Selon les supporters, le succès des Lions de l’Atlas repose sur le talent de sa diaspora : 14 des 26 joueurs de la sélection présente au Qatar sont nés à l’étranger.
L’équipe du Maroc célèbre sa victoire contre la Belgique lors de la Coupe du monde au Qatar, le 27 novembre 2022 (AFP)
L’air est empli d’une atmosphère singulière.
Le drapeau rouge et vert du Maroc flotte sur les voitures, les supporters portent fièrement leur maillot et affichent un optimisme sincère quant à la capacité des Lions de l’Atlas à réaliser quelque chose de grand à la Coupe du monde au Qatar.
Après sa victoire face au Canada (2-1) au stade al-Thumama de Doha jeudi, le succès du Maroc sur le pré rassemble les supporters de toute la région et suscite un rare moment d’unité panarabe.
« Tant que tu as un lien du sang avec le Maroc, tu es marocain »
– Fatima-Ezzahra Hayad, supportrice
Alors que les supporters se délectent de la magie proposée par leurs protégés sur le rectangle vert, le Maroc est cité par certains comme un exemple parmi les pays classés hors du top 20 au classement FIFA dans sa manière de puiser dans sa diaspora mondiale pour triompher.
Achraf Hakimi, qui s’est particulièrement distingué en ce début de Mondial, est né en Espagne. Sofiane Boufal, qui joue un rôle clé dans la construction du jeu, est originaire de France, tandis que le brillant Hakim Ziyech, premier buteur face au Canada, a vu le jour aux Pays-Bas.
Plus de 130 joueurs présents à la Coupe du monde représentent une sélection différente de leur pays de naissance : ainsi, le recours à la diaspora n’est pas une question spécifique à l’équipe nationale marocaine.
Le milieu offensif Wahbi Khazri, qui a annoncé sa retraite internationale après son but victorieux contre la France (1-0), était l’un des nombreux joueurs de la sélection tunisienne nés en France. Les États-Unis, l’Angleterre, l’Australie ou encore le Qatar, pays hôte, ont également fait appel à des joueurs nés à l’étranger.
Mais aucune sélection présente au Mondial ne compte plus de joueurs nés à l’étranger que le Maroc.
Nés à l’étranger mais liés au Maroc
Lors de la Coupe du monde 1998 en France, l’équipe du Maroc ne comptait que deux joueurs nés hors du pays. Cette fois-ci, pas moins de 14 joueurs sur les 26 qui composent la sélection sont nés à l’étranger.
Le Maroc n’a rien à se reprocher dans ses choix de joueurs : la majorité des supporters rencontrés par Middle East Eye estiment par ailleurs que la question n’est pas particulièrement problématique, étant donné que les joueurs entretiennent des liens forts avec le pays.
Interrogé par MEE, Ayman El Felyani, étudiant à Tétouan, une ville située à 220 km au nord de la capitale Rabat, estime que la nationalité est un concept à géométrie variable.
L’un de ses joueurs préférés, le défenseur Noussair Mazraoui, né aux Pays-Bas, a toujours évolué dans des clubs européens mais a des parents marocains.
« En tant que Marocain, même si les joueurs étaient nés sur Mars, je n’en aurais rien à faire », lance Felyani.
Cette volonté des supporters d’ignorer la forte dépendance de leur équipe nationale à l’égard de talents nés à l’étranger est peut-être liée à la multitude d’identités parmi les joueurs.
Achraf Hakimi, qui porte un nom courant dans le royaume, continue de rendre hommage à ses origines marocaines et a reçu à plusieurs reprises des éloges de joueurs légendaires tels que Noureddine Naybet, le décrivant comme source de « fierté pour le Maroc et [de] joie pour le pays ».
Wisal Elkha, expatrié marocain installé en Italie et supporter de longue date des Lions de l’Atlas, souligne le côté pratique du recrutement opéré par l’équipe nationale auprès des clubs européens.
