Le président ukrainien a limogé tous les responsables des centres de recrutement, face à des critiques de plus en plus nombreuses sur le fonctionnement de l’armée.
KyivKyiv (Ukraine).–« À la guerre comme à la guerre. » L’expression n’aurait pas pu être plus représentative des premiers mois de l’invasion russe en Ukraine, quand les troupes étaient aux portes de Kyiv et que les bombes pleuvaient sur le pays entier. Le 24 février, il fallait s’organiser vite, quitte à donner des armes dans la rue aux dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui se pressaient devant les bureaux de recrutement militaires.
Un an et demi plus tard, les candidats sont moins nombreux. « Ceux qui voulaient se battre sont déjà sur le front », souffle Iouri, un gradé dont le prénom a été changé car il n’est pas autorisé à parler. La contre-offensive éreintante lancée début juin par l’Ukraine pour libérer ses territoires occupés fait beaucoup de blessés et de morts. Les chiffres sont tenus secrets par l’état-major ukrainien pour éviter de communiquer les pertes à l’ennemi.
Sur le front, la contre-offensive patine. Face aux lignes défensives construites depuis des mois par les Russes, les troupes ukrainiennes ont revendiqué le 16 août quelques gains à l’est et au sud. À l’est, la bataille pour Bakhmout continue de faire rage. La ligne de front se stabilise depuis quelques mois, et permet au sein de la société ukrainienne et du commandement une réflexion sur l’organisation de cette nouvelle armée qui compterait jusqu’à 1,5 million de soldats.
En bruit de fond, de nombreux activistes et militaires commencent à questionner le fonctionnement opaque et parfois arbitraire de cette institution. En janvier déjà, une affaire de détournement de fonds destinés à la nourriture des soldats avait ébranlé le ministère de la défense. Plusieurs officiels avaient été limogés.
Face aux accusations de corruption, Volodymyr Zelensky tente de donner des gages à l’opinion publique. L’ex-comédien a ainsi annoncé vendredi 11 août le renvoi de tous les responsables régionaux des bureaux de recrutement, remplacés par des soldats blessés qui ne peuvent plus combattre.
« Le système devrait être dirigé par des personnes qui savent ce qu’est la guerre, et qui savent que le cynisme et la corruption pendant la guerre relèvent de la haute trahison », a déclaré le président ukrainien. Près de 112 procédures pénales ont été ouvertes contre 33 suspects dans des centres de recrutement.
5 000 dollars pour échapper à l’armée
Depuis des mois, des dizaines de cas de corruption pour échapper au service ont été rapportés par la presse ukrainienne et les parquets locaux. À Odessa, le chef du bureau régional, Yevhen Borisov, est poursuivi pour enrichissement illégal et abandon de poste. Il encourt jusqu’à dix ans de prison. Il aurait acheté en décembre 2022 une villa en Espagne pour 4,4 millions d’euros, bien au-delà de ses revenus déclarés.
Selon l’enquête, le militaire prenait jusqu’à 5 000 euros par tête en échange de faux certificats médicaux d’exemption au service. Une personne peut éviter la mobilisation pour des raisons de santé, si elle a trois enfants ou si elle aide un proche en situation de handicap. Les conditions ont été durcies en juin, il faut désormais prouver qu’on est le seul proche à s’occuper de la personne.
« La décision de Zelensky sur le recrutement arrive trop tard. C’est une décision populiste et rapide pour contenter l’opinion », confie Vladislav à Mediapart par téléphone. Ce militaire, dont le prénom a été changé, a travaillé plusieurs mois dans un centre de recrutement de l’ouest du pays après avoir été dans le Donbass pendant des mois.
« Tout le monde sait qu’il y a de la corruption. En 1997, quand j’ai fait mon service militaire, c’était déjà ces centres qui s’occupaient du recrutement. La seule différence, c’est que pour échapper à l’armée, il fallait payer 100 dollars à l’époque. Aujourd’hui, c’est 5 000 », rapporte le soldat.
Des milliers de personnes pourraient y avoir recours, selon lui. « Ce sont des millions d’euros qui sont donnés par les familles en bakchichs et qui pourraient servir dans l’armée, s’insurge Vladislav. Le problème, c’est que tout le système est basé sur le modèle soviétique. Les réformes qu’il y a eu en Ukraine ces dernières années ne se sont faites que par petites touches et ne résolvent pas le problème de la corruption systémique. »
En 2014, au moment de l’annexion de la Crimée et du début de la guerre au Donbass, l’armée ukrainienne en déliquescence s’est en effet appuyée sur les institutions existantes héritées de l’URSS. Si plusieurs changements ont été opérés dans la structure même de l’armée pour se conformer aux exigences de l’Otan, la question du recrutement est passée entre les mailles du filet.
« La société ne fait pas confiance à ces commissariats militaires », ajoute Iouri, qui travaille au commandement après plusieurs mois sur le front. Il souligne les problèmes de ressources humaines de l’armée. « Les bons combattants vont donc voir directement les unités qui les intéressent et certains services se retrouvent avec des gens inaptes physiquement. » Plusieurs médias avaient aussi dénoncé des violences dans ces centres de recrutement, notamment dans celui d’Odessa : des hommes pris dans la rue et amenés de force au bureau militaire, ce qui est illégal.
Loi favorable aux soldats
« Il n’y a pas de bonne solution ici, car même s’ils changent les chefs au niveau régional, les chefs au niveau local qui doivent remplir les quotas sont encore là », explique sous couvert d’anonymat un avocat qui aide des militaires à défendre leurs droits. « Ces gens-là sont là depuis des décennies, ils sont gradés. On sait très bien que s’ils sont envoyés au front, ils seront dans les bases arrière. Mais dans tous les cas, c’est une bonne chose que des vétérans blessés prennent leur place. Ils prendront de meilleures décisions. » Comme toutes les personnes interrogées, l’avocat met en avant la difficulté de faire des réformes, alors que le pays doit faire face sur son territoire au conflit le plus intense en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
« Ce n’est pas l’armée qui est critiquée, mais les méthodes soviétiques et certaines structures sont par essence encore soviétiques », estime l’avocat. Les commissions médicales qui déclarent aptes au service les candidats après le recrutement ou bien les militaires après une blessure sont ainsi dénoncées depuis quelques mois.
Dans la région d’Odessa, un homme de 29 ans qui vivait avec un handicap depuis l’enfance est mort d’une crise d’épilepsie, un jour après avoir été recruté. La commission médicale l’avait déclaré apte à servir. L’examen, selon sa mère, a duré moins de 20 minutes. Une enquête a été ouverte pour homicide.
En parallèle de la lutte anticorruption, le président ukrainien a introduit fin juin une loi favorable aux militaires, avec des augmentations de salaires. Désormais, les soldats qui se battent sur les points les plus chauds du front seront payés de 700 à 2 500 euros par mois. Les congés annuels passent de 10 à 30 jours par an, avec en plus 10 jours de congé possibles pour raisons personnelles.
Cette loi met également en place un entraînement d’un mois obligatoire pour les nouvelles recrues avant tout envoi au front. Ces nouvelles dispositions préparent un peu plus la société à une guerre longue.
L’armée israélienne a mené pendant 48 heures à Jénine son opération militaire la plus étendue depuis la deuxième intifada, avec aviation et chars, jetant sur les routes plus de 3 000 Palestiniens. Pourtant, cette guerre ne suscite que peu de réactions internationales, contrairement à la mobilisation permanente en faveur des Ukrainiens. Ce double standard mine le discours sur l’universalité du droit international.
D’après le dernier comptage de l’ONU daté du 5 juin 2023, la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine, pays de 44,9 millions d’habitants a fait, depuis son déclenchement le 24 février 2022, 24 425 victimes civiles, principalement ukrainiennes : 8 983 personnes ont été tuées, 15 442 ont été blessées. Il s’agit d’une guerre odieuse que rien n’excuse, cela va sans dire, mais encore mieux en le disant. Et c’est bien ainsi que la perçoivent la presse et les médias français et occidentaux, qui depuis plus d’un an la retransmettent jour après jour en direct, dans ses moindres développements.
C’est bien ainsi, également, que la présente Emmanuel Macron, chef de l’État français, qui ne reste jamais plus de quelques jours sans redire, par-delà quelques tergiversations, son plein soutien à l’Ukraine, au diapason des autres leaders européens et américain. S’il y a tout lieu de se féliciter de cette sollicitude, on peut tout de même regretter que d’autres guerres, tout aussi odieuses, ne bénéficient pas de la même attention constante et soutenue. Et qu’une fois encore, l’invocation du droit international soit à géométrie variable.
QUI A LE DROIT DE RÉSISTER ?
C’est le cas, notamment, de celle, interminable, que l’armée israélienne mène depuis de longues années contre les populations de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, où vivent environ 5,2 millions d’habitants dont le seul tort est, semble-t-il, d’exister. La comparaison n’a rien de saugrenu : il existe, par-delà leurs caractères propres, des similitudes entre ces deux situations. Mais leur traitement est pour le moins très différencié.
Ainsi, quand Vladimir Poutine instrumentalise de manière éhontée le souvenir de la seconde guerre mondiale, durant laquelle les Soviétiques ont payé un immense tribut, pour justifier son invasion de l’Ukraine en prétextant qu’elle aurait pour objectif de « dénazifier » ce pays, cette manipulation scandaleuse soulève à juste titre une réprobation générale. Mais lorsque le gouvernement israélien se livre à des trucages similaires en soutenant que les protestataires qui se mobilisent contre la répression des Palestiniens sont des antisémites nostalgiques de la Shoah, il trouve des complices comme Emmanuel Macron pour décréter qu’en effet, l’antisionisme — dont nul n’ignore, par ailleurs, qu’il peut parfois dissimuler de véritables haines racistes — serait, par définition, un antisémitisme.
Car décidément, les menées coloniales et guerrières à bon droit jugées intolérable en Ukraine sont, tout au rebours, communément et facilement admises lorsqu’elles sont le fait du gouvernement israélien. Cela se voit aussi dans l’attention portée — ou pas — aux victimes de ces exactions.
DES MORTS QUI NE COMPTENT PAS
Selon Kiev, « au moins 485 enfants ukrainiens » ont été tués depuis le début de l’invasion russe. Ce bilan effroyable soulève une indignation légitime, et les auteurs de ce massacre sont regardés à juste titre comme d’infréquentables bourreaux. Mais cette indignation est encore une fois à géométrie très variable. À la toute fin de l’année 2008, l’opération « Plomb durci » contre la bande de Gaza durant laquelle l’armée israélienne a commis selon l’ONU des « actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité » avait fait 1 315 morts palestiniens, dont 410 enfants.
Cinq ans plus tard, à l’été 2014, une nouvelle attaque contre Gaza, l’opération « Bordure protectrice » au cours de laquelle l’armée israélienne a, selon Amnesty International « violé les lois de la guerre en menant une série d’attaques contre des habitations civiles, faisant preuve d’une froide indifférence face au carnage qui en résultait » a tué, d’après le décompte effectué par l’ONU, 1 354 civils palestiniens, dont, de nouveau, plusieurs centaines d’enfants.
Pourtant, le gouvernement israélien n’a pas été mis au ban des nations. Aucune sanction n’a été adoptée contre lui. Fort de l’impunité qui lui est ainsi garantie, il continue à tuer. Dans les territoires palestiniens occupés, 230 personnes ont été abattues par les « forces de défense » israéliennes ou par des colons en 2022. Et dans les cinq premiers mois de l’année 2023, « l’armée israélienne a déjà ôté la vie à plus de 161 Palestiniens », selon l’agence Médias Palestine. Le 19 juin 2023, 6 Palestiniens, dont 5 civils parmi lesquels se trouvait un adolescent de 15 ans, ont encore été tués dans un raid de l’armée israélienne à Jénine, en Cisjordanie.
BANALES PÉRIPÉTIES
Les médias français ont très rapidement évacué ce qu’ils considèrent donc comme une banale péripétie ; rien qui puisse les détourner des « directs » journaliers consacrés jour après jour à la guerre de Poutine en Ukraine. Le 20 juin, Le Monde consacrait tout de même un édifiant article à cette information passée largement inaperçue : « Le gouvernement israélien fait un pas important vers une annexion de la Cisjordanie »1.
Mardi 28 mars, les députés français ont adopté par 168 voix contre 2, une résolution reconnaissant le caractère génocidaire de la famine planifiée de 1932-1933 que les Ukrainiens appellent « Holodomor » : « l’extermination par la faim ».
« Nul ne peut nier la réalité du crime » mais « s'agissait-il d'exterminer le peuple ukrainien en tant que tel ? », s'est interrogé le député Bastien Lachaud qui, avec ses amis insoumis, ont préféré s’abstenir. Des communistes ont été les seuls à avoir voté contre. « Nous refusons de contribuer à la politisation des enjeux de mémoire et d'histoire », a expliqué le député Jean-Paul Lecoq.
On doit à la vérité de rappeler, comme l’a fait l’incontournable historien français de l’URSS Nicolas Werth, que des chercheurs, de plus en plus minoritaires (Robert Davies, Stephen Wheatcroft), « minimisent les spécificités nationales, rejettent fermement la qualification de génocide attribuée au Holodomor et plaident pour une approche de la famine comme un « phénomène complexe », non intentionnel… ».
C’est vrai, mais depuis 1980, après l’ouvrage magistral de Robert Conquest, Sanglantes moissons, les travaux convergent de plus en plus sur des certitudes. La thèse de la « famine intentionnelle » de type génocidaire s’impose très largement. Dans son Que sais-je ?, Les grandes famines soviétiques(1), Werth met d’ailleurs à jour ces conclusions en s’appuyant sur les derniers travaux.
Sur l’ampleur vertigineuse du désastre démographique et de la mortalité d’abord : une béance de 4,5 millions d’hommes et de femmes. Soit une surmortalité de 3,9 millions et un déficit de naissances de 600 000. La surmortalité due à la famine est très concentrée : de 250 000 environ en 1932, elle explose au cours des sept premiers mois de 1933 (jusqu’à la récolte) au cours desquels elle s’élève à 3 250 000 – soit plus de 450 000 morts par mois, 15 000 par jour – avant de retomber fortement à partir d’août (250 000 décès supplémentaires entre août et décembre 1933). En 1934, la surmortalité est de 150 000.
