Des intellectuels algériens et marocains ont lancé une pétition, plaidant pour la résolution des différends entre les pays du Maghreb par le dialogue et la raison. Diffusé publiquement ce vendredi, cet appel adressé au Maroc et à l'Algérie réitère «la profondeur des relations entre les deux peuples», dans un contexte marqué par un «retour des tensions» autour de la question du Sahara.
Les signataires ont ainsi déploré les campagnes communicationnelles, médiatiques et les démonstrations de force, dans la multiplication «de situations de crise, de tensions armées dans le monde et de chocs civilisationnels, avec les prémices d’une guerre froide». Ils ont également exprimé leurs regrets de voir le monde arabe «divisé, avec des visions dissonantes qui creusent le fossé de conséquences négatives» sur la résolution des problèmes majeurs.
«Depuis près de cinquante ans, la région est affectée par le conflit du Sahara et ses répercussions, qui ont perturbé le projet de son unité et alimenté les différents entre ses deux pôles, l’Algérie et le Maroc», lit-on dans cette pétition. Dans ces circonstances, les signataires ont noté que «la sagesse a toujours prévalu afin de maintenir les liens profonds entre les deux peuples, même au plus fort des tensions».
La pétition a également rappelé que l’histoire et la libération de la colonisation du Maghreb montraient que le sort et l’avenir des deux peuples était lié, évoquant «les frères d’armes, soldats marocains et algériens», qui ont mené la guerre de libération en Algérie, en novembre 1954, avec des effets déterminants sur la région.
Cet appel note que «les mains du colonialisme ont su séparer l’unité de destin entre les trois peuples, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, au milieu des batailles de libération pour obtenir l’indépendance, et ont cherché à soulever des problèmes frontaliers qui étaient des bombes à retardement». «Mais les dirigeants maghrébins ont mis en échec des perturbations, lors de la conférence de Tanger en 1958 en rejetant toute relation avec la rive nord, sans l’indépendance de l’Algérie, tel que défendu par Mehdi Ben Barka» au colloque méditerranéen de Florence, en octobre 1958.
«Ces bombes à retardement ont rapidement éclaté après l’indépendance de l’Algérie autour des frontières, qui ne devaient pas être un obstacle à l’unité des peuples et à la similitude des destins», ont rappelé les signataires, ajoutant qu’à rebours des conflits idéologiques, «la flamme de la sagesse n’a pas été éteinte», ce qui est «un atout non négligeable».
«Le rôle de l’intellectuel est de rappeler ce qui est commun, lorsqu’un désaccord survient», a ajouté encore le texte, défendant ainsi la résolution des différends actuels par le dialogue et le sens de l’intérêt commun.
Publié le 20/11/2020 .https://www.yabiladi.com/articles/details/101920/intellectuels-algeriens-marocains-appellent-raison.html
La réédition aux éditions Terrasses de deux des six romans écrits par Jean Pélégri est une opportunité de (re)lecture pour les amoureux des œuvres nées de l’Algérie et pour ceux qui veulent comprendre les tensions d’une colonie de peuplement. C’est particulièrement vrai pour Le Maboul, édité en 1963 et dont on ne peut pas dire qu’il ait rencontré son public. Le roman, Les Oliviers de la justice, plus aisé d’accès tant idéologique qu’esthétique, a eu un sort moins sévère, d’autant qu’il a été soutenu par son adaptation cinématographique.
« J’avais le sentiment d’avoir deux vies, d’habiter deux pays : l’un, solaire, européen, avec ses travaux agricoles, ses vignes et ses orangers, où je reconnaissais la marque de mon père ; et l’autre, nocturne, arabe, avec le chant des vendangeurs du côté de la cave, et tous ces noms tracés autour d’un croissant de lune dans un ciel profond et infini ». Jean Pélégri, Ma mère, L’Algérie (1989)
L’écrivain est revenu avec précision dans son essai très personnel Ma mère, l’Algérie, sur les circonstances de l’écriture du Maboul et des Oliviers de la justice. L’identité de l’auteur sur la couverture est un marqueur fort de son appartenance à un ensemble. Il rappelle que son père lui avait offert, lorsqu’il était enfant, la traduction de son nom Yaya El Hadj, et confie que ce souvenir lui est revenu « après avoir écrit Le Maboul. Devenu un autre, j’aurais souhaité qu’il fût publié sous un autre nom, celui de Yaya El Hadj. On me le déconseilla, avec toutes sortes d’arguments. Mais il m’arrive, parfois, de regretter de n’avoir pas écouté mon père ». Revenons sur les éléments qui composent la biographie de Jean Pélégri, pour le situer dans un ensemble littéraire (national ou affectif ) et mieux comprendre les strates qui composent la mouvance « Algérie », nébuleuse d’œuvres diverses dans laquelle il occupe une place assez singulière.
Jean Pélégri est né le 20 juin 1920, d’un père colon et d’une mère fille d’officier, dans une ferme entre L’Arba et Sidi Moussa, appelée Haouche el Kateb (la ferme de l’écrivain). À 16 ans, son père étant ruiné, il est contraint de vivre à Alger. Il entame des études de médecine qu’il abandonne puis s’inscrit à des études de philosophie. Engagé volontaire en novembre 1942, il participe à la campagne de Corse, de France et d’Allemagne. Démobilisé en 1945, il termine sa licence de philo et se tourne vers les Lettres. Il enseigne d’abord dans le pays minier de Hénoin-Liétard (il y rédige son premier roman, L’Embarquement du lundi), puis au lycée d’Ajaccio (de 1951 à 1953) et au lycée d’Alger (1953 à 1956). En 1956, il demande sa mutation en France où il a vécu jusqu’à sa mort en 2003, après une tentative non aboutie d’intégrer l’Éducation Nationale algérienne après l’indépendance.
Son entrée dans l’âge adulte s’est donc faite par la porte des études supérieures classiques, presque exclusivement réservées aux Européens. Aussi Jean Pélégri a surtout insisté sur la camaraderie de l’enfance dans l’espace de la ferme entre le fils de colon et les petits « Arabes » où la « distinction », et donc la séparation, est moins perçue, alors qu’elle devient un fait établi entre 20 et 25 ans reflétant la dominante du paysage social algérien sous colonisation. Un de ses courts poèmes dit le délicat travail de la mémoire qu’on pourrait presque nommer « travestissement » :
« La mémoire, comme un puzzle, est en effet une toile lacérée, mise en miettes et en morceaux ; et c’est à partir de ces débris, de ces fragments d’objets et de visages, qu’il me faut, patiemment, sans trop se soucier du temps ni de la chronologie, reconstituer le tableau, la figure, et cette longue histoire que j’entretiens depuis l’enfance avec l’Algérie ».
Ses premières leçons de vie, il les a reçues dans la ferme familiale de la Mitidja, comme il le rappelle en 1989 : « Ainsi, avec mes camarades de jeux – une demi-douzaine d’inséparables d’origines et de langues diverses – nous connaissions dans le détail tous les recoins de la ferme. [La forge, l’atelier, le hangar, l’écurie, le grenier, la noria]. Plus loin, en bordure d’un carré de vigne, il y avait un autre fossé, plus étroit et bordé de grands roseaux. C’était la zaouia, notre lieu de réunion. Malheureusement, et injustement, il y avait, au-dessus, une autre histoire. Celle du colonialisme. Ce colonialisme qui était la loi générale, qui dénaturait les rapports quotidiens, qui conditionnait le politique, la foi, l’instruction, et qui introduisait partout la ségrégation. Ainsi, le lundi, quand je partais vers l’école, mes camarades algériens, eux, restaient à la ferme. Sans livres et sans cartables. A l’époque, parce que j’étais un enfant, parce que je ne me doutais de rien, je considérais cela comme un privilège et je les enviais. Ils pourraient, eux, continuer à parcourir la ferme, les chemins, les fossés. Je ne me doutais pas non plus que l’école – ce début de culture – isole, sépare, à mesure que l’on grandit ».
Lorsque Pélégri évoque les langues, c’est aussi cette perception d’une multiplicité enrichissante dans laquelle il vivait sans étonnement qu’il met en avant : « Enfants, nous étions ensemble, Kabyles, Arabes, Espagnols, un ou deux Français, des gosses très mêlés. Nous parlions différentes langues selon le moment et selon les sujets. Pour tout ce qui concernait l’agriculture (…) c’était plutôt les mots français. Avec parfois un accent qui faisait dériver le mot, ce qui m’a donné l’habitude d’un langage varié et non pas uniforme ou académique. Au contraire, pour les fruits, nous employions souvent des mots arabes (…) h’abb el melouk. Nous nous répétions le mot en mangeant la cerise dans l’arbre, et cela donnait une autre saveur. Ce va-et-vient entre nos langues différentes avait aussi une signification particulière dans nos affrontements (…) Nous savions déjà que nous pouvions retourner la langue de l’autre pour rendre un argument plus efficace ».
Cette complicité s’efface au lycée et, encore plus, lors des études supérieures puisque ses camarades de la ferme n’y ont pas accès. Ayant conscience de l’injustice qu’introduisait le système colonial quand il écrit et se souvient, il préfère mettre l’accent sur les complicités et les mélanges plutôt que sur la « ségrégation » qui est pourtant nettement dénoncée, en particulier dans Ma mère, l’Algérie. Dominique Le Boucher qui a longuement interrogé l’écrivain affirme que tant que son père possédait la ferme, Jean détestait aller à l’école et essayait de rester le plus souvent possible à la ferme pour l’accompagner et jouer avec ses camarades d’origine arabe. Contrairement à Camus ou à Sénac, il n’a pas été en manque de père mais au contraire, « en surprésence paternelle » : de lui, il tient le sens de la justice et Les Oliviers de la justice sont un hommage au père. Dans son enfance, il n’a pas cherché de maître ailleurs. Jean Pélégri opte pour une dissociation du vécu d’enfance et de l’histoire du colonialisme comme injustice.
Jean Pélégri a écrit son premier roman en 1950, L’Embarquement du lundi lorsqu’il préparait son professorat de Lettres dans le Pas-de-Calais après avoir été démobilisé en 1945 et être parti provisoirement pour Paris. Le roman est publié en 1952 chez Gallimard grâce à Camus qui le considère comme l’un des livres de « la littérature solaire » d’Algérie. Sur Jean Pélégri, comme sur de nombreux écrivains d’Algérie, a pesé très vite le poids de Camus puisque dès L’Embarquement du lundi, il est classé parmi les « camusiens ».
Il écrit ensuite Les Oliviers de la justice et l’adapte au cinéma, dans la violence de la fin de la guerre. Un peu acerbe dans son appréciation, Albert-Paul Lentin, dans l’article qu’il a consacré à l’écrivain en 1964 et que les éditions Terrasses ont re-publié en annexe des deux romans, écrit : « J’y trouvais comme un arrière goût de tout ce qui m’irrite toujours, depuis Camus, chez toute une lignée intellectuelle de Pieds Noirs de bonne volonté, mais un peu trop enclins à poser le problème du malheur en Algérie avant celui de la responsabilité, et dont l’œil ne cessait de s’embuer de larmes jusqu’à devenir politiquement myope. Ce livre, Les Oliviers de la justice forçait un peu trop, à mon gré, sur la pitié alors que les temps étaient à la colère, et au combat ».
