Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 11:26 | Last update:5 hours 29 secs ago
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Le drame a choqué toute l’Algérie. Le 26 septembre, en Kabylie, Ryma Anane, 28 ans, enseignante de français, a été attaquée par son voisin alors qu’elle s’apprêtait à prendre le bus pour aller à son travail. Il l’a aspergée d’essence et brûlée vive à l’aide d’un briquet.
La nouvelle s’est répandue très vite sur les réseaux sociaux. Selon des sources locales, l’agresseur a fini par se rendre à la police quelques heures après l’attaque. D’après ses aveux, il aurait agi ainsi parce que la jeune femme avait refusé de se marier avec lui et choisi un autre futur époux.
« Son dos et son cou en flammes, Ryma s’empresse d’aller chercher de l’aide. Arrivée chez elle, elle s’effondre, et bredouille quelques mots : ‘’Il a brûlé mon avenir !’’ », rapporte le site d’information TSA.
Après son transfert à l’hôpital de Tizi Ouzou (Kabylie), les médecins ont jugé que son état nécessitait une prise en charge rapide à l’étranger au regard de la gravité des brûlures (60 % de son corps).
Rapidement, la solidarité s’est organisée à travers les réseaux sociaux et une cagnotte a été lancée pour payer les frais d’un transfert en Europe.
« La famille s’est d’abord tournée vers l’hôpital Saint-Louis à Paris, connu pour son expertise des grands brûlés. D’après le devis consulté par France 24, l’hôpital demandait plus de 316 000 euros pour 70 jours d’hospitalisation en réanimation », relate France 24.
Mais l’établissement n’a pas accepté l’échelonnement de la facture. « Qui peut faire ça ? Cela a retardé la prise en charge de Ryma à l’étranger. Et pendant ces quelques jours, elle aurait pu y passer », témoigne toujours sur France 24 un ami de la victime.
Faute d’avoir pu obtenir un visa pour la France, l’entourage de Ryma s’est tourné vers l’Espagne, qui a accepté de lui en délivrer un. Et grâce à une société d’assistance médicale, ADM international, la famille a pu trouver un hôpital à Madrid qui proposait un devis moins onéreux, avec par ailleurs la possibilité de payer par tranches.
Ryma a donc été transférée en Espagne par avion médicalisé grâce aux efforts de ses proches et des nombreux donateurs en Algérie et à l’étranger. Selon les dernières informations, son état se serait stabilisé.
La cellule de veille indépendante Féminicides Algérie relève qu’une jeune femme, mère de quatre enfants, a été assassinée, brûlée vive, par son époux le 16 avril 2022. Depuis le début de l’année, 32 cas de féminicides ont été recensés par les militantes.
Par
MEE
Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 11:26 | Last update:5 hours 29 secs ago
Che Guevara en Algérie, marche auprès du président algérien Ben Bella 1963
Le commandant Che Guevara ou Le Che, de son vrai nom Ernesto Rafael Guevara de la Serna, avait effectué plusieurs visites officielles en Algérie. Sa première visite date du 4 juillet 1963 dans la ville d'Alger. Il était ministre de l’Industrie à Cuba lors de sa deuxième visite dans la capitale de l'Algérie: visite qu'il avait effectuée dans le but de participer au séminaire économique de solidarité afro-asiatique, entre le 22 et 27 février 1965.
L’île de Cuba a vu la naissance du Mouvement du 26-Juillet, dirigé par Fidel Castro, puis son triomphe face au dictateur Ruben Fulgencio Batista, en janvier 1959. Ce mouvement victorieux s'est fixé alors un objectif plus large: poursuivre sa lutte sur le front anti-impérialiste. Le Che se livre à de nouvelles batailles, celles de passer d’une économie capitaliste agraire à une économie socialiste industrielle à Cuba. Il est reconnu comme leader pour son engagement contre la politique étrangère des Etats-Unis dans le monde.
Perçu comme un pays important pour les mouvements de libération nationale, l'Algerie, et notamment sa capitale, Alger, est la seule d'un pays africain à avoir acquis l’indépendance grâce à une grande lutte armée et diplomatique, en dépit d’une colonisation de peuplement. Ce qui ne fut pas le cas en Tunisie et au Maroc. La guerre de libération de l'Algérie est une référence majeure en Afrique. Elle a forgé la conscience nationale en Algérie. Elle a même porté le combat pour l’indépendance en métropole française.
En France, la guerre de libération de l'Algérie constitua aussi un des facteurs de crise de la IVe République. L'administration coloniale fut contrainte de négocier la paix et l’autodétermination algérienne, jusqu’à la signature des Accords d’Evian, le 18 mars 1962.
Che Guevara souhaitait une solidarité internationale
Le 24 février 1965 à Alger, Che Guevara prononce un discours mémorable, durant lequel il insiste sur la nécessité du soutien des Etats socialistes au développement de tous les pays du Tiers-Monde, comme on les appelait autrefois. En conclusion de son discours devant les participants au séminaire, Le Che salue ce combat: "Peu de scènes sont aussi symboliques qu’Alger, l’une des capitales de la libertéles plushéroïques, pour une telle déclaration. Que l’admirable peuple algérien, trempé comme peu de peuples l’ont été dans les souffrances de l’indépendance, sous la direction de son parti, nous inspire dans cette lutte sans quartiers contre l’impérialisme yankee".
En porte-parole latino-américain, il a réitéré la nécessité de la lutte commune contre les impérialismes. Il apporte son soutien à la proposition algérienne d’institutionnaliser les rapports entre les pays socialistes et ceux en voie de développement. Cette alliance doit notamment, selon Le Che, "veiller au caractère révolutionnaire de l’union, en y interdisant l’accès aux gouvernements et aux mouvements qui ne s’identifient pas aux peuples et en créant des mécanismes qui permettent de se séparer de quiconque s’écarte de la route juste, qu’il soit gouvernement ou mouvement populaire". La nature internationale est ainsi affirmée: "Il n’est pas de frontières dans cette lutte à mort ".
Par ailleurs, Le Che dénonçait la coexistence pacifique, celle prônée par l’Union soviétique, mais sans la nommer. Et il proclame: "Les pays socialistes ont le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l’Ouest" .
Ernesto CHE GUEVARA - Le discours d’Alger
Publication ci-dessous d’extraits du discours prononcé par le Che au cours du Séminaire économique de solidarité afroasiatique, les 22 et 27 février 1965 à Alger.
"Chers frères, Cuba participe à cette Conférence, d’abord pour faire entendre à elle seule la voix des peuples d’Amérique, mais aussi en sa qualité de pays sous-développé qui, en même temps, construit le socialisme.
Ce n’est pas un hasard s’il est permis à notre représentation d’émettre son opinion parmi les peuples d’Asie et d’Afrique. Une aspiration commune nous unit dans notre marche vers l’avenir: la défaite de l’impérialisme. Un passé commun de lutte contre le même ennemi nous a unis tout au long du chemin. (...)".
Depuis le printemps dernier, l’icône du cinéma français est accusée de violences sexuelles et sexistes sur plusieurs femmes. Toutes rejoignent ainsi la parole de Charlotte Arnould, une comédienne qui a porté plainte pour viols contre Gérard Depardieu en 2018.
Par Manon Bernard
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Dans les témoignages qui s’enchaînent, l’acteur français de 74 ans a désormais tous les traits d’un prédateur sexuel. Autrefois incontournable au cinéma, Gérard Depardieu est accusé par au moins seize femmes d’agressions sexuelles ou viols. Toutes décrivent le rire graveleux, les regards insistants et les propos sexuels vulgaires de l’acteur.
Vendredi, une nouvellevictime présuméetémoignait sur France-Inter. Il y a une dizaine d’années, la jeune femme, alors âgée de 30 ans, se fait embaucher sur un tournage comme technicienne. Elle raconte avoir été prise pour cible par Gérard Depardieu. « Il faisait rire le plateau en me prenant à partie. Il a commencé à dire : “Je vais t’emmener manger, je vais t’enivrer, on va passer une bonne soirée”, toujours avec des grognements. Il me mettait au centre de l’attention pendant que j’étais en train de travailler. J’ai compris que j’étais dans sa ligne de mire », se souvient-elle.
Une semaine plus tard, alors qu’elle règle une caméra, Gérard Depardieu profite de l’occasion. « J’ai senti sa grande main, sa grosse main dans mon entrejambe, me choper l’entrejambe avec volonté, en laissant échapper un gros rire graveleux », raconte-t-elle.
« Officiellement, je ne suis plus seule ! »
Autre décor, autre tournage : le 10 juillet dernier, une autre jeune femme accusait l’acteur, toujours sur la radio publique. « Il a baissé son pantalon et il m’a bloquée contre le mur », avait-elle raconté. En avril dernier, le site d’investigation « Médiapart » dévoilait 13 témoignages de femmes« affirmant avoir subi des gestes ou des propos sexuels inappropriés ». Comédiennes, maquilleuses ou encore techniciennes, elles décrivent toutes les propos déplacés, les « mains dans leur culotte, à leur entrejambe, à leurs fesses ou bien sur leur poitrine », écrit le site d’investigations.
« Officiellement, je ne suis plus seule ! » : ces mots sont ceux de Charlotte Arnould, comédienne, la première dénoncer les agissements de Gérard Depardieu. « C’est triste d’en arriver là, mais ça donne aussi du poids à mon histoire et à mon dossier », réagissait-elle le 26 avril dernier dans « Elle » après la publication de l’article de Mediapart. « Parmi celles qui ont parlé à Mediapart, il y en a pour qui les faits ne sont pas prescrits. J’espère que certaines seront prêtes à porter plainte », avait-elle ajouté.
En 2018, Charlotte Arnould a 22 ans, et elle rêve de devenir comédienne. Elle demande conseil à Gérard Depardieu, un ami de ses parents, hôteliers. L’acteur l’invite chez lui à Paris, dans son hôtel particulier. La jeune femme s’y rend à deux reprises. Elle affirme y avoir été violée les deux fois. De son côté, Gérard Depardieu n’a pas nié avoir eu des relations sexuelles avec elle. Selon « le Monde », l’acteur assure que Charlotte Arnould « n’a pas opposé de résistance ». Il dit avoir vu dans son regard « un mélange d’étonnement et de complicité ». Une précision qui pourrait avoir son importance pour la justice, puisque la « surprise » fait partie des éléments constitutifs de la définition juridique du viol.
Une plainte pour viols
Pour Khadija Azougach, avocate spécialisée dans les affaires de violences sexistes et sexuelles, les mots de l’acteur révèlent qu’il a lui même estimé que Charlotte Arnould était consentante. « A aucun moment le fait qu’elle soit tétanisée et en état de choc ne l’inquiète, voire ne le questionne », s’indigne-t-elle, estimant que la notion de consentement doit être inscrite dans la loi.
A la fin de l’été 2018, Charlotte Arnould dépose plainte pour viols. Sa plainte est classée sans suite. Mais la jeune femme dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile, ce qui déclenche la nomination, obligatoire, d’un juge d’instruction. En décembre 2020, Gérard Depardieu est mis en examen pour viols et agressions sexuelles. « L’information judiciaire relative aux faits dénoncés par Charlotte Arnould se poursuit », confirme le parquet de Paris à « l’Obs ». Une commission rogatoire et des auditions sont en cours, précise-t-on.
Dans ces multiples témoignages, Khadija Azougach, avocate spécialiste des violences sexistes et sexuelles, voit un mécanisme bien rodé qu’elle compare aux accusations visant le journaliste Patrick Poivre d’Arvor. « Dans ces milieux, le journalisme comme le cinéma, ces hommes usent de leur pouvoir et abusent de leur position. Ils considèrent leurs victimes comme des proies. Par ailleurs, ils pensent que les victimes ont besoin d’eux pour avancer, que c’est du donnant-donnant », détaille-t-elle.
« Le procureur de la République devrait s’en emparer »
Dans un des articles du « Monde » consacrés à l’acteur, Sophie Marceau raconte le tournage du film « Police », de Maurice Pialat, dans lequel elle joue aux côtés de Gérard Depardieu. A cette époque, « le réalisateur et l’acteur principal peuvent se permettre, sans que personne ne dise rien dans ce monde ultra-hiérarchisé du cinéma, des comportements considérés ailleurs comme inadmissibles », rapporte-t-elle.
Selon le parquet de Paris, aucune autre plainte n’a été déposée et enregistrée contre Gérard Depardieu à ce jour. « Toutefois, les témoignages ont été portés à la connaissance du magistrat instructeur », ajoute-t-on.
« Le procureur de la République devrait s’en emparer et essayer d’engager des poursuites. L’article 40 du Code de procédure pénal dit qu’il peut apprécier la suite à donner à de simples dénonciations. Malheureusement, on a l’impression qu’il se réfugie derrière la plainte de Charlotte Arnould qui s’est constituée partie civile », juge Khadija Azougach.
Contactés par « l’Obs », les avocats de Gérard Depardieu n’ont pas répondu. En avril, ils avaient assuré à Mediapart que l’acteur démentait « formellement l’ensemble des accusations susceptibles de relever de la loi pénale ».
Malgré sa supériorité militaire, la France coloniale de Napoléon III eut bien du mal à venir à bout de la résistance kabyle, menée en Algérie par Lalla Fatma N’Soumer, en 1854.
J’ai lu avec le plus vif intérêt et avec satisfaction le rapport que vous m’avez adressé sur votre dernière expédition en Kabylie. Je n’étais pas sans inquiétude, je vous l’avouerai, et vous devez le comprendre, mais le récit des glorieux faits d’armes de nos troupes et les avantages qui en résulteront m’ont redonné pleine confiance… »
Ainsi s’adresse l’empereur Napoléon III au gouverneur général Jacques Randon, dans une lettre datée du 2 août 1854. Il le nommera ensuite grand-croix de la Légion d’honneur, à l’issue de l’expédition du Haut Sebaou.
« Des adversaires dignes de nous »
Si Napoléon III avoue son inquiétude en même temps que son soulagement, c’est parce qu’il était prévu que la « soumission » des tribus kabyles serait obtenue en seulement quinze jours. Or, les combats se sont étalés du 29 mai au 5 juillet 1854, ce qui fait dire à Randon, dans ses Mémoires : « Ces succès avaient été chèrement achetés ; nous avions eu, dans ces divers combats, environ neuf cents officiers et soldats tués ou blessés. Si l’on rapproche ces pertes de l’effectif général dans les deux divisions, on reconnaîtra que, dans les luttes contre les Kabyles, nos soldats avaient trouvé des adversaires dignes d’eux. »
L’expédition obéit à une logique coloniale expansionniste, qui prévaut depuis le début de la conquête de l’Algérie, en 1830. Elle survient dans des circonstances particulières, la guerre de Crimée mobilisant les troupes françaises. Comme le relève Randon, « c’était la première fois que les tirailleurs allaient quitter le sol d’Algérie, laissant derrière eux leurs femmes et leurs enfants ».
Avec moins de militaires sur le sol algérien naît une crainte : « Les mesures qui avaient été prises pour prévenir tout principe d’agitation dans le pays arabe n’avaient d’action que sur les tribus dont la soumission était effective. Or les tribus kabyles du Haut Sebaou n’étaient pas dans ce cas ».
