Si des incidents réguliers rappellent le racisme subi par les populations noires en Europe ou en Amérique du Nord, celles vivant dans l’espace du Maghreb et du Proche-Orient n’y échappent pas, et subissent encore le legs vivace de siècles de traite arabo-berbère. Si Frantz Fanon a très peu écrit sur le sujet, son analyse du racisme du point de vue de ses victimes permet de penser un phénomène trop longtemps tabou au Maghreb.
Une vieille rue de la médina de Tunis porte le nom de la « rue des nègres » (Wikicommons)..
Durant toute son existence, Fanon a été en prise directe et brutale avec le racisme. Cette réalité, il l’exprime notamment à travers le récit d’expériences vécues tant en Martinique, que dans les rangs des armées « alliées » durant la seconde guerre mondiale, dans les rues de Paris ou Lyon, aussi bien que dans celles de l’Algérie occupée. À travers l’expérience vécue de la race, considérée comme le moyen privilégié d’appréhender le racisme, il livre des outils précieux pour tenter de comprendre les tenants psychologiques et culturels de l’aliénation (raciale), compréhension de réalités qu’il conçoit comme un préalable à leur « liquidation ».
L’auteur de Peau noire, masques blancs avait bien conscience de l’existence de liens étroits entre les aspects socio-économiques et psychologiques du racisme. Il était évident pour lui que l’aliénation du Noir n’est pas une question individuelle et que des rapports internes lient la conscience et le contexte social. Mais au lieu de mener en termes généraux et abstraits une étude des mécanismes du racisme, il a préféré procéder à une analyse empirique de la condition de Noir, en partant de la sienne propre. À l’opposé des dénonciations habituelles et convenues du racisme, l’approche de Fanon est capitale pour penser dans le même mouvement l’oppression raciale et son dépassement.
DES IMPASSES AUJOURD’HUI IMPOSSIBLES
S’il convoquait régulièrement l’histoire et la sociologie, Fanon n’était ni historien, ni sociologue. En plus d’être empreinte des idées de son époque, sa compréhension d’un certain nombre de réalités pouvait être limitée ou déformée par des biais liés notamment à sa condition sociale. Sur l’esclavage transatlantique, il considérait que le Noir n’avait pas soutenu la lutte pour la liberté et avait été libéré « de l’extérieur » par le maître. Ces propos passent sous silence les nombreuses luttes d’esclaves qui ont jalonné l’histoire de la Caraïbe au Brésil, et sont erronés quand bien même on ne s’attacherait qu’à la Martinique.
Ce n’est pas dans son île que Fanon situe l’expérience décisive qu’il avait fait du racisme, mais dans la France dite métropolitaine. Aux Antilles, il existait bien selon lui un « petit hiatus » entre « la békaille, la mulâtraille et la négraille », mais les Antillais se contentaient d’avoir une « compréhension intellectuelle de ces divergences ». Nulle mention n’est faite d’expressions du racisme des Blancs envers les Noirs en Martinique. « An Tan Robè » (du temps de Robert), période durant laquelle le vichyste maréchal Georges Robert s’était installé en Martinique après le début de la seconde guerre mondiale, et avec lui des centaines de soldats, n’est même jamais évoquée. Pourtant témoin des relations houleuses (et parfois violentes) entre marins français et martiniquais, Fanon n’évoque à aucun moment ces temps agités, qui furent aussi ceux de la pénurie et de la sous-alimentation du fait de l’embargo maritime qui frappait alors l’île.
LE LOURD HÉRITAGE DE LA TRAITE ARABO-BERBÈRE
« Il est vrai que la plupart des nègres s’habituent facilement à la servitude ; mais cette disposition résulte, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, d’une infériorité d’organisation qui les rapproche des animaux brutes. » Ces propos ont été consignés par Ibn Khaldoun aux environs de 1375 lors de sa retraite au Calâ d’Ibn Selama près de Tiaret (Algérie), soit plus d’un siècle avant que Christophe Colomb n’entreprenne pour la Couronne d’Espagne son expédition que beaucoup considèrent comme le point de départ de la modernité européenne. Une telle perspective fait du racisme un phénomène né avec le génocide amérindien et la traite transatlantique. Elle est défendue par des auteurs tels C.L.R. James1 ou Anibal Quijano2, pour qui la race et l’identité raciale ne furent établies en tant qu’instruments de classification sociale première de la population qu’à compter de la conquête des Amériques. L’association structurelle entre la nouvelle identité historique qu’est la race et la division du travail à l’échelle mondiale permirent au modèle « capitaliste colonial/moderne et eurocentré » de s’imposer en tant que pouvoir hégémonique planétaire. C’est ce que Quijano appelle la « colonialité du pouvoir capitaliste mondial ».