Le Maboul efface cette irritation car Pélégri y a pris un tournant décisif par la recherche d’une langue qui rende compte de la réalité telle que l’écrivain l’a vécue : « un texte puissant, un texte à la hauteur de l’événement dans lequel il baigne, un livre qui n’est pas seulement un livre sur l’Algérie, mais un livre pleinement algérien, et un livre qui n’est pas loin d’être un chef d’œuvre », écrit ensuite Albert-Paul Lentin. Mourad Bourboune va dans le même sens : « L’homme et l’œuvre sont profondément enracinés dans la terre algérienne. (…) Sa vision terrienne, géologique n’a rien d’abstrait. Prenez Jean Pélégri et mettez-le dans une vigne de la Mitidja, sur une pente ocre du Tell : il ne dérange en rien l’ordre des choses ».
Une étude du processus de métaphorisation du roman de Pélégri montre qu’il privilégie l’image de la « greffe » réussie ou ratée pour décrire le rapport colonial ; son écriture a la pierre, l’arbre, la vigne, la montagne pour pivots symboliques. On peut y voir l’affirmation de l’enracinement dans le minéral et le végétal qui transcende une réalité historique bouleversée. C’est en cela que le texte de Pélégri prend une direction autre que le récit camusien, riche qu’il est d’une expérience vécue de cohabitation rurale et non citadine. Le couple Slimane/M’sieur André (le vieux colon, père de Georges) symbolise une histoire qui aurait pu se passer autrement après le grand bouleversement du séisme vécu ensemble : « la terre avait bougé. Alors, après, quand on était en train de marcher sur elle, c’est comme si Dieu la rendait – à tous les deux ». Histoire possible si la jeune génération (Saïd/M’sieur Georges) ne se querellait pas, si elle avait su continuer, en l’améliorant, le « partage ».
Aussi, dans la scène du meurtre sur laquelle nous allons revenir, Slimane n’intervient pas car la médiation n’est plus possible, les choses ont été trop loin ; s’il a ensuite le projet de tuer M’sieur André, ce n’est pas par esprit de vengeance mais pour le garder enfoui dans « sa » terre. Son erreur – il tue Georges et non le vieux –, le bouleverse car elle fait perdre son sens à son acte alors même qu’elle le transforme en héros aux yeux des siens : le malentendu… Slimane, en tuant, n’est pas la porte-parole des siens : le nouveau monde qui naît à l’indépendance lui est aussi étranger qu’au vieux colon. Il est le « dernier Arabe ». Il n’appartient pas à la Nation mais à la Terre algérienne, celle qui vient de la Montagne et qui aurait fait jonction avec la plaine si tous les « arbres » – comme M’sieur André –, avaient eu une racine profonde. Le partage n’est plus possible.
En 1962-1963, alors qu’il écrit et publie Le Maboul, Pélégri distingue l’arabité de l’algérianité dont le vieux colon est porteur ; mais il le fait après avoir fait un détour conséquent dans les motivations de l’Autre, dans un réel effort de compréhension et de fraternité. Ce roman reste aujourd’hui un des romans les plus étonnants de la mise en écriture symbolique de la décolonisation. Cette sympathie, au sens profond du terme, pour le peuple algérien ne s’est jamais démentie chez le romancier, même quand il a dû quitter le pays en 1966. Le Maboul lui a ouvert, dès 1964, l’Union des Écrivains algériens dont il fait partie à sa création. Il participe au premier numéro de la revue Novembre et souscrit à la Charte de l’Union.
Le lecteur qui a lu L’Étranger, ne peut pas ne pas le retrouver, en 1963, dans Le Maboul de Jean Pélégri. Contrairement à ce roman où le narrateur du meurtre était le meurtrier lui-même, dans le roman de Pélégri, c’est un personnage non impliqué dans l’acte : Slimane, « le maboul » qui observe et commente, comme si le romancier « inventait » un narrateur en position de négociation, capable d’expliquer le geste de violence. Il regarde de haut comme Dieu, perché sur un figuier comme s’il en était partie, le premier figuier que le vieux colon avait greffé. Cette position lui permet d’expliquer l’attitude des deux acteurs du meurtre, quand il le peut et de formuler ses interrogations lorsqu’il ne comprend pas. L’introduction de ce troisième personnage introduit l’ambivalence car il dédouble « l’Arabe » assez monolithique chez Camus. L’Arabe de Pélégri, c’est à la fois Slimane qui observe et Saïd qui agit, le vieux et le jeune, celui qui a intériorisé l’ordre colonial et celui qui le rejette. L’Arabe de Camus avait la tête à l’ombre et le corps au soleil. Dans Le Maboul, Slimane est à l’ombre dans son figuier et Saïd complètement au soleil. Pélégri travaille différemment la symbolique forte de l’ombre et de la lumière de la littérature d’Algérie.
Mais Slimane est aussi Meursault puisqu’il raconte Saïd en homme du refus. La suspension temporelle, la rupture du temps romanesque, caractéristique de l’insertion d’une séquence de description, est particulièrement sensible dans ces scènes de meurtre. Pour remettre en marche le temps, l’acte est nécessaire car il relance le mouvement des personnages. Le commentaire de Slimane accompagne la description détaillée de la scène et se fait justification de l’acte de Meursault. S’il y a mort, c’est parce qu’il y a eu infraction à la loi coloniale, que les deux « partenaires » » ont péché par arrogance : « C’est là que l’autre a dû s’énerver. Quand tu attrapes un Arabe à te voler, tu aimes bien qu’il te montre qu’il a peur. S’il l’a pas, mais au contraire, la rigolade et l’air de pas te voir – alors que toi, en plus, tu as l’revolver – y a pas, faut qu’tu fasses quelque chose !… »
Le texte de Pélégri apparaît alors subtilement aussi comme un plaidoyer pour Meursault par la réinscription de son acte dans une réalité concrète et par la dissociation, du côté des Arabes, entre vieux et jeunes. Les vieux sont en complicité avec le vieux colon, les jeunes veulent la rupture. Car, dans Le Maboul, deux amis d’enfance se défient, comme des gosses mais l’un d’eux, Saïd, va trop loin ; il provoque et meurt dans les vignes, bêtement : « Chacun, dans l’fond, il doit savoir que le couteau, des fois, ça commande l’Arabe et le revolver le Français – ça chacun le sait ».
Le romancier s’est expliqué auprès de Jean Daniel sur la répartition « ethnique » des armes : « Je voulais simplement dire que la différence d’armes n’est pas insignifiante. Elle relève d’un fait que les ethnologues ont souvent constaté et qui tend à établir que chaque peuple, chaque « race », se fait de l’arme de l’autre une image plus ou moins mythique. Pour l’Européen, le Maghrébin est menaçant par son couteau (…). Pour le Maghrébin, qui à l’époque ne disposait que d’armes primitives ou peu élaborées, l’Européen effraie par le revolver ou le fusil. De ce fait ces armes – qui sont plus que des armes – peuvent réveiller de vieilles peurs et pousser à l’acte. C’est ce qui se passe, semble-t-il, dans L’Étranger. Sous un soleil témoin qui semble occuper tout l’espace, l’affrontement meurtrier se condense et se focalise sur un duel entre armes symboliques. Ce sont elles qui éveillent en chacun le « racisme » latent et c’est cette ellipse qui, en chargeant le récit d’une force à la fois souterraine et solaire nous rappelle du même coup qu’il y a encore en Méditerranée, comme au temps de la mythologie grecque, un tragique solaire et des soleils noirs ». En ce sens, Pélégri apprécie sa mise en scène du meurtre comme opposée à celle de Camus.
Cette explication donnée à Jean Daniel ne manque pas de perspicacité ; toutefois, au-delà du simple « réflexe » du duel des armes, on peut l’enrichir d’une interprétation dans le contexte colonial : le meurtre a eu lieu parce que Meursault a transgressé le code spatial en colonie qui veut que les deux peuples évitent d’occuper le même espace – Meursault n’a pas supporté que la source lui soit interdite par l’Arabe –, et l’Arabe a transgressé le code comportemental qui veut que le colonisé s’efface devant le colon. En ce sens il faut relire en parallèle la scène de L’Étranger et la scène, revue et corrigée, du Maboul. On verra la proximité et la différence entre les deux textes. L’écrivain s’est expliqué sur ce dialogue des deux textes : « Un vieil ami de la maison Gallimard, M. Hirsh, qui aimait beaucoup le livre, m’a fait un jour remarquer que j’avais écrit en somme une sorte d’Étranger retourné. Mais avec un personnage plus complexe et une motivation ambiguë qui relevait plus de la tendresse que du « racisme ». Pour le reste, me disait-il, le même soleil, le même affrontement sanglant entre deux jeunes hommes, et à la fin, le même meurtre sans raisons apparentes. Je n’y avais pas pensé un seul instant. Pendant la rédaction du livre, je n’avais pensé à Camus qu’une seule fois: lorsque Slimane va à Alger pour voir à la morgue le corps de son neveu. Du haut de la colline de Kouba, il aperçoit pour la première fois la mer – et c’est à cet instant que j’ai pensé à Camus (…) Mais comme on ne sait jamais ce qu’il en est des influences et des réminiscences – ni du chemin qu’elles font en vous, il se peut donc qu’obscurément, et par toutes sortes de détours, Camus soit présent quelque part… De toute façon, je crois qu’il vaut mieux ce chemin que celui de l’idolâtrie. On ne se débat en profondeur contre quelqu’un que si on l’aime et que s’il vous a marqué ».
Dans quelle littérature faut-il « classer » Jean Pélégri ? En 2000, Mohammed Dib – son ami : ils sont nés et morts aux mêmes dates –, écrivait : « La discrétion dont les critiques ont obstinément et désobligeamment fait preuve à l’endroit des écrits de Jean Pélégri, à mon sens, s’explique ainsi : ils ont eu affaire à quelque chose qu’ils ne connaissaient ni ne comprenaient, et cette chose qu’ils ne connaissaient pas et persistent à ne vouloir ni connaître ni comprendre, s’appelle l’Algérie ».
Faut-il qualifier de « littérature algérienne » toute œuvre qui parle de l’Algérie ? Pourquoi l’exclure de la littérature française ? C’est ce dernier point que je voudrais souligner en m’appuyant sur la « Note des éditeurs » de cette réédition des éditions Terrasses. L’exemple de Pélégri est un des meilleurs pour toucher du doigt le devenir, en Histoire littéraire, des écrivains français d’Algérie qui n’ont pas pris fait et cause pour l’Algérie française mais ont eu une position plus complexe. Que toutes les œuvres de ce que nous appelons la « mouvance Algérie » appartiennent au patrimoine du pays, bien évidemment. Mais elles appartiennent aussi à la fois au patrimoine français et à l’histoire littéraire de la France : « Nostalgie, mémoire, racines, ces trois éléments se retrouvent, à des degrés qui dépendent des lieux et des générations, dans cette histoire mal conne et souterraine qui s’est déroulée entre les uns et les autres, là où les rapports étaient quotidiens. Et cette histoire constitue une bonne part de notre identité ».
En ce sens, les trois écrivains réédités par Terrasses éditions – Anna Greki, Jean Sénac et Jean Pélégri – ont des œuvres « algériennes ». Faut-il, pour autant, les considérer comme partie intégrante de la « littérature algérienne » ? S’il ne fait pas de doute que la réponse est affirmative pour les deux premiers, elle est moins évidente pour le troisième. Les éditeurs l’affirment dès les premières lignes de présentation et indexent ces œuvres « à l’internationalisme révolutionnaire des années de lutte décoloniale » (il faudra un jour qu’on m’explique pourquoi décoloniale a remplacé anticoloniale ?). Ils affirment aussi que ces œuvres transmettant un écho plus authentique que certaines œuvres actuelles. A l’appui de cette affirmation, ils épinglent Kamel Daoud en s’appuyant sur l’exécution d’Ahmed Bensaada, dont l’essai est bien conforme au sport national au pays qui est de démolir ceux qui ont du succès… Et réduire cet écrivain, un des plus talentueux de sa génération, à cette appréciation lapidaire, « façonné pour plaire à une lecture plate, humanisante et réactionnaire d’un occident adorant les écrivains-chroniqueurs-un-peu-polémistes » n’est pas digne du travail remarquable de réédition entrepris.
