S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
Il y a 60 ans au Petit-Clamart, de Gaulle échappe de peu à la mort
REPORTERS ASSOCIES/Gamma-Rapho via Getty Images)
Le 22 août 1962, le général de Gaulle et son épouse Yvonne étaient la cible d'un attentat des ultras de l'Algérie française dont le cortège présidentiel est sorti miraculeusement indemne
Le Petit-Clamart, banlieue sud de Paris. Soir du 22 août 1962. Le cortège présidentiel est la cible d'un attentat des ultras de l'Algérie française. Le général de Gaulle et son épouse en sortent miraculeusement indemnes.
Le chef de l'Etat, qui a présidé le Conseil des ministres de rentrée, vient de quitter l'Elysée avec Yvonne de Gaulle. Direction l'aérodrome militaire de Villacoublay pour regagner leur demeure de la Boisserie, à Colombey-les-Deux-Eglises.Pratiquement arrivée à destination, la DS Citroën, accompagnée d'un véhicule d'escorte et de deux motocyclistes de la gendarmerie, roule à vive allure à hauteur du Petit-Clamart, quasi désert en ce mercredi soir d'août.
Il est environ 20h20, entre chien et loup. En bord de route, un homme agite un journal. Cerveau de l'attentat, Jean-Marie Bastien-Thiry, un polytechnicien, vient de donner le signal. L'opération - nom de code "Charlotte Corday" - est menée par des conjurés mus par une même haine du "traître" de Gaulle, accusé d'avoir précipité la fin de l'Algérie française et de livrer le pays au communisme.
Des pieds-noirs, d'anciens militaires et des étudiants. Le plus jeune a 20 ans. Pas très aguerri, ce commando hétéroclite proche de l'OAS ouvre le feu. D'abord au fusil-mitrailleur depuis une estafette jaune. Puis d'un second véhicule garé plus loin. L'opération ne dure que 45 secondes. Plus de 150 balles sont tirées, la voiture présidentielle porte huit impacts, trois balles ont traversé l'habitacle. Le couple est couvert d'éclats de verre mais sain et sauf.
"Hasard incroyable !", dira le général dans ses mémoires. Ils doivent une fière chandelle au sang froid de leur chauffeur Francis Marroux - c'est déjà lui qui conduisait la voiture présidentielle, un an plus tôt, lors de l'attentat de Pont-sur-Seine, aussi commandité, on le saura plus tard, par Bastien-Thiry - et de leur gendre, Alain de Boissieu, qui, assis à l'avant, intime "A terre, Père !"
"Cette fois, c'était tangent"
Sur deux jantes et deux pneus, la DS parvient jusqu'à l'aéroport tout proche. Imperturbable, de Gaulle passe en revue, comme chaque fois, les soldats. Tout juste glisse-t-il à son gendre, en montant dans l'avion sans changer ses plans : "Cette fois, c'était tangent !" Il a failli mourir avenue de la Libération. Un comble pour l'homme du 18 juin...
Auteur du livre "Un attentat", l'historien Jean-Noël Jeanneney pointe une "somme de hasards" pour expliquer cet échec. Et, surtout, qu'"aucun" des conjurés "n'était prêt à mourir pour toucher leur but". Des armes qui s'enrayent, des tireurs pas assez entraînés, avancera en 2012 à l'AFP un survivant du commando.
"Ah, cher ami, ils tirent comme des cochons", rit le soir même le général au téléphone avec son Premier ministre Georges Pompidou. Très vite, la nouvelle de la tentative d'assassinat se répand. "Attentat manqué contre de Gaulle": l'Agence France-Presse publie à 20h55 un premier "flash". Suivi d'un autre : "Des coups de feu ont été tirés peu après 20h00 contre la voiture du général de Gaulle près de Villacoublay. Personne n'a été atteint".
On apprendra plus tard qu'un certain M. Fillon, conduisant en sens inverse, a été touché à la main. Sans gravité. Forte émotion dans le pays, encore en vacances. Même si les Français, avec le conflit algérien, ont vécu ces dernières années au rythme des bombes, dans un climat de guerre permanent. Fin stratège, de Gaulle, qui échappera encore à plusieurs attentats, va profiter de cette émotion.
Un attentat qui "tombe à pic"
Sur le plan politique, l'attentat "tombe à pic", confie-t-il, presque joyeux, à son ministre Alain Peyrefitte après la fusillade. Avant d'ajouter : "les choses s'accélèrent. Nous vivons un précipité d'Histoire". De fait, il parvient en cette année 1962 à faire modifier la Constitution pour l'élection du président au suffrage universel. Dans les semaines qui suivent l'attentat, la traque du commando est fructueuse.
Vite interpellé, l'un des maillons faibles se met à table. Presque tous les conjurés sont arrêtés, dont leur chef, Bastien-Thiry, le 15 septembre. Le procès s'ouvre fin janvier 1963. Devant une juridiction d'exception, la Cour militaire de justice, neuf hommes sont sur le banc des accusés. Défendus notamment par Jacques Isorni, l'avocat de Pétain, et Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui sera candidat d'extrême droite à la présidentielle de 1965 face... à de Gaulle.
Trois sont condamnés à mort. Le général en gracie deux. Bastien-Thiry, 35 ans, est lui passé par les armes le 11 mars. Il sera le dernier condamné à mort fusillé en France. Pas question pour de Gaulle de pardonner à celui qui a attenté à la vie de son épouse.
Tout aussi impavide, "Tante Yvonne" aurait eu, lors de l'attentat, cette simple phrase, passée à la postérité : "j'espère que les poulets n'ont rien eu". Allusion non pas aux policiers mais à la volaille en gelée dans le coffre...
Des Algériens défilent près d’un grand magasin sur les grands boulevards parisiens lors de la manifestation pacifique, organisée à Paris le 17 octobre 1961 pendant la guerre d’Algérie par la Fédération de France du FLN (Front de Libération nationale) pour protester contre le couvre-feu imposé aux Français musulmans par le préfet de police Maurice Papon. Les quelque vingt mille manifestants – hommes, femmes et enfants – qui demandaient également la fin des hostilités et l’indépendance, furent victimes d’une répression sanglante qui fit de nombreux morts. (Photo by AFP)
Alors qu’une forte délégation ministérielle conduite par la Première ministre française, est à Alger dans le cadre d’une visite de deux jours et que les 16 ministres ont réitéré la volonté de l’exécutif français de s’attaquer au volet « histoire et mémoire », et au moment où les relations entre Alger et Paris peinent à sortir d’une zone de forte turbulence, nous avons reçu de Mehdy Belabbas et Halima Menhoudj une lettre ouverte adressée au Président de la République Emmanuel Macron que nous publions et qui est déjà signée par de nombreuses personnalités issues du monde associatif et politique.
Lettre ouverte à M. Emmanuel Macron
Président de la République française
Monsieur le Président de la République,
Les 26 et 27 août dernier, vous vous êtes rendu en Algérie dans le cadre d’une visite officielle.
Lors d’un discours prononcé à Alger, à propos des questions mémorielles, vous avez ainsi évoqué notre « passé commun », « complexe, douloureux ». Vous avez également évoqué votre volonté « de regarder en face ce passé avec beaucoup d’humilité, de volonté de vérité, de mémoire et d’histoire ».
L’an dernier, le 17 octobre 2021, à l’occasion des 60 ans du massacre de centaines d’Algériens à Paris par les forces de l’ordre de la République sous les ordres du préfet Maurice Papon, vous vous êtes rendu au pont de Bezons, près de Nanterre, lieu symbolique de cette tragédie. Au nom de le République, vous y avez observé une minute de silence et vous y avez déposé une gerbe de fleurs en mémoire des milliers de victimes de cette violente et sanglante répression du 17 octobre 1961.
Si nous ne pouvons que saluer cette initiative, nous constatons qu’il reste encore beaucoup à faire pour que la vérité historique des massacres du 17 octobre 1961 soit reconnue et acceptée par toutes et tous.