À la question : cette « catastrophe » est-elle due à la seule brutalité aveugle inhérente à la collectivisation stalinienne ou relève-t-elle de la volonté de briser les reins des paysans d’Ukraine, mais aussi le sentiment national ukrainien fut il porté par les communistes eux-mêmes, Werth est très net. Il cite à l’appui les décisions politiques de Staline, de Molotov, de Kaganovitch multipliant les prélèvements des dernières semences alors qu’ils savent que la famine explose : « L’approfondissement des connaissances sur la famine qui a frappé l’Ukraine en 1932-1933, résume Werth, met clairement en évidence sa singularité. Les mécanismes politiques et la chaîne des responsabilités ayant conduit à la famine, puis à son aggravation intentionnelle à partir de l’automne 1932, sont aujourd’hui bien établis »
Les lecteurs le plus anciens se souviendront peut-être du dissident soviétique Victor Kravchenko qui dans son best-seller mondial, J’ai choisi la liberté, racontait comment les équipes de gros bras dont il était, arrachaient aux paysans leurs derniers sacs de grains…. (2)
Pour compléter la dimension « intentionnelle » aux fins d’épuration sociale (liquidation des koulaks) et nationale de la famine planifiée, on lira aussi le chapitre terrifiant « famines soviétiques » de l’immense livre de l’historien américain Timothy Snyder, Terres de sang. (3)
« Rafal Lemkin, le juriste international qui devait inventer plus tard le mot génocide, voyait dans le cas ukrainien, rapporte Snyder, « l’exemple classique du génocide soviétique ». Le tissu de la société rurale ukrainienne s’en est trouvé éprouvé, tendu, déchiré. Quand ils n’étaient pas morts, les paysans ukrainiens furent humiliés, éparpillés dans les camps. Ceux qui survécurent ne purent se défaire du sentiment de culpabilité et d’impuissanc, voir de souvenirs de collaboration et de cannibalisme. Des centaines de milliers d’orphelins d’Ukraine furent élevés pour devenir des citoyens soviétiques … » Rien ne change vraiment …
En adoptant cette motion mardi dernier, les députés français, salués d’ailleurs par le président ukrainien Zelensky, réparent un peu la prestation de Édouard Herriot, l’ex-Président du Conseil des ministres français et chef du parti radical. Herriot qui accepta en effet en août 1933 une invitation officielle en Ukraine dont il traversa en train de joyeux « villages Potemkine » reconstitués. Tout le centre de Kiev fut également nettoyé, pourvu de boutiques achalandées en produits qui n’étaient pas à vendre. Un gigantesque trompe l’œil riant et coloré tout au long de son voyage en « terre de sang et de famine » !
Le terme d’ « idiot utile » est faible pour caractériser le rôle pathétique joué par notre compatriote Herriot. Lui qui gouta un excellent caviar en passant par Moscou. Lui qui déclarait à la presse française à son retour avec les gigatonnes d’aplomb que confèrent la sincérité : « Lorsqu’on soutient que l’Ukraine est dévastée par une famine, permettez-moi de hausser les épaules […]. J’ai traversé l’Ukraine. Eh bien ! Je vous affirme que je l’ai vue tel un jardin en plein rendement !
Début janvier 2023, l’oligarque russe Evguéni Prigojine libérait d’anciens détenus russes ayant combattu en Ukraine sous la bannière du groupe Wagner, sous sa direction, en leur prodiguant quelques conseils atypiques : « Ne buvez pas trop, ne vous droguez pas, ne violez pas les femmes »[1]. Immortalisés en une vidéo loin d’avoir été tournée en caméra cachée, ces mots devaient faire le tour des rédactions et plateaux de médias du monde entier.
Celui qui se fait surnommer le « cuisiner de Poutine » pour sa longue carrière de restaurateur dans l’orbite du Kremlin n’en était pas à sa première prise de parole publique. L’été précédent, l’homme d’affaires faisait le tour des prisons russes pour encourager les détenus à s’engager pour une durée de six mois auprès de la « société militaire privée Wagner »[2], se targuant de pouvoir, au contraire de « Dieu et Allah », « faire sortir » les prisonniers vivants. Sous réserve de ne pas déserter, de ne pas se rendre et, non des moindres, de ne pas mourir au front, les condamnés devaient retrouver leur liberté une fois leur contrat rempli. Après plusieurs mois d’hostilités avec Kyiv et des années à nier tout lien avec la PMC (private military company) Wagner, le gouvernement russe accordait sa confiance à Evguéni Prigojine, lui-même ancien détenu, pour regarnir les rangs des combattants en Ukraine au moyen de recrutements express parmi les repris de justice, dont les premiers engagés devaient être délivrés en janvier.
Au-delà de leur dimension volontiers provocatrice, les propos du fondateur de Wagner en disent long. Un tel avertissement témoigne du caractère systémique des dérives et exactions des groupes militaires privés, à l’heure où ceux-ci connaissent une nouvelle jeunesse.
Le groupe Wagner, avatar russe de la privatisation contemporaine de la guerre
Qu’est-ce la tchastnaïa voïennaïa kompania « Wagner » ? À l’heure où la privatisation de la guerre, phénomène ancestral, entre dans une phase marquée par le brouillage des distinctions entre public et privé ou entre mercenariat et prestation de services de sécurité, et au vu du silence longtemps entretenu par la Fédération de Russie au sujet de cette entité, l’interrogation est de rigueur.
Le mercenariat serait, de parole de l’un de ceux qui l’ont pratiqué au siècle dernier, le « deuxième plus vieux métier du monde »[3]. Ces mots de Bob Denard, marin français passé au service de nombreux États post-coloniaux dans les années 1960 à 1980, ne sont pas sans exactitude, en cela que le plus ancien exemple documenté de recours d’un État à des troupes étrangères remonte a minima au XIXe siècle… avant notre ère, lorsque le pharaon Sésostris III employa des guerriers venus du Soudan, de Palestine et de Syrie[4]. On en trouve de nombreux exemples chez les Grecs ou les Perses de l’Antiquité, attestant de l’existence dès cette période du trinôme de la relation mercenariale, entre un client, un entrepreneur et un employé en armes[5]. Les routiers du Moyen Âge, les bandes armées des condottieri dans l’Italie du XVe siècle et les gardes suisses qui constituent aujourd’hui encore l’armée du Vatican sont autant d’exemples de la permanence, à travers les siècles, de la pratique consistant à confier à des acteurs privés, souvent mais pas systématiquement étrangers aux parties en conflit, des missions d’ordre militaire.
Moment charnière dans l’histoire de la privatisation de la guerre, la guerre de Trente Ans (1618-1648) mobilise essentiellement des troupes mercenaires, qui passent régulièrement du service d’un souverain à celui d’un autre, et qui tendent à s’en prendre au pays traversé lorsqu’elles ne sont plus employées ou que le paiement se fait trop attendre. La conclusion de ces trois décennies d’hostilités avec les traités signés dans les villes de Münster et Osnabrück, en Westphalie, par de nombreux États européens a semblé marquer une rupture dans l’ordre international, actant a priori la souveraineté de chacun d’eux en excluant l’intervention d’acteurs extérieurs dans leur gouvernance interne.
Si les armées levées par la suite ont un caractère « national » sensiblement plus poussé que par le passé – une idée à relativiser étant donné l’émergence tardive du concept d’État-nation et des nationalismes – en cela qu’elles emploient de moins en moins de sujets étrangers, des soucis d’économie favorisent néanmoins le maintien d’un système semi-entrepreneurial, celui de la vénalité des charges, où l’officier paie et entretient sa propre compagnie dont la responsabilité lui a été confiée par l’État, privatisant ainsi les coûts[6]. Dans le même temps, les chartered companies, compagnies privées habilitées par les États européens de l’époque moderne, au moyen d’une charte écrite, à coloniser le Nouveau Monde et à y commercer[7], poursuivent leur expansion. La paix de Westphalie représente néanmoins une étape dans le temps long du rejet des mercenaires du champ de la guerre juste. Plus tard, l’essor de l’État-nation, étroitement lié à la conscription en vigueur dans bien des pays aux XIXe et XXe siècles, achève de reléguer le mercenaire au rang de guerrier vénal, d’un autre temps, ennemi de tous et rejeté par l’opinion publique.
L’ordre international dit westphalien, reposant théoriquement sur la souveraineté de chaque État, en vient, à l’époque contemporaine, à l’élaboration de traités multilatéraux dans lesquels la problématique du mercenariat n’est pas absente. Les conventions de Genève de 1949, portant notamment sur la question des blessés, malades et prisonniers de guerre, sont ainsi enrichies en 1977 d’un protocole qui, entre autres dispositions, exclut de ce dernier statut les mercenaires, et leur dénie la qualité de combattants[8]. Ce texte de droit international définit comme mercenaire toute personne non membre des forces armées d’une « Partie au conflit »[9], « spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé » en prenant « une part directe aux hostilités », « essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie », sans être ressortissant d’une « Partie au conflit » ni résident sur son territoire, ni « envoyée par un État autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État ». Ce texte est doublé, la même année, d’une Convention sur l’élimination du mercenariat en Afrique, texte à portée régionale adopté par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) alors que le continent est en proie, depuis plus d’une décennie, à une forte présence de mercenaires étrangers, notamment ceux qui, sévissant au Katanga – dans l’actuelle République démocratique du Congo -, se font appeler les « Affreux ».
Finalement, en 1989, l’ONU se saisit de la question en adoptant une Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires. La démarche, qui se veut multilatérale, a toutefois ses limites : le texte n’entre en vigueur qu’en 2001 et ne compte, à ce jour, que 37 États signataires. De même, bien que la définition du mercenaire soit élargie, ne s’appliquant plus seulement au « conflit armé » mais à « toute autre situation », la répression effective de cette activité ne peut être effectuée que par un État, dans son cadre national… laissant de facto une forme de champ libre à chacun d’eux quant à l’utilisation ou à la répression de telles forces privées.
Au lieu de disparaître, celles-ci viennent à muter. À l’heure du néolibéralisme, marqué par l’externalisation de nombreuses activités jusqu’alors confiées à l’État, apparaissent des sociétés commerciales structurées qui proposent des services ayant trait à la défense. Le coup d’envoi est donné en 1989 en Afrique du Sud par l’entreprise Executive Outcomes, qui offre de nombreux services d’excellence, notamment la formation au tir de précision, à la contre-insurrection ou à la chute libre, qu’elle prodigue rapidement à des forces armées comme celles de l’Indonésie[10]. Ainsi débute l’ère des sociétés militaires privées (SMP, traduction française de private military company). L’émergence de ces entités est symptomatique de la dissolution de l’ordre westphalien qui prévalut longtemps[11]. De manière générale, ces entreprises usent d’une sémantique nouvelle : elles ne parlent pas de « soldats » ou de « violence » mais de « risque », de « menace » et de « conseil », se veulent des acteurs de paix plutôt que de guerre, et travaillent principalement pour le compte de leurs États d’origine[12] ; elles seraient des sociétés de sécurité plutôt que « militaires », une différence qui, pourtant, est parfois une différence de degré plutôt que de nature[13].
De fait, bien des services qu’elles prodiguent ne relèvent pas, en eux-mêmes, du combat, mais de la logistique, de la protection rapprochée (tant pour des ambassades que pour des ONG ou des entreprises[14]), de la santé ou encore de la restauration des armées, loin de l’image d’Épinal du mercenaire[15]… et de la définition qu’en donne le droit international, selon lequel seule une personne physique, et non une entité comme une entreprise, peut être considérée comme mercenaire. Cette notion suppose qu’elle intervienne dans un conflit armé en particulier, qu’elle participe directement aux hostilités et ait pour motivation un avantage personnel et financier, ce qui en exclut également, dans bien des cas, les employés[16]. C’est sur ce flou juridique que prospèrent les sociétés militaires privées.
Pourquoi donc certains auteurs scientifiques, journalistes et activistes perçoivent-ils ces sociétés et leurs personnels comme des mercenaires, au point d’y voir une « nouvelle génération »[17] de ces derniers ? Certes, on ne peut pas exclure qu’une telle qualification s’insère avant tout, de la part de ceux qui l’énoncent, dans un discours moral visant l’État qui les emploie[18]. Tel fut le cas lorsque, pendant la guerre en Irak, les employés de la SMP Blackwater (aujourd’hui Academi), au service des États-Unis, ont été qualifiés de tels par la presse quand fut révélée leur implication dans pas moins de 195 fusillades entre janvier 2005 et septembre 2007, dont 163 où les contractors avaient ouvert le feu en premier[19]. Mais il s’agissait justement, alors, d’exactions liées à un usage de la force par des individus qui, dans les faits, participaient bel et bien en secret à des actions offensives, aux côtés des forces spéciales et de la CIA[20].
Alors même que la participation directe aux hostilités est un élément sine qua non de la définition du mercenaire, il arrive que les États confient des guerres par procuration (ou proxy wars) et des opérations sensibles, dont la paternité a vocation à être dissimulée, à de telles sociétés qui s’assimilent alors à des shadow armies[21] dont le lien avec les commanditaires ne peut pas toujours être prouvé. Cela leur permet, notamment, de mener des opérations de manière plus discrète qu’avec des forces armées régulières, et sans faire subir à ces dernières des pertes de plus en plus regrettées par l’opinion publique. C’est ainsi que, pendant des années, le Kremlin a pratiqué la stratégie du « déni plausible »[22] (en russe bezulikovye deistviia), niant systématiquement avoir la moindre connaissance d’un groupe Wagner que la communauté internationale commençait à découvrir ni, de ce fait, de rapport avec ses activités et exactions. En effet, il y a longtemps que celui-ci est présent, en temps de guerre comme de paix, dans des zones où le Kremlin a des intérêts ou des alliés à protéger, de la Syrie au Venezuela en passant par la Libye, le Soudan ou encore le Mali[23].
