L’état d’urgence antiterroriste se double désormais d’un état d’urgence sanitaire. Ce n’est pas qu’une question de conjoncture, mais bien de structure. L’état d’urgence semble consubstantiel à la Ve République.
Tout pouvoir managérial a besoin d’indicateurs de performance. Il y a un siècle, sous Sarkozy et Fillon, on eut l’idée d’étendre lesdits indicateurs à tous les domaines du service public : les hôpitaux devaient tarifer des actes chers (pour être rentables), les chercheurs devaient publier beaucoup (pour faire nombre), les policiers devaient faire du chiffre (en se rabattant sur les délits faciles à résoudre, au détriment de ceux dont le taux d’élucidation est plus faible). Le nouveau monde de Sarkozy et Fillon (déjà !) fonctionnait comme une entreprise : les ministres recevaient des lettres de mission et devaient passer des entretiens d’évaluation à Matignon. C’était beau et moderne comme du Reagan : depuis que les règles de l’Etat disparaissaient, en raison d’une dérégulation généralisée censée être bénéfique à l’esprit d’entreprise et au taux de profit, les règles bureaucratiques métastasaient dans le privé, avec effet de retour sur l’Etat car, depuis quarante ans, l’Etat adopte tout ce que fait le privé, de préférence quand ça ne marche pas (c’est à cela que l’on reconnaît la force de l’idéologie, qui est une forme de croyance préservée du réel).
Le nouveau «nouveau monde» n’échappe pas aux indicateurs ! Dans la situation présente, est-ce le nombre de tests réalisés ? Le nombre de masques distribués ? Non : les statistiques des verbalisations infligées pour violation supposée des normesde confinement. Les chiffres - près d’un million à ce jour - sont admirables et constituent un légitime motif de fierté pour le ministre de l’Intérieur, tout heureux de les annoncer régulièrement. Il faut dire qu’ils sont plus réjouissants que ceux du professeur Salomon : l’Etat agit ! La police veille ! Derrière ces chiffres, des réalités pénibles (un homme empêché d’aller recueillir le dernier souffle de son père par un gendarme), des absurdités confondantes, des contradictions manifestes ainsi que des abus innombrables. La France, chantait Renaud en 1975, «est un pays de flics», et les flics de l’époque ne plaisantaient pas, comme le relevait Maxime Le Forestier dans Parachutiste (1972) : on perpétuait sous les gyrophares une vieille tradition coloniale, la chasse au bicot - compensation virile, sans doute, à trois guerres perdues, en 1940, 1954 et 1962. Mais tout cela est passé de mode : les Blancs aussi peuvent désormais goûter au lacrymogène, à la grenade et à la matraque - généreusement distribués aux héros en blouse blanche, aux enseignants et aux pompiers ces derniers moi.
Le pouvoir actuel, qui a couvert Benalla avec des accents de petite frappe («qu’ils viennent me chercher !»), a gravement dégradé le rapport des citoyens aux forces de l’ordre : en couvrant tout, en ne contrôlant rien, il a nui à l’honneur de la police républicaine, désormais synonyme de LBD, d’arbitraire et de verbalisation absurde pour non-présentation de son ticket de courses. La séquence ouverte en 2018 par la répression des gilets jaunes marque une césure et creuse un fossé ouvert par la suppression, en 2003, par Sarkozy, de la police de proximité. Ce pouvoir ne tient que par son alignement inconditionnel avec ce qu’il y a de pire dans la police, mais ce qu’il y a de pire, ce n’est pas la police elle-même, républicaine et respectable dans son immense majorité. Ce qu’il y a de pire, c’est un pouvoir faible qui lui a confié son sort, qui est prêt à tout couvrir, pour ne pas la mécontenter.
L’état d’urgence antiterroriste, entré dans le droit commun en 2017, se double désormais d’un état d’urgence sanitaire. Sur le fondement de ces textes, le pouvoir administratif peut prendre des mesures exceptionnelles sous le seul contrôle du juge administratif, qui n’est pas un magistrat, car il n’est ni indépendant ni inamovible. Les droits et libertés fondamentaux, dont celle d’aller et de venir, peuvent être fortement restreints, à l’appréciation d’un policier ou d’un gendarme, variable selon l’humeur, le lieu et le moment de la journée. Cet état d’urgence très restrictif stupéfie nos voisins européens, des pays où l’on fait confiance à des adultes responsables, et où la monarchie est passée de mode.
Car ne nous y trompons pas : l’état d’urgence n’est pas qu’affaire de conjoncture, mais bien de structure. Il est, au fond, consubstantiel à la Ve République depuis 1958. En pleine guerre d’Algérie, c’est un texte exceptionnel qui a été promulgué, pour répondre à des circonstances exceptionnelles ainsi qu’aux vœux d’un homme qui l’était tout autant. Cette Constitution, qui réduit le Parlement à rien, permet à un seul homme de nous tympaniser, tous les cinq ans, avec ses fantasmes immatures : tout petit déjà, il se voyait président, héros de roman et père mystique d’un peuple millénaire. Ces fadaises, certains y croient assez pour vouer leur vie à la conquête et à l’exercice du pouvoir dit «suprême». Rien de cela dans les pays réellement démocratiques, les démocraties parlementaires brocardées en France pour leur inefficience supposée et qui, manifestement, s’en tirent mieux. La catastrophe actuelle est un plaidoyer de plus pour le respect des libertés, du dialogue démocratique et de la dignité des citoyens.
« Un bicot comme ça, ça ne nage pas ! » La scène, filmée dans la nuit du 25 avril au 26 avril et dévoilée par un journaliste du média en ligne Là-bas si j’y suis, montre deux policiers échangeant des propos racistes sans équivoque. Ils viennent d’appréhender un homme suspecté de vol qui s’est jeté dans la Seine à l’Île-Saint-Denis (Hauts-de-Seine).