Chérif Boubaghla
Les inquiétudes françaises se concentrent autour de la personne du chérif Boubaghla. Depuis 1849, ce dernier prêche la guerre sainte contre l’envahisseur. Dans la guerre de Crimée, la France s’est engagée aux côtés de l’empire ottoman contre l’empire russe, mais le chérif l’accuse de vouloir renverser le sultan. Son discours convainc un auditoire grandissant. Les 300 cavaliers et les centaines de fantassins placés sous les ordres du bachagha (titre donné à des dignitaires de l’administration coloniale) Belkacem Oukaci entre Bougie (Béjaïa) et Dellys ne suffisent pas à maintenir l’ordre.
La crainte d’un embrasement qui gagnerait toute l’Algérie pousse Randon à envoyer en renfort le capitaine Charles Wolff, chef du bureau arabe d’Alger. Le 7 avril 1854, 50 spahis, 300 cavaliers et 2 500 fantassins kabyles attaquent Azazga, où se trouve le chérif Boubaghla. Malgré la supériorité numérique française, l’assaut dure jusqu’au 3 mai. Boubaghla, gravement blessé à la tête, se place sous la protection de deux puissantes tribus, les Aït Djennad et les Aït Idjer.
La percée de Mac Mahon
Débute alors, à la fin de mai, la bataille du Haut Sebaou, dont le nom vient du fleuve Sebaou, long de 97 kilomètres, qui part de l’actuelle wilaya de Tizi-Ouzou et débouche sur la Méditerranée. Les forces militaires françaises sont démultipliées. Deux divisions sont engagées : l’une, menée par le général Patrice de Mac Mahon, futur président de la République française, forte de 5 167 hommes ; l’autre, sous les ordres du général Jacques Camou, compte 6 570 hommes.
La division Camou progresse dans des villages vidés de leurs habitants. Toutes les défenses des Aït Djennad sont concentrées sur la crête de la montagne, au village d’Aghribs, fortifié à la fois par les résistants, qui ont dressé des murs en pierre sèche, et par la nature, les épaisses haies et les chemins boisés faisant barrage. Mais, face à une division plus nombreuse et mieux armée, les 3 000 combattants kabyles ne suffiront pas. De son côté, Mac Mahon marque des points sur les Aït Hocein, et, la victoire acquise, des incendies de villages se succèdent afin d’obtenir la reddition des résistants et des familles alliées. C’est chose faite le 6 juin.
Montagnes du Djurdjura
La deuxième partie de la conquête vise les autres protecteurs du chérif Boubaghla, le clan Aït Idjer. Contre toute attente, et plutôt que de marcher en direction de la tribu, le général Randon décide que ses troupes bifurqueront à l’opposé, vers les montagnes du Djurdjura. Vierge de toute présence coloniale, le territoire et son peuple impressionnent l’officier français : « C’est la première fois que l’on découvrait ainsi le cœur de la Kabylie, et l’on ne pouvait se défendre d’une pensée de recueillement en songeant aux difficultés considérables qu’offrait la conquête de cette contrée, aussi bien défendue par la nature que par le courage de ses habitants. »
L’effet de surprise fonctionne, et, le 16 juin, à Aït Hichem, l’armée française peut faire tonner 21 coups de canon pour célébrer, avec quelques jours d’avance, le 24e anniversaire de la prise d’Alger.
Les manifestations de joie de l’occupant sont prématurées. Le lendemain, plusieurs tribus kabyles, neutres jusque-là, s’allient pour encercler le village. Une série de combats commence, et une figure de la résistance émerge : Lalla Fatma N’Soumer (« Lalla » est une marque de respect due à son rang, « Soumer » est le nom du village d’où sa famille est originaire).
Avec son frère, Sidi Tahar, la jeune femme de la tribu des Aït Itsouragh recrute les Imseblen, des volontaires dont le devoir est de combattre jusqu’à la mort. La maraboute, âgée de 24 ans, a déjà montré sa force de caractère quatre ans plus tôt en refusant un mariage arrangé, ce qui lui a valu le surnom de Fatma N’Ouerdja.
Elle a suivi un enseignement normalement réservé aux hommes avec l’assentiment de son père, chef d’une école coranique. Sa piété se manifeste lors des méditations, et son éducation lui a ouvert la porte des cercles politiques kabyles, largement masculins. Dès 1849, elle s’est engagée dans la résistance aux côtés de son frère et, en 1854, s’est ralliée au chérif Boubaghla.
Coups d’éclat
À l’issue de combats acharnés, la bataille du Haut Sebaou se conclut par la soumission des Aït Idjer. L’ « Alésia kabyle », comme la surnomment certains, n’est que le début d’une guerre qui reprend presque aussitôt. Le chérif Boubaghla mourra à la fin de décembre 1854.
Devenue cheffe de la résistance, Lalla Fatma N’Soumer se bat sans relâche pendant trois ans. Des coups d’éclat qui ne peuvent contenir indéfiniment l’armée française, numériquement supérieure. La jeune femme est arrêtée le 11 juillet 1857. Son aura est telle que, le 27 juillet 1854, le Journal des débats politiques et littéraires la décrit comme « une espèce d’idole chinoise » et note que, « du moment où elle fut entre [les] mains [des Français], toute résistance cessa, et [leur] succès fut assuré ».
La Jeanne d’Arc kabyle
Emprisonnée puis placée en surveillance surveillée à Tablat, Lalla Fatma N’Soumer y décédera en 1863. Dans la culture populaire, ses faits d’armes l’inscrivent dans la lignée de la Kahina. Sa tombe devient un lieu de pèlerinage régional. Contes, poèmes et chants alimentent sa légende. Entre mythe et réalité, ceux-ci célèbrent celle que l’historien et islamologue français Louis Massignon surnommera « la Jeanne d’Arc du Djurdjura ». Dans Poésies populaires de Kabylie (1867), le général Adolphe Hanoteau cite entre autres celui-ci :
« Voici le chrétien qui franchit le col,
Avec son infanterie et ses goums,
Il nous a vaincus par la ruse,
Il nous a vaincus par ses munitions nombreuses
Et Fatma de Soumeur est sa prisonnière.
Ô mes yeux, pleurez des larmes de sang ! »
La reconnaissance de l’État algérien viendra bien plus tard. La dépouille de Lalla Fatma N’Soumer sera transportée, en 1995, au Carré des martyrs, au cimetière d’El-Alia, à Alger. Le peuple, lui, ne l’a jamais oubliée. Quand il s’est soulevé, lors du Hirak, son nom a été scandé par des manifestantes pour invoquer l’esprit, toujours vivace, de la moudjahida.
Marché de l’informel, biens immobiliers de l’Etat à l’étranger, bâtiments abandonnés en Algérie… Comment renflouer le Trésor public ?
Par la captation, déjà, de l’argent de l’informel :
Plus de 5000 milliards de dinars circuleraient actuellement en Algérie hors secteur bancaire, soit plus de 50% des encours des crédits accordés à l’ensemble de l’économie nationale, avait annoncé, le gouverneur par intérim de la Banque d’Algérie.
Cette somme (5000 milliards de dinars, plus de 50 milliards de dollars) représente aussi plus de 30% de la masse monétaire totale du pays. Cela veut dire que la politique de l’épargne est déficiente.
Selon lui, il ne s’agit pas seulement de reprocher aux banques d’être inefficaces et de ne pas être capables de collecter cette épargne. Il faut entamer des études sérieuses pour mettre le doigt sur les vrais motifs qui font que cette épargne n’atterrit pas dans le cercle bancaire.
Est-ce que les banques n’ont pas offert des produits attractifs, ou y a-t-il d’autres raisons ? Ce sont ces questions-là qui doivent être posées et étudiées, a estimé le gouverneur par intérim de la Banque d’Algérie.
Mais ce responsable qui s’interroge ainsi, ne sait-il pas que c’est l’argent de l’économie informelle, dont toutes les démarches pour le récupérer dans les circuits légaux se sont avérées infructueuses
Par le passé, le gouvernement avait préconisé de récupérer la masse monétaire hors circuit bancaire en instituant une taxe de 7% contre amnistie au profit des déposants.
Les résultats n’étant pas fructueux, d’autres solutions ont été imaginées pour capter l’argent de l’informel en développant la finance islamique et en lançant l’emprunt obligataire
A croire les experts financiers, d’autres niches financières peuvent être ciblées
Il s’agit de tous les biens à l’étranger dont l’exploitation ne profitait ni à la diaspora algérienne ni au Trésor public ; ils étaient parfois même laissés à l’abandon !
Selon ce qui avait été rapporté par le quotidien d’El Watan, il s’agirait de résidences luxueuses, de châteaux, de bâtiments, d’hôtels, de commerces, d’exploitations agricoles, acquis par le FLN, sous des noms d’emprunt et de particuliers, pour le compte de la Révolution mais aussi d’actions dans des sociétés financières et commerciales, dont la gestion s’avère aussi problématique que coûteuse.
Ce patrimoine ne se trouve pas uniquement en France, mais également en Suisse, en Tunisie, en Arabie Saoudite et même en Libye et au Mali, pour ne citer que ces pays.
D’autres biens ont été acquis en Allemagne, mais surtout en Suisse, qui était la base arrière du FLN pendant la Guerre de Libération, et le lieu de dépôt de son trésor.
Le patrimoine de l’Algérie en France serait bien plus important qu’on peut le croire, d’autant plus qu’il n’est pas totalement répertorié. Mais indéniablement, les plus importants biens de l’Etat se trouvent sur le territoire français.
Un patrimoine assez important dont l’exploitation ne profite malheureusement pas au Trésor public. Selon des sources diplomatiques, «bon nombre de ces noms d’emprunt ont disparu. Ce qui a été récupéré reste néanmoins important, mais ne génère pas de revenus à la hauteur de sa valeur ».
Durant son deuxième mandat, Bouteflika, après avoir été saisi sur les convoitises de certains dignitaires qui voulaient mettre la main sur des résidences de maître à Paris, a chargé l’IGF (Inspection générale des finances) de mener une enquête sur les biens de l’Etat à l’étranger, surtout en France, qui aurait révélé des « pratiques illégales qui auraient permis à des pontes du système d’accaparer certaines résidences d’Etat, hôtels et appartements ». Bien évidemment, le rapport de l’IGF n’a pas été divulgué !
En 2009, une luxueuse résidence de 35 000 mètres carrées a été achetée par l’Algérie à Genève pour plus de 27 millions d’euros (30 millions de francs suisses). Considérée à l’époque comme l’une des plus grosses ventes immobilières à Genève, cette acquisition a suscité de nombreuses interrogations et alimenté le débat sur la nécessité de se «débarrasser» de ces nombreux biens budgétivores que l’Algérie détient à l’étranger.
Aujourd’hui, certains n’hésitent pas à relancer le débat sur «la nécessité» de recourir à la vente de ces biens ; même si les avis divergent sur cette question, il n’en demeure pas moins que l’Algérie possède un énorme patrimoine qui aurait pu constituer un important revenu pour le Trésor public s’il n’avait pas fait l’objet de prédation et de mauvaise gestion.
Bien évidemment, des voix vont s’élever contre cette initiative et crier à l’hérésie. De quel droit l’Etat va-t-il vendre des biens communs, des bijoux de famille oseront dire certains ? Pourtant, beaucoup de pays et non des moindres y recourent pour renflouer leurs caisses :
L’Espagne à titre d’exemple, qui a procédé à la vente de quelque 15.135 biens publics et ce n’était pas la première fois !
la France qui, chaque année, cède une partie de son patrimoine public mais aussi militaire, ce qui lui permet d’engranger outre des bénéfices plus que substantiels, d’adapter son parc immobilier aux besoins (restructurations militaires, nouvelles carte sanitaire et judiciaire etc). A titre indicatif, les cessions ont permis de rapporter près de 574M € à l’Etat ; un chiffre globalement stable depuis 10 ans.
Et il n’y a pas que les biens à l’étranger !
L’Etat, les collectivités locales et les organismes divers dépendant des administrations centrales possèdent un patrimoine qui, en l’état, grève lourdement le budget parce qu’en partie, il est constitué d’actifs dormants « improductifs » et pour la plupart abandonnés par négligence et laxisme des responsables et/ou suite à un changement de leur destination initiale.
Il s’agit, par exemple, d’écoles désaffectées, de services de santé abandonnés, de marchés inopérants et inaccessibles (dans la seule commune de Douéra, il a été recensé 5 infrastructures de ce type), de locaux destinés à l’emploi des jeunes en état de ruine avancée, de gares routières boudées par des usagers et les transporteurs, d’anciens sièges de la garde communale réalisés sur PCD et délaissés suite au redéploiement de ce corps… Et tant d’autres biens de valeur qui grèvent lourdement le budget de l’Etat et qui pourraient être identifiés après enquête. Bref, toute une « niche financière » qui ne demande qu’à être transformée en recettes bénéfiques en ces temps de crise !
L’évaluation de tous ces biens patrimoniaux n’est pas, à notre sens, problématique. Les walis, les ministères et les organismes concernés, accompagnés par les services domaniaux compétents, s’ils venaient à être instruits, pourraient :
Dans un premier temps, en établir la « cartographie » et le « recensement». Ensuite, définir la propriété, en s’appuyant, impérativement, sur un critère absolu, l’« inutilité » des immeubles concernés. Enfin et avec la remontée des informations et leur consolidation, l’on aura, déjà :
un aperçu sur leur « estimation quantitative et qualitative» en termes de valeur vénale et leur superficie.
une idée de ce que tout ce «trésor dormant» peut rapporter, éventuellement, à l’Etat s’il venait à être aliéné et cédé
les montants ainsi collectés qui seront injectés pour réduire le déficit public.
une partie des recettes qui sera prélevée pour réhabiliter des bâtiments publics, en acheter ou en construire d’autres.
le niveau des « économies » qui seront réalisées :
en termes d’entretien, d’énergies
et même de postes de travail, sachant que les gardiens desdits biens, par exemple, pourraient être redéployés voire même imposés aux « repreneurs » par des clauses particulières.
A défaut, tous ces biens patrimoniaux, continueront à se dégrader inexorablement, tout en grevant lourdement le budget de l’Etat.
En somme, des « biens habous» qui ne disent pas leur nom. Est-ce bien raisonnable en ces temps de crise ?
A ceux, enfin, qui viendraient à critiquer « la vente d’une partie du patrimoine immobilier de l’Etat » on les renvoie à l’exemple d’une entreprise qui se trouve en difficulté profonde et qui n’a d’autre choix que de réaliser certains de ses actifs, notamment immobiliers, afin de préserver son cœur de métier et poursuivre son redressement.
N’est-il pas préférable pour elle d’alléger ses charges en matière de gardiennage, d’entretien, d’énergies, d’assurances et dans la foulée, bénéficier d’argent frais pour sa relance ? Cela relève du bon sens !
Pour conclure, rappelons cette instruction d’«interdiction d’exportation de tout produit stratégique» édictée par le président de la République lors d’un discours à la Nation, qui résonne comme une volonté ferme d’aller vers le « patriotisme économique ».
En clair, et c’est un des enseignements à tirer de la pandémie du corona virus, l’Algérie ne doit compter que sur ses potentialités !
