La ville de Gonesse a baptisé une allée au nom d’Ali Boumendjel, militant algérien pour la démocratie, la paix et l’indépendance de l’Algérie, assassiné lors de la « bataille d’Alger ».
Près de 65 ans son assassinat, une allée de Gonesse, dans le Val-d'Oise, a été baptisée du nom de l’avocat et militant algérien, Ali Boumendjel, par le maire de la ville en présence de la famille du défunt résistant.
Une plaque portant son nom a ainsi été apposée, mardi 29 novembre, sur une allée du quartier populaire de la Fauconnière.
Son assassinat reconnu par Emmanuel Macron !
Le Président de la République a reconnu, en mars 2021, « au nom de la France » qu’Ali Boumendjel a été « torturé et assassiné » par les troupes françaises pendant la guerre d'Algérie de 1957, contredisant par cette occasion la thèse officielle d'un suicide.
Cette reconnaissance annoncée par Emmanuel Macron à la famille d’Ali Boumendjel est un geste d’apaisement recommandé par l’historien Benjamin Stora dans son rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie, afin de résoudre les tensions autour de la mémoire de ce conflit.
Un avocat en faveur de la paix et de la démocratie
L’historien Benjamin Stora a souligné l’importance de cette inauguration qui a une valeur symbolique.
« C’est la première fois, à ma connaissance en France » qu’a été dévoilé une plaque de rue au nom d’Ali Boumendjel, « ce militant algérien pour la démocratie, pour la paix et pour l'indépendance de l'Algérie », a souligné l'historien et spécialiste de la guerre d’Algérie.
« La bataille continue pour le respect des droits de l'homme, une société plus juste et égalitaire, et qui doit affronter avec lucidité les passés douloureux », a écrit Benjamin Stora dans un message transmis à l'AFP.
Jean-Pierre Blazy, maire socialiste de Gonesse, a affirmé que l’hommage à Ali Boumendjel va « faire cohabiter les mémoires pour tenter de guérir les passions douloureuses de l’histoire ».
|EVENEMENT | En présence de Bernard PECH, de Mehdi, May BOUMENDJEL et de Dalila Smati BOUMENDJEL et Sami Smati BOUMENDJEL, deux nouvelles allées ont été dénommées aujourd’hui à Gonesse. Ainsi nommer une allée Ali BOUMENDJEL et une allée Fanny PECH participe au travail de conciliation des mémoires 60 ans après la fin de la guerre d’Algérie. Jeudi 1er décembre à 19h en salle Jacques Brel venez assister au débat « Gonesse au carrefour des récits : guerre d’Algérie, histoire urbaine et immigration » #mémoire#evenement#denomination#reconnaissance#gonesse
Aujourd’hui dans « Affaires sensibles », un monument de l’histoire du cinéma politique, « La Bataille d’Alger » de l’italien Gillo Pontecorvo.
Avec
Benjamin Stora Historien, auteur du rapport public "Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie" commandé en juillet 2020 par le président de la République
Deux mois après la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, visite chargée de symboles, du jamais vu, 60 ans après les accords d’Evian, replongeons dans l’histoire d’un film que l’on peut qualifier de maudit, ne serait-ce que sur notre territoire. Tourné en 1965, soit seulement trois ans après la fin de la guerre d’Algérie, le film met quatre ans à sortir en France, suscite de nombreuses protestations avant de quasiment sombrer dans l’oubli pendant trente ans.
Tandis qu’il est mis à l’index en France, le film connaît un grand succès à l’étranger. Et notamment aux Etats-Unis, où il est nommé trois fois aux Oscars, d’abord pour le meilleur film étranger en 1967 ensuite pour la meilleure réalisation et le meilleur scénario en 1969.
Mais ce qui fait de *« *** La Bataille d’Alger ** » un film à part, c’est aussi et surtout qu’il est multi-instrumentalisé. D’abord c’est un film dont s’emparent quantité d’organisations terroristes dans les années 60/70. Des Black Panthers à l**’IRA**, ils sont nombreux à vouloir prendre exemple sur le contenu insurrectionnel du film. Mais il est aussi utilisé à des fins anti-subversives. Aussi bien par les dictatures d’Amérique latine dans les années 60 que par le Pentagone au moment de la guerre d’Irak.
Comment un film anticolonialiste tel que « La Bataille d’Alger » a-t-il pu être mis au service de causes si différentes ? Trajectoire d’un film à double tranchant.
Le raï algérien est entré, jeudi 1er décembre, au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. C’est une énorme consécration pour ce genre musical séculaire, rendu célèbre à travers le globe dans les années 1990 grâce à des artistes algériens comme Cheb Khaled, Cheb Hasni ou encore Cheb Mami. Pour Tarik El-Kébir, cogérant du mythique studio de musique Disco Maghreb, le label décerné par l’institution onusienne est une « récompense méritée ». « Le raï a toute sa place dans le classement du patrimoine culturel mondial. Il a traversé les années et les frontières et a su fédérer un très grand nombre de personnes grâce aux thématiques abordées dans les chansons comme l’amour impossible », se réjouit le producteur de musique, heureux de voir le genre musical décrié pour ses textes crus, voire vulgaires, enfin réhabilité. « Pendant longtemps, le raï était interdit sur les ondes de radio et les antennes de télévision. Voilà que l’Etat algérien défend cet art populaire. C’est un juste retour des choses », se félicite-t-il.
Dans son dossier de candidature, l’Algérie a rappelé que le raï, qui signifie littéralement « mon opinion » en arabe, est apparu à la fin du XIXe siècle. Pratiqué à l’origine « au milieu des populations paysannes et de pasteurs nomades des hautes plaines steppiques et de l’atlas saharien à l’ouest du pays », il s’est épanoui après l’indépendance en 1962. Au cours de l’important exode rural vers les centres urbains qui a suivi, Oran en est devenu la capitale. La note de présentation précise aussi que le raï « s’est imposé au niveau international grâce à la communauté algérienne installée à l’étranger, principalement en France ».
Nasreddine Touil, directeur artistique et cofondateur du festival de raï à Oran dans les années 1980, espère que l’inscription au patrimoine culturel mondial de l’Unesco apportera un nouveau souffle à un genre musical mis à mal depuis le début des années 2000 par le piratage massif. La production est artisanale et les représentations en public sont confinées dans les cabarets. « Cette reconnaissance mondiale du raï va permettre non seulement de préserver ce patrimoine, mais aussi de restructurer l’industrie musicale et de relancer la production, en faisant revenir sur le devant de la scène les anciens compositeurs, en rouvrant des studios d’enregistrement et en accompagnant la nouvelle génération de chanteurs », souhaite ce membre actif de l’association Art-cultures et protection du patrimoine musical oranais (ACPPMO), qui a participé à l’élaboration du dossier de candidature.
« Dossier commun »
Ironie du sort, le comité du patrimoine culturel de l’Unesco, qui examine depuis lundi une cinquantaine de candidatures, parmi lesquelles la harissa tunisienne et la baguette de pain française, est présidé pour cette dix-septième session par le Maroc. Depuis longtemps, le voisin de l’Est, grand rival politique, diplomatique et culturel, dispute à l’Algérie la paternité du raï. Au point d’avoir laissé planer le doute sur une éventuelle candidature en 2020 avant d’y renoncer. La même année, les autorités algériennes avaient déposé leur dossier de candidature auprès de l’institution onusienne, après une première tentative inaboutie en 2016, suscitant une polémique au royaume chérifien.
La démarche continue de faire grincer des dents au Maroc. L’ambassadeur marocain auprès de l’Unesco, Samir Addahre, a ainsi regretté de ne « pas avoir pu présenter un dossier commun » avec l’Algérie étant donné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. En 2020, Rabat et Alger s’étaient entendus pour déposer une candidature conjointe, avec la Tunisie et la Mauritanie, pour inscrire le couscous, plat emblématique du Maghreb, au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Du côté algérien, on espère que la décision prise jeudi mettra un terme à la querelle « inutile » sur l’origine de ce genre musical. « Le débat est clos. De grands artistes marocains reconnaissent eux-mêmes que le raï est 100 % algérien », estime Nasreddine Touil. « La polémique doit prendre fin, car il est indiscutable que le raï est né dans l’ouest de l’Algérie. Mais cela n’empêche pas les artistes marocains d’exceller dans ce genre musical et de continuer à produire des chansons que nous prendrons plaisir à écouter », avance Tarik El-Kébir.