« Ici, on sait que l’on trouve les meilleurs clubs en Europe, où il est possible de côtoyer de grands joueurs et de progresser à leurs côtés, et où le football pratiqué est d’un niveau élevé. »
La victoire avant tout
Le Maroc dispose d’un grand vivier de talents. En 2018, les missions diplomatiques du pays ont enregistré 4,2 millions de Marocains vivant hors du royaume, un contingent estimé à environ 10 % de sa population à l’époque.
La diaspora conserve néanmoins des liens étroits avec le royaume. Selon une étude réalisée en septembre par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, une institution gouvernementale, 61 % des Marocains âgés de 18 à 35 ans vivant en Europe se rendent tous les ans au Maroc.
Pour les plus fervents supporters des Lions de l’Atlas, le patriotisme et les chances de victoire de la sélection l’emportent sur le lieu de naissance de chacun.
« Les Marocains apprécient le fait que beaucoup de ces footballeurs aient choisi de jouer pour leur pays d’origine alors qu’ils avaient la possibilité de jouer pour une sélection européenne »
– Mohamed Ben Moussa, professeur à l’université de Charjah
Fatima-Ezzahra Hayad, une professionnelle en marketing originaire de Salé, une ville du nord-ouest du Maroc, estime que la présence d’une star comme Achraf Hakimi, considéré comme l’un des meilleurs défenseurs d’Europe cette saison, peut dynamiser l’équipe.
« Si tu es le meilleur à ton poste, tu dois être appelé dans l’équipe nationale », affirme cette supportrice présente au Mondial à Doha.
« L’équipe à proprement parler, en particulier les joueurs binationaux ou ayant vécu toute leur vie à l’étranger, est représentative du Maroc tant que les joueurs aiment le pays et contribuent à son succès.
« Tant que tu as un lien du sang avec le Maroc, tu es marocain. Chacun de tes exploits et les contributions que tu apporteras au Maroc seront considérés comme une source de fierté. »
C’est cette fierté nationale qui a incité Fatima-Ezzahra Hayad à suivre son équipe au Qatar, et elle n’est pas la seule. Mohamed Sitri, ambassadeur du Maroc à Doha, a affirmé dans une récente interview accordée au site web Winwin que les Marocains figuraient parmi les dix premières nationalités en matière d’achats de billets pour les matchs de la Coupe du monde.
Une vaste diaspora
La présence d’Achraf Hakimi, Noussair Mazraoui et d’autres immigrés de deuxième génération dans l’équipe nationale marocaine témoigne d’une tendance aussi ancienne que la Coupe du monde elle-même : l’immigration marocaine vers l’Europe.
Selon Said Saddiki, professeur de relations internationales à l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, les émigrés marocains, à l’image des autres diasporas maghrébines, ressentent un attachement durable à leur patrie.
« Cette relation forte se manifeste lors des grands événements publics tels que les matchs de football », explique-t-il à MEE.
« Les débordements qui ont lieu à Paris ou à Bruxelles lorsqu’une sélection maghrébine gagne ou perd un match important en sont une illustration. »
Après la victoire surprise du Maroc face à la Belgique (2-0) et celle face au Canada synonyme de qualification pour les huitièmes de finale, des débordements ont eu lieu dans plusieurs villes belges et néerlandaises.
Mohamed Ben Moussa, professeur associé de communication à l’université de Charjah, explique que les liens entre la patrie et la diaspora sont de plus en plus forts, notamment grâce aux voyages fréquents et aux mariages.
« Il n’y a pratiquement aucune famille marocaine qui ne compte pas au moins un membre dans la diaspora.
« On considère que l’équipe nationale représente cet aspect fondamental de l’identité marocaine moderne. En réalité, vivre et réussir à l’étranger, comme le font ces footballeurs, est une source de fierté supplémentaire. »
Des talents locaux
Certains supporters des Lions de l’Atlas soutiennent que le Maroc brille lorsqu’il met en avant les footballeurs nés sur son territoire.