Tout le monde l’aura compris : «le pays exige des expérimentations audacieuses et soutenues. Le bon sens est de choisir une méthode et de l’essayer. Si elle échoue, admettez-le franchement et essayez autre chose. Mais surtout, essayez quelque chose !». Citation formulée il y a plus de 80 ans par l’ancien président américain Franklin Roosevelt. A méditer !
Tombeaux perdus (1/5). Qu’est-il advenu du corps de celle qui fut l’une des femmes les plus célèbres de l’histoire ? Les circonstances exactes de sa mort et l’emplacement de sa dernière demeure font encore l’objet de fantasmes… et de recherches archéologiques sous terre et sous les eaux.
Cléopâtre testant des poisons sur des condamnés, une image issue de la propagande des vainqueurs romains ? (peinture d’Alexandre Cabanel en 1887) (WIKIMEDIA COMMONS)
« Nulle tombe sur la terre n’aura enveloppé un couple aussi fameux. » Qui d’autre que Shakespeare – traduit ici par le fils Hugo, François-Victor – pouvait aussi bien qualifier l’importance d’un monument aujourd’hui perdu ? La sépulture de Cléopâtre, qui est probablement aussi celle de Marc Antoine, est aujourd’hui perdue dans les limbes d’un passé lointain. Mais si plus de deux millénaires se sont écoulés depuis que le poison a emporté celle qui a conquis à la fois César et Antoine, elle reste probablement l’une des femmes les plus célèbres de l’histoire. Caricaturée, adulée, incarnée par des actrices de renom, elle est devenue un symbole de beauté, certes, mais aussi de puissance et d’intelligence : on connaît son habileté de souveraine, de diplomate et de générale d’armée, et aussi le fait qu’elle parlait 9 langues et était versée dans les sciences, la littérature et la philosophie de son époque.
Cléopâtre, septième du nom, héritière de la dynastie grecque des Ptolémée et dernière souveraine de plein droit de l’Egypte antique, serait morte dans son tombeau, respecté de son vainqueur Octave, le futur Auguste et premier empereur de Rome. Un monument funéraire que des archéologues recherchent encore aujourd’hui et, pour certains d’entre eux, la piste serait encore chaude, comme en témoignent des fouilles menées dans la région d’Alexandrie.
Le poison de la dernière reine d’Egypte
Les circonstances même de son trépas sont devenues plus proches de la légende que de la réalité historique démontrée. On évoque des essais de poisons sur des esclaves dans une dramatisation qui pourrait être un exemple antique de propagande. Les historiens d’antan qui le relatent ne sont pour la plupart pas contemporains des faits, à l’exception notable de Strabon. Rappelons le contexte : Marc Antoine et Octave, alliés contre les assassins de Jules César, et unis par le mariage de Marc Antoine avec la sœur d’Octave, sont devenus rivaux. Dirigeant l’est de ce qui allait devenir l’Empire romain, Marc Antoine était avant tout l’allié de Cléopâtre qui, à travers lui, défendait l’indépendance de son royaume plusieurs fois millénaire face aux ambitions territoriales de Rome. La bataille navale d’Actium, en -31, voit la victoire de la flotte d’Octave. Antoine, croyant Cléopâtre morte, se jette sur son épée, mais la blessure n’est pas immédiatement fatale et il poussera son dernier soupir au côté de la reine d’Egypte qu’Octave espérait pouvoir exhiber lors de sa cérémonie de triomphe à Rome… Ce dernier point est cependant encore débattu, certains spécialistes pensant qu’au contraire, il craignait qu’un tel traitement n’émeuve le peuple romain et ne nuise à son image.
Polémique sur la série Netflix sur Cléopâtre : « On plaque un questionnement anachronique sur l’époque antique »
Cléopâtre ne lui laissa pas ce choix et, dit-on, s’empoisonna, le 12 août de l’an 30 avant notre ère. Dans des circonstances que le récit de son médecin personnel n’éclaire pas, du moins pas selon les témoignages qui nous sont parvenus. Et les auteurs antiques ne s’accordent pas sur la manière. L’épisode du panier de figues dans lequel était dissimulé l’aspic au venin foudroyant a été rendu célèbre par Shakespeare, mais figure aussi dans des récits d’auteurs antiques. Plutarque, près d’un siècle après les faits, évoque deux petites piqûres sur son bras, ce qui conforterait la thèse du venin de serpent, également propagée par Octavien qui la décrit ainsi lors de sa procession triomphale, de retour à Rome.
Les poètes Virgile et Horace vont même jusqu’à parler de deux de ces aspics mortels. « Des serpents et des figues, l’image a pu être calculée délibérément, du fait de leurs connotations sexuelles et le désir de représenter Cléopâtre comme une séductrice étrangère », analyse-t-on à l’université de Chicago (Etats-Unis). Strabon, par exemple, évoque un trépas « soit en se faisant piquer par un aspic, soit en usant d’un de ces poisons subtils qui tuent par le seul contact (car l’une et l’autre tradition ont cours). » Poison, aspic ou même cobra selon certains, le doute demeure.
Le hic, c’est que la plupart des récits ont été écrits des décennies plus tard, sans que l’on sache s’ils faisaient vraiment appel à des sources fiables ou s’ils reproduisaient une histoire officielle bien enracinée par Auguste et ses successeurs.
Pour Plutarque, né soixante-seize ans après les faits, la reine demanda à son médecin Olympus de l’aider à mettre fin à ses jours après le trépas d’Antoine. Octavien l’en dissuada en menaçant ses enfants. Ce qui ne fonctionna qu’un temps, puisqu’elle finit donc par se donner la mort. Les Romains la trouvèrent, raconte l’historien, « sans vie, couchée sur un lit d’or, et vêtue de ses habits royaux ». Plutarque défend lui aussi la thèse de l’aspic, mais envisage également l’emploi d’une épingle à cheveux empoisonnée. « Cléopâtre mourut à l’âge de 39 ans, après en avoir régné vingt-deux, dont plus de quatorze avec Antoine, qui avait à sa mort 53 ans, et, suivant d’autres, " data-original-
La dernière demeure d’Antoine et Cléopâtre
Aussi diserts soient-ils sur les circonstances de la mort de Cléopâtre, les auteurs antiques restent avares de détails sur sa sépulture. Plutarque nous fournit quelques indices : Cléopâtre aurait fait pénétrer Antoine agonisant dans son tombeau – les Egyptiens avaient pour tradition de penser bien à l’avance à leur dernière demeure – dans lequel elle s’était réfugiée pour faire face à Octave. L’historien précise que la reine « l’enterra de ses propres mains, avec une magnificence royale ». Mais ne nous dit pas où, si ce n’est qu’elle supplia dans une lettre Octave de l’enterrer auprès de l’homme qu’elle aimait. Une prière qui fut exaucée puisque le futur Auguste « ordonna qu’on l’enterrât auprès d’Antoine avec toute la magnificence convenable à son rang ».
Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand, dont le général Ptolémée fera sa résidence de roi d’Egypte, a longtemps semblé être le lieu évident de la dernière demeure d’Antoine et Cléopatre. Si leur tombeau s’y situe, le retrouver risque d’être difficile. Car toute une partie de la ville antique est désormais au fond des eaux de la Méditerranée. L’archéologie sous-marine nous amènera-t-elle des surprises ?
Aujourd’hui, c’est cependant une autre ville qui retient l’attention des spécialistes. Dans l’Antiquité, on la nommait Taposiris Magna, aujourd’hui Abousir, dans les faubourgs sud-ouest de la grande Alexandrie, à une cinquantaine de kilomètres du centre de la mégapole égyptienne. Dès la fin des années 1990, le site est fouillé par des archéologues, mais les années 2000 marquent un tournant dans l’histoire de ce lieu avec la découverte, et les premières fouilles, d’un temple dédié à Osiris et Isis.
«Ce site pourrait renfermer une découverte archéologique majeure », assurait une étude égyptienne publiée en mai 2019 dans la revue « NRIAG Journal of Astronomy and Geophysics » Les auteurs y font état de détections au radar à pénétration de sol – une technologie utilisée pour obtenir des images de structures enterrées – qui laissaient supposer la présence d’une possible chambre située 20 à 30 mètres sous le temple d’Osiris. Une tombe possible pour Cléopâtre et Marc Antoine, et les données venaient renforcer la conviction de ceux qui exploraient ce site.
Un tunnel sous le temple d’Osiris
Le 3 novembre 2022, le ministère du Tourisme et des Antiquités d’Egypte publiait sur Facebook un communiqué révélant la découverte d’un tunnel rocheux, à 13 mètres sous la surface, de 1 305 mètres de long et 2 mètres de haut. « C’est la réplique exacte du tunnel d’Eupalinos en Grèce, qui est considéré comme l’une des réalisations d’ingénierie les plus importantes de l’Antiquité », confiait Kathleen Martinez à LiveScience. Le tunnel auquel elle fait référence date du VIe siècle avant notre ère et se situe sur l’île de Samos où il servait d’aqueduc.
Au centre de cette trouvaille, une figure atypique de l’égyptologie, la docteure Kathleen Martinez. Ténor du barreau en République dominicaine, cette passionnée d’archéologie de terrain se consacre à Cléopâtre depuis plus de deux décennies.« J’ai étudié les sources égyptiennes et elles décrivaient une personne différente [que celle décrite par les Romains], la plus importante de sa dynastie. Cléopâtre dirigeait le pays le plus influent de l’époque. Reine à 18 ans, elle était la femme la plus importante sur Terre. Elle parlait neuf langues, écrivait sur les lois et la médecine. Chaque jour, je m’intéressais de plus en plus à elle. »
Cette admiration sans borne l’a amenée à la quête de son tombeau. « J’ai étudié comment elle est morte, déclarait-elle. Dans l’Egypte antique, la mort était un moment crucial et la façon dont on mourrait était remplie de sens. » Selon Kathleen Martinez, Cléopatre a été mordue par un cobra, le serpent protecteur des pharaons. « Sa mort était un message à ses partisans, elle voulait mourir comme une déesse. »
La quête de la chercheuse a donc pris une direction originale. Pour Kathleen Martinez, « si la tombe de Cléopâtre n’a jamais été retrouvée, c’est parce que la reine d’Egypte n’a pas été ensevelie dans une tombe. Elle et Marc Antoine ont dû être enterrés dans un temple, sans doute dédié à Isis et Osiris. Mais lequel ? » En 2002, elle se rend en Egypte pour faire le tour des temples possibles. Et s’arrête à celui de Taposiris Magna. Malgré les doutes et parfois l’opposition de nombre d’égyptologues, elle persuade les autorités égyptiennes d’y débuter des fouilles. Depuis, elle y travaille sans relâche. Dans le temple d’Osiris, son équipe a déjà découvert des pièces à l’effigie de Cléopâtre et d’Alexandre le Grand, ainsi que des statues d’Isis, une déesse à laquelle Cléopâtre aurait manifesté un attachement particulier.
Les archéologues ont aussi trouvé un dédale de tunnels dans les environs, avec 16 tombes taillées dans le roc datant des époques romaine et hellénistique, de même que des momies de ces périodes, mais pas celle de Cléopâtre. Pas encore ? Une partie du grand tunnel récemment découvert serait submergée sous les eaux de la Méditerrannée, et l’équipe d’archéologues tente aujourd’hui d’explorer cette section du temple. Un indice en faveur de la thèse défendue par l’archéologue ?
Le docteur
Glenn Gohendo, égyptologue à l’université de Liverpool (Angleterre), qui a participé à un documentaire télévisé sur les recherches de Kathleen Martinez, ne semble pas très convaincu, même s’il reconnaît que « Taposiris Magna est un endroit impressionnant ». Pour lui, la conviction de sa collègue « est en contradiction avec les opinions généralement admises sur le sujet, qui tendent à suivre les auteurs classiques qui semblent concordants sur le fait que la tombe de Cléopâtre et Marc Antoine se trouve à Alexandrie ». Il souligne en outre que « des fouilles sous-marines au fil des ans ont identifié des vestiges captivants qui paraissent très bien correspondre aux descriptions des anciens auteurs. Fondamentalement, Kathleen fait face à une sérieuse concurrence ».
« Il serait remarquable que leur tombeau ait résisté à des millénaires de changements culturels et de désastres naturels »,objecte pour sa part Robert Gurval, professeur d’études classiques à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA). « Même s’il n’a pas été touché par des mains humaines, les tremblements de terre et l’eau de mer l’auraient enterré ou submergé. Son palais est certainement sous l’eau. Son mausolée peut-être aussi. »
En 365, un tsunami dévaste Alexandrie, projetant des bateaux jusque sur le toit des maisons, comme le rapporte l’historien Ammien Marcellin. Depuis, il y en eut bien d’autres. Comme celui de 1323 qui a définitivement détruit le phare d’Alexandrie, sur la pointe de l’île de Pharos, l’une des Merveilles du Monde, qui aurait fini par s’effondrer dans les eaux en 1375. Autant de cataclysmes qui ont englouti une partie de l’antique Alexandrie. Aujourd’hui, des fouilles sont d’ailleurs en cours sous les eaux, dont celles réalisées par le Centre d’études alexandrines du CNRS (Cealex) autour des ruines du phare, mais pas pour retrouver le tombeau pL’Alexandrie engloutie le recèle-t-elle ? Une tombe liée au palais et désormais submergée avec lui par les eaux, telle est la thèse la plus communément admise. Kathleen Martinez a-t-elle raison ou tort ? Les fouilles du temple de Taposiris Magna pourraient trancher. Mais avant cela, la docteure Martinez devra « montrer qu’elle trouve des dates reliées de manière spécifique à Cléopâtre plutôt qu’à d’autres dirigeants ptolémaïques ou romains, » estime Glenn Gohendo. « Et elle devra démontrer un lien direct entre Cléopâtre elle-même et le site. Ce n’est pas une mince affaire. »
La découverte de ce tunnel sous le temple de Taposiris Magna est déjà en soi formidable. Et s’il menait au tombeau de Cléopâtre, ce serait sans précédent. « Une telle découverte serait majeure, avec la possibilité de réécrire ce que nous savons sur la plus célèbre reine d’Egypte », commente Jane Draycott, de l’université de Glasgow (Ecosse). D’autant plus que Césarion – fils de César et Cléopâtre – et Marcus Antonius Antyllus, fils d’Antoine, « pourraient bien y avoir été également enterrés », suggère la chercheuse écossaise.
« La quantité de nouvelles informations que les égyptologues, classicistes, spécialistes d’histoire ancienne et archéologues pourraient glaner de son contenu serait immense », prédit-elle. « L’architecture et les matériaux de la tombe seule pourraient occuper les historiens pendant des décennies. » Mais si l’on y trouvait aussi les restes de Cléopâtre, « cela pourrait nous en apprendre encore davantage, sur la cause de sa mort, son apparence physique et même répondre à la question épineuse de ses origines ». Tout cela en respectant ses restes, ce qui jusqu’ici n’a pas été vraiment le cas pour les souverains d’Egypte dont les momies sont exposées dans des musées…
Aussi diserts soient-ils sur les circonstances de la mort de Cléopâtre, les auteurs antiques restent avares de détails sur sa sépulture. Plutarque nous fournit quelques indices : Cléopâtre aurait fait pénétrer Antoine agonisant dans son tombeau – les Egyptiens avaient pour tradition de penser bien à l’avance à leur dernière demeure – dans lequel elle s’était réfugiée pour faire face à Octave. L’historien précise que la reine « l’enterra de ses propres mains, avec une magnificence royale ». Mais ne nous dit pas où, si ce n’est qu’elle supplia dans une lettre Octave de l’enterrer auprès de l’homme qu’elle aimait. Une prière qui fut exaucée puisque le futur Auguste « ordonna qu’on l’enterrât auprès d’Antoine avec toute la magnificence convenable à son rang ».
Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand, dont le général Ptolémée fera sa résidence de roi d’Egypte, a longtemps semblé être le lieu évident de la dernière demeure d’Antoine et Cléopatre. Si leur tombeau s’y situe, le retrouver risque d’être difficile. Car toute une partie de la ville antique est désormais au fond des eaux de la Méditerranée. L’archéologie sous-marine nous amènera-t-elle des surprises ?
Aujourd’hui, c’est cependant une autre ville qui retient l’attention des spécialistes. Dans l’Antiquité, on la nommait Taposiris Magna, aujourd’hui Abousir, dans les faubourgs sud-ouest de la grande Alexandrie, à une cinquantaine de kilomètres du centre de la mégapole égyptienne. Dès la fin des années 1990, le site est fouillé par des archéologues, mais les années 2000 marquent un tournant dans l’histoire de ce lieu avec la découverte, et les premières fouilles, d’un temple dédié à Osiris et Isis.
« On ne sait pas si Cléopâtre a aimé Antoine ou César, mais chacun d’eux a fait ses quatre volontés » « Ce site pourrait renfermer une découverte archéologique majeure », assurait une étude égyptienne publiée en mai 2019 dans la revue « NRIAG Journal of Astronomy and Geophysics » Les auteurs y font état de détections au radar à pénétration de sol – une technologie utilisée pour obtenir des images de structures enterrées – qui laissaient supposer la présence d’une possible chambre située 20 à 30 mètres sous le temple d’Osiris. Une tombe possible pour Cléopâtre et Marc Antoine, et les données venaient renforcer la conviction de ceux qui exploraient ce site.
Les ruines du temple d’Osiris à Taposiris Magna Les ruines du temple d’Osiris à Taposiris Magna ( ROLAND UNGER / WIKIMEDIA COMMONS) Un tunnel sous le temple d’Osiris Le 3 novembre 2022, le ministère du Tourisme et des Antiquités d’Egypte publiait sur Facebook un communiqué révélant la découverte d’un tunnel rocheux, à 13 mètres sous la surface, de 1 305 mètres de long et 2 mètres de haut. « C’est la réplique exacte du tunnel d’Eupalinos en Grèce, qui est considéré comme l’une des réalisations d’ingénierie les plus importantes de l’Antiquité », confiait Kathleen Martinez à LiveScience. Le tunnel auquel elle fait référence date du VIe siècle avant notre ère et se situe sur l’île de Samos où il servait d’aqueduc.
Au centre de cette trouvaille, une figure atypique de l’égyptologie, la docteure Kathleen Martinez. Ténor du barreau en République dominicaine, cette passionnée d’archéologie de terrain se consacre à Cléopâtre depuis plus de deux décennies. « J’ai étudié les sources égyptiennes et elles décrivaient une personne différente [que celle décrite par les Romains], la plus importante de sa dynastie. Cléopâtre dirigeait le pays le plus influent de l’époque. Reine à 18 ans, elle était la femme la plus importante sur Terre. Elle parlait neuf langues, écrivait sur les lois et la médecine. Chaque jour, je m’intéressais de plus en plus à elle. »
Cette admiration sans borne l’a amenée à la quête de son tombeau. « J’ai étudié comment elle est morte, déclarait-elle. Dans l’Egypte antique, la mort était un moment crucial et la façon dont on mourrait était remplie de sens. » Selon Kathleen Martinez, Cléopatre a été mordue par un cobra, le serpent protecteur des pharaons. « Sa mort était un message à ses partisans, elle voulait mourir comme une déesse. »
La quête de la chercheuse a donc pris une direction originale. Pour Kathleen Martinez, « si la tombe de Cléopâtre n’a jamais été retrouvée, c’est parce que la reine d’Egypte n’a pas été ensevelie dans une tombe. Elle et Marc Antoine ont dû être enterrés dans un temple, sans doute dédié à Isis et Osiris. Mais lequel ? » En 2002, elle se rend en Egypte pour faire le tour des temples possibles. Et s’arrête à celui de Taposiris Magna. Malgré les doutes et parfois l’opposition de nombre d’égyptologues, elle persuade les autorités égyptiennes d’y débuter des fouilles. Depuis, elle y travaille sans relâche. Dans le temple d’Osiris, son équipe a déjà découvert des pièces à l’effigie de Cléopâtre et d’Alexandre le Grand, ainsi que des statues d’Isis, une déesse à laquelle Cléopâtre aurait manifesté un attachement particulier.
Les archéologues ont aussi trouvé un dédale de tunnels dans les environs, avec 16 tombes taillées dans le roc datant des époques romaine et hellénistique, de même que des momies de ces périodes, mais pas celle de Cléopâtre. Pas encore ? Une partie du grand tunnel récemment découvert serait submergée sous les eaux de la Méditerrannée, et l’équipe d’archéologues tente aujourd’hui d’explorer cette section du temple. Un indice en faveur de la thèse défendue par l’archéologue ?
Le tunnel découvert sous le temple de Taposiris Magna, aujourd’hui dans les faubourgs du sud-ouest d’Alexandrie Le tunnel découvert sous le temple de Taposiris Magna, aujourd’hui dans les faubourgs du sud-ouest d’Alexandrie ( MINISTÈRE DU TOURISME ET DES ANTIQUITÉS D’EGYPTE) Le docteur Glenn Gohendo, égyptologue à l’université de Liverpool (Angleterre), qui a participé à un documentaire télévisé sur les recherches de Kathleen Martinez, ne semble pas très convaincu, même s’il reconnaît que « Taposiris Magna est un endroit impressionnant ». Pour lui, la conviction de sa collègue « est en contradiction avec les opinions généralement admises sur le sujet, qui tendent à suivre les auteurs classiques qui semblent concordants sur le fait que la tombe de Cléopâtre et Marc Antoine se trouve à Alexandrie ». Il souligne en outre que « des fouilles sous-marines au fil des ans ont identifié des vestiges captivants qui paraissent très bien correspondre aux descriptions des anciens auteurs. Fondamentalement, Kathleen fait face à une sérieuse concurrence ».
« Il serait remarquable que leur tombeau ait résisté à des millénaires de changements culturels et de désastres naturels », objecte pour sa part Robert Gurval, professeur d’études classiques à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA). « Même s’il n’a pas été touché par des mains humaines, les tremblements de terre et l’eau de mer l’auraient enterré ou submergé. Son palais est certainement sous l’eau. Son mausolée peut-être aussi. »
En 365, un tsunami dévaste Alexandrie, projetant des bateaux jusque sur le toit des maisons, comme le rapporte l’historien Ammien Marcellin. Depuis, il y en eut bien d’autres. Comme celui de 1323 qui a définitivement détruit le phare d’Alexandrie, sur la pointe de l’île de Pharos, l’une des Merveilles du Monde, qui aurait fini par s’effondrer dans les eaux en 1375. Autant de cataclysmes qui ont englouti une partie de l’antique Alexandrie. Aujourd’hui, des fouilles sont d’ailleurs en cours sous les eaux, dont celles réalisées par le Centre d’études alexandrines du CNRS (Cealex) autour des ruines du phare, mais pas pour retrouver le tombeau perdu.
L’Alexandrie engloutie le recèle-t-elle ? Une tombe liée au palais et désormais submergée avec lui par les eaux, telle est la thèse la plus communément admise. Kathleen Martinez a-t-elle raison ou tort ? Les fouilles du temple de Taposiris Magna pourraient trancher. Mais avant cela, la docteure Martinez devra « montrer qu’elle trouve des dates reliées de manière spécifique à Cléopâtre plutôt qu’à d’autres dirigeants ptolémaïques ou romains, » estime Glenn Gohendo. « Et elle devra démontrer un lien direct entre Cléopâtre elle-même et le site. Ce n’est pas une mince affaire. »
La découverte de ce tunnel sous le temple de Taposiris Magna est déjà en soi formidable. Et s’il menait au tombeau de Cléopâtre, ce serait sans précédent. « Une telle découverte serait majeure, avec la possibilité de réécrire ce que nous savons sur la plus célèbre reine d’Egypte », commente Jane Draycott, de l’université de Glasgow (Ecosse). D’autant plus que Césarion – fils de César et Cléopâtre – et Marcus Antonius Antyllus, fils d’Antoine, « pourraient bien y avoir été également enterrés », suggère la chercheuse écossaise.
« La quantité de nouvelles informations que les égyptologues, classicistes, spécialistes d’histoire ancienne et archéologues pourraient glaner de son contenu serait immense », prédit-elle. « L’architecture et les matériaux de la tombe seule pourraient occuper les historiens pendant des décennies. » Mais si l’on y trouvait aussi les restes de Cléopâtre, « cela pourrait nous en apprendre encore davantage, sur la cause de sa mort, son apparence physique et même répondre à la question épineuse de ses origines ». Tout cela en respectant ses restes, ce qui jusqu’ici n’a pas été vraiment le cas pour les souverains d’Egypte dont les momies sont exposées dans des musées…
Tombeaux perdus, une série en 5 épisodes • Où est passée Cléopâtre ? A la recherche du mausolée de la dernière reine d’Egypte
• Alexandre le Grand : le mystère sur sa sépulture et les circonstances de sa mort reste entier
Enquête« Sandoval, une affaire franco-argentine » (1/2). L’ex-policier a été condamné à Buenos Aires, en 2022, pour un crime commis du temps de la dictature en Argentine (1976-1983). « Le Monde » a cherché à savoir comment il avait pu se réfugier en France en 1985, puis évoluer dans les milieux universitaires sans que son parcours intrigue, malgré de nombreux signaux d’alerte.
Juin 1985. L’hiver austral commence juste à Buenos Aires. Voilà un an et demi que l’Argentine a renoué avec la démocratie, après la dictature (1976-1983) qui a fait 30 000 disparus, selon les organisations de défense des droits humains.
Depuis quelques mois, un juge d’instruction militaire enquête sur l’enlèvement d’un étudiant en architecture, Hernan Abriata, en 1976. Un homme de 31 ans est suspecté d’être l’un des ravisseurs : Mario Alfredo Sandoval, un jeune retraité de la police. Quand ce dernier rentre chez lui, ce soir de juin, son épouse de 27 ans, enceinte, l’attend avec leur premier fils et la fille qu’il a eue avec une autre femme. « On part », lui dit-il. Destination : Paris, où il a obtenu l’autorisation de sa hiérarchie de se rendre pour un an. Le 8 août, à Buenos Aires, le juge constatera sa « non-comparution » à l’audience où Sandoval était convoqué.
11 décembre 2019. L’hiver débute à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), en banlieue parisienne, où ce même Mario Sandoval, citoyen français depuis 1997, habite avec sa seconde épouse, Anne-Marie B. Celle-ci partage sa vie depuis son divorce à la fin des années 1990. L’ancien policier a perdu ses cheveux, mais il garde un corps athlétique, un port altier. Soudain, dix gendarmes de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre, épaulés par ceux du GIGN, viennent l’interpeller pour le conduire à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines).
Quatre jours plus tard, il est mis dans un vol pour son pays d’origine. Il y sera condamné, le 21 décembre 2022, à quinze ans de prison pour l’enlèvement et la torture d’Hernan Abriata. D’après la justice, il a appartenu à un commando, le « groupe de travail 3.3.2. », chargé de capturer les éléments dits « subversifs » et de les envoyer au centre clandestin de détention et de torture installé à l’Ecole de mécanique de la marine (ESMA). Les faits, selon le tribunal, constituent des « crimes contre l’humanité ». Mario Sandoval, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, a fait appel de sa condamnation et reste donc présumé innocent.
Que s’est-il passé entre son arrivée en France en 1985 et son extradition en 2019 ? Le Monde a enquêté pendant trois ans sur la façon dont il a travaillé dans le secteur privé, auprès d’universités et d’établissements publics, côtoyant des chefs d’entreprise, des hauts fonctionnaires, des diplomates, des ministres, des membres des services de renseignement. Comment un homme au tel passé a-t-il pu passer sous les radars et être naturalisé Français ? Pour le comprendre, il faut remonter le fil de son parcours.
Bureau de propagande
Les raisons qui le poussent à choisir la France en 1985 demeurent obscures. Formé à l’Ecole des cadets dans les années 1960, il a forcément été imprégné par ce qu’on appelait alors la « doctrine française », une stratégie contre-révolutionnaire forgée en Indochine et perfectionnée pendant la guerre d’Algérie. Fondée sur l’idée d’un « ennemi interne » – et communiste – à traquer au nom de la défense de la civilisation occidentale chrétienne, elle a été importée en Argentine par des assesseurs militaires français. Le « groupe de travail 3.3.2. » s’en est inspiré.
En 1978, à seulement 25 ans, Mario Sandoval part un mois en vacances en Europe. Visite-t-il Paris, où fonctionne le Centro piloto, un bureau de propagande argentin créé dans le but de contrecarrer les dénonciations de violations des droits humains dans le pays sud-américain et d’infiltrer les rangs des exilés en Europe ? Une certitude : parmi les militaires envoyés en France figurent des membres du commando 3.3.2.
En 1985, alors que la démocratie est de retour dans son pays et que la justice y enquête sur la disparition d’Hernan Abriata, Mario Sandoval préfère filer en France. Tandis que la famille s’installe dans le 12e arrondissement de Paris, il se recycle dans la sécurité privée. En 1992 et 1993, il travaille comme représentant en France d’une société argentine, Servin SA, dont le fondateur, un ancien militaire, est accusé d’avoir été un tortionnaire de la junte, et que d’anciens membres du « groupe de travail 3.3.2 » auraient intégrée.
Sur son CV figure également, entre 1987 et 1991, l’emploi de « conseiller » et « chargé de mission » au sein d’une entreprise française, Néral, spécialisée dans la vente d’armes de petit calibre et l’import-export de matériel et d’équipement pour les forces de sécurité, et citée dans un rapport américain sur le trafic d’armes vers l’Iran ou la Libye. « La jonction avec l’Argentine tourne certainement autour de ce genre de sociétés d’armement, considère Christian Harbulot, un spécialiste de l’intelligence économique. On ne trouve pas ce type de jobs à Pôle emploi. »
Méthodes peu avouables d’espionnage
C’est dans ce secteur, l’intelligence économique (IE), que Mario Sandoval compte évoluer. Sur le papier, il s’agit de collecter des informations, de manière légale, permettant d’assurer notamment la sécurité des entreprises à l’étranger. Dans les faits, de nombreux scandales ont émaillé l’histoire de l’IE, incluant des politiques de déstabilisation et des méthodes peu avouables d’espionnage. Bref, un univers sur mesure pour un homme qui travaillait, à Buenos Aires, au département des affaires politiques de la Superintendance de la sécurité fédérale, chargé notamment de faire du renseignement.
