Tombeaux perdus (1/5). Qu’est-il advenu du corps de celle qui fut l’une des femmes les plus célèbres de l’histoire ? Les circonstances exactes de sa mort et l’emplacement de sa dernière demeure font encore l’objet de fantasmes… et de recherches archéologiques sous terre et sous les eaux.
Cléopâtre testant des poisons sur des condamnés, une image issue de la propagande des vainqueurs romains ? (peinture d’Alexandre Cabanel en 1887) (WIKIMEDIA COMMONS)
« Nulle tombe sur la terre n’aura enveloppé un couple aussi fameux. » Qui d’autre que Shakespeare – traduit ici par le fils Hugo, François-Victor – pouvait aussi bien qualifier l’importance d’un monument aujourd’hui perdu ? La sépulture de Cléopâtre, qui est probablement aussi celle de Marc Antoine, est aujourd’hui perdue dans les limbes d’un passé lointain. Mais si plus de deux millénaires se sont écoulés depuis que le poison a emporté celle qui a conquis à la fois César et Antoine, elle reste probablement l’une des femmes les plus célèbres de l’histoire. Caricaturée, adulée, incarnée par des actrices de renom, elle est devenue un symbole de beauté, certes, mais aussi de puissance et d’intelligence : on connaît son habileté de souveraine, de diplomate et de générale d’armée, et aussi le fait qu’elle parlait 9 langues et était versée dans les sciences, la littérature et la philosophie de son époque.
Cléopâtre, septième du nom, héritière de la dynastie grecque des Ptolémée et dernière souveraine de plein droit de l’Egypte antique, serait morte dans son tombeau, respecté de son vainqueur Octave, le futur Auguste et premier empereur de Rome. Un monument funéraire que des archéologues recherchent encore aujourd’hui et, pour certains d’entre eux, la piste serait encore chaude, comme en témoignent des fouilles menées dans la région d’Alexandrie.
Le poison de la dernière reine d’Egypte
Les circonstances même de son trépas sont devenues plus proches de la légende que de la réalité historique démontrée. On évoque des essais de poisons sur des esclaves dans une dramatisation qui pourrait être un exemple antique de propagande. Les historiens d’antan qui le relatent ne sont pour la plupart pas contemporains des faits, à l’exception notable de Strabon. Rappelons le contexte : Marc Antoine et Octave, alliés contre les assassins de Jules César, et unis par le mariage de Marc Antoine avec la sœur d’Octave, sont devenus rivaux. Dirigeant l’est de ce qui allait devenir l’Empire romain, Marc Antoine était avant tout l’allié de Cléopâtre qui, à travers lui, défendait l’indépendance de son royaume plusieurs fois millénaire face aux ambitions territoriales de Rome. La bataille navale d’Actium, en -31, voit la victoire de la flotte d’Octave. Antoine, croyant Cléopâtre morte, se jette sur son épée, mais la blessure n’est pas immédiatement fatale et il poussera son dernier soupir au côté de la reine d’Egypte qu’Octave espérait pouvoir exhiber lors de sa cérémonie de triomphe à Rome… Ce dernier point est cependant encore débattu, certains spécialistes pensant qu’au contraire, il craignait qu’un tel traitement n’émeuve le peuple romain et ne nuise à son image.
Polémique sur la série Netflix sur Cléopâtre : « On plaque un questionnement anachronique sur l’époque antique »
Cléopâtre ne lui laissa pas ce choix et, dit-on, s’empoisonna, le 12 août de l’an 30 avant notre ère. Dans des circonstances que le récit de son médecin personnel n’éclaire pas, du moins pas selon les témoignages qui nous sont parvenus. Et les auteurs antiques ne s’accordent pas sur la manière. L’épisode du panier de figues dans lequel était dissimulé l’aspic au venin foudroyant a été rendu célèbre par Shakespeare, mais figure aussi dans des récits d’auteurs antiques. Plutarque, près d’un siècle après les faits, évoque deux petites piqûres sur son bras, ce qui conforterait la thèse du venin de serpent, également propagée par Octavien qui la décrit ainsi lors de sa procession triomphale, de retour à Rome.