Nommé au poste de sélectionneur en 2019, l’ancien footballeur Vahid Halilhodžić est entré en conflit avec des joueurs clés, notamment Hakim Ziyech et Noussair Mazraoui, ce qui les a éloignés de la sélection marocaine.
En août, le technicien bosnien a été remplacé par Walid Regragui, un entraîneur franco-marocain qui a porté le maillot les Lions de l’Atlas et de plusieurs clubs européens.
Presque immédiatement, il a rappelé Hakim Ziyech et Noussair Mazraoui dans sa liste des 26.
Abderrazak Khettabi, un supporter vivant à Casablanca, s’interroge sur le dévouement envers l’équipe nationale de certains footballeurs marocains jouant à l’étranger.
Il cite Hakim Ziyech et l’attaquant Marouane Chamakh, qui a désormais raccroché les crampons, comme deux exemples de joueurs qui, selon lui, ne portent pas fièrement le maillot.
« Il y a des joueurs comme Ziyech qui jouent extrêmement bien en club, alors qu’en sélection, ils jouent comme s’ils avaient peur de se blesser », souligne-t-il.
« C’est quelque chose que nous disions aussi à propos de Chamakh, à l’époque. Peut-être que leurs agents leur disent de ne pas jouer à fond pour éviter de se blesser, car ils pourraient perdre leur salaire en Europe. »
Que ce supporter soit rassuré : si son attitude en sélection a pu décevoir par le passé, Hakim Ziyech répond bel et bien présent au Qatar. Auteur d’une passe décisive contre la Belgique, le milieu de Chelsea monte en puissance et a ouvert la marque d’un lob astucieux face au Canada.
Abderrazak Khettabi oppose ces deux joueurs à Houcine Ammouta et Jamal Sellami, deux ex-footballeurs nés au Maroc qui, selon lui, « jouaient avec le cœur ». Houcine Ammouta entraîne aujourd’hui le Wydad AC, le club favori de Khettabi, basé à Casablanca.
Construire de meilleures infrastructures
Les supporters s’inquiètent de la faiblesse des investissements dans le championnat national marocain, susceptible d’entraver la recherche de diamants à polir pour les futures compétitions.
Ayman El Felyani, l’étudiant de Tétouan, constate avec amertume que « de nombreux jeunes footballeurs voient leurs rêves de gloire locale s’envoler à cause du manque – ou plutôt de l’absence totale – d’infrastructures sportives pour soutenir ces talents en herbe ».
Il y a quelques années, la FIFA s’est fait l’écho de certaines de ces préoccupations. La candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2026 est tombée à l’eau après qu’un rapport en 2018 a soulevé des interrogations sur l’adéquation des infrastructures du royaume et la qualité de ses installations pour les joueurs. Les inspecteurs ont souligné que les stades constituaient un sujet particulier présentant un « risque élevé ».
Selon une enquête réalisée en 2022 par le Conseil économique, social et environnemental, une institution gouvernementale marocaine, 60 % des personnes interrogées estiment que « les politiques publiques devraient cibler » le football.
Le Maroc a déjà pris des mesures pour répondre à ces préoccupations. En 2009, l’Académie Mohammed VI de football a été ouverte pour proposer une nouvelle filière aux talents locaux. Un atelier du Programme de développement des talents de la FIFA s’est également tenu dans le royaume en juin.
Pour cette édition de la Coupe du monde, cependant, les supporters ont l’intention de soutenir les Lions de l’Atlas tels qu’ils sont.
« Les Marocains apprécient le fait que beaucoup de ces footballeurs aient choisi de jouer pour leur pays d’origine alors qu’ils avaient la possibilité de jouer pour une sélection européenne », souligne Mohamed Ben Moussa, le professeur à l’université de Charjah.
« C’est la preuve ultime que l’on est un “vrai” Marocain. »
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