En juin 1830, l’Ogre traversa la Méditerranée et vint s’installer chez nous, sur nos terres ; il fit venir ses enfants et ses voisins pauvres qui devinrent nos maîtres ; il s’appropria nos richesses et nous mit au service de ses intérêts et de sa grandeur ; il nous écarta volontairement du savoir et du développement pour nous empêcher de nous rebeller. A chaque guerre, il prit les meilleurs de nos fils pour garnir ses régiments. Des centaines de milliers d’indigènes musulmans d’Algérie moururent ainsi à ses pieds, sous son drapeau et dans ses uniformes, sans être de ses citoyens.
L’Ogre fit voter à notre endroit le Code de l’indigénat, un ensemble de lois ségrégationnistes et racistes pour nous asservir davantage; il exigea que nos villes et villages portent les noms de ceux qui firent notre malheur: De Bourmont, Bugeaud, Saint-Arnaud, Aumale, Cavaignac, Pélissier. Il serait resté quelques années de plus, il aurait exigé qu’on honore également les Massu, Bigeard, Aussaresses, Salan, Léger, Challe, Lacheroy, Trinquier.
Pour obtenir l’adhésion des Français et continuer son œuvre, l’Ogre prétexta qu’il s’agissait d’un pays peuplé «de déchets d’humanité, de dégénérés, abrutis par des siècles de servitude, de paresse, d’insouciance, de stupidité, d’êtres dégradés, réfractaires à toute civilisation, qui n’ont jamais été, qui ne seront jamais des civilisés.»
A travers son histoire, la France commit d’autres crimes. Il fallut attendre cinquante ans pour entendre le président Jacques Chirac reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs de France. Son discours du 16 juillet 1995, prononcé à l’occasion des cérémonies commémorant la grande rafle du Vélodrome d’Hiver des 16 et 17 juillet 1942 est resté dans les mémoires : « Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. »
Aucun dirigeant français ne l’avait fait avant lui sous prétexte que les Français n’étaient pas prêts, selon la formule consacrée, à chaque fois qu’un sujet inflammable va à l’encontre de l’opinion.
C’est hier aussi, le 21 mai 2001, que Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, donna son nom à la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Viendra le jour où l’histoire de la colonisation de l’Algérie frappera inéluctablement à la porte des consciences. Teresa Cremisi disait à ce propos: «La justice et l’histoire ne se regardent jamais dans les yeux. Le temps de l’une n’est jamais le temps de l’autre. C’est l’histoire qui gagne toujours. C’est elle qui a le dernier mot.»
Emmanuel Macron, à la veille de l’élection présidentielle de 2017, qualifia la colonisation de l’Algérie par la France de «crime contre l’humanité» et de «vraie barbarie». Il dit à ce sujet que «la colonisation française fait partie de l’histoire de France ( ), qu’elle fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes».
La méconnaissance de l’histoire explique pour une grande part l’image désastreuse des Algériens, et par-là, des Maghrébins, en France. Les Français ne connaissent de ces populations anciennement colonisées que l’image que l’Ogre a bien voulu leur enseigner. Savent-ils par exemple pourquoi les Congolais quittant leur pays se dirigent inévitablement vers la Belgique, les Moluquois vers les Pays-Bas, les Angolais vers le Portugal, les Ethiopiens vers l’Italie ou bien encore les Pakistanais, les Indiens et les Bengalais vers l’Angleterre, les Maghrébins vers la France ? Connaissent-ils les motivations qui poussent l’Egyptien à jeter son dévolu sur l’Angleterre et le Libanais sur la France, et pas l’inverse ? En réalité, la connaissance de la langue et du mode de vie de l’ancien colon, occupant, mandataire ou geôlier, appelons-le comme on veut, deviennent salutaires pour qui fuit la guerre ou la misère, voire les deux.
En définitive, si cette terre d’Algérie n’avait pas représenté une position géographique stratégique en Méditerranée et n’avait regorgé que d’olives et de dattes à la place du pétrole et du gaz connus aujourd’hui, l’Ogre n’y serait jamais allé et les hommes de ce pays auraient certainement été sur le chemin d’une tout autre destinée.
FIGAROVOX/TRIBUNE - Mis en cause par Jean Sévillia dans un texte publié sur FigaroVox le 27 juillet, l’historien Benjamin Stora se défend de toute approche complaisante ou partielle à l’égard de la mémoire algérienne de la colonisation française et de la guerre d’Algérie. Ses travaux, rappelle-t-il, ont porté sur la mémoire des deux camps, y compris grâce à l’étude des archives militaires françaises.
Dans un long entretien au Figaro du 27 juillet 2020, Monsieur Jean Sévilla explique, à l’occasion de la mission que m’a confié le Président de la République pour «une réconciliation entre la France et l’Algérie», que j’ai adopté une attitude «partielle donc partiale» à propos de la guerre d’Algérie.
Il note, à l’appui de sa démonstration, que je n’ai pas parlé de l’enlèvement et la disparition des Européens à Oran en juillet 1962. J’ai traité de cette question dans un chapitre entier de La gangrène et l’oubli, livre paru en 1991 (Éd. La Découverte). Sur mon absence de référence dans mes travaux sur les Européens d’Algérie, je vous signale que j’ai été le conseiller scientifique du documentaire Les pieds-noirs d’Algérie. Une histoire française, diffusé sur France 2 en 2017 (Roche Productions). Dans l’entretien au Figaro, il n’est, d’autre part, jamais fait mention de mes écrits sur l’histoire de la communauté juive d’Algérie (Les trois exils, Éd Stock, 2006, ou Les clés retrouvées, Éd. Stock, 2014). Mais en évoquant l’histoire des juifs d’Algérie dans trois de mes ouvrages, n’est-il pas question des Français d’Algérie?
Le journaliste interrogé me reproche également d’avoir accordé trop d’importance à l’histoire du FLN algérien et ses divisions internes. Sur ce point précis, j’ai longuement évoqué le massacre de Melouza, des villageois messalistes, par une unité de l’ALN en mai 1957, dans ma thèse sur Messali Hadj, soutenue en... 1978 sous la direction du Professeur Ageron, thèse présidée par Jacques Berque. Et sur les déchirements internes qui ont affecté la société algérienne, il est possible de lire également mon long article paru dans Les Temps modernes sur la tragédie des harkis, article paru en 2012.
J’ai longuement travaillé sur les soldats, notamment dans mes ouvrages, Appelés en guerre d’Algérie (Éd. Gallimard, 1997, collection «Découverte), et Algérie, (Éd Les Arènes, 2013).
Par contre, je ne trouve rien dans les propos du journaliste interrogé sur la réalité du système colonial mis en place par la France en Algérie, sur les milliers d’Algériens disparus pendant la guerre, les «zones interdites» et les déplacements forcés de centaines de milliers de paysans, l’utilisation du napalm, ou la pose des mines aux frontières.
Comme vous le voyez, si, effectivement, j’ai traité de l’histoire du nationalisme algérien, avec notamment mes biographies de Messali Hadj ou de Ferhat Abbas (Éd Denoel, 1994, avec Zakya Daoud), ou mon Dictionnaire biographique des militants algériens paru en 1985, ma «mémoire» n’est pas «hémiplégique» comme le prouvent mes quarante années passées dans mes recherches sur l’histoire de l’Algérie.
Je voudrais attirer votre attention sur un autre aspect évoqué dans cet article, le rapport aux archives de l’armée française. Contrairement à ce qui est écrit, j’ai longuement travaillé à Aix-en-Provence, à Vincennes et à Ivry (depuis les années 1970) sur les archives écrites, et audiovisuelles de l’armée française, dont des pans entiers restent encore à découvrir pour les chercheurs. Notamment pour la rédaction de mon histoire de l’Algérie contemporaine, mon ouvrage sur la police (une publication d’un document des Renseignements généraux de 137 pages, dans RG contre le FLN, Éd. J. Duvernet, 2011), et les documentaires, Les années algériennes, (réalisation Bernard Fabre, 1991), La déchirure (réalisation Gabriel Le Bomin, 2012), et Notre histoire (réalisation Jean-Michel Meurice, diffusion en 2012).
Je dois également vous signaler que j’ai dirigé et présidé une vingtaine de thèses soutenues à l’université française (de 1985 à 2018), qui, toutes, ont été établies à partir, notamment, des archives de l’armée française, et des témoignages d’acteurs, français et algériens. Sur cette question de la non-consultation d’archives (à Aix en Provence, à Paris ou en Algérie), j’ai donc demandé à rectifier les affirmations sur mes travaux contenues dans cet entretien.
Bien entendu, Jean Sévilla peut être en désaccord avec mes travaux, mais il n’est pas possible d’en nier la pluralité, sur ces questions complexes, depuis plus de quarante ans.
1957, des combattantes du FLN dans le maquis pendant la guerred'Algérie.
Le 1er Novembre 1954 et le role de la Femme Algérienne dans La Révolution.
La femme a constitué un élément essentiel dans la lutte de libération. Elle a assumé, aux côtés de l'homme, ses responsabilités à l'égard de la Révolution et fut ainsi un soutien puissant pour l'époux, le frère, le fils et tous les membres de la famille qui prirent les armes contre le colonialisme français. Faisant preuve d'un courage extraordinaire, elle a prouvé qu'elle constituait le second souffle pour la lutte de libération. La femme algérienne a joué un rôle d'avant-garde à travers sa participation efficace dans la guerre de libération aussi bien dans les campagnes que dans les villes et elle a accompli son devoir patriotique aux côtés de l'homme, son frère. 2- La femme dans les campagnes/ La femme rurale a réussi à constituer un élément opérationnel dans la rupture du blocus dans lequel l'armée coloniale voulait enfermer les moudjahidine. Sa contribution fut très importante à travers les tâches qu'elles accomplissaient pour les besoins de la Révolution . 3- La femme dans les villes/ Si la femme rurale a supporté les charges de la Révolution dans les montagnes, les villages et les hameaux, de son côté, la femme citadine a également accompli son devoir patriotique et fut d'un grand secours pour les moudjahidine, aussi bien les fidayine que les moussebiline à l'intérieur des villes où sont concentrés les appareils de répression policière et où s'exerce une surveillance permanente sur tout ce qui bouge. C'est pour cela que souvent elle prit la place de son frère le fidaï dans de nombreuses missions complexes et dangereuses. 4- Les responsabilités dévolues à la femme algérienne durant la Révolution: L'activité de la femme algérienne durant la Révolution a pris différentes formes notamment : - les militantes dans l'organisation civile du Front de Libération Nationale qui sont celles auxquelles furent confiées des responsabilités dans les commissions politiques et administratives, ou bien en tant que fidaiyate ou collectrices de fonds. - Les militantes militaires qui sont les femmes rattachées à l'Armée de Libération Nationale qui ne représentant qu'un faible pourcentage et dont les missions essentielles furent les soins infirmiers, l'assistance ou la cuisine. Aussi bien dans les campagnes que dans les villes, la femme fut aussi bien combattante, militante, fidaïa ou moussebila. La diversification de ses missions a amené l'adversaire français à prendre conscience de son importance pour la Révolution et dans la société algérienne. Elle fut donc exposée à différentes formes de répression et de torture. L'administration coloniale avait réservé des prisons spéciales pour la femme algérienne afin de minimiser l'importance de la Révolution et briser l'édifice social basé essentiellement sur la femme. Cependant, elle ne réussit pas à le faire et le résultat fut que de nombreuses femmes tombèrent au champ d'honneur , à l'instar de Hassiba Ben Bouali , Malika Gaïd et Meriem Bouattoura. Les lourdes responsabilités et les missions importantes dévolues à la femme algérienne durant la lutte de libération l'amenèrent à quitter les rôles secondaires pour des rôles plus essentiels dont les moudjahidine avaient le plus grand besoin, et ce en dépit des difficultés auxquelles elle fut confrontée en tant que femme. 5- Les prisons réservées à la femme algérienne: Les prisons que ce fut en Algérie ou à l'extérieur ne furent pas l'apanage des hommes uniquement mais elles ont également inclus les femmes. Malgré cela, les prisons réservées aux femmes algériennes étaient terriblement dangereuses car il est difficile pour la femme de supporter les conditions d'incarcération. Il convient de noter que le nombre d'algériennes détenues a atteint 16% en 1956 , proportion qui ne cessa pas d'augmenter. 6- Incidences négatives des souffrances endurées parla femme algérienne: Les souffrances de la femme suite à la répression et la détention ont laissé un ensemble de séquelles profondes et il n'est guère possible de mesurer la situation dramatique qu'elles ont entraînée. La femme a en effet souffert des opérations de ratissage dans les villages , les hameaux et même les villes ; ce qui a fait naître en elle une angoisse terrible dont les effets persistent à ce jour. Certaines parmi elles furent emprisonnées, torturées et détenues et de tels souvenirs douloureux resteront ancrés dans la mémoire des survivantes , se répercutant négativement sur leur vie quotidienne après l'indépendance.
CONSTANTINE- Le film documentaire sur le parcours des sœurs Fadila et Meriem Saâdane, œuvre de la réalisatrice Soraya Ammour qui relate des révélations inédites sur les tortures subies par les femmes algériennes durant le colonialisme dans la ferme Améziane de Constantine, sera projeté "prochainement" dans les universités constantinoises, a indiqué dimanche la réalisatrice du film.
La projection du film documentaire historique dans les universités de Constantine aura lieu dans le cadre d’un programme d’animation en cours d’élaboration de concert avec le secteur de l’enseignement supérieur, a précisé, Mme. Ammour qui a mis l’accent sur l’importance de ce genre d’initiative dans "l’enrichissement des connaissances historiques des étudiants et la stimulation de leur sens patriotique".
L’œuvre, qui relate par la voix de la moudjahida Leïla Sedira (sœur de la martyre Nafissa Belakhal et fille du militant de l’Association des oulémas musulmans algériens, Laâroussi Belakhal), les tortures subies par les femmes algériennes dans la ferme Améziane, sera présentée aux étudiants des diverses facultés, selon un planning qui sera arrêté "ultérieurement", a fait savoir la réalisatrice du film à l'APS.
Ce film documentaire de 1h30, dédié au combat de ces deux héroïnes de la Révolution algérienne, mettra en avant les tortures subies à la ferme Améziane qui fut, avec la villa Susini à Alger, l’un des plus importants centres de tortures aménagés par l’administration coloniale durant la guerre de libération nationale en plusieurs unités spécialisées dans la répression de toute action et soutien à la lutte du peuple algérien pour son indépendance sera, selon Mme. Ammour.
Le rôle de Fadila Saâdane, "l’une des premières femmes algériennes assumant des responsabilités de haut niveau", sera relaté dans le cadre de ce documentaire historique réservant une "large" séquence aux compétences de cette femme héroïne, parmi les rares qui ont décroché le baccalauréat durant la période coloniale, a précisé Mme. Ammour qui a insisté sur l’importance de "raconter tout ces faits" aux étudiants pour les motiver à servir leur pays dans n’importe quelles circonstances.
Le parcours de sa sœur Meriem qui était infirmière sera découvert par les étudiants dans le cadre de cette œuvre qui se veut un témoignage "fiable" racontant le courage des femmes algériennes qui ont subies les pires des tortures pour que l’Algérie soit libre et indépendante, selon Mme. Ammour.
Ce travail de recherche, lancé depuis 2016, a mis la lumière sur des séquences encore méconnues de la vie révolutionnaire de ces deux sœurs chahidate, mortes sur l’autel de la liberté, a ajouté la réalisatrice,précisant que plusieurs moudjahidine ont contribué par leurs témoignages à la réalisation de ce film documentaire.
Fadila Saâdane, qui fut l’une des rares femmes à pouvoir assister aux réunions des chefs de zone de la Wilaya II historique, fut capturée lors d’un affrontement avec des soldats français qui prirent d’assaut la cache clandestine où elle se trouvait en avril 1960 et fut immédiatement transférée au centre de torture de la ferme Améziane, où elle subissait les pires tortures, selon les témoignages dévoilés dans ce documentaire.
Sa sœur cadette Meriem, qui avait rejoint les rangs de la Révolution sera arrêtée et torturée à mort, et son corps affreusement mutilé fut jeté, le 22 juin 1958, avec celui de 52 autres militants constantinois, dans une grotte de Djebel Boughareb dans la commune de Benbadis (anciennement El Haria), selon les révélations de ce documentaire.
La réalisatrice du film documentaire, projeté pour la première fois, samedi soir à la maison de la culture Malek Haddad de Constantine, a indiqué que cette œuvre constitue un document historique à faire découvrir au maximum des citoyens, à l’école et à l’université notamment pour servir de leçon aux générations sensés porter le destin de l’Algérie.
Au centre-ville de Constantine, précisément à Coudiat, le lycée pittoresque, où Fadila elle-même était élève, porte le nom des sœurs martyrs Meriem et Fadila Saâdane, considérées pour des générations entières un symbole de sacrifice et d’engagement pour la patrie
La participation des femmes algériennes dans la lutte de libération nationale
La révolution consistait à revenir aux fondements et aux valeurs qui auront à transformer la femme algérienne, afin de se reconstruire un destin, et renouer avec le fil de l’histoire.
La participation des femmes dans la lutte de libération nationale, s’est distinguée dans l’action prenant les armes ce qui marquera un tournant dans le devenir de celle-ci de par le respect des autres. La femme va abandonner le voile pour les besoins de la révolution du fait de l’importance qu’elle revêtait à ses yeux et le risque de la mort était devenu pour ces algériennes le quotidien entraînant parfois leurs familles dans leur sillage face à une entité coloniale déterminée à briser le lien qui l’unissait à l’homme de par les nouveaux rapports. Aussi la révolution va développer chez elle un besoin accru et une soif de liberté.
Plus de 50 ans ont passé, et la femme révolutionnaire a été reléguée au second plan, mais il est temps d’évoquer ces femmes si courageuses et qui ont illustré la révolution de par leur courage et leur abnégation.