C’est pour que cette reconnaissance soit pleine et entière, que nous vous demandons aujourd’hui solennellement d’inscrire le 17 octobre au calendrier officiel des journées nationales et des cérémonies officielles.
Premiers signataires :
Mme MENHOUDJ Halima, co-présidente de l’association « Pour la Mémoire, Contre l’Oubli »
M. BELABBAS Mehdy, co-président de l’association « Pour le Mémoire, contre l’Oubli »
M. STORA Benjamin Historien
M. AUDIN Pierre, Mathématicien
M. MANCERON Gilles, Historien
Mme DELLI Karima, Députée Eurodéputée
M. MELLOULI Akli, Président de l’Espace Franco-Algérien
Des Algériens arrêtés lors de la manifestation pacifique, organisée à Paris le 17 octobre 1961 pendant la guerre d’Algérie par la Fédération de France du FLN pour protester contre le couvre-feu imposé aux Français musulmans par le préfet de police Maurice Papon, sont emmenés par la police à bord de cars et d’autobus en direction des centres de tri, à Vincennes, au Palais des Sports ou au stade de Coubertin. Photo : UPI / AFP
Les participants au Forum de la mémoire, réunis samedi à l’occasion de la Journée nationale de la diplomatie, ont été unanimes à souligner que la cause algérienne bénéficiait d’un large soutien de la part de la diplomatie arabe, parallèlement au déclenchement de la Glorieuse Guerre de Libération et à la participation de la dirigeants du Front de libération nationale (FLN) à la conférence de Bandung en 1955.
Le chercheur Rachid Ould Boussiafa a indiqué dans une communication, lors de sa participation au Forum organisé par l’association « Mechaâl Echahid » et le journal « El Moudjahid » et qui abordait le thème « La contribution de la diplomatie arabe à la Révolution algérienne, de la conférence de Bandung d’avril 1955 à l’adhésion de l’Algérie à l’ONU le 8 octobre 1962 », que la cause algérienne était quasiment absente des archives de la Ligue arabe. et que peu d’intérêt a été manifesté avant le déclenchement de la Guerre de libération nationale, surtout entre 1945 et 1954.
Pour M. Ould Boussiafa, la situation a changé au sein de la Ligue arabe avec le déclenchement de la Révolution, et cela est dû, il a expliqué, « le grand intérêt manifesté par les dirigeants de la Révolution pour l’action diplomatique, en ce sens que deux batailles ont eu lieu, l’une avec des armes à l’intérieur de l’Algérie et une autre tout aussi importante, à savoir la bataille politique dans les enceintes internationales, comme en témoigne la très première sortie avec succès des dirigeants de la Révolution à la Conférence de Bandung, considérée comme le premier jalon de la construction du Mouvement des non-alignés ».
La cause algérienne a été abordée lors de la conférence de Bandung qui a revendiqué dans son communiqué final le droit des peuples, dont le peuple algérien à l’autodétermination, a noté le chercheur qui ajoute que « c’était le premier pas dans l’internationalisation de la cause algérienne ». avant la -10e session de l’Assemblée générale (AG) des Nations Unies, en septembre 1955″.
Il a évoqué la demande de 14 pays du groupe afro-asiatique, dont des pays arabes, d’inscrire la question algérienne à l’ordre du jour, soulignant que ce n’était pas facile car la demande a été rejetée par la France et ses alliés. « La détermination du Groupe a forcé un vote. C’était la première victoire dans les enceintes internationales : 28 pays ont voté pour l’Algérie, contre 27 pour la France », a-t-il rappelé.
Cette victoire est le fruit du soutien de plusieurs pays arabes, a-t-il dit, citant le grand rôle de l’Arabie saoudite, qui plaide la cause de l’Algérie devant l’ONU depuis des années, ainsi que le soutien de l’Egypte à l’Algérie aujourd’hui. un et la Syrie, le Koweït, le Yémen, la Palestine, le Liban et d’autres.
De son côté, l’historien Ammar Rekhila a affirmé que le rôle du monde arabe était important pour la Révolution algérienne à travers son « soutien matériel, logistique ou diplomatique », rappelant que la première notification à l’ONU de ce qui se passait en Algérie venait de représentant de l’Arabie saoudite auprès de la Ligue arabe dans une lettre à l’Assemblée générale des Nations Unies.
La Conférence de Bandung en Indonésie a ensuite été organisée avec la participation de 28 pays et 600 délégués. Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid ont réussi à s’affirmer en tant que représentants du Front de libération nationale (FLN), a rappelé M. Rekhila.
Il a rappelé que la Conférence avait rendu publique une motion demandant à l’Assemblée générale des Nations Unies d’inscrire la cause algérienne à l’ordre du jour de la 10e session.
Concernant le soutien diplomatique arabe à la Révolution algérienne, l’historien a affirmé qu’il s’agissait d’un « soutien légitime, les frères arabes adoptant la cause algérienne », ajoutant que « le déclenchement de la Révolution algérienne a servi la Ligue arabe qui est restée de 1945 à 1954 sans influence sur décision internationale ».
« En adoptant la cause algérienne, la Ligue arabe a fait appel à l’ONU, qui a renforcé les liens de solidarité entre ses membres qui ont rejoint la cause algérienne dans son ensemble, et donc la voix arabe était désormais présente aux différentes sessions. de l’Assemblée générale de l’ONU », a-t-il poursuivi.
M. Rekhila a rappelé que le sommet arabe, prévu à Alger, vient à point nommé, et le choix de la date du 1er novembre « sera de nature à motiver la nation arabe à aller de l’avant ».
De son côté, l’ambassadeur du Yémen à Alger, Mohammed Ali El Yazidi Alaoui, a salué les relations algéro-yéménites, marquées par les valeurs de « fraternité, d’entente et de coordination dans divers domaines ».
« Si la diplomatie algérienne a bénéficié d’un fort soutien arabe, c’est parce qu’elle était liée à la Révolution algérienne, à sa lutte et aux sacrifices de son peuple, d’autant plus que la plupart des pays arabes croupissaient sous la domination coloniale dans les années 1950.
Le forum était ponctué d’un hommage au moudjahid et diplomate, Salah Belkobbi.
En matière de relations entre l’Algérie et la France, Nils Andersson estime qu' »il ne s’agit pas aujourd’hui d’un problème de « réconciliation » mais de liens égalitaires entre des citoyens de deux pays indépendants. »
Né le 14 février 1933 à Lausanne en Suisse, Frédy-Nils Andersson dit Nils Andersson, est un éditeur et analyste politique de nationalité suédoise. Il est le responsable du programme culturel suisse au Festival mondial de la jeunesse à Moscou en 1957. Il a l’idée, à la fin des années 50, après des tentatives de faire vivre des revues militantes, de diffuser des éditeurs français qui publient des livres essentiels aux débats intellectuels.
Plusieurs éditeurs éminents acceptent de partager ce projet :Jérôme Lindon pour Les Éditions de Minuit, Jean-Jacques Pauvert, Robert Voisin pour LesÉditions de l’Arche puis François Maspero, dès la création de ses éditions du même nom. Il fonde ainsi en 1957 un comptoir de diffusion d’éditeurs français à Lausanne, La Cité, qui deviendra rapidement une maison d’édition, La Cité Éditeur. Il publie notamment des ouvrages liés à la cause algérienne et censurés ou interdits en France. Ces activités l’éloignent longuement de la France. Il ne s’installe à Paris que dans les années 90 où il milite notamment chez ATTAC et Sortir du colonialisme.
Nils Andersson collabore, entre autres, au Monde diplomatique, Politis, L’humanité, Recherche internationale, Lapensée, Les temps modernes …Il a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la visite officielle en Algérie de Madame Elisabeth Borne, première ministre française, accompagnée de seize ministres, alors que la question mémorielle est au cœur de la relation bilatérale entre les deux pays.
