Souad Massi, la musicienne franco-algérienne est au micro de Totémic. Ses débuts sur scène, elle les a faits à Alger en 1989, elle avait 17 ans. Son nouvel album s’intitule “Sequana”, ce mot elle l'a trouvé à l’issue d’une balade le long de la Seine.
Ce jour-là, elle achetait une statuette qui représente la fameuse Sequana, déesse gauloise de la guérison. La déesse est donc devenue disque, composé de 11 chansons qui agissent comme un baume.
Elle continue de creuser son sillon, inédit et singulier sur la scène française. Un répertoire qui associe folk américain et chââbi. Répertoire qui s’ouvre encore plus grand à d’autres registres avec ce disque : bossa nova, rock, blues.
"Sequana" est nommé aux prochaines victoires du jazz dans la catégorie meilleur album de musique du monde. J’en citerai plusieurs vers au cours de cette émission et je commence par celui-ci :
“Sur la marge”, ma vie s’est écrite.”
Extraits de l'entretien :
Son enfance
Petite, Souad Massi jouait au garçon : « Je voulais me cacher, passer inaperçue, me couper les cheveux, jouer au foot. À l'âge de six, sept ans, je pensais que c'était la seule issue pour échapper à la maison, à cette lourdeur, aux interdits. Je voulais être libre et pouvoir jouer comme les garçons. » Sa mère l’a toujours encouragé à être indépendante : « J'ai eu la chance d'avoir une mère qui m’a encouragée à faire de la musique, du sport, des études. Ma mère rêvait de devenir une danseuse étoile, mais c'était un rêve impossible, surtout à l'époque. »
L’influence de sa grand-mère
La grand-mère paternelle de Souad Massi était poétesse : « Elle inventait des poèmes, malheureusement, personne ne les a enregistrés. C'étaient des formes éphémères avec beaucoup de métaphores. J’ai appris beaucoup de choses avec elle parce que j'ai grandi chez elle jusqu'à l'âge de sept ans. J'adorais sa façon de me donner des leçons avec des proverbes et des histoires. »
Souad Massi a grandi dans une famille de mélomanes : « J’ai un oncle qui jouait de la guitare classique et du jazz à la maison, du flamenco aussi. Presque tous mes cousins touchent un instrument, de la mandoline, de la guitare. Mais, pour une femme ou une fille, c’était très mal perçu de faire de la musique, mais mes frères m’ont encouragée et m’ont inscrite au cours de guitare classique.
Son premier tube
En 2001, Saoud Massi signe "Raoui", une chanson qui va devenir un tube en France et en Algérie : « J'accompagnais des amis musiciens à la radio et où ils étaient programmés ailleurs, ils m'ont proposé de les remplacer. Le temps qu'ils fassent leur passage, j'ai chanté cette chanson pour la première fois à l’antenne. Mes parents ne savaient pas que j'étais dehors et que je chantais. J'étais censée être chez ma grand-mère. Un de mes cousins m’a demandé si j’avais entendu cette fille qui chantait cette chanson à la radio, car tout le monde cherchait à la contacter, à savoir qui elle est. J'ai commencé à avoir peur de mes parents, je bravais tous les interdits, je sortais le soir avec des garçons. Un jour, je suis allée voir un programmateur et il m'a présenté un éditeur qui m’a fait enregistrer ma première cassette. »
La décennie noire
Aujourd'hui, Souad Massi a 50 ans, elle appartient à une génération qui a été marquée par la guerre civile, ce qu'on appelle la décennie noire, qui a commencé au début des années 90. Une génération qui a connu le terrorisme et l'islamisme : « Pendant cette période, c'était très difficile de se produire sur scène, mais je continuais de composer. Je répétais avec un groupe de rock dans un garage. Je ne sais pas si j'étais consciente des dangers, mais en tout cas, l'amour de la musique était plus forte et ça me donnait un nous, un sens à notre vie. On ne pouvait pas vivre sans musique. On devait jouer en cachette. »
Sequana, son nouvel album
Sequana, c'est le titre de l'album, mais aussi le titre aussi d'une chanson dans laquelle Souad s’adresse à ses filles. C’est donc aussi une histoire de transmission : « J’essaye de leur donner des conseils dans cette chanson. Le plus important, c'est d'essayer de garder les liens, de comprendre leurs centres d'intérêt, de s'y intéresser, de rentrer dans leur bulle. J’ai découvert plein de choses grâce à elles sur les mangas, la musique qu'elles écoutent. »
Pour Totémic, Souad Massi a choisi d’écouter « Blowin’ in the Wind” de Bob Dylan :
"La beauté de cette chanson réside dans sa simplicité. Et en même temps, Dylan soulève de vrais problèmes : la guerre, les injustices. En l’écoutant, je me suis rendu compte que c’était possible d'être un artiste et avec seulement une voix et une guitare et d'essayer de changer le monde."
La révolution du sourire
La révolution du sourire est un événement pacifique et populaire qui a massivement mobilisé le peuple algérien en 2019, chaque vendredi, pendant des mois. Elle va entraîner la chute d'Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans. Sur Instagram, un admirateur écrit à Souad Massi, "Bonjour grande artiste, venez à Alger vendredi prochain avec votre guitare en bandoulière, vous entendrez vos chansons reprises par une chorale, la plus belle du monde, celle du peuple d'Algérie" : « J'ai été agréablement surprise et contente de pouvoir voir une petite lumière, un élan d'espoir en Algérie. »
Vers un renouveau du cinéma ? ·« Qu’avons-nous fait de notre indépendance ? » « Que sommes-nous devenus depuis et qu’aurions-nous pu être ? » 52 ans après la liesse de juillet 1962, ces questions à la fois politiques et identitaires hantent les Algériens et pèsent lourdement sur le devenir de leur pays. Et c’est à ces interrogations que se confronte, avec succès, L’Oranais du réalisateur algérien Lyes Salem, sorti en salles le 19 novembre. Cette oeuvre serait-elle le signe d’un renouveau du cinéma algérien ?
La trame de L’Oranais s’articule autour de deux amis, Hamid et Djaffar, montés ensemble au maquis pour combattre la France coloniale et que le destin finira par séparer, bien longtemps après l’indépendance. Entre les deux hommes, il est aussi question de secret inavouable, de trahison et de renoncements aux idéaux de la Thawra (« la Révolution », c’est-à-dire la guerre d’Algérie).