Avant l’entrée du raï dans la liste du patrimoine mondial immatériel de l’Unesco, qui rend hommage aux pratiques, traditions et savoir-faire à conserver, l’Algérie avait déjà fait inscrire six « éléments culturels » : l’Ahelil du Gourara (en 2008), pratiqué notamment lors des mariages berbères, le costume nuptial féminin de Tlemcen (en 2011), le pèlerinage du Rab de Sidi Cheikh (en 2013), l’Imzad, sorte de violon touareg (en 2013), la fête de la Sbeiba à Djanet (en 2014) et les cérémonies de commémoration du Sbouh à Timimoun (en 2015).
Célia Zouaoui(Alger, correspondance)
Par Célia Zouaoui(Alger, correspondance)
Publié le 01 décembre 2022 à 14h17, mis à jour hier à 11h54
Après les Halles de Schaerbeek et le Théâtre des Doms, à Avignon, c'est au Rideau que Salim Djaferi interroge à nouveau avec brio la violence du langage.
Ce que Salim Djaferi a toujours nommé "guerre" d'Algérie de ce côté-ci de la mer Méditerranée est forcément appelé autrement sur l'autre rive...
Un jour de juillet 2018, Salim Djaferi entre dans une librairie d'Alger pour y chercher des livres sur la guerre d'Algérie. C'est son premier séjour dans cette ville, mais ses origines algériennes l'ont déjà mené à se documenter sur le sujet – en particulier sur la période qui a précédé l'indépendance. Pourtant, il ne trouve rien: aucun rayon ne parle de la guerre d’Algérie. Il finit par demander conseil à la libraire, qui lui répond avec étonnement: "Tous les ouvrages sur la Guerre d'Algérie se trouvent au rayon Révolution." Ce qu'il a toujours nommé "guerre" de ce côté-ci de la mer Méditerranée est forcément appelé autrement sur l'autre rive...
Cette anecdote, le comédien en fait le point de départ d'une enquête passionnante dont il révèle les étapes dans Koulounisation, un spectacle qui décortique et analyse, avec humour et audace, l'impact du langage et de sa violence sur nos vies. Comment dit-on "colonisation" en arabe? La question paraît à première vue d'une simplicité folle: en écoutant Salim Djaferi l'énoncer, on se demande pourquoi on ne se l'est pas posée plus tôt... Et pourtant, la réponse est loin d'être évidente! Car le langage, quel qu'il soit, fabrique et recompose le monde, façonne nos représentations et notre imaginaire, propose plusieurs visions de l'histoire, intime ou collective... Ayant compris cela, Salim Djaferi se met en quête de comprendre quels récits sont véhiculés dans les mots du colonialisme; quelles histoires sont racontées et quelles autres sont tues…
Selon les supporters, le succès des Lions de l’Atlas repose sur le talent de sa diaspora : 14 des 26 joueurs de la sélection présente au Qatar sont nés à l’étranger.
L’équipe du Maroc célèbre sa victoire contre la Belgique lors de la Coupe du monde au Qatar, le 27 novembre 2022 (AFP)
L’air est empli d’une atmosphère singulière.
Le drapeau rouge et vert du Maroc flotte sur les voitures, les supporters portent fièrement leur maillot et affichent un optimisme sincère quant à la capacité des Lions de l’Atlas à réaliser quelque chose de grand à la Coupe du monde au Qatar.
Après sa victoire face au Canada (2-1) au stade al-Thumama de Doha jeudi, le succès du Maroc sur le pré rassemble les supporters de toute la région et suscite un rare moment d’unité panarabe.
« Tant que tu as un lien du sang avec le Maroc, tu es marocain »
– Fatima-Ezzahra Hayad, supportrice
Alors que les supporters se délectent de la magie proposée par leurs protégés sur le rectangle vert, le Maroc est cité par certains comme un exemple parmi les pays classés hors du top 20 au classement FIFA dans sa manière de puiser dans sa diaspora mondiale pour triompher.
Achraf Hakimi, qui s’est particulièrement distingué en ce début de Mondial, est né en Espagne. Sofiane Boufal, qui joue un rôle clé dans la construction du jeu, est originaire de France, tandis que le brillant Hakim Ziyech, premier buteur face au Canada, a vu le jour aux Pays-Bas.
Plus de 130 joueurs présents à la Coupe du monde représentent une sélection différente de leur pays de naissance : ainsi, le recours à la diaspora n’est pas une question spécifique à l’équipe nationale marocaine.
Le milieu offensif Wahbi Khazri, qui a annoncé sa retraite internationale après son but victorieux contre la France (1-0), était l’un des nombreux joueurs de la sélection tunisienne nés en France. Les États-Unis, l’Angleterre, l’Australie ou encore le Qatar, pays hôte, ont également fait appel à des joueurs nés à l’étranger.
Mais aucune sélection présente au Mondial ne compte plus de joueurs nés à l’étranger que le Maroc.
Nés à l’étranger mais liés au Maroc
Lors de la Coupe du monde 1998 en France, l’équipe du Maroc ne comptait que deux joueurs nés hors du pays. Cette fois-ci, pas moins de 14 joueurs sur les 26 qui composent la sélection sont nés à l’étranger.
Le Maroc n’a rien à se reprocher dans ses choix de joueurs : la majorité des supporters rencontrés par Middle East Eye estiment par ailleurs que la question n’est pas particulièrement problématique, étant donné que les joueurs entretiennent des liens forts avec le pays.
Interrogé par MEE, Ayman El Felyani, étudiant à Tétouan, une ville située à 220 km au nord de la capitale Rabat, estime que la nationalité est un concept à géométrie variable.
L’un de ses joueurs préférés, le défenseur Noussair Mazraoui, né aux Pays-Bas, a toujours évolué dans des clubs européens mais a des parents marocains.
Le Printemps du football arabe
« En tant que Marocain, même si les joueurs étaient nés sur Mars, je n’en aurais rien à faire », lance Felyani.
Cette volonté des supporters d’ignorer la forte dépendance de leur équipe nationale à l’égard de talents nés à l’étranger est peut-être liée à la multitude d’identités parmi les joueurs.
Achraf Hakimi, qui porte un nom courant dans le royaume, continue de rendre hommage à ses origines marocaines et a reçu à plusieurs reprises des éloges de joueurs légendaires tels que Noureddine Naybet, le décrivant comme source de « fierté pour le Maroc et [de] joie pour le pays ».
Wisal Elkha, expatrié marocain installé en Italie et supporter de longue date des Lions de l’Atlas, souligne le côté pratique du recrutement opéré par l’équipe nationale auprès des clubs européens.
« Ici, on sait que l’on trouve les meilleurs clubs en Europe, où il est possible de côtoyer de grands joueurs et de progresser à leurs côtés, et où le football pratiqué est d’un niveau élevé. »
La victoire avant tout
Le Maroc dispose d’un grand vivier de talents. En 2018, les missions diplomatiques du pays ont enregistré 4,2 millions de Marocains vivant hors du royaume, un contingent estimé à environ 10 % de sa population à l’époque.
La diaspora conserve néanmoins des liens étroits avec le royaume. Selon une étude réalisée en septembre par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, une institution gouvernementale, 61 % des Marocains âgés de 18 à 35 ans vivant en Europe se rendent tous les ans au Maroc.
Pour les plus fervents supporters des Lions de l’Atlas, le patriotisme et les chances de victoire de la sélection l’emportent sur le lieu de naissance de chacun.
« Les Marocains apprécient le fait que beaucoup de ces footballeurs aient choisi de jouer pour leur pays d’origine alors qu’ils avaient la possibilité de jouer pour une sélection européenne »
– Mohamed Ben Moussa, professeur à l’université de Charjah
Fatima-Ezzahra Hayad, une professionnelle en marketing originaire de Salé, une ville du nord-ouest du Maroc, estime que la présence d’une star comme Achraf Hakimi, considéré comme l’un des meilleurs défenseurs d’Europe cette saison, peut dynamiser l’équipe.
« Si tu es le meilleur à ton poste, tu dois être appelé dans l’équipe nationale », affirme cette supportrice présente au Mondial à Doha.