Certains des « petits hommes verts », ces personnages armés, en treillis militaire, sans insigne et masqués qui prirent discrètement le contrôle de lieux stratégiques de la péninsule de Crimée en vue de son annexion par la Russie en 2014, pourraient bien être des employés de Wagner[24], fondée la même année. Dans la guerre du Donbass, qui oppose depuis lors le régime de Kyiv aux républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Louhansk, le groupe, sans reconnaissance légale, pourrait avoir discrètement œuvré à appuyer les forces armées des États fantoches. Son mode opératoire, sous les ordres du Kremlin – et du Kremlin seul, à l’exclusion de tout autre régime -, relève alors essentiellement de la guerre hybride, privilégiant la guérilla, les attaques cyber, la sape des arrières de l’ennemi et la désorganisation de sa logistique au combat direct[25]. Lorsque, fin février 2022, le conflit change d’échelle, des centaines de ces « musiciens » fraîchement revenus d’Afrique sont, selon les informations du gouvernement ukrainien, chargés d’assassiner Volodymyr Zelensky[26] : encore une mission inavouable confiée à des professionnels. Longtemps, les opérateurs de Wagner étaient majoritairement des militaires à la retraite âgés de 35 à 55 ans, pour beaucoup des vétérans et anciens membres du renseignement intérieur russe, le FSB, et de son pendant militaire, le GRU[27] : en bref, des hommes aussi expérimentés que discrets.
De fait, il faut attendre le 4 novembre 2022, avec l’ouverture d’un quartier général à Saint-Pétersbourg[28], pour que le groupe ait pignon sur rue en Russie. Cette officialisation de l’existence de la société militaire privée intervient six semaines après la diffusion de la vidéo du recrutement dans les prisons, déjà virale. Jusqu’à cette dernière, Evguéni Prigojine n’avait eu de cesse de contester tout lien avec ce groupe. Il a pourtant, comme beaucoup s’en doutaient depuis longtemps, contribué à le fonder aux côtés de Dmitri Outkine, ancien militaire des spetsnaz – terme générique désignant les unités spéciales des forces armées et services de renseignement russes -, dont les sympathies néonazies pourraient expliquer le nom de l’entreprise[29] et connu comme le « chef d’orchestre » de l’organisation. La révélation au grand jour de l’existence de Wagner et de sa connexion étroite avec le pouvoir poutinien ne fait que confirmer l’hypothèse formulée depuis plusieurs années par des chercheurs, selon laquelle on assiste en Russie à « une privatisation de la violence légitime de la force où l’État russe serait à la fois le principal client et le principal bénéficiaire, un peu à l’image de l’emploi des acteurs privés par les armées américaine et britannique dans les années 2000, à la différence près que, contrairement à la Russie, ces dernières n’envoyaient pas ces acteurs en première ligne »[30]
Le changement de sociologie induit par la séquence du recrutement en prison n’a pas changé cela, bien au contraire, puisqu’il s’agissait justement de trouver là des volontaires manquant à l’armée régulière. Quitte à la concurrencer.
Par les armes
« Au début, j’avais besoin de vos talents de criminels pour tuer l’ennemi. Maintenant, ces talents ne sont plus nécessaires. Essayez de ne pas replonger »[31]. Ces mots d’Evguéni Prigojine, prononcés dans le même discours que « ne violez pas les femmes », semblent bien résumer le pari qui fut le sien, et sans doute celui de Vladimir Poutine, lorsque la décision fut prise de lancer une campagne de recrutement dans les prisons russes. Si ces hommes sont violents, autant mettre leur brutalité au service de l’État sur un front où les hostilités sont plus difficiles que prévu, nationalisant leur violence en même temps qu’on privatise la guerre. Qu’importe que la présence de ces « criminels » près de civils étrangers mette ces derniers en danger, et qu’importe qu’ils retrouvent par la suite la liberté en Russie sans avoir purgé la totalité de leur peine. Le groupe Wagner devait permettre d’apprivoiser et d’utiliser leur violence. Néanmoins, il n’a pas réussi à pleinement la maîtriser.
Certes, le choix de recruter des détenus fut probablement un pis-aller, faute de jeunes gens libres prêts à risquer leur vie dans une « opération militaire spéciale » meurtrière sous la bannière de la Fédération de Russie ou d’une société militaire privée. Peut-on pour autant exclure toute intention de mettre à profit la violence bien connue de ces condamnés ? Les paroles du « cuisinier de Poutine », tout coutumier de la provocation qu’il soit, ne sont probablement pas sans fondement. Aux dires de Sergey, volontaire des prisons interrogé par Cyrille Louis, reporter au Figaro, après sa capture par les forces ukrainiennes, une « rapide sélection »[32] aurait bien été effectuée dans les prisons par les recruteurs de Wagner. Il se serait agi d’exclure les délinquants sexuels, les hommes trop âgés et les toxicomanes, mais le niveau d’exigence semble avoir été très maigre, aucune vérification n’ayant apparemment été effectuée quant aux capacités sportives des hommes. Au vu des besoins urgents de volontaires, sans doute ne fallait-il pas trop en faire.
De là à rassembler volontairement des repris de justice parce qu’ils sont des repris de justice, il y a une marge. Cependant, une telle démarche ne serait pas sans précédent. En 1940, dans l’Allemagne nazie, on procéda ainsi au recrutement de braconniers condamnés en une unité spéciale, intégrée à la Waffen-SS, devant servir à la lutte contre les partisans des régions envahies sur le front de l’Est, contre une remise de peine voire une amnistie[33]. Il s’agissait de mettre à profit, contre un ennemi sans uniforme et camouflé, non seulement un savoir-faire cynégétique mais aussi la cruauté particulière que prêtait Hitler à ces chasseurs délinquants voire criminels, puisque certains d’entre eux étaient condamnés pour des crimes de sang comme l’agression de garde-chasses[34]. Leur chef, Oskar Dirlewanger, avait été condamné dans les années 1930 pour détournement de mineur, c’est-à-dire, en réalité, pour des viols répétés sur une bénévole de la Croix-Rouge âgée de moins de quatorze ans[35]. Ses deux ans de réclusion semblent ne pas avoir étanché sa soif de violence sexuelle puisqu’il n’allait pas manquer, en guerre, d’organiser des Kameradschaftliche Abend, des soirées arrosées où ses hommes pouvaient à loisir violer collectivement des prisonnières[36]. Les crimes de la brigade Dirlewanger étaient tout à fait tolérés, sinon stimulés, par le Reich, dont le ministère de la Justice prévoyait explicitement de rassembler ces prisonniers, dont le recrutement s’étendit finalement aux détenus des camps de concentration, « en bandes qui seraient engagées à l’est. Dans les territoires qui leur seraient confiés, ces bandes, dont la mission prioritaire serait l’anéantissement des directions des groupes de partisans ennemis, pourraient tuer, brûler, violer, profaner et seraient de nouveau sous stricte surveillance [une fois revenues] au pays »[37]. Clairement, il s’agissait d’intégrer ces marginaux dans la cité militaire en les laissant commettre les crimes qu’ils souhaitaient, mais uniquement dans certaines marges de l’empire en construction, dans une optique de contention[38].
Si le recrutement des volontaires pour le front ukrainien semble ne pas avoir répondu aux mêmes critères de sélection ni visé à l’exécution de tels ordres, on ne saurait exclure qu’il y ait bien eu au Kremlin, comme le suggèrent les mots du « cuisinier de Poutine », une volonté similaire de contention de la violence de criminels au service d’une force armée en difficulté. Le groupe Wagner a, par ailleurs, ceci de commun avec les unités de la Waffen-SS, comme avec la garde prétorienne de Rome et la garde républicaine dans l’Irak de Saddam Hussein – autant de régimes autoritaires -, qu’il constitue une structure parallèle aux forces armées régulières de l’État qu’il sert, voire en concurrence avec celles-ci, sous les ordres directs du pouvoir[39].
Il est vrai que, dans la vidéo virale du recrutement à la colonie pénitentiaire de Iochkar-Ola, Prigojine avait tenu à avertir les futurs engagés que, outre la désertion, le pillage et la consommation de drogue et d’alcool seraient passible d’exécution[40]. On est loin, donc, de l’atmosphère des soirées de la brigade Dirlewanger. Cependant, il serait bien naïf de prendre pour argent comptant les paroles d’un oligarque devant des recrues en devenir, sous l’œil des caméras et loin des lignes ennemies. De plus, celles-ci accusent une contradiction patente avec celles prononcées, six mois plus tard, par le même Prigojine délivrant les premiers engagés, dont les « talents de criminels » lui auraient servi, et leur intimant de ne pas violer les femmes, une injonction aux allures de fin de récréation. Peut-être faut-il y lire un renoncement, une fois sur le front, aux résolutions d’ordre et de bonne tenue des troupes.
De fait, en Ukraine, le contrôle des musiciens semble bien avoir quelquefois échappé aux donneurs d’ordres. Dans un témoignage rendu public le 9 mai 2022, Marat Gabidullin, ex-soldat de l’armée russe désormais « horrifié »[41], passé commandant de Wagner qui le fit combattre en Syrie et au Donbass jusqu’en 2019, affirmait que les employés du groupe « sont présents sur tous les fronts, selon le même schéma qu’en Syrie, comme des unités d’assaut, de percée ». Dans la guerre actuelle, les recrues de Prigojine sont employées, pour l’essentiel, en première ligne[42], au sens stratégique comme tactique du terme. Mais, là où, par le passé, ces recrues étaient pour la plupart d’anciens militaires expérimentés, à l’instar de Marat Gabidullin, celles qui servent aujourd’hui sur le front ukrainien sont pour une grande part d’anciens prisonniers engagés pour un contrat court, de six mois, leur laissant à peine de temps pour s’entraîner. Leur emploi en première ligne relève donc moins d’une logique de choc que de barrage[43] et de chair à canon, ces contractuels étant envoyés les premiers à l’assaut des positions ennemies pendant que, derrière eux, les militaires professionnels d’expérience veillent, le doigt sur la gâchette, à ce qu’ils ne prennent pas la fuite.
Là-dessus, l’oligarque semble bien avoir tenu parole. Le sort des déserteurs serait bel et bien l’exécution, comme le groupe a tenu à le montrer en diffusant, en novembre 2022, une vidéo de la mise à mort, à coups de masse, d’Evgueni Noujine, « traître » présenté comme ayant rejoint les rangs ukrainiens après avoir quitté ceux de Wagner[44]. Une telle logique de spectacle visait clairement à terrifier ceux qui voudraient l’imiter, sans qu’il soit possible d’affirmer qu’un tel traitement est bien systématique. En a également témoigné Andreï Medvedev, ancien officier de Wagner dont l’un des subordonnés fut capturé après avoir déserté et exécuté sous l’œil des caméras à la mi-novembre[45]. Medvedev prit la parole sur le sujet dans un entretien avec le média indépendant russe The Insider[46], expliquant avoir réussi, après avoir assisté à de tels meurtres de refuzniks, à s’enfuir en Norvège… c’est-à-dire avoir lui-même déserté[47]. D’après ses dires, une unité spéciale du groupe Wagner serait préposée à l’exécution aussi bien des Ukrainiens que des mercenaires errants[48] : les exactions ne prendraient donc pas seulement pour cible l’ennemi national mais aussi l’ennemi intérieur, responsable de la désagrégation des rangs. Une telle situation de désertion d’un gradé, doublée de la révélation par lui de pratiques de ce genre, en dit long sur le caractère non seulement implacable mais aussi contre-productif de ce genre de sanctions.
À une échelle plus macroscopique, Wagner s’est plus d’une fois comporté comme un acteur autonome de la guerre en Ukraine plutôt que comme un outil pleinement entre les mains du Kremlin. En effet, le 10 janvier 2023, le groupe revendiquait la prise de la ville de Soledar, à proximité de Bakhmout, épicentre des combats dans le Donbass. Ainsi Evguéni Prigojine put-il se targuer d’avoir remporté la première victoire russe depuis des semaines, allant même jusqu’à affirmer qu’« aucune unité autre que les combattants de Wagner n’a participé à l’assaut de Soledar »[49]. L’information circula rapidement, mais l’incertitude demeura : l’Institute for the Study of War, groupe de réflexion américain attentif à la guerre depuis ses débuts, confirma l’information selon laquelle la ville était tombée, au contraire de certains reporters[50] et de Kyiv. Même le ministère russe de la Défense contredit Wagner[51], ne revendiquant la prise de la ville que trois jours plus tard, le 13 janvier.
De telles contradictions dans la communication de forces opérant, en principe, ensemble sur le terrain en disent long sur les enjeux à l’œuvre : Prigojine semblait déjà se comporter comme un protagoniste à part entière de la guerre, non comme un maillon de l’appareil militaire russe. Cela ne va pas sans rappeler l’avertissement formulé dès le XVIe siècle par Machiavel dans Le Prince, traité politique dont l’influence fut et est encore considérable parmi les dirigeants : « Les armées mercenaires sont inutiles et dangereuses ; et si quelqu’un tient son État en le fondant sur les armées mercenaires, il ne sera ni affermi, ni sûr, car elles sont désunies, ambitieuses, sans discipline, infidèles, gaillardes parmi les amis et, parmi les ennemis, lâches ; sans crainte de Dieu, sans foi envers les hommes »[52]. La pertinence de cette mise en garde témoigne, outre d’une clairvoyance de l’auteur florentin, du caractère systémique de tels écueils liés à l’emploi de forces vénales.