Après quelques années à vivoter comme professeur d’espagnol ou d’économie dans divers centres de formation, Mario Sandoval s’introduit donc dans le monde de l’IE, proposant ses services comme chargé de cours ou pour l’organisation de conférences. En 1995, son CV ne fait que deux pages. Celui qu’il présentera en 2006 s’étalera sur neuf ! Sur ce document, il donne l’impression d’être sollicité de toutes parts ; il assure avoir été conférencier ou formateur dans pas moins de vingt-cinq établissements publics ou privés. « On entendait parler de lui tout le temps, il était dans tous les événements liés aux études de défense, de sécurité, de relations internationales, se souvient Xavier Pasco, président de la Fondation pour la recherche stratégique. Il avait besoin de réseaux. »
Démêler le vrai du faux dans un tel parcours est un travail de longue haleine. Il faut dire que le fait d’être associé à un personnage si sulfureux à de quoi gêner aux entournures… Ainsi, le pôle universitaire Léonard-de-Vinci (la « fac Pasqua ») à Courbevoie, ouvert en 1995 sous le contrôle du conseil général des Hauts-de-Seine, nie que M. Sandoval y ait un jour exercé, comme il le prétend dans son CV. Or divers documents que Le Monde a pu consulter prouvent qu’il a bien été recruté en tant que professeur vacataire pour dispenser un enseignement en économie et en mondialisation au cours de l’année 1996-1997.
« Exagération »
Autre difficulté : l’intéressé, qui s’invente des « doctorats » qu’il n’a jamais obtenus, a tendance, pour enjoliver son profil, à transformer des interventions sporadiques en emplois fixes. Ainsi déclare-t-il l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) comme l’un de ses principaux employeurs au moment d’être recruté comme vacataire en 1995 à l’Institut libre d’étude des relations internationales (Ileri) et, en 1999, par l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL).
Sur son CV, il dit avoir été, entre 1994 et 1997, « conférencier » de l’IHEDN. Il s’avère que, selon un document consulté par Le Monde, il a bien reçu au moins un virement de 1 000 francs (soit 152 euros) en avril 1994 pour une conférence à l’IHEDN, du temps où le directeur des études était aussi son directeur adjoint, l’ancien préfet Robert Miguet. Ce dernier, aujourd’hui décédé, avait signé une attestation certifiant que l’Argentin avait « participé comme conférencier à des tables rondes » en 1993 et 1994, soulignant sa « profonde connaissance des problèmes de l’Amérique du Sud ». Mais « c’est une exagération de se prétendre conférencier pour des interventions sporadiques », soutient Philippe Ratte, successeur de M. Miguet à la direction des études à partir de fin 1994, et qui assure, lui, n’avoir jamais fait appel à l’Argentin entre cette date et 1997.r son travail à l’IHEDN, une négligence assez courante à l’époque. Ainsi, chaque nouvelle ligne sur son CV lui permet-elle de gagner en crédibilité pour les emplois postérieurs.
En 1995, le véritable tremplin pour lui est l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée (UPEM, devenue Gustave-Eiffel), où il est enrôlé comme vacataire dans le diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) « maîtrise des armements, désarmement et vérification » dirigé par Bernard Sitt, un spécialiste des armes nucléaires. C’est M. Sitt, alors chargé de mission à la direction des affaires stratégiques du ministère de la défense, qui le recrute. « Je me suis aperçu qu’il n’avait pas d’expérience universitaire et qu’il tenait un discours au-dessus de sa compétence effective, admet M. Sitt, mais en même temps, il pouvait m’assister dans des travaux dirigés. » Lui non plus ne semble pas inquiété outre mesure par son CV, où figure pourtant la mention de son passage dans la police argentine pendant la dictature.
Idées d’extrême droite
Mario Sandoval restera une dizaine d’années à l’UPEM. M. Sitt minimise aujourd’hui sa présence, affirmant qu’il n’intervenait qu’épisodiquement. Mais les anciens étudiants du DESS donnent une image bien différente de cet homme « si sympa et affable » qu’ils avaient tous envie de faire leur mémoire avec lui. « Le DESS tenait grâce à lui, Sitt n’était jamais là », dit l’un d’entre eux. Direction de mémoires, accompagnement des étudiants en voyages d’étude auprès d’institutions comme l’OTAN ou l’Agence internationale de l’énergie atomique… M. Sandoval s’active beaucoup. « Il a toujours procédé de la même manière, explique une source du ministère de la défense : démarcher et se rendre ensuite indispensable en assumant des tâches ingrates et peu valorisantes. »n des premiers créés en France sur cette discipline, est mis en place l’année de son arrivée. Y officie, entre autres, l’amiral Pierre Lacoste, directeur de la DGSE entre 1982 et 1985. Tout ce petit monde vit en cercle fermé. L’amiral dirige aussi des mémoires dans le DESS de M. Sitt, et donne des conférences. « La moitié de la formation défense au DESS de Marne-la-Vallée était tenue par la DGSE, c’était un vivier pour les services de renseignement », confie un spécialiste de l’IE.
M. Sandoval côtoie ainsi des membres des services secrets et de nombreux militaires. « C’était du pain béni pour quelqu’un qui aurait voulu avoir un accès direct à quantité d’informations sensibles », note M. F. – il a requis l’anonymat –, un ancien professeur de l’UPEM qui s’est très tôt inquiété du profil de l’Argentin. Ses idées d’extrême droite, dont lui-même ne se cache pas, ne choquent pourtant pas grand monde – à part ce même enseignant – dans un milieu où circulent l’urgence de la lutte anticommuniste et la défense de la civilisation chrétienne, de l’ordre et de la sécurité.
« Il m’a paru suspect »
M. Sandoval a un objectif : passer de vacataire à titulaire. En mai 2000, il présente sa candidature pour être maître de conférences associé. Chantal Delsol, nouvelle directrice du département dont dépend le DESS de M. Sitt, sollicite l’avis de M. F. et lui adresse le CV du candidat. « Au premier regard, il m’a paru suspect, raconte-t-il. Son profil d’ancien fonctionnaire du ministère de l’intérieur ayant quitté l’Argentine juste après le retour de la démocratie et s’étant reconverti dans des sociétés de sécurité me paraissait plus qu’obscur. » Chantal Delsol pose son veto. Alerté, M. Sitt ne prend aucune mesure particulière dans son DESS. L’Argentin continuera d’enseigner à Marne-la-Vallée jusqu’au milieu des années 2000
C’est en tout cas fort de son expérience à l’Ileri et surtout à Marne-la-Vallée que M. Sandoval a débarqué, en 1999, à l’IHEAL, dirigé depuis un an par Jean-Michel Blanquer, futur ministre de l’éducation. Petite structure dépendant de la Sorbonne-Nouvelle, l’IHEAL est alors coincé dans des locaux exigus de la rue Saint-Guillaume (Paris 7e). De nombreux étudiants latino-américains fréquentent cet endroit. Interrogé par Le Monde, M. Blanquer soutient qu’il n’est pas à l’origine du recrutement de M. Sandoval. Le responsable en serait, dit-il, Carlos Quenan, directeur du DESS « Echanges internationaux Europe-Amérique latine », lui-même ancien opposant de la dictature argentine.
« C’est Bernard Sitt qui m’a envoyé son CV », explique Carlos Quenan. Un CV expurgé, cette fois, de toute référence à son passé en Argentine. M. Quenan se défend d’avoir pu reconnaître en cette recrue un potentiel ancien tortionnaire. « L’IHEAL n’était pas outillé pour enquêter sur les dizaines de chargés de cours qui intervenaient tous les ans », précise-t-il. M. Sandoval, lui, conteste avoir été recruté par M. Quenan : « La relation était exclusivement avec M. Blanquer », a-t-il écrit sur un blog qu’il tient depuis sa prison argentine.
« Le loup dans la bergerie »
Rue Saint-Guillaume, M. Sandoval sait, là encore, se rendre indispensable. Levé tous les jours à 5 heures, il va courir une heure, quel que soit le temps. Méticuleux, il devient l’homme à tout faire, connu de tous.
Ses activités à l’IHEAL dépassent les attributions d’un simple vacataire. A trois reprises, il est envoyé à des meetings ou à des conférences de l’Organisation des Etats américains en tant que représentant de l’université Sorbonne-Nouvelle.
En interne, son profil détonne. Toujours tiré à quatre épingles, la coupe de cheveux très courte, ne tolérant aucun retard, il se démarque des autres intervenants. Il tranche avec les habitués de ces locaux devenus, dans les années 1970, un refuge pour les exilés des dictatures latino-américaines. Interrogé à ce propos, M. Blanquer dit avoir voulu faire évoluer les cours dispensés à l’IHEAL, selon lui « trop politiques ». « Sandoval n’avait certes pas une grande valeur académique, mais il était le seul capable, à l’époque, de parler du sujet de la défense en Amérique latine. »
Ce recrutement s’inscrit donc dans sa volonté de diversifier l’enseignement. « De le droitiser », corrigeront certains, scandalisés par cette volonté de défaire ce qui faisait, justement, la particularité de l’institut. « Mario Sandoval à l’IHEAL, c’était le loup dans la bergerie, et ce même sans parler de son passé, insiste un enseignant actuel. Accepterait-on qu’un homme faisant l’apologie du nazisme donne des cours dans une université connue pour accueillir des enfants de déportés ? » Car si M. Blanquer assure que M. Sandoval « donnait ses cours sans aucune connotation idéologique », une dizaine d’anciens étudiants témoignent de son côté radical et militariste… Ses cours, se souvient une étudiante de l’année universitaire 2000-2001, « ont vite porté sur l’intelligence militaire, les différents types de missiles et leurs trajectoires. D’ailleurs beaucoup les ont séchés ».
Plus troublant : V. M. – elle a requis l’anonymat –, fille d’un disparu chilien, garde en mémoire ce jour où M. Sandoval a présenté le plan Condor – campagne conjointe de répression des dictatures latino-américaines – comme « le système le plus abouti et le plus performant d’intelligence stratégique ». L’étudiante est scandalisée. « Faire l’apologie des conditions de l’assassinat de mon père, ce n’était pas acceptable, s’indigne-t-elle. Je suis sortie et j’ai dit à Quenan que je n’assisterais plus à ce cours. » MM. Quenan et Blanquer disent n’avoir aucun souvenir de cette anecdote, pourtant confirmée par d’autres témoins, alors même que des rumeurs sur un possible passé dans la police argentine de ce vacataire très particulier commençaient à se répandre rue Saint-Guillaume.
« Double peine »
« Qu’une ou deux fois, des gens aient pu se plaindre que ses cours étaient trop axés sur la défense, c’est fort possible, reconnaît M. Blanquer. Je mettais ça sur le compte d’un certain sectarisme. Et on m’a vaguement dit qu’il avait peut-être un passé bizarre, mais sans aucun élément concret pour l’étayer. » Ces rumeurs auraient dû suffire pour l’écarter, estiment certains. L’ancien ministre de l’éducation se plaint aujourd’hui d’une « double peine » : « Non seulement Sandoval nous a tous bernés, mais en plus, on nous accuse d’avoir été complaisants envers lui ! Si j’avais su que c’était un tortionnaire, bien sûr que jamais je ne l’aurais engagé ! »
Un témoignage suggère que M. Blanquer aurait ignoré une autre alerte bien plus explicite. Selon une source de Sorbonne-Nouvelle, quelques mois après l’arrivée de M. Sandoval, la responsable administrative de l’IHEAL, Maguy Herschon, avertie par des amis argentins, aurait prévenu le directeur : « Sandoval est un ancien tortionnaire de la dictature. Il faut absolument vous en débarrasser », lui aurait-elle dit, essayant pendant des mois de l’en convaincre. « Elle était bouleversée, en parlait constamment », se souvient la même source.
Maguy Herschon et son mari, également professeur à l’institut, sont décédés en 2014. Si un de leurs fils confirme cet épisode, son frère le conteste. « Si Blanquer avait su quelque chose, il aurait alerté les autorités compétentes », dit-il. M. Blanquer, lui, nie avoir reçu un tel avertissement : « C’est immonde de suggérer une chose pareille ! Maguy était de gauche, elle n’aurait pas supporté que je le garde et elle aurait démissionné. » De fait, Maguy Herschon a demandé sa mutation et a quitté l’IHEAL à la fin de l’année 2001-2002.
« C’est facile de dire : “C’était évident” »
Quelle que soit la vérité, beaucoup s’étonnent que des spécialistes de l’Amérique latine comme MM. Blanquer et Quenan ne se soient pas inquiétés du profil de cet homme débarqué de Buenos Aires juste après la dictature et spécialisé dans les questions de défense et d’armement. A en croire de nombreuses personnes l’ayant croisé, il suffisait de le côtoyer une demi-heure pour deviner sa proximité avec l’extrême droite latino-américaine. « Je suis surpris que ceux qui étaient à son contact permanent n’aient rien remarqué », affirme un ancien diplomate. M. Quenan ne partage pas l’analyse. « Si j’avais eu une alarme à chaque Latino-Américain rencontré à cette époque, je serais devenu fou. A posteriori, c’est facile de dire : “C’était évident”. »
M. Sandoval enseigne donc à l’IHEAL pendant cinq ans. Son nombre annuel d’heures de cours passe de 42 en 1999-2000 à 78 en 2002-2003. Son départ en 2004 coïncide avec celui de M. Blanquer, nommé recteur de Guyane, et doit beaucoup à la successeure de celui-ci à la tête de l’IHEAL, Polymnia Zagefka : une fois en place, elle ne tarde pas à se séparer de l’Argentin devenu Français.
Pour justifier le maintien en poste de M. Sandoval pendant si longtemps, M. Blanquer rappelle qu’il a fallu attendre 2008 – soit bien après son départ de l’IHEAL – pour que son passé commence à être exhumé. Cette année-là, le journal argentin Pagina/12 publie un article l’accusant d’avoir enlevé un étudiant pendant la dictature. « Personne ne pouvait deviner quoi que ce soit concernant son passé avant cela », répète M. Blanquer. L’enquête du Monde révèle pourtant que les services de renseignements français avaient eu vent du profil de Sandoval des années avant Pagina/12…
2004, année fatale
Selon nos informations, c’est dans le milieu de la défense que cette information a circulé, plus précisément à l’IHEDN. Le général Daniel Hervouët en a été le directeur d’études entre 1997 et 2001. Quand l’Argentin lui propose, à lui aussi, ses services, il demande à ses collaborateurs d’enquêter sur lui. « J’ai reçu une note de deux ou trois pages sur lui, elle mentionnait nommément qu’il avait été vu à l’Ecole de mécanique de la marine, l’ESMA, se souvient M. Hervouet. J’ai mis ces documents dans un dossier “indésirables” afin qu’il ne mette jamais un pied à l’IHEDN. » Une révélation qui, aujourd’hui, fait bondir M. Blanquer : « Si des gens à ce niveau connaissaient son passé à l’époque, pourquoi n’en ont-ils rien dit ? Pourquoi cette information ne m’est-elle pas parvenue ? »
L’année 2004 est fatale à la carrière académique de M. Sandoval. La nouvelle patronne de l’IHEAL, Mme Zagefka, se méfie de lui après sa proposition de colloque sur les forces armées latino-américaines dont le contenu est, selon elle, « tout sauf scientifique ». Pas question de financer pareil projet. Le coup de grâce se produit quelques semaines plus tard.