« L’équipe à proprement parler, en particulier les joueurs binationaux ou ayant vécu toute leur vie à l’étranger, est représentative du Maroc tant que les joueurs aiment le pays et contribuent à son succès.
« Tant que tu as un lien du sang avec le Maroc, tu es marocain. Chacun de tes exploits et les contributions que tu apporteras au Maroc seront considérés comme une source de fierté. »
C’est cette fierté nationale qui a incité Fatima-Ezzahra Hayad à suivre son équipe au Qatar, et elle n’est pas la seule. Mohamed Sitri, ambassadeur du Maroc à Doha, a affirmé dans une récente interview accordée au site web Winwin que les Marocains figuraient parmi les dix premières nationalités en matière d’achats de billets pour les matchs de la Coupe du monde.
Une vaste diaspora
La présence d’Achraf Hakimi, Noussair Mazraoui et d’autres immigrés de deuxième génération dans l’équipe nationale marocaine témoigne d’une tendance aussi ancienne que la Coupe du monde elle-même : l’immigration marocaine vers l’Europe.
Selon Said Saddiki, professeur de relations internationales à l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, les émigrés marocains, à l’image des autres diasporas maghrébines, ressentent un attachement durable à leur patrie.
« Cette relation forte se manifeste lors des grands événements publics tels que les matchs de football », explique-t-il à MEE.
« L’équipe du Maroc ne me représente pas » : pour les Sahraouis, pas question de soutenir les Lions de l’Atlas en Coupe du monde
« Les débordements qui ont lieu à Paris ou à Bruxelles lorsqu’une sélection maghrébine gagne ou perd un match important en sont une illustration. »
Après la victoire surprise du Maroc face à la Belgique (2-0) et celle face au Canada synonyme de qualification pour les huitièmes de finale, des débordements ont eu lieu dans plusieurs villes belges et néerlandaises.
Mohamed Ben Moussa, professeur associé de communication à l’université de Charjah, explique que les liens entre la patrie et la diaspora sont de plus en plus forts, notamment grâce aux voyages fréquents et aux mariages.
« Il n’y a pratiquement aucune famille marocaine qui ne compte pas au moins un membre dans la diaspora.
« On considère que l’équipe nationale représente cet aspect fondamental de l’identité marocaine moderne. En réalité, vivre et réussir à l’étranger, comme le font ces footballeurs, est une source de fierté supplémentaire. »
Des talents locaux
Certains supporters des Lions de l’Atlas soutiennent que le Maroc brille lorsqu’il met en avant les footballeurs nés sur son territoire.
Nommé au poste de sélectionneur en 2019, l’ancien footballeur Vahid Halilhodžić est entré en conflit avec des joueurs clés, notamment Hakim Ziyech et Noussair Mazraoui, ce qui les a éloignés de la sélection marocaine.
En août, le technicien bosnien a été remplacé par Walid Regragui, un entraîneur franco-marocain qui a porté le maillot les Lions de l’Atlas et de plusieurs clubs européens.
Presque immédiatement, il a rappelé Hakim Ziyech et Noussair Mazraoui dans sa liste des 26.
Qatar 2022 : cinq joueurs de la région MENA à surveiller
Abderrazak Khettabi, un supporter vivant à Casablanca, s’interroge sur le dévouement envers l’équipe nationale de certains footballeurs marocains jouant à l’étranger.
Il cite Hakim Ziyech et l’attaquant Marouane Chamakh, qui a désormais raccroché les crampons, comme deux exemples de joueurs qui, selon lui, ne portent pas fièrement le maillot.
« Il y a des joueurs comme Ziyech qui jouent extrêmement bien en club, alors qu’en sélection, ils jouent comme s’ils avaient peur de se blesser », souligne-t-il.
« C’est quelque chose que nous disions aussi à propos de Chamakh, à l’époque. Peut-être que leurs agents leur disent de ne pas jouer à fond pour éviter de se blesser, car ils pourraient perdre leur salaire en Europe. »
Que ce supporter soit rassuré : si son attitude en sélection a pu décevoir par le passé, Hakim Ziyech répond bel et bien présent au Qatar. Auteur d’une passe décisive contre la Belgique, le milieu de Chelsea monte en puissance et a ouvert la marque d’un lob astucieux face au Canada.
Abderrazak Khettabi oppose ces deux joueurs à Houcine Ammouta et Jamal Sellami, deux ex-footballeurs nés au Maroc qui, selon lui, « jouaient avec le cœur ». Houcine Ammouta entraîne aujourd’hui le Wydad AC, le club favori de Khettabi, basé à Casablanca.
Construire de meilleures infrastructures
Les supporters s’inquiètent de la faiblesse des investissements dans le championnat national marocain, susceptible d’entraver la recherche de diamants à polir pour les futures compétitions.
Ayman El Felyani, l’étudiant de Tétouan, constate avec amertume que « de nombreux jeunes footballeurs voient leurs rêves de gloire locale s’envoler à cause du manque – ou plutôt de l’absence totale – d’infrastructures sportives pour soutenir ces talents en herbe ».
Il y a quelques années, la FIFA s’est fait l’écho de certaines de ces préoccupations. La candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2026 est tombée à l’eau après qu’un rapport en 2018 a soulevé des interrogations sur l’adéquation des infrastructures du royaume et la qualité de ses installations pour les joueurs. Les inspecteurs ont souligné que les stades constituaient un sujet particulier présentant un « risque élevé ».
VIDÉO : Des supporteurs de foot marocains chantent contre la monarchie
Aujourd’hui, les Marocains semblent souhaiter que leurs dirigeants approfondissent le développement du football local.
Selon une enquête réalisée en 2022 par le Conseil économique, social et environnemental, une institution gouvernementale marocaine, 60 % des personnes interrogées estiment que « les politiques publiques devraient cibler » le football.
Le Maroc a déjà pris des mesures pour répondre à ces préoccupations. En 2009, l’Académie Mohammed VI de football a été ouverte pour proposer une nouvelle filière aux talents locaux. Un atelier du Programme de développement des talents de la FIFA s’est également tenu dans le royaume en juin.
Pour cette édition de la Coupe du monde, cependant, les supporters ont l’intention de soutenir les Lions de l’Atlas tels qu’ils sont.
« Les Marocains apprécient le fait que beaucoup de ces footballeurs aient choisi de jouer pour leur pays d’origine alors qu’ils avaient la possibilité de jouer pour une sélection européenne », souligne Mohamed Ben Moussa, le professeur à l’université de Charjah.
« C’est la preuve ultime que l’on est un “vrai” Marocain. »
Le puissant patron des renseignements algériens, Mohamed Mediène alias Toufik, a été mis à la retraite par le chef de l’État Abdelaziz Bouteflika. La fin d’un parcours de plus de 25 ans à la tête du DRS ? Voici son portrait, publié en février 2014, alors qu’il venait d’être violemment critiqué par un proche du clan présidentiel.
Il y a dix ans, la seule évocation de son nom relevait presque du tabou. Son image plus encore : on recense à peine trois clichés, pris en cachette. Inamovible chef des services de renseignements depuis vingt-quatre ans, Mohamed Mediène, alias Toufik, 75 ans, a toujours inspiré crainte ou révérence. Sa personnalité et son influence dans les cercles du pouvoir n’ont cessé d’alimenter légendes et fantasmes, à tel point que ses compatriotes l’ont surnommé Reb Dzaïr (« le dieu de l’Algérie »).
Mais ça, c’était avant. Avant le tsunami médiatique soulevé par les violentes critiques que lui a adressées Amar Saadani. Le secrétaire général du FLN a accusé le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), dirigé par Mediène, d’avoir essuyé de nombreux échecs et a été jusqu’à réclamer la tête de ce dernier. Porte-voix du clan présidentiel, très proche de Saïd Bouteflika, Saadani accuse également le général-major et son service de s’opposer à un quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, qui peine à se remettre de son accident vasculaire cérébral du 27 avril 2013.
Le DRS, un État dans l’État
Aujourd’hui, le patron du DRS ne semble plus intouchable. Mais si le tabou est brisé, le mystère Toufik demeure entier. Originaire de la Petite Kabylie, cet ancien combattant de la guerre d’indépendance fait ses classes au début des années 1960, tout d’abord comme artilleur en Jordanie, puis auprès des maîtres espions soviétiques du KGB, avant d’occuper, deux décennies durant, divers postes au sein de la Sécurité militaire (longtemps dirigée par le non moins mystérieux Kasdi Merbah, qui fut son mentor).