Que cela plaise ou non, le rapport à Camus – des trois, seule Anna Greki semble y avoir échappé à son ombre tutélaire –, est constant, déférent ou polémique, destructeur ou constructif. Cela a été amplement démontré. Délicat donc de baptiser « auteur algérien » sans autre explication. Les éditeurs, n’échappant pas, eux aussi, au syndrome camusien, voient ces trois écrivains, d’origine française, comme « l’endroit », dont les écrivains d’origine « arabe et berbère seraient l’envers » : et pourquoi pas l’inverse ? Mais peut-être font-ils allusion à une phrase du roman de Mourad Bourboune, Le Muezzin, ami de Pélégri et que celui-ci cite en exergue de son essai de 1989 : « Réformateurs, hommes de faible pesée ! Qui vous parle d’ordre ou de désordre, d’envers ou d’endroit, d’Orient ou d’Occident, du jour ou de la nuit ? Je veux le coude à coude de toutes les choses contraires ».
Avec Pélégri, nous sommes bien dans une création qui pose des questions essentielles à la cohabitation possible ou impossible dans une colonie de peuplement. Il parle de sa prise de conscience qu’il a résolue, s’il l’a résolue, à sa manière, en restant un écrivain français, né en Algérie et pétri de sa terre : « Qu’on me pardonne le côté sacrilège de cette comparaison – mais la langue de l’autre est, dans certaines circonstances, comme une sorte de prière par laquelle on s’ouvre à une Parole qui vous agrandit. (…) Vous voilà dans une sorte de no mans‘land incertain, mais au plus profond de vous-même. Libéré des conventions du langage, des propagandes, des idéologies dominantes du lieu et du moment, et algérianisé par l’écriture, vous voilà devenu l’autre, le frère. (…) Intervenait aussi parfois, en cours de rédaction et en arrière-plan, une autre motivation. Plus psychanalytique. Celle de reconquérir, par l’écriture, un territoire et un pays dont avec les miens je me sentais injustement exclu. (…) Il y avait aussi des livres qui sont pour l’écrivain des sortes de guerres civiles intérieures. (…) L’écriture avait algérianisé ma façon de sentir les êtres et les choses ».
Qu’il y ait dans la littérature française des œuvres pétries d’Algérie est un fait évident. Et Pélégri se reconnaîtrait bien dans cette déclaration d’Albert Camus, en 1958 : « L’une des choses dont je suis fier en tant qu’écrivain et en tant qu’écrivain algérien, c’est que nous autres écrivains algériens nous avons fait notre devoir et nous l’avons fait depuis longtemps. Nous sommes beaucoup à espérer ce qu’on appelle l’Algérie de demain. Je ne sais pas si elle se fera ni dans quelles conditions elle se fera. Je ne sais pas non plus ce qu’elle nous coûtera encore en sang et en malheur, mais ce que je puis dire, c’est que cette Algérie de demain, nous autres écrivains algériens nous l’avons faite hier. Nous avons été une école d’écrivains algériens, et quand je dis école je ne veux pas dire un groupe d’hommes obéissant à des doctrines, à des règles, je veux dire simplement exprimant une certaine force de vie, une certaine terre, une certaine manière d’aborder les hommes ».
Ou dans celle de Mouloud Feraoun, en octobre 1960 : « Quand il est question d’écrivains algériens, il s’agit évidemment d’auteurs nés en Algérie, d’origine européenne ou autochtone, auxquels il faudrait ajouter ceux qui, ayant vécu ou vivant en Algérie, ont découvert ou découvrent ici leurs sources d’inspiration. Les uns et les autres sont Algériens dans la mesure où ils se sentent eux-mêmes Algériens, et où leur œuvre concerne l’Algérie. S’ils ne se sont rassemblés autour d’aucun manifeste, il est indispensable, je crois, que quelque chose les réunisse : la même fidélité à la terre et aux hommes, le même esprit, les mêmes goûts, une certaine complicité peut-être… En tout cas, l’expression ‘écrivains algériens’ ne comporte à mon sens nulle ambiguïté ».
Il adhérerait moins à la définition de son ami, Jean Sénac : « Est écrivain algérien tout écrivain ayant définitivement opté pour la nation algérienne ». Cela n’enlève rien à la force de son roman de 1963 ni à l’authenticité de son immersion dans la terre algérienne. Par sa création, il a échappé au dilemme colonial – relisons Albert Memmi, « le colonisateur qui se refuse » – : en créant une langue, au creux du français, qui soit un trait d’union, une passerelle. Il l’a fait avec une plongée dans une sorte de « francarabe » déroutant, ce que n’ont fait ni Greki, ni Sénac, optant autrement pour dire leur Algérie et pour la vivre au présent de leur vécu et dans un engagement dans une nouvelle nation.
Jean Pélégri, Les Oliviers de la justice & Le Maboul, Terrasses éditions, octobre 2020, 517 p., 17 €
Dans son nouvel ouvrage Papa, qu'as-tu fait en Algérie ?, Raphaëlle Branche interroge et sonde un silence, celui des appelés d'Algérie. Ils ont été 1,5 million de jeunes conscrits partis pour un pays dont ils ne savaient pas grand-chose et pour une guerre dont ils ignoraient tout. Pendant cesdits « événements d'Algérie » et encore après, le silence a constitué le puits sans fond dans lequel cette expérience a pu se perdre, se taire, être étouffée aussi. Un silence sourd que Raphaëlle Branche, professeure à l'université de Paris-Nanterre, avait déjà décelé dans ses précédents livres, dont La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie [1954-1962]**.
Dans Papa, qu'as-tu fait en Algérie ?, elle travaille divers matériaux, journaux intimes, lettres, carnets de notes, témoignages, pour rendre au mieux cette perte de l'innocence qu'a été pour beaucoup d'appelés cette guerre sans nom. Explorant avec nuance et délicatesse les trames et liens familiaux pris dans les rets de l'Algérie, Raphaëlle Branche reconstitue l'envers d'une guerre, en débusque les silences personnels comme le grand silence du récit officiel. Elle suit aussi à la trace les signifiants comme les non-dits à travers ces expériences singulières, qu'elle ramène alors dans le même mouvement dans l'histoire dont ces appelés avaient été parfois exclus. Ou dans laquelle ils avaient pu se sentir perdus. Un travail magistral d'archéologie des affects. Interview.
Le Point Afrique : Vous avez choisi d'aborder la guerre d'Algérie du point de vue des appelés et de leur cercle familial. Que peut dire cette histoire abordée à revers et qui touche l'intime ?
Raphaëlle Branche : Le sens de ma démarche est de promouvoir un objet d'histoire en tant que tel et qui est rarement identifié par les historiens du contemporain : la famille comme lieu de construction de la mémoire et élément de la mémoire sociale. La famille m'a semblé une voie d'entrée pour saisir cette question lancinante concernant les anciens combattants de la guerre d'Algérie, à savoir le silence : pourquoi n'avaient-ils pas souhaité en parler ? Il me semblait que le vrai problème à poser était « en parler à qui ? ». En revenant au cœur de leur expérience et aux premiers moments de celle-ci, il m'est apparu que les premières personnes à qui ils en ont parlé étaient leurs proches. J'ai voulu revenir à ces premiers récits. Les familles sont des objets d'histoire, elles sont aux prises avec l'histoire aussi. Ces familles qu'ils forment aujourd'hui avec leurs épouses, enfants et petits-enfants sont assez différentes du modèle familial que ces appelés ont connu eux-mêmes enfants dans les années 1930. Il m'a fallu dès lors esquisser une histoire des familles françaises pour comprendre comment il était possible ou pas de parler en revenant aux spécificités de chaque contexte. Il m'a fallu revenir aux mots : comment lesquels étaient possibles ou impossibles aussi. Autant de réflexions liées à l'expérience algérienne, mais pas seulement. Ce livre tente donc de relire la question du silence, qui est une impression dominante, dans une perspective historique plus large, qui ne s'expliquerait pas seulement par la question algérienne. Le titre du livre est une question adressée aux pères. Ce livre retrace l'histoire de cette question souvent impossible à poser, sinon dans certaines conditions que je tente d'éclairer.
Vous avez suivi la trace de cette guerre à travers des récits, des lettres, des témoignages. À partir de quel moment ces éléments biographiques et intimes faisaient-ils sens pour éclairer cette guerre ?
Éclairer le sens des actions passées et réfléchir aux conditions dans lesquelles des histoires individuelles parlent d'une situation collective sont des questions récurrentes pour tout historien. Nous travaillons à partir de traces du passé et nous devons trouver les bons outils pour les interpréter. J'ai travaillé sur la base de questionnaires, et en croisant les sources de l'époque. Je tente d'expliquer pourquoi je retiens tel ou tel élément pour appuyer ma démonstration. J'essaie alors de les remettre dans un contexte plus large. Je peux expliquer, comme historienne, ce que c'est que d'avoir 20 ans dans les années 1950, ce que c'est que de grandir dans un milieu bourgeois, les attentes sur le service militaire, ce que c'est que d'être un homme. Je relie ces éléments pour tenter de comprendre comment les gens ont été pénétrés de ces valeurs patriotiques, nationales, de virilité.
Vous avez travaillé sur une période de vingt ans. Par votre irruption dans la vie de ces familles, avez-vous déclenché des prises de parole ou de conscience de choses tues ?
J'ai fait le choix dans ce livre de ne pas être en retrait. Je fais partie de l'enquête, en quelque sorte. Du moins, pour une partie. De toute façon, tout historien est aussi situé. Une partie de l'enquête repose sur mes interactions avec les familles sur parfois plusieurs années. Les gens m'ont donc parlé à moi, avec une certaine idée de ce qu'était mon travail d'historienne. Cette problématique des effets de l'enquête m'est familière et fait partie aussi du travail. J'ai essayé de rendre compte de cet aspect de mon travail, notamment en reproduisant au mieux les mots des témoins. Cette enquête a effectivement été utilisée par certains qui m'ont dit « vous avez fait bouger des choses en nous ». Écrire ce livre avait aussi pour but que des lecteurs ou des lectrices puissent s'en saisir pour raconter ou pour questionner.
Vous écrivez que les structures de silence sont des objets historiques à analyser. Entre le silence des appelés et celui de la société française sur ce même sujet de la guerre d'Algérie, lequel était le premier ou faisait reflet à l'autre ? Ou se sont-ils nourris l'un l'autre ?