Des insultes, clairement connotées post-guerre d’Algérie, qui déclenchent aussitôt des réactions en chaîne. « Le racisme n’a pas sa place dans la police républicaine », déclare dans la foulée le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner tandis que la majorité des syndicats condamnent les images. Lundi 27 avril, le préfet de police demande la suspension des deux fonctionnaires mis en cause, en attendant les résultats de l’enquête lancée par l’inspection générale de la police nationale (IGPN).
« Ces images font mal, lâche ainsi Sofiane Achatib, délégué syndical de l’Unsa-Police. Mais on ne peut se contenter de répondre par une enquête interne sans aborder plus largement le sujet du racisme dans la police. » Pour lui, la discrimination reste un sujet tabou dans les rangs de la police nationale. « On ne quantifie pas précisément les incidents qui sont signalés, en interne ou en externe », concède-t-il. Et ce, malgré des dérapages répétés, y compris entre collègues. « J’ai été victime de blagues douteuses à répétition, d’allusions à ma couleur de peau, confie un fonctionnaire de la région parisienne. Et je ne suis pas le seul, ne serait-ce que dans mon département. »
En interne, on relativise le problème
En interne, on tend tout de même à relativiser le phénomène. « Des comportements racistes résultent souvent de bêtise, cela peut aller mieux après une discussion », poursuit par exemple Sofiane Achatib. « Il peut y avoir des problèmes d’éducation et du manque de respect de la part de certaines personnes », admet David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). « Certains fonctionnaires ne se rendent pas non plus compte de l’impact que peuvent avoir leurs propos », remarque encore Abdoulaye Kante, un policier très actif sur les réseaux sociaux, qui ne voit là que des dérapages isolés.
Manifestation à Alger pour réclamer la chute du pouvoir, la fin de la corruption et le retrait de l’armée du paysage politique, le 14 février 2020. Ramzi Boudina/Reuters
Si la pandémie liée au coronavirus fragilise temporairement les manifestations dans la région, la contestation pourrait reprendre de plus belle, enflammée par la crise économique et la détérioration des conditions de vie.
Reprennent-ils des forces ou font-ils aveu de faiblesse ? Comme au Liban, les pouvoirs en place étaient encore massivement contestés dans les rue d’Irak et d’Algérie à la veille du déclenchement de la pandémie liée au coronavirus. Depuis, cette dernière semble leur offrir un moment de répit, qui pourrait toutefois s’avérer illusoire. Certes, le Covid-19 a dans un premier temps capté toute l’attention au point de faire de l’ombre aux intifadas en cours. En vidant les hauts lieux des révoltes de ceux qui les animent, il a non seulement renvoyé aux calendes grecques « la chute du régime » telle qu’exigée d’Alger à Bagdad en passant par Beyrouth, mais il a également permis aux pouvoirs de se mettre, un moment du moins, à l’abri des regards extérieurs, l’attention médiatique étant focalisée sur la pandémie. Cette trêve pourrait néanmoins être de courte durée, tant les facteurs qui ont nourri la colère sociale seront d’une acuité autrement plus intense après la crise sanitaire. L’exacerbation est déjà perceptible partout. À Tripoli, ville la plus pauvre du Liban, des centaines de manifestants ont bravé lundi soir le confinement pour exprimer leurs inquiétudes face à l’inflation galopante. Face à eux, une armée tentant de les repousser alors qu’ils s’avançaient vers le domicile d’un parlementaire auquel ils s’opposent. Bilan de la soirée : un mort et une vingtaine de blessés. Depuis plusieurs mois, le pays du Cèdre fait face à la pire crise économique de son histoire, galvanisée davantage encore par l’épidémie actuelle. Dans un pays surendetté, en défaut de paiement, la contestation libanaise pointe du doigt la corruption et la gabegie des autorités, dont beaucoup estiment que le secteur bancaire est complice.
En Algérie, le pouvoir a saisi l’opportunité de la pandémie pour réprimer à tout va. Depuis l’interruption du Hirak à la mi-mars, la liste des personnes poursuivies ou arrêtées par les autorités algériennes ne cesse de s’allonger, au point que le Comité national pour la libération des détenus – fondé en août 2019 pour demander la libération des prisonniers politiques et d’opinion – décrit la répression actuelle engagée contre la presse comme la pire « depuis les assassinats de journalistes dans les années 1990 ». Selon le dernier décompte établi par le comité et partagé sur sa page Facebook, 50 personnes sont actuellement emprisonnées pour des faits liés au soulèvement. Étudiants, activistes, opposants politiques ou encore journalistes, tous sont dans le collimateur du pouvoir. Les motifs incriminés sont souvent les mêmes : on leur reproche d’avoir participé à des rassemblements illégaux, de nuire à la sécurité de l’État ou à l’intégrité du territoire national, ou encore de distribuer des documents qui vont à l’encontre des intérêts nationaux. Autant de justifications fallacieuses qui ne semblent converger que dans un seul sens : briser la dynamique du soulèvement algérien. Comment expliquer sinon qu’aucun des 5 037 prisonniers graciés par le président Abdelmadjid Tebboune le 1er avril ne fasse partie des militants du Hirak ? Parmi les condamnations récentes, on compte celle en appel de Karim Tebbou, coordinateur du parti de l’Union démocratique et sociale, à un an de prison ferme le 24 mars dernier. Le correspondant de Reporters sans frontières (RSF) en Algérie et directeur du site web Casbah Tribune, Khaled Drareni, a quant à lui été mis sous mandat de dépôt au cours du même mois pour « incitation à un attroupement non armé » et « atteinte à l’intégrité du territoire national ». « Qu’il s’agisse de Khaled Drareni ou de Sofiane Merrakchi (arrêté en septembre 2019 et condamné début avril à huit mois de prison ferme), la pandémie permet au pouvoir de régler ses comptes à huis clos avec ses principaux opposants journalistes », confie Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de RSF.
