Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
Libéré lors d’un échange « otage israélien contre prisonniers palestiniens », le leader du Hamas dans la bande de Gaza était vu par Israël comme à même de contrôler ce territoire. Jusqu’aux massacres du 7 octobre.
La photo a circulé en mai 2021 sur tous les réseaux sociaux palestiniens. Yahya Sinouar sourit, chemise repassée, pantalon noir et barbe blanche bien taillée, assis sur un fauteuil, dans les décombres de sa maison détruite par l’armée israélienne durant la précédente guerre de Gaza.
L’homme sera-t-il un jour à nouveau capable de prendre une telle pose de défi, alors que parmi les nombreux objectifs d’ores et déjà détruits par l’aviation à Gaza figure à nouveau la maison du leader du Hamas, et qu’il est devenu l’homme à abattre pour Tsahal ?
Yayha Sinouar en mai 2021.
Yahya Sinouar est devenu, samedi 7 octobre, le cauchemar du gouvernement israélien. En premier lieu parce qu’il est à l’origine d’une opération militaire qui s’est montée sous le radar des systèmes de renseignement et de protection censés être les meilleurs du monde. Infligeant ainsi en quelques heures un bilan humain apocalyptique de plus de 700 morts et 2 000 blessé·es, inédit dans l’histoire du pays hébreu.
Les raisons de ce succès logistique du Hamas restent à expliquer, autant que les défaillances sécuritaires israéliennes. Le sous-sol de Gaza est certes un gruyère, mais les tunnels au sud avaient été largement inondés et la contrebande intense qui existait encore avec l’Égypte il y a quelques années ne paraissait plus possible.
Au nord, la bordure qui encercle Gaza ne se dresse pas seulement au-dessus du sol, mais s’enfonce aussi sous terre, compliquant les infiltrations de combattants palestiniens sur le sol d’Israël à travers des tunnels, comme cela avait été le cas lors de la capture du soldat Gilad Shalit en 2006.
Cela n’a pas empêché le Hamas de disposer de suffisamment de roquettes – 5 000 tirs ont été revendiqués – pour détourner l’attention de l’infiltration de ses combattants ; d’assez d’explosifs et d’engins motorisés pour briser en plusieurs endroits le mur qui entoure Gaza, y compris dans les secteurs a priori ultra-sécurisés que sont le point de contrôle frontalier d’Erez et la base militaire de Zikim, sans parler des images frappantes d’hommes entrant en ULM en Israël ou tentant d’y pénétrer par la mer.
Échange « otage contre prisonniers »
Le changement de stratégie du Hamas est aussi massif qu’inattendu, surtout de la part d’un homme, Yahya Sinouar, qui était présenté aussi bien par les responsables sécuritaires israéliens que ceux du Hamas comme un « pragmatique » lorsqu’il a pris la tête du mouvement islamiste à Gaza en 2017.
D’autant que cet homme aurait théoriquement dû encore se trouver dans une geôle israélienne, dans la mesure où il avait été condamné en 1988 par un tribunal israélien à la perpétuité…
La sidération actuelle en Israël vient notamment de là. Alors que près d’une centaine d’otages se trouveraient aujourd’hui à Gaza, et qu’une grande part de la réponse actuelle d’Israël est suspendue à des décisions sur leur sort, l’homme fort du Hamas à Gaza a été libéré en 2011 dans le cadre d’un échange « otage contre prisonniers ». Israël avait alors accepté de libérer pas moins d’un millier de prisonniers palestiniens pour récupérer vivant le soldat franco-israélien Gilad Shalit, capturé par un commando en 2006…
L’autre élément de la sidération israélienne vient du fait que, depuis qu’il a pris les rênes du Hamas à Gaza en 2017, Yahya Sinouar semblait tenir le rôle que les Israéliens attendaient officieusement de lui : négocier avec l’incontournable voisin égyptien ; sous-traiter au Jihad islamique – une organisation plus petite et moins dotée militairement que le Hamas – la plupart des affrontements directs avec Israël en lançant régulièrement des roquettes facilement interceptées par les défenses israéliennes ; mais aussi contrôler un territoire décrit rituellement et adéquatement comme une « prison à ciel ouvert » et une « cocotte-minute », tant la population ultra-dense y manque de tout : eau potable, nourriture, accès aux soins, sans même parler de perspectives de départ ou d’avenir.
C’est pourtant cet homme qui a inauguré une forme d’affrontement avec Israël que beaucoup semblaient juger impossible. Dans la société israélienne, comme dans une large partie de la société palestinienne, prévalait en effet jusqu’à peu l’idée qu’une action palestinienne d’ampleur n’était plus possible, tant la disproportion des forces était grande, que ce soit sur le plan militaire ou diplomatique.
Changement d’échelle
La première intifada, surnommée la « guerre des pierres » en raison des images de frondes brandies par des adolescent·es palestinien·nes, fut déclenchée en 1987 dans le camp de réfugié·es gazaoui·es de Jabaliya. C’était un soulèvement populaire, massif, marqué par des barricades, de la désobéissance civile et des manifestations où les femmes se trouvaient en masse et en première ligne.
Étalée jusqu’en 1993 et la signature des accords d’Oslo, elle fit environ 300 morts côté israélien et 2 000 côté palestinien. C’est en 1987, à l’occasion de cette première intifada, que le Hamas est créé à Gaza – son guide spirituel, le cheikh Yassine, étant arrêté et emprisonné en Israël en 1989. Yahya Sinouar, lui, a été arrêté par les Israéliens dès 1988. Il restera dans les prisons israéliennes pendant 23 ans.
La seconde intifada, initiée en 2000, fut un affrontement beaucoup plus militarisé entre Tsahal et les Tanzim, marqué par les importants attentats-suicides dans les centres urbains israéliens, lancés principalement par le Jihad islamique et le Hamas, qui survivra à l’assassinat ciblé, en 2004, de ses deux fondateurs, Ahmed Yassine et Abdel Aziz al-Rantissi. On estime à environ 1 000 morts israéliens et environ 3 000 morts palestiniens le bilan de cette confrontation armée qui dura près de cinq ans.
Même si les chiffres ne racontent qu’une petite partie de l’histoire, c’est dire si l’attaque menée par le Hamas le week-end dernier, avec un bilan de déjà plus de 700 morts côté israélien et de près de 600 côté palestinien, fait changer le conflit israélo-palestinien d’échelle.
Vous devrez vous préparer à une grande bataille si Israël n’arrête pas d’attaquer la mosquée al-Aqsa.
Yahya Sinouar en avril 2022
Même si le nombre de morts palestiniens depuis janvier dernier avait atteint des records inédits depuis des années, et même si les attaques palestiniennes tuant des Israélien·nes sont régulières depuis ce qu’on a nommé « l’intifada des couteaux » en 2015, jusqu’aux actions commises ces derniers mois par des jeunes gens revendiquant leur appartenance à de nouveaux groupes de combattants palestiniens dans les régions de Naplouse et Jénine, l’idée que la sécurité d’Israël pouvait être véritablement fragilisée semblait s’être définitivement éloignée.
En ayant lancé ses hommes armés et entraînés sur le sud d’Israël, Yahya Sinouar pose aux Israéliens un défi que le gouvernement Nétanyahou n’avait pas envisagé, même si la position du leader du Hamas à Gaza était à la fois publique et connue des autorités militaires israéliennes.
En avril 2022, lors d’une de ses rares apparitions publiques et après une vague d’attentats qui avaient fait plusieurs morts israéliens, Yahya Sinouar avait déclaré : « Vous devrez vous préparer à une grande bataille si Israël n’arrête pas d’attaquer la mosquée al-Aqsa. »
Et, dans un long article publié à l’été 2021, le journal Haaretz citait déjà de multiples sources militaires anonymes notant des évolutions du personnage, dont une partie serait liée au fait qu’il n’avait obtenu que difficilement d’être reconduit à la tête du Hamas à Gaza lors d’élections internes au parti islamiste en mars 2021.
Confronté à la candidature de Nizar Awadallah, considéré comme un radical adepte d’une guerre totale avec Israël, Yahya Sinouar aurait radicalisé son approche et pris en compte les critiques l’accusant d’avoir, en dépit de ses proclamations, abandonné l’option militaire pour se contenter de gérer Gaza avec l’argent du Qatar et de l’aide internationale.
Pour l’une des sources au sein des services de sécurité citée dans l’article de Haaretz, Yahya Sinouar ne se verrait plus seulement comme un simple leader d’un parti palestinien, mais « se conduit comme s’il avait la mission donnée par Dieu de protéger Jérusalem et Al-Aqsa ». Une mission qui aura infligé à Israël un des pires drames de son histoire et qui plonge aujourd’hui Gaza dans l’inconnu.
Des Palestiniens célèbrent la prise d’un char israélien, près de Khan Younès, après avoir franchi la clôture de séparation entre Israël et la bande de Gaza, le 7 octobre 2023
Said Khatib/AFP
C’était aussi au mois d’octobre, il y a juste cinquante ans, en 1973. Les armées égyptienne et syrienne franchissaient les lignes de cessez-le-feu et infligeaient de lourdes pertes à l’armée israélienne. Quelle terrible commotion à Tel-Aviv ! Alors que ses services de renseignement disposaient d’informations sur une attaque imminente, la direction politique resta drapée dans sa morgue : les Arabes, défaits en 1967, étaient incapables de se battre ; l’occupation des territoires arabes pouvait se poursuivre impunément et indéfiniment.
« TENTER DE REMETTRE LES PIEDS CHEZ SOI, EST-CE UNE AGRESSION ? »
Nombre de commentateurs en Europe et aux États-Unis dénoncèrent alors une « agression » égypto-syrienne injustifiable, immorale, non provoquée — un terme que les dirigeants israéliens affectionnent, car il permet d’occulter la racine des conflits : l’occupation. Michel Jobert, à l’époque ministre des affaires étrangères de la France, fit preuve d’une lucidité qui honorait son pays : « Est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue forcément une agression ?1 » Il est vrai qu’à l’époque la voix de Paris planait à mille lieues au-dessus du concert occidental et proclamait que la reconnaissance des droits nationaux des Palestiniens et l’évacuation des territoires arabes occupés en 1967 étaient les clefs de la paix.
Si vouloir en finir en 1973 avec l’occupation du Sinaï égyptien et du Golan syrien était légitime, cinquante ans plus tard la volonté des Palestiniens de s’affranchir de l’occupation israélienne est-elle illégitime ? Tel-Aviv, comme en octobre 1973, a été pris de court par l’action palestinienne et a subi une défaite militaire d’une ampleur exceptionnelle. Cette fois aussi, la morgue de l’occupant, le mépris pour les Palestiniens, la conviction de ce gouvernement suprémaciste juif persuadé que Dieu est à ses côtés ont contribué à son aveuglement.
L’attaque déclenchée par le commandement militaire conjoint de la plupart des organisations palestiniennes, sous la direction des Brigades Ezzedine Al-Qassam (bras armé du Hamas), n’a pas seulement surpris par le moment choisi, mais aussi par son ampleur, son organisation, et les capacités militaires déployées qui ont permis, entre autres, de submerger des bases militaires israéliennes. Elle a uni tous les Palestiniens et suscité une large adhésion dans un monde arabe dont les dirigeants cherchent pourtant à pactiser avec Israël en sacrifiant la Palestine. Même Mahmoud Abbas, président d’une Autorité palestinienne démonétisée, dont la principale raison d’être est la coopération sécuritaire avec l’armée israélienne, s’est senti obligé de déclarer que son peuple « avait le droit de se défendre contre la terreur des colons et des troupes d’occupation » et que « nous devons protéger notre peuple2 ».
TOUS TERRORISTES !
À chaque fois que les Palestiniens se révoltent, l’Occident — si prompt à glorifier la résistance des Ukrainiens — invoque le terrorisme. Ainsi, le président Emmanuel Macron a condamné « fermement les attaques terroristes qui frappent actuellement Israël », sans un mot sur la poursuite de l’occupation qui est le ressort de la violence. La résilience tenace, farouche, entêtée des Palestiniens étonne toujours les occupants et semble choquer bon nombre d’Occidentaux. Comme lors de la première Intifada de 1987 ou de la seconde Intifada en 2000, lors des actions armées en Cisjordanie ou des mobilisations en faveur de Jérusalem, lors des affrontements autour de Gaza, assiégée depuis 2007 et qui a subi six guerres en 17 ans (400 morts en 2006, 1 300 en 2008-2009, 160 en 2012, 2 100 en 2014, près de 300 en 2021 et plusieurs dizaines au printemps 2023), les responsables israéliens dénoncent la « barbarie » de leurs adversaires, le fait qu’ils ne font pas grand cas de la vie humaine, en un mot leur « terrorisme ».