Le Matin d’Algérie : Lorsqu’on est né en 1933 comme vous à Lausanne, d’un père suédois et d’une mère française, comment se retrouve-t-on à publier des ouvrages liés à la cause algérienne censurés ou interdits tel que « La question » d’Henri Alleg en 1958 alors que le livre (publié aux éditions de Minuit) était interdit en France…
Nils Andersson : Il y a plusieurs entrées, d’abord celle de la sensibilisation à la réalité coloniale, acquise notamment, dans mon adolescence, en lisant L’Observateur. Ensuite, n’ayant à Lausanne, où je vivais, pas connu d’Algériens ni d’Algériennes, il y a les hasards des rencontres et des choix faits, des engagements qui m’amènent à diffuser en Suisse les Éditions de Minuit. De là découle, après la saisie de La Question, la demande de Jérôme Lindon de rééditer le livre en Suisse pour démontrer au gouvernement français que l’on ne pouvait faire taire le témoignage d’Henri Alleg. Dès que je l’ai édité, Robert Davezies m’a contacté pour la Fédération de France du FLN et me demander si j’étais d’accord d’apporter mon soutien à la lutte de libération nationale. De là, jusqu’à l’indépendance, se sont développés des liens militants quotidiens avec des frères et sœurs algériens organisés en Suisse, de passage où évadés de France transitant par la Suisse.
Dès 1961, vous diffusez les éditions Maspero et vous publiez, entre autres, Mao Zedong, Liègme, Debluë, Weideli et Jotterand..
Oui, après La Question, j’ai également réédité à La Cité-Éditeur, après sa saisie, La Gangrène, témoignage de tortures subies par des Algériens en France, Les Disparus, un dossier établi par des avocats du collectif du FLN, réunissant les demandes, toutes restées sans réponse, de familles sur ce qui était advenu de leur père ou de leur frère après leur arrestation durant la bataille d’Alger. Puis, j’ai publié La Pacification d’Hafid Keramane, document de la Fédération de France du FLN, inventoriant toutes les formes de répression, utilisées contre le peuple algérien, de la torture aux camps de regroupement, le témoignage de Robert Davezies, Le temps de la justice, retraçant son engagement pour l’indépendance de l’Algérie, le livre de Saadia et Lakhdar, L’aliénation colonialiste et la résistance de la famille algérienne et Naissances, le théâtre de Mohamed Boudia. Mais, habitant Lausanne, j’ai également édité des auteurs : Liègme, Debluë, Weideli, Jotterand qui étaient les principaux auteurs de théâtre suisses de langue française et, autre domaine, Mao Tsé-toung et des textes du Parti communiste chinois s’inscrivant dans les divergences avec l’Union soviétique, divergences dans lesquelles la question du Tiers-Monde et de la décolonisation étaient centrales.
Vous aviez également des rapports avec les réseaux Jeanson et Curiel… Tout cela vous a valu un long éloignement de la France, mais vous finissez par être expulsé par le Conseil fédéral de Suisse également…
Mes rapports avec les réseaux Jeanson, Curiel ou avec celui de déserteurs et insoumis refusant de faire la guerre d’Algérie, Jeune Résistance, faisaient naturellement un avec le travail militant au côté des militants algériens. L’engagement de ces Français était d’autant plus courageux qu’ils étaient très minoritaires dans la société française, qualifiés de traitres et que s’ils ne risquaient pas la mort comme les Algériens, ils encouraient des peines jusqu’à dix ans de prison, parmi eux des fondateurs de l’ACCA*. La mesure d’expulsion de Suisse, en raison d’une activité d’éditeur incompatible avec mon statut d’étranger, est intervenue en 1967 ; la question algérienne faisait partie du dossier, du contentieux, mais elle n’en était pas la raison principale, s’y ajoutaient d’autres engagements : avec le parti Sawaba du Niger, le MPLA angolais, les antifascistes espagnols et portugais, la publication des textes du Parti communiste chinois…
Dans la préface de votre livre-témoignage « Mémoire éclatée »**, paru en 2016, Gérard Chaliand*** dit de vous que vous n’êtes ni un « ancien combattant », ni un « témoin amer ». Puis-je vous demander d’où vous vient cette force qui vous permet de garder toute votre cohérence malgré les vicissitudes de l’histoire et malgré ce que vous avez subi vous-même ?
Ce que j’ai « subi », peu de chose, les risques assumés en raison de mes convictions. Ce que dit Gérard Chaliand a comme fondement, pour l’avoir ressentie au plus près, la lutte du peuple algérien. Le 1er Novembre 1954, personne dans le monde ne croyait, face à la puissance militaire et à l’influence dans le monde de la France, que l’Algérie puisse devenir indépendante. C’est l’unité du peuple, son irréductibilité, de 1954 à 1962, quels que soient les moyens militaires utilisés, la violence de la répression, les manœuvres de division, rien n’a pu rompre cette unité, sans laquelle l’Algérie ne serait pas indépendante. Cela nous fait dire en 1962 : Nous savons que les aspirations les plus grandes, c’est possible ! C’est cet enseignement qui reste présent.
Vous avez publié dans votre blog Médiapart le 23 septembre 2022, un appel de l’ACCA* pour « la reconnaissance des responsabilités de l’Etat dans le recours à la torture durant la guerre d’Algérie ». Comment expliquer que sur la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français sur cette question de la torture en particulier soit encore à faire en 2022 ?
Le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie comme un système, les faits, les témoignages, les documents, sont si nombreux et incontestables qu’ils ne peuvent être contestés. Dénoncer la torture n’est pas l’objet de l’appel de l’ACCA*, son objet est que soit répondu à la question posée en 1962 par Pierre Vidal Naquet dans La Raison d’État. «Comment fixer le rôle, dans l’État futur, de la magistrature ou de l’armée ou de la police si nous ne savons pas » : comment un État de droit, signataire des Conventions de Genève a-t-il autorisé que soit conceptualisée et enseignée dans les écoles militaires la doctrine de la « guerre psychologique », justifiant le recours à la torture ? Comment un État de droit a pu légaliser lors de la guerre d’Algérie son usage comme un système ? Comment un État de droit a pu couvrir les actes des tortionnaires et condamner ceux qui dénonçaient les moyens utilisés ? À ces questions il n’a toujours pas été répondu.
Aujourd’hui le mot de « réconciliation » est sur toute les bouches, comme si cette histoire était celle d’une famille (on a parlé d' »histoire d’amour » même) dont les membres sont en quelque sorte au même niveau de responsabilité dans ce qui s’est passé. Même s’il ne faut pas nier les multiples victimes de la guerre d’Algérie, qui portent des mémoires différentes ; victimes innocentes sur le plan des responsabilités historiques, n’est-ce pas une façon, encore une fois, de nier la cause première de ce drame qui est avant tout une conquête d’une violence inouïe puis l’installation d’un système colonial dominateur et injuste envers ceux qui étaient appelés les « indigènes », en particulier les « indigènes musulmans ».
L’Histoire du colonialisme reste à écrire, comme Franz Fanon pose la nécessité de la « désaliénation du colonisé », il faut poser la question de la nécessité de la désaliénation du colonisateur. Certes, la génération des responsables de la guerre coloniale menée contre le peuple algérien s’effaçant, il en résulte, logiquement, un changement d’attitude, une crispation moindre, sur « la perte de l’Algérie », dans les générations qui suivent, des déclarations et des gestes en témoignent.
Sur la « réconciliation », j’ai une vue particulière : si elle devait se faire, ce devait être entre ceux qui s’étaient affrontés dans la guerre ; des tentatives, des amorces en ce sens, ont eu lieu, cela ne s’est pas fait. Que peut signifier aujourd’hui le mot « réconciliation » ? Le rapport des jeunes Algériens avec la France et des jeunes Français avec l’Algérie n’ont plus rien à voir avec ceux, dans toutes leurs complexités, ayant existé. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’un problème de « réconciliation » ; mais de liens égalitaires entre des citoyens de deux pays indépendants. Autre chose est de reconnaître et d’assumer son Histoire, comme tout État, dans ce qu’elle a de sombre et de ce qu’elle porte comme responsabilités.