A cette époque, M. Sandoval tente, comme à l’UPEM, de se faire embaucher de façon pérenne à l’IHEAL, en proposant d’ouvrir une branche consacrée à l’intelligence économique pour le DESS de M. Quenan. M. F., le professeur de Marne-la-Vallée, qui donne aussi des cours à l’IHEAL, a connaissance de l’affaire. Il remet à Mme Zagefka le premier CV de l’Argentin, celui de 1995. Un coup d’œil au document la convainc de ne pas renouveler son contrat.
Alerté, M. Quenan dit avoir demandé à ses contacts en Argentine, au sein des organisations de défense des droits humains, si le nom de M. Sandoval leur disait quelque chose. « Personne ne le connaissait », dit-il au Monde. La même année, l’UPEM se sépare aussi de lui, après qu’une rumeur commence à circuler. Une rumeur venue de l’IHEDN, se souvient Xavier Pasco, de la Fondation pour la recherche stratégique.
Contraint de rebondir, Sandoval active ses contacts. Le monde de l’intelligence économique lui ouvre les bras, en particulier l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI, devenue Chambre de commerce et d’industrie). En avril 2006, le voici embauché en contrat à durée déterminée pour six mois, puis un an. Il se garde, sur le CV de neuf pages qu’il adresse à Philippe Clerc, le directeur de l’intelligence économique à l’ACFCI, de toute mention de son passé ; la période 1971-1985 y est résumée en une ligne, sans que l’Argentine y soit citée : « Chargé de mission, enseignant, secteur public et secteur privé ».
« Il manquait d’expérience, mais il était intelligent »
MM. Sandoval et Clerc se connaissent depuis longtemps. Ils se sont rencontrés à la fin des années 1990 dans le cadre du pôle universitaire Léonard-de-Vinci. M. Clerc est subjugué par sa vision internationale de l’intelligence économique. En 2008, juste avant les révélations de Pagina/12, tous deux créent, avec Alain Juillet – directeur du renseignement au sein de la DGSE entre 2002 et 2003 et, à l’époque, haut responsable chargé de l’IE auprès du premier ministre –, l’Association internationale francophone d’intelligence économique. M. Sandoval est bombardé vice-président. « Il n’était pas mauvais sur l’IE, se souvient M. Juillet. Il manquait d’expérience, mais il était intelligent et il avait la connaissance théorique. »
A l’ACFCI, M. Sandoval n’économise pas son énergie. Grâce à lui, divers projets de coopération se mettent en place, aux Seychelles, en Afrique, dans les Caraïbes… « En seulement deux ans, il a réussi à s’immerger dans l’institution des chambres de commerce, à en faire sa caisse de résonance, témoigne M. Clerc. C’est un homme avec une volonté de puissance surdimensionnée, qui veut être le prince de l’ombre, le conseiller. »
Selon Christophe-Alexandre Paillard, à l’époque spécialiste de l’intelligence économique à la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense, la façon dont il a fait son trou dans l’univers académique, puis dans celui de l’IE, s’explique par « la naïveté, la bêtise ou la confiance dans autrui : on est dans un exemple parfait de failles de gens qui se sont fait confiance les uns les autres sans que personne ne prenne la peine de vérifier ».
A un fonctionnaire du ministère de la défense, Sandoval dit pouvoir fournir des informations stratégiques sur l’Argentine et l’Amérique latine. « J’ai vite vu que cet homme obséquieux n’avait en fait pas grand-chose à m’apporter et je l’ai écarté. Mais quand on lui fermait la porte, il réussissait à entrer par la fenêtre », confie cette source.
Au mitan des années 2000, voici donc M. Sandoval écarté du milieu universitaire. Une fois M. Blanquer parti en Guyane, l’ex-policier n’est plus le bienvenu à l’IHEAL. La relation entre les deux hommes va tout de même durer au moins deux ans de plus, au cœur d’une affaire retentissante : le rapt d’Ingrid Betancourt, une figure de la politique colombienne, enlevée par un groupe révolutionnaire.
Parfois, je me dis que le personnage Meursault dans l'Etranger d'Albert Camus a raison. Enfin, il a résumé tout ce que beaucoup n'osent pas faire : s'en foutre de tout ! Tout jeter derrière soi. N'avoir ni esprit ni raison. Un peu de folie, ça aide un peu. L'indifférence un peu plus. Le silence, beaucoup davantage. Pourquoi se casser la tête pardi, à arrêter le moulin à vent ? Pourquoi ne pas vivre l'instant présent sans se soucier du lendemain ? Pourquoi ne pas regarder la vie comme un florilège de couleurs que nos yeux peuvent mélanger et varier à bon escient, s'ils savent en tirer les belles nuances ? Le destin de Don Quichotte me paraît si banal qu'il me donne de la nausée en y pensant. S'asseoir sur un banc public et ne voir dans la foule qui passe devant soi qu'une transparence inspiratrice n'est-il pas un don du ciel ? C'est un privilège pour tous ceux qui connaissent la valeur des choses. Lâcher prise, disent les psychologues, sagesse, leur rétorquent les éprouvés du quotidien, recul méditatif, répètent les philosophes. Recul pour voyager à l'intérieur de soi, creuser le fond de ses pensées, y aller jusqu'au rez-de-chaussée et même plus de ses émotions, pour enfin s'écouter. Savoir s'écouter est un art. Un ancien délinquant d'une banlieue française m'a dit un jour : «Je ne me suis écouté qu'une fois et c'était devant un juge, au tribunal, quand mon avocat a déroulé mon CV à problèmes devant l'assistance ! Et c'était trop tard..., trop tard !» Dans nos sociétés d'aujourd'hui, on ne s'écoute pas ou presque, mais on écoute plutôt ce que disent les autres. Et écouter ce que disent les autres, sans que l'on ne s'écoute soi-même cause des ennuis, et parfois des tragédies. Tragédies intimes d'abord, puis tragédies sociales ensuite. C'est l'effet de foule : on court derrière ceux qui courent, sans que l'on ne sache pourquoi on court ni dans quelle direction on court ! Cela me rappelle les métros parisiens : tout le monde court, allez, on va tous courir, en avant ! Or, tout un chacun a oublié que le plus malin être vivant sur la terre, c'est la tortue. Et la tortue ne court pas. Et pourtant, elle survit à ses besoins, résiste au changement de climat et vit le plus longtemps ! J'aime le mot «insensibilité sensible», le terme semble à la fois confus et contradictoire : un oxymore presque. Mais un oxymore d'une parfaite cohérence car seule l'insensibilité lucide étant à même de raisonner les contradictions de la vie. Devant la difficulté, rares sont ceux qui y résistent, d'autant que la résistance nécessite calme, persévérance et une dose d'insensibilité...
EnquêteEpinglé par le rapport du Sénat sur le fonds Marianne dont il a bénéficié, le journaliste franco-algérien s’est imposé comme une figure de la lutte contre l’islam radical, adoubée par une partie de la gauche. Depuis son exil en France en 1999, son parcours dessine un personnage clivant et intéressé.
Avant de prendre la parole, il a posé ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil et il a donné une grande impulsion, balançant son buste en avant. Comme s’il lui fallait se jeter à l’eau. Puis, d’un geste sec et précis, il a tiré sur la veste de son costume trois-pièces bleu nuit, pour en effacer les plis. Au Sénat, ce jeudi 15 juin, le journaliste Mohamed Sifaoui s’apprête à témoigner devant la commission d’enquête constituée à la suite des supposées irrégularités du fonds Marianne. Lancée par Marlène Schiappa, alors ministre de la citoyenneté, cette enveloppe de 2,5 millions d’euros a été créée au printemps 2021 en réaction à l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre 2020, dans le but de financer une riposte aux discours séparatistes sur les réseaux sociaux.
Principal bénéficiaire du fonds, le Franco-Algérien est soupçonné d’avoir utilisé, par le biais d’une obscure association, l’Union fédérative des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), une large part de cet argent pour se rémunérer, lui et son associé, un curieux homme d’affaires, Cyril Karunagaran, patron d’une petite entreprise de maroquinerie de luxe. Deux jours plus tôt, le 13 juin, les policiers sont venus frapper à la porte du journaliste, vers 6 heures, pour une perquisition dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le Parquet national financier pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts ».
Devant les sénateurs, plutôt que de chercher à se défendre, Mohamed Sifaoui a choisi d’attaquer. S’en prenant à un invisible chiffon rouge que personne n’a encore pris la peine d’agiter, il donne des coups de corne, à droite et à gauche. Une première pique adressée au sénateur écologiste Daniel Breuiller, qui, pour résumer l’affaire du fonds Marianne, avait dénoncé « la République des copains ». « Le premier copinage qui devrait être dénoncé est celui qui lie votre courant politique, celui des écologistes, à l’islamisme, et ce dans plusieurs villes de France », décoche Mohamed Sifaoui.
Il dénonce ensuite le rapport « pathétique » de l’inspection générale de l’administration « instruit exclusivement à charge, avec des approximations, des insinuations graves et des mensonges ». Puis, emporté par son élan, il poursuit son réquisitoire contre « des systèmes médiatiques sclérosés globalement médiocres qui alimentent le populisme ». Convaincu de son innocence, il se dit ligoté à un bûcher médiatique. Il se vit comme une victime expiatoire condamnée, à l’avance, pour son combat contre l’islamisme politique.
Alors qu’il le regarde se débattre par écran interposé, Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, qui l’a côtoyé longtemps, n’est pas surpris par sa violence verbale. Et encore moins de cette étonnante stratégie de défense. « Mohamed ne peut pas baisser la tête, il est incapable de faire un mea culpa en public. Quand il est attaqué, il attaque. Il aimerait tellement être un héros.
Quatre semaines plus tard, la commission d’enquête sénatoriale rend ses conclusions. Elles sont impitoyables. Les sénateurs estiment que l’association méconnue dont s’est servi Mohamed Sifaoui, l’USEPPM, qui a reçu 266 250 euros de subventions dans le cadre du fonds Marianne, « n’avait pas d’expérience notable dans la lutte contre le séparatisme ». Plus grave, alors que le journaliste a été payé 3 500 euros net par mois pendant un an, de juin 2021 à juin 2022, grâce à ce fonds, ils jugent le travail fourni « très largement en deçà de ce qui aurait pu être attendu » et soulignent « un bilan insignifiant au regard de la subvention » perçue. Contactés par M, ni Mohamed Sifaoui ni son avocat n’ont répondu à nos sollicitations.
Un cortège de polémiques
Si Mohamed Sifaoui est un héros, c’est au minimum un héros controversé. Difficile de trouver un homme qui traîne derrière lui un tel cortège de polémiques et d’oxymores. Il serait tout à la fois courageux et menteur, arrogant et amical, vénal et désintéressé. Un homme aux mille ennemis et aux amis fidèles, lancé à corps perdu dans un combat contre l’islamisme radical, le racisme et l’antisémitisme.
Ami de la journaliste Caroline Fourest, soutien de l’ex-premier ministre socialiste Manuel Valls, proche de Bernard-Henri Lévy, et compagnon de route de Charlie Hebdo, il a été l’un des rares à oser témoigner à l’occasion du procès, en 2007, pour la publication des caricatures danoises de Mahomet par l’hebdomadaire satirique. Un journaliste engagé qui se dit à gauche mais qu’une grande partie de la gauche déteste. Pour les uns, c’est un Salman Rushdie algérien dont la vie est, elle aussi, menacée par les islamistes. Pour les autres, un méprisable mystificateur qui instrumentalise la laïcité. Le jour de son audition, devant les sénateurs, celui qui vit sous protection policière depuis vingt ans, déclare dans son préambule : « Je n’ai pas eu le droit à une vie normale. La mienne a été jonchée de cadavres, elle a été jonchée de sang. La mienne a été alimentée de menaces de mort. » Il est au choix un rempart ou un danger.
C’est loin de toute attention médiatique que Mohamed Sifaoui quitte Alger pour Paris le 28 octobre 1999. Avec son épouse, ils sont deux anonymes dans le flot de passagers fuyant la guerre civile qui fait rage en Algérie depuis près de huit ans. En cet automne 1999, le journaliste de 32 ans doit d’abord demander le statut de réfugié politique. Se créer un réseau, aussi, dans ce pays où il n’a jamais travaillé. Il vient toquer à la porte de Reporters sans frontières (RSF) d’abord, où l’on accueille ce jeune confrère qui se dit harcelé et menacé par le pouvoir algérien. Francophile, cultivé, blagueur, Mohamed Sifaoui se fait vite des amis chez RSF.
Il trouve, avec son épouse et leur fille qui vient de naître, une chambre au modeste Hôtel Rhin et Danube, dans le nord-est de la capitale. Dans ce quartier de la Mouzaïa, la famille Sifaoui habite à deux pas de l’appartement de Vincent Brossel, alors directeur du département Asie à RSF. Assez vite, Mohamed est invité aux fêtes régulières que Vincent Brossel organise chez lui avec son colocataire, Matthieu Chanut, qui devient vite un ami. De quoi s’aérer l’esprit et sortir du huis clos familial à l’hôtel.
Un « mec extrêmement drôle »
Qui est, à l’époque, le jeune Mohamed Sifaoui ? Matthieu Chanut se souvient aujourd’hui d’un « mec extrêmement drôle ». Gros fumeur et amateur de vin, ce fils de la bourgeoisie algéroise, né à Kouba, à l’est de la capitale, le 4 juillet 1967, est un « bon vivant ». Mais il y a aussi une part plus sombre, mystérieuse. Celle du journaliste exilé, ancien correspondant pour Jeune Afrique et passé par L’Authentique et Le Soir d’Algérie, entre autres, qui s’intéresse aux « questions sécuritaires » – autrement dit, la lutte armée contre les islamistes.
Peu après la victoire dans les urnes du Front islamique du salut, en décembre 1991, les généraux algériens ont interrompu le processus électoral. A Vincent Brossel et Matthieu Chanut, Mohamed Sifaoui parle souvent de ce chaos algérien et de ce pouvoir de l’ombre des militaires. En février 1996, Le Soir d’Algérie, pour qui Mohamed Sifaoui travaillait, est visé par une attaque à la voiture piégée. Trois membres du journal meurent. Mohamed Sifaoui, lui, n’était pas dans les locaux.
Il ne quittera son pays que trois ans plus tard. Certains de ses articles auraient déplu au régime, assure-t-il. « Il disait qu’il avait révélé des choses, se remémore Vincent Brossel. Mais je n’ai jamais su ce qui lui avait valu le désamour des autorités. » Une chose saute néanmoins aux yeux des deux colocataires, le journaliste trentenaire a « une énorme envie de revanche ». Un Rubempré algérois animé par une insatiable soif de reconnaissance.