Coproduction franco-algérienne, cette fresque mémorielle échappe au piège habituel de l’exhaustivité. La guerre d’Algérie, puis l’indépendance et ses lendemains désenchantés, en sont bien sûr la toile de fond. Mais Lyes Salem prend soin de les raconter à sa manière en privilégiant l’angle de la destinée individuelle. Et c’est déjà une façon de se colleter avec une histoire officielle qui se méfie, aujourd’hui encore, de l’individu, préférant glorifier la collectivité, à l’image du slogan « un seul héros, le peuple ». D’ailleurs, de nombreuses péripéties du film peuvent être lues comme un pied de nez aux dogmes mémoriels ou identitaires encore en vigueur dans l’Algérie du XXIe siècle. Djaffar, par exemple, ne rejoint le maquis que parce que les circonstances et le hasard décident pour lui (pour échapper à un ratissage de l’armée française, il tue de manière presque involontaire un garde-champêtre). On est dans le récit à hauteur d’homme, loin de l’épopée héroïque.
L’Oranais, 2014
Bande-annonce — YouTube
Par la suite, l’itinéraire des deux amis diverge. Hamid sert la Révolution à l’extérieur tandis que Djaffar, dont le rôle est interprété par Lyes Salem, passe plusieurs années dans le maquis. Après l’indépendance, le premier, marié à une Américaine, devient un grand ponte du système, installé dans une belle demeure — un « bien vacant », c’est-à-dire un bien immobilier abandonné par des Européens — tandis que l’autre hérite la direction d’une entreprise de menuiserie. Et même si l’amitié et l’affection demeurent, l’érosion de l’espérance va produire ses effets négatifs. Au fil des scènes, on voit changer l’Algérie, Hamid et Djaffar. L’unanimisme brutal au profit du parti unique s’installe. L’affairisme ne tarde pas à faire son apparition, l’identité berbéro-arabe est sacrifiée au dogme de l’arabo-islamisme le tout dans un contexte où les « services », comprendre la sécurité militaire, peuvent embarquer n’importe qui à n’importe quel moment. Dans les propos de Hamid, on sent peu à peu poindre le mépris pour un peuple qui n’a de cesse de revendiquer sa part du gâteau. Dans certaines scènes, notamment celle d’une balade en mer, on ne peut s’empêcher de penser que Hamid, Djaffar et leurs amis ont pris la place des anciens colons…Dès lors, seule une issue dramatique peut clore les relations entre les deux hommes.
LE LEGS COLONIAL
L’Oranais est surtout une allégorie de la question de l’identité algérienne et de ses liens avec la France. En montant au maquis, Djaffar ignore, contrairement à Hamid qui gardera ce secret, que son épouse a été violée en représailles par le fils du garde-champêtre qu’il a tué. À son retour, il apprend que sa femme — peut-être le symbole de ce qu’aurait pu être l’Algérie indépendante — a donné vie à un garçon puis qu’elle est morte, sa santé s’étant étiolée faute de nouvelles de son mari. Après quelques hésitations, Djaffar décide d’élever l’enfant comme son propre fils, comme la « chair de sa chair ». Cet enfant, prénommé Bachir, « celui qui porte la (bonne) nouvelle », est le symbole de ce que la France a laissé aux Algériens. Un legs, fruit d’un viol originel — celui de la colonisation — qu’il ne sert à rien d’occulter, voire de rejeter. Il en va ainsi de la langue française mais aussi du reste, de la manière de penser, du cartésianisme, de la croyance aux valeurs universelles : autant d’éléments qui sont remis en cause, alors qu’ils ont contribué à faire de l’Algérie une singularité à la fois politique mais aussi culturelle et intellectuelle dans le concert des nations décolonisées.
RÉALISME SANS CONCESSION
Dans le même temps, ce film est aussi un bel hommage à l’Oranie, région de l’ouest algérien, à sa joie de vivre et à sa musique, à un mode de vie qui a pratiquement disparu ou, pour être plus précis, qui n’a plus sa place dans une Algérie de la bigoterie et de la pratique de plus en plus ostentatoire et ritualiste de la religion. Dans le film, les personnages principaux boivent de l’alcool, des femmes ne portent pas le haïk et encore moins le hijab, quasiment inconnu jusqu’à la fin des années 1970. On y parle l’algérien. Non celui, incompréhensible, des discours officiels lénifiants, mais une darja (langue algérienne souvent qualifiée de « dialecte ») vivante, vigoureuse, qui se pratique au quotidien, avec ses fulgurances, ses captures de mots français et ses insultes imagées. En cela, L’Oranais est, malgré quelques maladresses et longueurs, un film « vrai », y compris dans le choix des figurants. Un film qui ne fait pas de concession au « politiquement correct » à l’algérienne mais qui, aussi, évite soigneusement les concessions auxquelles se sont pliés de nombreux créateurs maghrébins désireux de faire entendre leur voix en France. Point de « c’était mieux du temps des colons car tout le monde vivait bien ensemble ». De même, le Front de libération nationale (FLN) de la guerre d’Algérie est décrit tel qu’il a été, c’est-à-dire une organisation révolutionnaire avec un but précis à atteindre. Point donc, à ce sujet, de digressions sur la terreur qu’aurait imposée la djebha (le Front) à la population pour l’obliger à rejoindre ses rangs et à le soutenir. Une thèse qui renvoie dos-à-dos les deux acteurs du conflit et que font mine d’épouser quelques écrivains algériens désireux d’entrer en grâce auprès des milieux germanopratins.
LA « FAMILLE RÉVOLUTIONNAIRE » GRINCE DES DENTS
Comme il fallait s’y attendre, le film n’a pas été du goût de tout le monde en Algérie. La première salve est venue du cheikh Chamseddine, un célèbre téléprédicateur salafiste, qui a reproché au film de mettre en scène des moudjahidines (terme qui désignait aussi les soldats de l’Armée de libération nationale) en train de boire du vin. Un reproche repris à l’identique par l’Organisation nationale des enfants de chouhadas (les martyrs de la Guerre d’indépendance) et d’autres figures de ce que l’on appelle en Algérie, parfois non sans ironie, « la famille révolutionnaire ». Comme l’ont relevé de nombreux journalistes, ces mises en cause ne portent pas sur le fond et ne concernent qu’un élément du film : la consommation d’alcool, un phénomène réel qui a permis à de nombreux Algériens d’avaler maintes couleuvres de l’après-indépendance. Plus important encore, les appels à en interdire la diffusion du film en Algérie et à l’étranger (!) sont souvent venus de personnes n’ayant vu que la bande-annonce…
Pour l’heure, et contrairement à ce qu’exigent les détracteurs du film, les autorités algériennes n’ont décidé aucune interdiction ni censure officielle. Toutefois, Nadia Laabidi, ministre de la culture, a ainsi déclaré « comprendre les critiques de la famille révolutionnaire » et laissé entendre que le réalisateur se serait éloigné du scénario déposé pour obtenir un financement.