La « reconnaissance » est le maître mot.
Sur le travail historique qui n’est jamais achevé, plus encore en raison de 130 ans de colonisation et de 8 ans de guerre, de l’intensité des événements, des humiliations et des rapports antagonistes et ambigus entre les Algériens et les populations françaises et européennes, cela ne peut être une démarche à quatre mains. Entre historiens algériens et français, leurs ressentis du passé et du présent, leurs vécus et cultures, leurs références diffèrent et ne peuvent se confondre. Il faut que l’Histoire relate toutes les vérités, jusqu’à celles difficiles à accepter en Algérie comme en France.
Si, à mon avis, soixante ans après, le mot « réconciliation » entre Algériens et Français n’a plus de sens, de profondes déchirures, nées de la guerre d’Algérie, demeurent dans la société française ; elles demandent et nécessitent un processus de conciliation entre les Français sans lequel, ce qui est l’obstacle principal à la reconnaissance et à la normalisation des relations entre les deux peuples ne peut se réaliser.
*ACCA : L’ACCA, Agir Contre le Colonialisme Aujourd’hui, a été constituée il y a 35 ans par des soldats du refus condamnés pour avoir refusé de porter les armes contre le peuple algérien et des militants engagés dans sa lutte de libération nationale. Son premier président fut Henri Alleg, lui ont succédé Alban Liechti, soldat du refus et Nils Andersson.
*** Gérard Chaliand, homme de lettres et spécialiste des relations internationales et stratégiques, des conflits armés et surtout des conflits irréguliers.
Disponible sur le site du Monde, Louisette est un court-métrage aussi important que bouleversant. Il donne la parole à Louisette Ighilahriz, une ancienne combattante indépendantiste algérienne ayant subi les tortures et les viols commis par les soldats français.
En ce début d’octobre, mois funèbre dans la mémoire des Algériens, Le Monde et La Revue dessinée ont dévoilé un court-métrage d’animation éclairant un pan encore tabou de l’Histoire française.
Le viol comme instrument de torture
Louisette Ighilahriz est algérienne. Elle est âgée de 86 ans.
À la veille de l’indépendance de l’Alégérie en 1962, elle avait rejoint le maquis, participant à la lutte armée afin de résister aux soldats français. Capturée par ces derniers, Louisette Ighilahriz a enduré leur violence, et notamment des viols récurrents.
En mettant en lumière le témoignage de cette ancienne combattanteindépendantiste,le film éclaire un pan de l’histoire française passé sous silence. Le court-métrage le dit bien : dans le rapport Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie rédigé en 2020 et remis à Emmanuel Macron, les viols commis par l’armée française ne sont évoqués qu’une seule fois.
Ainsi, à travers l’histoire de madame Ighilahriz,le film fait état des crimes silenciés de nombreuses victimes et montre que les viols étaient employés comme moyens de torture.
Un témoignage historique majeur
En juin 2000, un article publié en Une du Monde ranimait la mémoirede la guerre d’Algérie. L’article était signé par la journaliste Florence Beaugé et mettait en lumière le témoignage de Louisette Ighilahriz. Cette dernière révélait avoir été torturée et violée à maintes reprises à Alger quarante ans plus tôt, dans les locaux de la 10e division parachutiste du général Massu.
L’article avait provoqué un effet retentissant en France, incitant certains responsables à prendre la parole. Le général Massu avait même exprimé des regrets. Une première dans un contexte où le silence règne. Il avait alors déclaré : « Quand je repense à l’Algérie, cela me désole. La torture, on pourrait très bien s’en passer. Elle faisait partie d’une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment. »
Vingt-deux ans plus tard, Le Monde et La Revue dessinée se sont associés pour replacer au centre des mémoires ce témoignage majeur à travers un film d’animation. Écrit par la journaliste Florence Beaugé, réalisé et dessiné par Aurel et incarné par Françoise Fabian et Bruno Solo, Louisette est disponible sur le site du Monde.
Patrice Bouveret, Directeur de l’Observatoire des armements
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Merzak Remki, Ex-Commissaire à l'énergie atomique
Alors que les deux gouvernementS doivent se réunir à Alger ce 9 et 10 octobre, Jean-Marie Collin d'ICAN France, Patrice Bouveret de l'Observatoire des armements et l'ex-commissaire à l'énergie atomique Merzak Remki soulignent l'urgence de reconnaître et indemniser les victimes des essais nucléaires français en Algérie.
Voici leur tribune. « Les présidents Ab
delmadjid Tebboune et Emmanuel Macron ont relancé, le 27 août dernier, le partenariat entre la France et l’Algérie pour « appréhender l’avenir dans l’apaisement et le respect mutuel ». Cette volonté devrait se traduire par de nouvelles annonces avec la tenue du Comité intergouvernemental de haut niveau, à Alger ces 9 et 10 octobre, qui réunira les gouvernements des deux États. N’ayant pas été abordée lors de la rencontre entre les deux Présidents, ce nouveau rendez-vous doit marquer un tournant décisif pour résoudre la question des conséquences des essais nucléaires que la France a réalisés en Algérie et qui impactent jusqu’à aujourd’hui encore la population locale.
La France a réalisé entre 1960 et 1966, dans le sud algérien, sur les sites de Reggane et d’In Ekker, un total de 17 essais nucléaires atmosphériques et souterrains. Parmi les 13 essais nucléaires souterrains effectués à In-Ekker, deux incidents importants (Béryl et Améthyste) ont provoqué un très grand rejet de lave en dehors de la montagne, qui reste localement fortement contaminée. En plus des essais nucléaires, une quarantaine d’explosions ont également été réalisées à Reggane (Adrar) et à Tan Ataram (Tamanrasset), utilisant de faibles quantités de plutonium, mais ne provoquant pas de dégagement d’énergie nucléaire.
Force est de constater qu’à ce jour, la situation sanitaire et environnementale dans ces régions du Sahara demeure toujours autant préoccupante.
Suite à une importante mobilisation, la France a reconnu, avec la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, qu’ils n’avaient pas été « propres », tant ceux effectués en Algérie qu’ensuite en Polynésie. Il a ainsi été admis que des personnes (populations civiles, ouvriers, militaires, scientifiques…), présentes lors de ces essais dans le Sud Algérien, avaient été atteintes par des maladies radio-induites.
La loi française impose au demandeur de l’indemnisation de satisfaire à des critères très difficiles à remplir, pour faire reconnaître son statut de victime. Il doit notamment démontrer sa présence dans une zone géographique de retombées des essais, lors d’une période pendant laquelle elles ont eu lieu et souffrir d’une des 23 maladies listées par décret.
Malheureusement, depuis 2010, un seul ressortissant algérien a été indemnisé sur les 723 personnes reconnues comme victimes par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Cette situation démontre un grave problème. Par ailleurs, cette loi n’a toujours pas été retranscrite en arabe (alors qu’elle est disponible depuis 2018 en langue polynésienne), restreignant aussi son accès à une large population.
Depuis 2010, un seul ressortissant algérien
a été indemnisé sur les 723 personnes
De plus, nous savons que les générations actuelles — et futures si aucune mesure de réhabilitation n’est mise en œuvre — continuent d’être impactées par les conséquences de ces essais. En effet, suite à nombreux témoignages et recherches (cf. notamment l’étude de ICAN France et de l’Observatoire des armements « Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie : analyse au regard du traité sur l’interdiction des armes nucléaires », publiée par la Fondation Heinrich Böll, 2020), il est reconnu que la France a volontairement enterré divers déchets contaminés par la radioactivité sur les sites d’essais. À ces déchets, il doit être ajouté les matières radioactives (sables vitrifiés, roches contaminées) issues des explosions nucléaires atmosphériques présentes sur les sites de tirs « Gerboise » et sur une large partie d’un flanc de la montagne Taourirt Tan Afella à In Ekker.