Les autorités tirent tous azimuts. En témoigne le blocage pour le pouvoir algérien depuis le 9 avril de deux médias en ligne, Maghreb émergent et Radio M, au prétexte que la loi interdit à la presse de recevoir des fonds étrangers. Une accusation que récusent les principaux concernés. « Il s’agit d’un argument très sensible en Algérie. Tout partenariat ou rapprochement avec une ONG internationale est considéré comme de la collaboration avec une puissance étrangère et le régime nourrit cet amalgame par tous les moyens », commente M. Khayati. Des insinuations dont le pouvoir se gargarise pour susciter la méfiance envers le Hirak et le dépeindre comme un mouvement soumis à diverses influences extérieures.
Cadeau du ciel
Autre pays, autre régime, mais une ferveur similaire contre le système politique. Depuis le 1er octobre 2019, l’Irak vit au rythme d’une mobilisation populaire jamais vue jusque-là. Les revendications sont multiples : chute du système confessionnel, dénonciation de la corruption, de la déliquescence des services publics et du manque d’opportunités économiques. Un mouvement d’une ampleur considérable, mais ralenti dans son élan par le regain de tensions sur le territoire national entre les États-Unis et l’Iran, suite à l’assassinat en janvier par Washington de l’ancien commandant en chef de la Brigade al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne, Kassem Soleimani. La pandémie assène un nouveau coup à la dynamique révolutionnaire, mais un coup possiblement momentané.
« Le Covid-19 est un cadeau du ciel pour le pouvoir. Le gouvernement en profite pour faire passer ce qu’il veut, c’est-à-dire contourner la demande des manifestants de désigner des dates précises pour des élections législatives et la constitution d’un gouvernement dans lequel ne participerait aucune des forces qui sont actuellement au pouvoir », avance Tahsine, journaliste indépendant et activiste irakien de Diwaniyeh.
Depuis la mi-mars, les contestataires irakiens appellent à suspendre la mobilisation pour contrer la propagation du Covid-19. La majorité de ceux qui campaient sur les places fortes de la révolution décident de rentrer chez eux, tandis qu’une minorité reste pour protéger les tentes des incursions des forces de sécurité (FDS) et des milices. Surtout, les contestataires organisent des initiatives de prévention sanitaires et mettent en œuvre des collectes de fonds et de denrées de première nécessité pour les plus vulnérables, doublement marginalisés par les conséquences économiques de la crise pétrolière et d’un confinement qui les ampute de leurs revenus journaliers. Parmi ces activistes, on pouvait encore compter il y a quelques semaines Anwar Jassem Mhawas, plus connue sous le nom de Oum Abbas. Le 5 avril, à l’aube, elle a été abattue par des miliciens alors qu’elle était chez elle. Depuis décembre dernier, l’Irak est dans l’impasse politique. En dix semaines, trois Premiers ministres désignés pour former un gouvernement se sont succédé. Le dernier en date, Moustapha el-Kadhimi, a été nommé le 9 avril en pleine pandémie et semble a priori faire l’affaire de Washington et Téhéran. Il en va autrement pour une grande partie des contestataires. « On est sorti dans la rue pour appeler à la chute du régime, pas pour un changement dans le régime. Kadhimi, c’est juste un énième visage sur un même système », fustige Kadar, 35 ans, activiste irakien de Bagdad.
La violence des milices se poursuit, bien qu’à une moindre échelle. « L’intensité de la répression a baissé, d’une part parce que les FDS sont occupées à contrôler les gens pour vérifier que le confinement est respecté, d’autre part parce qu’il n’y a pas de confrontations quotidiennes aussi dures avec les FDS puisqu’il n’y a plus autant de monde dans les rues », rapporte Tahsine. Usant de gaz lacrymogène, les FDS s’en sont néanmoins pris jeudi dernier aux contestataires sur les places Khilani et Tahrir de Bagdad, la capitale. Auparavant, des hommes masqués ont pris d’assaut la place Tahrir le mardi 21 avril au soir, faisant quatre blessés et un mort. Depuis le déclenchement du soulèvement en Irak, près de 670 personnes ont été tuées et plus de 24 400 blessées.
Pétrole, gaz et coronavirus
Mais si de Bagdad à Alger la pandémie affaiblit momentanément les mobilisations, elle pourrait également fragiliser les pouvoirs. Car les économies des deux pays dépendent en grande partie des hydrocarbures. Ces matières premières représentent 95 % des exportations et entre 60 et 75 % des recettes en Algérie. Des chiffres encore plus élevés dans le cas de l’Irak où ils s’élèvent à respectivement 99 % et 93 %.
Avec l’effondrement des prix du baril, difficile d’imaginer la mise en œuvre de réformes sociales et économiques qui puissent un tant soit peu calmer la colère des populations. Difficile également de concevoir comment ces régimes peuvent continuer à s’attribuer une grande partie des bénéfices que procurent les hydrocarbures si ces derniers ne sont plus vecteurs de revenus. « L’élection de Tebboune laissait présager que le régime allait opter pour une politique volontariste favorable à la classe moyenne et ainsi faire taire la contestation en échange. Mais le coronavirus remet cela en question, ce qui irrite les autorités », résume M. Khayati.
En exacerbant les causes à l’origine des soulèvements populaires, les répercussions de la pandémie pourraient redoubler le mécontentement des populations. L’activisme en ligne n’a par ailleurs jamais cessé de l’entretenir. Les réseaux sociaux au Liban sont inondés de publications promettant un retour prochain dans les rues du pays. En Irak, le hashtag « Pas de honte à porter des masques » fait fureur, appelant dans un même élan à se protéger du coronavirus et du gaz lacrymogène.
Quand il n’a plus été en mesure de s’exprimer dans la rue, le Hirak algérien a persisté par d’autres moyens. « Il y a même maintenant une radio satirique – radio corona internationale – qui émet deux à trois fois par semaine et tourne en dérision les caciques du régime », note M. Khayati.