UNE PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE EN PANNE
Du coup, la responsable a annoncé des modifications à venir dans les futurs cahiers des charges en matière de soutien à la production cinématographique. Une perspective qui inquiète les professionnels d’un secteur qui vient de traverser plus de trente années de disette. Ils espéraient l’amorce d’un renouveau avec la sortie de films comme L’Oranais ou Le Crépuscule des ombres du réalisateur Lakhdar Hamina (Palme d’or 1975 du festival de Cannes avec le célèbre Chronique des années de braise). De fait, et pour reprendre un constat très célèbre en Algérie, le pays « compte plus de réalisateurs que de salles et plus de salles que de films réalisés ». Dans les grandes villes comme Alger ou Oran, nombre de cinémas sont à l’abandon, transformés parfois en aires de stockage. De manière récurrente, les autorités promettent la relance du secteur et une réhabilitation des salles sans pour autant abandonner les contraintes administratives qui pèsent sur la création cinématographique. Pourtant les attentes sont nombreuses. De jeunes réalisateurs profitent du développement des réseaux sociaux pour diffuser de courts métrages réalisés avec des moyens de fortune. De même, des festivals sont organisés dans de nombreuses villes du pays, à l’image des Rencontres cinématographiques de Béjaïa. En 2011, la réalisatrice algérienne Mounia Meddour a présenté un long métrage consacré au nouveau souffle du cinéma algérien. À l’époque, déjà, le constat était le même : dans un contexte marqué par un retour à la paix civile, de nombreuses énergies créatrices attendaient de l’État qu’il libéralise le secteur à défaut de s’engager financièrement comme il le faisait dans les années 1970, période faste du cinéma algérien.
AKRAM BELKAID
Journaliste et écrivain algérien. Journaliste au Monde diplomatique et membre du Comité de rédaction d’Orient XXI,… (suite)
Hommage rendu à Pierre Audin, décédé le 28 mai 2023, dans le carré juif du cimetière de Pantin (93), le 2 juin 2023. A gauche, on voit sa fille jouer un morceau de musique. Derrière elle, l’ancien député Cédric Villani, ami intime de Pierre Audin. Photo : Nadir Dendoune.
Plusieurs centaines de personnes, dont beaucoup d’Algériens, se sont réunies dans le carré juif du cimetière de Pantin (93) pour rendre hommage à Pierre Audin, décédé le 28 mai dernier, des suites d’une longue maladie.
Parmi les personnalités présentes à l’hommage, Saïd Moussi, l’ambassadeur d’Algérie, l’ancien député Cédric Villani, ami intime de Pierre Audin et le sénateur communiste Pierre Laurent.
Pierre Audin, mathématicien était surtout connu pour être le fils de Maurice Audin, militant communiste, torturé à mort par l’armée française en 1957, en pleine guerre d’Algérie. Pierre Audin a passé sa vie à défendre la mémoire de son père.
Maurice Audin avait été enlevé à Alger le 11 juin 1957, en pleine guerre d’Algérie, soupçonné d’être en lien avec le Front de libération nationale (FLN).
Il a fallu attendre 60 ans pour que la France reconnaisse la responsabilité de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin. Le 13 septembre 2018, le président français déclara « au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile »..
Il y a un lien indéfectible qui unit l’Algérie à la famille Audin. A chaque rassemblement pour la défense de la démocratie, les Algérois se donnent rendez-vous Place Maurice Audin à Alger.
Pierre Audin qui avait attendu 55 ans pour se voir délivrer son passeport algérien était également très critique du pouvoir algérien. Il dénonçait la répression menée par celui-ci à destination des manifestants du Hirak.
Enterrement de Pierre Audin. Cimetière parisien de Pantin (93)_ دفنبييرأودين.
"Parmi les personnalités présentes à l’hommage, Saïd Moussi, l’ambassadeur d’Algérie, l’ancien député Cédric Villani, ami intime de Pierre Audin et le sénateur communiste Pierre Laurent.
Pierre Audin, mathématicien était surtout connu pour être le fils de Maurice Audin, militant communiste, torturé à mort par l’armée française en 1957, en pleine guerre d’Algérie.
Pierre Audin a passé sa vie à défendre la mémoire de son père. Maurice Audin avait été enlevé à Alger le 11 juin 1957, en pleine guerre d’Algérie, soupçonné d’être en lien avec le Front de libération nationale (FLN). Il a fallu attendre 60 ans pour que la France reconnaisse la responsabilité de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin.
Le 13 septembre 2018, le président français déclara « au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile ». Il y a un lien indéfectible qui unit l’Algérie à la famille Audin.
A chaque rassemblement pour la défense de la démocratie, les Algérois se donnent rendez-vous Place Maurice-Audin à Alger. Pierre Audin qui avait attendu 55 ans pour se voir délivrer son passeport algérien était également très critique du pouvoir algérien. Il dénonçait la répression menée par celui-ci à destination des manifestants du Hirak.". ND
"Parmi les personnalités présentes à l’hommage, Saïd Moussi, l’ambassadeur d’Algérie, l’ancien député Cédric Villani, ami intime de Pierre Audin et le sénateur communiste Pierre Laurent.
Pierre Audin, mathématicien était surtout connu pour être le fils de Maurice Audin, militant communiste, torturé à mort par l’armée française en 1957, en pleine guerre d’Algérie.
Pierre Audin a passé sa vie à défendre la mémoire de son père. Maurice Audin avait été enlevé à Alger le 11 juin 1957, en pleine guerre d’Algérie, soupçonné d’être en lien avec le Front de libération nationale (FLN). Il a fallu attendre 60 ans pour que la France reconnaisse la responsabilité de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin.
Le 13 septembre 2018, le président français déclara « au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile ». Il y a un lien indéfectible qui unit l’Algérie à la famille Audin.
A chaque rassemblement pour la défense de la démocratie, les Algérois se donnent rendez-vous Place Maurice-Audin à Alger. Pierre Audin qui avait attendu 55 ans pour se voir délivrer son passeport algérien était également très critique du pouvoir algérien. Il dénonçait la répression menée par celui-ci à destination des manifestants du Hirak.". ND
Reportage. Le général Paul AUSSARESSES, ancien responsable des services de renseignements à Alger, a admis "ne pas avoir respecté les lois de la guerre" en Algérie. Il a confirmé sur les ondes de Europe 1 le recours à la torture et aux exécutions sommaires en Algérie.Dans le "Monde" daté du 23/11, lui-même et le général Jacques MASSU ont reconnu l'institutionalisation de la torture en Algérie. Ils sont divisés sur la pertinence d'une repentance, le général MASSU considérant que ce serait une "avancée" et le général AUSSARESSES la récusant. Il a indiqué avoir "utilisé des moyens qui ne sont pas couverts par les lois de la guerre". "Je n'ai pas respecté les lois de la guerre ", a-t-il reconnu, en évoquant" 24 exécutions sommaires faites par (lui) " , "par une rafale". Louisa Ighil Ahriz, l'indépendantiste a elle aussi déclaré avoir été torturée par l'Armée française. Images d'archive INA.