Les poètes Virgile et Horace vont même jusqu’à parler de deux de ces aspics mortels. « Des serpents et des figues, l’image a pu être calculée délibérément, du fait de leurs connotations sexuelles et le désir de représenter Cléopâtre comme une séductrice étrangère », analyse-t-on à l’université de Chicago (Etats-Unis). Strabon, par exemple, évoque un trépas « soit en se faisant piquer par un aspic, soit en usant d’un de ces poisons subtils qui tuent par le seul contact (car l’une et l’autre tradition ont cours). » Poison, aspic ou même cobra selon certains, le doute demeure.
Le hic, c’est que la plupart des récits ont été écrits des décennies plus tard, sans que l’on sache s’ils faisaient vraiment appel à des sources fiables ou s’ils reproduisaient une histoire officielle bien enracinée par Auguste et ses successeurs.
Pour Plutarque, né soixante-seize ans après les faits, la reine demanda à son médecin Olympus de l’aider à mettre fin à ses jours après le trépas d’Antoine. Octavien l’en dissuada en menaçant ses enfants. Ce qui ne fonctionna qu’un temps, puisqu’elle finit donc par se donner la mort. Les Romains la trouvèrent, raconte l’historien, « sans vie, couchée sur un lit d’or, et vêtue de ses habits royaux ». Plutarque défend lui aussi la thèse de l’aspic, mais envisage également l’emploi d’une épingle à cheveux empoisonnée. « Cléopâtre mourut à l’âge de 39 ans, après en avoir régné vingt-deux, dont plus de quatorze avec Antoine, qui avait à sa mort 53 ans, et, suivant d’autres, " data-original-
La dernière demeure d’Antoine et Cléopâtre
Aussi diserts soient-ils sur les circonstances de la mort de Cléopâtre, les auteurs antiques restent avares de détails sur sa sépulture. Plutarque nous fournit quelques indices : Cléopâtre aurait fait pénétrer Antoine agonisant dans son tombeau – les Egyptiens avaient pour tradition de penser bien à l’avance à leur dernière demeure – dans lequel elle s’était réfugiée pour faire face à Octave. L’historien précise que la reine « l’enterra de ses propres mains, avec une magnificence royale ». Mais ne nous dit pas où, si ce n’est qu’elle supplia dans une lettre Octave de l’enterrer auprès de l’homme qu’elle aimait. Une prière qui fut exaucée puisque le futur Auguste « ordonna qu’on l’enterrât auprès d’Antoine avec toute la magnificence convenable à son rang ».
Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand, dont le général Ptolémée fera sa résidence de roi d’Egypte, a longtemps semblé être le lieu évident de la dernière demeure d’Antoine et Cléopatre. Si leur tombeau s’y situe, le retrouver risque d’être difficile. Car toute une partie de la ville antique est désormais au fond des eaux de la Méditerranée. L’archéologie sous-marine nous amènera-t-elle des surprises ?
Aujourd’hui, c’est cependant une autre ville qui retient l’attention des spécialistes. Dans l’Antiquité, on la nommait Taposiris Magna, aujourd’hui Abousir, dans les faubourgs sud-ouest de la grande Alexandrie, à une cinquantaine de kilomètres du centre de la mégapole égyptienne. Dès la fin des années 1990, le site est fouillé par des archéologues, mais les années 2000 marquent un tournant dans l’histoire de ce lieu avec la découverte, et les premières fouilles, d’un temple dédié à Osiris et Isis.
« Ce site pourrait renfermer une découverte archéologique majeure », assurait une étude égyptienne publiée en mai 2019 dans la revue « NRIAG Journal of Astronomy and Geophysics » Les auteurs y font état de détections au radar à pénétration de sol – une technologie utilisée pour obtenir des images de structures enterrées – qui laissaient supposer la présence d’une possible chambre située 20 à 30 mètres sous le temple d’Osiris. Une tombe possible pour Cléopâtre et Marc Antoine, et les données venaient renforcer la conviction de ceux qui exploraient ce site.
