Mardi 28 mars, les députés français ont adopté par 168 voix contre 2, une résolution reconnaissant le caractère génocidaire de la famine planifiée de 1932-1933 que les Ukrainiens appellent « Holodomor » : « l’extermination par la faim ».
« Nul ne peut nier la réalité du crime » mais « s'agissait-il d'exterminer le peuple ukrainien en tant que tel ? », s'est interrogé le député Bastien Lachaud qui, avec ses amis insoumis, ont préféré s’abstenir. Des communistes ont été les seuls à avoir voté contre. « Nous refusons de contribuer à la politisation des enjeux de mémoire et d'histoire », a expliqué le député Jean-Paul Lecoq.
On doit à la vérité de rappeler, comme l’a fait l’incontournable historien français de l’URSS Nicolas Werth, que des chercheurs, de plus en plus minoritaires (Robert Davies, Stephen Wheatcroft), « minimisent les spécificités nationales, rejettent fermement la qualification de génocide attribuée au Holodomor et plaident pour une approche de la famine comme un « phénomène complexe », non intentionnel… ».
C’est vrai, mais depuis 1980, après l’ouvrage magistral de Robert Conquest, Sanglantes moissons, les travaux convergent de plus en plus sur des certitudes. La thèse de la « famine intentionnelle » de type génocidaire s’impose très largement. Dans son Que sais-je ?, Les grandes famines soviétiques (1), Werth met d’ailleurs à jour ces conclusions en s’appuyant sur les derniers travaux.
Sur l’ampleur vertigineuse du désastre démographique et de la mortalité d’abord : une béance de 4,5 millions d’hommes et de femmes. Soit une surmortalité de 3,9 millions et un déficit de naissances de 600 000. La surmortalité due à la famine est très concentrée : de 250 000 environ en 1932, elle explose au cours des sept premiers mois de 1933 (jusqu’à la récolte) au cours desquels elle s’élève à 3 250 000 – soit plus de 450 000 morts par mois, 15 000 par jour – avant de retomber fortement à partir d’août (250 000 décès supplémentaires entre août et décembre 1933). En 1934, la surmortalité est de 150 000.
À la question : cette « catastrophe » est-elle due à la seule brutalité aveugle inhérente à la collectivisation stalinienne ou relève-t-elle de la volonté de briser les reins des paysans d’Ukraine, mais aussi le sentiment national ukrainien fut il porté par les communistes eux-mêmes, Werth est très net. Il cite à l’appui les décisions politiques de Staline, de Molotov, de Kaganovitch multipliant les prélèvements des dernières semences alors qu’ils savent que la famine explose : « L’approfondissement des connaissances sur la famine qui a frappé l’Ukraine en 1932-1933, résume Werth, met clairement en évidence sa singularité. Les mécanismes politiques et la chaîne des responsabilités ayant conduit à la famine, puis à son aggravation intentionnelle à partir de l’automne 1932, sont aujourd’hui bien établis »
Les lecteurs le plus anciens se souviendront peut-être du dissident soviétique Victor Kravchenko qui dans son best-seller mondial, J’ai choisi la liberté, racontait comment les équipes de gros bras dont il était, arrachaient aux paysans leurs derniers sacs de grains…. (2)
Pour compléter la dimension « intentionnelle » aux fins d’épuration sociale (liquidation des koulaks) et nationale de la famine planifiée, on lira aussi le chapitre terrifiant « famines soviétiques » de l’immense livre de l’historien américain Timothy Snyder, Terres de sang. (3)
« Rafal Lemkin, le juriste international qui devait inventer plus tard le mot génocide, voyait dans le cas ukrainien, rapporte Snyder, « l’exemple classique du génocide soviétique ». Le tissu de la société rurale ukrainienne s’en est trouvé éprouvé, tendu, déchiré. Quand ils n’étaient pas morts, les paysans ukrainiens furent humiliés, éparpillés dans les camps. Ceux qui survécurent ne purent se défaire du sentiment de culpabilité et d’impuissanc, voir de souvenirs de collaboration et de cannibalisme. Des centaines de milliers d’orphelins d’Ukraine furent élevés pour devenir des citoyens soviétiques … » Rien ne change vraiment …
En adoptant cette motion mardi dernier, les députés français, salués d’ailleurs par le président ukrainien Zelensky, réparent un peu la prestation de Édouard Herriot, l’ex-Président du Conseil des ministres français et chef du parti radical. Herriot qui accepta en effet en août 1933 une invitation officielle en Ukraine dont il traversa en train de joyeux « villages Potemkine » reconstitués. Tout le centre de Kiev fut également nettoyé, pourvu de boutiques achalandées en produits qui n’étaient pas à vendre. Un gigantesque trompe l’œil riant et coloré tout au long de son voyage en « terre de sang et de famine » !
Le terme d’ « idiot utile » est faible pour caractériser le rôle pathétique joué par notre compatriote Herriot. Lui qui gouta un excellent caviar en passant par Moscou. Lui qui déclarait à la presse française à son retour avec les gigatonnes d’aplomb que confèrent la sincérité : « Lorsqu’on soutient que l’Ukraine est dévastée par une famine, permettez-moi de hausser les épaules […]. J’ai traversé l’Ukraine. Eh bien ! Je vous affirme que je l’ai vue tel un jardin en plein rendement !
Guillaume Malaurie
Le jeudi 30 mars 2023
https://www.historia.fr/le-sel-de-lhistoire/les-d%C3%A9put%C3%A9s-pas-tous-reconnaissent-l%E2%80%99extermination-par-la-faim-dans-l%E2%80%99ukraine-de
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