Il me semble que la réponse est fonction du moment. Une des évidences de la difficulté à constituer un discours sur la guerre en Algérie dans la mémoire collective française, et même au sein des anciens combattants, est le fait que la guerre a duré huit ans. Elle a donc été très différente, dans sa réalité et dans ses attendus, au fur et à mesure de la guerre. Partir jusqu'en 1957, 1958, 1959, il est encore possible de penser qu'on part pour défendre l'Algérie française et maintenir l'empire. À partir de fin 1959, il n'est plus possible de croire cela, car ce n'est plus le discours officiel. Le lien entre le ressenti sur le terrain et ce qui est dit dans la société n'est pas de même nature que ce qu'ont pu constater des gens partis en 1957. Ces derniers ont découvert le colonialisme alors qu'on leur avait dit qu'ils étaient là pour défendre la civilisation française. Ils découvraient en face d'eux des gens qui luttaient pour leur indépendance avec un discours articulé et non pas des sauvages simplement avides de sang. Les décalages peuvent alors être violents. Ils sont d'une autre nature à la fin de la guerre, quand, par exemple, des soldats français peuvent être pris pour cible par l'Organisation armée secrète. Ce sont dans ces décalages entre des croyances collectives et une expérience individuelle que se niche en partie le silence. L'autre élément qui explique le silence renvoie à la famille. Par ailleurs, il importe de rappeler que ces conscrits ne découvrent pas que la guerre en Algérie. Ils y découvrent un autre pays, un autre peuple et la réalité de la colonisation. Tout cela est l'occasion de questionnements, de doutes et parfois de silences, car parfois rien n'est compréhensible. Il ne faut pas oublier l'importance de l'ignorance française sur la situation en Algérie. Il s'agit bien plus d'une ignorance que d'un déni. La France était un pays démocratique, avec une presse libre. Pourtant, globalement, l'Algérie intéressait peu, à part dans quelques milieux militants très informés. L'ignorance sur l'Algérie ne date pas de la guerre mais est antérieure.
Ce silence n'était-il pas dû aussi au fait que cette guerre ne disait pas son nom et était qualifiée d'« événements » ? En cela, ces appelés ne pouvaient s'inscrire dans une généalogie glorieuse de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale…
J'ai voulu restituer les emboîtements successifs de registres à la disposition des individus désireux d'appréhender le réel. Qu'est-ce qu'une guerre ? Pour beaucoup, c'est ce qu'a fait le grand-oncle à Verdun ou le père à Dunkerque en 1940, pas ce que ces appelés font en Algérie. En Algérie, qui plus est, ils font leur service militaire, avec tout ce que cela suppose d'obéissance. On leur dit qu'au bout de 18 mois ce sera la quille et aussi que l'Algérie n'est pas la guerre. Le discours officiel, qui ne reconnaît ni l'ennemi ni la légitimité de sa lutte nationale, insiste sur le rôle de l'armée pour construire l'Algérie française avec des soldats du contingent qui devront se battre mais aussi construire des routes, surveiller des marchés et rues, faire l'école et accompagner des campagnes de vaccination. Des actes qui ne ressemblent pas à une guerre, mais pas non plus à un service militaire. On leur parle de pacification, d'opérations de police. Ces appelés ont donc du mal à se penser comme combattants. De fait, beaucoup n'ont jamais tiré un seul coup de fusil. Par la suite, ils auront du mal à être reconnus comme d'anciens combattants. Car l'être, c'est avoir participé à une guerre et avoir été en position d'être tué. Or c'était bien le cas ! Si certains n'ont pas manié les armes, ils étaient quand même exposés à la mort. À leur retour, ils reviennent d'une guerre et pas seulement du service militaire. Mais le déni officiel a rendu leur discours sur la violence de leur expérience difficile à dire et à entendre.
Vous citez des extraits de lettres des appelés et l'impression qui s'en dégage est surtout celle d'un ennui plat…
La guerre ne se fait pas un rythme continu. Elle est une expérience globale, en discontinuité. Pour l'Algérie, cela est vrai a fortiori, car l'intensité de l'affrontement armé est faible et surtout très localisée. Ces appelés peuvent partir en opération, avec des montées d'adrénaline, mais ils peuvent surtout attendre sur les pitons où sont installées leurs unités. Avec un complexe obsidional qui s'installe, avec la peur tout autant. Ces appelés s'ennuient donc beaucoup. En outre, ils ne savent pas pour combien de temps ils sont partis, car la durée du service militaire a varié, selon les besoins de la guerre. Cela a eu des effets délétères psychologiquement et les familles n'ont pas été épargnées. Le temps était suspendu pour tout le monde. L'incapacité à pouvoir se projeter dans l'avenir, en raison de ce temps suspendu, explique pourquoi, quand ces appelés rentrent, ils ont surtout envie de passer à autre chose.
Les appelés ont-ils participé à la prise de conscience de la réalité algérienne ou étaient-ils dans l'impossibilité de le faire ?
Même si ce n'était pas une guerre, il y avait des formes de contrôle sur les soldats qui étaient bien supérieures à un contrôle sur un service militaire en temps de paix. Ils n'avaient pas le droit de parler de ce qu'ils voyaient. Ils ne pouvaient même pas dire à leurs proches où ils étaient stationnés. Ils devaient donner une adresse codée. Quant à témoigner, certains ont eu le désir de le faire en écrivant à la presse ou en recopiant des documents pour les transmettre. Ce sont quelques cas sur plus d'un million et demi d'appelés. Mais ces démarches ont surtout eu lieu après leur retour. Ils ont pu être des informateurs, ou, comme nous dirions désormais, des lanceurs d'alerte. Il faut se rappeler que les correspondants de presse n'avaient pas accès aux terrains militaires, sauf à être avec les troupes. Donc il était difficile pour eux de recueillir un point de vue qui n'était pas celui officiel de l'armée.
La loi d'amnistie n'est pas accueillie avec soulagement ou joie, mais plutôt avec honte. D'ailleurs, ce sentiment de honte semble prégnant, en Algérie mais aussi a posteriori…
Cette amnistie a empêché toute poursuite judiciaire pour les actions commises durant la guerre d'Algérie. Elle assimile donc tous les soldats à ceux qui ont pu commettre des actes criminels. Elle protège tout autant ceux qui ont commis ce genre d'actes. La honte renvoie à un sentiment très intime, le décalage entre l'image qu'on a de soi et ce qu'on fait. C'est une thématique qui revient sous leurs plumes et qui prend racine parfois dès la guerre. Cela se décèle dans leurs journaux intimes. Cette honte se complexifie aussi dans le rapport à la famille, car ils ne voulaient pas que leur image soit atteinte. Je cite les carnets de notes d'un militant communiste qui explique comment il peine à convaincre ses camarades de respecter l'humanité des prisonniers. Il en souffre terriblement, en tant que militant mais aussi en tant qu'humaniste. Il a réussi quand même à surmonter la honte en rendant public son journal. Ce sentiment de honte a été identifié comme important par les psychiatres qui ont traité certains appelés atteints de troubles. Cette honte persiste des décennies après.
Au fond, ces appelés rappelaient-ils trop la blessure narcissique qu'a pu être aussi la perte de l'Algérie pour la France ?
Ils ne sont pas les seuls, car il faut rappeler les Français d'Algérie, rapatriés, les harkis aussi. Les témoins gênants de la colonisation et de cette guerre violente sont nombreux. Pour les appelés, la dimension spécifique est qu'ils venaient de métropole. Ils sont d'une certaine manière les témoins de ce que la France n'était pas ce qu'elle disait être, de ce qu'elle n'a pas réussi à faire : développer l'Algérie et développer entre ces deux peuples des liens d'égalité et de respect. Ils sont témoins d'un échec. Cela n'est pas agréable pour une nation, même si le discours officiel va valoriser la capacité à rebondir après l'échec. C'est ce que fera le général de Gaulle avec un discours très volontariste qui revient à décrire l'Algérie et l'empire comme des boulets.
Quel a été le devenir politique de ces appelés, notamment par leur vote ? Autrement dit, la guerre a-t-elle structuré leur devenir de citoyen ?
C'est là une question à creuser. Pour les rapatriés, des travaux en sciences politiques à propos du prétendu « vote pied-noir » ont montré qu'il y a une fabrication de ce vote dans le sens où on le fait exister en disant qu'il existe. Mais il n'est pas démontré que les pieds-noirs votent de manière spécifique systématiquement et en toutes circonstances. Pour ce qui est des appelés, il n'existe pas d'études qui permettraient de répondre à la question. Il me semble que cette question n'a pas été posée car elle n'a pas intéressé. J'esquisse dans le livre des pistes, car des choses ont été atteintes lors de leur expérience algérienne, par exemple tout ce qui concerne le rapport aux Algériens et notamment le racisme anti-maghrébin, le rapport à l'armée et à l'autorité aussi. On pourrait imaginer que ces atteintes ont eu des effets politiques chez certains des témoins.
Vous montrez aussi les effets inconscients de cette guerre sur les descendants de ces appelés…
Ces effets montrent à quel point on est traversé par des héritages pas toujours explicites. Toute une clinique, en collaboration avec des historiens, montre ce transgénérationnel. Autrement dit, des choses qui passent d'une génération à une autre sans être transmises explicitement. À travers quelques cas étudiés, je montre que des personnes sont comme habitées par une mémoire qui vient du passé et de l'expérience algérienne des pères. Les descendants ont pu recevoir un héritage inconscient, jusqu'à en être pénétrés dans un certain nombre d'actes de leur vie. Mais je montre aussi comment certains se sont emparés de l'histoire de leur père en la resituant dans leur propre histoire, en actes de création. Ce n'est pas qu'un héritage subi, mais ce peut être un héritage dont on peut s'emparer.
Cette mémoire de l'Algérie est-elle enfin désormais plus abordable ? Est-ce qu'Emmanuel Macron, par effet générationnel, sera à la guerre d'Algérie ce que Jacques Chirac a été pour Vichy ?
La clé générationnelle est effectivement un élément dont il faut tenir compte. Emmanuel Macron a donné plusieurs preuves de son engagement autour des questions du rapport de la société française à son engagement colonial. Un engagement à comprendre au sens de clarification. Le texte rendu public en septembre 2018 à l'occasion de sa visite à Josette Audin a été extrêmement important. Le fait que, dans ce texte, il ait désiré dépasser le cas d'un homme pour parler d'un système et qu'il parle de la responsabilité de l'État dans ce système est un acte fort. Il manque toutefois dans ce texte toute référence au colonial.
Mais n'y a-t-il pas des ambiguïtés au regard de la difficulté qui subsiste à accéder à certaines archives coloniales ?
Sur la question mémorielle de l'Algérie, il me semble qu'il n'y a pas beaucoup d'ambiguïtés. Je note une évolution de la présidence, même si elle n'est pas forcément linéaire. Le président n'est pas tout et la question des archives classifiées secret défense le montre. Celle-ci n'est pas liée à Emmanuel Macron, mais à des administrations qui ont, de fait, des pratiques en contradiction avec la parole présidentielle. Cela ne concerne pas que l'Algérie, mais un pan plus large de la France contemporaine dont l'écriture de l'histoire est compromise dès lors que l'accès à des archives librement communicables est entravé. Il demeure donc une tension au cœur même de l'État qui concerne, plus largement, l'accès des citoyens aux archives de cette période récente, et notamment de la guerre d'Algérie.
* Raphaëlle Branche, « Papa, qu'as-tu fait en Algérie ? ». Enquête sur un silence familial, Paris, La Découverte, collection « Sciences humaines », 2020.
** « La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie [1954-1962] » (Gallimard, 2001)
Jusqu'à quand ?