Djamila Bouhired, l’icône oubliée de la Guerre d’Algérie
Née dans une famille de classe moyenne d’un père algérien et d’une mère tunisienne, elle est scolarisée à l’école française ,elle rejoint le Front de libération nationale durant ses années étudiantes. Elle travaillera plus tard comme officier de liaison, membre du « réseau bombes » et assistante personnelle de Yacef Saadi, chef de la Zone Autonome d’Alger pendant la bataille d’Alger. Elle dépose, le 30 septembre 1956, une bombe qui n’explose pas dans le hall du Maurétania. Elle recruta Djamila Bouazza qui, elle, déposa le 26 janvier suivant une bombe très meurtrière au Coq Hardi. En avril 1957, elle est blessée dans une fusillade et capturée par les parachutistes. Elle est soupçonnée d’être une poseuse de bombe, inculpée pour ses actes, torturée et condamnée à mort. Son exécution est stoppée par une campagne médiatique menée par Jacques Vergès et Georges Arnaud. Ils écrivent un manifeste, publié la même année aux Éditions de Minuit, Pour Djamila Bouhired.
C’est, avec le livre d’Henri Alleg La Question, l’un des manifestes qui alerteront l’opinion publique sur les mauvais traitements et les tortures infligés par l’armée aux combattants algériens. Devant le tollé international soulevé par sa condamnation, elle est finalement graciée et libérée en 1962. Après sa libération, elle travaille avec Jacques Vergès -qu’elle épousera en 1965- sur Révolution africaine, un magazine centré sur les révolutions nationalistes africaines. De son mariage avec Vergès, elle a eu deux enfants, Meriem et Liess Vergès. Le 20 novembre 1995, elle a une petite-fille, Fatima Nur Vergès-Habboub, de sa fille Meriem et du mari de celle-ci, Fouad. Sa vie a été adaptée au cinéma par Youssef Chahine dans le film Djamilah, sorti en 1958. Chahine, pour la rencontrer, se rendra en Algérie en pleine guerre d’indépendance, mais n’y parviendra pas. Son parcours est aussi évoqué dans la première partie du film L’Avocat de la terreur, consacré à Jacques Vergès. Elle se distinguera par sa discrétion, loin des médias, des cercles officiels et de tous les lieux de pouvoir.
Chahida Raymonde Peschard dite Taoues
Née à Saida-Eugène (Alger) le 15 septembre 1927, militante des jeunesses communistes puis du parti communiste algérien, elle rejoint pendant la guerre de libération l’armée de libération nationale en Kabylie wilaya III. Le 26 novembre 1957 elle tombait, les armes à la main, à l’âge de 30 ans, Raymonde Peschard avec plusieurs de ses compagnons de l’ALN au lieu-dit Draa Errih, dans le djebel Tafartas, dans l’actuelle wilaya de Bordj Bou Arreridj dans la wilaya III.
E’chahida Yamina Oudai dite Zoulikha
Cette grande dame est native de Hadjout. Mme Yamina EchaÏb, dite Zoulikha, veuve Larbi Oudaï, qui parlait parfaitement le français et n’avait aucun complexe face aux Européens, a pu réaliser son rêve lorsque la guerre de libération nationale a été déclenchée le 1er novembre 1954. Mère de trois enfants en bas âge, elle s’était illustrée par sa détermination farouche contre l’occupant, en dirigeant les femmes et les hommes pour la cause nationale, et en utilisant tous les subterfuges pour contourner les embuscades rendues par les forces coloniales.
Quand les autorités coloniales se sont rendues compte de son rôle auprés de la population cherchelloise et de ses environs, elle décida alors de fuir et de rejoindre définitivement le maquis. Capturée le 15 octobre 1957, elle sera tortureé durant 10 jours. Elle n’a jamais dénoncé ces femmes et ces hommes qui militaient sous sa direction, dans le but de préserver l’organisation politico militaire. « Devant nous, ses mains menottées, déclare un témoin, elle a craché à la figure d’un capitaine militaire et nous a dit : Regarder ce que font les soldats français d’une Algérienne. « Nous ne l’avons plus revue depuis ce jour », conclut-il. Le mardi 25 octobre 1957, à 15h, Yamina Oudai, dite Zoulikha, a été exécutée.
Malika Gaïd qui est née en 1934 à Belcourt alger. Ooriginaire de Timenguache, un village de Beni Yaâla, dans la wilaya de Sétif elle mourut les armes à la main dans une grotte-hôpital dans la région de Iwakouren près de M’chedallah. Malika Gaïd était une infirmière dans les rangs de l’ALN mais aussi une combattante. Malika Gaïd, tout comme toutes les combattantes qui se sont sacrifiés au nom de la liberté fait désormais partie de la mémoire et restera dans le coeur des algériens et algériennes. Une autre femme s’est illustrée par la bravoure il s’agit de la Chahida Naciba Malki dite Chafika. Cette dernière était responsable du secteur politico militaire (wilaya 4 zone III région …secteur v). Zohra Bellechleb de son vrai nom Malki Naciba était une infirmière, mais aussi une combattante. Chafika activa à Alger en 1956. A la suite de la grève des étudiants et lycéens, elle fut contrainte de rejoindre le maquis dans la région du Zaccar puis dans l’Ouarsenis. Elle tomba au champ d’honneur vers la fin de l’année 1959 dans la zone 3, wilaya 4 ; elle n’avait que 19 ans, Après l’indépendance, les restes de son corps ont été exhumés (1964) pour être enterrés au cimetière d’El Kettar ; l’ex rue Faidherbe à El Biar porte son nom « MALKI Naciba » ainsi que la cité à Hydra-Alger.
La moudjahida Benbia Fatma Zohra
Mme Benbia Fatma Zohra épouse Chaibedraa , né à Oran, à l’âge de 15 ans elle intègre la section des scouts musulmans sous la conduite du Chahid Hamou Boutlélis qui était un homme de grande probité et un nationaliste convaincu, par la suite elle a adhéré à une association féminine à Oran où elle devins capitaine d’une équipe de basket ball qui remportera le championnat d’Algérie. En dehors de ces actions, elle était lié par la lutte pour la libération nationale et elle travaillait dans le secret comme plusieurs autres femmes, mais son rôle était d’aider par le biais des associations qui étaient autant de refuges et de couvertures pour les nationalistes. Les obstacles socioculturels étaient ancrés dans les mentalités et les comportements individuels.
L’analphabétisme était le premier facteur entravant l’émancipation des femmes et furent les premières victimes de la barbarie coloniale et étaient obligées de jouer à la fois plusieurs rôles. Sa contribution fut très importante à travers les tâches qu’elle accomplissait pour les besoins de la Révolution, parmi celles-ci il y avait les militantes militaires qui étaient des femmes rattachées à l’Armée de Libération Nationale. Celle-ci a aussi connu les prisons que ce fut en Algérie ou à l’extérieur.Pendant le cessez le feu, elle a ouvert un hôpital dans une mosquée à Tijditt pour les malades et les nombreuses victimes de l’OAS .elle fut désignée, après l’indépendance pour représenter la femme algérienne au niveau africain et fit 2 missions au Mali et au Congo ou elle fut reçu par les deux président de ces pays. Membre fondatrice de l’UNFA de Mostaganem, du croissant rouge algérien avec laredj Benrialty , et la première femme élue de l’APW et membre du conseil d’Administration de l’hôpital Che Guevarra.
C'est quoi ! (des Harkettes)
Femmes combattantes anti FLN pendant la guerre d'Algérie 1959-1960. Il s'agit de femmes appartenant a la harka de Catinat (actuelle Settara) (on les surnomma les Harkettes) Il fait référence au terme masculin harki, qui désigne de 1957 à 1962 des soldats indigènes musulmans engagés aux côtés de l’armée française dans des unités appelées harkas, région ou les femmes s'émancipèrent sans trop de difficultés : on leur proposa de porter les armes, certaines furent sélectionnées, on les instruisit. Elles prirent part à des missions d'assaut ou de protection de convois.
La SAS Section Administrative Spécialisée de Catinat, dans le département de Constantine, reste dans les mémoires pour avoir été la seule à créer une formation dite de «harkettes ». En janvier 1959, le lieutenant Onrupt crée dans le village un « comité féminin » des femmes. Elles apprennent à bétonner, à poser les lignes électriques et les tuiles. Catinat, étant toujours en « état de siège », replié autour de son point militaire, le lieutenant Onrupt décide d'armer quelques femmes.
Sur les trente-quatre volontaires, dix-huit sont retenues. Il s'agit essentiellement de veuves dont les maris ont été assassinés, ou de femmes dont les maris servent dans le groupe d'autodéfense du village. Après plusieurs mois de formation, elles assurent la protection des récoltes et celle des convois qui se rendent à El Milia et dont on sait que la route n'est pas sûre. Les initiatives du lieutenant Onrupt sont vite repérées par la hiérarchie militaire qui en fait un objet de propagande.
Consécration ultime, le Général de Gaulle se rend le 3 mars 1960 dans la SAS de Catinat. Pour autant, cela ne peut masquer l'hostilité croissante de la population travaillée par le FLN et gagnée de plus en plus à l'idée d'indépendance. Les « harkettes » de Catinat sont, plus encore que les hommes, considérées comme des traîtres. À la mi-1961, la harka est dissoute.
Les femmes vont tenter de reprendre une vie normale, vite devenue impossible. Toutes seront massacrées comme leurs maris et leurs enfants après le 18 mars 1962.
Je m’en sers rarement. C’est peut être ma langue mère qui m’ôte toute envie de faire usage de cette langue de vipère… qui opère souvent de façon binaire : high or low : top ou flop ; 1 ou 0. To be or not to be… telle n’est pas la question… et si on vous affirme que c’en est une, il ne faut surtout pas y répondre… sous peine de vous rendre, de capituler, de céder au démon de la modernité, au démon de la Perversité. Examinons ce qu’il y a dedans de si haut, de si bas… de si gros, de si gras dans ce vocabulaire éminemment ingrat.
Rappelons que tout jugement comporte toujours une ligne de démarcation qu’on trace pour distinguer entre les torchons et les serviettes… c’est un travail de distinction, de haute définition, c’est le H.D de notre entendement… qui ne peut rien réaliser sans hiérarchiser, en désignant le haut et le bas… Ce qui vaut et ce qui ne vaut pas, ce qui est au dessus ou en dessous de tout soupçon.
High or Low ? C’est une question plus digne de Machiavel que de Rimbaud. Elle est politique et n’a rien de poétique. Je la vois bien aussi sous la plume d’Edgar Allan Poe, comme la genèse d’un poème en prose qui prétendrait envers et contre tout, que tout est politique : Force et rapports de force. Autrement dit, une histoire de désirs qui s’affrontent… les uns qui se réalisent, les autres qui se déréalisent. Les High et les Low, autrement dit les forts et les faibles.
Qui sont les forts ? Qui sont les faibles ? Darwin répond : que les forts sont les plus aptes à vivre, les plus durs à suivre. Marx répond : que les forts sont ceux qui réalisent leurs fins sans utiliser les autres comme moyens. Freud répond que les forts sont ceux qui ont pacifié le rapport entre l’extérieur et leur for intérieur. Les High sont forts, les Low sont faibles. Réussite induite pour les uns, conduite d’échec pour les autres.
Force est de constater que « la force » est le mot-clé. Merci La Fontaine : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Là comme ailleurs. C’est basique, tonique et architectonique : c’est la base et le sommet de tout l’édifice. On y tient parce que ça nous maintient… en vie, en place… en forme. Parce que c’est le fond… le seul et unique interface.
De force on n’en a jamais assez nous dit Rousseau car nul n’est assez fort pour être toujours le maître. Ce que l’on peut traduire en disant que ce sera toujours la guerre de tous contre tous…. On ne cessera pas de se battre, on s’affrontera toujours parce qu’on ne peut pas faire autrement pour avoir toujours plus de pouvoir, se faire valoir, accéder à la gloire… nous sommes de haut en bas et de bas en haut des forçats, innocents ou pas!
En somme c’est la force qui nomme. C’est la force qui dégomme. Mais qu’est-ce qui fait la force ? Dieu, répondent ceux qui distinguent le jus de l’écorce. L’histoire, rétorquent ceux qui boivent le jus et jettent l’écorce. Nietzsche a un joli critère de distinction : un critérium pour distinguer la force du fort de la force du faible. L’affirmation de soi désignerait selon lui, l’homme fort… la négation de soi, l’homme faible, infirme, l’homme de l’infirmation… qui n’ose pas dire oui, qui n’ose pas dire non à la vie et à ses péripéties.
Qui domine ? Le High. Qui est dominé ? Le Low Et pourtant cette géométrie est seulement spatiale, elle n’est pas temporelle… elle est dans l’espace, non dans le temps. Souvenons-nous de la fable du Lièvre et de la Tortue ou du conte du Petit Poucet qui se joue de l’ogre, ou du récit biblique qui met aux prises David et Goliath… parce que la force avant d’être physique, elle est d’abord métaphysique… avant d’être assimilée au corps, elle est d’abord mêlée à l’esprit… non de géométrie mais de finesse.
Alors quand on cherche ce qui est haut (high) et ce qui est bas (low), on risque de ne rien trouver si on ne fait pas référence à une plus haute distinction : entre quantité et qualité. Et on comprendra très vite que ce n’est pas la quantité de force qui importe mais la qualité…. Nietzsche dirait : sa rareté. La quantité est sans portée. La qualité est de haute volée. Gage de valeur et de vitalité. Et pourtant dans l’histoire, c’est la quantité qui l’a toujours emporté… la loi du plus grand nombre, celle des plus nombreux… non pas celle des plus forts renchérit Nietzsche mais celle des plus faibles… C’est ce qui explique son plus beau mot : « Qu’il faut défendre les forts contre les faibles » les High contre les Low et non le contraire comme le croient tous les moutons!
J’ai naturellement regardé ce film documentaire qui passait dimanche 3 novembre sur France 5. Il est fait de nombreux témoignages d’appelés, ils furent quelque deux millions, qui ont participé à la guerre d’Algérie. Je connaissais, ne serait que par internet, certains des protagonistes qui s’expriment dans les séquences. C’est le cas de Stanislas Hutin, d’Albert Nallet, de Jean-Claude Carrière. J’avais eu l’occasion d’entendre ou de lire plusieurs des anecdotes qui sont rapportées.
J’ai identifié certaines situations que j’ai personnellement vécues, encore qu’elles aient été diverses suivant l’époque où on a été incorporé, le lieu où l’on s’est trouvé, l’affectation qui était la nôtre. Personnellement je n’ai jamais été exposé et si j’ai entendu cinq fois des coups de feu, j’étais loin et une fois ce n’était qu’une fausse alerte.
Par contre j’ai reconnu la description de la misère ambiante qui était le lot des autochtones. Ce dont j’ai souffert c’est, outre l’éloignement des miens, de l’institution militaire qui ne m’a pas fait de cadeau.
Il était patent que nous débarquions, pour moi à Oran le 3 mars 1960, dans un pays dont les caractéristiques étaient différentes de ce qu’elles étaient chez nous même si sur la jetée du port une inscription annonçait ICI LA FRANCE ! Il y avait d’ailleurs une monnaie spécifique !
Les phases de déprime qui vous gagnaient, pouvant aller jusqu’au suicide de l’appelé, faisaient partie du paysage. Il faut dire qu’on avait les moyens de mettre aisément à exécution un tel projet. Le candidat à cette fin n’avait pas nécessairement besoin d’enlever le câble qui retenait les armes dans le râtelier !
Eh oui à 20 ans les besoins affectifs pour parler en termes châtiés ne pouvant être, vu le contexte, satisfaits on était dans un état de manque. Je ne prétends pas que nous aurions fait des avances à une chèvre vêtue d’un tablier à fleurs mais je n’en suis pas loin ! Quant au BMC (Bordel Militaire Contrôlé) je ne l’ai vu passer, sans avoir utilisé ses services, qu’une fois dans le cantonnement où je suis resté 14 mois.
Le film décrit le déroulement des principaux épisodes de la guerre. Il m’a paru faire l’impasse sur quelques faits marquants. Le fait que de Gaulle ait prononcé le mot d’autodétermination en septembre 1959 a généré la semaine des barricades à Alger en janvier 1960. C’était le début du divorce entre la France officielle et les nostalgériques.
Par contre a été décrit avec exactitude le refus des appelés du contingent de suivre les généraux félons lors de leur tentative de putsch en avril 1961. De même a été développée l’attitude de l’OAS après la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, avec le drame de la rue d’Isly le 26 mars qui a suivi. Une carence encore, le rôle déterminant qu’ont été les événements de Charonne le 8 février 1962 et les obsèques des victimes qui ont hâté la fin de la guerre.
J’ai vécu la journée du 19 mars 1962 à Géryville et j’y ai été confronté à une situation singulière, le refus de certains d’accepter ce qui venait d’être signé et en conséquence une fusillade qui a fait une dizaine de morts et de nombreux blessés parmi les Algériens qui manifestaient leur satisfaction de la fin de la guerre et la perspective de leur indépendance.
Il est fait état de la position de ceux qui ne sont d’accord ni avec les objectifs de la guerre menée en Algérie ni des méthodes employées par l’armée française. C’est fréquent chez les chrétiens même si tel colonel ne manque pas d’aller à la messe alors qu’il assiste à des séances de torture !
En fait celui qui s’oppose ouvertement prend des risques et peu ont été les soldats du refus. La résistance à la logique de la guerre a dépendu par ailleurs du niveau de conscience auquel l’appelé avait eu accès avant son incorporation. Ceci étant chacun était à la merci de l’action psychologique que l’institution exerçait sur la troupe et la tendance était de reporter sur plus faible que soit ce que l’on subissait.
De ce point de vue la guerre d’Algérie a été un catalyseur efficace pour favoriser le racisme qui a cours aujourd’hui. On est dans le même registre avec la crise sociale que nous vivons.
Je ne crois pas avoir défailli mais il est vrai que j’ai participé à cette guerre à un moment où les consciences sur sa nature et sur les chances de solution militaire avaient évolué. De plus mes convictions en la matière étaient solides. Il est vrai toutefois que la violence a continué jusqu’à la veille du cessez-le-feu et même après mais ce n’était plus l’armée qui était en cause.
Au passage on a relevé l’intervention d’un militant de l’OAS qui a estimé que cette organisation criminelle continuait dans la même perspective que ce qu’avait fait l’armée française pour maintenir un système, à l’évidence foncièrement injuste, qui durait depuis 132 ans. Comme l’a conclu Jean-Claude Carrière nous n’avons pas gagné cette guerre mais notre défaite a été la victoire contre le colonialisme et les tares qui étaient les siennes.