Si l’on peut comprendre la centralité historique que revêt l’invasion des Amériques pour des auteurs caribéens et sud-américains, surtout si on en fait le point de départ de l’entreprise capitaliste, une telle perspective « eurocentrée » occulte les premiers génocides perpétrés avant l’expédition de Colomb (par exemple aux Canaries contre les berbères Guanches), ainsi que les traites arabo-berbères qui débutèrent dès le VIIe siècle. Or, rappelle l’auteure afro-colombienne Rosa Amelia Plumelle-Uribe dans son essai Victimes des esclavagistes musulmans, chrétiens et juifs (Anibwe, 2012) :
Avec le temps nous avons oublié que la dégradation de la situation et de l’image des Noirs, a commencé en Afrique noire lorsqu’une partie de ce continent est devenue un réservoir d’esclaves destinés aux pays musulmans. Car, il faut savoir que même si l’égalité raciale était soutenue par les préceptes de la religion islamique, en fait, la littérature, les arts et le folklore des peuples musulmans exprimaient le contraire. Ainsi s’explique que, très rapidement, la littérature musulmane ait commencé à véhiculer une image repoussante des Noirs, dont la couleur de la peau associée à leur condition servile devenait un fardeau plus lourd que la servitude elle-même. La plupart des Noirs islamisés, femmes et hommes, finirent par adhérer à cette image infériorisée, vite répandue dans la culture arabo-musulmane.
En explorant les liens entre la naissance du capitalisme et la traite transatlantique, l’œuvre pionnière d’Eric Williams (Capitalisme et esclavage, Présence africaine, 1968) a montré que l’esclavage n’était pas né du racisme, mais que celui-ci avait plutôt été la conséquence de l’esclavage. Si des siècles de traite arabo-berbère n’ont pas eu les mêmes effets que la colonisation européenne et n’ont pas abouti à imposer à l’échelle mondiale l’idée de race comme critère de classification sociale première de la population, ses effets dans les sociétés qui l’ont pratiquée ont été profonds et déterminent de manière durable le traitement discriminatoire réservé aux Noir˖e˖s. Se confronter à cette histoire est une nécessité.
AUJOURD’HUI AU MAGHREB
Le racisme au Maghreb n’est pas un reliquat du colonialisme. Il ne peut être appréhendé qu’en prenant la pleine mesure des effets que des siècles de traite arabo-berbère ont eus, d’autant que des pratiques voisines perdurent en Mauritanie et en Libye, comme l’ont révélé en 2017 les images des journalistes de la chaine CNN. Des travaux comme L’Afrique Noire précoloniale de Cheikh Anta Diop, portant sur cette histoire faite de razzias, de déportations massives et de pratique systématique de la castration par les négriers arabo-berbères, nous rappellent que cette immense entreprise de déshumanisation ne s’est pas faite sans résistances et nous aident à comprendre la persistance d’une négrophobie systémique au Maghreb. Un rappel nécessaire qui n’est toutefois pas suffisant. Car, pour paraphraser Fanon, le racisme au Maghreb ne s’est pas enkysté et a subi le sort de l’ensemble culturel qui l’informait.