Les velléités dissidentes de l’entrepreneur sont apparues au grand jour lorsque, au mois de février 2023, furent publiées sur internet des vidéos montrant des mercenaires de Wagner se plaindre de ne plus être fournis en munitions par le pouvoir russe[53]. Le 16 du mois, Evguéni Prigojine prit personnellement la parole, déclarant : « Je pense qu’on aurait pris Bakhmout s’il n’y avait pas cette monstrueuse bureaucratie militaire et si on ne nous mettait pas des bâtons dans les roues tous les jours »[54], un discours qui serait perçu comme insolent dans bien des pays, et plus encore dans un État dictatorial comme la Russie de Vladimir Poutine. L’ancien restaurateur alla encore plus loin, mettant en avant que ces « hommes meurent dans les tranchées. Ils perdent des bras et des jambes. Leurs familles perdent un être cher »[55], tandis que, ajoutait-il face aux caméras, « vous mangez sans gêne dans des assiettes dorées et laissez vos enfants partir en vacances à Dubaï pendant que des soldats meurent »[56]. Alors que le recours au mercenariat a l’avantage, en principe, d’épargner à l’opinion publique le deuil de la mort de ceux qu’elle perçoit comme les siens, Prigojine mit justement en avant, de la sorte, le fait que ses employés seraient les véritables représentants du patriotisme combattant russe, loin du confort de familles riches épargnées par la guerre. Les hommes de Wagner ont ceci de différent des mercenaires classiques levés à l’étranger qu’ils sont recrutés en Russie, et notamment auprès des classes populaires : en rappelant cette condition, l’oligarque met le pouvoir russe au-devant de sa propre responsabilité dans la mort de ses citoyens.
Dans les jours suivants, Prigojine, affirmant qu’on aurait même interdit de lui livrer des pelles pour creuser des tranchées, alla jusqu’à accuser publiquement de « trahison à la patrie »[57] le général Valeri Guerassimov, chef de l’état-major des forces armées russes, et le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, proche parmi les proches de Poutine, et dont il semblait vouloir la peau… sinon la place, à la droite du tsar. S’il ne l’obtint pas, du moins finit-il par se faire livrer ses munitions.
C’est toutefois, bien entendu, auprès de la population ukrainienne que les pires dérives ont été constatées. Indissociable de la guerre, l’exaction l’est plus encore du mercenariat. On se souvient des bavures des contractors de la guerre en Irak, si fréquentes et médiatisées qu’elles finirent par nuire à la stratégie américaine de contre-insurrection[58], les rebelles risquant d’être provoqués plutôt qu’assagis par les crimes de la puissance occupante. Plus récemment, en août 2020, des gardes armés privés, censés protéger un navire d’attaques pirates, détournèrent l’embarcation pour exiger le paiement de leurs salaires qui tardaient à venir[59]. Même sans être constituée de criminels à l’origine, une troupe équipée, motivée par l’argent et tenue au loin de la vigilance de ceux qui l’emploient, voire couverte par eux, représente un danger en puissance pour ceux qui ne portent pas les armes. Ainsi, avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine, le groupe Wagner, dont l’existence était encore niée par le Kremlin, était accusé de toutes sortes d’exactions sur les théâtres africains où il était déployé : tortures, exécutions sommaires, détentions arbitraires[60]…
Des mercenaires russes du groupe Wagner servant de garde rapprochée au président de la République Centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, en février 2022, Wikimedia Commons
Au vu de ces actes commis dans d’autres pays, des nombreux crimes de guerre dont est accusée la Russie en Ukraine et de la composition nouvelle des rangs de Wagner, on pouvait à bon droit soupçonner la société militaire privée d’y avoir pris sa part. Mais, au-delà de la révélatrice injonction faite par Prigojine à ses anciens employés de ne pas violer les femmes une fois libérés, suggérant qu’ils aient pu avoir ce type de licence sur le front, quelle a effectivement été la place de ce groupe, en particulier, dans les exactions russes régulièrement portées à la connaissance du monde entier ?
Il est, à l’heure actuelle, bien délicat de trancher sur la question, faute de preuves concluantes. De fait, les crimes de guerre ne sont souvent découverts que bien après avoir été commis, et les traces laissées par ceux qui les ont administrés sont rarement suffisantes pour en établir la responsabilité exacte. Il en va ainsi du massacre de Boutcha, ville de la banlieue de Kiev conquise par la Russie dans les premiers jours de l’invasion : ce n’est qu’à la libération de la localité, début avril 2022, que des cadavres ukrainiens ont été mis au jour, témoignant de mises à mort massives par les troupes russes, mais sans que les auteurs exacts – militaires ou employés de Wagner ? – puissent en être désignés avec certitude. Toutefois, d’importants soupçons pèsent, d’une part, sur certains membres d’unités régulières russes identifiés par des collectifs ukrainiens de veille en ligne et de renseignement en sources ouvertes[61]. D’autre part, les musiciens sont en cause : le magazine allemand Der Spiegel écrivant clairement que « des membres du groupe de mercenaires appelé Wagner ont joué un rôle central dans ces atrocités »[62], comme auparavant en Syrie. En effet, le média d’investigation faisait état d’interceptions de communications radios opérées par les services de renseignement de Berlin, également relevés par le Washington Post[63].
Comme souvent, ce massacre semble avoir été l’occasion de violences sexuelles, la médiatrice ukrainienne pour les droits humains Lioudmyla Leontiivna Denissova faisant ainsi état de 25 jeunes filles âgées de 14 à 24 ans violées collectivement dans un sous-sol de la ville et qui, pour neuf d’entre elles, se sont retrouvées enceintes[64]. Cependant, pour l’heure, on ne saurait trancher sur l’appartenance des coupables de ces crimes, en particulier, à l’armée régulière russe ou à la société militaire privée, question à laquelle les victimes n’étaient pas forcément, dans l’immédiat, en mesure de répondre. La participation des hommes du groupe Wagner à de tels crimes serait, toutefois, d’autant plus plausible que d’importants soupçons similaires les entourent sur leurs autres théâtres d’opérations.
En effet, en mai 2022, des membres des forces armées centrafricaines sous couvert d’anonymat confiaient au site d’information américain TheDaily Beast que trois mercenaires russes de Wagner, pudiquement désignés sur place comme des « instructeurs militaires », avaient violé plusieurs femmes dans la maternité de l’hôpital militaire Henri Izamo, à Bangui, capitale du pays[65]. Plusieurs d’entre elles venaient d’y accoucher, tandis qu’une infirmière était agressée pendant plusieurs heures, les mercenaires s’étant relayés dans leur criminelle entreprise, d’après le site d’informations francophone Corbeau News Centrafrique citant un témoin[66]. Ces faits, survenus dans la nuit du 10 avril précédent, seraient les troisièmes de ce genre à avoir été portés à la connaissance des militaires centrafricains. Par trois fois, les enquêtes semblent avoir confirmé les accusations, mais sans être suivies de sanctions contre les agresseurs, les officiers locaux ayant apparemment « peur de fâcher les Russes »[67]. L’un d’eux ajoute, toujours en privé, que « discipliner un instructeur russe qui a commis un crime, ce n’est pas quelque chose qu’on peut accomplir en confiance »[68], puisque « seul le président peut décider de s’occuper des Russes ».
Ce cas illustre le fait que le besoin des services fournis par le groupe Wagner est trop grand pour que ses clients osent agir, qui plus est à visage découvert, contre ses méfaits. L’usage d’une structure extérieure, et particulièrement privée, à des fins militaires semble impliquer de fermer les yeux sur ses exactions. Là où, par le passé, l’emploi de troupes mercenaires pour les sièges de ville donnait souvent lieu à une tolérance de fait pour le pillage et la violence sexuelle des hommes, entre autres par souci de veiller à leur fidélité au rang[69], leur usage contemporain à des fins de formation pour des forces armées d’États, mettant à profit une expertise de professionnels, pour beaucoup des anciens militaires d’armées régulières, induit le même genre d’indulgence. En d’autres termes, on observe à travers les siècles que le problème de l’exaction, et tout particulièrement de la violence sexuelle, commise par des entités militaires privées n’est pas conjoncturel mais bel et bien systémique.
Cela dit, ces exactions sont-elles simplement passées sous silence et tolérées ou font-elles l’objet d’une exploitation intentionnelle par le commandement et les décideurs politiques ? Autrement dit, la violence sexuelle du groupe Wagner, comme de l’armée russe régulière, sert-elle véritablement d’arme de guerre ? Sur le théâtre centrafricain, où les mercenaires russes sont présents à des fins de formation et non de combat contre un ennemi défini, et où les victimes sont des ressortissantes de l’État qu’il s’agit d’aider, ces crimes ne vont nullement dans le sens des logiques militaires d’une partie en conflit : ces actes semblent échapper aux logiques d’emploi des forces plutôt que les servir, ce qui n’enlève rien à la terreur ainsi provoquée et à l’indifférence manifeste des pouvoirs publics locaux.
Concernant l’Ukraine, Olena Zelenska, première dame du pays engagée dans le combat pour l’égalité femmes-hommes, a fait valoir, à l’occasion d’une conférence sur les violences sexuelles dans les conflits organisée à Londres en novembre 2022, que celles-ci et les « crimes sexuels »[70] font partie de l’« arsenal russe » visant à « humilier les Ukrainiens ». Une telle thèse apparaît d’autant plus logique au regard des massacres répétés de civils, à bout portant ou au moyen de bombardements, commis par la Russie depuis le début de l’invasion, à commencer par les violences mises au jour à Boutcha qui, selon des « sources proches des enregistrements »[71] évoquées par le Spiegel, feraient « potentiellement même partie d’une stratégie plus large » de la Russie. Celle-ci y recourrait « systématiquement et ouvertement »[72], aussi y a-t-il selon Olena Zelenska urgence à une « réponse globale » des dirigeants du monde pour « poursuivre les agresseurs ». Plus de cent enquêtes pour ce genre de faits auraient été confiées au bureau du procureur d’Ukraine.
Pramila Patten, représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU sur les violences sexuelles commises en période de conflit, allait dans le même sens quelques semaines plus tôt, en soulignant que « les investigations sur des cas précis, vérifiés, prouvent qu’il s’agit d’une stratégie militaire visant à déshumaniser les victimes et à terroriser la population »[73]. Sans détailler les éléments qui tendent à prouver le caractère d’« arme de guerre » qu’elle prête aux viols commis en Ukraine comme, « depuis longtemps, dans de nombreux conflits », la juriste perçoit donc ces violences, dont la réalité ne fait aucun doute, comme un élément de l’effort de guerre russe. Elles seraient commises dans ce but précis, en tant que « tactique délibérée », observait-elle, évoquant entre autres des violences commises à dessein devant les membres de la famille de la victime, forcés à regarder la scène, voire à y participer[74]. Là non plus, l’appartenance des agresseurs à la société militaire privée ou à l’armée russe n’est pas précisée, peut-être même n’est-elle pas connue des enquêteurs, mais toujours est-il que, sur un terrain où les deux opèrent conjointement, il est facile de s’imaginer que les uns, éventuellement passés par les latitudes africaines, aient pu initier les autres à leurs sordides pratiques…
Corps d’une femme victime du massacre de Boutcha, découvert en avril 2022, Wikimedia Commons
Une chose est sûre. Le droit international stipule que les États engagent leur responsabilité, non seulement « pour les actes officiels de leurs organes et agents, mais aussi pour les actes de personnes ou d’entités privées auxquelles ils ont délégué certaines tâches ou qui agissent sous leur contrôle »[75], à l’exemple des sociétés militaires privées. L’État russe voit donc bel et bien sa responsabilité engagée au titre des actes commis par le groupe Wagner, nécessitant des « mesures adéquates pour contrôler les sociétés militaires privées et prévenir, enquêter, punir ou réparer leurs violations du DIH [droit international humanitaire] ou du DIDH [droit international relatif aux droits de l’homme] », comme les États-Unis pouvaient légalement être tenus pour responsables des exactions de Blackwater en Irak. La responsabilité de l’État passe alors par une « obligation d’agir avec la diligence requise (due diligence) ». En recourant aux services du groupe Wagner sans l’admettre et sans reconnaître officiellement son existence, le gouvernement russe a pu, des années durant, se couvrir de cette responsabilité et de ce devoir de due diligence. Dans le cas d’une entreprise comme celle-ci, « l’établissement des responsabilités des États et/ou des SMP s’avère complexe en raison notamment d’une chaîne de commandement entre la SMP et son client souvent floue », en particulier lorsque ladite SMP combat en première ligne aux côtés des forces armées régulières. Derrière l’avertissement lancé le 15 septembre par Evguéni Prigojine à ses nouvelles recrues venues de prison comme quoi « toute personne responsable de désertion, pillage, consommation de drogue et d’alcool sera immédiatement fusillée »[76], peu semble avoir été effectivement fait pour réprimer de tels comportements. Peu de chances, donc, que cette expérience du feu ait été de nature à assagir ces ex-prisonniers avant leur retour à la liberté.
Après le front
« Quelqu’un qui revient de la guerre a toujours du mal à s’adapter à la vie ordinaire. Parce que le type a fait la guerre pendant un an et demi, et quand il revient ici, où ira-t-il travailler ? Il sera agent de sécurité dans une supérette ? Où un jeunot de 18 ans à moitié bourré va lui expliquer la vie et le rabaisser ? Lui qui a pris l’habitude de régler tous ses problèmes en appuyant sur la gâchette, il a les mains qui le démangent. C’est une catégorie de gens, qu’on appelle les “hommes-guerre”. Ils ne peuvent pas vivre sans la guerre »[77].
Ainsi répondait, dès 2018, un chef de guerre proche d’une société de mercenaires russes, sous couvert d’anonymat[78], à une question de la journaliste franco-russe Elena Volochine sur la réinsertion des combattants revenus de la guerre du Donbass à laquelle ils participaient plus ou moins secrètement.
Une fois de plus, la problématique n’est pas nouvelle. La formule de l’interviewé a des allures d’écho lointain à une phrase prêtée à Ramon Muntaner, chef de la compagnie catalane, mobilisée par l’empire byzantin contre les Turcs au XIIIe siècle : « Nous ne savons rien faire d’autre »[79], signe, là encore, d’une persistance des enjeux liés au mercenariat. Pourtant, la question de l’après est d’autant plus prégnante que l’engagement de prisonniers dans les rangs du groupe Wagner ne s’étend que sur six mois, non sur la totalité de la guerre.
