J’ai naturellement regardé ce film documentaire qui passait dimanche 3 novembre sur France 5. Il est fait de nombreux témoignages d’appelés, ils furent quelque deux millions, qui ont participé à la guerre d’Algérie. Je connaissais, ne serait que par internet, certains des protagonistes qui s’expriment dans les séquences. C’est le cas de Stanislas Hutin, d’Albert Nallet, de Jean-Claude Carrière. J’avais eu l’occasion d’entendre ou de lire plusieurs des anecdotes qui sont rapportées.
J’ai identifié certaines situations que j’ai personnellement vécues, encore qu’elles aient été diverses suivant l’époque où on a été incorporé, le lieu où l’on s’est trouvé, l’affectation qui était la nôtre. Personnellement je n’ai jamais été exposé et si j’ai entendu cinq fois des coups de feu, j’étais loin et une fois ce n’était qu’une fausse alerte.
Par contre j’ai reconnu la description de la misère ambiante qui était le lot des autochtones. Ce dont j’ai souffert c’est, outre l’éloignement des miens, de l’institution militaire qui ne m’a pas fait de cadeau.
Il était patent que nous débarquions, pour moi à Oran le 3 mars 1960, dans un pays dont les caractéristiques étaient différentes de ce qu’elles étaient chez nous même si sur la jetée du port une inscription annonçait ICI LA FRANCE ! Il y avait d’ailleurs une monnaie spécifique !
Les phases de déprime qui vous gagnaient, pouvant aller jusqu’au suicide de l’appelé, faisaient partie du paysage. Il faut dire qu’on avait les moyens de mettre aisément à exécution un tel projet. Le candidat à cette fin n’avait pas nécessairement besoin d’enlever le câble qui retenait les armes dans le râtelier !
Eh oui à 20 ans les besoins affectifs pour parler en termes châtiés ne pouvant être, vu le contexte, satisfaits on était dans un état de manque. Je ne prétends pas que nous aurions fait des avances à une chèvre vêtue d’un tablier à fleurs mais je n’en suis pas loin ! Quant au BMC (Bordel Militaire Contrôlé) je ne l’ai vu passer, sans avoir utilisé ses services, qu’une fois dans le cantonnement où je suis resté 14 mois.
Le film décrit le déroulement des principaux épisodes de la guerre. Il m’a paru faire l’impasse sur quelques faits marquants. Le fait que de Gaulle ait prononcé le mot d’autodétermination en septembre 1959 a généré la semaine des barricades à Alger en janvier 1960. C’était le début du divorce entre la France officielle et les nostalgériques.
Par contre a été décrit avec exactitude le refus des appelés du contingent de suivre les généraux félons lors de leur tentative de putsch en avril 1961. De même a été développée l’attitude de l’OAS après la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, avec le drame de la rue d’Isly le 26 mars qui a suivi. Une carence encore, le rôle déterminant qu’ont été les événements de Charonne le 8 février 1962 et les obsèques des victimes qui ont hâté la fin de la guerre.
J’ai vécu la journée du 19 mars 1962 à Géryville et j’y ai été confronté à une situation singulière, le refus de certains d’accepter ce qui venait d’être signé et en conséquence une fusillade qui a fait une dizaine de morts et de nombreux blessés parmi les Algériens qui manifestaient leur satisfaction de la fin de la guerre et la perspective de leur indépendance.
Il est fait état de la position de ceux qui ne sont d’accord ni avec les objectifs de la guerre menée en Algérie ni des méthodes employées par l’armée française. C’est fréquent chez les chrétiens même si tel colonel ne manque pas d’aller à la messe alors qu’il assiste à des séances de torture !
En fait celui qui s’oppose ouvertement prend des risques et peu ont été les soldats du refus. La résistance à la logique de la guerre a dépendu par ailleurs du niveau de conscience auquel l’appelé avait eu accès avant son incorporation. Ceci étant chacun était à la merci de l’action psychologique que l’institution exerçait sur la troupe et la tendance était de reporter sur plus faible que soit ce que l’on subissait.
De ce point de vue la guerre d’Algérie a été un catalyseur efficace pour favoriser le racisme qui a cours aujourd’hui. On est dans le même registre avec la crise sociale que nous vivons.
Je ne crois pas avoir défailli mais il est vrai que j’ai participé à cette guerre à un moment où les consciences sur sa nature et sur les chances de solution militaire avaient évolué. De plus mes convictions en la matière étaient solides. Il est vrai toutefois que la violence a continué jusqu’à la veille du cessez-le-feu et même après mais ce n’était plus l’armée qui était en cause.
Au passage on a relevé l’intervention d’un militant de l’OAS qui a estimé que cette organisation criminelle continuait dans la même perspective que ce qu’avait fait l’armée française pour maintenir un système, à l’évidence foncièrement injuste, qui durait depuis 132 ans. Comme l’a conclu Jean-Claude Carrière nous n’avons pas gagné cette guerre mais notre défaite a été la victoire contre le colonialisme et les tares qui étaient les siennes.
http://cessenon.centerblog.net/6573438-algerie-la-guerre-des-appeles
Livre :
Les commentaires récents