 2.465 ha, la réalisation de 42 unités de points d'eau, l'aménagement et l'ouverture de pistes sur 1553 Km (DGF, 2020).
Durant le quinquennat (2010-2014), une période correspondant à la mise en œuvre de la politique de renouveau agricole et rural la priorité fut donnée, au niveau de la zone du barrage vert, aux différentes plantations près de 11.600 ha en forestier, 5.500 ha en fourrager et pastorale et la plantation de plus de 7.100ha en fruitier pour protéger le sol contre l'érosion hydrique et éolienne.
Il y'a eu également la mise en défens de plus de 30.000 ha permettant d'améliorer l'offre fourragère pour satisfaire les besoins du cheptel existant, la réalisation de 330 unités de mobilisation d'eau et 1.900 km d'aménagement et d'ouverture de piste agricoles et rurales et plus de 27.000 unités d'élevage ont été distribuées.
Pour faire face au problème d'ensablement plus de 1.400 ha de dunes ont été fixées et plus de 1.700 ha de plantation de brise vent et d'alignement ont été réalisées.
Déjà, en 2010 et dans la perspective de l'élaboration d'un plan d'action permettant la protection, la réhabilitation et l'extension de cet ouvrage historique, la Direction Générale des Forêts a confié au BNEDER (Bureau national d'Études pour le Développement Rural), la réalisation d'une étude portant sur l'aire du barrage vert dont les résultats furent réceptionnés en 2016.
L'étude à travers ses résultats a prévu l'extension de l'aire du barrage vert de 3,7 à 4,7 millions d'hectares dont le domaine pastoral occupe 63%, les forets (18%) et le domaine agricole (15%) avec des objectifs d'appréhender les menaces qui pèsent sur le barrage, d'évaluer les impacts environnementaux et sociaux de cet investissement, d'analyser l'apport des différents programmes de lutte contre la désertification déjà menés et enfin, proposer un plan d'action opérationnel permettant la reprise et l'extension de l'ouvrage moyennant une stratégie adaptée au contexte économique, social et écologique qu'impose la réalité d'aujourd'hui.
Le plan d'action, issu de l'étude devra concerner les opérations de réhabilitation des plantations sur une superficie de 216.472 ha, l'extension forestière et traitement des dunes sur une aire de 287.756 ha; la réalisation de bandes routières vertes sur 26.780 ha ; l'extension agro-pastorale sur une superficie de 1.924. 620 ha ; la réalisation d'études d'aménagement et de développement forestier sur une surface de 354.000 ha, et d'études liées au classement de quatre (04) espaces fragiles en aire protégées sur une superficie de 33.570 ha.
Il est à noter qu'en date du 21 septembre 2019, le Conseil Interministériel, à travers ses résolutions est venu réconforter les programmes mis en place par le secteur de l'agriculture et du développement rural pour la lutte contre la désertification, il a été décidé, à l'occasion, la relance et la réhabilitation du Barrage vert avec la mise en place d'un dispositif permanent qui s'emploiera à la préparation, à la concrétisation et au suivi permanent du projet de restauration du barrage.
Une année plus tard, on se pencha sérieusement à la mise en œuvre du cadre conceptuel et opérationnel de relance du Barrage Vert et ce, sur orientations de Monsieur le Président de la République. Les résolutions du Conseil des ministres, tenu le 30 août 2020, mentionnent d'ailleurs, en termes d'urgence «de prendre les dispositions nécessaires pour relancer le barrage vert comme une priorité du secteur pour notamment arrêter la dégradation des terres».
Le projet fut par ailleurs inscrit comme action d'envergure dans le plan d'action du Gouvernement et la feuille de route sectorielle du développement agricole et rural, pour la période 2020-2024, lesquels sont l'émanation du Programme de Monsieur le président et de ses 54 engagements.
Dans la succession des opérations et en date du 17 juin 2021, le Ministère de l'agriculture et du développement rural, à travers la DGF, a lancé officiellement, à M'sila, l'initiative de restauration du barrage vert qui d'ailleurs, selon ses concepteurs, ne sera pas conçue seulement comme une opération de reboisement, mais plutôt comme une panoplie et mosaïque d'actions intégrées pour répondre aux problématiques ayant une incidence sur les conditions socio-économiques des populations des régions du Barrage vert.
Cette initiative a pour objectifs essentiels de lutter contre l'ensablement et la désertification en vue d'atteindre la neutralité de dégradation des terres et de mobiliser les ressources hydriques superficielles et souterraines, d'améliorer la résilience climatique des paysages agro-sylvo-pastoraux dégradés et séquestration du carbone et renforcer la résilience climatique des populations locales à travers la gestion des parcours et l'amélioration des chaînes de valeur des plantes forestières non ligneuses (PFNL) et des produits de l'élevage.
Pour ce faire, des mécanismes devront être mis en place pour assurer le soutien à l'agriculture pastorale de petite et moyenne taille, en particulier des femmes rurales, par le développement de petites fermes d'élevage et de plantations fruitières rustiques et améliorer les capacités techniques, organisationnelles et commerciales des habitants pour produire et commercialiser des PFNL (alfa, caroube, champignons, pistaches, noix et autres), des produits de l'élevage (laine pour tapis et burnous, ect.), l'apiculture à travers l'institution de coopératives, de poterie (artisanat) et d'autres produits de la steppe, tels que les plantes aromatiques et médicinales
Dans ce contexte et en vue d'appuyer l'initiative, il a été institué sur le plan organisationnel, un organe de coordination composé de représentants de 15 ministères, de 11 organismes et de représentants de la société civile, chargé de l'élaboration, de la mise en œuvre et de l'évaluation du programme national de lutte contre la désertification et de la relance du barrage. Cet organe a été installé le 25 octobre 2020, à l'occasion de la journée nationale de l'arbre.