La guerre d'Algérie n'a jamais eu lieu, du moins feint-on de le croire : de 1954 à 1962, trois départements français ont simplement subi la loi du «maintien» de l'ordre puis de la «pacification». En sept longues années, près de deux millions de soldats ont traversé la Méditerranée. Les jeunes appelés ont découvert tout à la fois un pays magnifique et le scandale du tiers monde. Ils ont compris que ces «événements» qui secouaient un pays différent de la France étaient une guerre. Avec les quadrillages, l'attente la nuit en haut d'un piton, la mort atroce d'un de leurs camarades. Dans le bled ou la ville, ils sont restés longtemps, dix-huit, vingt-sept ou trente mois... Dans un récit qui fait la part belle aux écrits d'hommes du contingent, Benjamin Stora restitue les vingt ans douloureux de la «génération du djebel».
Je n’ai pas de contentieux avec les Algériens. C’est malgré moi que je me suis trouvé en face d’eux. J’en ai par contre avec les dirigeants de notre pays dont la cécité et la surdité m’ont fait perdre 26 mois de ma jeunesse dans quelque chose d’absurde, l’idée qu’on pouvait trouver une solution militaire à un problème qui relevait de l’évolution de l’histoire.
Qu’était le colonialisme sinon une forme exacerbée du capitalisme ? Et quel était l’objectif de la guerre d’Algérie dans laquelle la France s’était engagée sinon que tenter de perpétuer un tel système social ?
Quelles que soient les motivations économiques qui ont guidé Macron alors qu’il n’était que candidat à la fonction présidentielle et qu’il a pu compléter par quelques déclarations qu’il a faites une fois élu, la plus significative étant la reconnaissance que Maurice Audin a été assassiné au nom d’un refus de la justice, il me semble qu’il faut apprécier cette reconnaissance de ce qu’était le colonialisme. .
J’ai donc estimé qu’il fallait se saisir de l’opportunité sur la vérité qui était à établir sur notre passé ainsi d’ailleurs que sur notre présent. Cela m’a rappelé la déclaration de septembre 1959 du général de Gaulle quand il a prononcé le mot d’autodétermination. Evidemment il y avait loin des paroles aux actes et la guerre a duré plus de deux ans.
Nous sommes confrontés à une situation analogue. On assiste à une levée de boucliers des nostalgériques qui refusent de voir ce qu’était la réalité de l’Algérie française. C’est dans l’ordre des choses. Ces gens-là ont été les instruments du colonialisme et n’en ont tiré aucun enseignement.
Une commission mixte a vu le jour faisant intervenir pour la France Benjamin Stora. Il a une compétence reconnue dans le domaine qui est le sien, celui de l’histoire. Il me parait que c’est une bonne chose qu’il ait été retenu pour contribuer au travail mémoriel qui se met en place.
Il appartient à tous ceux qui sont intéressés à ce que la lumière soit faite sur une période que certains d’entre nous ont connue de jouer le jeu. Je pense que les témoignages, les réflexions des appelés du contingent peuvent apporter l’éclairage spécifique d’acteurs victimes de cette guerre injuste et anachronique.
J’ai entendu dire que certains, « à gauche », récusaient Benjamin Stora qui ralliait ainsi le camp Macron. Je n’ai pas de sympathie particulière pour le président de la République, pas plus que je n’en ai eu pour Sarkozy ou Hollande. Mais là n’est pas la question. Ce qui est à l’ordre du jour c’est l’examen sans concession de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions avec notre empire colonial et les guerres que nous avons menées pour le maintenir, celle d’Algérie ayant eu la caractéristique de mobiliser l’ensemble des Français de ces classes d’âge.
Alors les remarques des purs, des durs, des sûrs qui contestent l’acceptation de Benjamin Stora au poste qu’il doit occuper, ne me paraissent pas adaptées aux exigences de l’heure. Pour ce qui est des anciens d’Algérie, leurs contributions au travail de mémoire me paraissent les bienvenues. Ça nous changera du silence qui a pesé sur leurs épaules et ce avant que l’âge et leur disparition ne les empêchent de s’exprimer.
Nom du blog : cessenon Description du blog : Histoires de Cessenon et d'ailleurs, avec des textes d''actualité. Catégorie : Blog Journal intime
Évoquer les questions mémorielles n'est pas une chose simple dans la mesure où les rapports de domination sont toujours présents, orientant sérieusement le débat. Il n'est nullement possible de parler de "guerre" ou de "dialogue" des mémoires qui ne sont nullement hermétiques, mais traversées par de multiples bruissements. Saisir la mémoire, en faire un espace figé, est une entreprise impossible.
Cher collègue
Je viens d’apprendre que vous venez d’être chargé d’élaborer un travail allant dans le sens d’une « réconciliation des mémoires » et que vous devez, dans le cadre de cette entreprise, diriger une sorte de mission dont la fonction serait de faire un « travail mémoriel » en rapport avec les relations algéro-françaises. Déjà, je vois que vous avez, dans le prolongement de Paul Ricoeur, opté pour « travail de mémoire » que j’estime plus conforme au lieu de « devoir de mémoire », un groupe de mots qui pose sérieusement problème. Il faut que je vous dise tout d’abord que j’ai trouvé l’expression « guerre des mémoires » que vous avez déjà utilisée dans un de vos ouvrages, très contestable comme si chaque mémoire collective était unique, singulière, hermétique, alors que les frontières sont mouvantes, mobiles.
Je ne crois nullement à un figement mémoriel, à des représentations monolithiques. Les mémoires collectives, elles sont d’ailleurs plurielles, sont en construction continue, au-delà des limites culturelles. Des « voix assiégeantes » traversent toute mémoire qui est aussi complexe que les hommes. Comment pouvez vous penser, cher Stora, que deux commissions chargées d’une illusoire plongée dans des mémoires supposées figées et monolithiques, pouvaient régler la question d’une relation aussi complexe, traversée par de grandes tragédies ? Dans cet entrelacs mémoriel fait d’imbrications de traces, de faits, de temps et de récits pluriels et fortement marqué par l’inconscient colonial, ce « lieu catalytique de la différance » (Derrida), est-il permis d’isoler des mémoires comme si c’étaient des marchandises ou des objets ? Toute mémoire est active, traversée par les jeux de la représentation et du présent qui en esquisse continuellement les contours.
Il n’y a pas de mémoire spécifique, mais plurielle, même si les lieux, pour aller dans le sens de Pierre Nora, peuvent suggérer la présence de faits et d’espaces historiques. Il y a plutôt une mémoire coloniale ou de la colonisation faite de souvenirs d’humiliations, de crimes contre des populations entières, de carnages et de massacres. Cette idée de réconciliation des mémoires est factice, non opératoire. Ce type d’entreprise s’inscrit dans une sorte de rapports de force qui est toujours favorable à la « puissance conquérante », favorisant l’oubli et l’effacement volontaire ou involontaire de faits et de traces. Réconcilier quoi ? C’est vrai que le mot est à la mode, comme si le langage pouvait mettre un terme à un différend historique, alors qu’il risque plutôt de mettre en avant l’idée de conflit et aussi de l’effacement.
Je crois que la mémoire est instrumentée pour servir des desseins idéologiques particuliers. Surgit souvent surtout ces derniers temps, le terme mémoire qu’on n’arrête pas de mettre en opposition avec l’histoire, alors que de multiples accointances et interférences parcourent les rapports entre les discours mémoriel et historique. J’aime beaucoup cette distinction de Paul Ricoeur qui met en garde contre trois escroqueries : la mémoire empêchée, la mémoire manipulée, la mémoire obligée. J’ai peur que ce travail de « mémoire » aille dans cette perspective dénoncée par Ricoeur : « Le devoir de mémoire est aujourd’hui volontiers convoqué dans le dessein de court-circuiter le travail critique de l’historien, au risque de refermer telle mémoire de telle communauté historique sur son malheur singulier, [...] de la déraciner du sens de la justice et de l’équité. »
Vous voyez, mon cher Stora, pourquoi ce type d’entreprises restent discutables. La mémoire est une fiction, un temps passé que le présent tente de le structurer en fonction d’objectifs précis. Nous sommes en présence d’une re-présentation du passé absent que je construis. Le passé ne peut avoir nulle existence sans le présent. Peut-on pardonner des crimes que le colonisé a subi/subit dans sa chair ? Le « pardon », pour Ricoeur, serait « difficile », j’estime qu’il est plutôt impossible. Le mot « pardon » pose problème. Il serait, selon moi, peu opératoire. La réconciliation avec un passé commun est-elle possible ?
Votre mission me semble impossible pour aller dans le sens de Maurice Halbwachs qui considère que toute la société est mémoire, que toute représentation collective est mémoire, tant la raison présente que la mémoire passée.
Je sais que vous savez, vous êtes un grand historien, très actif chercheur, que la frontière entre l’attitude historique et l’entreprise mémorielle s’illustre paradoxalement à la fois par une étroite rencontre et une large distance, mettant en jeu une objectivité illusoire et une subjectivité assumée. L’oubli est un élément central de toute relation mémorielle ou historique. Il est souvent volontaire, légitimant une opération idéologique, comme il pourrait-être une faille mémorielle. C’est un élément fondamental constituant un grand obstacle à toute entreprise de réappropriation historique, il est le lieu essentiel de la vulnérabilité des espaces mémoriels et historiques. Cette inquiétante disparition des traces et l’apparition de failles et de béances fragilisant dangereusement la recherche historique ont constitué des éléments-clé du débat sur l’écriture de l’Histoire comme processus et ses travers (Michel de Certeau, Pierre Nora, Jacques Le Goff…) et la reconnaissance des crimes coloniaux.
L’histoire des crânes de résistants algériens restitués à l’Algérie pose concrètement le problème des archives et de différences traces, une entreprise qui obéit à un rapport de forces et à une posture de domination. Pourquoi les crânes ont-ils été remis à l’Algérie aujourd’hui au moment où un peu partout, on commence à parler des crimes commis par le colonialisme qui est un mal intégral ? Pourquoi pas la totalité ? Le problème de l’archive et de sa reconstruction du savoir à partir de débris et de ruines, reste d’actualité et ne peut être interrogée qu’en relation avec les rapports au pouvoir. Qui détient ces archives ? J’aime beaucoup citer Jacques Derrida qui répondait ainsi à une question sur les archives tout en entreprenant une extraordinaire gymnastique consistant à distinguer entre archive et trace : « Sur ce fond général et sans limite, ce qu’on appelle l’archive, si ce mot doit avoir un sens délimitable, strict, suppose naturellement de la trace, il n’y a pas d’archive sans trace, mais toute trace n’est pas une archive dans la mesure où l’archive suppose non seulement une trace, mais que la trace soit appropriée, contrôlée, organisée, politiquement sous contrôle. Il n’y a pas d’archives sans un pouvoir de capitalisation ou de monopole, de quasi-monopole, de rassemblement de traces statutaires et reconnues comme traces. Autrement dit, il n’y a pas d’archives sans puvoir politique. ».
Le gouvernement français ne semble pas prêt à restituer les archives, il le fera peut-être en fonction de conjonctures particulières. Il choisit les archives et les pièces à restituer, évitant une grande lumière sur les atrocités coloniales, le colonialisme comme crime contre l’humanité. L’oubli est appelé à la rescousse. Les dirigeants algériens, de leur côté, n’en font pas une priorité. Lors de son voyage en Algérie en 1975, le président français, Valéry Giscard-d ’Estaing, avait provoqué une grande polémique en déclarant que « la France historique salue l’Algérie indépendance », comme si l’Algérie n’avait pas d’Histoire. Ce qui avait, à l’époque, fait violemment réagir le chef d’Etat algérien, Houari Boumediene. Mais les archives algériennes sont souvent mal prises en charge, là aussi, elles dissimulent trop de non-dits, des espaces implicites.
L’archive est donc contrôlée, surveillée, elle n’existerait pas d’elle-même. Les traces subissent un tri, une sélection qui ne peut être faite que par différents pouvoirs, surtout celui qui en a le contrôle, l’ancien colonisateur. Il y a donc une censure préalable. On choisit ce qui doit faire mémoire. C’est vrai, c’est au chercheur d’entreprendre un travail de déconstruction faisant parler l’archive et ses ruines, rendre les silences parlants et se dire que la mémoire est inondée par les oublis volontaires ou involontaires.
L’oubli qui est une omission souvent traversée par les stigmates de la dépendance idéologique et politique ne peut être dissocié des jeux de pouvoir et de la domination de l’ancienne puissance coloniale. Michel Foucault, dans Surveiller et punir, explique très bien la relation de l’archive et des structures de pouvoir qui ne serait pas simple, mais obéirait à des considérations d’autorité. Qui écrit ? Qui parle ? Qui domine ? Qui diffuse l’archive ? Ce sont des questions essentielles articulant la relation de l’ancien colonisateur avec l’ancien colonisé. Ce sont autant d’éléments qui rendent cette quête de deux mémoires distinctes illusoire, otage du discours des archives et de l’attitude du locuteur et de celui qui détient le pouvoir (le détenteur de ces archives) et l’archive. Chaque locuteur exhibe ses arguments à partir de la manipulation des archives et de leur questions.
Commission française d’enquête parlementaire,1833: En 1830, tous les Algériens savaient lire, écrire et compter,
« et la plupart des vainqueurs avaient moins d’instruction que les vaincus »
Maréchal Bugeaud:
Fumez-les [les Arabes] à outrance, comme des renards
Invasion et occupation de l’Algérie par la France
1830-1871
Pour Zora
par Alain Vidal
Bibliothèque nationale de France
Michel Habart, au travers d’un considérable travail d’archives, est l’auteur de « Histoire d’un parjure » publié par les éditions de Minuit en 1960.
La quasi-totalité des citations proviennent d’ouvrages et de documents consultables par internet sur le site Gallica. Gallica est la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale française En libre-accès, elle regroupe des livres numérisés, des cartulaires, des revues...
Les témoignages sont formels, en 1830, tous les Algériens savaient lire, écrire et compter, « et la plupart des vainqueurs avaient moins d’instruction que les vaincus » rapporte laCommission d’enquête parlementaire de 1833.
Les Algériens sont beaucoup plus cultivés qu’on ne croit, note Campbell en 1835 :
« A notre arrivée, il y avait plus de cent écoles primaires à Alger, 86 à Constantine, 50 à Tlemcen. Alger et Constantine avaient chacune six à sept collèges secondaires, et l’Algérie était dotée de dix zaouia (universités).
Chaque village ou groupe d’habitants avait son école. Notre occupation leur porta un coup irréparable. »
Et « Mgr Dupuch nous répond, en déplorant qu’en 1840 il n’ait trouvé que deux ou trois instituteurs pour toute la province d’Alger. En 1880, on ne trouvait encore que treize (je dis bien treize) écoles franco-arabes pour toute l’Algérie. »
Le grand orientaliste George Marcais :
« Nous avons gaspillé l’héritage musulman à plaisir. »
En 1929, George Marcais prend la direction du Musée des Antiquités et de l'Art Musulman d'Alger et en 1935 intègre l'Institut d'Études Orientales comme directeur. Georges Marçais a doté l'histoire de l'art et des civilisations du Maghreb d'études exceptionnelles.
Alexis de Tocqueville,
Alexis de Tocqueville, chargé du rapport concernant les travaux parlementaires sur l’Algérie :
« Ce qu’il faut, c’est donner des livres à ce peuple curieux et intelligent. Ils savent tous lire. Et ils ont cette finesse et cette aptitude à comprendre qui les rend si supérieurs à nos paysans de France. »
A la commission d’enquête qui lui demande ce qui manque le plus aux Maures d’Algérie, un dignitaire algérien, Boudaba, répondra :
« Alger était peut-être la ville du monde où la police était la mieux faite… Avec nous, les vols, naguères presqu’inconnus, se multiplient dans des proportions effrayantes. »
Dans le rapport Valazé, en 1830, il est dit :
« Le pays nous paraît riche, cultivé, couvert de bestiaux, de maisons et de jardins soignés. Il est difficile de se figurer les milliers de maisons de campagne qui couvrent ce beau pays. C’est un coup d’oeil qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, sauf dans les environs de Marseille, beaucoup moins étendus, agréables et fertiles. »
Mais changement de ton avec Clauzel, général en chef des troupes d'Algérie, arrivé à Alger en 1830, et qui déclare ses intentions ouvertement génocidaires:
« Les avantages de l’Algérie seraient immenses si, comme en Amérique, les races indigènes avaient disparu, et si nous pouvions jouir de notre conquête en sécurité, condition première de toute colonisation. Ce but atteint, il sera bon de voir ce que font les Anglais de leurs colonies… Colonisons, colonisons! A nous la Mitidja! A nous la plaine! Toutes ces terres sont de première qualité. A nous seuls! Car pas de fusion possible avec les Arabes! ».
(dans L’Afrique française, 1840)
Fait rarissime, le comte Le Hon, rapporteur de la commission d’enquête en 1869, n’hésite pas à accuser :
« Pourquoi les Arabes dépérissent ? Tant que rien n’a été changé à la constitution des Arabes, ils ont pu, par les produits de la terre, subvenir à leurs besoins… Ce peuple étant devenu un peuple de khamès sans terre et sans silos, les hommes, femmes et enfants sont allés mourir de faim autour des centres de colonisation. Ils sont morts sans se plaindre. »
« Cent ans de capitalisme en Algérie »,
de Robert Louzon, mai 1930,
(extraits)
La légende du coup de l’éventail
« En 1794, la France était attaquée de tous côtés. Non seulement son territoire était envahi sur plusieurs points, mais son peuple et son armée risquaient d’être affamés. Ne produisant pas assez pour subvenir à ses besoins, elle ne trouvait nulle part où acheter le complément de grains qui lui était nécessaire. Nulle part… sauf en Algérie, dont le dey offrit à la Convention toutes facilités pour faire ses achats de blé.
Deux ans plus tard, le Directoire a succédé à la Convention, mais la guerre n’en continue pas moins, et l’Angleterre continue à poursuivre son plan d’affamer les armées de la République ; en outre… le Trésor est vide, ou presque. Le dey d’Alger offre alors au gouvernement français de lui prêter un million, sans intérêts, pour les achats de blé que celui-ci aurait à effectuer en Algérie. Le gouvernement français accepte.