Un tunnel sous le temple d’Osiris
Le 3 novembre 2022, le ministère du Tourisme et des Antiquités d’Egypte publiait sur Facebook un communiqué révélant la découverte d’un tunnel rocheux, à 13 mètres sous la surface, de 1 305 mètres de long et 2 mètres de haut. « C’est la réplique exacte du tunnel d’Eupalinos en Grèce, qui est considéré comme l’une des réalisations d’ingénierie les plus importantes de l’Antiquité », confiait Kathleen Martinez à LiveScience. Le tunnel auquel elle fait référence date du VIe siècle avant notre ère et se situe sur l’île de Samos où il servait d’aqueduc.
Au centre de cette trouvaille, une figure atypique de l’égyptologie, la docteure Kathleen Martinez. Ténor du barreau en République dominicaine, cette passionnée d’archéologie de terrain se consacre à Cléopâtre depuis plus de deux décennies. « J’ai étudié les sources égyptiennes et elles décrivaient une personne différente [que celle décrite par les Romains], la plus importante de sa dynastie. Cléopâtre dirigeait le pays le plus influent de l’époque. Reine à 18 ans, elle était la femme la plus importante sur Terre. Elle parlait neuf langues, écrivait sur les lois et la médecine. Chaque jour, je m’intéressais de plus en plus à elle. »
Cette admiration sans borne l’a amenée à la quête de son tombeau. « J’ai étudié comment elle est morte, déclarait-elle. Dans l’Egypte antique, la mort était un moment crucial et la façon dont on mourrait était remplie de sens. » Selon Kathleen Martinez, Cléopatre a été mordue par un cobra, le serpent protecteur des pharaons. « Sa mort était un message à ses partisans, elle voulait mourir comme une déesse. »
La quête de la chercheuse a donc pris une direction originale. Pour Kathleen Martinez, « si la tombe de Cléopâtre n’a jamais été retrouvée, c’est parce que la reine d’Egypte n’a pas été ensevelie dans une tombe. Elle et Marc Antoine ont dû être enterrés dans un temple, sans doute dédié à Isis et Osiris. Mais lequel ? » En 2002, elle se rend en Egypte pour faire le tour des temples possibles. Et s’arrête à celui de Taposiris Magna. Malgré les doutes et parfois l’opposition de nombre d’égyptologues, elle persuade les autorités égyptiennes d’y débuter des fouilles. Depuis, elle y travaille sans relâche. Dans le temple d’Osiris, son équipe a déjà découvert des pièces à l’effigie de Cléopâtre et d’Alexandre le Grand, ainsi que des statues d’Isis, une déesse à laquelle Cléopâtre aurait manifesté un attachement particulier.
Les archéologues ont aussi trouvé un dédale de tunnels dans les environs, avec 16 tombes taillées dans le roc datant des époques romaine et hellénistique, de même que des momies de ces périodes, mais pas celle de Cléopâtre. Pas encore ? Une partie du grand tunnel récemment découvert serait submergée sous les eaux de la Méditerrannée, et l’équipe d’archéologues tente aujourd’hui d’explorer cette section du temple. Un indice en faveur de la thèse défendue par l’archéologue ?
Le docteur
Glenn Gohendo, égyptologue à l’université de Liverpool (Angleterre), qui a participé à un documentaire télévisé sur les recherches de Kathleen Martinez, ne semble pas très convaincu, même s’il reconnaît que « Taposiris Magna est un endroit impressionnant ». Pour lui, la conviction de sa collègue « est en contradiction avec les opinions généralement admises sur le sujet, qui tendent à suivre les auteurs classiques qui semblent concordants sur le fait que la tombe de Cléopâtre et Marc Antoine se trouve à Alexandrie ». Il souligne en outre que « des fouilles sous-marines au fil des ans ont identifié des vestiges captivants qui paraissent très bien correspondre aux descriptions des anciens auteurs. Fondamentalement, Kathleen fait face à une sérieuse concurrence ».