À l’instar de ce qui se passe partout où il existe, le racisme au Maghreb est lié à des conditions matérielles et remplit des objectifs précis. Décideurs politiques et grands médias y voient la possibilité de casser les solidarités qui pourraient se créer entre les classes populaires. Pour ces dernières, le racisme exprime leur refus de se compter parmi les dominé˖e˖s, ce qui se traduit concrètement par leur choix de faire primer leur appartenance au groupe perçu comme majoritaire et dominant, au mépris de leur appartenance de classe. Ce n’est pas la moindre des ruses du racisme que de permettre – entre autres choses – de « rattacher les pauvres au chariot du système d’exploitation ».4
Les sociétés du Maghreb sont récemment devenues des terres de transit et d’immigration, modifiant la manière dont on y pense et dit la race et le racisme. Le vocabulaire utilisé aujourd’hui à propos des exilé˖e˖s d’Afrique noire ressemble à s’y méprendre à celui employé en France au sujet des Roms : assistés, parasites, délinquants, sorciers, sales et porteurs de maladies… Accusés en outre de voler le travail des nationaux, ils sont tout à la fois dépeints comme vivant de la mendicité et des aides sociales (quasi inexistantes), et comme de féroces concurrents sur le marché de l’emploi. Le terme « Africain » en est venu à désigner les Noirs du continent, comme si l’Afrique du Nord n’y était pas vraiment située.
Si des campagnes officielles (en Tunisie) ou émanant de la société civile (Maroc et Tunisie), sont aujourd’hui menées avec des fortunes diverses, aucune réponse ne saurait être apportée au problème sans prendre en compte ses coordonnées économiques et politiques, à savoir :
➞ la pauvreté qui pousse des dizaines de milliers d’Africains à entreprendre un périple extrêmement dangereux à travers le Sahara, les pays du Maghreb, et quand ils en ont les moyens, à tenter la périlleuse traversée de la Méditerranée pour gagner l’Europe ;
➞ le rôle des autorités nationales maghrébines qui procèdent à des expulsions massives d’exilé˖e˖s parqué˖e˖s dans des camps d’internement (c’est notamment le cas au Maroc et plus récemment en Algérie où l’on expulse dans des conditions scandaleuses et de manière indiscriminée les exilé˖e˖s vers le Niger). Au-delà des autorités de ces pays, c’est l’ensemble des autorités africaines qui servent aujourd’hui de sous-traitants des politiques migratoires et sécuritaires des États européens ;
➞ la responsabilité occidentale dans l’appauvrissement des sociétés africaines et la destruction d’États comme la Libye, leur complicité active dans les horreurs commises dans cet État failli, devenu la base arrière d’un gigantesque trafic d’êtres humains.
UN DÉNI PERSISTANT
Le racisme au Maghreb se traduit dans la vie quotidienne par une valorisation de tout ce qui est considéré comme blanc, et l’on ne compte plus les analyses et témoignages faits par des Noirs (nationaux, exilés ou étudiants en provenance d’Afrique noire). Beaucoup continuent pourtant à nier l’existence de ce racisme. Les crimes innombrables de la colonisation européenne et le récit souvent eurocentré de l’histoire mondiale masquent l’effroyable réalité que fut la traite arabo-berbère. À cela s’ajoute l’injonction faite de taire le racisme pour ne pas rompre une hypothétique unité des damnés de la terre (ou de la communauté des croyants) face à la domination occidentale. Or, une unité fondée sur l’occultation de crimes passés et présents ne peut être que nominale et suspecte.
La traite arabo-berbère et les discriminations au Maghreb sont, il est vrai, instrumentalisés par des acteurs désireux d’en découdre avec l’islam et le monde arabe et de relativiser les crimes coloniaux européens. La prolifération d’articles sur les sites d’extrême-droite, l’appétence pour cette question d’universitaires et d’idéologues tels Bernard Lewis ou Kamel Daoud, l’expression « traite arabo-musulmane » alors qu’il est question dans l’autre cas de « traite transatlantique », tout cela peut favoriser une attitude de déni chez des populations décrites de manière essentialiste comme étant – presque depuis la nuit des temps – conquérantes, violentes et esclavagistes. Un certain discours sur la traite arabe épouse les stéréotypes racistes sur les Arabes, cela ne fait aucun doute. Mais nos silences sur la question laissent le champ libre aux discours les plus réactionnaires qui soient.