Guéguerre avec un sous-lieutenant
En ce printemps 2000, il vient de faire une rencontre. De celles qui peuvent marquer une vie et lancer une carrière. L’homme qu’il vient de croiser dans les locaux de RSF est un ancien sous-lieutenant algérien. Habib Souaïdia, le visage émacié, a déjà une vie de souffrances derrière lui. Né en 1969 à l’est du pays, il s’est engagé dans l’armée à 20 ans. Il a traqué les « barbus » dans les montagnes, en a même tué. Sans prendre le parti des islamistes, il veut dénoncer les « atrocités », les exactions et les manipulations des militaires qu’il a vues. Mohamed Sifaoui se propose de l’aider à écrire. Le patron des éditions La Découverte, François Gèze, rencontre les deux hommes, il est emballé. L’éditeur, qui s’intéresse à l’Algérie depuis les années 1980, est bien placé pour saisir la valeur d’un tel témoignage.
Avant même la publication du livre, Mohamed Sifaoui introduit Habib Souaïdia auprès de nombreux médias. A l’époque, le journaliste n’a pas de mots assez durs contre l’armée algérienne, comme lors de cet entretien le 22 avril 2000 avec Jean-Baptiste Rivoire, alors à l’agence Capa, et dont M a pu voir les rushs. A propos des généraux algériens « archi-milliardaires », Mohamed Sifaoui glisse à Habib Souaïdia qu’ils sont « les premiers bénéficiaires » de la guerre et du terrorisme dont ils « sont directement ou indirectement responsables ». Et le journaliste algérien de résumer : « Je ne veux pas le justifier, mais le terrorisme en Algérie, il a une cause : c’est le comportement des responsables au sein de l’armée qui ont volé tout le pays. »
Lorsque, le 8 février 2001, sort le livre La Sale Guerre, c’est une déflagration. Le Monde en fait sa « une » le jour même. C’est une victoire pour Habib Souaïdia… et un camouflet pour Mohamed Sifaoui. Car, une semaine avant sa sortie, le journaliste a tenté de s’opposer à sa publication. En vain.
Autrefois alliés, Habib Souaïdia et Mohamed Sifaoui se sont déchirés au cours de l’élaboration du texte. Dans plusieurs ouvrages qu’il écrira ensuite, dont La Sale Guerre. Histoire d’une imposture (Chihab, 2003), publié par une maison d’édition algérienne, Mohamed Sifaoui racontera sa version. Il accuse François Gèze d’avoir fait pression sur Habib Souaïdia pour charger le régime de tous les maux et exonérer les islamistes. Totalement faux, s’indignent Habib Souaïdia et François Gèze. Ils assurent au contraire que Mohamed Sifaoui a cherché à modifier à plusieurs reprises le témoignage original de l’ancien sous-lieutenant, y ajoutant des erreurs factuelles, dans le but, selon eux, de décrédibiliser son témoignage et donc le livre.
Retournement de veste
A cela s’ajoute une mesquine histoire d’argent que le prolixe Sifaoui n’a jamais évoquée dans ses récits. Aux deux Algériens, François Gèze avait versé 50 000 francs d’à-valoir. Charge à Sifaoui, alors le seul à détenir un compte bancaire en France, de reverser la moitié de la somme à Souaïdia. On sera loin du compte, assurent l’ex-sous-lieutenant et l’éditeur. Souaïdia demandera son dû à son compatriote à plusieurs reprises. Sans succès. Un coup tordu qui n’est jamais passé pour Matthieu Chanut et Vincent Brossel : « Habib avait besoin de cet argent pour vivre et Mohamed la lui a faite à l’envers. »
Peu importe à Mohamed Sifaoui, qui intente dans la foulée un procès aux éditions La Découverte : il s’indigne que son nom apparaisse sur la première édition du livre, qu’il considère « comme un tissu de mensonges », et réclame tout de même sa part de droits d’auteur – le livre, vendu à 70 000 exemplaires, est un succès de librairie. Le journaliste obtient 6 000 euros de dommages et intérêts, mais perd sur la question des droits d’auteur.
Mohamed Sifaoui aura sa vengeance un peu plus tard, et de façon magistrale, lorsque le général Khaled Nezzar, ancien homme fort du régime algérien, attaque Habib Souaïdia pour diffamation. Le journaliste, qui quelques mois auparavant n’avait pourtant pas de mots assez violents pour dénoncer ce régime, vole au secours du général. Conscient de l’invraisemblance de la situation, Mohamed Sifaoui s’en expliquera lors du procès en rendant hommage à Nezzar et à ses collègues militaires « pour avoir arrêté le processus électoral et pour avoir empêché des islamistes, des intégristes, de faire de l’Algérie un autre Afghanistan. »
Plus de vingt ans après, le discret Habib Souaïdia, qui tient aujourd’hui un magasin de vêtements chics à Paris, est convaincu que le journaliste a été « retourné » par les services algériens. L’ex-spécialiste de l’Algérie à Libération, José Garçon, a longtemps soupesé cette hypothèse, avant de se faire sa propre idée : « Pour moi, cette histoire est d’abord la démonstration que c’est avant tout un effroyable opportuniste. »
Depuis le procès intenté par Nezzar contre Souaïdia, Mohamed Sifaoui a définitivement choisi son camp. Il devient l’opposant intransigeant et acharné aux islamistes du monde entier, d’autant plus valeureux qu’il est lui-même musulman. A l’époque directeur de la rédaction de Marianne, Jean-François Kahn lui met le pied à l’étrier : « Mohamed nous a beaucoup aidés dans notre combat éditorial contre tous ceux, et notamment Libération, qui avaient tendance à relativiser la responsabilité des islamistes dans les atrocités commises en Algérie. »
Jean-François Kahn lui commande ses premiers papiers. Sa carrière de journaliste est relancée. Et, le 11 septembre 2002, un an après les attentats aux Etats-Unis, il sort son premier livre, La France malade de l’islamisme. Menaces terroristes sur l’Hexagone, avec une préface du patron de Marianne (Le Cherche Midi). Sa thèse tient en une phrase : « Au cours des vingt dernières années, l’idéologie islamiste s’est propagée dans les couches de l’immigration comme se propage une maladie endémique et contagieuse, sans que la société française ait eu le temps de s’en apercevoir. »
Et déjà pointe son obsession sur le port du voile, « un signe d’appartenance à une idéologie extrémiste ». Elle ne le quittera pas. La machine Sifaoui est lancée : une vingtaine de livres, presque autant de documentaires, deux bandes dessinées et même un scenario de film. Tout tourne autour de ses thèmes de prédilection : l’islamisme, la menace terroriste, le communautarisme. Avec souvent un parfum de scandale et de controverses.
Un tuyau percé dans l’affaire Estelle Mouzin
Son premier documentaire, Enquête sur un réseau (islamiste), réalisé avec la journaliste Florence Bouquillat et diffusé le 27 janvier 2003 sur France 2 – qu’il déclinera dans la foulée en livre au titre plus accrocheur, Mes “frères” assassins. Comment j’ai infiltré une cellule d’Al-Qaida (Le Cherche Midi) – fait immédiatement polémique. Le film suit un dénommé Karim Bourti, un salafiste déjà condamné par la justice, qui évoque, en caméra cachée, l’hypothèse d’un attentat contre la tour Eiffel. Même si le documentaire ne parvient pas à démontrer son appartenance à la mouvance Al-Qaida, l’effet de buzz est immédiat.
Mohamed Sifaoui est invité à « Tout le monde en parle », le talk-show de Thierry Ardisson. « Arrêt sur images » y consacre une émission. Sur le plateau de Daniel Schneidermann, Florence Bouquillat semble émettre, à demi-mot, des réserves sur sa collaboration avec son collègue : « J’ai fait attention dans ma manière de travailler avec lui, par exemple à toujours garder les cassettes avec moi. » Publiquement, elle en restera à cette phrase sibylline.
Sauf à de très rares proches, la journaliste n’a jamais raconté que, quelques jours avant la diffusion du documentaire, elle a reçu un coup de fil des policiers du Quai des Orfèvres l’invitant à venir les voir. Intriguée, elle s’y rend. Et découvre qu’ils connaissent les moindres détails des entretiens réalisés. Pour elle, cela ne fait guère de doute que Sifaoui les avait tenus informés de l’état d’avancement de leur enquête.
Contactée, Florence Bouquillat n’a ni infirmé ni confirmé cet épisode. En parallèle de ses activités de journaliste, Sifaoui travaillait-il avec la police française ? Patron de la Crim’ à l’époque, Frédéric Péchenard ne le confirme pas, sans pour autant l’exclure : « A ma connaissance, jamais M. Sifaoui ne nous a donnés d’informations, mais il se disait qu’il en donnait aux RG [Renseignements généraux], mais je ne sais pas si c’était vrai. » Quoi qu’il en soit, Florence Bouquillat et Mohamed Sifaoui ne se parleront plus jamais.
Les polémiques se suivent mais ne se ressemblent pas. Quatre ans plus tard, en marge de son enquête J’ai infiltré le milieu asiatique (Le Cherche Midi), qui a aussi fait l’objet d’un documentaire diffusé sur TF1, Mohamed Sifaoui est d’abord accusé d’avoir tenu des propos racistes en déclarant que « la majorité des Asiatiques que j’ai fréquentée n’a absolument rien à foutre de la communauté nationale. Ils sont là pour gagner de l’argent ».
Mais, surtout, le journaliste a confié à la police avoir recueilli, pendant son enquête, des informations décisives selon lesquelles le corps d’Estelle Mouzin, une fillette disparue depuis 2003, se trouverait sous un restaurant chinois. Après la garde à vue de dix personnes, la démolition du sol du restaurant et la découverte d’ossements… d’animaux, la piste se révèle un tuyau percé. Ce genre de mésaventure aurait dû ruiner la crédibilité de n’importe quel journaliste. Mais pas celle de Mohamed Sifaoui.
Le messie d’une gauche à cheval sur la laïcité
L’homme sait rebondir. Grâce notamment au soutien de l’essayiste Caroline Fourest, il va assez vite se constituer un réseau d’amitiés et de fidélités assez puissant. De gauche, mais d’une gauche très à cheval sur la laïcité, hostile, par principe, au port du voile et très en soutien d’Israël. De Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo puis de France Inter à l’ex-premier ministre Manuel Valls, en passant par l’ancien leader de SOS Racisme Malek Boutih. Tous ont refusé de répondre à nos questions. Sauf Bernard-Henri Lévy.
Lui se souvient d’avoir découvert Mohamed Sifaoui à la télévision en 2003. Une sorte d’apparition. « J’ai rêvé toute ma vie de trouver des ponts vivants entre le monde musulman et le monde juif. C’est tellement important un musulman qui de l’intérieur condamne l’islamisme radical et l’antisémitisme et promeut la fraternité avec les juifs. Mohamed fait partie des grandes voix qui expriment cela et il n’y en a pas beaucoup. »
e télévision, il parle fort et de façon péremptoire. Multipliant les formules parfois blessantes, pour ne pas dire insultantes envers la communauté musulmane. « Il fait partie de ces gens qui, par ignorance ou intérêt, ont fait de l’islam un sujet noir ou blanc. Il a pris la place du musulman qui dit du mal de l’islam, car il a bien vu que c’était vendeur », dénonce Hakim El Karoui, essayiste, chercheur associé à l’Institut Montaigne, auteur d’un rapport sur l’islam de France.
Cela ne l’a pas empêché d’intégrer le bureau national de SOS Racisme entre 2009 et 2012, puis celui de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) en 2016. Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, le défend encore aujourd’hui : « Même si ses analyses sont un peu mécaniques, il connaissait très bien le sujet de l’islam politique. Ce n’est pas l’escroc intellectuel que ses détracteurs veulent dénoncer… »
Vrai faux croyant
Le procès contre Charlie Hebdo, en 2007, va être son moment. « C’est lui qui nous propose de nous soutenir, se souvient un ex-Charlie qui souhaite rester anonyme. Il était l’un des rares à dire : “Je m’appelle Mohamed Sifaoui et je n’ai aucun problème à soutenir la démarche de Charlie.” » A la sortie de l’audience, les caméras et les micros se ruent vers lui. « Vous, en tant que musulman croyant et pratiquant, vous ne vous êtes pas sentis offensé par les caricatures ? », lui demande un journaliste. Réponse : « Non, je suis offensé quand des musulmans tirent en mon nom, au nom de l’islam et au nom de ma religion. »
Croyant, Sifaoui ? Quatre ans plus tôt, sur le plateau de Thierry d’Ardisson, il déclarait déjà : « Moi, je suis croyant, il ne pourra m’arriver que ce que Dieu m’aura prescrit. » Pourtant, tous ceux qui l’ont bien connu nous ont tous affirmé la même chose : Mohamed Sifaoui n’est ni croyant ni pratiquant. Ce n’est que dans son livre Une seule voie : l’insoumission (Plon, 2017), qu’il reconnaîtra que s’il a été croyant quand il était enfant, il a ensuite longtemps cru en son « agnosticisme », « avant d’être finalement convaincu de ne croire en aucun Dieu ».
Il faut parfois nuancer ce que dit Mohamed Sifaoui en public. Y compr
is devant les sénateurs. « Tous ceux qui défendent la République et la laïcité sont tous mes copains », a-t-il par exemple déclaré le 15 juin. Ce serait trop simple. Car l’homme a un immense talent pour se faire des ennemis, y compris avec des gens censés défendre les mêmes idées que lui.
Le 18 novembre 2015, il est en plateau sur France 2 pour une émission spéciale sur les attentats du Bataclan, lorsqu’il se lance, de façon aussi soudaine que brutale, dans une diatribe contre Latifa Ibn Ziaten, la mère d’un militaire assassiné par Mohamed Merah en 2012, qui depuis s’est engagée dans un travail de sensibilisation dans les écoles contre les fanatismes de toutes sortes : « Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils (…), qu’on doit la sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la lutte contre le terrorisme. » Trois ans plus tard, le 12 février 2018, il récidive, encore plus violent : « Le voile qu’elle porte est porté par l’idéologie qui a tué son propre fils. »
Latifa Ibn Ziaten, qui se couvre les cheveux avec un foulard depuis la mort de son fils, en signe de deuil, dépose plainte pour diffamation. Mal lui en a pris. « Je suis sortie du tribunal en pleurant, se rappelle-t-elle aujourd’hui. Il n’a même pas fait l’effort de s’excuser… Franchement, je n’ai rien compris. » Mohamed Sifaoui est finalement relaxé. « Cette affaire de Latifa l’a rendu fou, décrypte un ancien ami. Pour lui, c’était insupportable que cette mère en deuil incarne ce qu’il est censé incarner : la vraie victime de l’islamisme politique. Et, en tant que victime, il considère que tout le monde a une dette envers lui. »
L’éphémère association Onze janvier
Même avec le Printemps républicain, ce mouvement fondé en 2016 sur l’idée d’une laïcité de « combat », avec laquelle il est, a priori, parfaitement aligné, il va réussir à se brouiller de façon incompréhensible. « C’est toujours compliqué de bosser avec Mohamed, répond une vieille amie. Je pense qu’il a un comportement autodestructeur, qui est lié à son syndrome post-traumatique. Le fait d’être tout le temps en bataille depuis l’attentat d’Alger contre son journal. Il ne parle que de salafisme du matin au soir. Quand on a été à ce niveau de menaces, d’emmerdes, de polémiques, ça rend à fleur de peau. »
L’ancien président de la Licra Alain Jakubowicz reconnaît bien volontiers que Mohamed Sifaoui, appelé en 2016 au sein du bureau exécutif de l’association, n’est pas un partenaire facile. « Ce n’est pas toujours un homme de dialogue. Pour lui, sa position est non négociable. » Là encore, le compagnonnage avec la Licra se termine dans les drames, en septembre 2017, avec un communiqué de presse rageur. « Je trouvais que l’histoire de Mohamed était une belle histoire personnelle, poursuit Alain Jakubowicz. On a toujours considéré que ce qu’il avait vécu, ses combats, expliquait – ne justifiait pas forcément, mais expliquait – ses outrances. »
De l’aveu de ses proches, les attentats de 2015 ne lui ont pas fait du bien. Ce qu’il pressentait et redoutait, presque seul, depuis plus de dix ans est advenu. Consacré par le « je vous l’avais bien dit », « il s’est radicalisé dans ses positions », relève Jean-François Kahn, qui nuance aussitôt : « Il a eu jusqu’au bout le mérite de ne pas basculer à droite. »
L’islamisme n’a jamais autant tué en France, Mohamed Sifaoui veut plus que jamais faire feu de tout bois. Il mobilise ses amis, active ses réseaux. Au printemps 2015, il annonce créer l’association Onze janvier, pour lutter contre les fanatismes religieux et l’extrême droite. En mai, une assemblée générale à Paris réunit une cinquantaine de membres fondateurs, dont les essayistes Raphaël Glucksmann et Fiammetta Venner – par ailleurs compagne de Caroline Fourest –, le journaliste et fondateur du site Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, ou encore le directeur général de l’Association française des victimes de terrorisme (AFVT), Guillaume Denoix de Saint Marc.