« Il serait remarquable que leur tombeau ait résisté à des millénaires de changements culturels et de désastres naturels », objecte pour sa part Robert Gurval, professeur d’études classiques à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA). « Même s’il n’a pas été touché par des mains humaines, les tremblements de terre et l’eau de mer l’auraient enterré ou submergé. Son palais est certainement sous l’eau. Son mausolée peut-être aussi. »
En 365, un tsunami dévaste Alexandrie, projetant des bateaux jusque sur le toit des maisons, comme le rapporte l’historien Ammien Marcellin. Depuis, il y en eut bien d’autres. Comme celui de 1323 qui a définitivement détruit le phare d’Alexandrie, sur la pointe de l’île de Pharos, l’une des Merveilles du Monde, qui aurait fini par s’effondrer dans les eaux en 1375. Autant de cataclysmes qui ont englouti une partie de l’antique Alexandrie. Aujourd’hui, des fouilles sont d’ailleurs en cours sous les eaux, dont celles réalisées par le Centre d’études alexandrines du CNRS (Cealex) autour des ruines du phare, mais pas pour retrouver le tombeau pL’Alexandrie engloutie le recèle-t-elle ? Une tombe liée au palais et désormais submergée avec lui par les eaux, telle est la thèse la plus communément admise. Kathleen Martinez a-t-elle raison ou tort ? Les fouilles du temple de Taposiris Magna pourraient trancher. Mais avant cela, la docteure Martinez devra « montrer qu’elle trouve des dates reliées de manière spécifique à Cléopâtre plutôt qu’à d’autres dirigeants ptolémaïques ou romains, » estime Glenn Gohendo. « Et elle devra démontrer un lien direct entre Cléopâtre elle-même et le site. Ce n’est pas une mince affaire. »
La découverte de ce tunnel sous le temple de Taposiris Magna est déjà en soi formidable. Et s’il menait au tombeau de Cléopâtre, ce serait sans précédent. « Une telle découverte serait majeure, avec la possibilité de réécrire ce que nous savons sur la plus célèbre reine d’Egypte », commente Jane Draycott, de l’université de Glasgow (Ecosse). D’autant plus que Césarion – fils de César et Cléopâtre – et Marcus Antonius Antyllus, fils d’Antoine, « pourraient bien y avoir été également enterrés », suggère la chercheuse écossaise.
« La quantité de nouvelles informations que les égyptologues, classicistes, spécialistes d’histoire ancienne et archéologues pourraient glaner de son contenu serait immense », prédit-elle. « L’architecture et les matériaux de la tombe seule pourraient occuper les historiens pendant des décennies. » Mais si l’on y trouvait aussi les restes de Cléopâtre, « cela pourrait nous en apprendre encore davantage, sur la cause de sa mort, son apparence physique et même répondre à la question épineuse de ses origines ». Tout cela en respectant ses restes, ce qui jusqu’ici n’a pas été vraiment le cas pour les souverains d’Egypte dont les momies sont exposées dans des musées…
La dernière demeure d’Antoine et Cléopâtre
Aussi diserts soient-ils sur les circonstances de la mort de Cléopâtre, les auteurs antiques restent avares de détails sur sa sépulture. Plutarque nous fournit quelques indices : Cléopâtre aurait fait pénétrer Antoine agonisant dans son tombeau – les Egyptiens avaient pour tradition de penser bien à l’avance à leur dernière demeure – dans lequel elle s’était réfugiée pour faire face à Octave. L’historien précise que la reine « l’enterra de ses propres mains, avec une magnificence royale ». Mais ne nous dit pas où, si ce n’est qu’elle supplia dans une lettre Octave de l’enterrer auprès de l’homme qu’elle aimait. Une prière qui fut exaucée puisque le futur Auguste « ordonna qu’on l’enterrât auprès d’Antoine avec toute la magnificence convenable à son rang ».
Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand, dont le général Ptolémée fera sa résidence de roi d’Egypte, a longtemps semblé être le lieu évident de la dernière demeure d’Antoine et Cléopatre. Si leur tombeau s’y situe, le retrouver risque d’être difficile. Car toute une partie de la ville antique est désormais au fond des eaux de la Méditerranée. L’archéologie sous-marine nous amènera-t-elle des surprises ?
Aujourd’hui, c’est cependant une autre ville qui retient l’attention des spécialistes. Dans l’Antiquité, on la nommait Taposiris Magna, aujourd’hui Abousir, dans les faubourgs sud-ouest de la grande Alexandrie, à une cinquantaine de kilomètres du centre de la mégapole égyptienne. Dès la fin des années 1990, le site est fouillé par des archéologues, mais les années 2000 marquent un tournant dans l’histoire de ce lieu avec la découverte, et les premières fouilles, d’un temple dédié à Osiris et Isis.
