La plus haute distinction nationale suscite un mélange ambigu de convoitise et de polémique. Décryptage de deux siècles de récompenses.
Datée et controversée pour certains, la Légion d’honneur reste, pour d’autres, un symbole de reconnaissance, un signe prestigieux, apte à récompenser des années d’investissement et une contribution évidente au bien public. Née le 19 mai 1802 grâce à Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, cette médaille disputée a été créée dans une volonté de renouvellement, suite à des années difficiles pour les Français. Après des conflits militaires ayant fortement émaillé le pays, la sphère politique évolue dans un chaos relatif. Napoléon décide donc de fédérer son peuple autour de l’honneur individuel et national par l’intermédiaire de cette distinction capable de réunir la bravoure des militaires et l’investissement des civils.
Les débuts chaotiques de la Légion d’honneur
Soucieux de la disparition des ordres honorifiques, Napoléon insiste pour intégrer la Légion d’honneur à la réorganisation de l’État qui se joue, du Code civil au corps préfectoral. Pour qu’elle soit adoptée, de longues négociations sont nécessaires avec le Conseil d’État qui estime cette distinction contraire au principe révolutionnaire d’égalité. La première distribution d’insignes a lieu le 15 juillet 1804 aux Invalides. Jusqu’à la fin du Premier Empire, en 1814, 48 000 personnes seront décorées, dont seulement 1 400 appartenant à la société civile.
Quels sont les critères pour recevoir la Légion d’honneur ?
Il faut justifier d’un engagement au service du bénéfice commun, être reconnu pour ses mérites et avoir au moins vingt ans d’activité professionnelle.
Des insignes distribués à tout-va ?
Quand arrive le XXe siècle, près de 45 000 Français détiennent la Légion d’honneur. La Première Guerre mondiale vient considérablement transformer ce chiffre tandis que les actes héroïques se multiplient. Après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les guerres d’Indochine et d’Algérie, les récipiendaires sont de plus en plus nombreux et l’ordre se compose désormais de 320 000 membres. Face à cette flambée de distribution, le général de Gaulle décide, en 1962, de réformer le système des médailles nationales. Dans le cas de la Légion d’honneur, il crée un code spécifique et fixe un barème de décorés vivants, soit un maximum de 125 000 personnes.
Il faudra attendre les années 2000 pour qu’elle évolue à nouveau avec la mise en place d’une stricte parité entre les hommes et les femmes. Une procédure d’initiative citoyenne permet, en outre, à un particulier de déposer un dossier pour proposer l’admission d’un de ses concitoyens s’il l’estime méritant. En 2017, Emmanuel Macron décide de revaloriser cette décoration en limitant le nombre de nominations à 2 550 par an, les contingents civils baissant de 50 %, les militaires de 10 % et les étrangers de 25 %.
Une enquête s’impose avant de recevoir la légion d’honneur
Afin d’être admis, plusieurs conditions doivent être réunies, notamment des "mérites éminents". La relative subjectivité de cette notion pose toutefois question et crée régulièrement des polémiques. L’ancien secrétaire général de l’ordre évoque une pratique irréprochable d’un métier, mais aussi la capacité à sortir de l’ordinaire et à se distinguer. L’avancement dans les grades est, lui aussi, corrélé à l’évolution de ces mérites au fil des années.
Le conseil de l’ordre doit mener une enquête relative à la "moralité et à l’honorabilité" du futur décoré. Des observations de sa vie familiale sont lancées pour s’assurer de sa bonne conduite. Et un casier judiciaire vierge est obligatoire : interdit d’avoir été condamné par le passé ! Enfin, les récipiendaires doivent s’acquitter de droits de chancellerie en fonction de leur grade (de 50 à 200 €) et acheter eux-mêmes leurs insignes à la Monnaie de Paris ou chez un bijoutier. Et si médailles et plaques sont en vente libre (de 310 à 1 600 € environ), pas question de les arborer sans en avoir été honoré ! Le port illégal de décoration est passible de 15 000 € d’amende et d’un an de prison.
L’attribution de la légion d’honneur, un parfum de scandale
Régulièrement, l’attribution de la légion d’honneur fait renaître polémiques et scandales lorsqu’elle est décernée à des personnalités controversées. Comme celle de Vladimir Poutine, promu grand-croix le 22 septembre 2006, qui continue de faire débat, notamment chez Reporters sans frontières, pour qui ce choix est "inacceptable". La nomination de princes saoudiens, à l’image de la décoration de Mohammed Ben Nayef, a aussi relancé la discussion. Plus récemment, après les accusations portées contre le producteur Harvey Weinstein, l’Élysée affirmait avoir entamé des démarches pour lui retirer sa distinction. Avant lui, plusieurs médaillés ont été jugés indignes de la Légion d’honneur. Ainsi, en 2001, le général Paul Aussaresses, impitoyable tortionnaire durant la guerre d’Algérie, était exclu par Jacques Chirac. En 2012, c’était au tour de John Galliano, après sa condamnation pour injures antisémites, d’être déchu par un décret officiel de François Hollande. Enfin, si la décoration de Maurice Papon, condamné pour complicité de crime contre l’humanité en 1998, lui avait été retirée, l’ancien haut fonctionnaire avait persisté à la porter illégalement, jusqu’à l’emporter dans sa tombe en 2007…
Ceux qui ont refusé la légion d’honneur
C’est le président de la république qui décide de la nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Il doit notamment signer un décret, qui paraît au Journal officiel. On ne peut donc pas véritablement refuser une Légion d’honneur puisqu’il faut, tout d’abord, avoir été nommé dans cet ordre. Pourtant, certaines personnalités se sont ouvertement déclarées contre l’attribution de cette distinction, jugée démodée, inutile ou aliénante. En 1864, Hector Berlioz a refusé la Légion d’honneur. L’État, ne l’ayant pas rémunéré pour une messe de Requiem, voulait la lui remettre en guise de dédommagement. Furieux de ne pas recevoir ses 3 000 francs, il aurait lancé : "Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent !" Pierre et Marie Curie ont également décliné cette récompense, ainsi que George Sand et Jean-Paul Sartre. Celui-ci craignait de voir "l’écrivain se transformer en institution". Passablement agacé que le ministère de l’Éducation nationale propose sa nomination, le romancier et dramaturge Marcel Aymé se passe lui aussi des honneurs en 1949. Sans hésiter, il propose de "se carrer [leur Légion d’honneur] dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens". De même, Georges Brassens, avec toute sa verve, refuse la médaille et s’en amuse dans une chanson dédiée où il dénonce "le fatal insigne qui ne pardonne pas".
La Légion d’honneur en chiffres
- 2 200 personnes environ reçoivent cette distinction chaque année.
- La Légion d’honneur compte 79 000 membres.
- 75 % des effectifs jusqu’au Second Empire étaient des militaires.
Les différents insignes de la Légion d’honneur
L’Ordre national de la Légion d’honneur est composé de trois grades (Chevalier, Officier, Commandeur) et de deux dignités (Grand Officier, Grand-Croix). Ils sont chacun soumis à des conditions d’ancienneté et de mérite.
Trois grades
- Chevalier : une étoile en argent suspendue à un ruban rouge.
- Officier : une étoile en vermeil ; son ruban est orné d’une rosette.
- Commandeur : une étoile en vermeil, qui est attachée à une cravate.
Deux dignités
- Grand Officier : une plaque en forme d’étoile diamantée en argent se porte sur le côté droit de la poitrine et accompagne la croix d’officier.
- Grand-Croix : une plaque en vermeil accompagne la croix portée en écharpe, toutes deux disposées sur le côté gauche de la poitrine.
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