Durant deux heures, trois témoins directs de la guerre d'Algérie ont partagé leur vécu avec une vingtaine de jeunes et de personnels de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
La médiation autour des témoignages a été assurée par un professionnel de l’ONACVG Ile-de-France. Le public a ensuite pu questionner et échanger avec les intervenants.
Le projet a été organisé et construit par :
L’Espace Parisien Histoire Mémoire Guerre d’Algérie. L'Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre.
La Direction Territoriale de la Protection Judiciaire Seine-et-Marne.
La Direction Inter-Régionale Ile-de-France et Outre-Mer.
Les témoins sont :
Mme Jacqueline GOZLAND, ancienne française juive d’Algérie.
Si des incidents réguliers rappellent le racisme subi par les populations noires en Europe ou en Amérique du Nord, celles vivant dans l’espace du Maghreb et du Proche-Orient n’y échappent pas, et subissent encore le legs vivace de siècles de traite arabo-berbère. Si Frantz Fanon a très peu écrit sur le sujet, son analyse du racisme du point de vue de ses victimes permet de penser un phénomène trop longtemps tabou au Maghreb.
Une vieille rue de la médina de Tunis porte le nom de la « rue des nègres » (Wikicommons)..
Durant toute son existence, Fanon a été en prise directe et brutale avec le racisme. Cette réalité, il l’exprime notamment à travers le récit d’expériences vécues tant en Martinique, que dans les rangs des armées « alliées » durant la seconde guerre mondiale, dans les rues de Paris ou Lyon, aussi bien que dans celles de l’Algérie occupée. À travers l’expérience vécue de la race, considérée comme le moyen privilégié d’appréhender le racisme, il livre des outils précieux pour tenter de comprendre les tenants psychologiques et culturels de l’aliénation (raciale), compréhension de réalités qu’il conçoit comme un préalable à leur « liquidation ».
L’auteur de Peau noire, masques blancs avait bien conscience de l’existence de liens étroits entre les aspects socio-économiques et psychologiques du racisme. Il était évident pour lui que l’aliénation du Noir n’est pas une question individuelle et que des rapports internes lient la conscience et le contexte social. Mais au lieu de mener en termes généraux et abstraits une étude des mécanismes du racisme, il a préféré procéder à une analyse empirique de la condition de Noir, en partant de la sienne propre. À l’opposé des dénonciations habituelles et convenues du racisme, l’approche de Fanon est capitale pour penser dans le même mouvement l’oppression raciale et son dépassement.
DES IMPASSES AUJOURD’HUI IMPOSSIBLES
S’il convoquait régulièrement l’histoire et la sociologie, Fanon n’était ni historien, ni sociologue. En plus d’être empreinte des idées de son époque, sa compréhension d’un certain nombre de réalités pouvait être limitée ou déformée par des biais liés notamment à sa condition sociale. Sur l’esclavage transatlantique, il considérait que le Noir n’avait pas soutenu la lutte pour la liberté et avait été libéré « de l’extérieur » par le maître. Ces propos passent sous silence les nombreuses luttes d’esclaves qui ont jalonné l’histoire de la Caraïbe au Brésil, et sont erronés quand bien même on ne s’attacherait qu’à la Martinique.
Ce n’est pas dans son île que Fanon situe l’expérience décisive qu’il avait fait du racisme, mais dans la France dite métropolitaine. Aux Antilles, il existait bien selon lui un « petit hiatus » entre « la békaille, la mulâtraille et la négraille », mais les Antillais se contentaient d’avoir une « compréhension intellectuelle de ces divergences ». Nulle mention n’est faite d’expressions du racisme des Blancs envers les Noirs en Martinique. « An Tan Robè » (du temps de Robert), période durant laquelle le vichyste maréchal Georges Robert s’était installé en Martinique après le début de la seconde guerre mondiale, et avec lui des centaines de soldats, n’est même jamais évoquée. Pourtant témoin des relations houleuses (et parfois violentes) entre marins français et martiniquais, Fanon n’évoque à aucun moment ces temps agités, qui furent aussi ceux de la pénurie et de la sous-alimentation du fait de l’embargo maritime qui frappait alors l’île.
LE LOURD HÉRITAGE DE LA TRAITE ARABO-BERBÈRE
« Il est vrai que la plupart des nègres s’habituent facilement à la servitude ; mais cette disposition résulte, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, d’une infériorité d’organisation qui les rapproche des animaux brutes. » Ces propos ont été consignés par Ibn Khaldoun aux environs de 1375 lors de sa retraite au Calâ d’Ibn Selama près de Tiaret (Algérie), soit plus d’un siècle avant que Christophe Colomb n’entreprenne pour la Couronne d’Espagne son expédition que beaucoup considèrent comme le point de départ de la modernité européenne. Une telle perspective fait du racisme un phénomène né avec le génocide amérindien et la traite transatlantique. Elle est défendue par des auteurs tels C.L.R. James1 ou Anibal Quijano2, pour qui la race et l’identité raciale ne furent établies en tant qu’instruments de classification sociale première de la population qu’à compter de la conquête des Amériques. L’association structurelle entre la nouvelle identité historique qu’est la race et la division du travail à l’échelle mondiale permirent au modèle « capitaliste colonial/moderne et eurocentré » de s’imposer en tant que pouvoir hégémonique planétaire. C’est ce que Quijano appelle la « colonialité du pouvoir capitaliste mondial ».
Si l’on peut comprendre la centralité historique que revêt l’invasion des Amériques pour des auteurs caribéens et sud-américains, surtout si on en fait le point de départ de l’entreprise capitaliste, une telle perspective « eurocentrée » occulte les premiers génocides perpétrés avant l’expédition de Colomb (par exemple aux Canaries contre les berbères Guanches), ainsi que les traites arabo-berbères qui débutèrent dès le VIIe siècle. Or, rappelle l’auteure afro-colombienne Rosa Amelia Plumelle-Uribe dans son essai Victimes des esclavagistes musulmans, chrétiens et juifs (Anibwe, 2012) :
Avec le temps nous avons oublié que la dégradation de la situation et de l’image des Noirs, a commencé en Afrique noire lorsqu’une partie de ce continent est devenue un réservoir d’esclaves destinés aux pays musulmans. Car, il faut savoir que même si l’égalité raciale était soutenue par les préceptes de la religion islamique, en fait, la littérature, les arts et le folklore des peuples musulmans exprimaient le contraire. Ainsi s’explique que, très rapidement, la littérature musulmane ait commencé à véhiculer une image repoussante des Noirs, dont la couleur de la peau associée à leur condition servile devenait un fardeau plus lourd que la servitude elle-même. La plupart des Noirs islamisés, femmes et hommes, finirent par adhérer à cette image infériorisée, vite répandue dans la culture arabo-musulmane.