Pour Kadar, la question ne se pose même pas. Il est évident que les manifestations en Irak reprendront de plus belle une fois qu’aura été domptée la pandémie. « Il est inimaginable que toutes ces personnes aient été sacrifiées pour rien. Nous ne reviendrons jamais en arrière. Nous sommes prêts à mourir par milliers pour que ce régime tombe. Son destin est inévitable. Pour nous, il ne nous gouverne plus. »
Une mère et sa fille photographiées à Presles (Val-d’Oise) le 15 avril. Photo Emmanuel Pierrot.
Pendant la guerre d’Algérie, le père de la romancière Brigitte Giraud était infirmier dans un hôpital militaire. Comme aujourd’hui face au Covid-19, il fallait trier, repérer ceux qu’on pouvait sauver. L’octogénaire a regardé le journal télévisé et il a compris : les vieux, il faudrait qu’ils laissent la place.
Lorsque mon père fut appelé en Algérie, il avait demandé à suivre une formation d’infirmier, espérant ainsi ne pas tenir une arme. Il préférait être du côté de ceux qui sauvent, qui réparent. Pour ne pas risquer de manier un fusil, de commettre l’impensable, sans doute, et de porter le poids de la honte une vie durant.
L’armée avait miraculeusement accédé à son souhait, et c’est en tant qu’infirmier qu’il avait été affecté à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès, dans l’Oranais.
C’est pendant ses années de guerre d’Algérie - 1960 et 1961 - qu’il avait découvert ce que je peux nommer aujourd’hui la «révélation du soin».
J’ai fini par comprendre que le jeune homme de 20 ans qui pensait sauver les autres avait finalement été sauvé par eux, les «soldats en pyjama» blessés, brûlés, choqués. Ne sauve pas celui qu’on croit. C’est en m’immergeant dans l’écriture (1) que j’ai approché cette zone quasi invisible. Soigner donnait un sens à sa présence en Algérie, et peut-être même un sens à sa vie.
Un jour, lors d’une rencontre à propos d’Un loup pour l’homme dans un lycée d’Aix-en-Provence, un garçon de 17 ans m’avait demandé si c’était plus viril de tenir une arme que de soigner. J’avais mis un temps fou avant de formuler une réponse. La question de ce lycéen, je crois qu’en ce moment, j’y pense tous les jours.
Après son retour d’Algérie, mon père a repris son service aux Postes, télégraphes et téléphones. L’armée lui a dénié le droit de se reconvertir en infirmier dans le civil, je ne saurai jamais pourquoi. On n’avait pas besoin de blouses blanches, paraît-il, au début des années 60. Cela m’a toujours semblé suspect.
Mon père avait acquis tant de connaissances, tant de réflexes, tant de ces gestes qui soignent et qui protègent. Quand j’étais enfant, c’est lui qui mettait sa main sur mon front pour mesurer la fièvre, lui qui prenait mon pouls à mon poignet. C’est lui qui m’administra une série de piqûres dans les fesses quand, à 6 ans, je contractai la scarlatine, lui qui m’expliqua les bienfaits de la pénicilline.
Quand j’ai grandi, puis tout au long de mon existence, il n’a jamais failli.
Lui-même souffrait de sinusite chronique puis, en vieillissant, d’hypertension, et hélas, dans son âge avancé, d’une leucémie sévère, ce qui, pour un seul homme, fait beaucoup.
J’ai toujours vu mon père rechercher la vérité nue sur le mal qui l’affecte. Je l’ai toujours vu regarder en face le résultat de ses analyses de sang. Il sait faire un dessin pour m’expliquer comment on place un stent dans une veine, pourquoi l’infarctus de l’hiver dernier a été pris à temps.
Ce monument rassurant qu’est mon père est devenu moins rassurant. Je me souviens de la première fois où j’ai osé lui suggérer de ne pas conduire sa voiture, puis du jour où j’ai dû hausser le ton pour lui interdire de conduire, alors qu’il se rebellait. Je me souviens que ce bras de fer avait été l’un des moments les plus pénibles de mon existence, faire rendre les armes à mon père, si j’avais pu imaginer.
Mes parents ont atteint cet âge qui les place dans la catégorie des «personnes les plus fragiles» dont on entend parler depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Plus de 80 ans, des pathologies qui les affaiblissent. Mes parents habitent dans une petite ville éloignée de la mienne, et je ne peux leur parler qu’au téléphone.
Je me surprends à les mettre en garde plus que je ne devrais, je m’adresse à eux comme ce jour où j’ai demandé à mon père de ne pas prendre le volant. Avec une autorité qui s’abreuve à la peur de les perdre. Non, vous n’allez pas porter une lettre à la poste, non le voisin ne vient pas tondre la pelouse, non vous n’allez pas chercher des œufs chez Robert. Non et encore non, vous n’allez pas voter. Toutes ces injonctions qui font de moi une fille quasiment abusive. Je deviens le parent de mes parents, comme il est écrit que nous le deviendrons dans la logique du cycle infernal des jours. Mais il y a des limites, il y a une façon. Que l’épidémie et sa gestion rendent parfois grossière.
Mon père attend le résultat de ses analyses de sang, et je sais que si le taux de plaquettes descend, il faudra organiser la transfusion, il faudra que je joigne le service de l’hôpital. Il faudra que je m’arme de patience, il faudra que je prie pour que quelqu’un réponde. Je fais des incantations pour que le taux n’ait pas encore chuté. Nous surveillons la numération des plaquettes, pendant que d’autres surveillent le cours du CAC 40.
Mon père regarde le journal télévisé et il comprend. Il me dit que c’était pareil à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès, il y avait des priorités. La médecine de guerre, il connaît. Il dit comme c’était l’horreur quand arrivait sur des brancards une compagnie entière qui venait de sauter sur une mine. Il dit qu’il fallait trier. Il fallait aller vite, faire les bons gestes dans l’instant, il n’y avait pas de temps à perdre, il fallait repérer ceux qu’on pouvait sauver. Il me confie cela au téléphone, il sait qu’il n’y aura pas de place pour lui s’il est infecté par le Covid-19, ni pour ma mère. Il ajoute que les vieux, il a bien compris, en regardant la télé, il faudrait qu’ils laissent la place. Même quand ils ont sauvé des vies.