TRÈS À L’ÉCOUTE DE SES COLLABORATEURS, QUI LUI SONT EXTRÊMEMENT FIDÈLES, TOUFIK EST AU COURANT DE TOUT.
En septembre 1990, Mohamed Mediène prend du galon en héritant de la direction des services secrets, rebaptisés pour l’occasion DRS et soustraits à l’autorité de l’état-major grâce à leur rattachement direct à la présidence. Ses prérogatives sont tentaculaires, ses pouvoirs redoutables, ses moyens immenses.
Sécurité intérieure, espionnage et contre-espionnage, protection du président, lutte contre le terrorisme, contrôle des médias et de l’information, infiltration du tissu associatif et des partis politiques… Toufik fera du DRS un État dans l’État. « Il tire sa force et sa puissance des innombrables réseaux qu’il a tissés en cinquante ans de carrière dans les Services, témoigne l’une de ses connaissances. Très à l’écoute de ses collaborateurs, qui lui sont extrêmement fidèles, il est au courant de tout. »
Féru de renseignements, peu loquace, dévorant dossiers et synthèses, qu’il annote souvent au crayon, l’homme est, dit-on, un animal à sang froid. « Il s’emporte rarement, prend du recul sur les événements et garde son self-control même dans les situations les plus dramatiques – et Dieu sait que l’Algérie en a connu durant les vingt dernières années. Cela explique en partie sa longévité », témoigne un officier qui l’a côtoyé. D’une discrétion absolue, fuyant les mondanités, cet homme réputé intègre contrôle étroitement son image. Amateur de cigares et passionné de football, un sport qu’il pratique au moins une fois par semaine, Toufik n’a jamais accordé d’entretien à la presse, bien qu’il reçoive discrètement des journalistes.
Il appuie la réélection de Bouteflika
Qualifié de faiseur de rois, il aura joué un rôle clé lors de la démission de Chadli Bendjedid en 1992 et de son remplacement par Mohamed Boudiaf (assassiné six mois plus tard), dans l’élection de Liamine Zéroual en 1995 puis son retrait, annoncé en 1998, ainsi que dans l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en 1999. Loyal, il appuie la réélection de ce dernier en 2004, bénit son projet de réviser la Constitution de 1996, qui limitait l’exercice présidentiel à deux mandats, avant de soutenir sa troisième candidature (victorieuse). Mais comme le chef de l’État, Mohamed Mediène devra un jour prendre sa retraite. Quand ? La réponse fait partie des mystères de Toufik.
En septembre 1998, le chef de l’État annonçait son départ et la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Dix-huit ans après, Jeune Afrique a pu reconstituer les circonstances précises de ce tournant majeur dans l’histoire récente du pays.
En cette nuit du jeudi 3 septembre 1998, Liamine Zéroual, 57 ans, a du mal à trouver le sommeil. Seul dans le jardin d’une résidence de luxe, à Windhoek (Namibie), que son homologue namibien, Sam Nujoma, a mise à sa disposition, le président algérien fait les cent pas, grillant cigarette sur cigarette. On le sait couche-tard et gros fumeur, mais, cette nuit-là, quelque chose semble le hanter.
Une décision difficile
Encore un massacre perpétré par les GIA ? Des ennuis de santé ? Des soucis familiaux ? Un énième scandale médiatique éclaboussant le général Mohamed Betchine, son ami et conseiller à la présidence ? Rien de tout cela : Zéroual a une décision importante à prendre, et pèse le pour et le contre. Tard dans la nuit, après des heures passées à cogiter, il a enfin tranché.
Le lendemain, dans l’avion présidentiel qui le ramène à Alger, il invite les collaborateurs qui l’ont accompagné dans son périple africain à le rejoindre dans le petit salon. Il est serein mais grave. « Vous savez que je voulais partir il y a un an, leur dit-il. À l’époque, les décideurs n’étaient pas d’accord, arguant qu’il n’était pas opportun de quitter le pouvoir. Eh bien ce moment est venu. Il faut laisser la place à d’autres. Je pars. Je vais le faire savoir dès mon retour à Alger. » Vendredi 11 septembre, huit jours après cette confidence faite à 10 000 m d’altitude, Liamine Zéroual annonce la tenue d’une élection présidentielle anticipée.
La suite est connue. Adoubé par l’armée, Abdelaziz Bouteflika lui succédera en avril 1999. Depuis son départ, Zéroual ne s’est jamais exprimé sur les circonstances qui l’ont conduit à quitter le palais d’El-Mouradia. Discret et réservé de nature, il a toujours évité les journalistes et décliné les propositions d’entrevue. Mohamed Betchine cultive le même goût du silence. S’il soutient que son ami Zéroual a été poussé à la démission, il refuse d’en dire davantage. Dix-huit ans plus tard, JA revient sur cet événement qui a bouleversé le cours de l’histoire en Algérie. Récit inédit d’une démission forcée.
» Un désintérêt manifeste pour le pouvoir et ses privilèges »
Nous sommes en octobre 1997. Presque deux ans après avoir été élu à la présidence, Zéroual veut déjà céder sa place. À ses proches collaborateurs, ce général redevenu civil développe son principal argument : il a comblé le vide institutionnel consécutif à l’interruption du processus électoral et à la démission, en janvier 1992, du président Chadli Bendjedid.
L’Algérie a désormais à sa tête un chef de l’État démocratiquement élu, en dépit des menaces des GIA. Et une nouvelle Constitution consacrant l’alternance au pouvoir a été adoptée par référendum en novembre 1996. Le pays dispose d’une Assemblée nationale et d’un Conseil de la nation (Sénat) où siègent tous les courants politiques, y compris les islamistes. Des assemblées locales ont été élues pour assurer le transfert des pouvoirs de l’Administration vers les représentants choisis par la population. Le terrorisme a été ramené à un état résiduel, quand bien même une série de massacres effroyables, commis durant l’été 1997 aux portes d’Alger, viennent rappeler que la lutte antiterroriste n’est pas encore gagnée.
Dans le cadre de la réconciliation nationale, Zéroual a mené un dialogue avec les dirigeants du Front islamique du salut (FIS, dissous en février 1992), mais ces derniers ont refusé de condamner les violences. Pour dégarnir les maquis, il a promulgué, deux ans plus tôt, la loi sur la rahma (« clémence ») afin de permettre à des centaines de terroristes de déposer les armes et de répondre de leurs crimes devant les juges. Mission accomplie donc pour Zéroual, dont le désintérêt manifeste pour le pouvoir et ses privilèges est un secret de Polichinelle.
N’avait-il pas démissionné en 1990 de son poste de chef des forces terrestres ? Puis quitté l’ambassade algérienne à Bucarest, où il avait été affecté quelques mois plus tard, pour retourner dans sa maison de Batna, dans l’est du pays, arguant qu’il ne voulait pas être payé à ne rien faire ?+
« Il faut maintenant prévoir une élection présidentielle anticipée », déclare Zéroual en ce mois d’octobre 1997. Mais quand ses collaborateurs, l’état-major de l’armée ainsi que les responsables des services de renseignements (DRS) apprennent qu’il veut écourter son mandat, ils manquent de s’étrangler. Pour eux, l’Algérie ne peut s’offrir le luxe de plonger dans une nouvelle période de turbulences et d’incertitude.
« Vous devez poursuivre votre mission », lui lance le général Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée et farouche partisan de l’éradication du terrorisme. Zéroual se résout à temporiser. Mais un dossier explosif viendra le contrarier sérieusement et empoisonner ses relations avec les services secrets, à l’époque dirigés par Mohamed Mediène, dit Toufik. Au terme de plusieurs mois de négociations secrètes avec le numéro deux du DRS, l’Armée islamique du salut (AIS) avait décrété une trêve unilatérale des armes à partir du 1er octobre 1997.