Car quand il est question de racisme au Maghreb, le sujet n’est pas tant « le Maghreb », ou encore « les Arabes » pris dans leur ensemble, mais bien les violences et discriminations que vivent les populations noires. L’analyse par Fanon du racisme du point de vue de ses victimes nous enseigne qu’il est vain de soutenir que le racisme ne serait le fait que de quelques-uns : ce sont bel et bien toutes les personnes qui se trouvent du mauvais côté de la barrière raciale qui ont à le subir. Et c’est cette réalité qui nécessite notre attention à tou˖te˖s.
Avocat et essayiste.
11 AOÛT 2020
https://orientxxi.info/magazine/negrophobie-les-damnes-du-maghreb,4046
Frantz Fanon, une existence en urgence
L’été 1961, le médecin psychiatre et révolutionnaire martiniquais engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie achève le manuscrit des Damnés de la terre. Frantz Fanon rencontre alors à Rome Simone de Beauvoir, Claude Lanzmann et Jean-Paul Sartre, qui a accepté de préfacer son essai. Le romancier Frédéric Ciriez et l’illustrateur Romain Lamy font de leurs trois jours d’échanges parfois vifs le cadre d’un portrait politique et personnel de Frantz Fanon, à la fois profond et pédagogique.
« D’une intelligence aiguë, intensément vivant, doté d’un sombre humour, il expliquait, bouffonnait, interpellait, imitait, racontait : il rendait présent tout ce qu’il évoquait ». Simone de Beauvoir décrit ainsi dans ses mémoires (La force des choses, tome 2, Gallimard, 1972) l’impression que lui fit Frantz Fanon lors de leur rencontre à Rome avec Claude Lanzmann et Jean-Paul Sartre. Nous sommes à l’été 1961. Le gouvernement provisoire de la République algérienne tient un sommet à Tripoli en Libye où les dissensions au sein du FLN atteignent un niveau critique, dont rendra compte plus tard Ali Haroun dans L’été de la discorde (Casbah éditions, Alger, 1999). Fanon vit à Tunis et vient d’achever le manuscrit des Damnés de la terre. Malade, il combat une leucémie depuis plusieurs semaines. Il sait que ses jours sont comptés. Plus que jamais, son existence revêt un caractère d’urgence.
C’est le contexte qu’ont choisi Frédéric Ciriez et Romain Lamy pour ce récit graphique paru aux éditions La Découverte. Revenant sur les multiples engagements de Fanon à travers une série de flashbacks bien sentis, le livre s’inspire librement de sa rencontre en août 1961 avec Sartre, Beauvoir et Lanzmann. La conversation démarre tambour battant. Sitôt passées les amabilités de circonstance, Fanon aborde ses désaccords avec le patron des Temps modernes, qu’il avait déjà évoqués dans Peau noire, masques blancs. Il lui reproche en particulier d’avoir relativisé la négritude en faisant le temps faible d’une progression dialectique devant aboutir à la pleine réalisation de l’humain dans une société débarrassée du racisme. « Il faut être blanc pour penser comme cela », déclare Fanon non sans humour.
Bien que les rapports entre les quatre principaux protagonistes du livre soient marqués par un profond respect et une grande estime intellectuelle, les échanges sont vifs, l’ironie omniprésente. Quand Sartre déclare que Peau noire, masques blancs peut être lu comme les réflexions de Fanon sur la « question noire », celui-ci lui répond aussitôt que oui, à ceci près que lui est noir et que Sartre n’est pas juif1. Et à Simone de Beauvoir qui lui demande si la vie n’est pas trop difficile à Tunis, Fanon l’invite à ne pas projeter sur lui et sa famille ses « angoisses de parisienne ».