L’Algérie, de son côté, a engagé une autre étape dans le cadre du processus de prise en charge au niveau national de cette question, en créant le 31 mai 2021, l’Agence nationale de réhabilitation des anciens sites d’essais et d’explosions nucléaires français dans le Sud algérien.
Mais si les deux États ont bien conscience de l’existence de cet « héritage radioactif » depuis de nombreuses années, nous observons malheureusement une absence de progrès tangibles dans l’avancement de cet important dossier.
Le temps est venu d’agir vite, en pleine coopération et sans tabou, comme l’ont souligné les présidents Tebboune et Macron.
La cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN), qui va se réunir ces 9 et 10 octobre, sera-t-elle l’occasion d’annonces concrètes ? En effet, ce comité, lancée en 2013, comporte depuis le début un volet lié aux essais nucléaires, mais la lenteur est une nouvelle fois à souligner. La première réunion le 3 février 2016 du groupe de travail mixte sur l’indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires français, n’a affiché comme seule perspective que « de créer un dialogue spécifique dans les meilleurs délais ».
Il doit ainsi être dressé, lors de ce CIHN, un plan d’action, rendu public, comportant notamment pour la France, un accès facilité aux Algériens à la loi Morin et la remise aux autorités algériennes de toutes les archives sur les conséquences des essais et sur les déchets enfouis sur place. L’Algérie peut matérialiser sa volonté d’action via son ministère de la santé en établissant un registre des cancers pour les habitants du sud algérien et via son Agence de réhabilitation en lançant officiellement des études pour assainir les zones radioactives.
Le temps est venu d’agir vite
Il reste à l’Algérie, qui a été parmi les premiers pays à avoir signé en 2017 le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), à entamer son processus de ratification du Traité. Cela lui permettra de disposer d’une coopération internationale pour la remise en état de l’environnement des zones contaminées.
Les parlementaires des deux pays ont aussi un rôle à jouer en établissant un groupe de travail mixte pour suivre au plus près du terrain et des populations le calendrier et les travaux réalisés. Les ONG, universitaires, journalistes et acteurs locaux doivent aussi être associés à ce plan global d’action, pour permettre sa mise en œuvre au bénéfice des populations impactées. »
La liste des signataires
Jean-Marie Collin,coporte-parole de ICAN France
Patrice Bouveret, Directeur de l’Observatoire des armements
Merzak Remki, Ex-Commissaire à l'énergie atomique
Mais, hélas, ce n'est pas à l'ordre du jour de la visite Elisabeth Borne et presque tout son gouvernement à partir d'aujourd'hui en Algérie.
Nous étions dans la même compagnie et la même section d'EOR à Cmerchell...
Christian Massot, président de l’UNC (Union nationale des combattants) locale, répondra aux questions des visiteurs. Photo LBP /G. D.1 /1
À l’occasion du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, l’Union nationale des combattants (UNC) de Nuits-Saint-Georges a voulu rendre hommage aux soldats ayant participé à ce conflit. Conflit qui a marqué leur jeunesse,...
Avec « Les Harkis » (au cinéma le 12 octobre), Philippe Faucon revient en Algérie une quinzaine d'années après « La Trahison ». Un nouveau film qui imprime une page importante dans la longue, complexe et secrète filmographie française sur la guerre d'indépendance algérienne.
Philippe Faucon avait 4 ans en 1962. À cet âge-là, que retient notre mémoire ? En évoquant son enfance algérienne et la guerre qui n'avait pas de nom, le cinéaste a cette belle expression : « J'ai l'impression de me souvenir. » Souvenir obscur d'une nuit de peur. Son père, militaire, n'est pas là. Des ombres tambourinent aux portes du village, on tente de forcer les maisons barricadées. Dans un réflexe désespéré, la mère de Philippe cache son enfant dans un placard : « Cet épisode a eu lieu, ma mère me l'a raconté. Je me suis demandé par la suite si j'en avais réellement le souvenir ou si ce souvenir était celui d'un récit préalable qu'en aurait fait ma mère. »
Flash-back
Au Bowdoin College de Brunswick, dans le Maine, Meryem Belkaïd dirige un séminaire intitulé « Représentations de la guerre d'indépendance algérienne ». Selon la chercheuse, le cinéma français relate volontiers ce conflit en flash-back. C'est par exemple le cas dans Des hommes , de Lucas Belvaux (2021) ou encore Mon colonel , de Laurent Herbiet (2006). Autant qu'à la guerre, ces projets s'intéressent au traumatisme, à ces cicatrices françaises. Philippe Faucon, lui, conjugue ce passé au présent. Dans ses films, il n'est plus question d'« impressions de souvenirs » : le spectateur regarde la guerre en face. En 2005, La Trahison marque une date importante dans la représentation du conflit. Ce sera sans doute aussi le cas des Harkis qui sort le 12 octobre.
Dans La Trahison , le lieutenant Roque (Vincent Martinez), commande aussi bien des appelés français que des soldats algériens. Sa patrouille paraît soudée… jusqu'à ce que sa hiérarchie lui apprenne que certains de ses hommes ont pour projet de l'assassiner. Récit plus ample, Les Harkis parcourt plusieurs années avant d'atteindre le carrefour de 1962. A la veille des accords d'Evian, la France s'engage à protéger tous ses soldats. Or, lors de la démobilisation, il s'avère que la nation compte abandonner les Algériens engagés à ses côtés. Les harkis vont découvrir qu'ils ont cru servir un pays qui s'est servi d'eux.
Selon Meryem Belkaïd, La Trahison montrait à quel point la société coloniale était « fondamentalement ségréguée et Philippe Faucon tentait de dépasser ce que l'on croyait savoir du conflit ». L'enseignante observe aussi la façon dont la politique française et cinéma se répondent. La Trahison, comme L'Ennemi intime (2007) de Florian-Emilio Siri, appartient à une série de titres sortis après 1999, lorsque l'Assemblée nationale adopte une loi qui efface des documents de la République le terme d'« opération de maintien de l'ordre en Afrique du Nord » pour imposer celui de guerre d'Algérie. La même année, Abdelaziz Bouteflika accède au pouvoir à Alger et affiche sa volonté de réhabiliter des figures du nationalisme algérien comme Ferhat Abbas et Messali Hadj. « Ces deux événements concomitants, même s'ils ne sont pas révolutionnaires, permettaient de dépasser des silences. Et ils ont eu une résonance dans le cinéma. »
Les ciseaux de la censure
Pourtant, plus de quinze ans après La Trahison, Philippe Faucon aura bien du mal à monter Les Harkis. Le sujet autrefois réputé « compliqué » est désormais « lointain ». À vrai dire, la production d'un film sur la guerre d'Algérie aura toujours représenté une ascension longue et incertaine. À tel point que le cinéma français donne le sentiment de fuir son propre passé. Dans son discours célébrant l'anniversaire des accords d'Evian, Emmanuel Macron lui-même évoquait plus largement « le silence » de la France : « Il ne fallait pas en parler. Quelques-unes de ces mémoires étaient reconnues, mais elles étaient irréconciliables, le travail ne pouvait être fait. Et donc, le caractère irréconciliable a d'abord triomphé par le déni, par les silences… »
La France n'a jamais produit son grand film emblématique: pas de 'Full Metal Jacket' ou 'Apocalypse Now' sur l'Algérie.