Pour arracher cet accord au bras armé du FIS, le DRS et l’armée ont dû sécuriser les campements de l’AIS, ravitailler ses terroristes en vivres et mobiliser les moyens de l’État (avions et véhicules) pour permettre à ses émirs de se déplacer dans plusieurs régions du pays afin d’expliquer le bien-fondé de cet armistice. Quels sont les termes de ce fameux accord ? À ce jour, Madani Mezrag, ex-chef de l’AIS, refuse d’en divulguer le contenu dans sa totalité, mais il en a laissé filtrer les grandes lignes dans les années 2000.
On sait donc que les deux parties avaient négocié une amnistie pour les combattants de l’AIS, l’intégration de certains d’entre eux dans les rangs de l’armée nationale pour combattre les résidus des GIA et la levée des contraintes administratives frappant les dirigeants du FIS.
Les termes de cet accord, négocié par le numéro deux du DRS au nom de son supérieur hiérarchique, révulsent Zéroual. Comme le rapporte l’un de ses ex-conseillers, « les positions des uns et des autres étaient devenues presque inconciliables. »
Si le DRS et une partie de l’establishment militaire sont favorables à un tel prolongement politique de la trêve, c’est parce que celui-ci neutraliserait de fait des milliers de terroristes et permettrait aux services de sécurité de se concentrer sur la traque et l’élimination des GIA. Washington n’est pas insensible à cet argument. Cameron Hume, ambassadeur des États-Unis à Alger, se fait l’avocat de cette option directement auprès de Zéroual, qui le reçoit pendant quarante minutes en décembre 1997.
Lorsque Hume lui explique, en prenant un luxe de précautions, que cet accord AIS-armée peut préfigurer un dialogue mettant définitivement fin aux violences qui ensanglantent l’Algérie, le sang du chef de l’État algérien ne fait qu’un tour. « La réponse de Zéroual ne laissait pas la moindre chance à la poursuite de la discussion sur le sujet », écrira l’ambassadeur américain.
Une opposition résolue à l’amnistie
« Le président pensait qu’on négociait les conditions d’une reddition, confie l’un de ses proches. Et voilà qu’il découvre qu’il est question d’amnistie. » Ancien maquisard de la guerre de la libération, Zéroual refuse catégoriquement de reconnaître à l’AIS le statut de belligérant. « Je ne reconnais qu’une seule armée : l’Armée nationale populaire, martèle-t‑il. Je ne peux pas négocier avec les mercenaires que j’ai combattus et vaincus. La seule négociation, c’est le dépôt des armes. »
Voir des terroristes devenir les supplétifs des forces de sécurité ? Cette perspective horripile Zéroual, qui rappelle qu’il a « toujours haï les harkis » et qu’il ne veut pas voir « au sein de l’APN une nouvelle forme de harkis ». L’amnistie pour les terroristes de l’AIS ? L’idée même le fait bouillonner de rage. Pour lui, ils doivent se rendre aux autorités, déposer les armes dans les casernes, être traduits en justice pour rendre compte de leurs crimes et condamnés, pour ceux qui ont du sang sur les mains.
Quant aux repentis jugés non coupables de crimes de masse, ils seront placés sous surveillance pendant une période de dix ans. Et, en cas de violation de la probation, ils seront emprisonnés. « Je ne peux pas permettre à quelqu’un qui a brûlé vif un bébé de rentrer librement chez lui, lâche Zéroual devant l’un de ses ministres. Il est inconcevable que ces gens regagnent leurs foyers sans rendre de comptes. L’absolution et le pardon, c’est aux victimes de les accorder, pas à moi. »
La présidence et le DRS ne parvenant pas à trouver un compromis, le général Mohamed Mediène ouvre une piste : l’organisation d’un référendum populaire pour trancher la question. Réponse de Zéroual : « Allez-y si votre référendum est accepté par le peuple. Mais cet accord, vous le ferez sans moi… » Homme au caractère bien trempé, le président refuse de céder.
Son intransigeance se résume par son refus de l’idée même de consensus. Dès lors, comment sortir de cette impasse, alors que le terrorisme continue de faucher des dizaines de victimes ? que les demandes d’enquête internationale sur les massacres se font de plus en plus pressantes et nombreuses ? que les requêtes pour poursuivre les généraux algériens devant le TPI s’empilent ? et que l’AIS menace de reprendre les armes ? Comment lui faire entendre raison ? Faut-il le pousser à partir ou l’affaiblir au point de lui arracher un compromis ? On ne voit qu’un seul moyen : cibler son ami Mohamed Betchine.
Un ami gênant
Ex-patron de la sécurité militaire (SM) dans les années 1980, propriétaire d’un groupe de presse, riche homme d’affaires, Betchine est l’interface entre le chef de l’État et les grandes institutions (armée, DRS, classe politique et sphère économique). Sa puissance et son entregent ont décuplé avec la création du Rassemblement national démocratique (RND), dont il est l’un des éminents dirigeants. En moins de dix mois, ce parti né en février 1997 détient désormais la majorité à l’Assemblée nationale.
Durant l’été 1998, Betchine fait l’objet d’une campagne de presse d’une rare violence. Tortures durant les émeutes de 1988, affairisme rampant, emprisonnement de milliers de cadres innocents, ambitions présidentielles… Les accusations fusent et se multiplient. On réclame son limogeage, son jugement, son bannissement de la politique. Au-delà de Betchine, qu’on présente comme une sorte de Raspoutine à l’algérienne, c’est évidemment le procès de la présidence de Zéroual qui est conduit à coups de brûlots. Réputé pour sa droiture et son intégrité, le président est estomaqué par l’ampleur de l’affairisme et de la corruption.
Lui qui disait vouloir « des hommes loin des clans et des affaires », voilà qu’il découvre que certains sont empêtrés dans des scandales d’enrichissement douteux. « Je ne me considère pas en droit de parachever le développement de l’affairisme et de la corruption », soupire-t‑il devant l’un de ses collaborateurs au cours de l’été 1998. Sacrifier Betchine ? Si Zéroual se sent trahi par son ami, il refuse cependant de le faire. Dans un discours prononcé le 18 août 1998, il prend la défense de son conseiller sans jamais le nommer et dénonce la cabale qui le vise. Le message est clair : on ne force pas la main à Liamine Zéroual.
Mais certains membres du sérail ne l’entendent pas de cette oreille. Quelques heures après ce discours, Khaled Nezzar, ex-ministre de la Défense, reçoit un haut responsable proche du président à son domicile sur les hauteurs d’Alger. « Zéroual ne veut pas reconnaître l’accord que nos compagnons ont signé avec l’AIS », peste le général.
Nezzar retient les bienfaits de la trêve, loue le travail des militaires, s’agace des positions de son ancien camarade et ne fait pas mystère d’un consensus au sein des généraux décideurs contre Betchine. « Zéroual ne veut pas assumer ses responsabilités, maugrée l’ex-ministre de la Défense. » Au fil de la discussion, Nezzar évoque la fin de la légitimité révolutionnaire et glisse deux noms comme possibles successeurs de Zéroual.
« Que pensez-vous d’Ali Benflis et d’Ahmed Ouyahia ? demande-t‑il à son interlocuteur. Qui voyez-vous comme futur président ? » Nezzar parie-t‑il sur un prochain départ du chef de l’État ? Veut-il faire passer le message pour l’amener à faire des concessions, voire à se débarrasser de son éminence grise ?
Organiser une présidentielle en 40 jours
Au bout de quinze jours, loin du pays et de ses turbulences, Zéroual finit par trancher la question en son âme et conscience. De retour à Alger le 4 septembre, il demande à ses collaborateurs de préparer sa lettre de démission. Il reçoit les plus hauts dirigeants pour les informer de sa décision. L’entrevue à El-Mouradia avec Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée, est houleuse.
Dans le bureau présidentiel, on pouvait entendre des éclats de voix. Zéroual demande à Lamari de convoquer les cadres de l’état-major pour leur annoncer la nouvelle. « Faites-le vous-même », lui rétorque l’ombrageux général, qui considère ce départ comme un lâchage. Malgré l’insistance de nombreux hauts responsables, rien ne le fera reculer. Fatiguée par le déballage médiatique et inquiète pour la santé du chef de l’État (il a été hospitalisé à deux reprises, en Espagne et en Suisse), la famille de Zéroual ne tente rien pour le faire changer d’avis. Pour hâter la procédure, ce dernier souhaite la tenue d’une présidentielle dans les quarante jours qui suivront l’annonce de sa démission.