En explorant les liens entre la naissance du capitalisme et la traite transatlantique, l’œuvre pionnière d’Eric Williams (Capitalisme et esclavage, Présence africaine, 1968) a montré que l’esclavage n’était pas né du racisme, mais que celui-ci avait plutôt été la conséquence de l’esclavage. Si des siècles de traite arabo-berbère n’ont pas eu les mêmes effets que la colonisation européenne et n’ont pas abouti à imposer à l’échelle mondiale l’idée de race comme critère de classification sociale première de la population, ses effets dans les sociétés qui l’ont pratiquée ont été profonds et déterminent de manière durable le traitement discriminatoire réservé aux Noir˖e˖s. Se confronter à cette histoire est une nécessité.
AUJOURD’HUI AU MAGHREB
Le racisme au Maghreb n’est pas un reliquat du colonialisme. Il ne peut être appréhendé qu’en prenant la pleine mesure des effets que des siècles de traite arabo-berbère ont eus, d’autant que des pratiques voisines perdurent en Mauritanie et en Libye, comme l’ont révélé en 2017 les images des journalistes de la chaine CNN. Des travaux comme L’Afrique Noire précoloniale de Cheikh Anta Diop, portant sur cette histoire faite de razzias, de déportations massives et de pratique systématique de la castration par les négriers arabo-berbères, nous rappellent que cette immense entreprise de déshumanisation ne s’est pas faite sans résistances et nous aident à comprendre la persistance d’une négrophobie systémique au Maghreb. Un rappel nécessaire qui n’est toutefois pas suffisant. Car, pour paraphraser Fanon, le racisme au Maghreb ne s’est pas enkysté et a subi le sort de l’ensemble culturel qui l’informait.
À l’instar de ce qui se passe partout où il existe, le racisme au Maghreb est lié à des conditions matérielles et remplit des objectifs précis. Décideurs politiques et grands médias y voient la possibilité de casser les solidarités qui pourraient se créer entre les classes populaires. Pour ces dernières, le racisme exprime leur refus de se compter parmi les dominé˖e˖s, ce qui se traduit concrètement par leur choix de faire primer leur appartenance au groupe perçu comme majoritaire et dominant, au mépris de leur appartenance de classe. Ce n’est pas la moindre des ruses du racisme que de permettre – entre autres choses – de « rattacher les pauvres au chariot du système d’exploitation ».4
Les sociétés du Maghreb sont récemment devenues des terres de transit et d’immigration, modifiant la manière dont on y pense et dit la race et le racisme. Le vocabulaire utilisé aujourd’hui à propos des exilé˖e˖s d’Afrique noire ressemble à s’y méprendre à celui employé en France au sujet des Roms : assistés, parasites, délinquants, sorciers, sales et porteurs de maladies… Accusés en outre de voler le travail des nationaux, ils sont tout à la fois dépeints comme vivant de la mendicité et des aides sociales (quasi inexistantes), et comme de féroces concurrents sur le marché de l’emploi. Le terme « Africain » en est venu à désigner les Noirs du continent, comme si l’Afrique du Nord n’y était pas vraiment située.
Si des campagnes officielles (en Tunisie) ou émanant de la société civile (Maroc et Tunisie), sont aujourd’hui menées avec des fortunes diverses, aucune réponse ne saurait être apportée au problème sans prendre en compte ses coordonnées économiques et politiques, à savoir :
➞ la pauvreté qui pousse des dizaines de milliers d’Africains à entreprendre un périple extrêmement dangereux à travers le Sahara, les pays du Maghreb, et quand ils en ont les moyens, à tenter la périlleuse traversée de la Méditerranée pour gagner l’Europe ;
➞ le rôle des autorités nationales maghrébines qui procèdent à des expulsions massives d’exilé˖e˖s parqué˖e˖s dans des camps d’internement (c’est notamment le cas au Maroc et plus récemment en Algérie où l’on expulse dans des conditions scandaleuses et de manière indiscriminée les exilé˖e˖s vers le Niger). Au-delà des autorités de ces pays, c’est l’ensemble des autorités africaines qui servent aujourd’hui de sous-traitants des politiques migratoires et sécuritaires des États européens ;
➞ la responsabilité occidentale dans l’appauvrissement des sociétés africaines et la destruction d’États comme la Libye, leur complicité active dans les horreurs commises dans cet État failli, devenu la base arrière d’un gigantesque trafic d’êtres humains.
UN DÉNI PERSISTANT
Le racisme au Maghreb se traduit dans la vie quotidienne par une valorisation de tout ce qui est considéré comme blanc, et l’on ne compte plus les analyses et témoignages faits par des Noirs (nationaux, exilés ou étudiants en provenance d’Afrique noire). Beaucoup continuent pourtant à nier l’existence de ce racisme. Les crimes innombrables de la colonisation européenne et le récit souvent eurocentré de l’histoire mondiale masquent l’effroyable réalité que fut la traite arabo-berbère. À cela s’ajoute l’injonction faite de taire le racisme pour ne pas rompre une hypothétique unité des damnés de la terre (ou de la communauté des croyants) face à la domination occidentale. Or, une unité fondée sur l’occultation de crimes passés et présents ne peut être que nominale et suspecte.
La traite arabo-berbère et les discriminations au Maghreb sont, il est vrai, instrumentalisés par des acteurs désireux d’en découdre avec l’islam et le monde arabe et de relativiser les crimes coloniaux européens. La prolifération d’articles sur les sites d’extrême-droite, l’appétence pour cette question d’universitaires et d’idéologues tels Bernard Lewis ou Kamel Daoud, l’expression « traite arabo-musulmane » alors qu’il est question dans l’autre cas de « traite transatlantique », tout cela peut favoriser une attitude de déni chez des populations décrites de manière essentialiste comme étant – presque depuis la nuit des temps – conquérantes, violentes et esclavagistes. Un certain discours sur la traite arabe épouse les stéréotypes racistes sur les Arabes, cela ne fait aucun doute. Mais nos silences sur la question laissent le champ libre aux discours les plus réactionnaires qui soient.
Car quand il est question de racisme au Maghreb, le sujet n’est pas tant « le Maghreb », ou encore « les Arabes » pris dans leur ensemble, mais bien les violences et discriminations que vivent les populations noires. L’analyse par Fanon du racisme du point de vue de ses victimes nous enseigne qu’il est vain de soutenir que le racisme ne serait le fait que de quelques-uns : ce sont bel et bien toutes les personnes qui se trouvent du mauvais côté de la barrière raciale qui ont à le subir. Et c’est cette réalité qui nécessite notre attention à tou˖te˖s.
L’été 1961, le médecin psychiatre et révolutionnaire martiniquais engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie achève le manuscrit des Damnés de la terre. Frantz Fanon rencontre alors à Rome Simone de Beauvoir, Claude Lanzmann et Jean-Paul Sartre, qui a accepté de préfacer son essai. Le romancier Frédéric Ciriez et l’illustrateur Romain Lamy font de leurs trois jours d’échanges parfois vifs le cadre d’un portrait politique et personnel de Frantz Fanon, à la fois profond et pédagogique.