Cet organe aura comme démembrement les comités locaux notamment au niveau des treize (13) wilayas concernées par le barrage vert. Ces comités seront chargés de la mise en œuvre du programme national de lutte contre la désertification et du plan d'action de la réhabilitation, extension et développement du barrage vert ;
Le cadre organisationnel comprend également l'institution d'un Comité scientifique et technique installé auprès de l'Institut National de la Recherche Forestière, chargé de la recherche en relation avec les missions de l'organe. Alors qu'une Direction dédiée au barrage vert « la Direction de la lutte contre la désertification et du barrage vert », a été créée au niveau de la DGF, par décret exécutif n° 20-302, du 15 octobre 2020 et qui aura pour tache l'élaboration de la stratégie nationale de la lutte contre la désertification et la mise en œuvre du plan d'action de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert.
Il est à souligner aussi que le plan d'action de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert devrait être appuyé par deux (02) projets de coopération technique avec la FAO et le PNUD. Le projet avec la FAO est intitulé «Amélioration de la résilience au changement climatique dans les zones de forêt sèche et steppiques du barrage vert algérien», qui concerne six 06 wilayas pilotes (Tébessa, Khenchela, Msila, Djelfa, El Bayadh et Naama)». Le projet de coopération avec le PNUD, intitulé : «Plan de restauration du barrage vert comme contribution à la mise en œuvre du PAN-LCD/aligné en Algérie» et qui cible sept (7) autres wilayas du barrage vert. Il s'agit des wilayas de Batna, Laghouat, Biskra, Sétif, BBA, Bouira et Médéa.
Ces deux projets viennent soutenir l'élaboration du plan national de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert pour la période 2023-2030.
La mise en œuvre du Plan d'action de réhabilitation, d'extension et de développement du barrage vert se fera sous forme de projets de développement local, pour la période de 2022-2035 et concernera 13 Wilayas-173 communes-1200 localités dont 905 zones d'ombre (DGF, 2022).
Le barrage sera conçu alors, non seulement come une barrière à la désertification et à l'ensablement, mais vu sous une approche de protection des ressources naturelles, abordé sur une vision « sociaux économique » de valorisation de l'espace. Il sera par ailleurs conduit selon une démarche concertée intersectorielle. Il est à noter au demeurant que la carte de sensibilité à la désertisation effectuée en 2010 par la DGF, montre que plus de 13 millions d'hectares sont sensibles à la désertification uniquement dans la région steppique. Alors que la carte mondiale de dégradation des terres, réalisée en 2015 au profit du secrétariat de l'UNCCD mentionne que rien que pour la partie nord du pays 2,5 millions d'hectares sont dégradés en Algérie.
Cette tendance à la désertification constitue un autre justificatif pour la relance du barrage vert, car le phénomène de dégradation des terres, désertification demeure un problème des plus préoccupants, aggravées par les changements climatiques qui menacent la totalité des écosystèmes naturels et mènent à la réduction du potentiel et de la diversité biologique et la rupture des équilibres écologiques et socioéconomiques.
Dans ce cadre, il est utile d'envisager une approche intégrée visant à concilier d'une part la satisfaction des besoins des populations et d'autre part, la restauration et l'amélioration du potentiel productif des terres dans l'aire du barrage vert. La finalité étant la promotion économique et sociale des populations. Il devra par ailleurs viser la résorption du chômage par la création de créneaux porteurs de richesses et d'emploi et d'instaurer des écosystèmes favorables, à l'environnement, au tourisme et à l'agriculture et à la vie en milieu rural.
Enfin, il est à affirmer que la réhabilitation du barrage vert, œuvre emblématique de notre pays leadeur africain dans la prise de conscience pour lutter contre la désertification devra faire l'objet de priorités de développement vu sous l'angle de la durabilité écologique et la rentabilité économique.
Le Barrage vert est l'une des réalisations de ces soixante ans d'indépendance du pays que nous célébrons avec orgueil et fierté, sa réhabilitation est peut être considérée comme une œuvre de civilisation qui restera pour les générations présentes et futures nourris du sens que les arbres et les forets durent longtemps, le long temps des générations et ça sera un héritage pour les enfants d'Algérie d'aujourd'hui et de demain.
Les wilayas concernées aujourd'hui par le Barrage Vert: Biskra; Tebessa; Khenchela; Batna; Sétif; Msila; Bordj Bouarreridj; Bouira; Médéa; Djelfa; Laghouat; El Bayadh;Naama
1. UNCCD : Convention des Nations Unies pour la Lutte Contre la Désertification.
2. Nordine Grim (2020).- Barrage vert: au temps où l'Algérie était à la pointe du combat écologique. https://www.algerie-eco.com/2020/12/23/barrage-vert-au-temps-ou-lalgerie-etait-a-la-pointe-du-combat-ecologique/
3. Documents du Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural et de la DGF (2020-2022).
Mardi 26 juillet 2022
par Mohamed Khiati
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5314007
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