Ses conseillers l’en dissuadent et le convainquent d’opter pour une présidentielle anticipée. L’épisode de la démission de Chadli en janvier 1992, qualifiée de coup d’État par certains, est encore dans tous les esprits. Il ne faut en aucun cas parler de démission. « Monsieur le président, quarante jours, c’est trop court pour préparer une succession apaisée », plaide un conseiller.
Un autre estime que confier l’intérim du pouvoir au président du Sénat, Bachir Boumaza, pendant soixante jours, comme le dispose la Constitution, est potentiellement risqué. « Boumaza est un patriote, mais il est caractériel et ingérable, ajoute un autre collaborateur. Avec lui, la transition serait tout sauf sereine. Il faut contrôler le transfert du pouvoir. » Sensible à ces arguments, le président se laisse convaincre. On consulte juristes et constitutionnalistes pour éviter la moindre faille juridique. Une première mouture du discours atterrit sur le bureau de Zéroual.
Il demande des corrections. « Le texte de son intervention a été écrit en une journée », explique l’un de ses rédacteurs. Le 11 septembre, Zéroual annonce dans un discours télévisé la tenue d’une présidentielle anticipée. À El-Mouradia, l’atmosphère est lourde. C’est la fin d’une époque et le début d’une autre, aux contours incertains. « Le président, lui, était serein, se rappelle l’un de ses amis. Comme s’il s’était libéré d’un poids. » Quelques heures après cette annonce, Abdelaziz Bouteflika reçoit un coup de fil de son amie Fatiha Boudiaf depuis le Canada. « Le président vient de démissionner, lui annonce-t‑elle. Le moment est peut-être venu pour toi. »
Cadeau d’arrivée
Le lendemain de l’annonce de son départ, Liamine Zéroual instruit ses conseillers pour rédiger des notes à l’intention de son successeur. Rangées dans des classeurs, celles-ci seront remises en avril 1999 à Abdelaziz Bouteflika lors de la cérémonie de passation de pouvoir. Parmi ces notes figure une mesure touchant des centaines de milliers d’Algériens qui avaient refusé d’effectuer le service militaire.
« Vous laisserez au futur président la possibilité de décréter une amnistie pour les jeunes insoumis du service national », demande Zéroual. « Le décret d’amnistie pour les insoumis était sur le bureau de Zéroual, confie l’un de ses ministres. Il a refusé de le signer. Il a voulu en faire cadeau à Bouteflika afin qu’il commence sa présidence sous de bons auspices. » Dès juin 1999, la présidence annonce une vaste amnistie au profit de ces insoumis.
Bouteflika dit « niet »
L’épisode a été rapporté par Liamine Zéroual lui-même à l’un de ses amis. Après des semaines de négociation avec les généraux, Abdelaziz Bouteflika donne son accord de principe pour prendre la présidence de l’État, succédant au Haut Comité d’État (HCE), mis en place en 1992 après la démission de Chadli Bendjedid et dont le mandat arrivait à échéance le 30 janvier 1994. Le nom du nouveau président devait être annoncé officiellement le 25 janvier au Club des Pins, où se tenait la conférence de dialogue national, mais à minuit Bouteflika n’avait toujours pas donné sa réponse définitive.
Les généraux décident alors de dépêcher Zéroual, ministre de la Défense, au domicile de l’intéressé pour le convaincre de respecter son engagement. Au bout de dix minutes de discussion, Bouteflika refuse le poste. « Je ne veux pas être le pantin des militaires », tranche-t‑il. Zéroual tente de le rassurer : « Dans ce cas, prenez-moi comme ministre de la Défense, lui suggère-t‑il. Je vous donne ma garantie que personne ne vous gênera dans votre mission. » Refus catégorique. À l’aube du 25 janvier 1994, les généraux forcent la main à Zéroual pour qu’il prenne les clés du pouvoir. Quelques heures plus tard, Bouteflika quitte Alger pour Genève
Une édition enrichie de l’ouvrage référence de Sid Ahmed Semiane sur les événements d’octobre 1988 paraît à la fin du mois. En voici, en exclusivité, les bonnes feuilles.
Octobre 1988. Des émeutes d’une extrême violence secouent plusieurs régions de l’Algérie, obligeant le président Chadli Bendjedid, au pouvoir depuis dix ans, à faire sortir l’armée des casernes pour rétablir l’ordre. Le bilan est lourd. Le traumatisme l’est tout autant. Révolte spontanée ou complot ourdi par un clan au pouvoir ? Tortures ordonnées et couvertes par l’État ou simples dépassements d’agents devenus incontrôlables ? Trente ans plus tard, toutes les vérités n’ont pas été dites sur cet épisode qui signa la fin du système du parti unique – le FLN – et ouvrit la voie au pluralisme.
Les protagonistes sont aujourd’hui décédés, âgés ou astreints à un devoir de réserve en vertu d’une loi de 2016. L’écrivain et journaliste Sid Ahmed Semiane (SAS) a eu accès à ces témoins privilégiés. Une première fois pour un ouvrage de référence publié en 1998, intitulé Octobre. Ils parlent, dans lequel il confessait responsables politiques et militaires, acteurs de l’opposition et victimes.
Une nouvelle édition sortira fin octobre chez Barzakh, enrichie de témoignages, d’éclairages et de documents. L’ouvrage original n’aurait pas vu le jour sans le concours de l’avocat Miloud Brahim, dont l’entregent et le carnet d’adresses ont permis d’entrouvrir les portes du sérail et de convaincre les responsables civils et militaires de livrer enfin leurs versions des faits. Une gageure tant ces hommes cultivent le secret, la confidentialité et l’omerta.
Voyage au cœur du pouvoir
Le général-major Larbi Belkheir, chef de cabinet de la présidence en octobre 1988, et le général-major Lakehal Ayat, chef du renseignement à l’époque, ont accepté de revenir sur le contexte entourant ce « printemps algérien ». EI-Hadi Khediri, alors ministre de l’Intérieur, sur les accusations de torture. Le général Khaled Nezzar, commandant des forces terrestres, chargé du maintien de l’ordre durant l’état de siège décrété le 6 octobre, fut le premier à témoigner en 1998.
SACHEZ QUE SI VOUS NE FAITES PAS L’HISTOIRE, ELLE SE FERA CONTRE VOUS, LANCE SID AHMED SEMIANE À NEZZAR
Nezzar se prêta alors au jeu des questions-réponses pendant sept heures. Mais le 25 juin 1998, l’assassinat du chanteur Matoub Lounès manque de faire capoter le projet du livre. Au lendemain de ce crime qui embrase la Kabylie, Nezzar décide de retirer son témoignage. « Le pays va mal, explique-t-il à son confesseur. Ce n’est pas le moment de parler. » Le journaliste insiste. Le témoignage de Nezzar, dont l’ascendant moral sur les civils et les militaires est évident, est la clé de voûte de l’ouvrage. Si lui se défile, personne n’acceptera plus de parler.
« Sachez que si vous ne faites pas l’Histoire, elle se fera contre vous », lance SAS. Nezzar se laisse convaincre. D’autres personnalités firent le choix du silence, comme le président Chadli, impossible à approcher après qu’il eut quitté ses fonctions avec fracas en janvier 1992, et qui emporta ses secrets dans la tombe vingt ans plus tard. Mouloud Hamrouche, secrétaire général de la présidence en 1988, refusa aussi de témoigner. Le général Mohamed Bétchine, chef de la direction centrale de la sécurité de l’armée ? Il posa une condition : ne pas évoquer la torture contre les manifestants et opposants.
Octobre. Ils parlent est un voyage saisissant et documenté – 500 pages – dans les arcanes du pouvoir. Une plongée fascinante et bouleversante au cœur de ces événements qui changèrent le cours de l’histoire de l’Algérie.
Combien de morts ?
Selon le bilan établi le 12 octobre 1988 par la gendarmerie nationale, 169 personnes – 144 civils et 25 membres des services de sécurité – ont perdu la vie durant les événements. La vox populi évoque, elle, de 500 à 1 000 morts. C’est ce chiffre qui est repris partout, ce que déplore Khaled Nezzar, chef du commandement terrestre à l’époque des faits.