« On ne sait pas si Cléopâtre a aimé Antoine ou César, mais chacun d’eux a fait ses quatre volontés »
« Ce site pourrait renfermer une découverte archéologique majeure », assurait une étude égyptienne publiée en mai 2019 dans la revue « NRIAG Journal of Astronomy and Geophysics » Les auteurs y font état de détections au radar à pénétration de sol – une technologie utilisée pour obtenir des images de structures enterrées – qui laissaient supposer la présence d’une possible chambre située 20 à 30 mètres sous le temple d’Osiris. Une tombe possible pour Cléopâtre et Marc Antoine, et les données venaient renforcer la conviction de ceux qui exploraient ce site.
Les ruines du temple d’Osiris à Taposiris Magna
Les ruines du temple d’Osiris à Taposiris Magna ( ROLAND UNGER / WIKIMEDIA COMMONS)
Un tunnel sous le temple d’Osiris
Le 3 novembre 2022, le ministère du Tourisme et des Antiquités d’Egypte publiait sur Facebook un communiqué révélant la découverte d’un tunnel rocheux, à 13 mètres sous la surface, de 1 305 mètres de long et 2 mètres de haut. « C’est la réplique exacte du tunnel d’Eupalinos en Grèce, qui est considéré comme l’une des réalisations d’ingénierie les plus importantes de l’Antiquité », confiait Kathleen Martinez à LiveScience. Le tunnel auquel elle fait référence date du VIe siècle avant notre ère et se situe sur l’île de Samos où il servait d’aqueduc.
Au centre de cette trouvaille, une figure atypique de l’égyptologie, la docteure Kathleen Martinez. Ténor du barreau en République dominicaine, cette passionnée d’archéologie de terrain se consacre à Cléopâtre depuis plus de deux décennies. « J’ai étudié les sources égyptiennes et elles décrivaient une personne différente [que celle décrite par les Romains], la plus importante de sa dynastie. Cléopâtre dirigeait le pays le plus influent de l’époque. Reine à 18 ans, elle était la femme la plus importante sur Terre. Elle parlait neuf langues, écrivait sur les lois et la médecine. Chaque jour, je m’intéressais de plus en plus à elle. »
Cette admiration sans borne l’a amenée à la quête de son tombeau. « J’ai étudié comment elle est morte, déclarait-elle. Dans l’Egypte antique, la mort était un moment crucial et la façon dont on mourrait était remplie de sens. » Selon Kathleen Martinez, Cléopatre a été mordue par un cobra, le serpent protecteur des pharaons. « Sa mort était un message à ses partisans, elle voulait mourir comme une déesse. »
La quête de la chercheuse a donc pris une direction originale. Pour Kathleen Martinez, « si la tombe de Cléopâtre n’a jamais été retrouvée, c’est parce que la reine d’Egypte n’a pas été ensevelie dans une tombe. Elle et Marc Antoine ont dû être enterrés dans un temple, sans doute dédié à Isis et Osiris. Mais lequel ? » En 2002, elle se rend en Egypte pour faire le tour des temples possibles. Et s’arrête à celui de Taposiris Magna. Malgré les doutes et parfois l’opposition de nombre d’égyptologues, elle persuade les autorités égyptiennes d’y débuter des fouilles. Depuis, elle y travaille sans relâche. Dans le temple d’Osiris, son équipe a déjà découvert des pièces à l’effigie de Cléopâtre et d’Alexandre le Grand, ainsi que des statues d’Isis, une déesse à laquelle Cléopâtre aurait manifesté un attachement particulier.
Les archéologues ont aussi trouvé un dédale de tunnels dans les environs, avec 16 tombes taillées dans le roc datant des époques romaine et hellénistique, de même que des momies de ces périodes, mais pas celle de Cléopâtre. Pas encore ? Une partie du grand tunnel récemment découvert serait submergée sous les eaux de la Méditerrannée, et l’équipe d’archéologues tente aujourd’hui d’explorer cette section du temple. Un indice en faveur de la thèse défendue par l’archéologue ?