L’accusation permet de se parer dans les habits du droit et de la bonne conscience, en occultant le système d’apartheid d’une brutalité inouïe qui opprime quotidiennement les Palestiniens.
On rappellera, une fois de plus, que nombre d’organisations terroristes, clouées au pilori au cours de l’histoire, sont passées du statut de paria à celui d’interlocuteur légitime. L’Armée républicaine irlandaise (IRA), le Front de libération nationale algérien, le Congrès national africain (ANC) et bien d’autres ont été tour à tour qualifiées de « terroristes », un mot qui visait à dépolitiser leur combat, à le présenter comme un affrontement entre le Bien et le Mal. Finalement, il a fallu négocier avec elles. Le général de Gaulle avait eu ces mots prémonitoires après l’agression israélienne de juin 1967 :
Maintenant Israël organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’il qualifie de terrorisme…3
IL NE S’AGIT PAS D’UNE ATTAQUE « NON PROVOQUÉE »
Comme le remarque le journaliste israélien Haggai Matar :
Contrairement à ce qu’affirment de nombreux Israéliens (…), il ne s’agit pas d’une attaque “unilatérale” ou “non provoquée”. L’effroi que ressentent les Israéliens en ce moment, y compris moi, n’est qu’une infime partie de ce que les Palestiniens ressentent quotidiennement sous le régime militaire qui sévit depuis des décennies en Cisjordanie, ainsi que sous le siège et les assauts répétés contre Gaza. Les réponses que nous entendons de la part de nombreux Israéliens — qui appellent à “raser Gaza”, qui disent que “ce sont des sauvages, pas des gens avec qui on peut négocier”, “ils assassinent des familles entières” ; “il n’y a pas de place pour parler avec ces gens” — sont exactement celles que j’ai entendues d’innombrables fois dans la bouche des Palestiniens à propos des Israéliens4.
On peut à juste titre déplorer, comme dans toute guerre, la mort de civils, mais y aurait-il de « bons civils » pour lesquels il faudrait verser des larmes et de « mauvais civils » comme les Palestiniens qui sont tués quotidiennement en Cisjordanie et dont la mort suscite si peu d’indignation ?
On compte déjà 700 morts israéliens (et plus de 400 côté palestinien), soit plus que durant la guerre de 1967 contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. La donne politique et géopolitique régionale en sera bouleversée et d’une manière qu’il est difficile d’évaluer à ce stade. Mais ce que les événements actuels accréditent, une fois de plus, c’est que l’occupation déchaîne toujours une résistance dont les seuls responsables sont les occupants. Comme le proclame l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la résistance à l’oppression est un droit fondamental, un droit que les Palestiniens peuvent justement revendiquer.
Le Proche-Orient s’enfonce dans une guerre à l’effroyable bilan humain, et que fait la communauté internationale ? Au lieu d’appeler à la désescalade, les États-Unis, et de nombreux pays alignés derrière eux, dont la France, assurent Israël de leur solidarité après l’attaque du Hamas. Un message compris comme un blanc-seing pour déchaîner le feu sur la population de Gaza. Chaque roquette tombée sur Israël fournit comme sur un plateau un motif à Netanyahou pour lancer ses troupes à l’assaut de l’enclave palestinienne, et chaque bombe explosant à Gaza sert de prétexte aux chefs islamistes pour mener leur guerre, au mépris des vies israéliennes comme palestiniennes. Il importe avant tout de faire cesser le massacre. Le vainqueur de cette spirale de violence ne sera ni Netanyahou ni le Hamas, mais la haine.
Les attaques de civils sont lâches et injustifiables. Rien, pas même l’horreur vécue dans « la prison à ciel ouvert » de Gaza, ne peut excuser le Hamas de s’en prendre à des familles israéliennes. Et rien, pas même « le droit de se défendre » brandi par Israël, ne peut justifier le déluge de destruction et de mort aux allures de vengeance qui s’abat sur les Gazaouis. Au nom de la lutte contre le terrorisme, de beaux esprits qui prétendent incarner la civilisation contre la barbarie voudraient interdire de rappeler le « contexte », c’est-à-dire l’humiliation quotidienne du peuple palestinien par un État israélien oppressif qui foule aux pieds la légalité internationale.
L’historien israélien Zeev Sternhell avait dénoncé en son temps le jeu malsain de Tel-Aviv pour favoriser le Hamas contre l’OLP, et torpiller ainsi tout accord débouchant sur un État palestinien. S’aligner sur Netanyahou en fermant les yeux sur l’occupation n’aide en rien les Israéliens et les Palestiniens. Au contraire, ces deux poids, deux mesures insupportable est un ferment de l’islamisme. La lutte contre ce dernier passe par la fin du blocus de Gaza et de la colonisation de la Palestine. C’est aussi la condition d’une paix juste et durable avec Israël, seule garante à terme de sa sécurité.
À gauche, même lorsque la condamnation du Hamas est ferme, le terreau sur lequel pourrit ce conflit est mis en avant. Le sénateur communiste Fabien Gay l’a de nouveau souligné dimanche. « L’attaque du Hamas doit être condamnée avec force. La mort de et la prise d’otage de civils israéliens et la mort de civils palestiniens est un drame, écrit-il sur X. Elle s’inscrit dans un cycle de violences continues dans les territoires palestiniens sous blocus et occupés. Une solution politique à deux États, basée sur les résolutions de l’ONU et le respect du droit international reste la seule voie possible pour la paix. Pour cela, la colonisation israélienne et le blocus de Gaza doivent cesser », ajoute le directeur de l’Humanité.
« La France doit prendre l’initiative pour les faire respecter et permettre la coexistence pacifique du peuple israélien et du peuple palestinien », ajoutait également le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, dimanche sur France 3.
Efraim Davidi : « Il n’y a qu’une seule solution, mettre fin à l’occupation »
Membre du comité central du Parti communiste israélien, Efraim Davidi dénonce la politique du gouvernement de Benyamin Netanyahou, qu’il tient pour responsable de la situation, et met en garde contre les actes de vengeance qui pourraient être menés contre les citoyens arabo-palestiniens d’Israël. Il appelle à la reconnaissance du droit des Palestiniens.
Pour Efraim Davidi, membre du parti communiste israélien : « Il n’y a qu’une seule solution : mettre fin à l’occupation et reconnaître les revendications et les droits légitimes du peuple palestinien ».
« En tant que Parti communiste israélien et membre du mouvement Hadash (Front démocratique pour la paix et l’égalité), nous estimons le gouvernement fasciste israélien responsable de l’escalade brutale et dangereuse de ces dernières heures, qui a coûté la vie à de nombreux citoyens innocents. Cela s’est produit à la fin d’une semaine choquante au cours de laquelle les colons se sont déchaînés dans les territoires occupés sous les auspices de leur gouvernement, ont profané la mosquée al-Aqsa et ont perpétré un autre pogrom à Huwara (ville palestinienne près de Naplouse déjà attaquée il y a quelques mois par les colons – NDLR). C’est une escalade très grave qui met en danger toute la région dans une guerre que le gouvernement de droite alimente depuis son premier jour.
Les événements que nous vivons depuis samedi montrent dans quelle direction dangereuse le gouvernement Netanyahou et les colons conduisent toute la région, et soulignent une fois de plus qu’il n’y a aucun moyen de gérer le conflit ou de le résoudre militairement. Il n’y a qu’une seule solution : mettre fin à l’occupation et reconnaître les revendications et les droits légitimes du peuple palestinien. La fin de l’occupation et l’établissement d’une paix juste sont un intérêt distinct et commun des deux peuples de ce pays.
Nous sommes profondément préoccupés par l’utilisation de ces événements par le gouvernement Netanyahou pour mener une attaque vengeresse contre la bande de Gaza. Nous appelons la communauté internationale et les pays de la région à intervenir immédiatement pour faire taire les tambours de la guerre et lancer des initiatives en faveur d’une solution politique. Enfin, nous mettons en garde contre les actes de vengeance qui pourraient être menés contre les citoyens arabo-palestiniens d’Israël, et en particulier les habitants des villes mixtes et des villages non reconnus du Néguev (villages bédouins que le gouvernement ne reconnaît pas comme légaux – NDLR), qui ont déjà payé un prix élevé car l’État ne s’occupe pas d’eux.
Dans cette réalité, il est du devoir des forces saines en Israël, juifs et Arabes, de faire entendre une voix forte et claire contre toute tentative d’incitation à la violence à l’encontre de populations entières et de promouvoir l’aspiration à une vie normale sans occupation, sans discrimination et sans suprématie – une vie de paix, d’égalité et de véritable démocratie pour tous. »
SOURCE : Efraim Davidi : « Il n’y a qu’une seule solution, mettre fin à l’occupation » (humanite.fr)
Ça suffit le concert des nations pro-israélien Résister à un occupant est légitime !
Au moment où nous écrivons, sans informations détaillées et vérifiées, nous tenons à préciser ce qui suit.
Un déferlement de commentaires présente comme d’habitude le Hamas et les Palestiniens comme les agresseurs et l’armée israélienne comme ripostant. Quoi que nous puissions penser de là où nous sommes de la stratégie adoptée par le Hamas (et nous n’avons pas forcément un point de vue commun sur le sujet), nous nous devons de rappeler que c’est :
Israël la puissance colonisatrice,
Israël qui impose un blocus inhumain à Gaza,
Israël qui poursuit à marche forcée une colonisation de peuplement sur toute la Palestine historique,
Israël qui conforte un régime d’apartheid et utilise l’emprisonnement massif comme un moyen de gestion de son occupation,
Israël dont l’armée dans la dernière période couvre les pogroms opérés par les colons contre les villages palestiniens.
Plus de 200 morts palestiniens depuis le début de l’année, plus de 1000 détenus administratifs (c’est-à-dire sans jugement et sans accès au dossier d’accusation), etc. Et nous rappelons que le droit international, qu’Israël foule au pied, justifie la résistance, y compris armée, à l’occupation et à l’oppression.
Les événements d’aujourd’hui doivent rappeler à toutes et tous, et en particulier à la population israélienne, qu’il n’y aura pas de paix possible pour une communauté juive dans cette région du monde sans que soit reconnu à toutes et tous l’égalité des droits. Nous maintenons notre appel aux autorités françaises à cesser la sempiternelle référence univoque au droit d’Israël à la sécurité et à cesser sa collaboration militaire et économique avec cet État colonial.
Nous soutenons la résistance du peuple palestinien face à l’occupation, à la répression, au déni du droit des Palestiniens.
La Coordination nationale de l’UJFP, le 7 octobre 2023
SOURCE :
Qui sommes-nous ? - Clip 1/10 de "Paroles juives contre le racisme"
A partir de leur trajectoire personnelle, 35 militants antiracistes de l’UJFP. s’expriment sur le racisme et l’antiracisme d’aujourd’hui.
AU PROCHE-ORIENT, ICI ET PARTOUT VIVRE ENSEMBLE DANS L’EGALITE ET LA JUSTICE
Née en 1994 de la volonté d’une paix juste au Proche-Orient, l’UJFP est une association juive laïque rassemblant des adhérents aux histoires et aux parcours divers et fermement attachés au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Conscients d’appartenir à une histoire plurielle qui a produit aussi bien des résistants antinazis, des combattants anticolonialistes que d’autres grandes figures universalistes dont les expériences marquent nos mémoires, nous portons la parole dont nous sommes héritiers : agir pour « créer un monde meilleur ».
L’UJFP regroupe des membres, Juifs ou non, qui œuvrent ensemble pour que le « vivre ensemble » dans l’égalité et la justice en France comme au Proche Orient, devienne réalité et pour que des voix juives laïques et progressistes se fassent entendre.
C’est pourquoi elle est partie prenante des combats contre le racisme sous toutes ses formes et contre toutes les discriminations.
LE PROCHE-ORIENT
Le sionisme a abouti à la création d’un Etat, Israël, qui prétend se définir comme « Etat juif » et au nom de cette judéïté justifie et légitime aussi bien « la Naqba » (pour les Palestiniens, la catastrophe de 1947-48) que sa politique d’occupation et de discriminations légales niant le peuple palestinien et ses droits. Le gouvernement actuel amplifie et accélère la politique de dépossession et d’épuration ethnique contre le peuple palestinien poursuivie depuis 1948.