« D’une intelligence aiguë, intensément vivant, doté d’un sombre humour, il expliquait, bouffonnait, interpellait, imitait, racontait : il rendait présent tout ce qu’il évoquait ». Simone de Beauvoir décrit ainsi dans ses mémoires (La force des choses, tome 2, Gallimard, 1972) l’impression que lui fit Frantz Fanon lors de leur rencontre à Rome avec Claude Lanzmann et Jean-Paul Sartre. Nous sommes à l’été 1961. Le gouvernement provisoire de la République algérienne tient un sommet à Tripoli en Libye où les dissensions au sein du FLN atteignent un niveau critique, dont rendra compte plus tard Ali Haroun dans L’été de la discorde (Casbah éditions, Alger, 1999). Fanon vit à Tunis et vient d’achever le manuscrit des Damnés de la terre. Malade, il combat une leucémie depuis plusieurs semaines. Il sait que ses jours sont comptés. Plus que jamais, son existence revêt un caractère d’urgence.
C’est le contexte qu’ont choisi Frédéric Ciriez et Romain Lamy pour ce récit graphique paru aux éditions La Découverte. Revenant sur les multiples engagements de Fanon à travers une série de flashbacks bien sentis, le livre s’inspire librement de sa rencontre en août 1961 avec Sartre, Beauvoir et Lanzmann. La conversation démarre tambour battant. Sitôt passées les amabilités de circonstance, Fanon aborde ses désaccords avec le patron des Temps modernes, qu’il avait déjà évoqués dans Peau noire, masques blancs. Il lui reproche en particulier d’avoir relativisé la négritude en faisant le temps faible d’une progression dialectique devant aboutir à la pleine réalisation de l’humain dans une société débarrassée du racisme. « Il faut être blanc pour penser comme cela », déclare Fanon non sans humour.
Bien que les rapports entre les quatre principaux protagonistes du livre soient marqués par un profond respect et une grande estime intellectuelle, les échanges sont vifs, l’ironie omniprésente. Quand Sartre déclare que Peau noire, masques blancs peut être lu comme les réflexions de Fanon sur la « question noire », celui-ci lui répond aussitôt que oui, à ceci près que lui est noir et que Sartre n’est pas juif1. Et à Simone de Beauvoir qui lui demande si la vie n’est pas trop difficile à Tunis, Fanon l’invite à ne pas projeter sur lui et sa famille ses « angoisses de parisienne ».
LA RICHESSE D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL
Les auteurs évitent l’écueil, malheureusement par trop répandu en France, qui consiste à placer Fanon sous la tutelle intellectuelle de l’auteur de La Putain respectueuse. Certes, le livre revient sur l’admiration assumée du psychiatre martiniquais pour l’œuvre et les engagements de Sartre, mais il s’attache au fil des pages à renverser avec finesse un rapport qui semblait de prime abord inégal. « Fanon voulait rencontrer Sartre, je crois que c’est Sartre qui l’a rencontré », se dit ainsi Beauvoir au moment de dire au revoir à Fanon. Si elle et Sartre sont bel et bien présent.e.s tout au long du livre, c’est avant tout pour donner la réplique au natif de Fort-de-France et le relancer systématiquement sur son itinéraire personnel.
nesse martiniquaise à son engagement contre les nazis, ses désillusions et sa blessure au combat, sa décoration (remise par le général Raoul Salan2 lui-même), l’obtention d’une bourse d’étude et l’inscription en médecine à la faculté de Lyon, ses premiers articles dans la revue Esprit : « Le syndrome nord-africain » (février 1952), « Peau noire, masques blancs » (octobre 1952), sa découverte de la social-thérapie et ses années d’interne à Saint-Alban auprès du docteur François Tosquelles, le départ vers Blida, sa rencontre avec les militants nationalistes algériens et la relation fusionnelle avec le mouvement de décolonisation du continent, son discours à Accra sur la lutte armée, sa défiance à l’égard de l’orthodoxie psychiatrique et les résistances institutionnelles face à la social-thérapie, sa participation au Congrès des écrivains et artistes noirs, sa proximité avec Abane Ramdane, les luttes fratricides entre FLN et MNA et les fractures au sein du FLN, l’ouverture d’un front au Sahara et l’acheminement de combattants et d’armes à travers le Mali, ses réflexions sur la souffrance psychique subie par les colonisé.e.s, la violence libératrice, les dangers qui guettent les nouvelles nations indépendantes, le rôle de la paysannerie dans le processus révolutionnaire, sa rédaction des Damnés alors que l’on vient de lui diagnostiquer une leucémie…
Quelle vie ! Emporté par la maladie à 36 ans, Fanon a semblé vivre chaque jour comme le dernier. « Je n’aime pas les gens qui s’économisent », avait-il lancé un soir à Lanzmann.
C’est peut-être — avec le prix — l’un des reproches que l’on peut adresser au livre : un côté didactique et linéaire pouvant donner un aspect catalogue à cette biographie qui épluche par le menu un parcours fulgurant. Mais comment en vouloir aux auteurs quand on sait dans quel désert éditorial vient s’insérer cette bande dessinée et combien sont nombreux les trous à combler pour installer Fanon de manière durable dans le paysage intellectuel français ?
UNE HISTOIRE VUE D’EN BAS
La profusion de dates et de noms n’empêche toutefois pas que l’accent soit aussi mis sur un aspect souvent négligé de l’œuvre de Fanon : sa pratique médicale et les soins prodigués aux malades qui lui permirent de percevoir « l’écho intime de la guerre ». Sont ainsi analysés les bouleversements que cause l’atmosphère de conflit permanent, qui vont des raideurs musculaires à la dépression et divers troubles psychosomatiques. À l’instar de ce que fera plus tard la psychiatre Samah Jabr dans le contexte palestinien3, c’est une histoire vue d’en bas qui nous est ici contée. Celle du fracas colonial qui met aux prises les corps et les esprits. Celle de la manière dont la répression attaque les défenses psychiques et la lutte de libération est conçue comme une thérapie. Derrière le mot de colonialisme se nouent quantité de souffrances et de drames qu’une vision en surplomb de l’histoire vient souvent oblitérer.
En choisissant la forme de la bande dessinée pour retracer le parcours exceptionnel de Frantz Fanon, les éditions La Découverte permettent une ouverture salutaire à un nouveau public, en particulier jeune, à qui est donnée l’occasion de se plonger dans une époque d’effervescence politique où l’avenir semblait ouvert. Un changement esthétique bienvenu qui nous permet aussi à tou.tes de reprendre Fanon au point exact où l’on a tendance à l’arrêter, pour reprendre la formule de l’écrivain Patrick Chamoiseau, et de redécouvrir,« sinon le seul Fanon qui vaille, mais le plus riche de tous : celui qui est en devenir ».