Selon lui, l’armée avait communiqué aux médias un bilan officiel lors d’une réunion tenue sur les hauteurs d’Alger. « Aucun journaliste n’a rapporté le contenu de notre conférence », déplore le général-major.
Dans le recueil de ses Mémoires qui vient de paraître, l’ex-homme fort de l’armée algérienne, Khaled Nezzar, apporte un nouvel éclairage sur quelques épisodes marquants de l’histoire nationale et régionale algérienne.
Sa réputation de général le plus bavard de la Grande Muette ne se dément pas avec le temps. Grande gueule devant l’Éternel, admiré par certains, honni par d’autres, le général-major Khaled Nezzar, 79 ans, n’a pas son pareil dans l’armée algérienne. Ancien ministre de la Défense avant de prendre sa retraite, acteur de premier plan au sein d’un système où la frontière entre le politique et le militaire n’est jamais étanche, Nezzar a longtemps compté parmi les décideurs les plus influents du pays.
Auteur de plusieurs ouvrages dans lesquels il revient sur sa longue carrière militaire, Nezzar cultive néanmoins encore le goût du secret, comme au temps de la révolution ou du parti unique. Dans le premier tome du Recueil des Mémoires du général Khaled Nezzar, sorti récemment à Alger, il raconte petits et grands épisodes qui ont marqué l’histoire de l’Algérie, notamment entre l’indépendance, en 1962, et le début de la guerre civile, en 1991.
De Ben Bella à Chadli, en passant par Boumédiène, Hassan II ou encore Kadhafi, cet ouvrage retrace une époque dont les grands protagonistes ne sont plus de ce monde, mais qui auront marqué, chacun à leur façon, le cours de l’histoire de leurs pays respectifs.
Stationné avec son bataillon de soldats à Bou-Saâda, à 240 km au sud-est d’Alger, Khaled Nezzar reçoit de Boumédiène l’ordre de marcher sur Alger aux côtés de l’armée des frontières. Objectif : porter Ahmed Ben Bella à la tête du jeune État algérien. « Tournez les canons vers le bas, lui dit Boumédiène, je ne veux pas de sang, mais il faut arriver à Alger. »
Et Nezzar de brosser un portrait saisissant de ce colonel aussi ambitieux que taciturne. Un visage « osseux et anguleux avec des pommettes saillantes, un front immense, des yeux petits et presque sans cils, une lippe charnue, immobile, pour cacher une dentition ravagée par le mauvais tabac ». Bien sûr, l’âge, l’exercice du pouvoir, une meilleure hygiène de vie et une heureuse vie de couple après des années de célibat avaient changé Boumédiène. Mais cet homme aux multiples facettes gardera toujours ce regard si particulier.
« IL N’Y A AUCUNE HUMANITÉ DANS LE REGARD DE HOUARI BOUMÉDIÈNE QUAND IL SE POSE SUR CELUI QUI A FAIT NAÎTRE SA VINDICTE »
« Un regard fixe, écrit Nezzar, vibrant d’un flux intensément expressif, venant de ces profondeurs de l’être où naissent des instincts primitifs de certains animaux qui savent que, pour survivre, ils doivent mordre et terrasser. Il n’y a aucune humanité dans le regard de Houari Boumédiène quand il se pose sur celui qui a fait naître sa vindicte. » Ses nombreux opposants morts, exilés, excommuniés ou assassinés en savent quelque chose, à commencer par Ahmed Ben Bella, que Boumédiène a porté au pouvoir avant de l’en déloger.
Ben Bella et les sous-marins égyptiens
Les historiens avancent plusieurs raisons pour expliquer la rupture entre Boumédiène et Ben Bella qui débouchera sur le coup d’État du 19 juin 1965. Khaled Nezzar rapporte un épisode qui marque, selon lui, le divorce officiel entre les deux anciens partenaires. Mai 1965. Ministre de la Défense et vice-président, Boumédiène se rend à Moscou à la tête d’une importante délégation militaire.
Irrité par ce déplacement, Ben Bella ordonne le rapatriement de l’avion qui avait conduit les Algériens en URSS. Sans en avertir Boumédiène. À Moscou, les Soviétiques insistent pour que celui-ci prolonge son séjour afin d’assister à la fête nationale du 9-Mai. Les égards avec lesquels est traité son ministre de la Défense agacent Ben Bella, qui dépêche une autre délégation pour prendre part aux cérémonies commémoratives. La crise qui couvait entre les deux hommes sort du cadre algéro-algérien pour prendre une dimension internationale.
QUE FAISAIT L’OFFICIER ÉGYPTIEN DANS UN HÔTEL DE LA CAPITALE ET POURQUOI DES SOUS-MARINS SE TROUVAIENT-ILS NON LOIN DU PORT D’ALGER ?
Embarrassés par les rivalités qui minent les deux délégations présentes sur leur sol, les Russes multiplient les acrobaties pour faire en sorte que les frères algériens ne se croisent pas. Bien que stoïque et flegmatique, Boumédiène vit l’initiative de Ben Bella comme un affront personnel. C’est un casus belli. « C’est ce jour, peut-être, que Ben Bella a scellé son sort », pense Khaled Nezzar.
Que faisait l’officier égyptien dans un hôtel de la capitale et pourquoi des sous-marins se trouvaient-ils non loin du port d’Alger ? Peut-être que le président égyptien Gamal Abdel Nasser, qui avait pris sous son aile Ahmed Ben Bella, comptait intervenir en Algérie pour sauver la tête de son ami. Ulcérés par le coup d’État qui a renversé leur allié, les Égyptiens réclament à Boumédiène la restitution des cinq avions de chasse MIG-15 qu’ils avaient offerts à l’Algérie en guise de cadeau d’indépendance.
Les regrets du patron de la SM
Alger, décembre 1978. Après une agonie d’un mois et demi, Houari Boumédiène s’éteint à l’âge de 46 ans. Discrète pendant que le défunt se mourait dans une chambre stérile de l’hôpital Mustapha d’Alger, la bataille pour sa succession oppose Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères et dauphin autoproclamé, à Mohamed Salah Yahiaoui, patron du FLN. Mais, contre tous les pronostics, un troisième homme apparaît sur les écrans radars.
Il s’agit du colonel Chadli Bendjedid, chef de la 2e région militaire. Sauf que sa candidature n’agrée pas tous ses collègues de l’armée, notamment Khaled Nezzar et Selim Saadi, chef de la 3e région militaire. Nezzar écrit : « Selim et moi étions convaincus que Chadli était le moins qualifié pour exercer la magistrature suprême. Il a des connaissances politiques limitées et un caractère émotif et influençable. »
MOINS MALLÉABLE ET INFLUENÇABLE QU’IL N’Y PARAÎT, REDOUTABLE TACTICIEN ET FIN STRATÈGE, CHADLI S’EMPLOIERA À « DÉBOUMÉDIÉNISER » LE POUVOIR
Les réserves des deux hommes n’auront pas d’influence sur la suite des événements. Chadli sera désigné comme successeur officiel de Houari Boumédiène grâce au travail en coulisses de Kasdi Merbah, le directeur de la redoutable sécurité militaire (SM), qui détient des dossiers sensibles sur tous les dirigeants algériens.
Pourquoi Merbah a-t-il écarté Bouteflika et Yahiaoui ? Son principal souci, expliquera-t-il plus tard, était de désigner un officier afin de préserver l’unité et la cohésion de l’armée, véritable détentrice du pouvoir et garante de la stabilité du pays. « En réalité, juge Nezzar, le chef des services, dans la perspective de conserver la réalité du pouvoir, avait choisi l’homme dont le profil psychologique lui convenait. » En clair, Chadli serait une marionnette entre les mains de Merbah. Mais ce dernier s’est lourdement trompé.
Moins malléable et influençable qu’il n’y paraît, redoutable tacticien et fin stratège, Chadli s’emploiera à « déboumédiéniser » le pouvoir en écartant progressivement la vieille garde, à commencer par Kasdi Merbah, qui sera assassiné par un groupe terroriste en 1993. Quelques années plus tard, son épouse rencontre Khaled Nezzar au cours d’un voyage. Dans l’avion, elle lui fait cette confidence : « Mon mari répétait souvent, avec un soupir, “j’aurais dû écouter Khaled Nezzar”. »
Chadli et le mur marocain
Peu après l’arrivée au pouvoir de Chadli, en février 1979, Hassan II entame la construction du fameux « mur de défense », de 2 720 km, une ligne de fortification pour se protéger des attaques du Front Polisario. Et tente, parallèlement, de se rapprocher de l’Algérie, avec laquelle les relations diplomatiques sont rompues depuis mars 1976.