Mon père reparle de l’hôpital militaire. Ça le prend à la gorge soudain. Il me raconte le jour où ce garçon était arrivé sur une civière alors qu’il était de garde. Il se souvient des cris et des mots pour apaiser. Le garçon avait 20 ans, comme lui. Mon père me dit le jour et la nuit passés à son chevet, les tentatives, les espoirs. Et puis, moins de quarante-huit heures plus tard, l’échec, le verdict. Mon père me raconte cela au téléphone, d’une voix que j’ai du mal à reconnaître. A plus de 80 ans, il me livre le chagrin de son existence, que j’ignorais. Le drame, dit-il, c’est quand le médecin, l’infirmier, demeure impuissant. C’est cela qui fait le plus de mal, quand je vois à la télévision les images des services de réanimation débordés. C’est une illusion de penser qu’on peut sauver tout le monde. L’échec fait partie de la vie, il ajoute. Mais pendant la guerre, on ne décide pas à l’avance qui on prend, qui on laisse. On n’établit pas de critère, comme c’est le cas en ce moment. Quand tu vois que les pensionnaires des Ehpad ne sont pas transportés à l’hôpital… C’est ce qui me choque le plus, les critères établis à l’avance, ce n’est plus une tragédie, c’est un crime.
(1) Un loup pour l’homme, éd. Flammarion 2017, J’ai lu 2018.
A tant le nommer sans doute ce virus s’usera-t-il demain sans pour autant perdre son usure qui les jours passant ne cesse de gravir les barreaux de l’échelle des taux d‘intérêts économiques divers et variés. Affublé de son substantif « crise » comme la moule à son rocher, on comprend que telle une tique, il ne se détachera pas si facilement de la langue de communication politique, médiatique et des experts en tous genres.
Demeurons dans la langue. Au terme « crise », on préfère parfois « catastrophe » pour accroître la peur de l’enfant-peuple en lui racontant tous les soirs pour qu’il s’endorme, l’histoire du nombre de la journée : celui de morts auquel on adjoint les nombres du concours d’excellence avec les autres pays. C’est à qui fera le meilleur score d’encouragement au « fais-moi toujours plus peur » au point que vivre deviendrait un cauchemar et que le sommeil voudrait être très long sinon définitif. Ainsi à la table de la catastrophe sanitaire, on invite pour un dîner de têtes sans « distanciation », la catastrophe économique, la catastrophe sociale, la catastrophe écologique, la catastrophe culturelle, la catastrophe artistique… Du discours le plus élevé dans la hiérarchie sociale au moins « lumpen » de la langue (c'est-à-dire courante), un grand absent se fait malgré tout peu remarquer bien que le nombre qu’il recouvre dépasse les sept milliards et demi. C’est un mot vaste et qui fait rêver au point que beaucoup y prétendent sans l’honorer pour autant. Nous voulons nommer « Humain ». Aujourd’hui on chercherait presque à l’effacer sous le prétexte que l’ampleur des catastrophes économique, sociale, culturelle, sanitaire… suffirait à l’entendre mais comme sous-entendu.
A cette occasion d’effacement et de sous-entendu, on lui substitue la notion composée de « crise-catastrophe » dont on suggère à la bonne conscience, que cette notion soit avec la différenciation sociale, un révélateur des nombreux manquements moraux de notre communauté. Il est vrai que la fameuse différenciation sociale ne serait qu’une catégorie de peu, pour gens de rien et soudain grâce au virus, on saura trouver miraculeusement des milliers de milliards à la rescousse de l’économie dure et comme par hasard un manque de monnaie dans la bourse du quidam. De qui se moquent les sauveteurs qui ne seront jamais sauveurs ?
Mais n’en restons pas au seul plan national et de l’occident. C’est la même crise-catastrophe qui découvre sans qu’on rentre dans le détail des tragédies ici et là, la fragilité d’un tiers-autre-monde lourdement menacé, mais depuis quand et par qui? De qui se moquent les nouvelles lucidités gouvernantes mondiales, lesquelles ne se rapprocheront jamais de la lumière?
Mais tentons aussi de sortir de l’économie mondiale, même si nous supposons que nous n’en sortirons pas de sitôt comme le soulignent certains de nos dignes représentants du peuple : « l’après, c’est ce qui nous aura fait tenir debout sous la crise » : toujours la centaine de milliards étonnamment surgis, quand hier nous n’en avions pas quatre pour secourir la santé publique… Mais ne soyons pas rapiats et élevons-nous en revenant à cet effacé, ce presque oublié de la langue communicationnelle : « humain » et nous disons « humain pas assez humain ». Pourquoi une pareille économie de ce terme comme si dans la circonstance de la crise-catastrophe, il n’y avait que le ventre, et le porte-monnaie qui fussent en souffrance et pas l’humain et sa dignité, sa verticalité, tout ce dont il fait sens par une existence reconnue. Il faut en finir avec le mépris non moins qu’avec cette infantilisation. Tous deux consistent simultanément d’une part à quotidiennement terroriser par une mort aux trousses (paradoxalement de plus en plus dématérialisée, intouchable du fait du confinement) et d’autre part à endormir, par accoutumance à ce lent confinement dont la seule échéance annoncée est conditionnée au contrôle policier, médical de son efficience dans la soumission collective à ses règles. « Quand c’est fini n i nini, çà recommence » et c’est au nom de la chanson qu’une fin bégayée, justifiera la claire élocution des moyens drastiques à poursuivre pour y parvenir sans garantie bien entendu.