Jusqu'à quand la repentance, la haine de soi, la culpabilité transmise de génération en génération, les jugement a postériori en dehors de tout contexte ? Oui, des appelés se sont battus en Algérie (ou pas), oui certains d'entre eux ont été traumatisés et alors ? Que dire des militaires obligés de trahit les serments faits à la population qu'ils étaient venus protéger ? Des familles entières de Harkis massacrés, des crimes odieux du FLN vis à vis de la population musulmane pour l'obliger à collaborer ? Des "Français d'Algérie" arrivés en France sous les quolibets et les insultes (Deferre à Marseille et combien d'autres ? ) J'étais lycéen à Toulon et j'en ai encore le souvenir : "Qui est rapatrié dans cette classe ? Demandaient les professeurs, pour ensuite nous faire un cours en forme d'avertissement sur notre obligation de filer droit et d'oublier "nos réflexes coloniaux". L'humiliation, mais aussi la colère qui nous a d'ailleurs fait réagir collectivement dans la cour de récréation. Les pieds-noirs sont restés discrets, ils se sont intégrés à cette patrie ingrate car ils l'aimeient, parfois sans l'avoir jamais vue. Au moment où les atrocités de l'islamisme endeuillent la France, il est malvenu de revenir une fois de plus (de trop) sur le "traumatisme" algérien. Des millions d'Algériens vivent en France où ils ont choisi de venir vivre plutôt que de vivre dans leur pays indépendant. Leurs enfants aujourd'hui vomissent souvent la France et se réclament de leur identité d'origine. Il est plus que temps de restaurer l'amour de la France plutôt que de contribuer à salir son histoire en ne retenant que le côté obscur. Comment faire aimer leur pays au jeunes gens issus de l'immigration si on ne fait que le salir ?
Le « n’ayez pas peur » de Jean-Paul II résonne encore à travers le monde. 🙏
Je ne puis être terrassée, terrifiée ou terrorisée que par la peur. Et il n’y en a pas qu’une, il y en a plusieurs :
- La peur de la mort qui n’est qu’une déclinaison de la peur de la vie…
- La peur de l’autre qui n’est autre que l’autre nom de la peur…
- La peur de la maladie qui n’est, tout compte fait, qu’un symptôme parmi d’autres pour nous attester que la peur est une maladie… d’une gravité trop peu contestée.
J’y prélève un paradoxe : je ne puis la détester sans me détester. Peut-être parce que la peur relève de l’être plutôt que de l’avoir : je suis la peur mais je n’ai pas peur…
Sur elle, je n’ai pas de prise. C’est elle qui a sur moi une main mise.
Que puis-je faire pour m’en débarrasser ?
Parce que j’en ai comme vous plus qu’assez des docteurs, des égorgeurs et des oiseaux de malheur !
J’ai fait de la philosophie le jour où j’ai appris que son premier et dernier souci était précisément de m’apprendre à vaincre la peur.
Et je n’ai pas mis longtemps à me convaincre qu’il ne suffit pas de la surmonter… en fuyant le danger, mais de la démonter en acceptant de vivre pleinement autre dit, dangereusement… fort heureusement pour moi parce qu’il n’y a pas de force autrement.
Devant le précipice, je ne réfléchis pas avant, je saute d’abord et je réfléchis après… car je reste persuadée qu’on ne peut ni agir, ni réfléchir pour de vrai avant d’avoir livré cette bataille à la peur… c’est elle et plus que tout autre, qui sème la terreur. Il faut la combattre au lieu de passer son temps à en débattre comme le font nos politiques sur tous les écrans.
Les terroristes ne me font pas plus peur que les épidémiologistes…et les épidémiologistes pas moins peur que les conspirationnistes… Je suis désormais majeure et vaccinée contre leurs vaccins et leur funeste dessein : me faire peur, me soumettre à leur ordre de valeurs.
Oui, mais comment ? Comment vaincre la peur ?
C’est la question qu’on me repose à chaque fois que je laisse entendre que ce n’est pas moi, mais toi qui dispose de la réponse… mais tu refuses de te l’avouer. C’est cela : la peur.
La peur de la peur, qui est selon le philosophe, la vraie peur.
Si tu ouvres ton cœur, tu y découvriras 3 sortes de peur :
- La première, c’est la PEUR PRIMALE, elle est primitive, instinctive : comme la peur du noir pour les uns ou peur de la lumière pour les autres. Le chien qui vous aboie dessus le ressent trop bien… ce n’est pas sa méchanceté qui vous fait peur mais votre peur qui le rend méchant.
- La deuxième PEUR est BANALE, c’est la peur psychologique de tout et de rien, peur d’objets divers et variés, de l’araignée ou de l’étranger.
- La troisième peur fait encore plus de mal : c’est la PEUR METAPHYSIQUE, une peur sans objet, liée au verbe être. On l’éprouve mais on ne la prouve pas : parce qu’on ne sait pas trop si c’est à l’intérieur ou à l’extérieur de nous que ça ne tourne pas rond. Hamlet l’a bien eu en tête lorsqu’il a compris qu’il ne saura jamais ce qu’il y a derrière… quelqu’un ou personne ?
Souvenez-vous de la fable de Sainte Blandine qui fut attachée à un poteau par les Romains qui voulaient sa peau. Elle répétait d’une voix sans voix : « j’ai la Foi ». On lâche les lions, mais elle ne cesse de prier jusqu’à faire plier toutes les bêtes fauves.
Je vais vous raconter une histoire de retour du refoulé. Il a 9 ans et il inquiète tout le monde parce que depuis quelques semaines il dessine sans arrêt des scènes de torture. Avec force détails et réalisme, il met en scène bourreaux, victimes et instruments de torture sophistiqués. Les instituteurs soupçonnent les parents de lui laisser voir des choses horribles sur Internet, les parents soupçonnent les autres enfants de l’influencer, ça part en eau de boudin. La psychologue scolaire reçoit plusieurs fois le Caravage en herbe. Mais ce qui préoccupe le plus ses parents, c’est qu’il est de plus en plus souvent réveillé par des cauchemars, qui virent à des terreurs nocturnes. Le pédiatre leur donne l’adresse du psychanalyste. Les parents sont un peu agacés lorsque celui-ci leur pose des questions sur le prénom de leur enfant ou sur le métier des grands-parents. Le père, épuisé, répond qu’ils sont là pour un problème de sommeil, et pas pour des questions de généalogie, et que si ça continue ils vont se faire virer de l’école. Mais au bout de quelques séances où il a pu allègrement commenter ses cruels dessins, le petit recommence à dormir décemment, alors les parents sont d’accord pour l’accompagner chacun son tour.
Un jour que son fils est en sortie scolaire, la mère vient seule à l’heure de la séance. Elle explique au psychanalyste qu’elle dort mal toutes les nuits depuis un an : depuis la mort de son père. Elle est née peu de temps après qu’il est rentré de la guerre d’Algérie. Il a été un père prévenant, présent, mais tout le temps ailleurs, et très silencieux. Lorsqu’elle a eu 15 ans, au prétexte du programme scolaire, elle lui a demandé de lui parler de ces « événements ». Il lui a répondu qu’il ne pouvait pas en parler. Dans le bureau du psychanalyste, la voilà qui ne s’arrête plus de parler. Elle raconte le cauchemar récurrent qu’elle fait depuis qu’elle a 20 ans. Il y a quelques semaines, elle a relu des lettres de son père.
Tout en l’écoutant, le psychanalyste repense à une émission qu’il a entendue cette nuit même sur France Culture. Il y était question du massacre d’octobre 1961 : lorsque, en pleine guerre d’Algérie, 30 000 immigrés algériens se rassemblent à Paris et manifestent pacifiquement pour l’indépendance et contre le couvre-feu auquel ils sont astreints, le préfet de police de la Seine, Maurice Papon, donne ordre de frapper et de tirer. Ils sont massacrés, jetés dans la Seine, il y a des centaines de morts, on ne sait toujours pas combien exactement. Le lendemain, leurs femmes viennent à leur tour à Paris, elles se regroupent devant la préfecture et réclament des explications, bruyamment. Elles sont arrêtées et conduites à Sainte-Anne, où elles sont enfermées dans la chapelle de l’hôpital. Ce sont des infirmiers et des médecins récalcitrants qui viennent les libérer, en s’affrontant aux policiers en faction. L’une de ces femmes commente ce geste plus de cinquante ans après, au micro de France Culture : « Dans ce monde de fous, c’est à Sainte-Anne que nous avons rencontré le plus d’humanité. » Le psychanalyste, songeur, se demande si les petits-enfants de cette femme demanderont un jour à consulter.
Il n’a pas vu l’heure tourner, il interrompt l’entretien et raccompagne la mère du petit Caravage. Elle lui lance alors, sur le pas de la porte, que son père n’est pas mort d’un arrêt cardiaque, comme elle lui avait dit d’abord. En fait, il s’est suicidé quand elle avait 20 ans. Elle n’a pas eu le temps de lui poser les questions qui la hantent depuis qu’elle a lu beaucoup de choses sur la guerre d’Algérie : pourquoi ne pouvait-il pas lui en parler ? A-t-il, là-bas, participé à des actes de torture ? Le psychanalyste lui demande alors si son fils lui a posé des questions sur son grand-père, et lui donne rendez-vous dans une semaine.
Canicule glaciale. Roman de Amin Zaoui. Editions Dalimen, Alger 2020, 233 pages, 900 dinars
Trois personnages, trois chemins différents et une rencontre... : un Arabe, un Algérien de confession juive et un Européen de France... tous les trois militaires. Trois vies qui se croisent juste avant et juste après l'Indépendance du pays. Dans une caserne située à la sortie de Aïn Sefra... «encerclée par un haut mur en béton avec des fils de fer barbelés». Il y a d'abord Afulay (Apulée en langage «colonialiste»), Kenzi ou Younès pour la maman, Rokia Bent Abraham, né à Hab L'Mlouk, «petit village situé au milieu de nulle part»...
Il y a, ensuite, Augustin Girer, Français de «métropole» venu en Algérie rechercher son père présumé, El Annabi, celui que sa mère appelait son «homme Soleil»...
Et, il y a Levy N'quaoua, né à Henaya, tout près de Tlemcen, descendant du grand Rabbin Abraham Al N'qaoua et fils d'un couturier fan de musique andalouse... Il est officier.
Chacun raconte son parcours, sa famille, ses espoirs, ses réussites, ses échecs, ses rencontres... et, aussi, les déceptions... une amitié très forte qui va les amener à déserter pour rejoindre, avec toute une cargaison d'armes, le maquis et la lutte de libération nationale.
Puis, l'Indépendance du pays avec un frère en moins. Al N'quaoua («El Hadj Levy»), mort en héros au maquis.
Autres temps, autres mœurs... et pas mal de déceptions... avec des vies (et, hélas, des idées) qui n'ont plus le même parcours. Il est vrai qu'avec le temps qui passe et l'âge qui fragilise, la vie n'a plus le même sens. Surtout lorsque des virus jusqu'ici inconnus apparaissent arrivant à détruire les amitiés les plus anciennes et les plus solides. Afulay est devenu Hadj Mohamed (même s'il n'a jamais mis les pieds à La Mecque) et son regard, auparavant si lumineux est vide. Et, Zoubida, l'assistante du Dr Augustin («T'bib»), passe beaucoup plus son temps à lire, à haute voix, des versets coraniques qu'à imiter (ce qu'elle faisait si bien) Edith Piaf.
L'Auteur : Il n'est plus à présenter. Professeur de littérature moderne (Université d'Alger), ancien directeur de la Bibliothèque nationale (Alger), auteur de plusieurs romans (arabe et français) traduits en plusieurs langues, chroniqueur de presse : «Liberté», «The Independent» (Londres).