Le docu-fiction La Reine Cléopâtre produit par la réalisatrice Tina Gharavi et produit par Jada Pinkett Smith pour Netflix a suscité de vives controverses dès la sortie de sa bande-annonce, à cause du choix d’une actrice afro-américaine pour interpréter la reine. Depuis le début de sa diffusion le 10 mai, les Égyptiens dénoncent, non sans racisme, une appropriation culturelle. Quant au camp adverse, il pointe du doigt une négrophobie parée d’arguments culturels.
Le docu-fiction produit par Jada Pinkett Smith s’insère dans la mouvance « Black Royalty » ou « Black is King » (titre d’un film musical produit par Beyoncé en 2020). Au-delà d’une récupération militante de figures historiques, c’est une volonté de construire une dignité noire, de contrer des siècles de subalternité et d’humiliation et de bien faire comprendre que l’Afrique « noire » a une histoire et des civilisations millénaires, notamment à travers la mise en scène d’une royauté noire. La figure de la royauté est une forme d’utopie décoloniale, un roi étant l’absolu opposé d’un esclave, et permet de se réapproprier une histoire décimée par la « blanchité » coloniale.
En effet, l’eurocentrisme, dont la fondation est le suprémacisme blanc, a inventé et reproduit l’histoire de ses dominés, principalement pour rendre « naturelle » sa domination et donc, la subalternité des colonisés. Le colonialisme européoaméricain n’aurait pu exister sans l’invention de la race, la hiérarchisation raciale qui a suivi ayant permis de « naturaliser » le fait colonial. Dans sa continuation, nous vivons dans un monde où la production du savoir reste prisonnière de l’eurocentrisme de l’Histoire, bien que de plus en plus contesté. L’infériorisation de la « blackness » pour les besoins de la traite transatlantique ayant permis l’essor du capitalisme et des économies du Nord, ne produit pas simplement du racisme dans sa compréhension classique. Elle influe sur la manière dont la cartographie du continent noir est imaginée encore aujourd’hui.
UNE PARTITION COLONIALE DE L’AFRIQUE
L’Afrique telle que nous la vivons est le produit d’une partition coloniale en trois parties, conceptualisée par le philosophe allemand Friedrich Hegel : une Afrique « européenne », celle du nord, une Égypte « asiatique », et la « véritable » Afrique, celle que l’on nomme aujourd’hui subsaharienne, mais qui, à l’époque coloniale, se nommait simplement « Afrique noire ». Pour Hegel, cette dernière est « une terre anhistorique et non développée, encore imprégnée de l’esprit de la nature ». Une traduction quotidienne de cette cartographie radicalisée du continent est la pratique consistant à nommer « Africain » un subsaharien en Afrique du Nord. Cette tendance à ne pas se penser africain, et à assimiler l’africanité au fait d’être noir nourrit la négrophobie arabo-africaine. La campagne lancée contre le documentaire en Égypte s’est d’ailleurs largement focalisée sur la « pureté » de l’ADN égyptien et sa dissociation de l’ADN « africain ». Ainsi, un communiqué du ministère égyptien du tourisme et des antiquités datant du 27 avril dénonce les traits « africains » d’une Cléopâtre censée avoir « la peau claire » et argue l’assimilation historique de tout « trait étranger » aux Égyptiens. Le mythe d’une nation (racialement) homogène, cimenté par les constructions nationales post-indépendance rejoint ainsi un déni d’africanité, cette identité étant toujours perçue comme rattachée à une Afrique noire primitive et en marge de la modernité.
Ironiquement, la négrophobie en Afrique du Nord se fonde sur le déni de toute origine noire à la région, déni affectant notamment l’écriture de l’histoire africaine par des africanistes occidentaux ayant intériorisé la partition hégélienne du continent et opérant une analogie numérique entre la traite transatlantique et la traite transsaharienne, comme Humphrey Fisher, Ralph Austen, John Hunwick et Philip Curtin. Selon cette vision, les noirs africains en Afrique du Nord ne peuvent être que des descendants d’esclaves formant une sorte de « diaspora africaine en Afrique ». L’éminent universitaire kenyan Ali Mazrui prévenait pourtant que considérer que « rien n’est africain à moins qu’il soit noir, c’était justement tomber dans le sophisme de l’homme blanc »1.
Face à cela, la théorie de l’afrocentrisme fait d’une Égypte « noire » la pierre angulaire de sa rhétorique. Dans le monde francophone, la théorie d’une Égypte négro-africaine, berceau des civilisations subsahariennes, fut lancée par le penseur sénégalais Cheikh Anta Diop. Elle est emblématique de la disjonction du continent africain au lendemain de l’espoir suscité par les indépendances et l’espace permis pour la circulation de figures et théories de la libération radicale du Sud, notamment avec le séjour d’un nombre d’intellectuels afro-américains au Caire au début des années 1960, et la « Mecque révolutionnaire » que fut Alger pour un nombre de mouvements radicaux, dont les Black Panthers.
C’est d’ailleurs l’argument d’une « réappropriation imminente » d’une Afrique du Nord « colonisée » que l’on pensait propre aux « guerres culturelles » (cultural wars) américaines qui a nourri en février-mars 2023 la psychose à l’encontre des migrants subsahariens en Tunisie, instrumentalisée par un groupuscule fasciste qui a eu l’oreille du pouvoir. Partout, on pouvait entendre un racisme des plus abjects justifié par un soi-disant plan de colonisation du Maghreb par les migrants subsahariens.
HÉGÉMONIE AMÉRICAINE ET POST-COLONIALISME
Or, l’afrocentrisme doit tout d’abord être compris comme une réaction à la rhétorique coloniale selon laquelle l’Afrique subsaharienne ne possédait pas d’histoire avant sa colonisation par l’Europe, et que toute trace de civilisation lui serait forcément exogène, lui venant d’Orient, des Berbères, des Arabes ou de l’Europe. C’est donc un mouvement qui vise à retourner le stigmate et à écrire l’Histoire du point de vue de l’Afrique, qui ici se confond souvent avec le point de vue afro-américain sur l’Afrique, l’afrocentrisme étant né de la réflexion d’intellectuels afro-américains à partir du contexte racial étatsunien.
Notre manière de penser la race, et donc le racisme, reste intrinsèquement liée à la sémantique et au vécu des afrodescendants de la traite transatlantique. Depuis l’avènement des études postcoloniales et décoloniales, des chercheurs du Sud évoluant au sein d’universités nord-américaines comme Hassan Mohamed, Ali Mazrui ou plus récemment Abdelmajid Hannoum et Hisham Aïdi ont mis en garde contre une lecture « américanisée » de la traite arabo-berbère, et contre la partition radicalisée de l’Afrique. Ils prônent la nécessité de situer la race dans la modernité occidentale. Pourtant, pour ce qui est de « désaméricaniser » la race, le pari est loin d’être gagné : d’abord parce que la traite transatlantique a été déterminante pour l’expansion du capitalisme, du racisme et de la mise en équivalence de la figure du « noir » avec celui de l’esclave. Ensuite, parce que les afrodescendants aux États-Unis ont joué un rôle fondateur dans la formation et l’expansion de l’idéologie panafricaniste. Enfin, parce que les États-Unis exercent une hégémonie culturelle sur le monde qui permet aux représentations et enjeux nés en leur sein de s’exporter et de devenir hégémoniques, notamment à travers les médias de masse et les productions académiques.