Nous faisons nôtres les conclusions des trois premières sessions du Tribunal Russell sur la Palestine, et notamment la qualification de la politique d’Israël comme coupable du crime d’apartheid contre le peuple palestinien.
Nous combattons énergiquement l’odieux chantage à l’antisémitisme et la sinistre équation « Juifs = Sionistes = Israël », qui vise à embrigader tous les Juifs dans une politique criminelle – comme l’ont encore montré le rapport Goldstone sur les bombardements de la population de Gaza en décembre 2008/janvier 2009 ou l’arraisonnement meurtrier de la flottille Free Gaza le 30 mai 2010- et suicidaire, car cette stratégie d’une guerre sans fin, au nom de tous les Juifs du monde, interdit toute perspective de vie pacifique pour une minorité juive israélienne au Proche Orient, et mobilise dans le monde les rancœurs contre «les Juifs».
Nous jugeons désastreux à cet égard le rôle joué par les institutions communautaires juives de France, qui agissent à travers le CRIF comme une annexe de la propagande sioniste dans ce pays – alors même que nous savons que ces institutions ne représentent qu’elles mêmes, c’est à dire un groupe d’associations juives sionistes, et sont loin de porter la voix de l’ensemble des Juifs français. Nous rejetons de la même manière les politiques européenne et française de laisser faire et d’impunité pour toutes les violations du droit international, et des droits humains commises par Israël.
Tant que l’Etat d’Israël ne sera pas comptable de sa politique illégale d’occupation, des violations du droit international et des nombreux crimes de guerre, une paix fondée sur l’égalité des droits sera impossible.
L’UJFP considère que le respect des droits du peuple palestinien, tous ses droits, y compris le droit au retour des réfugiés, et la réparation des torts causés à ce peuple, sont des conditions indispensables pour une solution réellement pacifique et durable au Proche Orient. L’UJFP soutient l’aspiration à la démocratie et à l’égalité qui se traduit par les soulèvements en cours dans les pays du Printemps Arabe.
Membre du CRID, l’UJFP milite au sein du Collectif National pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, de la Plateforme des ONG pour la Palestine. Elle participe activement à la campagne internationale « stoppons le KKL-FNJ », le Fonds national Juif étant depuis plus d’un siècle l’instrument de la dépossession du peuple palestinien de ses terres. Un exemple de ses conséquences catastrophiques en est donné par la politique de colonisation du Neguev et les amendements continus des lois foncières qui prétendent légitimer la dépossession de tous les Palestiniens de leurs biens immobiliers.
Elle répond à l’appel de plus de 170 organisations de la société civile palestinienne en adhérant à la Campagne BDS France (pour le Boycott, le Désinvestissement, et des Sanctions contre le régime israélien). Cette campagne, qui vise toutes les institutions israéliennes impliquées dans la politique d’Apartheid et d’occupation, remporte de nombreuses victoires dans le monde, et montre que les sociétés – à travers leurs syndicats, leurs milieux associatifs, parfois leurs églises et leurs gouvernements – refusent le non droit imposé par la force (campagne BDS France : www.bdsfrance.org).
Cette intervention directe des citoyens est cruciale pour isoler Israël, à l’image de la campagne qui avait contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud, et obtenir de nos gouvernants qu’ils mettent fin à l’impunité de cet Etat comme ils en ont le pouvoir, au lieu de lui maintenir un soutien inconditionnel.
Ainsi, nous demandons la suspension immédiate de l’accord d’association entre Israël et l’Union Européenne ; les responsables des crimes de guerre doivent être traduits devant les juridictions internationales compétentes.
Nous attendons du nouveau gouvernement français qu’il rompe effectivement avec le soutien inconditionnel à Israël, avec le soutien de la prétention du CRIF de représenter tous les Juifs, avec le déni de la liberté d’expression que représentent les poursuites contre les militants de la campagne BDS.
L’UJFP est membre de la Fédération des Juifs européens pour une Paix Juste (EJJP).
JUSTICE ET EGALITE ICI AUSSI
Dans le contexte de crise qui se poursuit, nous nous inquiétons des diverses remises en cause des libertés publiques en France et se mobilise contre toutes les discriminations.Elle participe aux mobilisations pour la régularisation des sans-papiers, pour le droit d’asile, pour un« vivre ensemble » dans l’égalité et la justice. Nombre de nos adhérents sont pleinement investis dans le Réseau Education Sans Frontières, que nous soutenons.
L’UJFP est sensible à l’antisémitisme comme à toutes les formes du racisme elle participe au collectif « d’ailleurs nous sommes d’ici », combat l’islamophobie et le racisme anti-arabe, produits d’un passé colonial non assumé et de l’idéologie du « choc des civilisations ». l’UJFP est présente dans le collectif « mamans toutes égales » Nous attendons avec ces associations et réseaux du nouveau gouvernement qu’il rompe effectivement avec la politique xénophobe et raciste de l’Etat lui-même.
L’UJFP SE BAT CONTRE LES MURS
ET CONSTRUIT DES PONTS
Nous luttons avec tous ceux qui s’opposent au « Mur de séparation », instrument d’une expropriation de terres supplémentaire au plus profond de la Cisjordanie et de l’Apartheid entre les populations juives et palestiniennes.
Nous sommes partie prenante des « flottilles de la liberté » pour briser le blocus de Gaza (un membre de notre Bureau national était sur le « Louise Michel » en juin 2011).
Pour le « vivre ensemble » dans l’égalité et la justice, ici comme là-bas, l’UJFP a développé un partenariat privilégié avec l’Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF). Nos deux associations ont porté en commun le message de refus des replis communautaires et du nécessaire respect des droits pour vivre ensemble dans la 9e mission civile en Palestine/Israël de février 2002 et dans la 166° en octobre 2010, élargie à la Fédération Tunisienne des Citoyens des Deux Rives (FTCR) et au groupe Immigration Développement Démocratie (IDD), à l’occasion du Forum mondial de l’Education. Elles y ont affirmé dans les Territoires Occupés Palestiniens comme en Israël que la ligne de démarcation ne passait pas entre Juifs et Arabes, mais entre respect et déni du droit.
NOS ACTIVITES
Outre la participation aux mobilisations déjà évoquées en solidarité avec le peuple palestinien ou pour le respect des libertés démocratiques dans notre propre pays, des réunions publiques, organisées le plus souvent en partenariat pour faire connaître par exemple la situation des prisonniers palestiniens, celle des Palestiniens de 48, sur le sionisme, sur les solutions pour parvenir à une paix juste,… pour donner la parole à des auteurs et des militants, Palestiniens comme Israéliens engagés dans la lutte contre le colonialisme.
– il circule actuellement une exposition sur la situation des Bédouins du Néguev réalisée avec le concours d’Amnesty International, de l’AFPS et du Forum pour la coexistence et l’égalité de droits dans le Néguev (NCF). – nous sommes présents sur la toile : www.ujfp.org
– nous publions un bulletin, téléchargeable du site, des brochures et la revue « De l’Autre Côté ».
Pour de nombreux Palestiniens, et malgré la mort de centaines de civils à Gaza et en Israël, l’attaque du Hamas s’explique par les pratiques brutales du gouvernement de Nétanyahou et par la colonisation qui n’a fait que s’étendre. Témoignage de Rula Shadeed, responsable dans une ONG.
Tôt samedi matin, les Palestiniens ont appris le lancement par le Hamas d’une opération armée inédite par son ampleur contre Israël depuis la bande de Gaza, qui a causé environ 600 morts israéliens, civils pour la plupart. Quelques heures plus tard, ils ont enduré la réplique rapide de l’État hébreu, dont les frappes aériennes intenses ont causé plus de 300 morts, dont là aussi un nombre indéterminé de civils. Comment la population de Palestine a-t-elle vécu ce 7 octobre 2023, dont on ignore les conséquences à moyen et long terme, mais dont on sait déjà qu’il restera comme une date marquante du conflit israélo-palestinien ?
Mediapart a donné la parole à des experts sur place, dont des universitaires, comme Mkhaimar Abusada, professeur de sciences politiques à l’université Al-Aqsa de Gaza, qui voit dans l’attaque surprise du Hamas une conséquence à la politique de ce qu’il décrit comme un « gouvernement israélien d’extrême droite fasciste », en rappelant que certains de ses ministres « pensent que le temps est venu d’expulser les Palestiniens et d’annexer plus de la moitié de la Cisjordanie ».
D’autres voix de la société civile palestinienne s’expriment, et développent un discours similaire. C’est le cas de Rula Shadeed, qui travaille depuis des années dans diverses organisations non gouvernementales depuis Ramallah, en Cisjordanie. Aujourd’hui responsable de programme pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, elle a œuvré longtemps à l’association Al-Haq, fondée en 1979 pour documenter les violations des droits humains commises dans le cadre du conflit. Al-Haq fait partie des six ONG que le gouvernement israélien a tenté d’interdire en 2021, au prétexte qu’elles aurait des liens avec le terrorisme palestinien, sans convaincre les Occidentaux.
Lorsque Mediapart joint Rula Shadeed, le 7 octobre dans la journée, la militante est en mission à Amman, en Jordanie, et ne peut rentrer à Ramallah, car Israël a bloqué les frontières. Face aux événements, et aux images choc de la journée, elle assume son soutien à l’attaque du Hamas. Soutien qu’elle estime largement partagé : « Je ne peux évidemment pas parler pour tout le monde, mais de ce que je comprends, nous sommes tous d’accord pour dire que nous avons le droit de résister contre la colonisation, l’occupation et l’apartheid, et de nous protéger », explique-t-elle.
Si elle exprime sa « surprise » face à « l’ampleur de cette opération », elle souligne toutefois que, comme nombre de Palestiniens, elle savait « que quelque chose allait se passer ». « Nous nous attendions à une forme de réponse, raconte-t-elle, parce que les différents partis incluant le Hamas avaient tous appelé à ce que le gouvernement israélien stoppe ses agressions, les attaques contre des civils et contre les lieux et édifices religieux comme la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. »
Elle évoque aussi des humiliations contre « les croyants en train de prier près des églises et des mosquées ». Les images toutes récentes de juifs ultraorthodoxes crachant sur des pèlerins chrétiens dans la vieille ville de Jérusalem ont notamment tourné en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux.
Le souvenir noir de 1948
Rula Shadeed dénonce également le « nombre insensé de violations et de brutalités » commises par « le gouvernement fasciste israélien, qui ne se soucie d’aucune manière des résolutions de l’ONU, des lois de l’Union européenne, des droits humains, du droit des Palestiniens à simplement vivre ».
Elle fait de l’extrémisme du gouvernement mené par Benyamin Nétanyahou et qui compte parmi ses ministres clés Itamar Ben Gvir, suprémaciste juif, raciste et homophobe, et Bezalel Smotrich, qui se revendique fièrement partisan du Grand Israël, de la Méditerranée au fleuve Jourdain, « l’un des moteurs qui font que le Hamas, mais aussi d’autres partis se sont décidés » [à attaquer – ndlr].
Comme une grande partie des Palestiniens, l’activiste raconte son inquiétude croissante devant « les villages brûlés » et « le transfert des populations auquel on assiste ces derniers mois » pour permettre aux colons israéliens de s’installer sur les territoires palestiniens, avec la bénédiction du gouvernement et de l’armée. « Tous ces événements ont constitué une sorte de signal d’alarme pour tous les Palestiniens, un signe que la menace devenait de plus en plus proche », décrit Rula Shadeed, pour qui ils sont « très similaires à ce qu[’ils ont] connu en 1948 » : la Nakba, l’exode forcé de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens, expulsés au cours de la guerre qui a institué l’État d’Israël.
Pour autant, elle tient à préciser que si « ce gouvernement est le plus brutal », portant « une vision suprémaciste et raciste » assumée, cela « ne veut pas dire que le précédent ne poursuivait pas le même projet d’occupation de la Palestine ». Pour elle, la politique israélienne vis-à-vis de son pays depuis de nombreuses années se résume en quelques mots : « Un régime d’apartheid tout entier tourné vers un but ultime, celui de déplacer les Palestiniens pour les remplacer par le peuple juif. »
Les hôpitaux, le système d’eau potable, l’alimentation, les médicaments... Rien ne permet de faire face à une attaque massive.