Si une souffrance principale d’ordre matériel est au grand jour plus qu’elle ne l’était hier au niveau mondial, il en est d’autres d’apparences secondaires qui sourdent encore mais travaillent gravement la conscience historique. Ce sont les souffrances de l’être que le peuple humain vit et ressent sous tous les horizons du capital privé comme du capital d’état. Ce sont les mêmes souffrances de nombreux peuples qui voient exploitées autant leur force de travail que leur force d’inertie, et sollicitée autant qu’entretenue leur passivité par une « distanciation sociale », les amenant à une compacité murale qui suscite le questionnement des luttes d’hier et fait peser une hypothèque sérieuse sur celles de demain.
Ce n’est pas verser dans un défaitisme que d’aborder ces questions. En effet la paralysie d’une part de la production, décidée par le système dominant lui-même ne saurait faire école ou même repère pour un blocage général comme le souhaitaient les gilets-jaunes ou leurs équivalents mondiaux avant la « crise-catastrophe ». Un blocage par fait de grève générale ou partielle, est le fruit frais d’une colère vivante de masse dont tous les acteurs sont en contact physique. Qu’en sera-t-il demain après deux mois de confinement de certaines catégories socio-professionnelles, face à celles et ceux qui ne pouvaient connaître le télétravail et durent assurer l’indispensable à la survie ? Qu’adviendra-t-il des rêveries des promeneurs solitaires quotidiens et de leurs doux applaudissements, face à l’angoisse jour après jour de celles et ceux qui risquent la contamination pour « ne faire que mon devoir » comme ce magasinier d’hôpital et cette caissière parmi d’autres le disent? Comment se réactivera un « présentiel » lorsque deux mois durant et pour de longues semaines après, on aura appris et on se sera familiarisé au quotidien avec la distance imposée comme séparation ?
Ce n’est pas contribuer au pessimisme que de constater que dans la dramaturgie non maîtrisée de la crise-catastrophe par les gouvernants, un paysage social fut dicté sans haute considération de l’humain, au nom d’une survie de l’économie aux dépens du vivant. Scandale des EHPAD, camps de rétention, foyers de travailleurs étrangers, étudiants pauvres, sans domicile fixe, précaires, toxicomanes…en sont la déplorable illustration. Cela ne tend pas à remettre en question certains impératifs de sauvegarde sanitaire mais d’une part à ne pas oublier le caractère sélectif de leur distribution entre catégories professionnelles, types de populations et d’autre part à interroger les desseins des mesures de confinement à la fois au plan très souvent souligné des libertés mais essentiellement à celui de la relation entre les humains et le vivant sensible qui les anime.
S’il n’y a pas encore de remède contre le virus, l’expérience de la crise-catastrophe qu’il a généré, a néanmoins fait retrouver un très ancien vaccin, inventé depuis l’aube de l’humanité contre l’inhumain ou le pas assez humain qui hante périodiquement l’histoire. Ce vaccin n’a pas requis une connaissance professionnelle singulière mais plus simplement ce que ce livreur de petites surfaces et à ses heures disponibles, livreur de repas chez les personnes âgées, nomme : « une compétence humaine ». C’est cette compétence qui lui fait depuis un mois appliquer par intelligence sensible une « distanciation » au sens Brechtien (lui qui n’a peut-être pas lu Brecht). Cette « distanciation » ne crée pas une distance qui éloigne mentalement les humains les uns des autres, elle pratique et ouvre cet écart par lequel se tisse un lien aimant entre soi et l’autre. Jean-Paul, le livreur, est là. Depuis ma fenêtre de confiné, je le vois tous les matins à l’aube, livrant la supérette. Il n’est pas plus vu ni connu que lorsqu’il dépose sur le paillasson de la vieille dame du 5è le repas du soir. Il est plus simplement mais grandement passé de celui qu’on pouvait deviner à celui qui se sait attendu. C’est parmi d’autres, depuis cette différence grâce à la compétence vécue entre tous, que se joue une santé humaine « assez humaine » pour surmonter tous les virus du système capitaliste.
Demain, ce sera l’échéance programmée d’un dé-confinement qui ne se nomme pas, par peur de ne plus faire peur à l’enfant-peuple qui ne veut plus dormir. Alors ce sera sans doute la colère du vivant sensible, humain, contre ce qui veut le domestiquer, imposer les règles d’une santé privée plus que publique, dresser les fourches caudines d’une sécurité liberticide, conduire une éducation élitaire blindée, constituer un capital moral-intellectuel pour une recherche rentable, dessiner les contours infranchissables d’un paysage consumériste de vie, et ouvrir la grande braderie de son sens. Cette colère et son vaccin de compétence humaine contre un monde du « pas assez humain » peuvent seuls surmonter les pics d’autres crises-catastrophes, ourdies par un capitalisme « maîtrisé » de l’après confinement et sa mondialisation « équilibrée ».
Il n’y a de réponse qu’interrogative au jour à venir et celui-ci ne cesse de s’adresser à nous en signes clairvoyants, depuis une nature bienveillante bien que suppliciée.
PHILIPPE TANCELIN 17 avril 2020
Ren ne sera pareil Quand tout sera redevenu comme avant Nous porterons sur les arbres les nuages Les vieux murs de nos chagrins Les chevaux les prairies Un regard de nouveau-né Étonné de voir le monde venir à lui Dans la splendeur des premiers jours
Chaque instant sera printemps Noce et chants d'oiseaux Nous remonterons sans hâte les courants Vers les eaux de nos enfances Confiants avec le vent Accordés à nous-mêmes Capables du plus simple Saisis d'une marche silencieuse Aux sources du vivant
Nous nous tiendrons debout Dans l'insolente clarté des astres Cherchant de toutes les constellations La plus marquée du signe de notre gratitude La mieux promise à la jeunesse de ceux-là qui nous ont quittés Corde tendue sur le souffle invisible de leur chant
En poètes nous poserons les pieds Sur cette terre nouvelle Sachant discerner la trace des chemins ouverts Séparer le bon grain de l'ivraie Rejetant le futile et l'inutile Donnant au temps sa chance À la joie son élan
Chaque jour sera un peu dimanche Par ses clairières de silence Ses jachères et ses aubes furtives Ses brèches de lumière ses ciels éblouis Ses trouées de soleil Ses berges illuminées de fleurs sauvages Ses matins clairs ses repos
Nous porterons au cœur Le rêve secret de notre vie Nous le dégagerons du sable de nos tristesses Nous en ferons la page blanche Le cahier où écrire d'un langage neuf Le récit du reste de notre vie.