Les achats de blé ainsi effectués dépassent de beaucoup le million prêté ; la France ne les paie pourtant point. Qu’importe !
Le dey d’Alger, lui, se contenta de demander des explications. Il les demanda par écrit au gouvernement français, et comme celui-ci ne répondait pas, il les demanda verbalement au consul de France…Dans ces conditions, quand on n’a pas d’explications valables à fournir, il n’est qu’une ressource : c’est le prendre de haut. C’est ce que fit Deval. Alors, furieux, le dey s’emporta, injuria, et finalement donna au « représentant de la France » un coup de son chasse-mouche.
On tenait le prétexte !
Le gouvernement français, convaincu de mauvaise foi, allait châtier le dey coupable d’avoir « injurié la France ». Car l’« honneur de la France » ne consistait pas à payer ses dettes le plus vite possible, l’« honneur de la France » ne consistait pas à respecter la parole donnée ; l’« honneur de la France » consistait à frapper celui qui lui reprochait ses actes déshonorants…Il n’est pas un manuel d’histoire élémentaire qui ne contienne quelques illustrations du dey frappant le « représentant de la France», mais ce n’est que dans quelques rares livres, tirés à un petit nombre d’exemplaires, et enfouis dans les bibliothèques, qu’on peut trouver des renseignements sur les raisons pour lesquelles le dey était, ce jour-là, si fort en colère. »
Et le 14 juin 1830, les troupes françaises débarquèrent à Sidi Ferruch, plage de sable située à une vingtaine de kilomètres d’Alger. Quelques jours après, Alger attaqué à revers, tombait ; le 5 juillet, le dey capitulait. Le « coup d’éventail » était donc « vengé » ; le blé que le dey avait fourni à la France n’aurait plus à lui être payé, ni les fortifications de la Calle à être démolies.
Il restait à conquérir l’Algérie.
Cela allait demander quarante ans, près d’un demi-siècle.
La conquête coloniale de l’Algérie
par les Français,
quarante années de massacres
De 1830 à 1871, sous cinq régimes différents, depuis la restauration jusqu’à la Troisième République, en passant par Louis-Philippe, la République et l’Empire, la bourgeoisie française va poursuivre la conquête de ce territoire à peine peuplé de cinq millions d’habitants.
Maréchal Bugeaud
Quarante ans de combats, de meurtres et de pillages, quarante ans pendant lesquels, à chaque moment, telle région qu’on avait hier « pacifiée » se soulevait à nouveau et devait être « pacifiée » à nouveau, à coup de « razzia » et de massacres. Quarante ans pour cinq millions d’habitants ! Quarante ans de guerre entre, d’un côté, un peuple dépourvu de toute organisation matérielle moderne, et, de l’autre côté, l’armée française, alors, sans conteste, la première armée d’Europe, l’armée qui était, hier, celle de Napoléon et qui sera encore celle de Sébastopol et de Magenta.
La conquête de l’Algérie ne s’est pas effectuée, comme on pourrait le croire, progressivement du Nord au Sud, par tranches successives partant du littoral et finissant aux confins sahariens. Tout au contraire, les régions méridionales, Hauts-Plateaux et zone saharienne, on été plus facilement conquises et les premières « pacifiées » ; c’est la région la plus proche du littoral, le Tell, cet ensemble montagneux qui sépare la mer des Hauts-Plateaux, qui a offert le plus de résistance et n’a été occupé, réellement qu’en dernier lieu.
Le centre de la première grande résistance à laquelle se heurte la conquête française, celle que va personnifier pendant onze ans le marabout Abd el Kader, c’est le Tell du centre et de l’ouest. Les villes d’Abd el-Kader, Mascara, Boghar, etc., sont en plein Atlas tellien, et le dernier massif d’où Abd el-Kader conduira ses dernières grandes luttes sera celui de l’Ouarsenis, qui commence à 50 kilomètres de la mer. Après la chute d’Abd el Kader, le dernier bastion de la résistance sera la Kabylie, Tell de l’est. La grande Kabylie, qui borde la mer, et qui est à moins de cent kilomètres d’Alger, ne sera occupée pour la première fois en 1857, et définitivement qu’après 71, alors que les oasis de Biskra et de Laghouat, en bordure du Sahara, à 400 kilomètres de la mer, seront conquises, la première dès 1844, et la seconde définitivement, en 1852.
La raison en est que les Hauts-Plateaux, le Sahara, et même l’Atlas saharien, vieille montagne qui n’est plus guère constituée que de légères ondulations coupées de larges couloirs, ne sont que des plaines. Le Tell, au contraire, c’est la montagne. La plaine, assez peu peuplée d’ailleurs, et peuplée presque exclusivement d’Arabes plus ou moins nomades, n’a pas pu résister ; c’est la montagne qui a résisté, la montagne qui, en Algérie, est plus peuplée que la plaine, peuplée de paysans cultivateurs, la plupart de langue berbère. Cela est conforme à la règle de toujours et de partout : c’est toujours la montagne qui résiste au conquérant ; la montagne est partout le dernier asile de l’indépendance. Ce massif kabyle qui résista le dernier à la conquête française, est celui qui avait aussi le mieux résisté à la conquête arabe, puisque s’il a accepté la religion de l’Islam, il a gardé sa langue et son Droit.
Ce que fut cette guerre ? Une guerre atroce qui n’eut de la guerre que le nom, j’entends de la véritable guerre, celle que justifie Proudhon dans La Guerre et la Paix, c’est-à-dire un combat loyal entre adversaires de force équivalente. Ce ne fut pas une guerre, ce fut une « expédition coloniale », une expédition coloniale de quarante années. Une expédition coloniale ça ne se raconte pas, et on n’ose la décrire ; on laisse Mrs les assassins la décrire eux-mêmes « La flamme à la main ! »
Saint-Arnaud, qui devait finir maréchal de France, fit, jusqu’au 2 décembre, à peu près toute sa carrière en Algérie. Il y était arrivé lieutenant en 1837 ; il en partit général de division en 1851 ; durant ces quinze années il ne cessa d’être en colonne, tantôt à l’ouest, tantôt à l’est ; pendant tout ce temps il écrivit régulièrement à son frère, le tenant presque jour par jour au courant de ses faits et gestes. Ces lettres ont été publiées. Nous en donnons ci-dessous des extraits, sans autre commentaire que l’indication de la date et du lieu.
On trouvera les lettres dont sont extraites les citations ci-dessous dans Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, pages 141, 313, 325, 379,381, 390, 392, 1472, 474, 549, 556, tome II, pages 83, 331, 340 :
« Le pillage exercé d’abord par les soldats, s’étendit ensuite aux officiers, et quand on évacua Constantine, il s’est trouvé comme toujours, que la part la plus riche et la plus abondante était échouée à la tète de l’armée et aux officiers de l’état-major. » (Prise de Constantine, octobre 1837.)
« Nous resterons jusqu’à la fin de juin à nous battre dans la province d’Oran, et à y ruiner toutes les villes, toutes les possessions de l’émir. Partout, il trouvera l’armée française, la flamme à la main. » (Mai 1841.)
« Mascara, ainsi que je l’ai déjà dit, a dû être une ville belle et importante. Brulée en partie et saccagée par le maréchal Clauzel en 1855. »
« Nous sommes dans le centre des montagnes entre Miliana et Cherchell. Nous tirons peu de coup de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes. L’ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux » (avril 1842)
« Le pays des Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique. Les villages et les habitants sont très rapprochés. Nous avons tout brûlé, tout détruit. Oh la guerre, la guerre ! Que de femmes et d’enfants, réfugiés dans les neiges de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère !... Il n’y a pas dans l’armée cinq tués et quarante blessés. » (Région de Cherchell, avril 1842)
« Deux belles armées... se donnant la main fraternellement au milieu de l’Afrique, l’une partie de Mostaganem le 14, l’autre de Blidah le 22 mai, rasant, brûlant, chassant tout devant elles. » (mai 1842, de Mostaganem à Blidah il y a 250 kilomètres.)
« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. Des combats : peu ou pas. » (Région de Miliana, juin 1842)
« ... Entouré d’un horizon de flammes et de fumées qui me rappellent un petit Palatinat en miniature, je pense à vous tous et je t’écris. Tu m’as laissé chez les Brazes, je les ai brûlés et dévastés. Me voici chez les Sindgad, même répétition en grand, c’est un vrai grenier d’abondance... Quelques-uns sont venus pour m’amener le cheval de soumission. Je l’ai refusé parce que je voulais une soumission générale, et j’ai commencé à brûler. » (Ouarsenis, Octobre 1842)
« Le lendemain 4, je descendais à Haimda, je brûlais tout sur mon passage et détruisais ce beau village...Il était deux heures, le gouverneur (Bugeaud) était parti. Les feux qui brûlaient encore dans la montagne, m’indiquaient la marche de la colonne. » (Région de Miliana, février 1843.)
« Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la nuit ! C’était la malheureuse population des Beni-Naâsseur, c’étaient ceux dont je brûlais les villages, les gourbis et que je chassais devant moi. » (Région de Miliana, février 1843.)
« Les beaux orangers que mon vandalisme va abattre !... je brûle aujourd’hui les propriétés et les villages de Ben-Salem et de Bel-Cassem-ou-Kassi. » (Région de Bougie, 2 octobre 1844.)
Saint-Arnaud
« J’ai brûlé plus de dix villages magnifiques. » (Kabylie, 28 octobre 1844.)
« II y avait encore des groupes nombreux d’ennemis sur les pitons, j’espérais un second combat. Ils ne sont pas descendus et j’ai commencé à couper de beaux vergers et à brûler de superbes villages sous les yeux de l’ennemi. » (Dahra, mars 1846.)
« J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. » (Petite Kabylie, mai 1851.)
« Nous leur avons fait bien du mal, brûlé plus de cent maisons couvertes en tuile, coupé plus de mille oliviers. » (Petite Kabylie, juin 1851.)
Tel est le témoignage de Saint-Arnaud. Témoignage décisif, mais qui est loin d’être unique. Tous les officiers d’Afrique, qui ont écrit ce qu’ils ont vu, disent la même chose.
Massacre des enfants et vente des femmes
Officier d’Afrique non moins typique que Saint-Arnaud, ce colonel Pein, issu du rang qui resta vingt-trois ans en Algérie (de 1840 à 1863), et qui occupa les loisirs de sa retraite à composer un petit ouvrage sur l’Afrique. A la différence de Saint-Arnaud, ce fut surtout dans le Sud qu’il eut à opérer.
Voici comment il décrit la prise de Laghouat, à laquelle il assista (2 décembre 1852.) :
« Le carnage fut affreux ; les habitations, les tentes des étrangers dressées sur les places, les rues, les cours furent jonchées de cadavres. Une statistique faite à tête reposée et d’après les meilleurs renseignements, après la prise, constate le chiffre de 2 300 hommes, femmes ou enfants tués ; mais le chiffre de blessés fut insignifiant, cela se conçoit. Les soldats, furieux d’être canardés par une lucarne, une porte entrebâillée, un trou de la terrasse, se ruaient dans l’intérieur et y lardaient impitoyablement tout ce qui s’y trouvait ; vous comprenez que, dans le désordre, souvent dans l’ombre, ils ne s’attardaient pas à établir de distinction d’âge ni de sexe : ils frappaient partout et sans crier gare ! » (Pein, Lettres familières sur l’Algérie, 2e édit, p. 393).
C’est tellement l’habitude de massacrer femmes et enfants qu’une fois que le colonel Pein ne put le faire, il éprouva le besoin de s’en excuser dans une lettre :
« Les Ouled Saad avaient abandonné femmes et enfants dans les buissons, j’aurais pu en faire un massacre, mais nous n’étions pas assez nombreux pour nous amuser aux bagatelles de la porte : il fallait garder une position avantageuse et décrocher ceux qui tiraient sur nous. »
(Pein, Lettres familières sur l’Algérie, 2e édit., p. 26.)
Ainsi, si les femmes et les enfants des Ouled Saad n’ont pas été « massacrés », c’est uniquement pour raison stratégique ! Si on avait été plus nombreux, toutes et tous y auraient passé, on se serait « amusé aux bagatelles de la porte ! »
Certains généraux cependant préféraient qu’on ne massacre pas les femmes, mais qu’on s’en empare...et qu’on les vendent. Telle était la méthode préférée de Lamoricière.
Dans les lettres qu’il écrivait à sa famille, l’un des subordonnés de Lamoricière, le colonel de Montagnac, décrit ainsi le système
Colonel de Montagnac,
De Montagnac, Lettres d’un soldat, p. 141,142,195,203,311, 225. :
« Vive Lamoricière ! Voilà ce qui s’appelle mener la chasse avec intelligence et bonheur !... Ce jeune général qu’aucune difficulté n’arrête, qui franchit les espaces en un rien de temps, va dénicher les Arabes dans leurs repaires, à vingt-cinq lieues à la ronde, leur prend tout ce qu’ils possèdent : femmes, enfants, troupeaux, bestiaux, etc. » (1er février 1841).
Dans la région de Mascara, le 17 janvier 1842 :
« Nous poursuivons l’ennemi, nous lui enlevons femmes, enfants, bestiaux, blé, orge, etc. »
Le 11 février 1842 :
« Pendant que nous rasons de ce côté, le général Bedeau, autre perruquier de première qualité, châtie une tribu des bords du Chélif... leurs enlève force femmes, enfants et bestiaux... »
Plus tard, étant cette fois en Petite-Kabylie, de Montagnac appliquera à nouveau le système Lamoricière :
« Nous nous sommes établis au centre du pays...brûlant, tuant, saccageant tout... Quelques tribus pourtant résistent encore, mais nous les traquons de tous côtés, pour leur prendre leurs femmes, leurs enfants, leurs bestiaux. » (2 mai 1843).
Pourquoi prenait-on ces femmes ? Qu’en faisait-on ?
« Vous me demandez, dans un paragraphe de votre lettre, ce que nous faisons des femmes que nous prenons. On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées contre des chevaux, et le reste est vendu à l’enchère comme bêtes de somme. » (Lettre datée de Mascara, 31 mars 1842.)
« Apportez des têtes, des têtes ! Bouchez les conduits crevés avec la tête du premier Bédouin que vous rencontrerez. »
(Harangue citée par le baron Pichon : Alger sous la domination française, p.109.)
Voici maintenant que le témoignage d’un quatrième officier de l’armée d’Afrique, parti en Algérie, tout frais émoulu de Saint-Cyr, le comte d’Hérisson ; bien que très patriote, celui-ci, à la différence des précédents, semble avoir été quelque peu écœuré par ce qu’il vit ; son témoignage est identique.
Voici comment il décrit une colonne à laquelle il participa :
D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 133 et suivantes :
« II est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées paires à paires sur les prisonniers, amis ou ennemis. » « ... Des cruautés inouïes, des exécutions froidement ordonnées, froidement exécutées à coups de fusil, à coups de sabre, sur des malheureux dont le plus grand crime était quelquefois de nous avoir indiqué des silos vides. »
« Les villages que nous avons rencontrés, abandonnés par leurs habitants, ont été brûlés et saccagés ; ... on a coupé leurs palmiers, leurs abricotiers parce que les propriétaires n’avaient pas eu la force nécessaire pour résister à leurs émirs et lui fermer un passage ouvert à tout le monde chez ces tribus nomades. Toutes ces barbaries ont été commises sans tirer un coup de fusil, car les populations s’enfuyaient devant nous, chassant leurs troupeaux et leurs femmes, délaissant leurs villages. »
Cette colonne était commandée par le général Yusuf. Sur ce même général, le même auteur rappelle le fait suivant, si militaire (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.)
« En 1857, le maréchal Randon, que les lauriers de Saint-Arnaud empêchaient de dormir, monte à l’assaut de la Kabylie pour exercer ses 25 000 hommes et y recommencer les incendies de ses prédécesseurs. C’est dans cette expédition qu’on vient dire au général Yussuf : "Encore une tribu, mon général, qui en a assez et qui demande l’aman (le pardon)." - Non, répondit Yussuf, il y a là, sur notre gauche, ce brave colonel qui n’a encore rien eu. Laissons-lui cette tribu à éreinter ; cela lui fera un bulletin ; on donnera ensuite l’aman »
A cette époque, Napoléons III avait eu beau venir en Algérie assurer les Arabes de sa sympathie : « Les oreilles indigènes valurent longtemps encore 10 francs la paire, et leurs femmes demeurèrent, comme aux, d’ailleurs, un gibier parfait » (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.) :
Si le général Yusuf faisait couper les oreilles, le colonel de Montagnac, déjà cité, qui, lui, est un Français, fils, petit-fils, arrière petit-fils de soldat, et qui devait devenir le « héros » de Sidi-Brahim, préfère la méthode qui consiste à faire couper les têtes ( De Montagnac : Lettres d’un soldat, p. 297 et 299.)
« Je lui fis couper la tête et le poignet gauche (il s’agit d’un marabout de la province de Constantine) et j’arrivai au camp avec sa tête piquée au bout d’une baïonnette et son poignet accroché à la baguette d’un fusil. On les envoya au général Baraguay d’Hilliers qui campait près de là, et qui fut enchanté, comme tu le penses... »
« On ne se fait pas l’idée de l’effet que produit sur les Arabes une décollation de la main des chrétiens... Il y a déjà pas mal de temps que j’ai compris cela, et je t’assure qu’il ne m’en sort guère d’entre les griffes qui n’aient subi la douce opération. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu’en disent nos philanthropes. Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils recevront une volée de coups de plat de sabre... Quant à l’opération de la décollation, cela se passe coram populo. »
Le massacre par « erreur »
« Frappez, frappez toujours ! Dieu reconnaîtra les siens ! » Vieux précepte que les représentants de la bourgeoisie française en Algérie ne manquèrent pas d’appliquer. L’important était de tuer ; qu’on tue amis ou ennemis, innocents ou coupables, cela n’avait guère d’importance. Péra a déjà raconté aux lecteurs de la Révolution prolétarienne ( R.P. du 1er mars 1928 : L’insurrection algérienne de 1871.) comment, en 1871, un détachement français rencontrant un groupe d’indigène, s’en empara et mit tout le monde à mort sans autre forme de procès, sur la simple supposition que ces indigènes avaient participé à l’affaire de Palestre, ce qui fut reconnu entièrement faux, dès qu’on eut fait le moindre brin d’enquête.