Rula Shadeed, Palestine Institute for Public Diplomacy
Et lorsqu’on l’interroge sur le nombre élevé de morts israéliens et sur la journée de panique vécue dans les localités proches de la bande de Gaza, mais aussi à Tel-Aviv (lire notre reportage au cœur de cette journée de cauchemar pour les Israéliens), l’analyse de Rula Shadeed ne dévie pas. Sa colère non plus.
« Dans toute situation de colonisation et d’oppression, la violence est le résultat de la brutalité de l’oppresseur. Il ne faut jamais faire porter la responsabilité d’une escalade sur le colonisé, qui est confronté à de grandes injustices depuis des décennies », lance-t-elle.
La militante ne se fait guère d’illusions sur la suite. « Bien sûr, nous anticipons une augmentation des victimes, et en particulier à Gaza », dit-elle, rappelant que sur ce petit territoire de 350 kilomètres carrés et de 2,2 millions d’habitants, enserré de très près par l’armée israélienne, « il n’y a pas d’abris », et que la situation humanitaire y est notoirement déplorable : « Les hôpitaux, le système d’eau potable, l’alimentation, les médicaments... Rien ne fonctionne correctement à Gaza. Rien ne permet de faire face à une attaque massive. »
Elle appelle encore « la communauté internationale à regarder ce qu’il se passe le plus attentivement possible », car à ses yeux, « à chaque fois que les Israéliens ont attaqué Gaza, ils l’ont fait dans l’impunité, et sans jamais devoir répondre de leurs actes et de leurs crimes ».
« Nous savons que les États-Unis et l’Union européenne sont les meilleurs alliés du régime colonial d’Israël et cela ne va pas changer maintenant », s’insurge-t-elle. Lorsqu’en Ukraine, « des civils ont pris les armes pour se battre contre l’agression russe, pour se protéger, ils ont été bénis par les États-Unis, encouragés par l’Europe », souligne-t-elle, amère. « Ici, même quand les gens sont brûlés dans leurs propres maisons, ce n’est jamais le bon moment pour soutenir les Palestiniens », lance-t-elle.
Elle fait ici référence à l’incendie de plusieurs maisons par des colons israéliens en Cisjordanie en juin 2023, ou à cet enfant, brûlé vif dans l’incendie de son foyer, en 2015. « Nous n’attendons aucun soutien. Tout ce qu’il reste aux gens, c’est de sortir de chez eux et de se défendre eux-mêmes. »
Quant à la situation politique en Israël, elle ignore à quel point le premier ministre Benyamin Nétannyahou va être fragilisé, et si ce 7 octobre marquera le début de sa chute définitive : « Je ne sais pas comment cela va affecter son image, ni comment la société civile israélienne va réagir. » « Elle va peut-être condamner son premier ministre, considère Rula Shadeed. Ou bien faire bloc jusqu’à la fin de cet épisode. C’est un cycle sans fin : il y aura beaucoup de morts, et Nétanyahou pourra utiliser cette extrême brutalité pour trouver des soutiens. »
Appel. Gisèle Halimi est engagée depuis toujours pour la cause anticolonialiste et les droits de l’homme.
Un peuple aux mains nues – le peuple palestinien – est en train de se faire massacrer. Une armée le tient en otage. Pourquoi ? Quelle cause défend ce peuple et que lui oppose-t-on ? J’affirme que cette cause est juste et sera reconnue comme telle dans l’histoire. Aujourd’hui règne un silence complice, en France, pays des droits de l’homme et dans tout un Occident américanisé. Je ne veux pas me taire. Je ne veux pas me résigner. Malgré le désert estival, je veux crier fort pour ces voix qui se sont tues et celles que l’on ne veut pas entendre. L’histoire jugera mais n’effacera pas le saccage. Saccage des vies, saccage d’un peuple, saccage des innocents. Le monde n’a-t-il pas espéré que la Shoah marquerait la fin définitive de la barbarie ?
Gisèle Halimi
Ce cri prend toute sa force aujourd'hui !!!
Jérusalem - 25 juillet 2019
Israël détruit des maisons palestiniennes lors de la plus grande campagne de démolition depuis 1967
22.07.2019 – Des bulldozers israéliens rejoints par des centaines de soldats et de policiers ont démoli lundi des maisons palestiniennes à la périphérie de Jérusalem-Est, malgré les protestations locales et les critiques internationales.
Les forces israéliennes se sont rendues tôt le matin dans le village palestinien de Sur Bahir pour démolir 11 bâtiments, dont des dizaines de maisons, dans le quartier de Wadi Hummus, près de la clôture d’annexion qui sépare la Cisjordanie de Jérusalem. En fin d'après-midi, au moins un résident avait été arrêté et 10 bâtiments rasés, a rapporté le correspondant de MEE. Le Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh a déclaré lundi lors d'une réunion de ministres que les démolitions constituaient une violation du droit international, tandis que d'autres responsables palestiniens ont demandé à la Cour pénale internationale de mener une enquête. Les responsables de l'ONU ont déclaré qu'ils étaient prêts à fournir une assistance aux personnes déplacées, mais a ajouté qu'aucune aide humanitaire ne pourrait remplacer la perte des propriétaires, dont certains avaient investi les économies de toute une vie. « Parmi les personnes déplacées de force ou autrement touchées figurent des réfugiés de Palestine, dont certains sont aujourd'hui confrontés à la réalité d'un deuxième déplacement, de mémoire d’homme », a déclaré un communiqué de l'ONU. Des habitants ont déclaré que les forces israéliennes ont traversé une section du mur d’annexion en le coupant à Sur Bahir [à cet endroit, le mur est constitué de barbelés électrifiés, ndt] en profitant de l'obscurité, vers 2 heures du matin lundi, et ont commencé à évacuer les gens avant d’installer des explosifs pour commencer les démolitions. Des activistes palestiniens, israéliens et internationaux qui s'étaient mobilisés pour tenter d'arrêter l'activité ont filmé et pris des photos de l’opération. (1) L'armée israélienne a déclaré la zone fermée pendant trois jours, interdisant aux gens d'entrer ou de rester dans le quartier. Elle a interdit aux Palestiniens de récupérer leurs biens ou d’ériger des tentes dans le secteur.
C'est quoi la Palestine aujourd'hui
" Un jour peut-être... Mais nous serons mort mon frère "
Par micheldandelot1 dans Accueil le 9 Octobre 2023 à 09:27
Pour de nombreux Palestiniens, et malgré la mort de centaines de civils à Gaza et en Israël, l’attaque du Hamas s’explique par les pratiques brutales du gouvernement de Nétanyahou et par la colonisation qui n’a fait que s’étendre. Témoignage de Rula Shadeed, responsable dans une ONG.
TôtTôt samedi matin, les Palestiniens ont appris le lancement par le Hamas d’une opération armée inédite par son ampleur contre Israël depuis la bande de Gaza, qui a causé environ 600 morts israéliens, civils pour la plupart. Quelques heures plus tard, ils ont enduré la réplique rapide de l’État hébreu, dont les frappes aériennes intenses ont causé plus de 300 morts, dont là aussi un nombre indéterminé de civils. Comment la population de Palestine a-t-elle vécu ce 7 octobre 2023, dont on ignore les conséquences à moyen et long terme, mais dont on sait déjà qu’il restera comme une date marquante du conflit israélo-palestinien ?
Mediapart a donné la parole à des experts sur place, dont des universitaires, comme Mkhaimar Abusada, professeur de sciences politiques à l’université Al-Aqsa de Gaza, qui voit dans l’attaque surprise du Hamas une conséquence à la politique de ce qu’il décrit comme un « gouvernement israélien d’extrême droite fasciste »,en rappelant que certains de ses ministres « pensent que le temps est venu d’expulser les Palestiniens et d’annexer plus de la moitié de la Cisjordanie ».
D’autres voix de la société civile palestinienne s’expriment, et développent un discours similaire. C’est le cas de Rula Shadeed, qui travaille depuis des années dans diverses organisations non gouvernementales depuis Ramallah, en Cisjordanie. Aujourd’hui responsable de programme pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, elle a œuvré longtemps à l’association Al-Haq, fondée en 1979 pour documenter les violations des droits humains commises dans le cadre du conflit. Al-Haq fait partie des six ONG que le gouvernement israélien a tenté d’interdire en 2021, au prétexte qu’elles aurait des liens avec le terrorisme palestinien, sans convaincre les Occidentaux.
Lorsque Mediapart joint Rula Shadeed, le 7 octobre dans la journée, la militante est en mission à Amman, en Jordanie, et ne peut rentrer à Ramallah, car Israël a bloqué les frontières. Face aux événements, et aux images choc de la journée, elle assume son soutien à l’attaque du Hamas. Soutien qu’elle estime largement partagé : « Je ne peux évidemment pas parler pour tout le monde, mais de ce que je comprends, nous sommes tous d’accord pour dire que nous avons le droit de résister contre la colonisation, l’occupation et l’apartheid, et de nous protéger », explique-t-elle.
Si elle exprime sa « surprise » face à « l’ampleur de cette opération », elle souligne toutefois que, comme nombre de Palestiniens, elle savait « que quelque chose allait se passer ». « Nous nous attendions à une forme de réponse, raconte-t-elle, parce que les différents partis incluant le Hamas avaient tous appelé à ce que le gouvernement israélien stoppe ses agressions, les attaques contre des civils et contre les lieux et édifices religieux comme la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. »
Elle évoque aussi des humiliations contre « les croyants en train de prier près des églises et des mosquées ». Les images toutes récentes de juifs ultraorthodoxes crachant sur des pèlerins chrétiens dans la vieille ville de Jérusalem ont notamment tourné en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux.
Le souvenir noir de 1948
Rula Shadeed dénonce également le « nombre insensé de violations et de brutalités » commises par « le gouvernement fasciste israélien, qui ne se soucie d’aucune manière des résolutions de l’ONU, des lois de l’Union européenne, des droits humains, du droit des Palestiniens à simplement vivre ».
Elle fait de l’extrémisme du gouvernement mené par Benyamin Nétanyahou et qui compte parmi ses ministres clés Itamar Ben Gvir, suprémaciste juif, raciste et homophobe, et Bezalel Smotrich, qui se revendique fièrement partisan du Grand Israël, de la Méditerranée au fleuve Jourdain, « l’un des moteurs qui font que le Hamas, mais aussi d’autres partis se sont décidés » [à attaquer – ndlr].
Comme une grande partie des Palestiniens, l’activiste raconte son inquiétude croissante devant « les villages brûlés » et « le transfert des populations auquel on assiste ces derniers mois » pour permettre aux colons israéliens de s’installer sur les territoires palestiniens, avec la bénédiction du gouvernement et de l’armée. « Tous ces événements ont constitué une sorte de signal d’alarme pour tous les Palestiniens, un signe que la menace devenait de plus en plus proche », décrit Rula Shadeed, pour qui ils sont « très similaires à ce qu[’ils ont] connu en 1948 » : la Nakba, l’exode forcé de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens, expulsés au cours de la guerre qui a institué l’État d’Israël.
Pour autant, elle tient à préciser que si « ce gouvernement est le plus brutal », portant « une vision suprémaciste et raciste » assumée, cela « ne veut pas dire que le précédent ne poursuivait pas le même projet d’occupation de la Palestine ». Pour elle, la politique israélienne vis-à-vis de son pays depuis de nombreuses années se résume en quelques mots : « Un régime d’apartheid tout entier tourné vers un but ultime, celui de déplacer les Palestiniens pour les remplacer par le peuple juif. »
Les hôpitaux, le système d’eau potable, l’alimentation, les médicaments... Rien ne permet de faire face à une attaque massive.
Rula Shadeed, Palestine Institute for Public Diplomacy
Et lorsqu’on l’interroge sur le nombre élevé de morts israéliens et sur la journée de panique vécue dans les localités proches de la bande de Gaza, mais aussi à Tel-Aviv (lire notre reportage au cœur de cette journée de cauchemar pour les Israéliens), l’analyse de Rula Shadeed ne dévie pas. Sa colère non plus.
« Dans toute situation de colonisation et d’oppression, la violence est le résultat de la brutalité de l’oppresseur. Il ne faut jamais faire porter la responsabilité d’une escalade sur le colonisé, qui est confronté à de grandes injustices depuis des décennies », lance-t-elle.