Pire, rappelle Catherine Van Offelen : les sociétés militaires privées ont tout intérêt à prolonger les hostilités[80], dans la mesure où celles-ci sont nécessaires à leur financement et à leur survie même. Et si la guerre à laquelle ils ont participé venait à se terminer, les « hommes-guerre » devraient survivre tant bien que mal, les armes à la main. Il est plus d’une fois arrivé, dans l’histoire, que des groupements mercenaires échappent au contrôle de leurs clients, une fois que ceux-ci les avaient remerciés : dès lors que le paiement a été effectué, le chef des mercenaires n’a plus d’obligation contractuelle, et dirige les opérations comme bon lui semble[81], subsistant sur le pays au moyen de la violence en attendant une nouvelle commande, comme le firent les grandes compagnies mobilisées sur le sol du royaume de France pendant la guerre de Cent Ans. Ce souci est plus délicat encore dans le cas d’une entreprise comme Wagner, dont le dirigeant a plus d’une fois donné des signes de dissidence vis-à-vis des décideurs politiques et militaires russes.
En attendant, en délivrant ses employés temporaires, Evguéni Prigojine a certes mis en garde ces derniers en leur faisant comprendre que leurs « talents de criminels » n’étaient « plus nécessaires », que ce qu’ils ont « appris n’est pas fait pour la vie civile. Là, il n’y a pas d’ennemis »[82] et qu’ils ne devaient pas violer les femmes. Cet avertissement, dont les destinataires ne sont autres que des personnes déjà condamnées dans le passé, semble témoigner à demi-mot d’une forme de tolérance tacite pendant leur service. Après un temps de délinquance, voire de criminalité, dans la vie civile, puis six mois de violence organisée au front, on attend désormais d’eux une modération. Peut-on vraiment y croire ?
Si les paroles de Prigojine sont, une fois de plus, provocatrices, peut-être traduisent-elles également une réelle inquiétude quant à la potentielle violence des ex-prisonniers. Une telle inquiétude serait fondée. En effet, début avril 2023, un ex-mercenaire âgé de 28 ans était arrêté dans un village de l’oblast de Kirov, en Russie centrale, pour avoir vandalisé des voitures une fourche et une hache à la main, aux cris de « je vais tuer tout le monde ! » ; une menace qu’il semblait avoir pour partie mise à exécution dans une ville voisine où il était suspecté d’avoir commis plusieurs meurtres. Les habitants auraient supplié la police de le renvoyer au front, pourquoi pas pour y mourir. L’homme avait été recruté en prison où il purgeait une peine de quatorze ans pour plusieurs faits dont un meurtre[83].
Plus généralement, relève le journaliste français Benoît Vitkine, lauréat du prix Albert-Londres en 2019, les statistiques russes ont montré en 2022 une tendance vertigineuse à la hausse de la criminalité, avec une augmentation des affaires pénales pour des crimes commis avec des armes à feu ou des explosifs, de l’ordre de 24 % dans l’ensemble du pays et un triplement à Moscou et dans les régions frontalières de l’Ukraine[84]… À coup sûr, tous ces faits ne sont pas liés à des employés ou ex-employés de Wagner, mais les chiffres témoignent du caractère criminogène de la guerre et de la circulation d’armes. Il ne faudrait pas que ceux qui les maniaient hier sur demande de l’État fassent preuve de violence une fois de retour dans la Mère Patrie.
Les autorités russes semblent bel et bien prêter attention à ce souci, mais en prenant le problème à l’envers. Les « meilleurs fils de la Russie »[85], comme les nomme Prigojine, sont en effet assez largement couverts par le pouvoir. Le 31 décembre 2022, Vladimir Poutine décorait personnellement un ancien prisonnier avant que, le 25 janvier, le président de la Douma – chambre basse du parlement russe – n’invite les députés à concocter une loi sur la « discréditation des participants aux opérations militaires » visant à interdire de mentionner les crimes qui auraient été commis non seulement par les membres des forces armées russes, déjà protégés par une disposition de ce genre, mais aussi par tous ceux qui auraient pris part aux hostilités, mercenaires compris donc[86]. Peu importe leurs méfaits commis sur le front ou avant de rejoindre le front, ces combattants sont des héros, dit en substance l’État russe. Les musiciens ne courent donc pas le moindre risque d’être ennuyés pour ce qu’ils ont fait à la guerre ou en dehors de celle-ci, alors même que ce sont d’anciens prisonniers qui n’ont pas purgé la totalité de leur peine. C’est dire l’importance prise par le groupe Wagner, et son chef, dans la sphère du pouvoir russe.
Tombes de combattants du groupe Wagner dans un cimetière de l’oblast de Tioumen, en Russie, Wikimedia Commons
Cependant, maintenant que ces hommes sont libres, à eux de se tenir à carreau. Mais que faire loin du feu ? La précision de l’ex-cuisinier à ses anciens employés comme quoi « si vous voulez revenir à la guerre, vous n’avez pas besoin de passer par la prison »[87] n’est sans doute pas hasardeuse, visant à laisser une porte ouverte à ces hommes qui ont déjà fait usage de violence et qui pourraient avoir du mal à trouver une nouvelle place dans une société russe que l’« opération militaire spéciale » en cours en Ukraine n’est pas censée trop solliciter. Voire, l’invitation formulée par Prigojine à ses ex-recrues à revenir sous les drapeaux s’ils le souhaitent pourrait se comprendre comme un acte de prévention, pensé avec Poutine, pour rappeler à ces hommes que leurs éventuelles envies de violence peuvent encore trouver un débouché, un débouché patriotique, plutôt que de se retourner contre les civils russes.
Il pourrait également s’agir, plus simplement, d’un moyen de garder la main sur une potentielle main-d’œuvre, faute de certitude d’en trouver une nouvelle. En effet, début février 2023, un mois à peine après la libération des premiers enrôlés, le groupe Wagner annonçait cesser ses recrutements en prison[88]. Comment l’expliquer ? Pour le média indépendant russe Mediazone, qui a scruté la baisse du nombre de détenus dans les établissements pénitentiaires du pays, la SMP ne parviendrait plus à convaincre les prisonniers, qui auraient pris conscience, au moyen des médias et de contacts avec les recrues, que tout n’est pas si beau que Prigojine tendrait à le faire croire[89]. Un mois plus tard, le renseignement militaire britannique avançait une autre explication : les différends de l’entrepreneur avec le ministère russe de la Défense auraient « probablement » conduit ce dernier à lui fermer les portes des prisons[90]. Désormais, les efforts de recrutement de l’ex-cuisinier le conduiraient, toujours « très probablement », à se tourner vers les citoyens russes libres, notamment dans des centres sportifs ou des lycées où seraient distribués des questionnaires intitulés « candidature d’un jeune guerrier » aux potentiels volontaires, sans que ces derniers soient en nombre suffisant pour remplacer les détenus[91]. À l’heure où, de l’aveu même de Prigojine, l’interminable bataille de Bakhmout a « gravement endommagé » les troupes du groupe Wagner[92], le système de recrutement de la société semble battre de l’aile.
Faut-il pour autant y voir un échec du modèle entrepreneurial de la guerre, et le début de la fin d’une ère pour la privatisation de celle-ci ? Loin de là. Le 7 février, les renseignements ukrainiens mettaient la main sur une note russe. Celle-ci semblait attester que Moscou donnait son assentiment à Gazprom, géant du gaz naturel et du pétrole, pour la création de sa propre société militaire privée, sur le modèle de Wagner[93]… Une telle perspective est d’autant plus inquiétante qu’il s’agit ici de veiller aux intérêts privés d’une entreprise plutôt que d’un État, dans des temps où le secteur de l’énergie est marqué par les incertitudes liées à la guerre et aux rivalités commerciales[94]. Deux mois plus tard, les médias occidentaux découvraient, à la suite d’informations du renseignement militaire britannique, une nouvelle société militaire privée, nommée Convoy et basée en Crimée, sous la direction de Konstantin Pikalov, ancien bras droit de Prigojine[95]. La ressemblance ne s’arrête pas là : Convoy, qui compterait pour l’heure 300 combattants, recrute, entre autres, parmi les prisonniers[96].
Ces deux nouvelles sociétés ne sont probablement que la partie émergée d’un iceberg déjà imposant, ou amené à se développer. Sans qu’il soit possible de l’affirmer avec certitude à ce stade, il pourrait s’agir, pour le Kremlin et ses annexes, en l’occurrence le pouvoir local de Crimée, de placer Wagner en situation de concurrence, afin de multiplier les chances de succès tout en diminuant l’influence propre de Prigojine, voire de remplacer, à terme, le groupe Wagner[97]. Serait-il devenu trop encombrant, et son dirigeant trop récalcitrant ? À nouveau, le mercenariat pourrait muter, mais pas disparaître.
Peut-être d’anciens employés de Prigojine trouveront-ils dans ces structures un nouvel emploi à leur convenance. Toujours est-il que, en faisant appel à la société fondée par Dmitri Outkine, et en laissant à Evguéni Prigojine les mains libres pour recruter chez les détenus, la Russie, où les SMP sont toujours officiellement illégales, a ouvert la porte non seulement à des violences utiles à son effort de guerre à l’étranger mais aussi à des exactions dont on ne peut plus ignorer, aujourd’hui, le caractère systémique. Pas de doute, la Russie fait, de la sorte, planer le danger de graves violences sur ses ennemis mais aussi, dans une certaine mesure et bien involontairement, sur elle-même.
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Des volontaires russes pro-Ukraine se sont lancés depuis trois jours dans une escarmouche en Russie, dans la région de Belgorod. Le profil de ces unités, qui mêlent néonazis et démocrates, interpelle. Washington et Kiev s’en lavent les mains.
L’envahisseur envahi ! L’état-major russe n’aura pas eu le temps de savourer longtemps la prise de Bakhmout, annoncée tambour battant par Evgueni Prigojine le 20 mai. Deux jours plus tard, des troupes pro-Ukraine s’infiltraient dans la région de Belgorod, menant la plus importante offensive en territoire russe depuis le début de la guerre. Une incursion encore « teintée de mystère », mais qui constitue « indéniablement un affront inédit au Kremlin », comme le souligne le journaliste indépendant Sébastien Gobert, correspondant en Ukraine plus d’une décennie durant. Cerise sur le gâteau : les deux groupes impliqués dans cette percée surprise, qui a conquis davantage de terrain en trois jours que Wagner n’en avait gagné à Bakhmout en neuf mois, sont composés de volontaires… russes.
Tweet Sébastien Gobert
Lundi 22 mai, à la mi-journée. Des images émergent sur Telegram depuis le poste-frontière de Kozinka : des soldats russophones, mais aux couleurs de l’Ukraine, se filment tout sourire sur les routes russes, narguant « grand-père Poutine ». Au volant de pick-up et même de quelques blindés, ils ont aisément franchi la frontière et progressent rapidement d’une dizaine de kilomètres, larguant des tracts pour encourager les soldats russes à déposer les armes.
Le gouverneur de la région de Belgorod dément d’abord toute opération d’évacuation et appelle au calme, essayant de contenir la panique qui grandit dans les villages frontaliers. Il doit bien reconnaître ensuite qu’une opération est en cours dans le secteur de Graïvoron, pour repousser « un groupe de saboteurs ». Des bus sont envoyés pour évacuer les habitants et les embouteillages s’allongent dans une atmosphère de sauve-qui-peut.
st de détourner l’attention de Bakhmout », réagit immédiatement le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Avec succès : si cette escarmouche n’a rien à voir avec la contre-offensive ukrainienne tant attendue, elle est immédiatement très commentée à la télévision russe, où les talk-shows évoquent avec anxiété la mise à l’abri d’ogives nucléaires entreposées à une poignée de kilomètres des combats. « L’attaque à Belgorod a pris les commentateurs russes par surprise », analyse le think tank américain Institute for the Study of War (en anglais).« Les blogueurs et éditorialistes russes ont réagi avec un degré de panique, de division et d’incohérence propre aux chocs informationnels d’ampleur. »
Officiellement, les forces russes ont maîtrisé la situation en trente-six heures, rétablissant l’ordre dans les quatre villages attaqués. Le Kremlin se retrouve contraint de communiquer sur le fait que l’armée russe a utilisé son artillerie et son aviation sur son propre sol, une première depuis la Seconde Guerre mondiale. « Plus de 70 terroristes ukrainiens ont été tués », prétendle ministre de la Défense Sergueï Choïgou, qui assure de l’élimination rapide et totale des « saboteurs ». Mais les chaînes Telegram des combattants russes anti-Poutine, et les attaques nocturnes de drones qui frappent Belgorod, donnent une autre version de l’histoire : l’attaque se poursuit, insolente.
Le patron de Wagner, Evgueni Prigojine, en profite pour multiplier comme d’habitude les critiques envers l’armée russe. « Les groupes de reconnaissance et sabotage pénètrent dans la région de Belgorod en toute tranquillité. Notre défense est totalement incapable de les contrer, a-t-il lancé dans une interview mercredi 24 mai. Quelle garantie avons-nous qu’ils ne viendront pas demain sur Moscou ? »
Le coup est d’autant plus rude que les assaillants sont eux-mêmes russes. Deux milices se coordonnent sur le terrain : le Corps des Volontaires russes, ou RDK, et la légion Liberté de la Russie, ou LSR. Ces deux groupes paramilitaires fondés en 2022 ne partagent rien sur le fond mais se sont alliés en août dernier autour d’un même mot d’ordre : faire tomber le régime de Poutine. Le premier, qui cultive une idéologie d’extrême droite, a pour particularité d’être le seul groupe nationaliste russe à combattre pour l’Ukraine. Le second, essentiellement composé de transfuges de l’armée russe, se revendique également d’un patriotisme anti-Poutine, mais prétend défendre des valeurs plus libérales.
Le néonazi Nikitine et l’énigme César
Précédemment intégré au régiment Azov, le RDK a pour tête d’affiche le militant néonazi Denis Kapoustine, davantage connu sous les sobriquets de Nikitine ou White Rex, le nom de sa marque de vêtements, très appréciée dans l’extrême droite européenne. Né à Moscou il y a trente-huit ans, Nikitine passe sa jeunesse en Allemagne et fait une brève carrière dans le MMA, un sport de combat qu’il tente de développer dans toute l’Europe en créant des clubs pour « combattants blancs » où se retrouve le gratin de l’extrême droite continentale. A la tête de ses soldats « russes de souche », cet entrepreneur au verbe haut a déjà mené une brève offensive dans l’oblast de Briansk en mars.