Voici deux autres faits du même ordre, mais d’une envergure plus grande encore, et dont la responsabilité remonte beaucoup plus haut.
Au printemps de 1832, des envoyés d’une tribu du Sud avaient été dépouillés par des maraudeurs, à quelque distance d’Alger ; le fait s’était passé sur le territoire où était campée la tribu des El-Ouffia ; alors :
« En vertu des instructions du général en chef de Rovigo, un corps de troupe sorti d’Alger, pendant la nuit du 6 avril 1832, surprit au point du jours la tribu endormie sous ses tentes, et égorgea tous les malheureux El-Ouffia sans qu’un seul chercha même à se défendre. Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; on ne fit aucune distinction d’âge ni de sexe. Au retour de cette honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout des lances. » (Christian : L’Afrique française, p. 143.) :
« Tout le bétail fut vendu à l’agent consulaire du Danemark. Le reste du butin fut exposé au marché de la porte Bab-Azoun (à Alger). On y voyait des bracelets de femme qui entouraient encore des poignets coupés, et des boucles d’oreilles pendant à des lambeaux de chair. Le produit des ventes fut partagé entre les égorgeurs.
« Dans l’ordre du jour du 8 avril, qui atteignit les dernières limites de l’infamie, le général en chef eut l’impudence de féliciter les troupes de l’ardeur et de l’intelligence qu’elles avaient déployées. Le soir de cette journée à jamais néfaste, la police ordonna aux Maures d’Alger d’illuminer leurs boutiques, en signe de réjouissance. » (Dieuzalde : Histoire de l’Algérie, tome I, p. 289.) :
"Or, quelques jours après, ont sut que cette tribu n’avait été pour rien dans la mésaventure arrivée aux envoyés du Sud, ceux-ci ayant été victimes d’hommes appartenant à la tribu toute différente des Krechnas. Ce qui n’empêcha pas, bien que l’innocence des El-Ouffia fût déjà connue, de condamner à mort le cheik des El-Ouffia, qu’on avait soigneusement épargné lors du massacre et de l’exécuter, ainsi qu’un autre notable aussi innocent que lui." (Baron Pichon : Alger sous la domination française, p. 186.) :
L’auteur de ces assassinats, le général en chef duc de Rovigo, a maintenant son village, un village de colonisation portant son nom, à quelques kilomètres du lieu où furent assassinés les El-Ouffia ! A Bône, le futur général Yusuf, alors capitaine, opérait pareillement. Voici ce qu’en disent les notes du baron Pichon, alors intendant civil de l’Algérie :
« Le 7 mai 1832, des Arabes d’une tribu inconnue vinrent, sous les murs de la ville, s’emparer de quelques bœufs. Le capitaine Yusuf décida que les maraudeurs appartenaient à la tribu des Kharejas ; le même soir il partit avec les Turcs, fut s’embusquer de nuit dans les environs, et lorsque le jour commençait à paraître, il massacra femmes, enfants et vieillards. Une réflexion bien triste suivit cette victoire, lorsqu’on apprit que cette même tribu était la seule qui, depuis notre occupation de Bône, approvisionnait notre marché. » (Christian : L’Afrique française, pp. 148 et 149.) :
Prince de la Moskova, Discours à la Chambre des Pairs, à propos de la guerre en Algérie, :
« Meurtre consommé avec préméditation sur un ennemi vaincu, sur un ennemi sans défense »
Le massacre est toujours le massacre, mais certaines circonstances ajoutent encore à son horreur.
La région du Dahra, à mi-chemin entre Alger et Oran, présente la particularité de posséder, en plusieurs points, d’immenses grottes pouvant contenir plusieurs centaines de personnes. De temps immémoriaux, ces grottes servaient de refuge aux tribus de la contrée, refuge qui avait toujours été respecté, les hommes réfugiés là n’étaient plus à craindre ; de ce fait là ils s’avouaient vaincus ; jamais tribu « barbare », jamais « sectateurs de Mahomet » n’avaient eut l’idée d’y massacrer. L’armée de la bourgeoisie française allait rompre avec cette tradition.
En un an, sur trois points différents, trois colonels français, Cavaignac, Pélissier, Saint-Arnaud, firent périr trois tribus réfugiées dans des grottes en les brûlant et les asphyxiant vives. Trois tribus complètes : hommes, femmes, enfants.
De ces trois « enfumades », la plus connue, longtemps la seule connue, est la seconde, celle commise par Pélissier, parce qu’elle donna lieu à une interpellation du prince de la Moskowa, le fils de Ney, à la Chambre des Pairs.
Le 19 juin 1845, la tribu des Oued-Riah, chassée de ses villages par l’une de ces colonnes incendiaires dont nous avons vu la description chez Saint-Arnaud, se réfugie dans les grottes, toute la tribu, troupeaux compris. La colonne commandée par Pélissier l’y poursuit et la somme de sortir. Celle-ci accepte : elle est même prête à verser comme rançon une importante somme d’argent, mais elle ne veut pas, lorsqu’elle sortira, être massacrée ; elle pose donc une seule condition : que les troupes françaises se retirent.
Pélissier refuse. Puis, à trois heures de l’après-midi, il fait allumer, à chaque entrée des grottes, de vastes feux, qu’on alimentera et attisera sans répit tout le restant de la journée et toute la nuit, jusqu’à une heure avant le lever du jour.
Au matin, on entre.
Un soldat a donné, dans une lettre, le récit de ce qu’il vit la nuit et le matin :
« Quelle plume saurait rendre ce tableau ? Voir au milieu de la nuit, à la faveur de la lune, un corps de troupes français occupé à entretenir un feu infernal ! Entendre les sourds gémissements des hommes, des femmes, des enfants et des animaux ; le craquement des rochers calcinés s’écroulant, et les continuelles détonations des armes ! Dans cette nuit, il y eut une terrible lutte d’hommes et d’animaux !
« Le matin, quand on chercha à dégager l’entrée des cavernes, un hideux spectacle frappa des yeux les assaillants.
« J’ai visité les trois grottes, voici ce que j’y ai vu :
« A l’entrée, gisaient des bœufs, des ânes, des moutons ; leur instinct les avait conduits à l’ouverture de la grotte pour respirer l’air qui manquait à l’intérieur. Parmi ces animaux, et entassés sous eux, on trouvait des hommes, des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras. Cet homme, il était facile de le reconnaître, avait été asphyxié, ainsi que la femme, l’enfant et le bœuf, au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal.
« Les grottes sont immenses ; on a compté 760 cadavres ; une soixantaine d’individus seulement sont sortis, aux trois quart morts ; quarante n’ont pu survivre ; dix sont à l’ambulance, dangereusement malades ; les dix derniers, qui peuvent se traîner encore, ont été mis en liberté pour retourner dans leurs tribus ; ils n’ont plus qu’à pleurer sur des ruines. » (Christian, L’Afrique française, p. 142.) :
Non ! Pélissier, qui en a porté jusqu’ici la responsabilité devant l’histoire, n’a été qu’un exécutant. La responsabilité remontait plus haut ; elle remonte directement au plus haut représentant de la France en Algérie, à celui qui, pendant sept années, fut, au nom de « la France », le maître à peu près absolu de l’Algérie, le gouverneur général Bugeaud, duc d’Isly ; celui-ci avait en effet envoyé à Pélissier l’ordre suivant (Revue hebdomadaire, juillet 1911, article du général Derrécagaix)
« Orléansville, 11 juin 1845
« Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les à outrance comme des renards.
« Duc d’Isly »
« Imitez Cavaignac » ordonnait Bugeaud.
En effet, l’année précédente, Cavaignac, futur gouverneur général de la République en Algérie, futur emprisonné du 2 décembre, avait, lui aussi, le premier, enfumé « comme des renards » des Sbéhas réfugiés dans des grottes, « tribu vaincu », « tribu sans défense ».
Et deux mois après Pélissier, le 12 août 1845, Saint-Arnaud à son tour, près de Ténès, transformait d’autres grottes en « un vaste cimetière » ; « 500 brigands » y furent enterrés. Le seul résultat de l’interpellation à la Chambre des Pairs fut que Saint-Arnaud tint, à la différence de Pélissier, soigneusement caché son exploit : « personne n’est descendu dans les cavernes ; personne... que moi... Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal (Bugeaud), simplement, sans poésie terrible ni images. » (Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome II, p. 37.)
Ainsi, depuis le républicain Cavaignac, jusqu’aux futurs bonapartistes Pélissier et Saint-Arnaud, en passant par le monarchiste Bugeaud, les hommes les plus représentatifs de tous les clans de la bourgeoisie française ont trempé directement dans ces actes où culminent les deux caractères dominants de la conquête de l’Algérie : la lâcheté et la férocité.
L’honneur kabyle
Devant cette barbarie, on se sent poussé à rechercher quelques gestes qui fassent exception, quelques gestes de générosité, quelques gestes d’honneur.
On les trouve.
Mais on les trouve de l’autre côté de la barricade ; on les trouve chez les « barbares », chez ceux qui étaient en état de légitime défense, chez ceux qui étaient à la fois les plus faibles et les moins « civilisés ».
Un seul acte de cruauté a pu être reproché à Abd el-Kader, commis non pas par lui, mais par un de ses lieutenants.
Le 24 avril 1846, un an à peine avant la reddition d’Abd el Kader, alors que celui-ci était aux abois, qu’il n’avait plus rien à donner à manger aux prisonniers, ni même suffisamment d’hommes pour les garder, alors qu’Abd el Kader avait écrit lettres sur lettres pour négocier l’échange des prisonniers et qu’on ne lui avait répondu qu’en jetant en prison celui qu’il avait envoyé pour traiter de cet échange, et alors qu’il était personnellement à plusieurs centaines de kilomètres du lieu où étaient gardés les prisonniers, l’un des deux khalifas chargé de leur garde, Mustapha ben Thamin, ne pouvant plus nourrir les prisonniers (l’autre voulant, au contraire, les relâcher), les fit tuer (Colonel Paul Azan : L’Emir Abd el Kader, p. 221 et suivantes, et aussi p.295..)
C’était la réplique aux enfumades du Dahra. Mais, jusque-là, durant quinze années pendant lesquelles il s’opposa à la France, la manière dont Abd el Kader avait traité les prisonniers avait toujours été empreinte de la plus grande générosité ; il les échangeait quand il le pouvait ; sinon, il les libérait sans condition le jour où il ne pouvait plus les nourrir. Nos soudards en étaient tout éberlués :
« Abd el Kader, écrit Saint-Arnaud, le 14 mai 1842, nous a renvoyé sans condition, sans échange, tous nos prisonniers. Il leur a dit : "Je n’ai plus de quoi vous nourrir, je ne veux pas vous tuer, je vous renvoie". Le trait est beau pour un barbare » (Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, p. 385.)
Abd el Kader
Saint-Arnaud, évidemment, n’en aurait point fait autant.
Combien d’Arabes prisonniers des Français en auraient pu dire autant ?
Mais ceux dont l’attitude marqua l’antithèse la plus frappante avec la manière dont la bourgeoisie comprend la guerre, furent les Kabyles.
Les Kabyles sont des guerriers. Ils sont traditionnellement habitués à se battre pour l’honneur, non pour le butin ou la conquête.
Lorsqu’un dommage avait été causé à un habitant d’un village par un habitant d’un autre village, on vengeait l’honneur par un combat, mais combat qui ne se terminait jamais par l’expropriation des vaincus. De telles guerres étaient donc aussi différentes d’une expédition coloniale que d’un duel l’est d’un assassinat.
Ces guerres, dès lors, étaient soumises, tout comme l’est le duel, à des règles, à un véritable Code d’honneur. Ce code, les Kabyles continuèrent à l’appliquer, même contre leurs envahisseurs.
C’est ainsi que lors du soulèvement de 1871, les Kabyles prévinrent les colons avant de les attaquer (Rinn : L’insurrection de 1871 en Algérie, p. 203.). Et ceux des colons qui, au lieu de partir ou de résister, se mirent sous la protection d’un kabyle, sous son « anaia », purent vivre en pleine sécurité durant toute l’insurrection, en plein pays insurgé.
Ce fut notamment le cas de 39 habitants de Bordj Menaïel, auxquels le marabout Si Moussa ben Ahmed avait proposé lui-même de se mettre sous son « anaia » ; ce fut également le cas du maire de Bordj Menaïel qui alla se mettre sous la protection des habitants du douar Rouaffa ; et aussi le cas de 30 voyageurs de la diligence de Dellys qui, sur le conseil de l’amine Omar Benzaman allèrent se réfugier dans le caravansérail, et sous la protection d’Azib Zamoun
(Rinn : L’insurrection de 1871 en Algérie, pp. 243 et 245.)
Ce qui n’empêcha pas le gouvernement de la République de commettre à l’égard des insurgés kabyles la même monstruosité que celle qu’il commettait, au même moment, à l’égard des insurgés parisiens : faire poursuivre, condamner et exécuter les chefs de l’insurrection comme coupables de crimes de droit commun ! Comme Ferré, Boumezrag, frère de Mokrani et successeur de celui-ci à la tête de l’insurrection, fut condamné à mort pour pillage et assassinat ! Thiers ne se contentait pas de tuer ; en Afrique comme à Paris, il lui fallait déshonorer.
Expropriation et déculturation,
les deux mamelles de la colonisation
Général de Bourmont, 5 juillet 1830 :
« La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur industrie ne recevront aucune atteinte... Le général en chef en prend l’engagement sur l’honneur. »
L’’honneur du général en chef ne dura que le temps de sa déclaration !
L’expropriation des indigènes, la réduction des indigènes à l’état de prolétaires, de producteurs travaillant pour la plus-value sur les terres que jusque-là ils cultivaient librement, tel est le but de toute conquête coloniale ; tel fut le but de la conquête de l’Algérie.
La commission parlementaire dont Alexis de Tocqueville était le rapporteur était composée de dix-huit membres. Seuls deux d’entre eux, Desjobert et Tracy, très minoritaires, n’étaient pas favorables à la colonisation. Tocqueville fait état de leur opposition :
« Le pays qu’il s’agit de coloniser, ont-ils dit, n’est pas vide ou peuplé seulement de chasseurs, comme certaines parties du Nouveau Monde; il est déjà occupé, possédé et cultivé par une population agricole et souvent même sédentaire. Introduire dans un tel pays une population nouvelle, c’est y éterniser la guerre et y préparer la destruction inévitable des races indigènes. »
La France a tout fait pour rendre la population analphabète, les centaines de madrassa ou on y apprenait à lire, écrire en arabe ont été détruites. Les arrière-grand-pères savaient lire et écrire arabe ce qui n'a pas été le cas de leur descendance. On peut trouver un arrière-grand père né il y a plus de 150 ans, enseignant dans son village, et ses petits-fils analphabètes. La destruction des lieux d’enseignement, de l’école primaire à l’université, faisait partie intégrante des objectifs des colonisateurs, affaiblir les algériens en les rendant analphabètes pour longtemps, peut-être la pire des armes de destruction massive …
En guise de conclusion…et d’aveu
Le comte Le Hon,
rapporteur
de la commission d’enquête de 1869, reconnaît :
« C’est le régime
auquel les indigènes sont soumis qui les faits périr. »
Mon peuple a beaucoup souffert. Je pleure toutes les larmes de mon corps a chaque fois que je révise son histoire. Tous les aveux mentionnés dans cet article démontre la cruauté de la plupart des soldats français de l époque et la monstruosité avec lequel mes ancêtres ont été exécutés. Merci pour cet article.
Les luttes au sein du pouvoir algérien ont des racines historiques profondes. Dans un enchaînement de cycles couvrant la période qui va de la préparation du soulèvement du 1er novembre 1954 à la Révolution du 22 février 2019, avec en toile de fond des positions antagoniques sur des questions d’orientation idéologique, de choix stratégiques et d’hommes, ces luttes opposèrent les révolutionnaires de l’OS et du groupe des 22 aux militants légalistes du MTLD avant le 1er novembre 1954 ; les principaux chefs de l’insurrection à la direction élue par le congrès de la Soummam en 1956 ; les «militants en uniforme» de l’État-major Général de l’ALN au GPRA en 1961-1962 ; le ministre de la défense nationale, le colonel Houari Boumediène au Président de la République Ahmed Ben Bella, en 1965, le Haut Commandement de l’ANP au Président Chadli Bendjedid, après la suspension du processus électoral de 1991 ; et, enfin, le Président Bouteflika à une partie, puis à l’ensemble de l’Armée dirigée par le Général de Corps d’Armée, feu Ahmed Gaïd Salah, en 2019.
Avec « Le système politique algérien : formation et évolution (1954-2020) », Babr’Eddine Mili achève sa «trilogie politique» en dressant un état des lieux du pouvoir d’État, et propose de nouvelles pistes de lecture et de nouveaux éclairages de nature à mieux comprendre sa genèse, jusqu’à sa faillite le 22 février 2019.
📎"Les forces en présence – Pouvoir d’État et Mouvement populaire – pourront-elles, par une miraculeuse transgression des postulats de la géométrie, transformer les parallèles sur lesquelles elles évoluent, en ce moment, en diagonales qui se croisent pour imaginer une ère où plus rien ne sera comme avant ?...
L’échec d’une dynamique de convergence, encore introuvable, risquerait d’entraîner un grand gâchis. L’Algérie ne mérite pas que le réveil politique de son peuple finisse dans un cul de sac…"
Babr’Eddine Mili
📎Essayiste et romancier, Babr’Eddine Mili a fait partie de la première promotion de l’Université de l’Algérie indépendante où il suivit des études de Droit, en Sciences Politiques et en Sociologie. Cadre militant d’organisations estudiantines et syndicales, il occupa plusieurs postes de responsabilité au sein des médias et de l’État.
Préambule
Dans la violente offensive lancée en 2013 par Amar Saïdani, le Secrétaire Général du parti du FLN, contre le Chef du département renseignement et sécurité (DRS), le général de corps d’armée Mohamed Mediène, suspecté d’être derrière les révélations sur les scandales de corruption du proche entourage présidentiel et d’être rétif à l’idée de voir le Président Abdelaziz Bouteflika briguer un 4è mandat – on saura ce qu’il adviendra de l’un et de l’autre au printemps de 2019 –, l’argument massue qui revenait en boucle dans le discours officiel justifiant cet affrontement était la nécessité « impérieuse » qu’il y avait à instaurer, « enfin », un « État civil » en Algérie.