La militante ne se fait guère d’illusions sur la suite. « Bien sûr, nous anticipons une augmentation des victimes, et en particulier à Gaza », dit-elle, rappelant que sur ce petit territoire de 350 kilomètres carrés et de 2,2 millions d’habitants, enserré de très près par l’armée israélienne, « il n’y a pas d’abris », et quela situation humanitaire y est notoirement déplorable : « Les hôpitaux, le système d’eau potable, l’alimentation, les médicaments... Rien ne fonctionne correctement à Gaza. Rien ne permet de faire face à une attaque massive. »
Elle appelle encore « la communauté internationale à regarder ce qu’il se passe le plus attentivement possible », car à ses yeux, « à chaque fois que les Israéliens ont attaqué Gaza, ils l’ont fait dans l’impunité, et sans jamais devoir répondre de leurs actes et de leurs crimes ».
« Nous savons que les États-Unis et l’Union européenne sont les meilleurs alliés du régime colonial d’Israël et cela ne va pas changer maintenant », s’insurge-t-elle. Lorsqu’en Ukraine, « des civils ont pris les armes pour se battre contre l’agression russe, pour se protéger, ils ont été bénis par les États-Unis, encouragés par l’Europe », souligne-t-elle, amère. « Ici, même quand les gens sont brûlés dans leurs propres maisons, ce n’est jamais le bon moment pour soutenir les Palestiniens », lance-t-elle.
Elle fait ici référence à l’incendie de plusieurs maisons par des colons israéliens en Cisjordanie en juin 2023, ou à cet enfant, brûlé vif dans l’incendie de son foyer, en 2015. « Nous n’attendons aucun soutien. Tout ce qu’il reste aux gens, c’est de sortir de chez eux et de se défendre eux-mêmes. »
Quant à la situation politique en Israël, elle ignore à quel point le premier ministre Benyamin Nétannyahou va être fragilisé, et si ce 7 octobre marquera le début de sa chute définitive : « Je ne sais pas comment cela va affecter son image, ni comment la société civile israélienne va réagir. » « Elle va peut-être condamner son premier ministre, considère Rula Shadeed. Ou bien faire bloc jusqu’à la fin de cet épisode. C’est un cycle sans fin : il y aura beaucoup de morts, et Nétanyahou pourra utiliser cette extrême brutalité pour trouver des soutiens. »
Attaque du Hezbollah et réplique de l’armée israélienne, activisme diplomatique ou coups de menton des pays du Moyen-Orient : l’offensive du Hamas contre Israël samedi met toute la région en ébullition. Israël décompte désormais 600 morts, et le Hamas environ 370. Les combats continuent, et l’État hébreu a décidé d’évacuer toute sa population près de la bande de Gaza.
DimancheDimanche 8 octobre en début de soirée, les combats se poursuivaient sur plusieurs points du territoire israélien, après l’attaque meurtrière du Hamas de la veille, et la réponse sous forme de frappes aériennes sur Gaza décidée par le gouvernement dirigé par Benyamin Nétanyahou.
L’armée a déclaré que des combattants palestiniens avaient pénétré dimanche dans le kibboutz Magen, à proximité avec la bande de Gaza au sud du pays. Dans un message audio diffusé sur Telegram, le porte-parole de la branche armée du Hamas a pour sa part assuré que son organisation continuait à envoyer des hommes en Israël.
Un porte-parole de l’armée israélienne a annoncé que des frappes aériennes sur la bande de Gaza avait eu lieu à la mi-journée. Elles se sont poursuivies, et Israël a indiqué avoir visé environ 800 cibles, en tout. Les tirs de roquettes en direction des villes israéliennes situées à proximité de Gaza se poursuivent également.
En moins de 48 heures, le conflit a déjà fait des centaines de victimes civiles côté israélien. Alors que le décompte semblait stabilisé depuis la nuit de samedi aux alentours de 300 morts, il a tout à coup été doublé en début d’après-midi dimanche, selon les médias israéliens, qui donnent désormais le chiffre de 600 morts. Selon les rumeurs circulant dans les médias et sur les réseaux sociaux, les jeunes participant à une rave party dans le désert pourraient constituer une large partie de ces victimes. Par ailleurs, plus de 2 200 blessés ont été comptabilisés.
Le ministère de la santé palestinien annonce quant à lui 370 Palestiniens tués et 2 200 blessés, dont 121 enfants. L’armée israélienne a également publié sur un site internet spécial les identités de 26 soldats, hommes et femmes, tués depuis samedi. Il s’agit de l’escalade la plus meurtrière dans le conflit israélo-palestinien depuis des décennies.
« Plus de 100 prisonniers » sont détenus par le Hamas, a annoncé le gouvernement israélien, dans une infographie publiée par le compte Facebook du bureau de presse du gouvernement et relayée par l’AFP. C’est la première fois que le gouvernement israélien évoque un chiffre sur ce sujet. Un Franco-Israélien de 26 ans pourrait faire partie de ces otages, a annoncé dimanche le député Meyer Habib, élu dans la circonscription des Français de l’étranger comprenant Israël.
Une Française fait partie des victimes. « Nous avons appris avec tristesse le décès tragique d’une compatriote en Israël dans le contexte des attaques terroristes », a fait savoir dimanche le ministère des affaires étrangères français, dans un bref communiqué. L’ambassadeur israélien aux États-Unis, Michael Herzog, a quant à lui déclaré que des citoyens américains se trouvaient parmi les personnes enlevées en Israël par le Hamas. Le ministère allemand des affaires étrangères a lui aussi indiqué que des personnes à la double nationalité israélienne et allemande faisaient partie des personnes enlevées.
Discussions diplomatiques
Les combats se sont aussi exportés au-delà d’Israël. Le Hezbollah, groupe armé chiite libanais soutenu par l’Iran, a revendiqué avoir attaqué trois positions israéliennes à la frontière, « en solidarité avec la résistance et le peuple palestiniens ». L’armée israélienne a immédiatement répliqué en frappant dimanche à l’aide de son artillerie le sud du Liban, ce qui laisse craindre une contagion régionale. Il n’y a pas pour le moment de victimes directes de ces tirs de part et d’autre.
«Le commandement de la résistance islamique au Liban est en contact direct avec le commandement de la résistance palestinienne au pays et à l’étranger et évalue en continu les événements et la conduite des opérations », a déclaré le Hezbollah juste après le déclenchement de l’offensive menée samedi matin par le Hamas palestinien. Cette offensive avait par ailleurs provoqué des scènes de joie dans les immenses camps palestiniens du Liban, mais également à Beyrouth ou dans la Jordanie proche.
L’Iran, soutien de longue date des groupes armés palestiniens, a également très vite fait entendre sa voix, revendiquant même une aide matérielle, financière et logistique à la conduite d’une telle opération. Le maintien en l’état du conflit israélo-palestinien, plus que la destruction d’Israël en elle-même, est l’obsession de la République islamique d’Iran, comme le rappelait récemment cette analyse de René Backmann. Le régime n’a cependant pas officiellement soutenu cette dernière attaque menée par le Hezbollah.
L’Égypte, autre pays frontalier d’Israël, a appelé par la voie de son ministère des affaires étrangères à « exercer un maximum de retenue en évitant d’exposer les civils à plus de danger », tentant de se poser, avec la France, en médiateur. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et Emmanuel Macron, en très bons termes ces dernières années, auraient discuté samedi des conditions d’une désescalade lors d’un entretien téléphonique.
Mais sur place ce dimanche, deux touristes israéliens et leur guide égyptien ont été tués par un policier à Alexandrie, sur la côte égyptienne. Le ministère des affaires étrangères israélien a confirmé l’information de médias locaux. Le policier, qui a été arrêté, a tiré sur le groupe de touristes israéliens avec son arme.
Sameh Choukri, le chef de la diplomatie égyptienne, s’était auparavant entretenu avec le ministre des affaires étrangères des Émirats arabes unis, le cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane, sur « la gravité de la situation actuelle et de la nécessité de tout mettre en œuvre pour éviter que la situation sécuritaire ne devienne incontrôlable ».
Mobilisation des réservistes
L’offensive surprise du Hamas met à mal la normalisation entamée entre les pays du Golfe et Israël ces dernières années, avec une reprise des relations diplomatiques enclenchée l’an passé. Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite se sont contentés, jusque-là, de condamner généralement « les violences » et d’appeler au calme.
La diplomatie marocaine a également demandé dimanche à la réunion d’urgence du Conseil de la Ligue arabe « la concertation et la coordination au sujet de la détérioration de la situation dans la bande de Gaza et du déclenchement d’actions militaires visant les civils, ainsi que [...] la recherche des moyens pour l’arrêt de cette dangereuse escalade ». Cette géographie des alliances et des réactions est documentée en temps réel sur le site Le Grand Continent.
L’armée israélienne a déjà annoncé que les jours à venir seraient terribles : l’état d’urgence a été décrété dans la nuit dans le pays, et l’armée a donné pour mission d’évacuer sous 24 heures tous les habitants des zones israéliennes du pourtour de la bande de Gaza, a déclaré dimanche son porte-parole, faisant état de « combats en cours, pour libérer des otages », entre forces israéliennes et activistes palestiniens infiltrés.
Le ministre israélien de l’énergie, Israël Katz, a annoncé, samedi 7 octobre dans la soirée, avoir signé un décret ordonnant à la compagnie publique d’électricité de « cesser [sa] fourniture d’électricité à Gaza »,plongeant dès samedi soir la cité dans le noir,de même que tout transport de marchandises ou de personnes. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui avait qualifié Gaza de « cité du Mal » dans son allocution samedi, a averti dimanche les Israéliens qu’ils étaient « embarqués dans une guerre longue et difficile ».
Le gouvernement a par ailleurs appelé à la mobilisation de milliers de réservistes, maillon essentiel de l’armée israélienne. Des centaines d’entre eux avaient fait part de leur colère cet été face à la dérive de l’exécutif et menacé de ne pas servir cet été pour protester contre la réforme de la justice menée par Benyamin Nétanyahou. L’union nationale semble avoir pris le dessus.
À l’image de nombreuses autres compagnies aériennes, Air France et Transavia ont annoncé suspendre leurs vols vers Tel-Aviv ces dimanche et lundi.
La rédaction de Mediapart avec l’Agence France-Presse
8 octobre 2023 à 13h56
La rédaction de Mediapart avec l’Agence France-Presse
L’attaque d’une ampleur sans précédent lancée par le mouvement palestinien depuis la bande de Gaza vise à rebattre les cartes du conflit avec Israël.
Une boule de feu et de la fumée s’élèvent après l’explosion d’une tour d’habitation palestinienne à la suite d’une frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza, samedi 7 octobre 2023. ADEL HANA / AP
Cinquante ans quasiment jour pour jour après le déclenchement de la « guerre d’Octobre », appelée « guerre du Kippour » en Israël : la date que le Hamas a choisie pour passer à l’attaque contre l’Etat hébreu n’est pas fortuite. L’assaut d’une ampleur sans précédent lancé par le mouvement palestinien, samedi 7 octobre, contre des cibles à la fois civiles et militaires, ambitionne de rebattre les cartes du conflit israélo-palestinien, de la même façon que l’offensive lancée par le président égyptien Anouar El-Sadate, le 7 octobre 1973, avait bouleversé le rapport de force israélo-arabe.
Dans l’imaginaire des populations du Moyen-Orient, la percée des commandos du Hamas, à travers la clôture fortifiée qui enserre la bande de Gaza, rappelle, toutes proportions gardées, la traversée par les troupes égyptiennes de la ligne Bar-Lev, le rempart édifié par Israël, le long du canal de Suez, après sa conquête du Sinaï en 1967. L’une comme l’autre étaient considérées comme infranchissables et pourtant, l’une comme l’autre, ont fini par être franchies.
La guerre de 1973, qu’Israël a failli perdre, reste un traumatisme dans la psyché israélienne. Elle déclencha une série de réactions en chaîne, de la paix de Camp David à l’invasion israélienne du Liban, qui ont remanié en profondeur le Proche-Orient. Il est évidemment beaucoup trop tôt pour deviner quelles seront les conséquences précises du nouveau conflit qui a éclaté à l’aube de Simhat Torah, une fête du calendrier juif, comme la guerre d’Octobre avait débuté le jour de Kippour. La géopolitique moyen-orientale de 1973 n’a pas grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui.
Mais à l’évidence, l’ampleur de l’attaque menée par le Hamas est sans commune mesure avec les opérations qu’il a menées depuis 2007, date de sa prise de pouvoir à Gaza et de la mise sous blocus de la langue de sable palestinienne. Le Moyen-Orient vit un nouveau séisme politico-sécuritaire.