LA RICHESSE D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL
Les auteurs évitent l’écueil, malheureusement par trop répandu en France, qui consiste à placer Fanon sous la tutelle intellectuelle de l’auteur de La Putain respectueuse. Certes, le livre revient sur l’admiration assumée du psychiatre martiniquais pour l’œuvre et les engagements de Sartre, mais il s’attache au fil des pages à renverser avec finesse un rapport qui semblait de prime abord inégal. « Fanon voulait rencontrer Sartre, je crois que c’est Sartre qui l’a rencontré », se dit ainsi Beauvoir au moment de dire au revoir à Fanon. Si elle et Sartre sont bel et bien présent.e.s tout au long du livre, c’est avant tout pour donner la réplique au natif de Fort-de-France et le relancer systématiquement sur son itinéraire personnel.
nesse martiniquaise à son engagement contre les nazis, ses désillusions et sa blessure au combat, sa décoration (remise par le général Raoul Salan2 lui-même), l’obtention d’une bourse d’étude et l’inscription en médecine à la faculté de Lyon, ses premiers articles dans la revue Esprit : « Le syndrome nord-africain » (février 1952), « Peau noire, masques blancs » (octobre 1952), sa découverte de la social-thérapie et ses années d’interne à Saint-Alban auprès du docteur François Tosquelles, le départ vers Blida, sa rencontre avec les militants nationalistes algériens et la relation fusionnelle avec le mouvement de décolonisation du continent, son discours à Accra sur la lutte armée, sa défiance à l’égard de l’orthodoxie psychiatrique et les résistances institutionnelles face à la social-thérapie, sa participation au Congrès des écrivains et artistes noirs, sa proximité avec Abane Ramdane, les luttes fratricides entre FLN et MNA et les fractures au sein du FLN, l’ouverture d’un front au Sahara et l’acheminement de combattants et d’armes à travers le Mali, ses réflexions sur la souffrance psychique subie par les colonisé.e.s, la violence libératrice, les dangers qui guettent les nouvelles nations indépendantes, le rôle de la paysannerie dans le processus révolutionnaire, sa rédaction des Damnés alors que l’on vient de lui diagnostiquer une leucémie…
Quelle vie ! Emporté par la maladie à 36 ans, Fanon a semblé vivre chaque jour comme le dernier. « Je n’aime pas les gens qui s’économisent », avait-il lancé un soir à Lanzmann.
C’est peut-être — avec le prix — l’un des reproches que l’on peut adresser au livre : un côté didactique et linéaire pouvant donner un aspect catalogue à cette biographie qui épluche par le menu un parcours fulgurant. Mais comment en vouloir aux auteurs quand on sait dans quel désert éditorial vient s’insérer cette bande dessinée et combien sont nombreux les trous à combler pour installer Fanon de manière durable dans le paysage intellectuel français ?
UNE HISTOIRE VUE D’EN BAS
La profusion de dates et de noms n’empêche toutefois pas que l’accent soit aussi mis sur un aspect souvent négligé de l’œuvre de Fanon : sa pratique médicale et les soins prodigués aux malades qui lui permirent de percevoir « l’écho intime de la guerre ». Sont ainsi analysés les bouleversements que cause l’atmosphère de conflit permanent, qui vont des raideurs musculaires à la dépression et divers troubles psychosomatiques. À l’instar de ce que fera plus tard la psychiatre Samah Jabr dans le contexte palestinien3, c’est une histoire vue d’en bas qui nous est ici contée. Celle du fracas colonial qui met aux prises les corps et les esprits. Celle de la manière dont la répression attaque les défenses psychiques et la lutte de libération est conçue comme une thérapie. Derrière le mot de colonialisme se nouent quantité de souffrances et de drames qu’une vision en surplomb de l’histoire vient souvent oblitérer.
En choisissant la forme de la bande dessinée pour retracer le parcours exceptionnel de Frantz Fanon, les éditions La Découverte permettent une ouverture salutaire à un nouveau public, en particulier jeune, à qui est donnée l’occasion de se plonger dans une époque d’effervescence politique où l’avenir semblait ouvert. Un changement esthétique bienvenu qui nous permet aussi à tou.tes de reprendre Fanon au point exact où l’on a tendance à l’arrêter, pour reprendre la formule de l’écrivain Patrick Chamoiseau, et de redécouvrir,« sinon le seul Fanon qui vaille, mais le plus riche de tous : celui qui est en devenir ».
Avocat et essayiste.
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.RAFIK CHEKKAT
https://orientxxi.info/magazine/frantz-fanon-une-existence-en-urgence,4222
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RAFIK CHEKKAT
https://orientxxi.info/magazine/negrophobie-les-damnes-du-maghreb,4046
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