Extraits : «Les militaires sont créés pour la guerre qui est la chose la plus horrible et la plus détestable. Elle est honnie et injuste, qu'importe la raison de son déclenchement. Toutes les guerres, sans exception aucune, sont sales. Et les guerres sont le sale boulot des êtres humains» (p 39), «On aime une ville pour deux raisons ; pour ses belles femmes et ses Saints bienveillants. Et, à Oran, il y a de belles femmes ! et deux célèbres marabouts : un pour les musulmans, du moins le plus connu... Sidi Lhouari, et une sainte pour les chrétiens... Santa Cruz» (pp 42-43), «Ainsi, j'ai commencé ma vie de militaire. J'étais engagé dans l'armée. Les murs étaient très hauts ! J'étais trop petit... J'étais seul» (p 126)
Avis : Une structuration du récit assez originale qui déroute quelque peu... surtout au départ. La suite est très prenante. Il est vrai qu'un roman ne s'apprécie pleinement qu'après avoir franchi le cap des vingt à cinquante pages.
Citations : «Le thé se boit d'abord par le regard» (p 15), «Raconter, c'est abattre les murs forteresses d'une caserne» (p 52), «Quand on aime les livres, on parvient à les lire avec le cœur avant les yeux. Les livres respirent et ils ont des odeurs comme les êtres humains» (p 60), «L'amour ne vieillit pas ! Il voyage d'un âge à l'autre !» (p 65)
Le mois de février aura marqué l’histoire de la famille Audin, Maurice et Josette son épouse. Maurice Audin, né le 14 février 1932 à Béja (Tunisie), est un mathématicien français. Assistant à l’université d’Alger, il est membre du Parti communiste algérien et militant de l’indépendance algérienne. Il est déclaré mort le 21 juin 1957 à Alger.
Le jeune homme était assistant en mathématiques à la faculté d’Alger, adhérant du Parti communiste algérien (PCA) et militant anticolonialiste. Il a 25 ans quand les militaires viennent l’arrêter, le mardi 11 juin 1957, à 23 heures, dans son appartement de la rue Flaubert, au cœur du quartier du Champ-de-Manœuvre, à Alger. En 1957, Josette Audin et son mari vivent à Alger et sont âgés respectivement de 26 et 25 ans. Le couple a trois enfants, une petite fille de 3 ans et demi et deux petits garçons de vingt mois, et un mois. Tous deux sont membres du Parti communiste algérien qui, à cette époque, est engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. «Depuis le début de l’année 1957 les parachutistes font régner la terreur, ils se promènent dans les villes, arrêtent les passants, ceux naturellement qui sont suspects, c’est-à-dire les Algériens, pas les Européens, et tout le monde sait que le jour ils paradent auprès des filles et que la nuit ils font leur sale boulot», (témoignage de Josette Audin dans une émission «Le monde en soi», le 3 novembre 2001.)
C’est dans ce contexte que tous deux mènent des activités clandestines au sein du parti. En parallèle, le mathématicien est assistant à la faculté des sciences d’Alger. Sa thèse est presque aboutie lorsqu’il est arrêté dans la nuit du 11 juin 1957. (Elle sera finalement soutenue «in absentia» à la Sorbonne, six mois après sa disparition, par son directeur de thèse René de Possel.)
Josette son épouse s’inquiète auprès des soldats venus l’arrêter, et leur demande quand son époux va revenir. L’un des militaires lui répond : «S’il est raisonnable, il sera de retour ici dans une heure.». Maurice Audin est conduit dans un immeuble en construction d’El-Biar, sur les hauteurs de la ville, transformé en centre de détention par l’armée française. Torturé à mort, exécuté, il n’en est jamais revenu. Le 1er juillet 1957, vingt jours après l’arrestation, un lieutenant-colonel tente de faire croire à Josette Audin que son mari s’est évadé lors d’un transfert. Alors, elle dépose plainte contre X pour homicide volontaire.
Les parachutistes et le scénario fiction
Josette Audin n’a même pas pu voir la dépouille de son mari : «Peut-être parce qu’il était européen, universitaire, les militaires ont essayé d’inventer une histoire. Les parachutistes de Bigeard ont imaginé un scénario de Maurice Audin s’enfuyant, s’étant échappé d’entre leurs mains. Evidemment, c’était complètement improbable, impossible. Non seulement ils ont torturé jusqu’à la mort, mais en plus, le fait de faire disparaître les gens participait à la terreur qu’ils faisaient régner sur la ville».
L’épouse du mathématicien témoigne être restée quatre jours en compagnie de parachutistes et de policiers (qui restaient à son domicile), n’ayant autre chose à faire que se ronger les sangs : «A cette époque on savait que les gens qui étaient arrêtés étaient automatiquement torturés, donc forcément, je ne pensais qu’à ça, qu’il était certainement torturé.» Elle assiste le lendemain à l’arrestation du journaliste Henri Alleg, ami de Maurice Audin, venu à leur domicile : « Il s’était présenté chez nous. Il a essayé de faire croire qu’il était là pour renouveler l’assurance de mon mari mais les parachutistes n’ont pas été dupes. Ils ont téléphoné au lieutenant Charbonnier qui est venu très vite le chercher.»
Josette Audin, morte samedi 2 février 2019, s’était battue toute sa vie pour que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité dans la disparition de son mari, le mathématicien Maurice Audin, pendant la guerre d’Algérie. Elle aura passé la majorité de sa vie à tenter de faire la lumière sur les circonstances de l’assassinat de son mari, Maurice Audin.
La dernière fois où elle reçut des journalistes, c’était à la mi-décembre 2019. Il lui a été demandé ce qu’elle avait emporté, en 1966, quand elle avait quitté l’Algérie pour rejoindre la France, en passant par le Maroc et l’Espagne, avec ses trois enfants. Comme souvent, Josette Audin avait d’abord répondu par un silence. Puis elle avait lâché six mots, pas un de plus. « J’ai pris les choses importantes, les livres et les photos. » Les livres qui avaient traversé la Méditerranée étaient encore-là, un demi-siècle plus tard, dans la bibliothèque de son salon, perché au cinquième étage d’un immeuble blanc de Bagnolet, en banlieue parisienne. Lieu qui est situé dans le Bassin parisien, dans la région Île-de-France, limitrophe de Paris, ce qui change énormément du Champ-de-Manœuvre où vécurent les époux Audin et où sont nés leurs enfants. Avec les livres, il y avait les photos aussi, les rares portraits en noir et blanc, visage resté à jamais enfantin, de son mari Maurice Audin. Le combat de toute sa vie. A cette époque, Josette, 26 ans, était là. Leurs trois enfants, Michèle, 3 ans, Louis, 1 an et demi, et Pierre, 1 mois, aussi. Sans Josette, a l’habitude de dire sa fille Michèle, mathématicienne, il n’y aurait pas eu d’affaire Audin.
Pierre Audin, fils de Maurice et de Josette, mathématicien comme son père, est auteur de nombreux ouvrages, dont «Une vie brève» (Gallimard), un livre très émouvant sur son père.
L’épouse éplorée participe à la création d’un Comité Maurice Audin. Elle va inlassablement sonner à toutes les portes, celles des avocats, des journalistes, des militants des droits de l’homme, des politiques, pour faire éclater la vérité sur la disparition de son mari. Elle qui, le 15 février prochain, aurait dû avoir 88 ans, aura été veuve très jeune. Elle aura aussi connu une enfance un peu grise, de celles que raconte Albert Camus dans son roman autobiographique et inachevé, «le Premier homme». Elle est née et a grandi à Bab-el-Oued, le quartier algérois des Européens les plus modestes. Avant de disparaître, et dans un souffle, elle avait murmuré : « Tous les militaires impliqués dans l’affaire Audin sont morts tranquillement ou vont bientôt mourir sans avoir dit ce qu’ils avaient fait de Maurice Audin ».
Josette Audin est morte il y a un an jour pour jour, sans savoir comment a été tué son mari. Et c’est une tristesse supplémentaire pour tous ceux qui l’ont connue.
Comme Josette, c’est un devoir important que de participer à faire connaître les ressorts de l’affaire de l’assassinat de Maurice Audin, aujourd’hui établi, ainsi que celle des disparus de la guerre d’indépendance algérienne. Cet acte de l’Histoire devrait s’inscrire dans la perspective du droit à la vérité, mais aussi du devoir de mémoire, qui en est le corollaire.
Outre un intérêt personnel de nombre de militants de sa génération, l’histoire de la disparition de Maurice Audin, et la dénonciation de la guerre en Algérie par cette affaire, nous tous Algériens et parents de disparus sommes intéressés par la question de la réparation des injustices subies par le passé, même si rien ne répare jamais vraiment la souffrance causée aux proches d’un disparu. Dans le cas de Maurice Audin comme dans tous les autres, il manque toujours la vérité sur les circonstances de sa mort.
Emmanuel Macron président de la République française avait choisi de reconnaître enfin la responsabilité de l’Etat dans la mort du mathématicien français communiste, enlevé chez lui à Alger par des parachutistes dans la nuit du 11 juin 1957, et jamais reparu. L’Elysée avait reconnu que Maurice Audin était « mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France », annonçant « l’ouverture des archives sur le sujet des disparus civils et militaires, français et algériens ».
Comme Maurice Audin, des milliers d’Algériens disparaîtront du fait des forces de l’ordre françaises pendant la guerre d’Algérie. Emmanuel Macron a promis l’ouverture des archives pour sortir leur trace du brouillard du récit officiel et du refoulé. Historiens et familles l’attendent encore. Un an a passé depuis ces mots d’Emmanuel Macron chez Josette Audin. Entre-temps, la veuve de Maurice Audin est décédée à l’âge de 87 ans, le 2 février dernier. Et aucune décision n’est venue prolonger cet engagement présidentiel à « encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, civils et militaires ». En un an, aucune circulaire n’a pulvérisé le verrou sur ces archives.
Combien de temps devons-nous attendre encore pour arriver à la vérité ? Quand l’Etat français donnera-t-il cette fameuse dérogation qui donnera accès à ces archives ? Ces fameuses dérogations supposent encore que les documents auxquels on donnerait accès soient déclassifiés par l’autorité qui les a produits (ou en tous cas, l’institution qui en est l’héritière). C’est-à-dire que cela implique que le secret de la défense français soit levé, au coup par coup, pièce par pièce, avec l’aval des autorités concernées.
Autrement dit, un verrou puissant… et un verrou qui entrave drastiquement l’accès à autant de fonds d’archives susceptibles de crever un silence obstiné.
Les raisons de la mort du jeune homme enlevé par les paras en juin 1957 n'ont jamais été élucidées. Aussaresses en a pris la responsabilité. Faut-il le croire ?
Modifié le - Publié le | Le Point.fr
Le mardi 11 juin 1957, à 23 h 30, une jeep stoppe devant une HLM de la rue Gustave-Flaubert à Alger, dans le quartier du Champ de manœuvres. Un groupe de parachutistes en tenue léopard saute à terre, grimpe rapidement trois étages et frappe à la porte du couple Audin. Maurice, mathématicien de 25 ans, fait partie de ces Européens d'Algérie, membres du PCA, le Parti communiste algérien, qui ont embrassé la cause du FLN et de l'indépendance. Il est sur la liste du commandant Paul Aussaresses, chef de l'un des escadrons de la mort chargés de démanteler les réseaux du FLN à Alger en torturant ses membres, avant d'exécuter ceux qu'on ne peut « remettre dans la circulation ». Plus de 3 000 d'entre eux subiront ce sort.
« Quand est-ce qu'il va revenir ? » s'écrie sa femme Josette. « S'il est raisonnable, il sera de retour dans une heure », répond l'officier. « Occupe-toi des enfants », seront les derniers mots que Josette entendra de son mari. Elle et ses trois enfants, Michèle, 3 ans, Louis, 18 mois, et Pierre, 1 mois, ne le reverront jamais et les causes exactes de sa mort n'ont jamais été élucidées.