Tweet-Belgorod
Beaucoup sont des vétérans russes qui ont fait défection dès l’annexion de la Crimée en 2014, écœurés par le nationalisme de Vladimir Poutine à leurs yeux dévoyé : pour eux, la guerre menée contre l’Ukraine est fratricide et la Russie multiethnique de Poutine est une menace pour la race blanche. Si ses « Volontaires » sont un mélange disparate de tsaristes, de néonazis et de traditionalistes, Nikitine n’est pas homme à cultiver l’ambiguïté : sur ses chaînes Telegram, cet ancien hooligan goguenard, régulièrement affublé d’une casquette, fait volontiers l’apologie d’Adolf Hitler ou de terroristes suprémacistes blancs.
Dans ses rangs, le RDK compte également le leader du mouvement néonazi Wotanjugend, Alexeï Levkine, fondateur du Asgardsrei festival, un festival de black metal qui réunit chaque année à Kiev des figures de l’extrême droite européenne. Lui aussi apparaît sur les vidéos postées par les assaillants de Belgorod, arborant désormais un look étudié de guerrier viking.
Tweet Levkine
Plus mystérieux, le profil de « César », le porte-parole de la légion Liberté de la Russie, dont le visage s’est affiché sur les télévisions du monde entier ces derniers jours. Agé d’environ 50 ans, il aurait fait partie du groupuscule ultranationaliste Mouvement impérial russe, dont il assure s’être éloigné en 2014. La « légion » est par ailleurs coordonnée sur le plan politique par Ilia Ponomarev, un ancien député du Parti communiste russe, un attelage qui contribue à brouiller encore plus les pistes. Interviewé par le journaliste de CNN Sam Kiley en décembre dernier, César déclaraitque c’est l’invasion du 24 février 2022 qui l’a poussé à prendre les armes : « Au premier jour de la guerre, mon cœur, le cœur d’un vrai homme russe, d’un vrai chrétien, m’a dit que je devais venir ici pour défendre le peuple d’Ukraine. »
Au sein de sa « légion », les motivations varient : dans leurs interviews, plusieurs soldats déclarent qu’ils vivaient déjà en Ukraine au moment de l’invasion et qu’ils ont ressenti le besoin de défendre leur patrie d’adoption. D’autres, souvent sans expérience militaire, ont traversé la frontière après le début de la guerre et se sont engagés du côté de Kiev. « C’était un processus très difficile, cela m’a pris plusieurs mois pour rejoindre les rangs des défenseurs de l’Ukraine », racontait César à CNN en pleine bataille de Bakhmout. Au vu de la méfiance que suscitaient ces déserteurs parfois inattendus, leur enrôlement dans les forces ukrainiennes a fait l’objet d’un suivi minutieux. Les renseignements russes ont tenté à plusieurs reprises d’infiltrer la légion Liberté de la Russie, selon des officiels ukrainiens.
« C’est la première opération de la légion en territoire russe, et la portée de nos opérations ne fera que s’accroître à l’avenir, promet César dans une vidéo. Le temps est venu de mettre fin à la dictature du Kremlin. […] Nous revenons à la maison, la Russie sera libre. »
Kiev et Washington nient toute implication
Les deux milices étaient jusque-là restées très discrètes, autant pour préserver leurs familles demeurées en Russie que par la volonté de Kiev de ne pas les mettre en avant. Outre leurs effectifs – probablement quelques centaines de soldats –, c’est surtout leur autonomie d’action qui suscite aujourd’hui le plus d’interrogations, dans ce qui ressemble surtout à une opération de têtes brûlées. L’objectif des opérations serait de montrer que l’armée russe n’a « aucune réserve pour réagir aux crises militaires », comme l’écrit lalégion Liberté de la Russie sur Telegram : « Tout leur personnel militaire est mort, blessé ou en Ukraine. » L’opération de communication suit son cours : au troisième jour de l’attaque, Nikitine prétend recenser simplement deux blessés dans ses rangs, et laLSR, deux morts et dix blessés.
Les autorités ukrainiennes, elles, ont décidé de s’en laver les mains et d’appuyer le récit d’une rébellion de citoyens russes, sans s’appesantir sur le profil particulier des miliciens. « C’est quelque chose d’interne à la Russie. Ce qui se passe en dehors de nos frontières ne nous intéresse pas », déclarait même Oleksandr Korniyenko, vice-président du Parlement ukrainien, sur LCI mardi 23 mai. Pourtant, au moins trois véhicules blindés américains ont été vus entre les mains des miliciens, sur des vidéos authentifiées par le « Financial Times » et le « New York Times », poussant le Pentagone à déclarer qu’il n’approuvait aucun transfert d’équipement de l’armée ukrainienne vers des organisations paramilitaires. Nikitine et César bottent eux aussi en touche : ces chars, assurent-ils, avaient été pris par les Russes à Bakhmout. « Comme le RDK, nous avons utilisé l’équipement que les zombies du Kremlin avaient capturé près de Bakhmout, et que nous avons repris », assure la légion Liberté de la Russie dans un communiqué du25 mai.
Un haut commandant ukrainien, Andriy Cherniak, a tout de même reconnu auprès du « Financial Times » que Kiev communiquait avec les volontaires russes. « Bien sûr, nous partageons des informations. On pourrait même dire que nous coopérons », glisse-t-il, avant de souligner que l’attaque relève de l’initiative de Russes « rebelles » et que l’utilisation de l’équipement occidental livré à l’Ukraine demeure « sous le contrôle le plus strict ». Lors de son attaque en mars dernier dans l’oblast de Briansk, Nikitine avait avoué au « Financial Times » que les autorités ukrainiennes avaient donné leur feu vert à l’opération : « Sans cela, elle n’aurait pas pu avoir lieu. Il y a des ponts minés, des caméras, des drones thermiques… Sans coordination, nous aurions été détruits ».
Interrogée par CNN, la Légion internationale pour l’Ukraine, qui regroupe les volontaires internationaux combattant pourKiev, a répondu que ni le RDK, ni la LSR n’appartenaient à ses rangs. Les deux milices s’affichent pourtant sous sa bannière, ce qui signifie qu’elles prennent ordinairement leurs ordres de Kiev. « En Ukraine ces unités font partie des forces de défense. En Russie, elles agissent comme des entités indépendantes », nuance Andriy Yusov, un représentant des renseignements ukrainiens, auprès de CNN. Chacun se fera son idée de ces subtilités langagières mais une chose reste sûre : la déconvenue est totale pour le Kremlin. Quinze mois après le début de « l’opération militaire spéciale » qui devait voir Kiev tomber en deux jours, l’armée russe se retrouve désormais prise en défaut derrière ses propres frontières, par des transfuges de ses propres rangs qui ne semblent pas vouloir s’arrêter en si bon chemin : « La guerre continuera jusqu’à ce que le corps pendu de Poutine orne les murs du Kremlin », a prévenu le RDK.
Par Timothée Vilars ·Publié le 25 mai 2023 à 12h33·Mis à jour le 25 mai 2023 à 12h36 https://www.nouvelobs.com/monde/20230525.OBS73763/a-belgorod-les-miliciens-russes-anti-poutine-ont-reussi-a-semer-la-panique-et-encore-plus-de-confusion.html
A l’origine, le cercle de pays dit le G7 était celui des pays les plus industrialisés. Or cela fait des années que cela n’est plus le cas. Il se trouve que ces pays se rencontrent annuellement, pour se concerter et discuter des grandes questions du moment, économiques aussi bien que politiques, comme s’ils l’étaient encore. La somme de leurs PIB ne représente plus que 30 % de la production mondiale ; elle montait à deux tiers de cette dernière dans les années 1970. Le PIB des BRICS, qui pourtant ne sont que 5, est supérieur au leur. On peut dire du G7 qu’il est devenu le groupe des pays qui se croient encore les plus industrialisés au monde, qui en tout cas s’affichent comme tels, mais dont les sommets ne suscitent plus qu’un intérêt mitigé, et d’abord dans les pays dont il se compose. On aura remarqué que leurs médias ne disent plus d’eux qu’ils sont les pays les plus industrialisés mais les plus grandes démocraties. L’ouverture du dernier sommet, pourtant tenu à Hiroshima, la ville martyre, le symbole du pouvoir destructeur de la guerre, devait lui garantir une attention plus grande de la part du monde, alors que la guerre est de retour en Europe, et qu’elle menace en Asie.
Il n’en fut rien, d’autant qu’Evgueni Prigojine, le patron du groupe Wagner, a choisi ce jour pour annoncer la prise de contrôle complète de Bakhmout par ses hommes. Un fait reconnu par le Kremlin, qui a promis des médailles à tous ceux quels qu’ils soient ayant contribué à la victoire, ainsi que par le ministère de la Défense, mais évidemment aussitôt démenti par Kiev. Toutefois en des termes qui valent confirmation. Kiev, en effet, ne dit pas que Bakhmout n’est pas prise par les Russes, mais que les combats se poursuivent… dans ses abords. Les Russes n’ont pas annoncé qu’ils avaient pris les abords de Bakhmout mais Bakhmout elle-même. On admettra qu’il y a une différence. A ce compte d’ailleurs, la bataille de Bakhmout n’est pas près de se terminer, ni même d’ailleurs d’être gagnée ou perdue par personne, vu que dans sa périphérie, à plus forte raison si celle-ci va s’élargissant à partir d’un centre, il y aura toujours des combats en train d’avoir lieu. Hiroshima et Bakhmout ne sont que des symboles, la première du pouvoir effrayant de destruction de la bombe atomique, la deuxième de celui de la guerre tout court. Ni l’une ni l’autre n’a été le théâtre d’une bataille décisive. Les Etats-Unis ont recouru à la bombe atomique, et cela à deux reprises, ni pour gagner la guerre ni pour la perdre, mais à des fins d’expérience in vivo et grandeur nature. Ils sont les seuls à avoir commis une telle horreur, ou plus exactement à avoir été en mesure de la commettre. Si d’autres qu’eux avaient eu la bombe, peut-être qu’eux aussi s’en seraient servis. Le président américain a rendu hommage, en même temps que les autres dirigeants, aux victimes de Hiroshima, mais il n’était pas question pour lui de présenter les excuses des Etats-Unis au Japon, pourtant un allié. Le Japon ne demande d’ailleurs pas de repentance, une absurdité par quelque côté qu’on la regarde. Il n’avait pas capitulé parce que les Américains avaient recouru à la bombe atomique, mais parce que les Russes étaient entrés en guerre contre lui. Il avait compris alors que toute résistance était inutile, et qu’il valait mieux pour lui se rendre aux Américains que se laisser prendre par les Russes.
La bataille fait rage à Bakhmout, en Ukraine, depuis neuf longs mois. La violence des combats entre les forces ukrainiennes et l’armée russe, appuyée par le groupe paramilitaire Wagner, a dévasté la ville, qui abritait 70 000 personnes avant le début du conflit.
Par Delphine Bernard-Bruls
Publié hier à 16h48, modifié hier à 16h48https://www.lemonde.fr/international/video/2023/05/22/ukraine-les-images-de-bakhmout-devastee-par-la-guerre_6174366_3210.html.
Bakhmout est militairement tombée, ne reste que l’officialisation de sa chute par Kiev, le temps de retirer ses troupes avec «la permission» du groupe Wagner qui veut éviter un bain de sang à des hommes/femmes des deux armées. Les trompettes de Jéricho des «experts» de la guerre des mensonges ont déjà aiguisé leurs plumes pour crier «victoire» (1). Laissons-les à leurs blablas et essayons de saisir les éléments constitutifs du champ de bataille et de la pensée stratégique qui ont mené à cette victoire des Russes et à la défaite Ukraine/OTAN. Disons tout de suite que le titre de l’article n’est pas une figure de style. Il est venu à mon esprit en puisant dans l’histoire militaire qui enseigne qu’une bataille gagnée dans un lieu produit à une armée des gains ailleurs et décalés dans le temps. Je prendrai deux exemples parmi les innombrables batailles du XXe siècle.
La bataille de Stalingrad (1942-43) est à l’origine de la défaite totale de l’Allemagne nazie en 1945. Il en est de même de la défaite de Napoléon sur le fleuve russe la Bérézina, nom devenu synonyme de cuisante défaite. Ainsi, le drapeau de l’Union soviétique planté à Berlin sur la chancellerie de Hitler a été tissé à Stalingrad. De même, la défaite de Napoléon sur le fleuve Bérézina a débuté à Moscou dans l’immense palais vide où Napoléon fut envahi d’une profonde solitude quand il s’est aperçu qu’il dialoguait avec les murs du palais, lui qui espérait voir apparaître le Tsar de toute la Russie signer sa défaite…
Voyons les caractéristiques de la localisation de Bakhmout pour comprendre la fureur et l’âpreté des combats depuis 8 mois. C’est une ville dans une région russophone, industrielle, située dans un nœud de communication non loin de la plus grande ville de la province, Kramatorsk où siège le commandement militaire de ladite province. Pour toutes ces raisons, elle est une ville stratégique aussi bien sur le plan militaire que politique. C’est pourquoi le président Ukrainien voulait la garder coûte que coûte. Les zélateurs propagandiste du «chef de guerre» Zelensky l’ont soutenu bec et ongles. Mais une fois les Américains qui financent la guerre ont vu que la défaite est à la porte des Ukrainiens, le statut de Bakhmout devint uniquement symbolique. Il fallait donc que tout le monde se mette au garde-à-vous devant l’Oncle Sam. Pour les Russes, Bakhmout, ville russophone, est aussi une ville stratégique puisque sa conquête ouvre la voie au reste de la province encore aux mains des Ukrainiens…
Voyons à présent les caractéristiques militaires et les tactiques mises en œuvre pour atteindre les objectifs politiques de chaque camp. En vérité, la guerre se déroule à Bakhmout depuis 11 ans. Elle fait partie de la province de Donetsk, âprement disputée à la suite du coup d’Etat de 2014 contre un gouvernement élu. Les Ukrainiens ont eu le temps de construire de solides défenses dans le but de reprendre la région contrôlée par les Russophones aidés par la Russie…
La bataille de Bakhmout dure depuis 7 à 8 mois, selon le modèle classique de la défense contre un adversaire attaquant. On sait que l’avantage sied à la défense (ici des Ukrainiens) et les Russes occupant la posture plus risquée de l’attaquant. Sauf que les Russes ne sont pas à 10 000 kilomètres de chez eux comme les Américains au Vietnam. Ils guerroient dans un territoire russophone partageant une frontière avec la vieille Russie. Pas de surprise donc d’un ennemi dans le dos. Mais comme la doctrine militaire russe est basée sur la stratégie défensive par philosophie et que l’histoire leur a souvent imposée, la Russie a développé l’artillerie, la reine du champ de bataille, qui soumet les défenses ennemies à un déluge de feu et de bombes. Nous verrons plus loin pourquoi la bataille de Bakhmout a duré si longtemps. A Bakhmout, les Russes ont employé à la fois la tactique défensive avec leur artillerie et la guerre de mouvement avec leurs blindés accompagnés de commodos qui prennent d’assaut les poches de résistance dans les batailles urbaines. C’est ainsi qu’ils ont pris villages et petites villes autour de Bakhmout pour couper les routes d’approvisionnement de l’ennemi.