Meryem Belkaïd, Bowdoin College de Brunswick (Maine)
On dénombre pourtant plus de 50 films de fiction tournés sur le sujet entre les années 1960 et le début 2000. À cela s'ajoute une bonne centaine de documentaires. D'où vient alors cette étrange et tenace impression de béance dans le patrimoine ? Si les films sont nombreux, aucun n'a su s'élever en un monument : « La France n'a jamais produit son grand film emblématique. Il n'y a pas d''Apocalypse Now ' ou de 'Full Metal Jacket' sur l'Algérie », constate Meryem Belkaïd. Ce n'est pas faute d'avoir tardé. Plusieurs films sur la guerre voient le jour pendant la guerre même. En 1962, Alain Cavalier tourne Le Combat dans l'île et Jacques Rozier Adieu Philippine . L'année suivante, Alain Resnais réalise Muriel, ou le temps retour et Jean-Luc Godard Le Petit Soldat. Puis Cavalier récidive en 1964 avec L'Insoumis.
Si le cinéma n'est pas silencieux, la censure se charge volontiers de le faire taire. Au couperet étatique viendra s'ajouter celui, parfois tout aussi arbitraire, de la postérité : « On cite souvent les films de Godard ou Resnais. On revoit beaucoup moins 'Avoir 20 ans dans les Aurès ' (1961) qui est un film capital, car René Vautier est un cinéaste plus oublié », déplore Meryem Belkaïd. Enfin, s'étend l'autocensure du monde du cinéma lui-même et d'un public qui ne veut pas toujours voir ces films, même s'ils existent.
En 1966, lorsque le cinéaste italien Gillo Pontecorvo présente La Bataille d'Alger à la biennale de Venise, la délégation française claque la porte du festival avant la projection. « Parmi eux, il y avait des officiels mais aussi des professionnels du cinéma », rappelle Meryem Belkaïd. Le film n'en remporte pas moins le Lion d'or. Il ne sortira en France qu'en 1971, furtivement, avant d'être retiré de l'affiche à la suite de des menaces de bombes. La Bataille d'Alger ne connaît une véritable exploitation qu'à partir de 2004.
La gégène et le chalumeau
En filmant sans détour la gégène et le chalumeau, Pontecorvo touche un point crucial dans le refoulé français. Dès 1957, le préfet Paul Teitgen présente sa démission en révélant les exactions des troupes françaises. L'année suivante, les Editions de Minuit publient La Question d'Henri Alleg, livre rapidement interdit qui continuera à circuler sous le manteau. Il est adapté au cinéma par Laurent Heynemann avec Jacques Denis, Nicole Garcia et Jean Benguigui et le film sort en 1977, assorti d'une interdiction aux moins de 18 ans. Le livre d'Alleg apparaît dans Le Petit Soldat et c'est encore autour de la torture que les ciseaux de la censure s'agitent au-dessus de Godard, tandis que le député Jean-Marie Le Pen réclame son expulsion vers la Suisse. Le Petit Soldat ne sortira qu'après la guerre, en 1963.
Dans La Trahison, la torture n'est présente que sous forme d'allusion dans un dialogue. Avec Les Harkis, Philippe Faucon attaque le sujet de front : des Français torturent des Algériens ; des Algériens torturent d'autres Algériens… et si ce n'est pas le sujet de son film, Faucon ajoute que « la torture a été pratiquée aussi par certains éléments du FLN ». Autant de scènes, puissantes et pudiques, tournées à juste distance, à tel point que la barbarie devient une évidence. « Ces séquences posent des questions de sens, précise le cinéaste. Que s'agit-il de dire ? Et comment le dire ou le montrer ? Il ne s'agit pas d'occulter ou de minimiser les violences générées par la guerre d'Algérie, elles y ont été très présentes. Mais il s'agit encore moins de faire de ces violences un spectacle, une démonstration d'effets spéciaux, quelque chose de l'ordre de l'hypnose consumériste ou de la fascination trouble. Il s'agit au contraire d'évoquer des comportements générés par le fait d'une guerre contemporaine qui fut particulièrement révélatrice de multiples parts sombres de l'humain. »
L'Algérie, en effet, ne représente en rien une exception. D'Abou Ghraib en Irak à Izioum en Ukraine, aucune armée ne trimballe pas dans la postérité le boulet de ses crimes… Or la torture aura constitué un élément particulièrement central dans la mise en récit de la guerre d'Algérie : « L'Algérie a révélé que nous pouvions nous aussi avoir des pratiques que jusque-là on associait plutôt à d'autres, à la Gestapo ou à un vieux fond de brutalité propre aux Allemands, poursuit Philippe Faucon. Ces pratiques, nous en avions nous-mêmes été les victimes peu de temps auparavant et il n'était pas imaginable que nous puissions les reproduire. » La torture révèle aussi la nature de cette filmographie : vaste et secrète ; indispensable et dérangeante. Ces films ressemblent à cette guerre. Ils sont nos miroirs. Ni flatteurs, ni sévères, leurs reflets renvoient les Français vers un épisode de leur passé, mais aussi vers une facette de leur identité.
Entre La Trahison et Les Harkis, Philippe Faucon a tourné plusieurs films contemporains. Parmi eux, La Désintégration retraçait le parcours d'un jeune français d'origine maghrébine vers le djihadisme. Dans Fatima, il suivait une femme émigrée qui peine à apprendre le français tandis que ses deux filles parlent difficilement l'arabe. Le cinéaste ne sépare pas ces travaux-là de ses reconstitutions historiques : « Des questions qui traversent des films comme 'La Trahison' ou 'La Désintégration sont, à travers les deux époques, tout à fait en miroir. Dans 'La Trahison', l'un des jeunes Algériens impliqué côté français dit qu'il veut être considéré comme un « Français total ». Une question qui est aussi à l'oeuvre dans 'La Désintégration'. »
Cependant, si les images des films restent à jamais figées, le regard que nous posons sur elles évolue : « Au moment de la sortie de 'La Trahison', la génération qui a vécu la guerre est encore présente dans les salles, se souvient Faucon. Aujourd'hui, elle l'est moins. Les générations nées après la guerre ont pris la suite, mêlées à un public plus général. Les positions très sectaires ou très rigides sont moins nombreuses. Á l'époque de « La Trahison, il y a eu quelques échanges en forme de dialogues de sourds, où on refaisait la guerre ou le film de manière complètement fermée à la parole opposée. Aujourd'hui, des blessures ou des clivages demeurent, bien évidemment, mais il me semble que quelque chose a quand même un peu évolué. Hier, un spectateur dont les parents ont été engagés dans un soutien au FLN a dit ne plus considérer l'histoire des harkis de la même façon. »
Ainsi, sans se presser, s'éloigne le XXe siècle. Dans la Méditerranée, un sillon se referme. Un jour, de cette guerre qu'on nomme enfin, ne restera que des « impressions de souvenirs ». Puis des films de cinéma qui, pour les meilleurs, témoigneront de la douleur mais aussi de la complexité d'un lointain passé.
Vues d'Algérie
Selon Meryem Belkaïd, les spectateurs Algériens abordent ces films avec la conscience qu'ils s'adressent avant tout à un public français. « C'est la France qui fait son travail de mémoire. Or les traumatismes de la société française ne sont pas ceux de la société algérienne. » Le cinéma algérien, lui, nous offre une perspective tout autre. Après La Bataille d'Alger, il va plus volontiers représenter le peuple ordinaire, notamment dans les classiques Mohammed Lakkhdar-Hamina : Le Vent des Aurès (1967) et Chronique des années de braise, sa Palme d'or de 1975.
À partir des années 2010, l'Etat encourage la production de biopics autour de grandes figures comme Zabana ! (2012) de Saïd Ould Khelifa ou Krim Belkacem (2014) d'Ahmed Rached.
Parallèlement, de façon plus discrète mais plus intéressante, un cinéma indépendant s'empare du sujet. Des documentaires comme La Chine est encore loin (2010) de Malek Bensmaïl ou Fidaï de Damien Ounouri interrogent la mémoire du pays et les témoins d'aujourd'hui. L'étonnant Loubia Hamra (2013) de Marimane Mari fait rejouer la guerre à des enfants. Autant de films qui « posent des questions plus qu'ils ne déroulent des discours ».