« On a tué Audin. On l'a tué à coups de couteau pour faire croire que c'étaient les Arabes qui l'avaient tué. »
Maurice Audin est emmené à El-Biar, quartier général des parachutistes du colonel Bigeard. Depuis le 7 janvier, l'armée a reçu l'ordre du gouvernement de Guy Mollet, incapable de mettre fin à la campagne d'attentats du FLN dans la ville blanche, « d'extirper » celui-ci de la capitale, selon le mot répété à l'envi par Aussaresses à tous les journalistes qui le rencontraient et l'interrogeaient, en particulier sur la mort de Maurice Audin, l'un des derniers mystères de la guerre d'Algérie.
Si, dans son livre Services spéciaux, Algérie 1955-1957, l'ancien commandant reconnaît avoir pendu, avec ses hommes, Larbi Ben M'hidi, chef de la Zone autonome d'Alger – un suicide, dira-t-on alors –, ou d'avoir fait précipiter l'avocat Ali Boumendjel du haut d'une passerelle, sur la mort de Maurice Audin, Aussaresses sera d'abord beaucoup moins prolixe, pour couvrir ses hommes, disait-il, notamment le lieutenant Charbonnier auquel a été confié « l'interrogatoire » du jeune homme.
Dans son livre, il raconte être passé à l'appartement après l'arrestation du jeune mathématicien et avoir participé à la fouille de ses papiers. Il y revient quand Henri Alleg, patron d'Alger républicain, qui n'est pas au courant de la rafle, sonne à la porte et est arrêté à son tour. Et puis, le 8 janvier 2013, dans le Grand Soir 3, Aussaresses, très fatigué, et qui mourra cette année-là, avoue : « On a tué Audin. On l'a tué à coups de couteau pour faire croire que c'étaient les Arabes qui l'avaient tué. » Et de poursuivre : « Qui est-ce qui a décidé de ça ? C'est moi, ça vous va, ça ? »
Méprise
Faut-il le croire ? D'autant que la mise en scène de sa mort n'aurait servi à rien puisque son corps n'a jamais été retrouvé.
Une autre version existe, celle donnée par le journaliste et historien Yves Courrière, dans sa monumentale somme sur la guerre d'Algérie. « Tout le monde sait qu'O [nom donné à Aussaresses dans son ouvrage, NDLR] est responsable de la mort d'Audin. Ou plutôt ses hommes puisqu'il s'agit d'une méprise. C'est Alleg [...] qui, le 21, doit passer à la corvée de bois. On l'emmènera à la fosse entre Zéralda et Koléa. » Mais les hommes d'Aussaresses exécutent Maurice Audin à sa place : « Vous faites erreur, je suis européen » auraient été ses derniers mots, selon Yves Courrière. Ce même jour, Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d'Alger – qui démissionnera en septembre –, annule l'assignation à résidence de Maurice Audin, « l'intéressé s'étant évadé du centre de tri du sous-secteur de Bouzarah. »
Dernière hypothèse, Maurice Audin « est mort sous la torture, du fait du système institué alors en Algérie par la France », ce que devrait reconnaître le président de la République le 13 septembre.
Barack OBAMA et la 1ère partie de ses mémoires : une Terre Promise (Promise Land). Il est y question de leadership, de littérature, de démocratie, de lutte contre le racisme instutitionnel et sytémique, de multéralisme, mais surtout de la nécessité de bâtir un monde meilleur.
Barack OBAMA et la 1ère partie de ses mémoires : une Terre Promise (Promise Land)
Barack OBAMA, prix Nobel de la paix, dans une interview accordée à François BUSNEL, de France 2, parle de ses mémoires, un récit intime et introspectif, d’un militant associatif devenu premier président noir des Etats-Unis. Homme habité par l'espoir et l'espérance, président très cultivé, Barack OBAMA porte un regard et une appréciation extraordinaires sur l'Amérique et le monde. Le leadership peut être charismatique ou bureaucratique. Quand on est au pouvoir, à un niveau de responsabilité, il peut y avoir un décalage entre le cérémoniel et ce qu’on est vraiment, sa vraie personnalité. Le danger, c’est qu’on devienne hors sol, et on finit par croire au cérémoniel, et en oubliant que si on est au pouvoir, c’est grâce aux électeurs.
Barack OBAMA, en président amoureux des belles lettres, la littérature «l’a aidé à gouverner». Grand lecteur et admirateur de Toni MORRISON : «j'ai eu un grand privilège de fréquenter Toni Morrison. L’un des avantages d'être président, c’est de rencontrer des personnes que vous avez idolâtrées». C’est en lisant certains de ses livres, comme «Le chant de Salomon», «Sula» ou «L'œil le plus beau», que Barack OBAMA a perfectionné la qualité de son expression écrite. Toni MORRISON «est quelqu'un qui m'a appris à écrire.Je n’ai pas suivi de cours d’écriture créative ni appris à écrire de manière formelle. J'ai appris par la lecture et ses livres qui étaient une université où apprendre à s’exprimer et à décrire de belle façon les questions humaines les plus fondamentales. Peut-être que j'ai apporté des aspects d’une sensibilité littéraire à la présidence» dit-il.
Après ces années terribles de Donald TRUMP avec ses théories complotistes, son profond mépris de la différence, la démocratie américaine a vacillé. L’arrivée de Donald TRUMP au pouvoir est dû au sentiment de déclassement des petits Blancs : «J'avais une assez bonne réputation auprès du peuple américain (...). Mais ce qui était clair, c'était les divisions dues aux réactions de la mondialisation, le fait que les habitants des zones urbaines avaient mieux réussi économiquement et qu'ils avaient adopté un point de vue plus cosmopolite, qu'ils acceptaient et encourageaient la diversité. Tout cela a laissé à beaucoup de gens qui vivent dans les zones rurales, le sentiment d'avoir perdu leur statut» dit-il. Certains médias ont joué sur ces divisions et Donald TRUMP l’a exploité : «Je pense que les médias de droite ont attisé tous ces ressentiments et ont encouragé les gens à penser, d'une certaine manière, que l'Amérique dont ils se souvenaient n'existait plus. Et ça, c'est très puissant. Le politique (...) ce n'est pas seulement une question matérielle. C'est souvent une question d'histoires concurrentes pour dire qui nous sommes, ce que signifie notre vie, notre identité. La majorité des Américains a adopté l'histoire que je leur ai racontée, mais un grand nombre ne l'a pas fait et Donald Trump a certainement reflété cela» dit-il.
Le pays est profondément divisé, plus que jamais. «Je crois que les résultats de cette élection sont un nouveau départ. Comme je l’explique dans le livre, le pays est réellement divisé. C’était le cas avant Donald Trump, mais cela s’est sans doute accéléré sous sa présidence» dit-il. La victoire du ticket BIDEN-HARRIS, aux présidentielles du 3 novembre 2020, a remis les choses à l'endroit ; c’est le retour à une certaine normalité, c’est «un retour à certaines normes (...) essentielles à la démocratie». Joe BIDEN est un «homme décent, honnête et loyal». En cette année 2020, l’affaire George FLOYD ayant secoué le monde entier, est un puissante réprobation de ce racisme institutionnel et systémique et un appel à plus de Justice, de Solidarité et de Fraternité. «On ne peut pas résoudre un problème en prétendant qu'il n'existe pas (...). Un des débats qui fait rage en Amérique, c'est : comment peut-on surmonter notre fossé racial ? L'esclavage, la ségrégation... On ne peut pas prétendre que ça n'a jamais existé, parce que ça continue à avoir une énorme influence aujourd'hui. Nous sommes en pleine pandémie, et les taux de mortalité sont nettement plus élevés chez les Noirs et les gens de couleur. Tout ça remonte au passé» dit Barack OBAMA. Il faudrait sortir du déni permanent ou du ressentiment : « fouiller ce passé, pour le regarder d'une manière honnête. C'est ceregard honnête,qui permettra d'assumer ce passé et de s'en libérer, comme l'Allemagne a dû regarder de près son passé nazi ou l'Afrique du Sud ; ce qui s'est passé pendant l'apartheid. "Les Etats-Unis d'Amérique doivent travailler davantage ces questions (...). Nous avons tous la responsabilité d'aller de l'avant sur un chemin meilleur que celui du passé» précise-t-il.Chacun de nous a une responsabilité : contribuer à rendre le monde habitable et meilleur. Il faudrait que les jeunes, eux aussi, prennent la parole et s’expriment. Chaque citoyen devrait quitter le statut de spectateur pour se rendre utile à lui-même et à la société, pour le Bien commun. Il faudrait pouvoir regarder l’autre en le reconnaissant dans son humanité.
Barack OBAMA est partisan du multilatéralisme, de relations étroites avec l’Europe. Donald TRUMP a affaibli la relation avec le vieux continent. Il brosse le portrait de différentes personnalités. Ainsi, le président Nicolas SARKOZY est décrit un personnage constamment en mouvement, avec une grande énergie. Il aimait qu’on fasse attention à lui. Mais Nicolas SARKOZY, ce sont des «emportements émotifs et les discussions avec lui, étaient tour à tour amusantes et exaspérantes, ses mains bougeaient en mouvement perpétuel, sa poitrine bombée, comme celle d’un coq nain. Ce qui faisait défaut à Sarkozy en matière de cohérence idéologique, il le compensait par l'audace, le charme et une énergie frénétique. Dès lors qu'il s'agissait de stratégie politique, [il] n'hésitait pas à faire de grands écarts, souvent poussé par les gros titres ou l'opportunisme politique» écrit OBAMA. Il a de l’estime et de la considération pour la chancelière allemande, Angela MERKEL, en dépit de son tempérament conservateur «Je la trouvais sérieuse, honnête, intellectuellement exigeante et instinctivement bienveillante. C’estune politicienne aguerrie qui connaissait bien ses électeurs» écrit-il.
Une gratitude et reconnaissance infinie à France 2, après son documentaire sur la colonisation, d'avoir donné la parole à Barack OBAMA, un homme dont l'action, après le mandat calamiteux de Donald TRUMP, permis par le précédent qu'il avait créé à Kamala HARRIS d'entrer dans l'Histoire. Quand, il y a de cela 40 ans, un homme exceptionnel, François MITTERRAND, avait libéré les ondes, je m'étais extasié, sans retenue. «L'ORTF, c'est la voix de la France» disaient ces gaullistes conservateurs qui avaient brimé le pluralisme et la liberté. Et puis vinrent les télévisions de BERLUSCONI et tous ces spectacles affligeants pour l'entendement humain.
De nos jours certains médias attisent le poison de la haine et de la division. Le pouvoir médiatique préfère le bruit, la puissance de l’image, au détriment du débat de fond et de l’empathie. Le pluralisme médiatique, quand il est confisqué par quelques grands groupes financiers, est devenu une insulte grave à la démocratie. Comme quoi, le service public, quand il quitte la logique de l'audimat et de la rentabilité, peut réaliser de grandes et belles choses, afin de restaurer la bonne image de cette extraordinaire France que nous chérissons, et la seule : celle de la République.
REPLAY. "Quelle aventure qu'essayer de rendre le monde meilleur" : retrouvez l'interview exclusive de Barack Obama sur France 2
"Une terre promise", le premier tome de la biographie de l'ancien président des Etats-Unis, paraît mardi en France.
Barack Obama publie ses mémoires et se confie sur France 2, mardi 17 novembre. A l'occasion de la sortie du premier tome de ses mémoires, Une terre promise (Editions Fayard), l'ancien président américain a accordé un entretien exceptionnel au journaliste François Busnel, diffusé sur France 2.