Revers infligé à l’Etat hébreu
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en milieu d’après midi, moins de douze heures après le début des hostilités, les autorités israéliennes déploraient 70 morts et 900 blessés, victimes des tirs de roquettes et des combattants du Hamas infiltrés. Selon les médias israéliens, des « dizaines » de civils et de militaires auraient été faits prisonniers et conduits dans la bande de Gaza. Le ministère de la santé de l’enclave palestinienne avançait de son côté le chiffre de 198 tués et 1 610 blessés dans les bombardements menés en représailles par l’aviation israélienne. En fin d’après midi, l’armée israélienne a déclaré que des combats se poursuivaient dans vingt-deux endroits différents de la partie sud de l’Etat hébreu. Il ne s’agit plus d’un conflit de basse intensité, la qualification habituellement retenue pour les violences israélo-palestiniennes
Au-delà des bilans humains, sans précédent côté israélien, le revers infligé à Israël est, comme en 1973, d’une brutalité symbolique inouïe. Le Hamas a porté la guerre sur le sol israélien avec une intensité jamais vue depuis la création de l’Etat hébreu en 1948. Par le passé, le mouvement islamiste avait réussi à introduire quelques-uns de ses hommes sur le territoire de son voisin, notamment lors de l’opération qui avait mené à la capture du soldat franco-israélien Gilad Shalit, en 2006. Mais ces incursions ont toujours été très rapides et n’ont impliqué qu’un nombre très limité de combattants. Dans le cas présent, il s’agit d’une véritable opération terrestre, avec de multiples points de pénétration, des dizaines de participants. Un assaut semblable à ceux dont le Hezbollah libanais menace régulièrement Israël dans ses contenus de propagande.
Pour l’establishment politico-sécuritaire israélien, qui est resté paralysé, comme hébété, pendant toute la matinée, c’est une faillite sans précédent récent. Une opération de cette magnitude nécessite à l’évidence des mois de préparation et pourtant, les services de renseignement israéliens n’ont rien vu venir. Pour le premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui se plaisait à se présenter comme le « Monsieur sécurité » d’Israël, la débâcle a une dimension personnelle. Passé le choc initial et l’union sacrée qui devrait prévaloir pendant au moins quelques jours, le chef du Likoud aura des comptes à rendre. Pas sûr qu’il survive politiquement à cette épreuve, à côté de laquelle la crise engendrée par sa réforme de la justice pourrait ressembler à une aimable contrariété.
La nouvelle guerre de Gaza aura une résonance inévitablement régionale. Le coup de force du Hamas percute de plein fouet le processus de normalisation israélo-arabe, entamé à l’été 2020, avec la reconnaissance de l’Etat hébreu par les Emirats arabes unis et le Bahreïn, suivis par le Maroc. Une dynamique relancée ces derniers mois par les tractations saoudo-américaines visant à déboucher sur l’ouverture de relations diplomatiques entre le royaume et l’Etat hébreu. Comme à l’accoutumée, les images des bombardements sur Gaza promettent d’enflammer les opinions arabes et de plonger leurs dirigeants, du moins ceux ayant noué des relations avec Israël, dans une situation très inconfortable. Le message envoyé par le Hamas aux Etats de la région et aux chancelleries occidentales est limpide : il n’y aura pas de stabilité au Proche-Orient sans la Palestine – et sans lui.
Bain de sang
Le mouvement islamiste joue bien sûr très gros dans cette affaire. Le blocus d’Israël et le refus de la communauté internationale de le reconnaître comme un interlocuteur politique l’ont acculé dans le rôle ingrat du gestionnaire de la bande de Gaza, comme le Fatah de Yasser Arafat le fut en son temps. Vraie tactique ou simple diversion, les efforts qu’il a déployés ces derniers mois pour attiser la résistance en Cisjordanie n’ont pas suscité de véritable dynamique. Le Hamas a choisi de sortir de cette impasse en renouant avec son ADN, celui d’un mouvement de lutte armée. Il ambitionne de réécrire l’équation politico-militaire à son profit.
La manœuvre est particulièrement risquée. Les prochaines heures devraient révéler l’étendue du bain de sang causé par les combattants palestiniens dans les localités de la périphérie de Gaza où ils ont pénétré. Ces images promettent de recoller sur le mouvement islamiste le stigmate « terroriste » que lui avaient valu ses campagnes d’attentats suicides, dans les années 1990 et 2000 et dont il n’est jamais parvenu à se débarrasser par la suite. Une guerre de communication a déjà commencé dont il n’est pas certain que le Hamas – et la cause palestinienne – sorte vainqueurs dans l’opinion publique occidentale.
Ironie de l’histoire, lundi 9 octobre, le Hamas était censé déposer une plainte devant la Cour pénale internationale, sous la forme d’un épais volume de 400 pages, détaillant les violations des droits de l’homme commis par Israël à Jérusalem, notamment la colonisation et les transferts forcés de population, délogée par des colons juifs. Une initiative évidemment gelée. « La branche armée du mouvement a décidé que c’était le moment d’agir et on a donc décidé de reporter le dépôt de la plainte », confie Gilles Devers, l’avocat français du Hamas.
La population de Gaza risque par ailleurs de payer très cher les ambitions de l’organisation islamiste. Parmi les dizaines de bâtiments frappés par l’aviation israélienne depuis samedi matin figurent trois tours de plus de dix étages. L’armée israélienne affirme avoir « demandé aux habitants d’évacuer les lieux » avant de procéder aux tirs.
Mais trente ans après les accords d’Oslo, alors que la colonisation juive en Cisjordanie a atteint un point de non-retour et que les extrémistes au pouvoir en Israël ne leur proposent rien d’autre que la soumission, la prison ou la mort, bon nombre de Palestiniens, dans l’enclave, comme en Cisjordanie ou dans la diaspora, se sentent solidaires du Hamas. Sur le plateau de la chaîne qatarie Al-Jazira, alors que le présentateur lui faisait remarquer que l’état de guerre avait été décrété en Israël, un analyste palestinien a eu ces mots : « Cela fait des décennies que la Palestine est en état de guerre. »
Par Benjamin Barthe
Publié aujourd’hui à 19h48, modifié à 20h05https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/l-attaque-du-hamas-contre-israel-un-seisme-politico-securitaire_6193023_3210.html.
Dans les médias et sur les réseaux sociaux, les Israéliens ont suivi en temps réel l’attaque du Hamas sur leur territoire, attendant pendant de longues heures une réaction officielle.
Tel-Aviv.– Une maman chuchote au téléphone, elle supplie le journaliste en plateau : « Envoyez-nous l’armée, on vous en prie, les terroristes du Hamas sont derrière la porte, ils vont tuer mes enfants. » Danny Kushmaro, présentateur star du 20 heures de la chaîne Keshet 12, la plus regardée du pays, n’est de coutume jamais en plateau un samedi, encore moins un samedi matin de fête juive de Sim’hat Torah (célébrant la fin du cycle annuel de lecture de la Torah, récitée partie par partie chaque semaine à la synagogue). Sa présence est de très mauvais augure.
« Pouvez-vous parler plus fort, je vous entends à peine », répond-il désemparé à cette habitante d’une localité au sud du pays. Une autre ensuite, d’une localité voisine : « Mon père, ils ont enlevé mon père dans sa maison! Nous sommes barricadés. Où est l’armée? Pourquoi personne ne vient nous aider? » Elle pleure, la voix étouffée par la peur.
Ce samedi 7 octobre, jour d’une attaque sans précédent du Hamas sur leur territoire, les chaînes de télévision et les stations de radio ont interrompu leurs programmes du week-end, pour passer à l’info en continu. Mais l’information se fait attendre. Les heures passent et ni l’armée, ni le gouvernement ne communiquent. Les studios télé se font standards téléphoniques, relais entre les civils désemparés et l’armée, absente. « Nous promettons de faire passer le message », dit le présentateur. Scène hallucinante.
Il était 7 h 30 quand les habitants de Tel-Aviv et du centre d’Israël ont été réveillés par une alerte aux roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Il a fallu courir le plus vite possible avec les enfants, en pyjama, à l’abri le plus proche – une pièce sécurisée dans la maison ou l’immeuble pour ceux qui en disposent. Ou au moins trouver refuge dans la cage d’escalier de l’immeuble, loin des fenêtres.
Et puis une détonation, qui semble trop proche cette fois. Tout Israélien est expert en analyse du son de roquettes : « Celle-là est tombée en mer », « Tiens, celle-ci a été interceptée », « C’est au moins à 30 km »… Cette fois, le son est différent, court, il claque. Il y a impact : la roquette a percuté un immeuble en plein centre de Tel-Aviv. Pas de blessés, uniquement quelques dégâts matériels.
En sortant de l’abri, c’est la stupeur : voilà presque deux heures que tout le sud du pays est soumis à une pluie de roquettes. Plus de 2 000 ont été tirées depuis la bande de Gaza, selon le décompte de l’armée. Et cette dangereuse salve se révèle être une tactique de diversion : pendant que le pays court se mettre aux abris, le Hamas s’y infiltre.
Des terroristes armés et déterminés à tuer sont désormais en Israël. Dans les localistés proches de la bande de Gaza, ils passent de maison en maison, sonnent aux interphones, tirent sur des voitures, des passants, des familles. Dans la population, c’est l’incompréhension. Un cauchemar.
« Nous sommes en guerre »
Comment est-ce possible? Comment le Hamas, ce mouvement islamiste au pouvoir à Gaza, a-t-il pu introduire des dizaines d’hommes loin sur le territoire ? Combien d’ailleurs, personne ne le sait. Et pendant de longues heures, aucune autorité officielle n’en parlera. Silence radio.
Il aura fallu attendre un peu après 11 h 30 pour que le premier ministre Benyamin Nétanyahou, devancé par son ministre de la défense, ne publie une vidéo enregistrée sur ses réseaux sociaux.
« Nous sommes en guerre. Ce n’est pas une opération militaire, c’est la guerre », déclare-t-il.« J’ai donné l’ordre de tout d’abord nettoyer les localités des terroristes qui s’y sont introduits et cette action est en cours ces heures-ci. En parallèle, j’ai donné l’ordre de procéder à une vaste mobilisation de réservistes et de riposter avec une force et envergure que l’ennemi ne connaît pas. L’ennemi va payer un prix sans précédent… Nous sommes en guerre et nous allons la gagner. »
Les localités assiégées par le Hamas, dont Nétanyahou a parlé à 11 h 30, l’étaient encore à la tombée de la nuit. Plus de dix heures de combat sans que Tsahal, l’armée israélienne, ne parvienne à reprendre le contrôle. Des dizaines de civils sont coincés. Et s’ils sont pris entre les coups de feu, c’est bon signe : cela signifie que l’armée est sur place.
Des dizaines d’Israéliens sont morts. Au moins 100 selon le décompte des services de secours, mais dont beaucoup doutent, et plus de 1 000 blessés. Et puis cet aveu officiel un peu avant 18 heures, secret connu de tous depuis des heures : des Israéliens et Israéliennes ont été pris en otage. Ils sont désormais détenus dans la bande de Gaza.
Vidéos d’otages
Les comptes du Hamas et autres factions palestiniennes diffusent toute la journée un déluge de vidéos sur les réseaux sociaux. X (ex-Twitter), Instagram, TikTok, l’info est là. Pas authentifiée officiellement, mais facilement recoupable : on y voit des jeunes, sortis d’une rave-party écourtée par les roquettes, fauchés par le Hamas alors qu’ils cherchaient un abri à proximité.
Certains de leurs camarades survivants sont jetés à terre, les mains attachées derrière le dos. Le visage de l’un est marqué de sang, le tee-shirt de l’autre est déchiré. Tous ont la peur dans les yeux. Quelques minutes plus tard, la photo de l’un apparaît sur un post Facebook. Il y est souriant, léger, différent de cet homme devenu victime. Un membre de sa famille le cherche, demande de l’aide : quelqu’un l’a peut-être vu à la fête, pourrait donner de ses nouvelles ? La vidéo de son enlèvement lui arrivera bien vite.
Ils manquent des soldats, s’il vous plaît, que quelqu’un dise à la télé qu’il faut envoyer des renforts.
Un des messages circulant sur les réseaux sociaux
Une vieille dame est vue sur la banquette arrière d’une voiture conduite par des membres du Hamas, retournés dans la bande de Gaza avec elle. Sur les réseaux sociaux, circule l’image d’une mère enlevée avec ses bébés, enlacés dans ses bras sous une couverture.