Par Adrien Gombeaud
Publié le 7 oct. 2022 à 6:03Mis à jour le 7 oct. 2022 à 17:02
C'est l'histoire d'une "obsession": avec "Les harkis", en salles mercredi, le réalisateur Philippe Faucon plonge dans les blessures de la guerre d'Algérie à travers les destins de ces supplétifs de l'armée française.
"Je pense qu'on peut dire que la guerre d'Algérie m'obsède", avait confié le réalisateur de "Fatima" (2015) à l'AFP lors du Festival de Cannes en mai dernier.
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, une des principales section du festival, le film avait été ovationné par le public.
Seize ans après "Trahison", son long-métrage sur la guerre d'Algérie (1954-1962) qui évoquait déjà les harkis, Philippe Faucon revient avec un film qui leur est dédié.
Le spectateur plonge à l'intérieur d'une unité de l'armée française placée sous le commandement du lieutenant Pascal (Théo Cholbi). Parmi sa dizaine de membres: Salah (Mohamed Mouffok) et Kaddour (Amine Zorgane).
Tous sont Algériens, ont quitté leur village et leur famille pour combattre aux côtés de la France. Pourtant, alors que le film avance, et que l'indépendance paraît inéluctable, l'avenir de ces hommes, lui, semble ne tenir qu'à un fil.
Non-dits, mensonges... Le film pointe frontalement la responsabilité de l'État français et du général de Gaulle dans leur "abandon criminel" en Algérie. Car, si certains ont pu être rapatriés en France, la grande majorité a été laissée à son sort, sciemment.
Considérés par le camp algérien comme des "traîtres", beaucoup ont été assassinés.
Porté par des acteurs non professionnels et par une mise en scène qui n'élude rien -- dont les scènes de torture, longtemps niées par le camp français -- le film est d'une grande sobriété.
Soixante ans après les accords d'Evian, "il y a une nécessité à rappeler cette histoire et à regarder la vérité dans les yeux", avait assuré à l'AFP le réalisateur, lui-même né en Algérie.
Mais attention, avait-il pris le soin d'ajouter: ces histoires doivent se raconter "dans leur complexité". "Si la vérité est complexe, il ne faut pas accepter qu'elle soit étouffée et, dans le cas des harkis, c'est important de la dire".
Salima Sahraoui-Bouaziz et Antoinette Simone Idjeri, deux moudjahidate, voient la situation actuelle en Algérie comme une conséquence du conflit interne au FLN, à l’été 1962, juste après l’indépendance.
Parfois, il lui arrive de se confier aux murs blancs de son salon, ces « êtres » froids et muets, qui, lorsqu’elle les touche, lui paraissent aussi réconfortants qu’un proche… C’est ainsi : la maison de Salima Sahraoui-Bouaziz, sur les hauteurs d’Alger, semble tourmentée par un passé lointain, le temps des copains, des fêtes, des discussions politiques sans fin… La solitude est devenue une camarade accommodante depuis qu’elle a perdu son compagnon d’armes, son mari, Rabah, il y a près d’une décennie. A 83 ans, cette neurologue à la retraite est restée en grande partie la jeune fille élancée et souriante qu’elle était au moment de la lutte pour l’indépendance. Ce sourire, elle le doit aujourd’hui à la révolution pacifique qui, depuis le 22 février, fait vibrer le peuple algérien.
Voir des millions de compatriotes dans les rues pour exiger la fin du « système » en clamant dans une ambiance de kermesse « libérez l’Algérie » était un songe inespéré pour elle. Ce mouvement a résonné au plus profond d’elle, et l’a soudain replongée en 1957, l’année de son engagement dans le combat contre le « système colonial ». « J’ai plein de flashs », lance la moudjahida depuis son salon, dont l’immense fenêtre domine le Maqam E’chahid, le monument dédié à ses « frères et sœurs » tombés pendant la guerre d’Algérie.
FLORENCE WOJTYCZKA
Ces morts, le pays ne les a pas oubliés. Depuis plus de trois mois, les photos des icônes de cette guerre – comme Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane ou Djamila Bouazza – sont omniprésentes dans les protestations du vendredi. Et que dire des moudjahidine, les anciens combattants, encore vivants ? Dans les manifestations, la foule les embrasse, les étreint. Les références à leur histoire se lisent aussi sur les murs de la capitale : « Les enfants du 1er novembre 1954 [début du conflit] sont de retour » ; « 1962 : territoire libéré. 2019 : peuple libéré. » « C’est ce que je pense, confie Salima Sahraoui-Bouaziz. Nous étions indépendants depuis 1962, mais nous n’avons pas eu l’impression d’être libres. Parce que la mafia a confisqué la révolution. Il y a eu cinquante-sept ans de gâchis. »
« Je voulais rejoindre le maquis »
La nuit est tombée depuis longtemps sur Alger. Dans la maison, entourée de figuiers et de citronniers, le silence est total, quelques chats font le va-et-vient du salon à la terrasse. Calée dans son fauteuil coloré, Salima Sahraoui-Bouaziz évoque le temps de l’Algérie française. Chez elle, le « traumatisme du colonialisme » ne peut se résorber. « Je n’arrive pas à m’en défaire, dit-elle, c’est une tache qui se retrouve dans tout ce que je veux entreprendre. Comme s’il y avait toujours des gens au-dessus de ma tête. » A l’entendre, les Français étaient les « étrangers » qui occupaient l’espace avec « insolence ». Le mépris des ouvriers, des chaouchs (hommes à tout faire) ou des femmes de ménage – « les fameuses fatma », insiste-t-elle – a façonné sa conscience sociale. Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata – sanglantes répressions de manifestations de nationalistes algériens (entre 15 000 et 45 000 morts) –, en 1945, l’ont également fortement marquée.
Carte de laissez-passer au nom de Malika Halim, délivrée par l’ambassade de Tunisie à Salima Sahraoui-Bouaziz, à Bonn, en République fédérale allemande. LE MONDE
Salima Sahraoui-Bouaziz a vu le jour dans une modeste famille de douze enfants, en 1936, à Blida, au sud-ouest de la capitale algérienne. Son père, devenu par obstination oukil judiciaire (juriste en droit civil), parvient à l’envoyer à l’école « payante » pour qu’elle passe son bac, celle réservée aux « indigènes » ne permettant pas d’aller jusqu’à ce niveau. « En terminale, j’avais l’arabe comme langue étrangère, se rappelle-t-elle. Je savais que c’était nécessaire à ma respiration de n’être plus colonisée. Je voulais rejoindre le maquis. »
« Nous n’avons jamais été contre la France ou les Français, mais contre un système politique colonial », rappelle Salima Sahraoui-Bouaziz
Renonçant à sa vie d’étudiante à Alger, la jeune fille se rend en métropole et entre dans la clandestinité au sein de la Fédération de France du FLN. Au gré des fausses cartes d’identité, elle deviendra ainsi Jacqueline, Julie Valla ou Renée Lopez. Son rôle ? Assister Rabah Bouaziz, responsable de l’OS (Organisation spéciale, action armée et renseignements de la Fédération de France du FLN), qui deviendra après l’indépendance le quatrième wali (préfet) d’Alger et son mari.
Saadia, un des noms de guerre de Salima Sahraoui-Bouaziz, doit taper d’innombrables rapports dans l’une des dix-sept planques parisiennes du FLN. Avec son futur époux, elle rencontre les intellectuels influents de la capitale, afin de les rallier à leur cause : l’écrivain Michel Leiris, le peintre André Masson, les frères Malle ou encore Louis Aragon… « Simone de Beauvoir m’a servi le thé, dit-elle en riant. Ils aimaient nos idées. Nous n’avons jamais été contre la France ou les Français, mais contre un système politique colonial, sinon ils ne nous auraient jamais aidés. » En juin 1961, Jean-Paul Sartre publie même des passages du livre que viennent d’écrire Rabah et Salima, sous les noms de Saadia et Lakhdar (L’Aliénation colonialiste et la résistance de la famille algérienne, La Cité, 1961), dans sa revue Les Temps modernes. Salima crée aussi la section femmes de la Fédération de France du FLN.