Pourquoi la victoire russe à Bakhmout a-t-elle commencé à Kherson ? On se souvient qu’un nouveau chef d’état-major a été nommé à la tête de l’armée russe. Cette nomination a eu lieu après les deux offensives ukrainiennes, l’une à Kherson et l’autre au nord-est (Kharkiv). Le nouveau chef Sorovikine se mit au travail pour répondre à ces deux offensives qui firent «accéder» l’armée ukrainienne, aux yeux de ses zélateurs, au statut redoutable des meilleures armées du monde. Tout ça, c’est du pipeau. La chute de Bakhmout et l’évacuation ces jours-ci de la ville de Koupiansk par des habitants âgés ou fragiles, une importante ville conquise lors de l’offensive «éclair» de septembre 2022, est la preuve que les villes conquises sont à nouveau menacées ou reconquises par les Russes. Mais revenons à Sorokivine…
Ce petit résumé des tactiques qui entrent dans un plan stratégique furent appliquées par Sorovikine qui commença par le retrait de la garnison de Kherson-ville. Les troupes retirées, le chef de l’armée russe les expédia à Bakhmout pour remplir deux actions tactiques qui vont jouer un rôle dans le destin de la guerre. Les Russes cherchaient à fixer l’armée ukrainienne à Bakhmout pour l’épuiser, ce sont les mots de Sorovikine. Et ensuite la conquérir, objectif fixé par le président russe. Le plan de Sorovikine allait fonctionner car la ville est militairement et politiquement capitale pour le président ukrainien. C’est pourquoi Zelensky a sacrifié tant de soldats, sacrifice qui n’a fait qu’amplifier le coût politique de la chute de la ville. Pour les Russes, la conquête d’un territoire est, certes, importante mais ce qui assure la fin de la guerre et donc la victoire c’est l’effondrement d’une armée.
Ainsi, pour Sorovikine, Bakhmout concourt à l’épuisement des forces ennemies et ouvre la voie à Kramatorsk, siège de commandement militaire de la province. La durée de la prise de Bakhmout fait partie des tactiques de combat qu’on appelle art opérative. Celui-ci consiste a «rentabiliser» la tactique utilisée dont le but est de produire un effet sur le cours de la guerre mais aussi de causer le maximum de dégâts chez l’ennemi tout en préservant la vie de ses hommes et de leur matériel. Quand l’hécatombe des 100 000 morts et blessés révélée par les Américains, nos «experts» ont fait leur la tactique de Sorovikine en déclarant que les Ukrainiens ont piégé les Russes à Bakhmout pour les épuiser. Drôle de piège qui se traduit par une défaite cinglante militairement et politiquement.
Je me permets d’opposer à la «victoire chantée» de Kherson en novembre 2022 mon article dans Algeriepatriotique du 19 janvier 2023 où j’ai exposé le plan de Sorovikine à partir de sa fameuse intervention-surprise télévisée. Les mêmes «experts» ne juraient que par la technologie nouvelle et se moquaient de ces Russes mal équipés et mal commandés. Aujourd’hui, ils découvrent que l’armée russe ne s’est pas effondrée. Ils se sont mis alors à regarder les invariants de la guerre, le temps, les profondeurs stratégiques, la défensive et la guerre de mouvements, bref l’art de la guerre mis en œuvre avec brio par les Russes. Le résultat de cette intelligence conceptuelle mise en œuvre a d’ores et déjà renvoyé aux calendes grecques la fameuse offensive ukrainienne clamée et déclamée sur tous les tons. Les admirateurs du «chef de guerre» s’impatientent et attendent nerveusement les armes promises par l’OTAN. Tous les appareils de propagande sont d’ores et déjà mis en branle pour rabaisser l’impact de la chute de Bakhmout et promettent que la prochaine contre-offensive ukrainienne va effacer Bakhmout (on a le droit de rêver. Leurs tactiques pour faire oublier la défaite ukrainienne sont simples. Faire de la diversion en sortant de leur carton des «batailles» et des «exploits» imaginaires, la lutte des clans au Kremlin, les trésors cachés de Poutine, Prigogine et son Wagner, bref rien de nouveau à l’Ouest sinon la rage et l’infantilisme d’une propagande à bout de souffle.
La guerre en Ukraine a brouillé beaucoup de points de repère, aiguisé les contradictions sur la scène internationale. La défaite ukrainienne à Bakhmout va accentuer ces contradictions qui vont s’amonceler et déboucher sur l’inconnu et l’incertitude. Et les incertitudes augmentent dangers et menaces dans un monde qui s’est habitué à vivre dans le déni du réel et de l’effacement de l’histoire qui dérangent ses petits privilèges…
Un dernier mot sur la réaction américaine. Les Etats-Unis vont-ils fournir des armes pour la contre-offensive qui se préparerait ? Ou bien vont-ils profiter de l’amère défaite de Bakhmout pour calmer Zelensky et réduire son ambition à conquérir la Crimée ? Tout est possible avec les Américains qui ont mis les doigts dans l’engrenage et ne savent pas trop quoi faire. Après le mal de tête avec le joueur d’échecs Poutine, les voilà devant le casse-tête chinois ! Rester gendarme du monde, c’est du boulot !
1- Un journaliste de ces chaînes-robinets a déclaré sans rougir que Bakhmout est une victoire ukrainienne. J’avais honte pour lui, et plus il essayait d’argumenter sa «trouvaille» à deux sous plus je l’imaginais disparaître au-dessous de la table pour échapper aux regards des autres «experts» présents.
Le président américain a effectué, la semaine dernière, une visite surprise en Ukraine avant de se rendre dans la foulée en Pologne. A Kiev comme à Varsovie, Joe Biden a fait des annonces, des annonces d’aides militaires et financières substantielles (500 millions de dollars avant que ce chiffre soit porté à deux milliards de dollars) qui font craindre l’escalade. Mais il est aussi question de la mise en œuvre d’une batterie de sanctions contre la Russie, la dixième série depuis le déclenchement de l’opération militaire spéciale en Ukraine.
Les médias occidentaux ont assuré un large écho médiatique à cette visite qui est intervenue à l’occasion de l’an un du conflit. Avec le même récit que celui porté depuis le début par les Américains, les responsables européens et tous les russophobes : il y aurait d’un côté la grande méchante Russie et, de l’autre, la gentille Ukraine au chevet de laquelle veillent les sympathiques et tout aussi doux bisounours occidentaux. Comme si les deux guerres d’Irak ne sont qu’une légende ; la guerre en Afghanistan n’eut pas lieu ; la dislocation de la Libye et les massacres en Palestine ne sont que le fruit de l’imagination.
En revanche, ce que ni les médias, encore moins les tenants du schème de la pensée traditionnelle occidentale n’ont pas relayé, ni même commenté à la marge, c’est que, en annonçant d’autres mesures d’aides militaires et financières, Joe Biden dit clairement que la guerre ne fait que commencer. Le conflit est appelé à durer, en tout cas tant que l’objectif de cette guerre n’aura pas été encore atteint. Un objectif de plus en plus évident au fil des mois : affaiblir durablement la Russie et porter le territoire de l’OTAN aux seuils des portes de la Russie, quoi qu’il en coûtera à l’Ukraine. L’Occident sera, de toutes les façons, là pour prendre en charge les réparations.
Avec les nouvelles livraisons d’armes, de chars, de munitions, de systèmes antiaériens, de drones, annoncées par les différents pays de l’Union européenne et l’aide financière apportée par les Américains, c’est la preuve que l’option diplomatique en vue d’une sortie rapide de la guerre n’est pas, pour l’heure en tout cas, dans les papiers de la coalition occidentale. Dans l’agenda de cette ligue antirusse, la paix entre la Russie et l’Ukraine n’est pas à l’ordre du jour, s’accordent à dire des observateurs.
Des observateurs aux yeux desquels n’a pas échappé ce fait nouveau : se joue, indique-t-on, au travers de cette guerre par procuration, une nouvelle redistribution des rôles dans une Europe totalement soumise aux désidératas des Américains. L’on parle désormais de la mise en place d’un processus de mentorat visant à faire glisser le leadership européen vers l’Est, au profit de la Pologne, des Républiques baltes et, à terme, de l’Ukraine, au grand dam de l’Allemagne et de la France, les deux plus grands perdants de ce conflit. Avec l’aide américaine, la Pologne ambitionne de devenir la première puissance militaire de l’Union européenne à la place de la France.
C’est dans l’ordre du possible puisqu’au moment où Joe Biden profite de la guerre en Ukraine, en vendant du gaz de schiste et du pétrole aux Européens, redessine les frontières de l’Europe, tandis que le président polonais arme son pays à tour de bras non pas chez les fabricants européens mais chez les Américains, Emmanuel Macron, lui, déambule entre les étals du marché de Rungis, goûtant au passage du bon fromage. Une sortie sur le terrain ayant pour but d’exister médiatiquement après plusieurs semaines d’absence, sans doute en raison du conflit social sur les retraites.
Près d’un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le discours occidental dénonçant une attaque « non provoquée » est devenu intenable.
Le président américain Joe Biden reçoit son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche, le 21 décembre 2022 à Washington (AFP)
l est particulièrement utile de prendre du recul pour analyser la guerre en Ukraine, près d’un an après l’invasion russe.
En février dernier, il semblait tout au moins superficiellement plausible de désigner la décision du président russe Vladimir Poutine d’envoyer des troupes et des chars chez son voisin comme rien moins qu’un « acte d’agression non provoqué ».
Poutine était soit un fou, soit un mégalomane qui tentait de raviver le programme impérial et expansionniste de l’Union soviétique. Sans opposition à son invasion, il allait devenir une menace pour le reste de l’Europe.
Une Ukraine vaillante et démocratique avait besoin d’un soutien sans réserve de l’Occident – et d’un approvisionnement quasi illimité en armes – pour tenir tête à un dictateur voyou.
L’Ukraine est devenue le champ de bataille permettant à Washington de revenir sur les dossiers inachevés de la guerre froide
Mais ce discours semble de plus en plus s’effilocher, du moins si l’on va au-delà des médias de l’establishment – des médias qui n’ont jamais semblé aussi monotones, aussi déterminés à battre le tambour de guerre, aussi amnésiques et aussi irresponsables.
Quiconque conteste les efforts incessants déployés au cours de l’année passée pour intensifier le conflit – qui entraîne un bilan humain et des souffrances incommensurables, fait grimper en flèche les prix de l’énergie, provoque des pénuries alimentaires à l’échelle mondiale et engendre en fin de compte un risque de guerre nucléaire – est accusé de trahir l’Ukraine et de faire l’apologie de Poutine.
Aucune dissidence n’est tolérée.
Poutine est Hitler, nous sommes en 1938 et quiconque cherche à faire baisser la température n’est qu’un adepte de la politique d’apaisement, à l’instar du Premier ministre britannique Neville Chamberlain.
C’est du moins ce qu’on nous dit. Mais le contexte est d’une importance cruciale.
Mettre fin aux « guerres éternelles »
Six mois à peine avant que Poutine n’envahisse l’Ukraine, le président Joe Biden a retiré l’armée américaine d’Afghanistanaprès deux décennies d’occupation. Il s’agissait en apparence de l’accomplissement de sa promesse de mettre fin aux « guerres éternelles » de Washington qui lui coûtaient « tant de sang et d’argent ».
La promesse implicite était que l’administration Biden allait non seulement ramener les troupes américaines des « bourbiers » du Moyen-Orient que représentaient l’Afghanistan et l’Irak, mais aussi veiller à ce que les impôts américains cessent de partir à l’étranger pour remplir les poches de fournisseurs militaires, de fabricants d’armes et de responsables étrangers corrompus. Les dollars allaient être dépensés sur le territoire national pour résoudre les problèmes nationaux.
Mais depuis l’invasion russe, cette hypothèse s’est effondrée. Dix mois plus tard, il semble fantaisiste d’imaginer qu’il y ait eu la moindre intention de la part de Biden.
En décembre, le Congrès américain a approuvé une augmentation colossale du « soutien » essentiellement militaire à l’Ukraine, portant le total officiel à une centaine de milliards de dollars en moins d’un an, avec sans doute beaucoup plus de coûts cachés au public. Ce montant dépasse de loin le budget militaire annuel total de la Russie.
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Washington et l’Europe déversent en Ukraine des armes toujours plus offensives. Ainsi encouragé, Kyiv pousse de plus en plus le champ de bataille à l’intérieur du territoire russe.
Les responsables américains, tout comme leurs homologues ukrainiens, entendent combattre la Russie jusqu’à ce que Moscou soit « vaincu » ou que Poutine soit renversé, transformant ainsi ce conflit en une nouvelle « guerre éternelle » identique à celle à laquelle Biden venait de renoncer – cette fois-ci en Europe plutôt qu’au Moyen-Orient.