Le livre remonte à 2006. Intitulé Le rapport de la CIA, comment sera le monde en 2020, le politologue français Alexandre Adler y décrit une pandémie qui se déclencherait en Asie et qui serait provoquée par l’Homme. L’auteur évoque «l’apparition d’une nouvelle maladie humaine virulente, extrêmement contagieuse, pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat» et qui «pourrait déclencher une pandémie mondiale». «Si une telle maladie apparaît d’ici à 2025, des tensions ou des conflits internes ou transfrontaliers ne manqueront pas d’éclater. En effet, les nations s’efforceront alors – avec des capacités insuffisantes – de contrôler les mouvements des populations cherchant à éviter l’infection ou de préserver leur accès aux ressources naturelles», prédisait Alexandre Adler, dans ce passage repris par un média français.
«L’apparition d’une pandémie dépend de la mutation génétique naturelle, de la recombinaison de souches virales déjà en circulation, ou encore de l’irruption d’un autre facteur pathogène de la grippe aviaire tel que le H5N1 des candidats probables à ce type de transformation, mais aussi d’autres agents pathogènes comme le coronavirus du Sras, et diverses souches de la grippe qui auraient les mêmes propriétés», ajoutait-il, en précisant que «dans un tel scénario, la maladie tarderait à être identifiée car le pays d’origine ne disposerait pas des moyens adéquats pour la détecter». «Il faudrait des semaines pour que les laboratoires fournissent des résultats définitifs confirmant l’existence d’une maladie risquant de muter en pandémie», soulignait-il.
Dans sa conjecture, Alexandre Adler parlait déjà de confinement généralisé : «En dépit de restrictions limitant les déplacements internationaux, des voyageurs présentant peu ou pas de symptômes pourraient transporter le virus sur les autres continents. Les malades seraient de plus en plus nombreux, de nouveaux cas apparaissant tous les mois» et mettait en avant «l’absence d’un vaccin efficace ou d’immunité» qui «exposerait les populations à la contagion». «Dans le pire des cas, écrit-il, ce sont de dix à plusieurs millions d’Occidentaux qui contracteraient la maladie, et les morts se compteraient par dizaines de millions. Dans le reste du monde, la dégradation des infrastructures vitales et les pertes économiques à l’échelle mondiale entraîneraient l’infection d’un tiers de la population du globe et la mort de centaines de millions d’êtres humains».
Bien que les chiffres soient exagérés, il n’en demeure pas moins que cette prédiction d’Alexandre Adler s’est réalisée, si bien que son livre a été qualifié, en son temps déjà, de «document exceptionnel, unique même», tandis que d’autres critiques y ont vu une «réflexion passionnante» et une «cartographie du futur» s’appuyant sur des «sources et des hypothèses extrêmement sérieuses».
Vingt-cinq experts internationaux ont participé à l’écriture du livre prémonitoire sous la supervision d’Alexandre Adler.
LE RAPPORT DE LA CIA : COMMENT SERA LE MONDE EN 2020 ?
Et quel rôle pour l’Europe ?
Voilà un ouvrage qui, sorti au mois de septembre dernier, aura défrayé la chronique et connu un beau succès d’estime lors du dernier trimestre 2005...
Un ouvrage de prospective géostratégique élaboré par une officine de la CIA.
Médiatisé alors sous le nom de « Rapport de la CIA » et bénéficiant, là encore, d’une brillante préface d’Alexandre Adler d’une cinquantaine de pages, il s’agit là d’un vaste travail de compilation d’informations et de recherche prospective.
Et cet énorme travail a été opéré par un « think tank » étasunien effectivement en connection directe avec la centrale de renseignement américaine, avec le Pentagone et avec le Département d’Etat : le « National Intelligence Council » ou NIC (i. e : Conseil national du renseignement (www.cia.gov/nic).
Ce document -co-écrit par vingt-cinq universitaires et autres experts internationaux (et initialement dénommé « La carte du monde futur : rapport projet 2020 » )- a été élaboré dans le but de fournir des pistes de réflexions et d’actions pour les dirigeants étasuniens des quinze années à venir.
En effet, comme l’indique le sous-titre de cette édition française, il s’agit surtout là d’imaginer « Comment sera le monde en 2020 ? » tout en nous demandant, à l’instar des experts de la CIA, si (page 166) ’’l’Europe pourrait-elle devenir une superpuissance ?’’.
En effet, pour ce qui nous concerne il nous semble effectivement opportun de jeter un petit coup d’œil sur ce que ces fameux experts américains pensent pouvoir être le futur rôle de l’Europe dans le monde à venir et pour les quinze prochaines années.
Après en avoir lu et relu les quelques pages touchant de près ou de loin le sujet (pages 157 à 160, pages 163 à 171, pages 166 à 168 et pages 175 à 177), on en retiendra donc principalement les points suivants :
Que sera l’Europe en 2020 ?
Par delà les éventuelles turbulences événementielles à venir, l’Europe y est surtout décrite comme une « puissance vieillissante » sur le déclin (page 157).
Une Europe ’’sur le déclin’’ puisque subissant des mutations démographiques aux conséquences évidentes -bien que prévisibles- pour ses structures sociaux-économiques.
(Dans un monde des années 2020 comptant près de 7,8 milliards d’individus mais dont les populations réunies d’Europe -communautaire ou non- et de Russie ne représenteront qu’environ 10 à 15% seulement de la population mondiale...).