Cet État était appelé, d’après les projections esquissées par ses promoteurs, à rompre avec la prépondérance conservée par les militaires dans les institutions dirigeantes, après janvier 1992.
Le débat ouvert, dans un climat d’extrême tension, autour de cet enjeu, très disputé, devait – à son terme – décider qui, du Président de la République ou du chef du DRS, était le véritable détenteur de la prééminence suprême dans la direction des affaires du pays.
Le conflit se termina par le limogeage de ce dernier sans que rien ne soit venu ultérieurement confirmer la volonté des vainqueurs de l’épreuve de force – le Président appuyé par Ahmed Gaïd Salah, le Chef d’État-major de l’ANP – de réunir les conditions de l’émergence effective de l’État promis ; la révision constitutionnelle de 2016 n’ayant apporté aucun élément de droit, abondant dans ce sens, qui lui eut conféré de la consistance et du crédit, à part quelques réaménagements de pure forme relatifs à la justice, à la saisine du Conseil Constitutionnel et à la surveillance des élections.
L’unique enseignement fourni par le dénouement de ce qui s’avéra une opération de recentrage de la source de décision qui profita, du reste, autant à la Présidence qu’à l’institution militaire – mise davantage en cohésion au niveau de sa hiérarchie – fut de rappeler que ce clash ressemblait à tous ceux qui l’avaient précédé. Et comme eux, il n’allait à ce stade rien changer à la loi d’airain d’un rapport de force vieux de plusieurs décennies jalonnées par des crises à répétition qui mirent aux prises les civils et les militaires, l’une des constantes indiscutables de l’Histoire contemporaine de l’Algérie pré et postindépendance.
1. Une histoire très ancienne
Les luttes entre ces deux ailes du pouvoir algérien ont des racines historiques profondes.
Dans un enchainement de cycles fortement déstabilisateurs et couvrant la période qui va de la préparation du soulèvement du 1er Novembre 1954 à la Révolution du 22 février 2019, avec en toile de fond des positions antagoniques sur des questions d’orientation idéologique, de choix stratégiques et d’hommes, ces luttes opposèrent :
– les révolutionnaires de l’OS (Organisation Spéciale) et du groupe des 22 aux militants légalistes du MTLD avant le 1er Novembre 1954 ;
– Les principaux chefs de l’insurrection à la direction élue par le congrès de la Soummam en 1956 ;
– Les « militants en uniforme » de l’EMG (État-major Général de l’ALN) au GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) en 1961-1962 ;
– Le ministre de la défense nationale, le colonel Houari Boumediène au Président de la République Ahmed Ben Bella, en 1965 ;
– Le Haut Commandement de l’ANP au Président Chadli Bendjedid, après la suspension du processus électoral de 1991 ; un acte dénoncé par Abdelhamid Mehri, alors Secrétaire Général du parti du FLN, futur cosignataire de la Plate-forme de San’t Egidio, qui transgressa de façon spectaculaire les protocoles en usage au sein de « la Maison de l’Obéissance » ;
– Et, enfin, le Président Bouteflika à une partie, puis à l’ensemble de l’Armée dirigée par le Général de Corps d’Armée Ahmed Gaïd Salah, vice ministre de la Défense, Chef d’État-major, décédé en décembre 2019.
Avant de commencer à charrier, dans leur prolongement, des rivalités claniques et régionalistes et des ambitions personnelles, ces luttes tournaient durant la phase prérévolutionnaire autour d’idées politiques exprimées et défendues avec une certaine conviction.
De proclamation en révision, de contestation en redressement, elles prirent un autre sens dans les phases qui suivirent, et eurent pour motivation principale la volonté des premiers chefs de la Révolution de conserver en exclusivité la direction du FLN originel, au motif d’en préserver « la pureté », opposés aux « ralliés », leurs « compagnons de route » du Mouvement national – centralistes, udmistes, ulémistes et communistes – à chaque fois qu’ils les soupçonnaient d’ambitionner de partager le pouvoir, dans une position autrement que subalterne, ou de tenter de le « confisquer » à leur seul avantage, pour le dévier de son sens initial.
C’est sans doute la première signification qu’il conviendrait de donner à ces rapports conflictuels qui ont durablement marqué l’ensemble des stations du mouvement révolutionnaire et de l’État algérien restauré : de la création de l’OS et du CRUA aux évènements qui caractérisèrent, dans les conditions que l’on sait, la reconquête de la souveraineté nationale en 1962, en passant par le Congrès de la Soummam de 1956 – rectifié par la session du CNRA tenue au Caire en 1957 – le conclave des colonels réuni dans la capitale égyptienne en 1959, et le congrès de Tripoli convoqué et suspendu en 1962, dans la désunion et la confusion les plus totales.
2. Aux sources de la discorde
Afin de comprendre les ressorts de cette substitution – rampante puis brutale – du pouvoir des « militants en uniforme » au pouvoir des « militants civils », que certains acteurs mémorialistes ont voulu expliquer par la prévalence du terrain et par la nécessité de rectifier les déviations, il faudrait la rattacher à l’évolution, en dents de scie, qui fut celle du FLN du 1er Novembre jusqu’au congrès de Tripoli.
Dès sa création le 10 Octobre 1954, suivie de celle de l’ALN, intervenue quelques jours plus tard et signée par les mêmes chefs, le FLN connut une évolution ascendante illustrée, durant trois années, par une parfaite osmose entre les révolutionnaires politiques et les militaires, solidairement unis dans ce qu’on avait appelé « le nidham », l’Organisation fondée sur un consensus sans failles autour du contenu de la Proclamation.
Le Front se distingua au cours de cette période faste par une unité de pensée et d’action incontestée, malgré l’éparpillement territorial de ses forces et la faiblesse de ses moyens logistiques, avant de la voir s’étioler à l’amorce d’une courbe descendante qui donna à la fin des années 50 le coup d’envoi au dessaisissement d’une partie essentielle de ses prérogatives au profit d’une ALN transfigurée par son arrière – l’armée des frontières dérivée de la fusion des EMG Est et Ouest – qui, une fois bien installée, en 1960, étala ouvertement ses prétentions politiques hégémoniques.
L’équilibre entre les deux pôles de la Révolution était rompu, et les ingrédients explosifs d’une crise annonciatrice d’un nouvel ordre en marche réunis et mis en action au cours de l’été 62.
Les raisons qui expliquent cette évolution atypique sont à chercher, d’abord dans les différences de vision entre les principaux courants composant le Front, sur les questions de l’État à venir et de l’identité idéologique et patronymique des forces et des hommes candidatés pour le diriger, et dans d’autres, sous-jacentes, dont il faut tenir compte dans une analyse des éléments de fond éclairant, à posteriori, la perte de vitesse enregistrée par le FLN après le congrès de la Soummam, imputable à deux données sociologiques et politiques déterminantes :
– La première a trait à la place minoritaire occupée dans la société, et donc dans le FLN, par les élites qui n’ont pas pu dépasser les écarts existant entre leurs matrices sociales hétérogènes ainsi qu’entre leurs itinéraires formateurs – traditionnalistes/arabophones et modernistes/francophones – un écueil qui leur fit accepter, avec quelque résignation, la prise du commandement de la Révolution par la paysannerie, colonne vertébrale de l’ALN et classe qui a le plus pâti de la politique coloniale, d’autant que ces élites se sont vu reprocher d’avoir rejoint tardivement l’insurrection ;
– Le second élément qui joua dans l’enclenchement de ce processus est la mobilisation de ces élites dans la seule gestion diplomatique, doctrinale et administrative de la Révolution, qui les éloigna (physiquement) du centre de l’action militaire, surtout après la décision du CCE (Comité de Coordination et d’Exécution) de quitter Alger pour siéger à Tunis.
Le plus clair de l’encadrement supérieur du FLN fut versé dans l’action internationale et dans la rédaction des textes structurants du mouvement, des tâches qui l’accaparèrent longtemps sur les tribunes du non-alignement et de l’ONU et, aussi, dans les ministères du Gouvernement provisoire où il travailla à doter la cause nationale de vecteurs de communication – presse écrite et radiodiffusion – et à fournir au début de 1962, dans une position de porteur d’eau au service du triumvirat plutôt que de décideur autonome, aussi bien les dossiers que les effectifs d’experts de la délégation dépêchée à Évian pour négocier la fin de la guerre.
Acté au congrès de Tripoli, l’isolement définitif des élites civiles s’explique en effet par la distance qu’elles ont prise avec le champ de bataille militaire, entièrement contrôlé par les katibate de l’ALN, dont les chefs décidaient de tout – recrutement, logistique, collecte de fonds – empiétant sur les territoires des commissaires politiques et des moussabiline de l’organisation civile du FLN, placés de facto sous l’autorité des États-majors des wilayas, lesquels commençaient à se méfier de la Délégation extérieure jugée laxiste, surtout par rapport à ce qui allait devenir la pierre d’achoppement principale entre les deux parties : la difficulté des responsables installés au Caire et à Tunis à approvisionner le maquis en armes.
La marginalisation des politiques à une étape aussi cruciale de l’insurrection constitue au regard de l’Histoire des Révolutions un cas assez singulier pour ne pas être souligné, si l’on devait le comparer avec ceux des révolutions soviétique, chinoise, vietnamienne ou cubaine, dirigées – même si elles n’avaient pas été toutes anticoloniales – par des partis qui avaient fait respecter le principe de la subordination des militaires à la hiérarchie civile jusqu’à la victoire finale, et plus loin encore.
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Chapitre I : Le FLN et l’Armée de Libération Nationale [ALN]
I. Du 1er Novembre 1954 au 20 Août 1956
De sa création, sous cette appellation œcuménique, à sa transformation en parti au 4è congrès réuni en 1979, le FLN muta à quatre reprises. En vingt cinq ans, il passa du statut de Front révolutionnaire, au faîte de sa gloire qui fut le sien entre 1954 et 1956, à celui de Front explosé en 1962, entre groupe de Tlemcen et groupe de Tizi Ouzou, puis de Front populaire de gauche en 1964, redressé et réduit à la portion congrue d’Exécutif/Appareil en 1965, pour ressusciter en 1979, après le décès du Président Houari Boumediène, dans le costume de Parti/État contrôlé par l’armée et la Haute Administration qui décrétèrent sa déchéance, une fois emporté par la débâcle d’Octobre 1988.
Il cumula, aussi bien pendant la Révolution qu’après l’indépendance, toutes les vicissitudes, des schismes et des mises à mort aux retours « gagnants », préservé, quand même, après 1962, en dépit de ses avanies, comme vitrine, fond de commerce ou machine électorale par les différentes directions du pouvoir d’État qui n’ont à aucun moment rechigné, au nom de leurs intérêts, à utiliser son Histoire, son mythe, sa culture politique et ses chevaux de Troie, toujours aussi « fascinants », selon ses militants, même dans les phases de reflux et de crucification les plus noires qu’il connut.
La séquence qui va de la Proclamation du 1er Novembre 1954 au Programme de Tripoli de juin 1962 fut, pour lui, aussi longue qu’éprouvante, à cause, d’abord de la guerre fratricide que lui livra le MNA à ses débuts, et dont il faudra un jour dresser l’effroyable bilan humain et, dans une autre mesure, à cause de la terrible répression coloniale, avec son hécatombe de morts, de disparitions et d’arrestations et, aussi, ses règlements de comptes internes qui ont lourdement impacté le fonctionnement, le rendement et la stabilité de ses effectifs et de son encadrement.
Il est possible de diviser cette séquence en deux temps forts :
– Le premier correspond à la prédominance des civils, et à sa tête, incarnée par les six, une direction partiellement reconduite, avec des modifications, par le congrès de la Soummam, congrès de l’élargissement et de la synthèse ;
– Le second coïncide avec leur éviction du cercle de la décision par « les militants en uniforme », laquelle fut entièrement consommée par leur mise sous tutelle au congrès de Tripoli, congrès de la double option du parti unique et de la voie de développement socialiste.
A ces étapes succéderont après l’indépendance deux autres, au contenu et aux implications organiques et institutionnelles tout à fait opposées : celle du gouvernement de l’État par le parti et celle, consécutive au « réajustement » du 19 Juin 1965, qui imposa le gouvernement du parti par l’État, en attendant les suivantes qui lui feront subir les misères de son immersion dans le multipartisme, magiquement gommées par un retour en force sous le mandat de Abdelaziz Bouteflika, son Président d’honneur.
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II. De la synthèse de la Soummam aux schismes du Caire et de Tripoli
Évènement capital dans l’Histoire de la jeune Révolution algérienne, le congrès de la Soummam, par les participants qu’il a réuni, les textes qu’il a rédigé, les décisions qu’il a prises et les répercussions politico-militaires qu’il a eu, fut et continue d’être le premier et unique congrès du FLN à avoir été, aussi longtemps et aussi longuement, analysé et commenté, parce qu’il a, d’un avis général, apporté à la problématique de la lutte de libération – dans ses portées politiques et institutionnelles, nationales et internationales – des réponses neuves, audacieuses et adaptées aux exigences du contexte de l’heure et du long terme.
1. Les participants
Les congressistes de la Soummam, pour rappel : Ben M’Hidi, Abane, Krim, Zighout, Bentobbal, Benaouda, Ouamrane, Dehiles…, étaient des dirigeants qui se connaissaient bien, grandis dans le creuset du PPA-MTLD dont ils avaient vécu les moments durs, des massacres du 8 Mai 1945 et de la crise berbériste de 1949 à l’implosion du parti, encore vivaces dans leur conscience.
Venus d’horizons sociaux voisins, ils étaient porteurs de la diversité des cultures et des langues de leur peuple ; mais par-dessus tout, de ses fortes aspirations communes, ils étaient déterminés à transformer les professions de foi théoriques de la Proclamation du 1er Novembre en actes fondateurs d’une nouvelle réalité politique, sociale et morale de l’être national algérien.
Il serait présomptueux de vouloir sonder, rétrospectivement, leurs états d’âme et de chercher à connaître les intentions et les ambitions qu’ils nourrissaient secrètement pour le mouvement ou pour eux-mêmes. De telles informations, si elles avaient été disponibles, auraient bien sûr permis d’éclairer, pour les besoins de la vérité historique, certains aspects des décisions qu’ils avaient prises, les désaccords et les non-dits qui les avaient sans doute entouré.
Ce qui peut cependant être tenu pour certain, c’est que ces hommes, « ni anges ni démons », étaient des pragmatiques dont on aurait pu tout penser sauf qu’ils n’avaient pas les pieds sur terre. Comment, autrement, s’y seraient-ils pris pour énoncer, proposer, débattre et adopter des textes chargés d’autant de cohérence et de sens de la prévision ?
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Chapitre II : Le FLN et l’Armée Nationale Populaire [ANP]
I. Du gouvernement de l’État par le Parti au gouvernement du Parti par l’État
L’édification de l’État algérien indépendant sur un territoire aux frontières géographiques sans précédent et dans le cadre d’une République continuatrice de l’État révolutionnaire post-Soummam et refondatrice de l’État de la Résistance de 1830 occupa de 1962 à 1978 deux tranches de temps dominées par deux conceptions de gouvernement que tout opposait.
La première (1962-1965) fut baptisée gouvernement de l’État par le Parti, et la seconde (1965-1978) peut être qualifiée de gouvernement du Parti par l’État.
1. Le gouvernement de l’État par le Parti
Ce type de gouvernement, que la Charte d’Alger actualisa en 1964 en l’infléchissant d’une façon très prononcée dans le sens voulu par l’aile gauche du parti, n’avait rien à voir avec un choix circonstanciel, il découlait de l’option du parti unique entériné par le Congrès de Tripoli qui avait reconduit, sur ce point précis, l’orientation orthodoxe de la Révolution, conservée intacte malgré les conflits de personnes qui l’avaient longtemps malmené.
Ce ne fut donc pas par hasard que le néo-FLN, né de l’alliance entre « les militants civils » de la vieille souche recomposée et « les militants en uniforme », a été investi à ce congrès – sur la base d’un quorum contesté – de la mission de jeter les premiers jalons de cet État ; et que sa Direction, instruite des postulats relatifs à sa filiation historique, s’interdisit en cet été 1962 de procéder à toute passation de pouvoirs avec l’ex-puissance coloniale, ni directement, avec son représentant officiel – Paul Delouvrier – ni indirectement, avec l’Exécutif provisoire présidé par Me Abderahmane Farès, l’ALN ayant fermement repoussé la proposition de traiter avec le commandement de la Force Locale le déploiement de ses unités sur le territoire national.
Les premières décantations
En prenant de facto le contrôle du pays, au lieu et place du GPRA, ce FLN là, détenteur d’un pouvoir délégué par les militaires, n’avait pas entièrement achevé la mue qu’on lui connaîtra quelques mois plus tard, occupé à apurer rapidement les comptes de l’après-Tripoli et à gérer, avec prudence, les alliances utiles à la demande de l’étape, au gré d’un opportunisme politiquement intéressé. Il commença par se défaire de Mohamed Boudiaf et de Hocine Aït-Ahmed qui contestaient la légitimité de sa Direction, puis des « trois B », traînant le grief d’avoir négocié les Accords d’Évian, à minima, et, enfin, des dirigeants de l’ex-Fédération de France et des chefs des wilayas II et IV, réputés anti-EMG et pro-GPRA.
Une fois le noyau de la Direction « assaini », il passa au deuxième cercle, les ulémistes de Cheikh Bachir El-Ibrahimi et Cheikh Kheireddine, ancien membre influent du CNRA, réduits au silence, précédés par les communistes, interdits d’activités partisanes. Les seuls alliés, provisoirement épargnés par ce délestage, furent les udmistes et leur chef Ferhat Abbas, qui fit partie du groupe de Tlemcen, sans que l’on sache exactement les motifs réels qui l’y poussèrent, mis à part les démêlés qu’il eut avec les « 3B », du temps où il présidait le Gouvernement provisoire.