Début janvier, dans le Washington Post, Condoleezza Rice et Robert Gates, deux anciens secrétaires d’État américains, ont appelé Biden à « offrir de toute urgence à l’Ukraine une augmentation considérable de ses fournitures et capacités militaires ». […] Il est préférable [d’]arrêter [Poutine] maintenant, avant que l’on n’exige davantage des États-Unis et de l’OTAN. »
En décembre, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a averti qu’une guerre directe entre l’alliance militaire occidentale et la Russie était une « possibilité réelle ».
Quelques jours plus tard, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été accueilli en héros lors d’une visite « surprise » à Washington. La vice-présidente américaine Kamala Harris et la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi ont déployé un grand drapeau ukrainien derrière leur invité, telles deux groupies, pendant qu’il s’adressait au Congrès.
Les législateurs américains ont offert à Zelensky une ovation de trois minutes, plus longue encore que celle accordée à l’autre fameux « homme de paix » et défenseur de la démocratie, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Le président ukrainien s’est fait l’écho de Franklin D. Roosevelt, président américain durant la Seconde Guerre mondiale, en réclamant une « victoire absolue ».
Tout cela n’a fait que souligner le fait que Biden s’est rapidement approprié la guerre en Ukraine en exploitant l’invasion russe « non provoquée » pour mener une guerre américaine par procuration. L’Ukraine est devenue le champ de bataille permettant à Washington de revenir sur les dossiers inachevés de la guerre froide.
Compte tenu du timing, les esprits cyniques pourraient se demander si Biden ne s’est pas retiré de l’Afghanistan non pas pour se concentrer enfin sur le redressement des États-Unis, mais pour préparer son entrée dans une nouvelle arène de confrontation, afin de donner un nouveau souffle à cet éternel scénario américain d’une domination militaire tous azimuts.
Fallait-il « abandonner » l’Afghanistan pour permettre à Washington d’investir son argent dans une guerre contre la Russie dans laquelle il n’y aurait pas de pertes humaines américaines ?
Des intentions hostiles
La réponse qui vient, bien sûr, est que Biden et son administration ne pouvaient pas savoir que Poutine était sur le point d’envahir l’Ukraine. C’était la décision du dirigeant russe, pas celle de Washington. Sauf que…
De hauts responsables politiques américains et des experts des relations américano-russes – de George Kennan à William Burns, actuellement directeur de la CIA sous Biden, en passant par John Mearsheimer et feu Stephen Cohen – avertissaient depuis des années que l’expansion de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie sous l’égide des États-Unis ne pouvait que provoquer une réponse militaire russe.
Des partisans des rebelles ukrainiens pro-russes brandissent des photos montrant des dégâts, tandis qu’un enfant tient une pancarte aux couleurs de l’Ukraine sur laquelle on peut lire « Ukraine, dis non au fascisme » et « Stop aux nazis en Ukraine ! », le 16 mars 2015 à Berlin (AFP)
Poutine avait mis en garde contre ces dangereuses conséquences en 2008, lorsque l’OTAN a soumis pour la première fois l’idée d’une candidature de l’Ukraine et de la Géorgie – deux ex-États soviétiques frontaliers avec la Russie – à une adhésion. Il n’a laissé aucune place au doute en envahissant presque immédiatement la Géorgie, bien que brièvement.
C’est cette réaction « non provoquée » qui a vraisemblablement retardé l’exécution du plan de l’OTAN. Néanmoins, en juin 2021, l’alliance a réaffirmé son intention d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN. Quelques semaines plus tard, les États-Unis ont signé avec Kyiv des pactes distincts en matière de défense et de partenariat stratégique, offrant ainsi à l’Ukraine de nombreux avantages liés à une appartenance à l’OTAN sans en faire officiellement un pays membre.
Entre les deux déclarations de l’OTAN en 2008 et 2021, les États-Unis n’ont cessé de signaler leurs intentions hostiles à l’égard de Moscou et de montrer comment l’Ukraine pourrait contribuer à leur position géostratégique agressive dans la région.
Washington se soucie moins de l’avenir de l’Ukraine que de son objectif consistant à épuiser la force militaire de la Russie tout en l’isolant de la Chine, qui semble être la prochaine cible des États-Unis dans leur quête de domination totale
En 2001, peu après le début de l’expansion de l’OTAN vers les frontières russes, les États-Unis se sont retirés unilatéralementdu traité ABM (« Anti-Ballistic Missile ») de 1972, destiné à éviter une course aux armements entre les deux ennemis historiques.
Libérés du traité, les États-Unis ont ensuite déployé des batteries de missiles dans le périmètre élargi de l’OTAN, en Roumanie en 2016 et en Pologne en 2022. Le discours employé pour couvrir ces mesures était que ces sites étaient purement défensifs et visaient à intercepter tout missile tiré par l’Iran.
Toutefois, Moscou ne pouvait ignorer que ces systèmes d’armement étaient également aptes à une utilisation offensive et que des missiles de croisière à tête nucléaire pouvaient pour la première fois être lancés vers la Russie dans un délai très court.
En 2019, le président Donald Trump a renforcé les inquiétudes de Moscou en se retirant unilatéralement du traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Cela a ouvert la porte aux États-Unis pour lancer une première frappe potentielle sur la Russie avec des missiles stationnés dans les nouveaux pays membres de l’OTAN.
Alors que l’OTAN flirtait une fois de plus avec l’Ukraine au cours de l’été 2021, la capacité des États-Unis à lancer une frappe préventive avec l’aide de Kyiv – et de détruire ainsi la capacité de Moscou à riposter efficacement, tout en brisant sa dissuasion nucléaire – était un danger qui devait vivement préoccuper les décideurs russes.
Le sceau des États-Unis
Cela ne s’est pas arrêté là. L’Ukraine post-soviétique était profondément divisée, tant sur le plan géographique qu’électoral, sur la question de savoir si elle devait se tourner vers la Russie ou vers l’OTAN et l’Union européenne pour préserver sa sécurité et son commerce. Au fil d’élections très serrées, elle a oscillé entre ces deux pôles. L’Ukraine était un pays en proie à une crise politique permanente et à une corruption profonde.
C’est dans ce contexte que s’est produit à Kyiv en 2014 un coup d’État/une révolution qui a renversé un gouvernement élu pour préserver les liens avec Moscou. Un gouvernement ouvertement anti-russe a été installé à sa place. Le sceau de Washington – sous couvert de « promotion de la démocratie » – était un élément omniprésent du changement soudain de gouvernement au profit d’un gouvernement étroitement aligné sur les objectifs géostratégiques américains dans la région.
De nombreuses communautés russophones d’Ukraine – concentrées dans l’est, le sud et la péninsule de Crimée – ont été révoltées par cette prise de pouvoir. Craignant que le nouveau gouvernement hostile installé à Kyiv ne tente de mettre fin à son contrôle historique de la Crimée et du seul port dont dispose la Russie dans les mers chaudes, Moscou a annexé la péninsule.
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D’après un référendum ultérieur, la population locale a soutenu cette décision à une écrasante majorité. Les médias occidentaux ont largement décrit un résultat frauduleux, mais des sondages occidentaux ultérieurs ont laissé entendre que les Criméens le jugeaient fidèle à leur volonté.
C’est toutefois la région orientale du Donbass qui a été l’élément déclencheur de l’invasion russe en février dernier. Une guerre civile a rapidement éclaté en 2014, opposant les communautés russophones de la région à des combattants ultra-nationalistes et anti-russes, originaires pour la plupart de l’ouest de l’Ukraine, parmi lesquels des néonazis décomplexés. Plusieurs milliers de personnes sont mortes au cours des huit années de combats.
Alors que l’Allemagne et la France ont négocié les accords dits de Minsk avec l’aide de la Russie pour mettre fin au massacre dans le Donbass en promettant à la région une plus grande autonomie, Washington a semblé encourager l’effusion de sang.
Les États-Unis ont déversé de l’argent et des armes en Ukraine. Ils ont formé les forces ultranationalistes ukrainiennes et se sont efforcés d’intégrer l’armée ukrainienne dans l’OTAN par le biais de son principe d’« interopérabilité ». En juillet 2021, alors que les tensions s’intensifiaient, les États-Unis ont organisé un exercice naval conjoint avec l’Ukraine en mer Noire, l’opération Sea Breeze, lors de laquelle la Russie a dû tirer des coups de semonce contre un destroyer de la marine britannique qui était entré dans les eaux territoriales de la Crimée.
À l’hiver 2021, comme l’a souligné le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, Moscou avait atteint son « point d’ébullition ». Les troupes russes se sont massées à la frontière ukrainienne dans des proportions sans précédent, signe manifeste que Moscou avait perdu patience face à la collusion de l’Ukraine avec ces provocations orchestrées par les États-Unis.
Le président Zelensky, qui a été élu pour sa promesse de rétablir la paix dans le Donbass mais qui s’est montré incapable de maîtriser les éléments d’extrême droite au sein de sa propre armée, a poussé dans la direction opposée.
Les forces ultra-nationalistes ukrainiennes ont intensifié le bombardement du Donbass dans les semaines qui ont précédé l’invasion. Dans le même temps, Zelensky a fait fermer des médias de premier plan et s’apprêtait à interdire les partis politiques d’opposition et à exiger des médias ukrainiens qu’ils mettent en œuvre une « politique d’information unifiée ». Alors que les tensions montaient, le président ukrainien a menacé de développer des armes nucléaires et de réclamer une adhésion accélérée à l’OTAN, vouée à embourber encore plus l’Occident dans le massacre du Donbass et à intensifier le risque d’une confrontation directe avec la Russie.
Éteindre la lumière
C’est alors, après quatorze années d’ingérence américaine aux frontières de la Russie, que Moscou a envoyé ses soldats – de manière « non provoquée ».
L’objectif initial de Poutine, quoi qu’en aient dit les médias occidentaux, semblait être le plus léger possible étant donné que la Russie lançait une invasion illégale. Dès le départ, la Russie aurait pu mener ses attaques dévastatrices actuelles contre l’infrastructure civile ukrainienne, fermer les voies de communication et éteindre la lumière dans une grande partie du pays. Mais elle semble avoir délibérément évité une campagne de choc et stupeur à l’américaine.
Un soldat d’une unité d’artillerie ukrainienne tire en direction de positions russes à la périphérie de Bakhmout, le 8 novembre 2022 (AFP)
À la place, elle s’est d’abord concentrée sur une démonstration de force. Moscou semble avoir supposé, à tort, que Zelensky aurait reconnu que son pays avait exagéré, qu’il se serait rendu compte que les États-Unis – situés à des milliers de kilomètres – ne pouvaient pas être les garants de sa sécurité et qu’il aurait été contraint de désarmer les ultra-nationalistes qui s’en prenaient aux communautés russes de l’est du pays depuis huit ans.
Ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Du point de vue de Moscou, l’erreur de Poutine n’est pas tant d’avoir lancé une guerre non provoquée contre l’Ukraine que d’avoir trop tardé à l’envahir. L’« interopérabilité » militaire de l’Ukraine avec l’OTAN était bien plus avancée que ce que les planificateurs russes semblent avoir estimé.
Dans une récente interview, l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, qui a supervisé les négociations de Minsk visant à mettre fin au massacre du Donbass, a semblé – bien que par inadvertance – se faire l’écho de cette opinion : les pourparlers ont servi de couverture pendant que l’OTAN préparait l’Ukraine à une guerre contre la Russie.
Beaucoup plus d’argent sera dépensé et beaucoup plus de sang sera versé. Il n’y aura pas de gagnants, à l’exception des faucons néoconservateurs en charge de la politique étrangère qui dominent Washington et des lobbyistes de l’industrie de la guerre qui tirent profit des aventures militaires sans fin de l’Occident
Au lieu d’empocher une victoire rapide et un accord sur de nouvelles dispositions en matière de sécurité régionale, la Russie est désormais engagée dans une guerre par procuration prolongée contre les États-Unis et l’OTAN, où les Ukrainiens servent de chair à canon. Les combats et les pertes humaines pourraient se poursuivre indéfiniment.
Alors que l’Occident est résolu à ne pas rétablir la paix et à expédier des armes aussi vite qu’elles sont fabriquées, l’issue s’annonce sombre, qu’il s’agisse d’une nouvelle division territoriale sanglante de l’Ukraine entre un bloc pro-russe et un bloc anti-russe par la force des armes ou d’une escalade vers une confrontation nucléaire.
Sans l’intervention prolongée des États-Unis, la réalité est que l’Ukraine aurait dû parvenir à un arrangement il y a de nombreuses années avec son voisin beaucoup plus grand et plus fort, tout comme le Mexique et le Canada ont dû le faire avec les États-Unis. L’invasion aurait été évitée. Aujourd’hui, le destin de l’Ukraine ne lui appartient guère. Elle est devenue un pion de plus sur l’échiquier des superpuissances.
Washington se soucie moins de l’avenir de l’Ukraine que de son objectif consistant à épuiser la force militaire de la Russie tout en l’isolant de la Chine, qui semble être la prochaine cible des États-Unis dans leur quête de domination totale.
En parallèle, Washington a atteint un objectif plus large en anéantissant tout espoir de compromis en matière de sécurité entre l’Europe et la Russie, en renforçant la dépendance tant militaire qu’économique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis et en poussant l’Europe à s’associer à ses nouvelles « guerres éternelles » contre la Russie et la Chine.
Beaucoup plus d’argent sera dépensé et beaucoup plus de sang sera versé. Il n’y aura pas de gagnants, à l’exception des faucons néoconservateurs en charge de la politique étrangère qui dominent Washington et des lobbyistes de l’industrie de la guerre qui tirent profit des aventures militaires sans fin de l’Occident.
- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Jonathan Cook is the author of three books on the Israeli-Palestinian conflict, and a winner of the Martha Gellhorn Special Prize for Journalism. His website and blog can be found at www.jonathan-cook.net
Jonathan Cook
Lundi 13 février 2023 - 08:19 | Last update:7 hours 22 mins ago
- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.
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