Les statuts sont déposés en préfecture le 6 juin ; l’adhésion est fixée à 50 euros. « Si des gens qui ont des moyens ne sont pas capables de mettre 50 euros sur la table, explique Mohamed Sifaoui lors d’un séminaire organisé en juin 2015 par La Règle du jeu, la revue de Bernard-Henri Lévy, ils n’ont rien à faire dans un combat qui doit les opposer à des gens qui mettent souvent leur vie sur la table. » Il promet des embauches, mais l’ambitieux projet fait long feu. Guillaume Denoix de Saint Marc résume aujourd’hui : « Il y a eu des prémisses, mais ça a fait pschitt. » Aucun des interlocuteurs sollicités par M n’a été en mesure de dire combien d’argent avait été récolté par l’association Onze janvier. Encore moins à quoi il a pu servir.
Un emploi « peu transparent »
Auprès de l’AFVT, Mohamed Sifaoui va tout de même faire fructifier son combat contre l’islamisme. Avec les attentats de janvier 2015, cette petite association croule sous les demandes et voit ses subventions grimper. Dès avril 2015, le journaliste est embauché. « Guillaume [Denoix de Saint Marc] nous dit qu’il est extraordinaire, qu’il a un carnet d’adresses et va nous aider, nous conseiller », se remémore un administrateur. Après une première prolongation de contrat, Mohamed Sifaoui signe un CDI – trente-deux heures par semaine, 2 250 euros brut, en février 2016.
Pour quelles missions effectuées ? Difficile à dire. Il y a, certes, ces quatre sessions de prévention de la radicalisation auprès d’élus et de cadres municipaux à Sarcelles, en février et mars 2016, facturées 25 000 euros par l’AFVT. Pour le reste, l’apport de Sifaoui dans l’association reste « très mystérieux, et peu transparent », selon le même administrateur. En 2017, le conseil d’administration de l’AFVT s’interroge sur la réalité de son travail, une majorité des membres souhaite son départ. Une rupture conventionnelle est signée en mars 2018.
Mohamed Sifaoui collectionne alors les projets aussi ambitieux que fugaces. Le 11 janvier 2018, il lance la revue Contre-terrorisme, conçue comme un trimestriel. Le juge d’instruction Marc Trévidic ou l’historienne Jacqueline Chabbi font partie des contributeurs bénévoles. Avec une douzaine d’autres personnalités, ils ont même mis quelques centaines d’euros pour aider à la création d’une société éditrice. Las, après deux numéros, le magazine s’arrête, sans aucune explication. Les abonnés – Mohamed Sifaoui en revendiquait 1 500 – en sont pour leurs frais. Tout comme ceux de la chaîne Web Islamoscope TV, lancée par le journaliste à l’été 2020 et qui diffusait, contre un abonnement mensuel de 4,99 euros, du « contenu exclusif » et des « grands entretiens » sur l’islam politique et le terrorisme. Une promesse qui ne dure que quelques mois.
Un passage par la Ligue 1
Puisque aucun de ses projets ne décolle, Sifaoui va cumuler les missions. Entre la fin 2020 et 2022, il signe un premier contrat de consultant (de 39 500 euros) avec le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui dépend en partie de Beauvau et dont il connaît bien le nouveau secrétaire général, Christian Gravel, un intime de Manuel Valls. Et, quand Marlène Schiappa a l’idée de lancer son fonds Marianne, son cabinet se tourne à nouveau vers Mohamed Sifaoui, que la ministre connaît. Par l’intermédiaire de l’USEPPM, dont il est devenu administrateur le 20 mai 2017, il recevra environ 60 000 euros.
« La grande phrase de Sifaoui, c’était : “Il faut mutualiser les sources de revenus” », se remémore Raphaël Saint-Vincent, un formateur en close-combat qui l’a fait rentrer à l’USEPPM avant de s’en mordre les doigts. Alors Sifaoui « mutualise », y compris sur des terrains improbables. Il est un temps salarié de la société de maroquinerie de luxe de Cyril Karunagaran, un étrange touche-à-tout, par ailleurs président de l’USEPPM.
Comme si cela ne suffisait pas, il rédige une dizaine d’articles pour Le Journal du dimanche, puis, entre novembre 2021 et mai 2022, une dizaine d’autres pour l’hebdomadaire dirigé par Caroline Fourest Franc-Tireur. Quitte à se retrouver parfois en situation de potentiel conflit d’intérêts avec sa principale source de revenus, le ministère de l’intérieur. « Je n’ai jamais cru que des gens de mon profil puissent se suffire des trente-cinq heures », expliquera-t-il aux sénateurs.
Dans cette course aux contrats, l’été 2022 marque une accalmie. Mais, dès octobre, une opportunité inattendue et lucrative se présente. « Je range ma carte de presse », annonce alors Sifaoui – façon de parler, lui qui n’a jamais eu de carte de journaliste professionnel. Il devient, à la surprise générale, directeur de la communication du club de football d’Angers, alors dernier de Ligue 1. Loin, très loin de ses terrains habituels. En quelques semaines et à coups de phrases chocs, il réussit à se mettre à dos supporteurs et joueurs. Les journalistes aussi, à qui il reproche, dans des textos insultants, leur « flatulence médiatique ». « Il n’avait ni les codes de la communication ni ceux du football », résume le correspondant de L’Equipe, cible du courroux du dircom’. L’erreur de casting – environ 7 000 euros par mois – prendra fin en avril.
L’argent, tout autant que les idées, voilà peut-être l’un des fils rouges de Mohamed Sifaoui. Il a donné l’impression de courir après toute sa vie. A RSF, il y a vingt ans, ils sont plusieurs à lui avoir prêté quelques centaines d’euros, sans en revoir la couleur. Depuis, les anecdotes de généreux déçus se sont accumulées. Un jour, au tournant des années 2010, c’est un dirigeant associatif qui envoie plusieurs fois son RIB, dans l’espoir de récupérer les 1 850 euros prêtés, en vain. Une autre fois, c’est une avocate parisienne qui fait un scandale en demandant son dû. « Je ne veux pas accabler Mohamed. Mais je connais plusieurs amis communs et il nous a tous tapé un peu de pognon », résume un autre avocat qui lui a prêté « des milliers » d’euros.
Sans rancune : « Pour les gens à qui il s’est adressé, l’argent n’est pas un sujet majeur. » Devant les sénateurs, le 15 juin, Mohamed Sifaoui ne s’est pas étendu sur les questions pécuniaires. Il a souligné qu’il n’est « pas un rentier ». Avant d’ajouter : « Je suis un père de famille avec des enfants à élever, il me faut gagner ma vie (…) mais pas pour un enrichissement personnel. Cela n’a jamais été ma quête d’existence. » Les sénateurs, dans leur rapport, se sont tout de même « étonnés » de son niveau de rémunération. Et l’inspection générale de l’administration, elle, a demandé le remboursement de près de la moitié de la subvention perçue.
Par Yann Bouchez et Grégoire BiseauPublié aujourd’hui à 17h11, modifié à 20h01https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/07/07/de-l-algerie-au-fonds-marianne-les-zones-d-ombre-de-l-intrigant-mohamed-sifaoui_6181007_4500055.html..
Les humains sont des superprédateurs qui exploitent un tiers des espèces de vertébrés
Une étude, publiée jeudi, quantifie les différents usages que les hommes font des animaux et leur impact global sur la biodiversité.
Il y a le lion, le tigre, le jaguar, l’aigle d’Eurasie ou le grand requin blanc. Des animaux charismatiques, au sommet de la chaîne alimentaire, qui ont pour proies un grand nombre d’autres vertébrés. Et puis il y a les êtres humains, des superprédateurs hors catégories : une étude, publiée jeudi 29 juin dans la revue Communications Biology, démontre qu’ils utilisent, pour une multitude d’usages, près du tiers des espèces de vertébrés de la planète. Au-delà des risques directs qu’elle fait peser sur les animaux concernés, cette exploitation massive peut avoir des conséquences écologiques majeures sur le fonctionnement des écosystèmes.
« Nous avons imaginé que nous venions d’une autre planète et que nous voulions en savoir plus sur les prédateurs de la Terre, explique Chris Darimont, chercheur à l’université de Victoria, au Canada, et principal auteur de l’article. Nous avons cherché à comprendre en quoi les humains se distinguent des autres espèces prédatrices et quelles sont les implications de la surexploitation. »« L’action de prédation de l’homme s’est accrue avec la mondialisation et l’industrialisation, ajoute Rob Cooke, chercheur au UK Centre for Ecology & Hydrology et l’un des coauteurs de l’article. Nous voulions donc quantifier l’étendue de ces usages et de leur impact. »
La prédation par les humains est ici entendue au sens large : elle prend en compte les animaux tués pour être mangés (chasse, pêche…) mais aussi tous les usages qui conduisent à prélever des individus de populations sauvages – par exemple pour être vendus comme animaux de compagnie –, qu’ils soient létaux ou non. Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont utilisé la base de données de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).ctions
Résultat, sur les quelque 47 000 espèces de vertébrés étudiées, les humains en exploitent environ 15 000, dont près de 80 % sont des oiseaux et des poissons. Viennent ensuite les mammifères et les poissons cartilagineux, puis les reptiles et les amphibiens. La majorité des « proies » humaines sont des espèces marines (43 % des espèces évaluées), avant les espèces d’eau douce (35 %) et terrestres (26 %).
L’équivalent de « 300 espèces de léopards »
Surtout, seules 55 % de ces espèces sont tuées à des fins alimentaires. Si 72 % des espèces d’eau douce ou marines sont mangées, c’est le cas de 39 % des vertébrés terrestres exploités, 74 % étant prélevés dans la nature pour devenir des animaux de compagnie. Environ 8 % sont destinés à la chasse sportive ou à la collecte de trophées ou d’ornements. « Ces utilisations très variées, et en particulier le nombre énorme de vertébrés utilisés comme animaux de compagnie, nous ont vraiment surpris », admet Chris Darimont.
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« Ce travail documente non seulement l’impact quantitatif, mais aussi la vaste gamme de vertébrés que les humains utilisent, insiste Sandra Diaz, biologiste spécialiste de l’écologie des communautés et des écosystèmes, qui n’a pas contribué à ces travaux. Ce que je trouve le plus inquiétant, c’est le fait que le commerce des animaux de compagnie et de la médecine affecte presque autant d’espèces que l’alimentation. C’est une illustration frappante du coût que les modes de consommation dominants imposent à la nature. »
Dans cette étude, les chercheurs établissent également que les humains exploitent jusqu’à 300 fois plus de vertébrés que les espèces prédatrices non humaines dans des zones de taille équivalente – 80 fois plus que le lion, 113 fois plus que le grand requin blanc et 300 fois plus que le jaguar. « L’impact des humains est très important ; cela reviendrait presque à avoir 300 espèces de léopards dans la même zone géographique », précise Rob Cooke.
En juillet 2022, une évaluation mondiale réalisée par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) avait montré qu’à l’échelle de la planète quelque 50 000 espèces non domestiquées, animales et végétales, étaient utilisées dans les secteurs de l’alimentation, de l’énergie, de la médecine, des matériaux ou encore des loisirs. Quelques années plus tôt, cette instance avait déjà établi que l’exploitation naturelle des ressources était le deuxième facteur de perte de biodiversité, après la destruction et la fragmentation des habitats. Un résultat confirmé par une vaste méta-analyse, publiée en novembre 2022 dans la revue Environmental studies.
Prédation « démesurée »
Cette exploitation a un impact direct sur les espèces, bien identifié, par exemple, par la liste rouge des espèces menacées de l’UICN. Sur les quelque 15 000 espèces utilisées par l’homme, 39 % sont considérées comme menacées par ces usages et 13 % risquent de disparaître. Mais ce phénomène a d’autres conséquences. Pour les préciser, les chercheurs se sont penchés sur les principales caractéristiques des « proies » (masse corporelle, superficie de l’habitat, taille de la portée…). « Les humains ciblent les espèces les plus grandes, qui vivent plus longtemps, ont un régime alimentaire plus herbivore et des habitats plus larges que les espèces non utilisées », écrivent les auteurs. Les espèces à risque d’extinction, en raison notamment de cette exploitation, sont également surreprésentées. Autant d’éléments qui font que les êtres humains auraient un impact écologique jusqu’à 1 300 fois supérieur à celui des autres prédateurs.
« Les prédateurs humains utilisent une part du gâteau beaucoup plus grosse, ils prélèvent une plus grande partie de la diversité écologique, détaille Rob Cooke. Et nous observons un fort chevauchement entre les espèces que les humains prennent et celles utilisées par les grands prédateurs. » « Ces espèces que les humains surexploitent ont des fonctions très importantes, et souvent uniques, dans les écosystèmes, ajoute Chris Darimont. Nous risquons donc de perdre non seulement des espèces mais aussi les nombreux processus dans lesquels elles sont impliquées au sein de leurs communautés écologiques. »
Selon l’étude, la « niche prédatrice de l’humanité » affecte ainsi probablement un plus grand nombre d’espèces, de zones et de processus que ceux actuellement identifiés. Les chercheurs appellent ainsi la société à reconnaître pleinement les effets globaux que leur activité de prédation « démesurée » peut avoir sur l’ensemble de la biodiversité. « L’humanité doit changer de cap, et vite, ou elle risque de perdre bien plus que des espèces, insiste Chris Darimont. La bonne nouvelle est qu’il existe de nombreuses preuves que les populations peuvent exploiter les proies de manière durable. »
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