Cette épuration avait un sens politique, sans doute débattu en interne, qui donnait à penser qu’il exprimait le souhait des pionniers indépendantistes de renouer avec les racines et l’esprit du PPA-MTLD considérés comme le vivier de l’encadrement de leur formation, le plus fidèle et le plus sûr, dont ils auraient besoin, en temps voulu, pour concrétiser leur projet de gouverner l’État par un parti réincarné, débarrassé des « compagnons de route » et des « militants en uniforme » devenus encombrants.
Ces décantations ramèneront au devant de la scène du parti une constellation de dirigeants : Ben Bella, Khider, Ben Alla, Mahsas… anciens membres de la matrice, de quoi légitimer une organisation qui fonctionnera sous cette identité jusqu’à ce qu’elle mute, en décidant de devenir un parti d’avant-garde, le prélude à l’éloignement de Mohamed Khider, Secrétaire général, favorable à une organisation du type parti de masse.
Sous ce nouvel habillage de parti populaire de gauche, qui ne sera accepté qu’après avoir reçu l’onction de la Charte d’Alger, adoptée par un congrès dit de la « Clarification » portant la griffe des marxistes, le FLN se prit à penser sérieusement pouvoir reprendre le leadership, perdu au profit de l’armée, et se réapproprier la totalité du pouvoir en s’en affranchissant.
Ahmed Ben Bella, « Le Frère Militant », leader charismatique, ami de Khroutchev, Nasser, Nehru, Chou-En-Laï, Tito, Castro, N’krumah, Sékou Touré… crut, avec l’appui d’une coalition rassemblant les travailleurs, les paysans, les étudiants, les jeunes, les femmes et leurs syndicats, être en mesure de renverser la tendance du rapport de force Parti-ANP et de remettre en course ce qui restait de l’ancienne aile révolutionnaire du MTLD – parée des couleurs socialistes – dans le processus en cours ; une projection qui aurait pu tenir la route, dans le contexte international ambiant, si le resurgissement des vieux démons de la messalisation de l’exercice du pouvoir ne l’amena à commettre les mêmes erreurs fatales que le leader indépendantiste et à subir le même sort, après s’être enfermé dans la tour d’ivoire d’un culte de la personnalité qui le perdit.
Avant d’en arriver à cette inattendue bifurcation de son Histoire, le FLN s’était fixé trois tâches classées prioritaires : l’élection d’une Assemblée Constituante, la formation d’un gouvernement – chose faite le 29 Septembre 1962 – et la préparation d’un congrès prévu pour le reconstruire, sous le même sigle, dans une configuration élaguée, libérée de la subordination à l’ANP. La réalisation de ces tâches était considérée comme le préalable à toute action visant à mettre en place les fondations de l’État et à sauver un pays où tout revêtait le caractère de l’extrême urgence et de l’absolue nécessité, tant les ravages causés par la guerre avaient généré une situation de besoins à satisfaire toutes affaires cessantes.
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II. Du Parti/État au multipartisme
Le 4è Congrès du FLN, prévu du vivant du Président Boumediene à la fin de 1978, n’eut lieu qu’en janvier 1979, après le décès de celui auquel furent réservées, en présence de nombreux Chefs d’État et de gouvernement étrangers et d’un peuple éploré, de grandioses funérailles mises au point par le Directeur des services de renseignements, Kasdi Merbah, le Chef de la 5è région militaire, Mohamed Benahmed Abdelghani, futur Premier ministre du Président Chadli Bendjedid, et Abdelmadjid Allahoum, Directeur du protocole à la Présidence de la République.
Les forces visibles qui « pesaient » à ce moment-là sur l’échiquier national avaient laissé entendre que les assises du Parti allaient donner lieu, selon les vœux du Président Boumediene nouvellement élu à la tête de la République le 10 décembre 1976, à une véritable « Révolution » dans la gouvernance du pays. Mais personne n’était en mesure de dire en quoi elle consisterait, ni ce qu’elle serait censée devoir ou pouvoir changer.
Les acteurs de la scène politique, aussi bien que les observateurs algériens et étrangers, informés des grincements répétés de la machine économique et sociale, n’ignoraient cependant pas que face aux vents mauvais annoncés par les contre-performances de la Révolution agraire et le désengagement de la bourgeoisie d’État qui ne jouait plus le jeu en s’alliant à la bourgeoisie privée remontée à la surface, le Président comptait bien assainir l’appareil corrompu de l’Administration et de l’Économie où sévissaient ses adversaires les plus coriaces.
L’écho de cette annonce – ni confirmée ni infirmée par une source crédible – n’était amplifié dans l’opinion que par les cercles proches de la coordination du Parti, l’Union nationale de la Jeunesse Algérienne de Mohamed Bourzam et l’Union nationale des paysans algériens de Aïssa Nadjem, auxquelles on avait prêté une envergure disproportionnée par rapport à leur poids politique réel.
Aussi, lorsque les 3.300 congressistes se retrouvèrent installés sur les travées de la Coupole du 05 Juillet – certains scandant des mots d’ordre pro-socialistes – peu nombreux étaient au courant du scénario déjà écrit par les officiers supérieurs de la sécurité militaire, aux termes duquel Chadli Bendjedid avait été désigné candidat à la succession du Président Houari Boumediene à la place de Yahiaoui, Bouteflika et Bencherif qui briguaient les suffrages des huit survivants du Conseil de la Révolution, l’un se prévalant d’un testament que le Président défunt aurait laissé, les autres de leur compagnonnage militaire avec lui.
La surprise des partisans de la rupture avec les anti-socialistes essaimés dans les centres de décision de l’État d’où avait été expulsé, plus tôt, Kaïd Ahmed, opposé à la Révolution agraire, fut totale. Non seulement ils n’eurent pas droit à la « Révolution » qu’ils tenaient pour acquise, mais essuyèrent une défaite qui entama sérieusement, et la solidité du socle du socialisme – option officielle de l’État – et l’assurance de ses dirigeants, à commencer par Mohamed Salah Yahiaoui, invité après l’invalidation de sa candidature à céder le poste qu’il occupait à la tête du Front.
Les résolutions qui en signifièrent en filigrane le rejet furent adoptées à main levée, au pied d’un portrait géant représentant au dessus de la tribune du congrès le Président Houari Boumediene vêtu de son burnous noir et surmonté d’une légende prêtant – en décalage avec la dynamique en marche – le serment de fidélité du Parti à sa personne et à son œuvre.
Élu Secrétaire Général du « Parti du FLN » – la nouvelle appellation du Front – Chadli Bendjedid, commandant de la base de l’Est pendant la Révolution, colonel, chef de la 5è puis de la 2è région militaire après l’indépendance, membre du Conseil de la Révolution de 1965 à 1978, fut choisi par le congrès candidat unique aux élections présidentielles du 7 février 1979 au titre « d’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé ».
Président, il gardera le pouvoir durant le même nombre d’années (13 ans) que son prédécesseur, remplissant trois mandats, le premier (1979/1984), employé à détricoter l’héritage boumediéniste, le second (1984/1988), à restructurer l’économie en prévision d’une libéralisation rappelant l’Infitah du Président égyptien Anouar Essadate, et le dernier (1988/1992), à instaurer le multipartisme, aussitôt dévié de son cours par ses promoteurs comme par ses bénéficiaires, dirigeants du pouvoir d’État et Partis d’opposition confondus.
1. Le FLN, Parti de l’armée
Le FLN, sevré de congrès pendant 14 ans, sort en ce mois de janvier 1979 d’une longue traversée du désert et renoue avec un rendez-vous statutaire qui accouche, contre toute attente, de l’antithèse de « la Révolution » espérée par « les socialistes ». Ce que les « militants en uniforme » n’avaient pas jugé nécessaire d’entreprendre après Tripoli et après le 19 Juin, mettant du champ avec le Parti, séparé théoriquement de l’armée par une cloison hermétique, le Président Chadli Bendjedid le fit admettre.
Autant le Président Houari Boumediene avait dédaigné la direction du Parti – la confiant à des adjoints, Chérif Belkacem, peu rompu à ce genre de fonctions, et Kaïd Ahmed, ex-militant de l’UDMA – parce qu’il estimait ne pas être un politicien, lui le chef militaire, exclusivement dévoué à la construction de l’État, autant le Président Chadli Bendjedid, qui ne s’embarrassait pas trop de la règle établie par son ancien responsable, s’empara, à l’exemple d’Ahmed Ben Bella, du Secrétariat Général du parti, qui lui sembla être le meilleur piédestal pour s’assurer les pleins pouvoirs.
N’étant pas comme Houari Boumediene le chef incontesté de l’ANP, il ne lui avait pas échappé que ses pairs, qui avaient appuyé sa candidature, pensaient qu’étant « Président par défaut » il serait plus maniable et, peut-être même éphémère à une charge qu’il avouera dans ses mémoires n’en avoir jamais voulu.
Cette donnée en mains, il se révéla, à l’expérience, sous un jour inattendu : habile manœuvrier ; derrière des dehors de pater familias, il réussit là où le sérail avait cru pouvoir limiter son rayon d’action. Il prit celui-ci de vitesse par un renversement de rôles, qui au final n’avait pas du tout déplu. Il fit entrer au Bureau politique et au Comité Central, dès le congrès de 1979, tous les cadres dirigeants de l’armée, une tendance confirmée au congrès extraordinaire et au 5ème congrès qu’il convoqua pour neutraliser durablement ses adversaires et asseoir un pouvoir dont il se servit pour amorcer un virage surprenant dans le gouvernement du Pouvoir d’État.
Durant une décennie, jusqu’au retrait de l’institution militaire de la gestion politique du pays en 1989, siégèrent, majoritairement, aux plus hautes instances du FLN, les officiers supérieurs, certains élevés plus tard au grade de général : Belhouchet, Belkheir, Kasdi Merbah, Abdelghani, Guenaïzia, Gheziel, Zerguini, Benyellès, Chelloufi, Hadjerès, Alleg, Latrèche, Lakhal Ayat, Lamari, Nezzar, Touati, Belloucif, Hamrouche, Abdelhamid Brahimi, Larbi Si Lahcène, Salim Saâdi, Rouis… aux côtés des civils : Mehri, Taleb, Benyahia, Belaïd Abdeslam, Boualem Benhamouda, Lakhdiri, Hadj Yala, Benhabylès, Rahal, Messaoudi Zitouni, Bessaïeh, Goudjil, Bouhadja, Chibout, Ghozali, Bouhara, Djeghaba, Belkacem et Mohamed Nabi, Bouzbid…, et d’une nouvelle vague de responsables, recrutés dans les courants conservateurs de la politique et des organisations de masse : Belkhadem, Benmohamed, Othmane Saâdi, Kharoubi, Djilali Afane Guezzane, Mostefa Hachemaoui, Larbi Zoubeïri, Mohamed Abada, Larbi Ould Khelifa, Hasbellaoui, Baki, Gherieb… cohabitant, pour faire équilibre, avec les syndicalistes : Mouloud Oumeziane, Abdellah Demène Debbih, Tayeb Belakhdar… et des militants et militantes formés dans les structures de base du parti et des organisations des paysans, des jeunes et des femmes : Ali Amar, Ghazali, Belayat, Bounekraf, Benfreha, Alioui, Z’hor Ounissi, Leïla Tayeb, Fatma Laoufi, Hamdadou, Cheriet, Hama Chouchane, Bachir Khaldoun, Bourzam, Bouchama, Laroussi… et de nouveaux arrivants, technocrates : Abdelhak Brerehi, Abdelaziz Khellaf, Mohamed Rouighi, Driss El-Djazaïri, Ahmed Metatla, Mourad Medelci…
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Chapitre III : La scission du FLN et l’avènement du RND
1. Le RND, « l’alternative néo-nationaliste »
Le Rassemblement National Démocratique (RND) fut, le 21 février 1997, l’un des derniers partis à recevoir son agrément, à l’antépénultième phase de l’ouverture politique de 1989. A peine entré en activité, il remporte les élections législatives organisées en juin de la même année par Liamine Zeroual, confortablement élu à la Présidence de la République, deux ans auparavant.
La rapidité avec laquelle le montage du Parti fut finalisé et le caractère miraculeux de la victoire (156 sièges sur 350) qui lui remit les clefs de l’Exécutif, alors que ses militants finissaient tout juste de quitter le FLN, jetèrent le trouble au sein de l’opinion et de la classe politique et firent douter de la régularité du scrutin.
Cette suspicion qui n’en finit pas de coller à la réputation du RND fit passer au second plan la question de sa gestation, dans le temps où il était aussi important de chercher, à savoir où il a pris racine, pourquoi il a été constitué, et en quoi il aurait été « le Parti de l’alternative néo-nationaliste », l’enseigne sous laquelle ses premiers co-promoteurs l’étrennèrent.
Les antécédents historiques
L’évènement en soi n’aurait pas prêté à conséquence s’il n’avait pas concerné le Parti artisan de l’indépendance nationale, victime d’un parricide, d’après ses militants restés fidèles, une des causes du profond ressentiment nourri à l’égard des auteurs de ce « coup de force ».
Plusieurs antécédents analogues enregistrés par l’Histoire des partis algériens, pré et post-indépendance, et également de partis maghrébins, s’étant soldés, pour les uns, par la disparition de la souche-mère et, pour d’autres, par la cohabitation entre l’ancienne et ses dérivées, confirment qu’effectivement de tels « accidents » survenus dans la vie organique de formations partisanes ne devraient être pris que pour ce qu’ils sont et signifient dans le contexte politico-social qui les vit surgir.
– De l’éclatement du MTLD, par exemple, aux congrès d’Hornu et d’Alger en 1954, aucun résidu de la formation génitrice ne subsista et personne n’en entendit parler, autrement que comme d’un fait d’Histoire.
– Après l’indépendance, le Parti Communiste Algérien, interdit, se disloqua, remplacé par plusieurs succédanés (PAGS, Ettahadi, MDS, PLD et PLDS) qui déclarèrent tous être les légataires exclusifs de son patrimoine historique.
– L’interdiction du FIS s’accompagna de la mise en service d’une demi-douzaine de fausses répliques formatées pour ne pas pouvoir en reconstituer le génome, et celles qui s’y essayèrent collectionnèrent des redressements en série dont elles traînent encore les effets.
– Au Maghreb, plusieurs partis eurent à vivre, avant et après l’indépendance, des expériences de divorce quasi-identiques.
– En Tunisie, le Néo-Destour, prit en 1934 la relève du Destour de Abdelaziz Thaâlbi, sous l’impulsion de Habib Bourguiba, décidé à recourir à la violence armée pour libérer le pays, puis à ouvrir le dialogue avec l’Administration du Protectorat que la bourgeoisie tunisienne recommandait dans sa recherche d’un compromis sur une indépendance par étapes.
Le Néo-Destour qui embrassa le socialisme en 1964, sous le nom de Parti Socialiste Destourien, s’effaça à son tour en 1988 devant le Rassemblement Constitutionnel Démocratique du Président Zine El-Abidine Ben Ali, lequel fut dissous par la Révolution de 2011, laissant le champ libre à Nidaâ Tounès du Président Béji Caïd Essebsi, lui-même éclaté entre plusieurs tendances : Tahya Tounès de Youcef Chahed et Qalb Tounès de Nabil Karoui, les deux candidats malheureux à l’élection présidentielle de septembre 2019.
– Au Maroc, l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP) quitte, en 1959, le Parti de l’Istiqlal de Allal El-Fassi, à l’initiative de Mehdi Ben Barka, leader de son aile gauche, une aile qui se muera au nom du socialisme et de la démocratie en Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), prise en mains par Abderahim Bouabid, un de ses chefs historiques anti-Makhzen.
On voit bien, à ces quelques exemples illustratifs des convulsions qui peuvent affecter la vie organique des partis arrivés à la croisée des itinéraires des forces qui les composent, du fait de mutations sociologiques, de conflits idéologiques et de stratégies de pouvoir, que l’apparition du RND dans le champ politique algérien n’avait rien d’exceptionnel.
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2. Le RND, de l’éradication à la réconciliation nationale et du « patriotisme économique au « néo-libéralisme »
Jamais dans l’Histoire de l’Algérie indépendante, des formations politiques dirigeantes n’ont personnifié autant que le FLN et le RND la lente érosion du caractère national, populaire et social de l’État. Le RND prit une part importante dans cette régression incarnée par les gouvernements qu’il présida de 1997 à 2019, lesquels furent accusés par Abdelhak Benhamouda, avant son assassinat, d’avoir été infiltrés par les « harkis ».
L’orientation que son chef Ahmed Ouyahia avait retenue, à sa première nomination par le Président Zeroual, différait de celle des gouvernements de Belaïd Abdeslam et Redha Malek, qui s’étaient attaqué aux causes de la banqueroute du pays, l’un par un programme « d’économie de guerre » avorté par les lobbies pro-français, l’autre par la négociation avec les créanciers de l’Algérie sabordé par les holdings financiers internationaux.
Le Président Liamine Zeroual était arrivé au pouvoir avec deux promesses : vaincre le terrorisme et relancer l’économie. Il s’attela à réduire l’islamisme armé en s’appuyant sur l’ANP et la résistance populaire, et à ramener la paix en définissant les principes et les modalités dans la loi sur la « Rahma » qui exclu tout compromis avec « les mercenaires, les traitres et les criminels aux mains tâchées de sang ». Il comptait également enclencher rapidement le redémarrage de l’économie, considéré comme la condition du tarissement des sources du terrorisme et de la reconstruction de la cohésion sociale.
Le RND, dont on se rappelle à quelles visées sa création avait obéi, s’appropria ces deux objectifs soumis à une lecture éradicatrice. Il en assortit l’application, entre 1995 et 1999, de justifications politico-sécuritaires qui s’efforcèrent de faire accepter la fatalité de l’éradication puis, brusquement, en prit le contrepied après l’adoption de la loi sur la réconciliation nationale du Président Bouteflika, à laquelle il apporta ses suffrages, revirement que le parti transforma en constante qui le fit surfer, à partir de là, et selon les circonstances, d’une vague à l’autre, à propos de plusieurs autres questions.
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Chapitre IV : Le retour « gagnant » du FLN (1999/2019)
1. Une réhabilitation au forceps
A la fin de cette année 1998, le parti du FLN se relevait péniblement de la scission qui le frappa. Tous les signaux de son tableau de bord avaient viré au rouge : la plupart de ses cadres, et une bonne partie de sa base, avaient été aspirés par le RND. Les soutiens dont il bénéficiait de la part du pouvoir réel lui furent retirés, et ses bassins traditionnels au sein de l’Administration se tarirent. Associée à des scores électoraux défavorables, cette mise en quarantaine l’avait désespéré d’une possible résurrection dont il voyait mal d’où elle viendrait.