Un ouvrage de 768 pages. Barack Obama, qui a été au pouvoir de 2009 à 2017, raconte les moments déterminants qui ont jalonné son premier mandat, de son accession à la Maison Blanche jusqu'à l'opération contre Oussama Ben Laden, en 2011.
Quelques anecdotes. L'ancien président américain livre ses impressions sur ses anciens homologues, dont Nicolas Sarkozy. "Il bombe le torse comme un petit coq", écrit-il notamment à propos de l'ancien président français. Il évoque également, dans son ouvrage, ses huit années intenses à la Maison Blanche, durant lesquelles il lui arrivait de se chercher un endroit à l'abri du tumulte pour une "petite cigarette du soir".
Large dispositif pour une exclusivité. Ce grand entretien d'une trentaine de minutes sera rediffusé mercredi 18 novembre sur Franceinfo canal 27, à 12 heures, 14h30 et 21h30. Il sera disponible dès mardi soir en replay, sur franceinfo.fr et france.tv. Ce même jour, à partir de 19 heures, sur France 5, Anne-Elisabeth Lemoine recevra, dans son émission "C à vous", le journaliste François Busnel et Sophie de Closets, présidente de la maison d'édition Fayard.
Retrouvez ici l'intégralité de notre live #OBAMA
23h31 : Mouais... comme Chirac, finalement : charmeur et sympathique certes, il est de bon ton de l'admirer vu celui qui lui a succédé, mais niveau bilan politique, économique et social, objectivement... pas folichon, quand même !
23h31 : Cette interview me réconcilie avec une certaine politique menée, malgré tout, avec humanité et intelligence. Un beau moment qui donne envie de continuer en lisant le livre qui promet beaucoup d'autres rencontres et de rester en si belle compagnie. Un talentueux journaliste aussi qui ne cachait pas son admiration pour Barack Obama. A bientôt donc...
23h33 : Dans les commentaires, vous continuez à réagir à l'interview de l'ancien président américain (dont voici six séquences à retenir).
23h25 : Nouvel extrait de l'interview accordée à France 2 par Barack Obama, qui juge important "de démystifier la fonction présidentielle"."Jusqu'en 2008, j'étais quelqu'un qui lavait sa voiture, qui faisait ses courses avec ses filles et devait s'inquiéter de payer ses factures, dit-il. Raconter cela me paraît utile pour (...) expliquer que c'est un emploi."
21h47 : L'ancien président démocrate a défendu la noblesse de l'engagement politique, présenté comme "la possibilité de pouvoir changer la vie de quelqu'un et d'améliorer son existence"."Quelle aventure qu'essayer de rendre le monde meilleur!" a-t-il déclaré en fin d'interview.
21h40 : "Il y avait une ironie entre le fait que je sois président en temps de guerre et que je reçoive ce prix de la paix."
Dans cet entretien, Barack Obama a évoqué son prix Nobel de la paix, reçu alors qu'il venait d'ordonner un renfort de troupes en Afghanistan.
21h35 : Mais qu’il se taise ! Des propos mous et politiquement corrects. Qu’a-t-il laissé comme trace durant ses deux mandats franchement ?
21h34 : Bravo M. le Président Obama. Quelle humanité, quelle culture, quelle intelligence.Vous écouter a été un grand plaisir.Je vais m’empresser de vous lire.
21h34 : Quel bonheur d'entendre cet homme si intelligent et si humain interviewé avec la même intelligence et la même humanité. Merci.
21h34 : Ouf! Que ça fait du bien d'entendre un président américain s'exprimer de la façon dont Obama s'exprime !
21h34 : Vous souhaitez revoir l'interview de Barack Obama accordée à France 2 ? Voici l'intégralité de cet échange avec François Busnel, qui, à en croire la majorité de vos commentaires, vous a emballé.
21h08 : La diffusion de l'interview de Barack Obama sur France 2 est désormais terminée. Vous pourrez la revoir, dès 22 heures, sur franceinfo, et demain midi sur notre site en version originale sous-titrée.
21h01 : Barack Obama évoque le "cirque orchestré par Donald Trump" avant 2017 "suggérant que je n'étais pas né aux Etats-Unis". Il s'étonne que "même les grands médias ont considéré Trump comme étant capable d'attirer l'attention, de faire grimper l'audimat et d'obtenir des clics sur internet".
20h58 : "Je ne m'attendais pas à ce que Donald Trump enthousiasme autant de gens."
Le 44e président des Etats-Unis reconnaît qu'il n'a "pas vu" assez tôt que les "théories conspirationnistes" et les "idées folles" de Donald Trump ont "été prises au sérieux par une grande partie de la population".
20h48 : Interrogé sur Nicolas Sarkozy, Barack Obama dit se souvenir d'un président "constamment en mouvement, qui parlait constamment, qui aimait qu'on fasse attention à lui". Au sujet du couple franco-allemand, il évoque la "bonne combinaison" entre "l'énergie et le charme" de Nicolas Sarkozy et la facette "plus sobre et réfléchie" d'Angela Merkel.
20h44 : 💬 "Ce pays est véritablement divisé. Je crois que Joe Biden et Kamala Harris représentent un retour à certaines normes. Il faudra aussi un réveil de la citoyenneté" 🔴 Le grand entretien de Barack Obama▶ https://t.co/lS4pBZ379M#ObamaF2https://t.co/7yHL1BWjMR
20h41 : "Les résultats de la dernière élection sont un début important (...) pour réduire les divisions aux Etats-Unis et dans le monde."
Barack Obama accuse Donald Trump d'avoir "accéléré" les divisions américaines avec une approche "tribale" de la gouvernance.
20h37 : L'ancien président américain a accordé un entretien exceptionnel d'une trentaine de minutes au journaliste François Busnel, que vous pouvez regarder dès maintenant sur France 2 et dans notre direct.
20h41 : Le premier tome des mémoires de Barack Obama, Une terre promise (Editions Fayard), est sorti en France et aux Etats-Unis aujourd'hui. Le pavé est de taille : 768 pages en version originale et même 848 pages traduites en français.
« Nous sommes quarante millions sur le radeau de la Méduse », résume, dépitée, Inès, pharmacienne dans la banlieue ouest d'Alger, pour évoquer la situation pandémique en Algérie, de plus en plus inquiétante. « Avant, en mars-avril [2020], on entendait parler de morts, aujourd'hui, ce sont des gens que je connais qui décèdent », poursuit-elle. Elle montre sur l'écran de son téléphone en scrollant sur son fil d'actualité Facebook le défilé des condoléances et des annonces funèbres. « Je n'ose plus ouvrir Facebook : chaque fois, je tombe sur des dizaines de condoléances, c'est l'hécatombe. » Plus à l'est, du côté du cimetière El Alia, l'un des plus grands du pays, les carrés des tombes fraîches s'étendent au rythme des enterrements. « Je viens enterrer ma mère, décédée du cancer, mais j'ai arrêté de la pleurer en voyant quatre ambulances arrivées en même temps, des cercueils scellés portés par des brancardiers en combinaison… » témoigne Ahmed, la quarantaine, croisé à la sortie du cimetière. « Je relativise, car moi, ma mère est partie dans mes bras, alors que tous ces malheureux n'avaient pas la chance d'être entourés par leurs proches, c'est horrible, que Dieu leur vienne en aide », poursuit-il, ému
« J'ai peur d'un scénario à l'italienne »
Officiellement, le pays a recensé 910 nouveaux cas en 24 heures, lundi soir, et 14 décès, mais il ne s'agit que des statistiques de l'institut de référence, l'Institut Pasteur d'Alger, dont le directeur, le professeur Fawzi Derrar, déclarait à la radio publique, cette semaine, que « l'Algérie est en train de subir la deuxième vague de la propagation du Covid-19, dont le nombre de contagions est en constante augmentation et à une vitesse inattendue ». « Il faut dire la vérité aux gens, j'ai peur d'un scénario à l'italienne », s'inquiète, pour sa part, Lehmana Bouchama, médecin au pôle Covid-19 de l'hôpital Mohamed-Lamine-Debaghine de Bab El Oued à Alger. Se confiant au quotidien El Khabar ce mardi 17 novembre, il explique que rien que dans deux hôpitaux à Alger il y a eu 22 morts en une journée cette semaine.
« La stratégie des confinements n'est plus efficace, nous n'avons pas les véritables taux de contaminations, et les contaminés asymptomatiques circulent toute la journée en toute liberté. [...] La seule solution est de décider d'un confinement général et total d'au moins quinze jours, nous sommes en guerre face à un ennemi qui n'a aucune pitié », poursuit le Dr Bouchama. Dimanche dernier, le gouvernement, qui parle d'une « phase préoccupante », a imposé le couvre-feu de 20 heures à 5 heures (il était à partir de 23 heures) et l'a étendu à 32 préfectures. Les salles de sport, les lieux de plaisance et de détente, les espaces récréatifs et de loisirs, les plages, les maisons de jeunes, et les centres culturels sont fermés pour deux semaines. Certains commerces sont sommés de fermer dès 15 heures alors que cafés et restaurants doivent limiter désormais leurs activités à la vente à emporter et sont soumis à l'obligation de fermer à 15 heures.
« Demi-mesures »
« J'ai tenu un peu depuis mars, difficilement, mais là, c'est fini, je vais déposer le bilan à la fin de l'année, je ne peux ni payer le loyer ni les salaires de mes quatre employés », réagit un jeune gérant de restaurant au centre-ville d'Alger. « Encore des demi-mesures qui ne changeront pas le cours grandissant des contaminations », estime, pour sa part, l'éditorial d'El Watan. Le gouvernement a réitéré également « l'interdiction de tous les rassemblements », dont les mariages et les fêtes de circoncision, et aussi toutes « manifestations politiques », qui « constituent des facteurs de propagation de l'épidémie ».
Justement, le 11 novembre dernier, le professeur Kamel Bouzid, chef du service oncologie du centre Pierre et Marie Curie du CHU Mustapha, avait incriminé les meetings organisés lors de la campagne référendaire : « En juillet-août-septembre, la situation paraissait relativement maîtrisée parce qu'il y avait 250-200 nouveaux cas et de 7 à 10 décès par jour. De manière totalement irresponsable, les walis [préfets] ont donné des autorisations de meeting pour la campagne de sensibilisation au référendum du 7 au 28 octobre. Et on a vu sur les différentes télévisions des salles où il y avait entre 600 et 1 000 personnes sans port de bavette et sans distanciation physique. Donc, maintenant, dans la première semaine qui suit cette farce, on paye. » Aucun commentaire officiel n'a répondu à cette déclaration.
« Un hôpital chez soi ! »
D'après des médias, la propagation inquiète aussi dans le secteur de l'éducation. D'après le quotidien Echourouk, quinze écoles primaires ont été fermées ou semi-fermées, avec 898 contaminations dans le secteur de l'éducation et 400 parents d'élèves contaminés. Les autorités, qui refusent d'entendre parler de suspension de l'enseignement, se dirigeraient vers un système hybride en faisant classe en présentiel et en distanciel. Inès, dans sa pharmacie transformée en bunker anti-Covid avec ses multiples isolations en plexiglas, désespère. « La saturation des hôpitaux est inquiétante. Des gens aisés achètent eux-mêmes leur respirateur. Après le privé, on aura des hôpitaux chez soi. C'est de la folie », s'emporte-t-elle, alors qu'enfle depuis plusieurs jours la polémique sur les tarifs jugés prohibitifs des tests dans les laboratoires.
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