Ces représentations qui promeuvent la dignité noire doivent être encouragées et célébrées. Elles sont salvatrices pour nos subjectivités postcoloniales, et permettent de nous imaginer au-delà du regard du colonisateur. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue la question du pouvoir. Une réappropriation de l’Histoire ne doit pas se faire aux dépens d’une autre communauté de destin, elle aussi dominée.
La Reine Cléopâtre s’ouvre sur les mots d’une professeure d’études africaines : « Ma grand-mère m’a dit, peu importe ce qu’ils t’enseignent à l’école, Cléopâtre était noire ». Dans le documentaire, ce n’est pas seulement Cléopâtre qui est représentée comme noire, mais l’Égypte entière, rappelant l’imaginaire d’une Égypte berceau des civilisations négro-africaines. Cette représentation serait peut-être passée inaperçue si le documentaire n’était pas produit par Netflix, et donc disponible au plus grand nombre.
PACIFIER LES CONTESTATIONS
Ces dernières années, les structures néolibérales telles que les plateformes de streaming ont eu massivement recours au tokénisme, pratique consistant à (sur)représenter des minorités raciales, de genre et sexuelles afin de se targuer d’inclusivité, et d’invisibiliser la violence structurelle à laquelle ces minorités font face. Depuis l’assassinat de George Floyd en mai 2020 et l’émergence du mouvement Black Lives Matter, une contre-révolution s’est mise en place afin de pacifier un mouvement questionnant le racisme structurel aux États-Unis et dans le monde. La volonté d’une plateforme comme Netflix de produire un documentaire tel que celui de Jada Pinkett Smith doit être comprise dans ce contexte.
Ceci dit, ce n’est pas tellement l’Amérique blanche qui est ici attaquée, mais un autre groupe dominé : les Arabes, plus particulièrement les Égyptiens qui ont dénoncé un blackwashing2, se voient confisquer une représentativité par deux fois : une actrice américaine blanche — Elizabeth Taylor — ayant interprété Cléopâtre en 1963 dans le film de Joseph Mankiewicz, et une actrice noire américaine en 2023. L’intervention de l’humoriste en exil Bassem Youssef dans un talkshow américain concernant la polémique est en ce sens révélatrice d’un malaise, lorsqu’il dénonce l’appropriation de la culture égyptienne pour les besoins d’un narratif afro-américain, celui de la surreprésentation d’une minorité aux dépens de l’invisibilisation d’une autre. L’effacement de l’historicité des Nord-Africains non noirs reproduit la narration coloniale, mobilisée par exemple par la colonisation française au Maghreb pour opérer une distinction ethnolinguistique binaire entre Berbères autochtones et Arabes envahisseurs, et rattacher ainsi ses colonies à une identité méditerranéenne.
Décoloniser la question raciale donc, sans complaisance aucune avec une négrophobie bien ancrée, mais sans pour autant se laisser envahir par des débats américanocentrés, là est tout l’enjeu.
YASMINE AKRIMI
Chercheuse en sciences sociales. Ses recherches portent un regard décolonial sur les constructions nationales post-indépendance au… (suite)
8 janvier 1957. Massu prend possession d’Alger avec ses parachutistes de la 10ème division. La torture va désormais être au centre de la politique de « pacification ». Combien en ont été victimes en toute légalité ?
Avec
Sylvie Thénault Historienne, directrice au CNRS, spécialiste de la colonisation en Algérie et de la guerre d’indépendance algérienne
Florence Beaugé Ancienne journaliste au journal Le Monde
Malika Rahal Historienne, chargée de recherche HDR au CNRS, et directrice de l'Institut d'Histoire du Temps Présent. Elle est spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie
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Attention, certains propos et images peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties.
Les 8.000 hommes du général Massu quadrille Alger. Les lieux de torture situés dans certaines des plus belles villas ne désemplissent pas. Paul Aussaresses institutionnalise la torture et la rend légitime et nécessaire avec l’accord tacite du gouvernement français d’alors. Le fervent communiste Henri Alleg, journaliste et ancien directeur du journal Alger Républicain va être un des premiers à dénoncer cette torture systématique. Il va en faire les frais. Il est arrêté le 12 juin 1957 au domicile de son ami Maurice Audin. Combien d’Algériens en ont été victimes ? Certains ont trouver le courage de témoigner…
Avec le témoignage de Louisette Ighilarhriz et les témoignages posthumes d’Abane Ramdane, militant politique et révolutionnaire algérien, ayant joué un rôle clé dans l'organisation de la lutte indépendantiste lors de la guerre d'Algérie et Henri Alleg, journaliste français, membre du PCF et ancien directeur d'Alger républicain.
Celui qui va se qualifier lui-même de voyou de la République, décide, 40 ans après la signature des accords d’Évian mettant un terme à la guerre d’Algérie, de tout révéler sur la torture.
Avec
Florence Beaugé Ancienne journaliste au journal Le Monde
Malika Rahal Historienne, chargée de recherche HDR au CNRS, et directrice de l'Institut d'Histoire du Temps Présent. Elle est spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie
Claire Mauss-Copeaux Historienne de la guerre d’Algérie et des violences de guerre
Attention, certains propos et images peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties.
D’abord dans Le Monde sous la plume de Florence Beaugé avec qui, petits-déjeuners après petits-déjeuners à la cafétéria du journal, puis avec Marie-Monique Robin, journaliste d’investigation, Paul Aussaresses qui est devenu général, se confie. Il se raconte, de son enfance bourgeoise dans une famille cultivée, à l’Algérie, en passant par son amour des belles lettres, de sa passion pour Virgile et le grec ancien et son amour de cette France coloniale qui ne veut pas perdre, de son héroïsme pendant la Seconde guerre mondiale, de ses actes valeureux de résistance face au nazisme. Puis vient sa formation au SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage) et la guerre subversive qu’il va enseigner aux dictateurs d’Amérique du Sud et aux interrogateurs de la CIA (Central Intelligence Agency). À l’aube de sa vie, c’est sans doute l’ennui et le désir de laisser une trace, lui, l’homme de l’ombre, qui le pousse à témoigner.
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. O femmes! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit; que vous reste-t-il donc? La conviction des injustices de l'homme; la réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature. Qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise?
Olympe de Gouges,
Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne :
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