La démission du Président Liamine Zeroual et l’entrée en lice de Abdelaziz Bouteflika le réveillèrent, brutalement, de sa prostration. L’occasion était trop belle pour être ratée. Il se souvint avoir été le parti de l’ancien ministre des affaires étrangères bien qu’il l’ait exclu, en 1980, de son Comité central. Il voulait malgré tout y croire en s’accrochant à l’espoir que représentait la nomination à la direction de campagne du candidat de Ali Benflis, un de ses rares anciens ministres à lui être resté fidèle. Il lui déclara aussitôt allégeance, en attendant une réaction favorable.
Son retour « gagnant » lui parut dépendre d’une seule probabilité : que s’opère une jonction miraculeuse entre son impatience à prendre sa revanche contre les auteurs de sa descente aux enfers et une meilleure disposition, à son égard, du futur Président dont il connaissait les analyses sur la crise de 1991 et les réserves sur le RND qu’il avait réprouvé en raison de « ses liens » avec les services de renseignements.
2. Les enjeux
Malgré son ressentiment, Bouteflika Président avait besoin du FLN en prévision d’un face-à-face avec l’armée qu’il savait inéluctable à une échéance plus ou moins lointaine. Il lui fallait avoir sous la main un appareil politique en mesure, le moment venu, de lui prêter main forte, à la condition qu’il fut réhabilité et domestiqué.
Le FLN n’était pas au mieux de sa forme et devait être remis en état, et au plus vite. Aussi, la première tâche qu’il s’assigna fut de stopper l’hémorragie qui l’avait vidée de ses effectifs. Il en ouvrit les portes aux membres des comités de soutien qui animèrent sa campagne avec Amar Saïdani, un syndicaliste qui fera bientôt une irruption fracassante sur la scène politique et institutionnelle.
Comme il savait y faire pour arriver à ses fins, il nomma Mohamed Chérif Messaâdia à la Présidence du Conseil de la Nation, en remplacement de Bachir Boumaza, et porta au secrétariat général du Comité central son ancien Directeur de cabinet à la Présidence, Ali Benflis, après l’avoir nommé, en août 2000, suite à la démission d’Ahmed Benbitour, à la charge de la chefferie d’un gouvernement où il fit entrer de nouvelles figures : Karim Younès, Abdelmadjid Attar, Zineddine Youbi, Boutheïna Cheriet, Fatiha Mentouri et Abdelkader Sellat qui siégèrent aux côtés de ses fidèles : Noureddine Yazid Zerhouni, Abdelaziz Belkhadem, Abdelatif Benachenhou, Chakib Khelil, Mourad Medelci, Djamel Ould Abbas, Tayeb Belaïz, Abdelkader Messahel, Tayeb Louh, Dahou Ould Kablia recrutés dans l’Ouest algérien, sa région d’origine, comme ses conseillers Abdelatif Rahal et Boualem Bessaïeh.
Les choses ainsi agencées se présentèrent pour le parti du FLN sous de meilleures auspices. Mises en phase avec les intentions déclarées du nouveau Président, elles débouchèrent sur la remodulation progressive des rapports de forces entre le FLN et le RND réinsérés, en compagnie du MSP, dans la même Alliance, en service du temps de l’ex-Président Zeroual.
Le plan d’attaque sembla avoir été parfaitement mis au point. Le Président tenait enfin le volant qui allait l’aider à exécuter une feuille de route réduite à un seul point : entamer, mieux armé, une longue guerre d’usure contre l’institution militaire, le FLN ayant regagné son ancien rang de leader à la faveur des élections législatives de 2002 qui déclassèrent le RND. Dans cette combinaison qu’il avait assez habilement conçu, du point de vue tactique, une seule chose lui manqua : une bonne connaissance de la psychologie des hommes qui l’entouraient.
A défaut d’avoir fait montre de cette qualité, Bouteflika vit s’écrouler à ses pieds le laborieux échafaudage qu’il crut avoir réussi à monter. Le parti lui fit faux bond, en présentant contre lui Ali Benflis à une présidentielle censée avoir été préparée pour lui dérouler le tapis rouge d’un second mandat qui coulait de source. On sut que le parti avait agi ainsi à « l’invitation » du général de corps d’armée, chef d’État-major de l’ANP, Mohamed Lamari, opposé à la réélection d’un Président qui ne dut son repêchage, à la dernière minute, qu’à la caution du général Mohamed Mediène et à « la justice de nuit », qui invalida l’investiture accordée par le parti à son candidat.
Cette première manche, qui opposa la Présidence à l’ANP pour le contrôle d’un parti qui hésitait entre deux tutelles, se termina sur un score de parité. En dépit de son habilité tactique, le Président n’était pas parvenu à faire admettre totalement son autorité au parti et l’ANP, divisée au sommet, qui échoua à remettre sous sa coupe une formation qu’elle avait pourtant fait imploser et qui était revenue sous les feux de la rampe pour se venger d’elle, avec l’aide intéressée d’un Président ambitieux et retors.
[…]
Chapitre V : Les limites historiques d’une gouvernance sous tutelle
Arrivée à son terme, cette étude qui s’est fixée pour but d’identifier les véritables acteurs et de reconstituer les processus de production de la décision politique au sein du système algérien, s’est employée à cerner la part de réalité et la part de fiction du pouvoir dont le FLN et son clone le RND sont supposés avoir été ou être détenteurs sous l’autorité, ou non, de l’Institution militaire.
L’analyse portant essentiellement sur le parcours et les relations du FLN avec l’ALN, puis avec l’ANP, et menée sur une période de 65 années, a montré, en réponse à l’hypothèse de travail posée, que la Révolution et l’État se sont bel et bien organisées et construits dans le contexte des luttes que « les militants civils » et « les militants en uniforme » se sont cycliquement livrées, jusqu’à ce que l’Institution militaire finisse par faire reconnaître son hégémonie pleine et entière.
Il a été en même temps établi, en remontant le cours des décantations intervenues dans le mouvement indépendantiste, que ces luttes portèrent la marque des divergences entre les légalistes du MTLD et les révolutionnaires de l’OS sur les voies et moyens de libérer le pays du colonialisme et, par extension, sur ceux relatifs à la construction de l’État national post indépendance.
1. Causes et conséquences de l’ascendant pris par l’armée sur le FLN
Ce n’est qu’après que le FLN se fut constitué en rassemblement des forces acquises à l’engagement militaire que ces luttes s’exacerbèrent, ainsi qu’on l’a vu, sous l’effet de l’élargissement de la base sociale et politique de la Révolution posant la question de savoir, face à la multiplication des prétendants à sa direction, quelle était la force la plus « légitime » à en assurer le commandement.
La paysannerie, principale base de recrutement de l’ALN, fit valoir son leadership en arguant de sa position de classe, qui a le plus longtemps résisté à la conquête coloniale et payé le plus lourd tribut à l’occupation, écartant de toute responsabilité centrale ses « compagnons de route », soumis à partir de 1959 à un examen probatoire perpétuel.
L’ascendant pris par l’ALN sur les « militants civils », aussi bien fondateurs que ralliés, créera à l’intérieur du mouvement insurrectionnel un rapport de forces irréversible qui investira l’Armée dans le rôle de gardien de la Révolution et, après l’indépendance, de tuteur de l’État qu’elle dirigera, directement ou par procuration, après en avoir jeté les fondations, le dotant, à chaque étape de son développement, de référents idéologiques et politiques conformes à sa conception messianique du Pouvoir.
Aussi, le statut et les fonctions qui furent assignés au FLN dans les régimes d’après 1962 le continrent dans les limites d’un simple appareil d’approbation et d’ampliation des directives politiques arrêtées par les décideurs de l’Armée.
[…]
Conclusion : Le mouvement du 22 février : le peuple, l’armée et la nouvelle république
Le Mouvement du 22 février – trans-classes, trans-partis et trans-générations –, né de l’élan d’un peuple lancé à la reconquête de sa dignité et de son Histoire confisquées, a en quelques semaines complètement ébranlé les fondations du système, en défaisant la coalition politico-financière qui l’avait asservi, occupant la scène politique en tant qu’acteur principal, et accompagné dans un premier temps par l’Armée Nationale Populaire.
1. Le peuple
Le peuple a cessé d’être cette quantité négligeable soumis à la gouvernance sous tutelle où n’étaient concernés que les institutions et les partis du pouvoir d’État et, accessoirement, l’opposition.
En une année, sa Révolution pacifique, qui a refusé d’être baptisée du nom des couleurs et des fleurs des « Printemps » arabes et européens, a abattu plusieurs pans de la forteresse du régime, déchu son chef, récusé ses partis, reporté deux élections présidentielles, et envoyé en prison ses intouchables.
Le frère conseiller de l’ex-Président, l’ancien chef du DRS et son successeur, deux chefs du gouvernement, une vingtaine de ministres, dont celui de la justice, des généraux de l’Armée, le Directeur Général de la Sûreté Nationale, quatre chefs de parti, dont deux du FLN, des sénateurs, des députés, une douzaine d’hommes d’affaires parmi les plus puissants du pays, des walis, des directeurs généraux de banques, des cadres supérieurs de ministères ; au total, une centaine de hiérarques ont été écroués, et pour certains jugés et condamnés à de lourdes peines pour des actes de gestion d’une extrême gravité.
D’un autre côté, près de deux cents hauts responsables centraux et locaux exerçant dans les rangs de l’ANP, des services de sécurité, de la Présidence et des structures gouvernementales ou à la tête d’entreprises stratégiques comme la SONATRACH, ont été démis de leurs fonctions dans une opération de « nettoyage » de l’appareil de l’État d’une envergure sans précédent dans l’Histoire de l’Algérie indépendante.
Inattendu par ses adversaires, qui pensaient avoir cassé ses ressorts, le peuple est revenu à la politique avec une force d’une amplitude et d’une durée qui dépassent de loin celles de ses autres irruptions dans l’Histoire.
Le mouvement auquel le peuple tout entier donna naissance a déclaré ne pas avoir vocation d’être un parti politique. Il ne dispose, en effet, ni d’une organisation ni d’une direction, choisissant d’être une force de pression compacte, fédérée par les réseaux sociaux, charriant toutes les blessures, les humiliations et les frustrations subies de par une gouvernance dont il découvre aujourd’hui, au-delà de ce qu’il pouvait imaginer, la face cachée souillée de crimes épouvantables.
Les mots d’ordre qu’il décline, chaque semaine, dans ses marches, ne se réfèrent ni à un programme ni à des orientations élaborées ; sa revendication unique demeurant la rupture avec le « Système », sous toutes ses formes, et dans tous ses compartiments, de la base au sommet.
[…]
Au lieu de s’abimer dans des opérations de replâtrage, qui ont montré leurs limites, le pouvoir d’État aurait mieux à faire. Il a entre les mains une chance historique de jeter des passerelles en direction de la révolution du peuple, qu’il qualifie de « bénie », et avoir le courage de se remettre en question, en revenant à la source : la souveraineté populaire.
Cela aura, au moins, le mérite de la clarté et facilitera le balisage des nouvelles routes que la révolution a ouvert devant le pays. La marge de manœuvre est très étroite, mais il n’y pas d’autres choix que de s’y engager.
Bien sûr que le départ du système ne saurait s’opérer du jour au lendemain, par la grâce d’un coup de baguette magique, face à des réseaux dormants certes, surpris par l’effet bourrasque du Mouvement populaire qui a décapité les tours maitresses de leurs forteresses, mais encore actifs, résolus à défendre leur survie par tous les moyens.
Le processus de changement profond exige du temps, de l’endurance, de l’audace, un grand sens du sacrifice et la vertu du dialogue, car les pesanteurs sociologiques et les résistances politiques qui entravent l’avancée de la société se nourrissent d’un conservatisme tenace, dont il serait illusoire de croire qu’on pourrait s’en défaire en un tour de main, dans un laps temps très court.
En dépit des manœuvres dilatoires, de la répression et des arrestations, le mouvement populaire maintient la pression pour faire évoluer les rapports de force que les nouvelles autorités semblent être tentées d’établir, en estimant possible de « stabiliser » une situation « dépassable » grâce à des « réformes » dont elles attestent qu’elles atténuent l’acuité de ce qu’elles considèrent toujours comme une crise passagère.
Les forces en présence – Pouvoir d’État et Mouvement populaire – pourront-elles, par une miraculeuse transgression des postulats de la géométrie, transformer les parallèles sur lesquelles elles évoluent, en ce moment, en diagonales qui se croisent pour imaginer une ère où plus rien ne sera comme avant ?
L’échec d’une dynamique de convergence, encore introuvable, risquerait d’entraîner un grand gâchis. L’Algérie ne mérite pas que le réveil politique de son peuple finisse dans un cul de sac…
«Quand le Chenoua met son chapeau, il pleuvra à Marengo. » Comprenez : « Quand le mont Chenoua est recouvert de nuages, il pleuvra à 13 km de là, à Marengo », petite cité côtière algérienne, qui a conservé son nom colonial. Ce proverbe, Abdallah Bendaoud, la quarantaine volubile, le chante, en bon Chenoui qu'il est, ardent défenseur de cette tribu berbère du mont Chenoua (1), un mont haut d'à peine 905 mètres, recouvert de thuyas, d'arbousiers aussi touffus que des lauriers ou encore de lavande, « la montagne qui sent bon », dit le jeune écolier Idir.
Masse verdoyante qui se reflète dans l'eau si bleue, situé face aux ruines de Tipasa, tant célébrées par l'écrivain Albert Camus qui aimait de là plonger dans la Méditerranée, le mont n'a pas été épargné lors des terribles années 1990. Il ne faisait pas bon alors y flâner, les « terros », nom donné aux groupes armés islamistes, s'y cachant et les forces de l'ordre y patrouillant sans cesse, après avoir brûlé des zones pour éviter tout maquis. Le souvenir de la présence française est toujours là puisque l'armée algérienne s'est réinstallée sur la base construite avant l'indépendance, en haut du mont, pour mieux surveiller la Méditerranée. « Heureusement, s'exclame Abdallah Bendaoud, les deux grottes préhistoriques découvertes du temps des Français n'ont pas été abîmées, même si elles ont servi de cache. On y avait découvert sous la colonisation un poignard en bronze datant de 12 000 ans avant J.-C., exposé à Alger au Musée national du Bardo. »
Ici, tout le monde se souvient de ces cinq villageois de Beldj égorgés sur le versant nord, à quelques mètres du sommet, non loin d'un petit marabout renommé, visible par beau temps depuis les ruines de Tipasa, et censé par son côté sacré protéger les villageois, comme le proclamait la tradition. Le versant sud-ouest non plus n'a pas été épargné : à Draa-Legvenin (« la colline du lapin », en berbère), plus de six personnes ont aussi été assassinées. Des villages se sont vidés de leurs habitants par mesure de sécurité. Encore aujourd'hui, ils sont à moitié peuplés, la confiance n'étant pas totalement revenue. Mais Abdallah n'est pas peu fier de pouvoir prendre en voiture la route circulaire, longtemps interdite. Il chante dans le dialecte chenoui, si poétique, dérivé du berbère, glorifiant « son » mont : « L'olivier et le figuier croissent en toi/Les airs de la forêt et des champs sont tes essences guérisseuses/... »
Ici, en contrée berbère, « les femmes sont plus libres qu'ailleurs », note-t-il fièrement. Il montre un groupe de jeunes filles, les unes voilées, les autres non, riant aux éclats, qui se promènent sur la corniche au pied du mont, non loin de baraquements abandonnés par l'armée française après l'indépendance et transformés aujourd'hui en maisons individuelles. Elles sont seules, sans que personne ne mette en doute leur conduite. Abdallah tient à mettre en avant ce particularisme-là en terre d'islam. « On veut montrer, estime-t-il, une seule et même image de la musulmane. Chez les Chenouis, la femme va aux champs sans qu'un frère, un mari ne l'accompagne. Un peu sur les hauteurs, il y a même un marché chaque lundi, le marché des femmes. Je ne sais à quand remonte cette tradition ! J'ai toujours connu cela », ajoute-t-il. Sans crainte, Ania et Anissa, la première mariée, la deuxième célibataire, vendent sur le bord de la route des poteries artisanales, celles que font depuis des siècles les femmes du mont Chenoua, un art transmis de génération en génération par les grands-mères et les mères. Elles expliquent dans un français approximatif comment elles « mélangent de l'argile, de l'eau, des tessons de céramique », mortiers de terre cuite, qu'elles transforment en amphores immenses, assiettes, plats creux. Certains sont faits à l'ancienne, de couleur naturelle, grège, ornés de motifs légers, comme des dessins au henné ; d'autres sont noirs, colorés d'immenses fleurs, essentiellement bleues et roses, aux longues et fines tiges. « Ainsi va la mode, disent Ania et Anissa, j'aime tant dessiner les fleurs et je serais bien incapable de quitter mon mont Chenoua », s'exclame Ania. Plus discrète, Anissa, elle, a néanmoins les yeux rêveurs : « Partir, pourquoi pas ? Mais où ? questionne-t-elle. Est-ce que vous croyez que mes poteries pourraient plaire ? »
FICATIER Julia
Les Berbères en Algérie
En Algérie, la communauté berbère représente environ 10 millions de personnes. Cette communauté se répartit en plusieurs groupes : les Kabyles, les plus importants, les Chaouis, les Chenouis et les Mozabites, tous avec un parler berbère légèrement différent. Depuis plus de trente ans, les Berbères d'Algérie se battent pour que le berbère, le tamazight, devienne une langue officielle comme l'arabe. Jusqu'ici, le président Bouteflika y a opposé un refus, répétant que l'arabe est la seule langue officielle de l'Algérie.
Découvrez dans ce premier épisode un personnage hors-normes. Homme d’affaires digne des grands tycoons d’aujourd’hui, Messaoud Zeghar est un illustre résistant algérien aux méthodes inédites et l'Homme de l’ombre du Président Houari BOUMEDIENE pour les dossiers diplomatiques sensibles.
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