« Ils manquent des soldats, s’il vous plaît, que quelqu’un dise à la télé qu’il faut envoyer des renforts. » Les messages continuent d’affluer sur des groupes WhatsApp de toutes sortes. Un journaliste du quotidien israélien Haaretz n’a plus de nouvelles de son fils depuis que celui-ci lui a dit être en planque, encerclé par des hommes armés du Hamas.
Il essaie de trouver une arme, demande à l’armée l’autorisation d’approcher les lieux, elle lui est refusée. Il tient le public en haleine sur X, y publie le dernier message échangé avec son fils. Il finit par appeler Yaïr Golan, ancien député du parti de gauche Meretz, ancien général dans l’armée et fervent opposant au gouvernement Nétanyahou et aux changements prévus pour entamer les pouvoirs du système judiciaire. « Il m’a demandé où il se trouvait et a dit : “Je vais te le chercher.” Ils sont déjà en voiture, sur le chemin du retour. » Soulagement pour ses followers sur les réseaux.
D’autres regardent en boucle les corps, parfois de leurs proches, gisant sur la chaussée. Ou ne savent à qui parler de leur oncle, père, cousine, enlevé·e vers un autre monde, celui du Hamas à Gaza.
Quid du renseignement ?
Aux lèvres de tous, la comparaison avec la guerre de Kippour, quand le jour du Grand Pardon de 1973, Israël a été surpris, sonné, par l’attaque coordonnée des armées égyptienne et syrienne.
Il est tôt pour l’analyse. Mais pas trop tôt pour poser les inévitables questions : comment l’armée israélienne a-t-elle pu être prise à ce point au dépourvu? Selon le journaliste Ben Caspit, une partie de la réponse résiderait dans le fait que la « division de Gaza », postée généralement à la frontière, avait été envoyée en Cisjordanie.
Son objectif : protéger les colons qui avaient hier initié une énième provocation dans le village palestinien de Hawara, en y montant une Soucca (cabane de la fête de Souccot, qui s’est achevée le 6 octobre, historiquement célébrée à l’occasion des récoltes). Quelques heures plus tôt, un palestinien avait tiré sur une Israélienne enceinte dans sa voiture. L’armée au service des colons, une priorité du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël.
Explication insuffisante cependant. Une opération de la sorte, avec infiltration simultanée du Hamas par voie terrestre, aérienne et maritime, demande forcément une préparation minutieuse et longue. Quid donc du travail des unités de renseignement?
Samedi soir, nombre d’Israéliens sont étaient encore en état de siège. Les autres, loin des localités du sud, restent chez eux, portes verrouillées, prêts à courir se mettre à l’abri en cas d’alerte à la roquette, comme celles qui ont à nouveau retenti à Tel-Aviv à la mi-journée, puis en début de soirée.
Les rues sont désertes, les écoles du pays resteront fermées ce dimanche, journée qui devait marquer la rentrée scolaire après deux semaines de vacances. Des hélicoptères et des avions de guerre grondent de temps en temps dans le ciel. Ils sont certainement en route pour Gaza, où l’armée israélienne a entamé sa riposte avant la fin de la tenue du conseil de sécurité en début d’après-midi. On y fait déjà état de près de 200 morts.
La guerre sera longue. Elle sera politique aussi. Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, s’est déclaré prêt à former un gouvernement « professionnel d’urgence » avec le premier ministre Nétanyahou. Ce à quoi l’entourage du premier ministre a déjà répondu par la négative, assurant avoir la tête au combat, pas à la politique.
Le mouvement qui manifeste depuis 40 semaines contre le gouvernement et ses ambitions populistes a annulé samedi soir ses rassemblements dans le pays. L’humeur est à l’appel à l’unité, à la détermination. Mais aussi au deuil, à l’angoisse, et à l’anticipation du choc des morts que l’on enterrera bientôt des deux côtés.
En 1973, lors de la guerre du Kippour, Charles Enderlin était un jeune journaliste. Cinquante ans plus tard, le reporter aguerri, auteur de « Israël, l’agonie d’une démocratie », juge que les attaques du Hamas, ce samedi 7 octobre, sont « sans précédent » et constituent un « échec de l’ensemble du système sécuritaire et de défense israélien ».
PlusPlus de cinquante ans après la guerre du Kippour, lancée par l’Égypte et la Syrie, Israël a subi une série d’attaques de la part du Hamas, depuis la bande de Gaza. En 1973, Charles Enderlin, jeune journaliste franco-israélien, avait été mobilisé quelques semaines après. Aujourd’hui, ce « témoin engagé », auteur de nombreux livres sur le conflit au Moyen-Orient, dont le plus récent est Israël, l’agonie d’une démocratie (collection « Libelle », éditions du Seuil), juge que nous assistons à un « échec de l’ensemble du système sécuritaire et de défense israélien » après cette attaque « sans précédent ».
Mediapart : Qu’est-ce que les événements d’aujourd’hui ont d’inédit ?
Charles Enderlin : C’est sans précédent. Jeune journaliste à Jérusalem lors de la guerre d’octobre 1973, je me suis retrouvé mobilisé quelques semaines plus tard. À l’époque, aucun bombardement n’a eu lieu sur le territoire israélien, aucun civil israélien n’est mort. C’est la première fois que l’on voit des commandos occuper une partie du territoire israélien, rentrer dans les maisons, attaquer. C’est aussi un échec colossal du renseignement et de la conception israélienne de sécurité et de défense.
Il y aura sûrement une commission d’enquête après, mais on peut souligner que c’est encore une fois l’hubris, la croyance de tout connaître et tout maîtriser. Il y a quelques jours, on nous expliquait que la technologie numérique israélienne était toute-puissante, que ses applications rentraient dans tous les téléphones du monde. Eh bien, elles ne sont pas rentrées dans les téléphones et dans les endroits où le Hamas a préparé cette opération sans précédent.
Pour Nétanyahou, qui met en avant la sécurité des Israéliens, c’est un échec...
C’est un échec de l’ensemble du système sécuritaire et de défense israélien, un échec de la conception israélienne de l’affaire palestinienne. En 2005, Ariel Sharon a retiré les colonies de Gaza avec l’idée de laisser Gaza au Hamas et d’annexer au fur et à mesure une partie de la Cisjordanie. Les gouvernements suivants et depuis 12 ans, ceux de Benyamin Nétanyahou, de Naftali Bennett et de Yaïr Lapid, ont autorisé le financement du Hamas, n’ont jamais procédé à une grande opération à Gaza ou tué leurs dirigeants.
Puisque le Hamas refusant tout type d’accord avec Israël, cela permettait de bloquer le processus de paix, tout en gardant Mahmoud Abbas [le président de l'État palestinien – ndlr] à Ramallah, en Cisjordanie. Mahmoud Abbas qu’avant-hier encore les Israéliens appelaient le maire de Ramallah. La vision israélienne de gestion du statu quo vient complètement de s’effondrer. Où ça va ? On verra. Là-dessus se greffe le problème de la démocratie.
Cela intervient aussi à un moment de fragilité démocratique, après des mois de manifestations contre la réforme affaiblissant la justice voulue par le gouvernement...
Absolument. Cela dit, à l’heure actuelle, les Israéliens sont unis, les manifestations sont arrêtées. L’opposition dans son ensemble soutient l’armée. Car il y a des dizaines et des dizaines de morts. Les réservistes de l’armée rejoignent leurs unités, avec d’ailleurs un problème fondamental : on leur a dit d’aller à la gare pour rejoindre leurs unités. Problème, les trains ne roulent pas pendant le Shabbat [du vendredi soir au samedi soir – ndlr]. Ils attendent dans les gares et il n’y a pas de train. C’est hallucinant.
Comment voyez-vous la suite ? Vous pensez que cela peut provoquer un débat politique ?
Les comptes seront réglés avec ce gouvernement ultranationaliste, fondamentaliste, orthodoxe, messianique, quand la crise sera terminée, quand il n’y aura plus de combats, quand le calme sera revenu. Les fondamentalistes orthodoxes veulent conserver et défendre l’autonomie de leurs communautés, en empêchant le service militaire pour leurs jeunes tout en ayant le financement par l’État de leur système d’éducation. Et en payant très peu d’impôts.
Aujourd’hui, les jeunes des écoles talmudiques ne font pas l’armée et ils disposent d’une bourse supérieure à la solde des soldats qui risquent leur peau. C’est un problème fondamental de société, une situation de discrimination. Quelque chose va sortir de tout ça, nécessairement.
Est-ce que Nétanyahou peut utiliser l’union nationale pour se dédouaner de ses échecs ?
Pour l’instant, il n’y a pas de gouvernement d’union nationale. Aucun ministre de l’opposition ne rentre au gouvernement. En revanche, nous voyons un gouvernement qui gère mal, très mal cette situation. On voit des Israéliens paniqués qui appellent au secours au téléphone. Parfois, il n’y a pas d’électricité. Il y a des combattants dans la rue, on ne sait pas si on peut sortir, les ambulances ne peuvent pas secourir les blessés parce qu’on se bat encore et que l’armée n’arrive pas.
Que peut-il se passer avec la question des otages ?
Je ne sais pas. On est dans l’inconnu. Les combats se poursuivent. Pour les Israéliens, le problème, c’est d’abord de reprendre le contrôle sur le terrain. Des vidéos atroces circulent. On est dans une période active de guerre, ce qui rend difficile de parler de la suite. Est-ce qu’à la frontière nord, le Hezbollah va rester calme ? Peut-être. À ce moment-là, on est sur plusieurs fronts. Dans tous les cas, l’armée mobilise.
Que faudrait-il ? Un nouvel esprit d’Oslo où l’on pensait la paix possible ?
Tout dépend d’où, comment va se terminer cette guerre. Que va-t-il se passer politiquement, socialement en Israël, est-ce que le gouvernement va tomber ? Où va mener la colère des citoyens ? Faire des projections me paraît difficile. Le Hamas vient de démontrer qu’il ne veut pas se contenter de gérer Gaza, mais se pose en défenseur des Palestiniens. Je rappelle que c’est une organisation islamique qui est opposée à l’existence d’Israël en terre d’Islam, alors que les messianiques israéliens et les nationalistes ne veulent pas d’un État palestinien en terre d’Israël.
Des voyages, des montres de luxe, des espèces en pagaille et un million de dollars : l’« escroc du siècle », Arnaud Mimran, également soupçonné de trois meurtres, parle beaucoup en prison de son ami « Bibi », alors que sa cellule et ses parloirs ont été sonorisés avec des micros. Il se livre aussi sur le député français Meyer Habib.
ÀÀplus de trois mille kilomètres d’Israël, le nom de l’actuel premier ministre du pays, Benyamin Nétanyahou, a résonné dans un drôle d’endroit : une cellule française. Plus précisément au centre pénitentiaire du Havre (Seine-Maritime), où un proche du chef du gouvernement israélien, l’homme d’affaires Arnaud Mimran, purge plusieurs peines de prison.
Ses états de service sont particulièrement lourds : condamné en première instance et en appel à huit ans de prison pour la gigantesque escroquerie aux quotas carbone, aussi nommée « le casse du siècle » ; condamné en première instance et en appel à treize années de réclusion criminelle pour l’enlèvement, la séquestration et l’extorsion de fonds d’un financier turco-suisse ; et enfin placé en détention provisoire après ses mises en examen pour avoir commandité trois meurtres, dont celui d’un ancien complice de la mafia du carbone mais également celui de son ancien beau-père, le milliardaire Claude Dray – il nie tous les meurtres et bénéficie de la présomption d’innocence pour ceux-ci.
La proximité amicale et surtout les liens d’intérêts cachés entre Benyamin Nétanyahou et Arnaud Mimran avaient défrayé la chronique en 2016 après une série de révélations conjointes de Mediapart et du quotidien israélien Haaretz, qui avaient mis au jour les financements et libéralités diverses du premier au profit du second.
En cause, des versements d’argent et des invitations tous frais payés à Paris, Monaco ou Courchevel au début des années 2000, comme en témoignaient des photographies d’alors. À cette époque, Arnaud Mimran, fils d’un ancien numéro 3 du groupe Vinci condamné pour corruption, était un golden boy flamboyant, certes déjà soupçonné de divers délits d’initiés et dans le viseur du fisc, mais d’un charme à toute épreuve.
Cette relation financière avait d’abord été vigoureusement démentie par Benyamin Nétanyahou, surnommé « Bibi » dans son pays, puis reconnue par la suite dans une succession de versions autant contradictoires qu’embarrassées.