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Fausse carte d’identité française de Salima Sahraoui-Bouaziz au nom de Renée Lopez. Selon elle, ce document aurait été fabriqué par le faussaire Adolfo Kaminsky. LE MONDE
Sa voix calme et sereine tremblote lorsqu’elle évoque ce jour où la fédération lui a demandé d’exécuter à Paris « l’ethnologue des Aurès », Germaine Tillion, proche du général de Gaulle. « Elle accueillait dans son appartement des étudiantes algériennes et parvenait à les détourner du FLN. Je devais m’installer chez elle et la supprimer. Mais le GPRA [gouvernement provisoire de la République algérienne] à Tunis, qui négociait avec la France, avait ordonné de ne pas la toucher. Ça m’a permis de ne tuer personne », raconte encore Salima Sahraoui-Bouaziz, très troublée par cet épisode.
« On voulait frapper des symboles »
La peur, Antoinette Simone Idjeri, une autre figure féminine de la lutte d’indépendance, n’a pas eu le temps de la ressentir. A 79 ans, cette femme, qui dirige une maternité privée, a une énergie déconcertante, un débit à deux cents à l’heure et un sens du détail saisissant. Nous la retrouvons chez Salima, son amie de toujours. « On s’est connues si jeunes… dit-elle, émue. Quand je la vois, ça me rappelle comme on était belles ! » Fille unique d’un commerçant kabyle musulman et d’une mère catholique d’origine italienne, elle est née à Marseille, en 1939. Alors même qu’elle n’a jamais mis un pied en Algérie, elle s’engage à son tour dans l’OS : « C’était instinctifparce que c’était l’Algérie, le pays de mon père, parce que les Algériens étaient maltraités. »
A 19 ans à peine, la voici dans la clandestinité. Ses spécialités : le repérage de cibles potentielles, le transport d’armes, sans oublier une participation à un attentat : c’est elle qui, le 15 septembre 1958, cache une bombe dans un avertisseur d’incendie au premier étage de la préfecture des Bouches-du-Rhône. L’explosion fait « malheureusement » trois blessés. « On ne voulait aucune victime, mais frapper des symboles forts », insiste Yamina (son nom de guerre). Quelques semaines plus tard, elle est arrêtée par la police, à Paris, et subit un violent interrogatoire : électrodes, coups de poing, cheveux tirés… Elle se tait et passe près d’un an en détention provisoire, défendue notamment par l’avocat Jacques Vergès. Parvenant à quitter la France avant son procès, elle se cache en Suisse jusqu’à la fin du conflit.
Trois mois après la proclamation de l’indépendance, le 5 juillet 1962, Antoinette Simone Idjeri débarque pour la première fois en Algérie, un pays qu’elle ne quittera plus. Comme Salima, d’ailleurs. Pour elles deux, c’est le temps de la victoire. Vraiment ? En réalité, le destin du pays a déjà basculé, emportant avec lui le rêve de liberté de tout un peuple…
« On n’a rien pu faire »
A ce souvenir, les deux moudjahidate se regardent. Leurs visages se referment. « Tout ça pour ça ! », dit Salima. Elles se remémorent alors cet été 1962, alias « l’été de la discorde », où les cadres du FLN se disputent la conquête du pouvoir politique. Commence une lutte sanglante entre le gouvernement provisoire et Houari Boumediene, chef de file de « l’armée des frontières », basée au Maroc. Celui-ci contribue avec ses hommes – un groupe surnommé « le clan d’Oujda » – à propulser Ahmed Ben Bella à la présidence du pays avant de le renverser trois ans plus tard. « Et Bouteflika était le stratège de tout cela, martèle Salima Sahraoui-Bouaziz. C’était le proche collaborateur de Boumediene. » Cette révolution confisquée annonce la primauté du militaire sur le civil. « Si le pays souffre d’un aussi cruel manque de liberté depuis 1962, c’est parce qu’il est toujours entre les mains des auteurs de ce casse historique », a relaté l’écrivain Mohamed Kacimi dans une tribune au Monde le 1er mars.
« J’ai envie de pleurer quand je vois l’Algérie actuelle », s’attriste Antoinette Simone Idjeri
Après le coup d’Etat de Boumediene, en 1965, l’Algérie sombre peu à peu. Le FLN « colonise » à son tour le pays en s’appropriant ses richesses. « Une licence de taxi, un commerce ou je ne sais quoi, si vous n’étiez pas du parti FLN, vous n’étiez rien », rappelle Salima Sahraoui-Bouaziz. Son mari, préfet depuis un an, préfère quitter son poste que cautionner ce putsch militaire. Face au pouvoir autocrate, il y a bien des résistants comme Hocine Aït Ahmed (mort en 2015, un des neuf chefs historiques qui ont déclenché la guerre d’indépendance), mais ils doivent s’exiler pour éviter d’être incarcérés ou pire. « Il fallait voir comment les prisons étaient pleines après l’arrivée de Boumediene au pouvoir, argue Antoinette Simone Idjeri. On n’a rien pu faire. Même le pauvre Mohamed Boudiaf a été supprimé [alors président, il a été tué en 1992]. »
L’éducation nationale, la santé, l’agriculture, le tourisme… Plus rien ne va. Tout est aujourd’hui à rebâtir. La rente pétrolière n’a pas pu endiguer les inégalités sociales. La corruption étouffe le peuple. Le chômage pousse des centaines de gamins – les harraga – à s’enfuir par la mer à bord de radeaux de fortune pour tenter de rejoindre l’Europe. « On s’est battus pour autre chose que ça », déplore Salima Sahraoui-Bouaziz. « J’ai envie de pleurer quand je vois l’Algérie actuelle », s’attriste son amie Antoinette. Heureux les « martyrs » qui n’ont rien vu…
« Nous avions un ennemi étranger »
Cinquante-sept ans plus tard, des millions d’Algériens se sont mis à dénoncer « la mafia du clan d’Oujda » en criant, sans s’essouffler, chaque vendredi : « FLN, dégage » ; « Klitou l’bled, ya sarrakine » (« vous avez pillé le pays, bande de voleurs »). La démission, le 2 avril, de Bouteflika, a fait dire aux manifestants que l’Algérie était en train de vivre sa « deuxième indépendance ». « Je n’aurais jamais pensé que la rue demanderait la même chose que nous », soupire Salima.
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Ces moudjahidine s’identifient-ils pour autant aux millions de jeunes qui défient le pouvoir ? « Non, je ne me reconnais pas en eux, répond l’ancienne neurologue sans la moindre hésitation. Je les trouve mieux que nous ! A mon époque, nous avions un ennemi étranger, ce qui facilite l’engagement dans la révolution. Ces jeunes ont pris conscience que ce sont leurs frères qui les exploitent, ils ont donc davantage de mérite. Surtout quand le pouvoir a cultivé ce sentiment patriotique. » De fait, la jeunesse de 2019 a bien conscience que le « système », en se revendiquant comme l’éternel gardien de la révolution, a puisé sa légitimité dans la guerre d’indépendance afin de maintenir son emprise.
Depuis le 22 février, l’homme fort du pays, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, 79 ans, ne cesse d’ailleurs, dans ses discours, de se référer aux « martyrs » pour s’adresser au peuple. « Heureux les martyrs qui n’ont rien vu », lui répondent les manifestants. Ce qu’ils désirent ? La liberté et l’indépendance, comme en 1962.
Par Ali Ezhar (Alger, correspondance)
Publié le 08 juin 2019 à 08h01 Mis à jour le 13 juin 2019 à 11h56https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/08/la-revolution-algerienne-vue-par-deux-combattantes-de-l-independance_5473473_3210.html..
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