Grâce aux bons offices des Saoudiens, Hassan II et Chadli Bendjedid se rencontrent une première fois en février 1983, à la frontière algéro-marocaine. Pour Khaled Nezzar – alors chef de la 2e région militaire, qui longe la frontière entre les deux voisins –, ce rapprochement est une ruse de la part du roi du Maroc, qui fait miroiter une solution politique à la crise entre Alger et Rabat.
« Hassan II a des arrière-pensées, écrit Nezzar. Le roi a tout ce qui manque à Chadli : la connaissance parfaite du dossier, la psychologie des hommes, la capacité à feindre et le manque de scrupules qui facilite les volte-face. Chadli n’a pas mesuré au juste prix ce que coûterait à Hassan II, sur le plan intérieur, un abandon de sa politique agressive au Sahara. »
Avec Mohamed Touati, chef d’état-major de la 3e région militaire, Nezzar adresse un mémo à Chadli « pour attirer son attention sur les raisons de ce brusque accès d’amitié envers l’Algérie » de la part du monarque marocain. Les deux hommes proposent des mesures pour empêcher la construction du mur : ouvrir aux combattants du Polisario un champ d’action pour pénétrer dans le territoire marocain, consolider les forces motorisées de l’armée algérienne et, enfin, déployer les hélicoptères de combat et les MIG pour protéger l’espace aérien de l’Algérie.
Lors d’un conclave à Béchar avec le commandement militaire, Chadli approuve le plan, mais refuse de le faire appliquer. Pourquoi ? Explication de Nezzar : « Il se trouve auprès du président des avis opposés, au motif que ce plan pourrait conduire à une guerre généralisée et que le contexte international n’est pas favorable. »
Quand Nezzar plante le roi
Mai 1991. Hassan II est à Oran à l’invitation du président algérien. Au cours du dîner offert en son honneur, le roi échange avec Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense. Ce dernier lui fait part de la vision des généraux algériens des relations entre les deux voisins. « Nous militaires, lui confie-t-il, ne souhaitons qu’une chose : que les problèmes qui existent soient résolus – et résolus d’une façon pacifique. Ensuite nous aimerions nous engager avec l’armée marocaine dans une coopération pour créer les conditions d’une défense commune. L’union du Maghreb sera acquise dès lors que les économies et les forces armées des deux pays en seront les piliers et le moteur. »
Réplique du souverain marocain : « Si c’est comme ça que vous voyez le Maghreb, envoyez, dès demain, une brigade s’installer à Rabat. » Le ministre algérien de la Défense sait que le souverain marocain a une trop grande connaissance de la politique algérienne pour être honnête. « La façon dont est articulée l’Assemblée populaire nationale [APN] n’a pas de secrets pour lui », admet-il.
Le dîner terminé, Chadli demande à Nezzar de faire visiter à son hôte la base navale de Mers el-Kébir, ainsi que ses installations. Pour Nezzar, cette demande est plus qu’embarrassante. Comment le patron de l’armée pourrait-il jouer les guides avec Hassan II alors que les chars algériens sont sur le pied de guerre et que les unités sont sous pression ? Comment dévoiler aux officiers marocains les détails de la principale base navale du pays ? Le risque de démobilisation des troupes de Nezzar n’est pas exclu.
Que faire ? Avaler la couleuvre ou désobéir à l’initiative présidentielle, qu’il juge incongrue ? Khaled Nezzar décide de planter tout le monde et reprend l’avion pour Alger. Le lendemain, le secrétaire général du ministère marocain de la Défense, le commandant de la gendarmerie royale et le directeur des services de sécurité lui rendent visite dans son bureau pour lui transmettre une invitation royale à se rendre à Rabat. Nezzar ne donnera pas suite.
Rabat accepte de livrer le chef du GIA
Si Khaled Nezzar n’est pas allé à Rabat pour honorer cette invitation de Hassan II, il s’y rendra pour une occasion très particulière au printemps 1993. L’Algérie est alors plongée dans une effroyable guerre civile depuis déjà une année quand Abdelhak Layada, fondateur et chef du Groupe islamique armé (GIA), se rend discrètement au Maroc sous une fausse identité pour s’y cacher et tenter de se procurer des armes. Les services de renseignements algériens le localisent dans un hôtel de Oujda, près de la frontière algérienne.
Comment faire pour mettre la main sur Layada ? Organiser une opération à l’intérieur du territoire marocain, au risque de provoquer une crise diplomatique entre les deux capitales, ou informer les Marocains de sa présence sur le sol ? Khaled Nezzar décide d’appeler Driss Basri, ministre de l’Intérieur, pour évoquer la situation sécuritaire sans mentionner le cas d’Abdelhak Layada.
Le général Smaïn Lamari, numéro deux du DRS algérien (les services secrets, dissous en 2016), se rend alors au Maroc pour informer les Marocains de la présence du chef du GIA à Oujda et réclamer sa livraison. Les Marocains n’accèdent pas tout de suite à cette demande. Hassan II souhaite d’abord s’entretenir à Rabat avec Khaled Nezzar. Dans une villa royale, la rencontre entre les deux hommes dure deux heures. Alors qu’ils évoquent les modalités de la remise à l’Algérie du chef terroriste, le souverain marocain se tourne vers son hôte en s’exclamant : « Vous vous rendez compte, nous avons récupéré des stocks d’armes ! »
HASSAN II VA SE SERVIR DE CET ATTENTAT COMME D’UNE MACHINE INFERNALE CONTRE L’ALGÉRIE
Khaled Nezzar est convaincu que les services marocains ont menti à leur roi. Pour lui, l’emplacement des stocks d’armes a été révélé aux Marocains par Smaïn Lamari lors de son séjour au Maroc. Comment ? Ayant infiltré un réseau de soutien au GIA, les services algériens avaient noté les numéros de ces armes pour faciliter leur traçabilité. Le 29 septembre, Abdelhak Layada est officiellement extradé vers l’Algérie, où il sera jugé et condamné à mort. Gracié, il vit aujourd’hui libre, dans une banlieue d’Alger.
Son passage au Maroc provoquera un dommage collatéral, qui pèse encore sur les relations entre les deux capitales. Selon Nezzar, c’est l’une des armes automatiques de ces stocks qui a été utilisée dans l’attentat qui secouera, en août 1994, un hôtel à Marrakech. « La preuve que cet attentat a été monté par les services marocains, écrit Nezzar. Hassan II va se servir de cet attentat comme d’une machine infernale contre l’Algérie. » L’attaque aura comme conséquence la fermeture, jusqu’aujourd’hui, des frontières entre les deux pays.
Kadhafi implore l’aide algérienne
Mars 1987. Les troupes tchadiennes, appuyées par l’aviation française, prennent d’assaut la base libyenne de Ouadi Eddoum, dans la bande d’Aouzou, annexée par le colonel Kadhafi. Craignant que les Tchadiens ne remontent vers le nord pour s’emparer de territoires libyens, le « Guide » sollicite une aide militaire d’urgence auprès de l’Algérie.
Chadli charge Khaled Nezzar, chef d’état-major, d’une mission à Tripoli. Sous une tente dans le palais Al-Aziziya, il rencontre Kadhafi pour connaître la nature de l’aide attendue. De retour à Alger, Nezzar élabore un plan qui prévoit surtout le déploiement de troupes algériennes dans le nord de la Jamahiriya afin de permettre aux armées libyennes de défendre leur territoire au sud.
Le plan validé par Chadli, Nezzar retourne à Tripoli pour le soumettre au colonel. Ce dernier donne son accord, mais pose cette condition : « Les unités algériennes doivent venir sans munitions ! Il leur sera alloué, sur place, des munitions d’instruction à justifier par le reversement des étuis », rapporte Nezzar dans son livre. Les Algériens sont estomaqués par cette requête du colonel. Informé, Chadli reste sans voix. Le plan d’aide tombe à l’eau. « Nous doutons de l’équilibre mental de celui qui ose imaginer une telle aberration », conclut Nezzar.
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