Le tunnel découvert sous le temple de Taposiris Magna, aujourd’hui dans les faubourgs du sud-ouest d’Alexandrie
Le tunnel découvert sous le temple de Taposiris Magna, aujourd’hui dans les faubourgs du sud-ouest d’Alexandrie ( MINISTÈRE DU TOURISME ET DES ANTIQUITÉS D’EGYPTE)
Le docteur Glenn Gohendo, égyptologue à l’université de Liverpool (Angleterre), qui a participé à un documentaire télévisé sur les recherches de Kathleen Martinez, ne semble pas très convaincu, même s’il reconnaît que « Taposiris Magna est un endroit impressionnant ». Pour lui, la conviction de sa collègue « est en contradiction avec les opinions généralement admises sur le sujet, qui tendent à suivre les auteurs classiques qui semblent concordants sur le fait que la tombe de Cléopâtre et Marc Antoine se trouve à Alexandrie ». Il souligne en outre que « des fouilles sous-marines au fil des ans ont identifié des vestiges captivants qui paraissent très bien correspondre aux descriptions des anciens auteurs. Fondamentalement, Kathleen fait face à une sérieuse concurrence ».
« Il serait remarquable que leur tombeau ait résisté à des millénaires de changements culturels et de désastres naturels », objecte pour sa part Robert Gurval, professeur d’études classiques à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA). « Même s’il n’a pas été touché par des mains humaines, les tremblements de terre et l’eau de mer l’auraient enterré ou submergé. Son palais est certainement sous l’eau. Son mausolée peut-être aussi. »
En 365, un tsunami dévaste Alexandrie, projetant des bateaux jusque sur le toit des maisons, comme le rapporte l’historien Ammien Marcellin. Depuis, il y en eut bien d’autres. Comme celui de 1323 qui a définitivement détruit le phare d’Alexandrie, sur la pointe de l’île de Pharos, l’une des Merveilles du Monde, qui aurait fini par s’effondrer dans les eaux en 1375. Autant de cataclysmes qui ont englouti une partie de l’antique Alexandrie. Aujourd’hui, des fouilles sont d’ailleurs en cours sous les eaux, dont celles réalisées par le Centre d’études alexandrines du CNRS (Cealex) autour des ruines du phare, mais pas pour retrouver le tombeau perdu.
L’Alexandrie engloutie le recèle-t-elle ? Une tombe liée au palais et désormais submergée avec lui par les eaux, telle est la thèse la plus communément admise. Kathleen Martinez a-t-elle raison ou tort ? Les fouilles du temple de Taposiris Magna pourraient trancher. Mais avant cela, la docteure Martinez devra « montrer qu’elle trouve des dates reliées de manière spécifique à Cléopâtre plutôt qu’à d’autres dirigeants ptolémaïques ou romains, » estime Glenn Gohendo. « Et elle devra démontrer un lien direct entre Cléopâtre elle-même et le site. Ce n’est pas une mince affaire. »
La découverte de ce tunnel sous le temple de Taposiris Magna est déjà en soi formidable. Et s’il menait au tombeau de Cléopâtre, ce serait sans précédent. « Une telle découverte serait majeure, avec la possibilité de réécrire ce que nous savons sur la plus célèbre reine d’Egypte », commente Jane Draycott, de l’université de Glasgow (Ecosse). D’autant plus que Césarion – fils de César et Cléopâtre – et Marcus Antonius Antyllus, fils d’Antoine, « pourraient bien y avoir été également enterrés », suggère la chercheuse écossaise.
« La quantité de nouvelles informations que les égyptologues, classicistes, spécialistes d’histoire ancienne et archéologues pourraient glaner de son contenu serait immense », prédit-elle. « L’architecture et les matériaux de la tombe seule pourraient occuper les historiens pendant des décennies. » Mais si l’on y trouvait aussi les restes de Cléopâtre, « cela pourrait nous en apprendre encore davantage, sur la cause de sa mort, son apparence physique et même répondre à la question épineuse de ses origines ». Tout cela en respectant ses restes, ce qui jusqu’ici n’a pas été vraiment le cas pour les souverains d’Egypte dont les momies sont exposées dans des musées…
Tombeaux perdus, une série en 5 épisodes
• Où est passée Cléopâtre ? A la recherche du mausolée de la dernière reine d’Egypte
• Alexandre le Grand : le mystère sur sa sépulture et les circonstances de sa mort reste entier
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