Le lien entre Mimran et Nétanyahou avait perduré. Certaines sources avaient ainsi assuré à Mediapart que « l’escroc du siècle » avait célébré avec Nétanyahou en 2009 en petit comité dans un hôtel de Tel-Aviv son élection à la tête du pays – l’étude des allers-retours de Mimran en Israël avait confirmé sa présence à cette période, qui correspondait aussi à celle du point culminant de l’escroquerie aux quotas carbone, qui fut en partie pilotée depuis Israël.
Mise sur la piste d’un possible financement électoral suspect, la justice israélienne avait annoncé regarder le dossier, avant d’abandonner toute idée d’enquête approfondie.
Le criminel et le premier ministre
Fin de l’histoire ? pas si sûr. Car dans sa prison, Arnaud Mimran s’ennuie. Et il parle beaucoup. Au téléphone, notamment, et avec toutes sortes de correspondants. De longues discussions dont les policiers de la brigade criminelle de Paris n’ont pas perdu une miette. En effet, comme la loi l’autorise, sa cellule et ses parloirs ont été sonorisés entre juillet 2019 et avril 2021 à la demande des juges qui enquêtent sur les assassinats qui lui sont désormais reprochés. En clair, un placement sur écoutes réalisé à l’aide de micros discrètement posés en son absence.
Le contenu de ces interceptions récemment versées à la procédure, dont Mediapart a pu prendre connaissance, vient aujourd’hui non seulement confirmer ce qui a déjà été écrit sur la relation Mimran/Nétanyahou, mais jette une lumière plus crue encore sur la nature exacte du lien trouble qui unit le criminel emprisonné et l’homme politique le plus puissant d’Israël.
Dans une écoute datée du 17 juillet 2020, Arnaud Mimran retrace d’abord auprès de sa petite amie la liste de tous les lieux où il dit avoir pris en charge l’intégralité des frais de Benyamin Nétanyahou et de sa femme, Sara : à Saint-Tropez, Miami, Deauville, Monaco, Courchevel, mais aussi au Plaza-Athenée à Paris quand le couple ne dormait pas chez les Mimran, avenue Victor-Hugo, dans le XVIe arrondissement. « C’est moi qui payais pour tout, lui, il paye pas », glisse Arnaud Mimran à une interlocutrice au téléphone.
Il raconte alors une anecdote mineure mais salée, selon laquelle il a dû une fois régler un surplus de dépenses au Plaza pour 2 600 euros. La somme correspondait en partie à une explosion du nombre de petits-déjeuners pris par les Nétanyahou pour trois jours seulement. Il explique pourquoi : «Elle [Sara Nétanyahou – ndlr], elle adore prendre des jus d’orange. Le matin, par exemple, elle prenait un jus d’orange, elle en recommandait un autre mais elle commandait à chaque fois un petit-déjeuner, elle commandait pas un jus d’orange […]. Elle s’en foutait. » Sara Nétanyahou a été condamnée par le passé, en Israël, pour des frais de bouche extravagants.
Depuis sa prison, Arnaud Mimran parle aussi de la passion de Benyamin Nétanyahou pour le poisson façon Colbert du Fouquet’s, les cigares et les montres de la marque Panerai. « J’en avais acheté une pour moi. Il aimait. Donc je lui avais acheté une Panerai », dit-il. « Il adorait les cadeaux », ajoute-t-il, avec cette sentence : « Les politiques, c’est des gratteurs. »
J’ai donné un million à Nétanyahou.
Arnaud Mimran depuis sa cellule placée sur écoutes
Arnaud Mimran raconte que, alors au faîte de sa gloire, il utilisait Benyamin Nétanyahou et les dîners, nombreux, qu’il organisait avec lui pour faire prospérer ses propres affaires et montrer l’étendue de son réseau. « Quand j’avais besoin de travailler avec quelqu’un, je l’invitais à dîner avec Bibi. À Monaco, tous les soirs, je faisais un dîner, tous les soirs j’invitais la personne avec qui j’avais envie d’être en contact. » « Tous les mecs dans la finance, les feujs [juifs] avec qui je voulais travailler, allez hop… […] Ils me voyaient à mon avantage », confesse l’escroc.
Il poursuit : « Quand je l’avais à Paris, je l’amenais où je voulais. Il faisait ce que je voulais. » Et il livre cette confidence embarrassante : « Quand il accepte des espèces et tout de toi, ça y est, c’est fini, y a plus de barrière. Tu peux tout lui demander. » Arnaud Mimran évoque même des montants, parfois 10 000 euros, parfois 20 000, selon les occasions. « Il savait qu’il allait prendre son billet […]. Quoi qu’il arrive, il me disait oui. »
Un homme d’affaires géorgien
Dans un autre registre financier, Arnaud Mimran affirme encore, dans une écoute du 10 août 2020, avoir « donné un million à Nétanyahou » par l’intermédiaire d’un riche homme d’affaires d’origine géorgienne,Badri Patarkatsichvili, décédé en 2008.« J’ai dit à Bibi :“J’t’ai trouvé un mec qui te finance” », se souvient Mimran, qui ne dit pas sous quelle forme ni à quelle date le versement a eu lieu.
La proximité de l’escroc avec le Géorgien est véritable. Un ancien ami de Mimran, entendu en janvier 2022 dans les enquêtes sur les assassinats qui lui sont reprochés, a confirmé aux juges que Patarkatsichvili faisait partie des « Russes qu’Arnaud fréquentait ». « Avec Badri, on jouait au poker et il perdait tout le temps [...]. Les Russes nous invitaient sur leur bateau. C’était un truc de fou », continue ce témoin, qui assure que Mimran « rêvait de vivre avec les voyous ».Arnaud Mimran lui-même a reconnu en audition avoir fréquenté Patarkatsichvili, notamment au casino, à Saint-Martin, dans les Antilles.
Dans un rapport de mars 2021, la brigade criminelle relève également que dans une conversation de novembre 2020, « Arnaud Mimran expliquait [...] qu’il avait un puissant réseau d’influence composé notamment de Meyer Habib [député français – ndlr] et Benyamin Nétanyahou. Il se targuait du fait qu’il avait réussi, par le biais de ce réseau d’influence, à faire échouer un contrat de télécommunication en Israël » de l’un de ses « ennemis » en France. « Il enchaînait sur le fait qu’il n’hésitait pas à s’offrir les services de “gros voyous” pour faire pression sur “ses ennemis” », notaient encore les enquêteurs.
Interrogés, les services du premier ministre israélien n’ont pas donné suite aux questions de Mediapart sur les déclarations d’Arnaud Mimran.
L’ami député
En prison, le golden boy déchu s’est également montré particulièrement disert sur un autre homme politique, français celui-là : le député Meyer Habib, élu depuis 2013 à l’Assemblée nationale dans une circonscription des Français de l’étranger (notamment en Israël et en Italie). Meyer Habib est d’ailleurs lui aussi un intime de Benyamin Nétanyahou, qu’il a dit par le passé considérer comme un « frère ».
Dans une série d’écoutes réalisées entre juin et octobre 2019, Arnaud Mimran raconte ainsi à une correspondante qu’il sent bien que les « gens connus » de son entourage « ont peur d’être associés » à lui désormais. Au premier rang desquels Meyer Habib, relate-t-il. « Il fait maintenant le mec choqué »,se plaint Mimran dans une interception. « Meyer, un moment, il a voulu prendre ses distances », lâche-t-il, amer, dans une autre.
C’est grâce à moi qu’il a été élu député, c’est moi qui lui ai financé tout.
Arnaud Mimran au sujet de Meyer Habib
Il ne lui en fallait manifestement pas plus pour se rappeler au bon souvenir du parlementaire. « Ça fait vingt ans que je lui fais gagner de l’argent. Il allait chez moi en vacances, à Courchevel, à Fisher [aux États-Unis – ndlr], je l’ai invité pendant vingt ans partout, après il a voulu faire genre… », explique Mimran à sa correspondante.
Il semble intarissable : « C’est grâce à moi qu’il a été élu député, c’est moi qui lui ai financé tout […]. C’est moi qui ai financé tous les dîners qu’il faisait, je lui finançais tout », a-t-il assuré, affirmant même « avoir fait des transactions avec lui ».
« Il a voulu faire croire qu’il n’était pas au courant du CO2 [l’escroquerieaux quotas carbone – ndlr], il a eu peur […], alors qu’il savait tout, je lui ai tout dit, à Meyer », dit encore l’escroc définitivement condamné.
Arnaud Mimran se souvient d’avoir été approché par Meyer Habib après les révélations de Mediapart et Haaretz sur Nétanyahou. Le député l’aurait mis en garde contre le fait qu’il puisse nuire à l’homme fort d’Israël. « Il me dit : “Arnaud, fais attention à pas te faire instrumentaliser, peut-être que tu ne le fais pas exprès, tu es en train de nuire à Nétanyahou”. Je lui avais dit : “Donc tu considères que si j’ai envie de nuire à Nétanyahou ou à toi, j'ai pas les éléments nécessaires, est-ce que u veux me mettre au défi ?” », l’aurait menacé Mimran, de son propre aveu. « Ça m’a mis dans un état de nerfs »,confesse-t-il dans sa cellule. Avant d’admettre : « Je ferai jamais de mal à Bibi [...]. Je vais pas faire du mal à un copain à moi pour mon intérêt, c’est le début de la fin. »
« Je suis fiable », jure-t-il.
Il est aussi question, dans la bouche de Mimran, d’une maison dans la ville d’Eilat, en Israël, « achetée avec Meyer Habib ». « Il m’a dit : “On l’achète ensemble ?”, j’ai dit OK, mais j’ai jamais mis les pieds là-bas. » Arnaud Mimran parle d’une maison sur deux étages : « Au rez-de-chaussée, c’est Meyer Habib. Et moi au premier étage, avec la piscine sur le toit. Lui, il a sa piscine dans le jardin. »
L’étudedes mouvements bancaires d’Arnaud Mimran du temps de l’arnaque aux quotas carbonemontre que l’escroc avait utilisé un compte personnel ouvert à la Safra National Bank de New York qui, le 23 février 2010, avait opéré un virement de 180 000 euros vers un compte israélien ouvert au nom d’un office notarial. Or, le transfert était accompagné de la mention « avance sur l’achat d’une propriété », mais Mimran avait alors affirmé aux enquêteurs ne pas se rappeler à qui devait être affectée cette propriété.
Moins d’un mois plus tard, alors qu’il séjournait en Israël, Mimran avait transféré un million d’euros depuis le même compte à la Safra Bank au profit de celui d’un certain David Cohen à la Israel Discount Bank, dans la ville d’Eilat justement. Mimran a assuré cette fois aux enquêteurs qu’il s’agissait d’un agent immobilier et qu’il avait donné l’argent en vue de l’achat d’une propriété pour quelqu’un dont il ne se souvenait plus du nom.
Pièce à conviction
Contacté par Mediapart, Meyer Habib a déclaré : « Colporter des accusations sur la base d’écoutes d’un détenu en détresse, accusé de meurtre, qui se sait écouté, n’est pas du bon journalisme ! » « Évidemment, ces accusations sont totalement fausses ! Les utiliser et les diffuser est calomnieux et mal intentionné »,a-t-il cinglé, sans même accepter de prendre connaissance des questions précises que Mediapart voulait lui poser.
Entendu comme témoin en mars 2021 par les juges chargés de la résolution des assassinats – le député a donné à Arnaud Mimran une bague devenue une pièce à conviction dans l’un des crimes –, Meyer Habib avait affirmé : « On avait une relation d’amitié. » Il a alors parlé de Mimran comme d’« un garçon attachant, intelligent et talentueux » : « Il est très vif. Je sais qu’il a eu des problèmes mais ça me paraît dingue. »Il avait assuré ne « rien » savoir sur les « histoires de taxe carbone », démentant son « ami ».
Meyer Habib a également glissé que sa mère avait, par le passé, confié une partie de son patrimoine pour être géré par Arnaud Mimran au travers d’une société boursière dont il était le dirigeant, 3A Trade.
«Arnaud est un ami mais on n’a pas la même vie », avait assuré le député, qui a dit être parti en « vacances » avec lui, notamment à Courchevel. « Les dernières années, je le voyais un peu moins. Je ne me suis jamais fâché avec lui. Une fois, quand il est sorti de prison, j’ai dû le voir », a tout de même reconnu le parlementaire.
Contacté par Mediapart, l’avocat d’Arnaud Mimran, Me Hugues Vigier, n’a souhaité faire aucun commentaire
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