Ainsi les auteurs pointent du doigt (page 166) les grands déséquilibres structurels existant, aujourd’hui, entre actifs « cotisants » et non-actifs « allocataires » d’un État providence à présent au bord de la faillite du seul fait de l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération née lors du « baby boom » (mais non remplacée sur le marché du travail par des effectifs au moins comparables).
C’est pourquoi ils appellent à la redéfinition du « pacte social » et à la rédéfinition de cet « État providence » unissant aujourd’hui les sociétés européennes, au risque de les voir -sinon- glisser de l’impuissance vers la crise, puis de celle-ci vers la faillite, voire la désintégration...
Parmi les remèdes qu’ils préconisent, deux solutions qui feront grincer bien des dents dans nos sociétés conservatrices : recourir à davantage de flexibilité sur le marché du travail et accueillir davantage d’immigration légale (pour combler les emplois laissés vacants par les prochains départs en retraite...).
Relever les défis, pour devenir un « Modèle de rechange »
Au-delà de ces premiers -mais décisifs- défis structurels et politiques, les auteurs voient néanmoins l’Europe conserver un pouvoir d’influence non négligeable dans le monde multipolaire du tout début des années 2020.
Et ce, pourvu qu’elle puisse donc réformer son pacte social, pourvu qu’elle puisse toujours accompagner (voire précéder...) le rythme des grandes innovations technologiques, pourvu qu’elle conserve son aptitude à forger des liens forts avec la Russie (avec laquelle elle pourraît négocier un partenariat énergétique fructueux...) (Cf. pages 170 et 171) ainsi qu’avec le Monde « eurasiatique » (i. e : la Turquie) et avec l’ensemble des pays de la « rive sud » du monde méditerranéen.
Mais aussi (ce qui nous intéresse davantage ici...) pourvu qu’elle puisse continuer de pousser son approfondissement institutionnel « par la rationalisation de son processus de décision trop compliqué » (page 168).
Et ce : tout en sachant se dôter d’une « vision stratégique cohérente et partagée » (page 158) ainsi que -pourquoi pas- d’une Armée européenne, par la rationalisation et la coordination de ses dépenses militaires (page 159).
Ainsi, l’Europe ’’unie’’ pourrait fournir un modèle de gouvernement « ouvert » et « démocratique » au reste du monde ainsi qu’aux nouvelles puissances émergentes (page 159) : une ’’solution de rechange’’ (mais néanmoins toujours ’’occidentale’’) à leur très probable refus politique d’une dépendence davantage encore prolongée à l’égard des États-Unis d’Amérique.
Et c’est dans ce cadre que les auteurs voient enfin l’Europe surmonter ses dernières réticences vis à vis de la Turquie, s’impliquer davantage encore dans le processus de paix israélo-palestinien et dans la stabilisation politique de « l’arc de crise » des anciennes républiques ex-soviétiques et du monde arabo-musulman (pages 175-176-177).
Avant toute chose : des réformes structurelles et sociétales incontournables
Mais les auteurs ne cachent pas que la réalisation de ce scénario plus ou moins optimiste passe d’abord, à leurs yeux, par de profondes réformes sociales et comportementales incontournables.
Faute de quoi, les pays d’Europe seront « confrontés à une période de stagnation économique prolongée » qui pourrait (page 160) menacer les « immenses acquis » (sic) résultant de l’actuel processus de construction européenne.
Pour l’heure, ne retenons donc que le scénario « rose » qui nous est ici proposé en ayant la conscience claire des défis politiques et sociaux qui nous attendent pour aller vers une mondialisation, si possible, moins malheureuse...
Car -attention (et c’est d’ailleurs -là- la morale évidente et le sens profond de cet ouvrage...)- le monde qui vient, pour multipolaire qu’il soit, ne s’annonce néanmoins pas comme un monde particulièrement calme ni appaisé.
Car, entre affirmation de la puissance étasunienne, contestation révolutionnaire islamiste et montée en puissance de ’’nouveaux géants’’ politiques économiquement dynamiques (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Russie, Indonésie, Afrique du sud, etc), ce XXIème siècle qui se profile devant nous s’annonce vraiment difficile pour toute société fragile qui serait, décidément, incapable de se réformer.
Un diagnostic qui, en tout cas, ne doit pas nous laisser insensible.
Et ce -qu’on y souscrive ou pas- dans la mesure où (de toute façon et quoi qu’il advienne véritablement...) c’est précisément ce diagnostic là qui guidera l’action -à l’égard du monde en général et à l’égard de l’Europe en tout particulier- des prochaines administrations présidentielles étasuniennes qui seront amenées à, prochainement, se succéder à la « Maison blanche »...
Sources : « Le Rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ? », un ouvrage paru en septembre 2005, aux éditions Robert Laffont (270 pages).
Le professeur Didier Raoult, infectiologue de référence mondiale, a affirmé, ce mardi, que l’épidémie du coronavirus était en train de disparaître progressivement. Evoquant l’évolution de la situation en France, le chef du service infectiologie au centre hospitalier de la Timone à Marseille a affirmé que 368 nouveaux cas étaient enregistrés par jour au pic de l’épidémie et que ce chiffre est descendu à 60-80 nouvelles contaminations. «Il y a donc une diminution très significative du nombre de cas détectés et encore plus significative chez les gens qui viennent se faire détecter alors qu’ils sont asymptomatiques», a précisé le médecin français auquel le président Macron a rendu visite récemment dans la ville phocéenne.
«Il est possible – c’est une des possibilités que j’avais évoquées parmi d’autres – que l’épidémie disparaisse au printemps et que d’ici quelques semaines il n’y ait plus de cas pour des raisons qui sont extrêmement étranges», a souligné le professeur Raoult, en précisant que ce sont là des «choses qu’on a l’habitude de voir dans la plupart des maladies virales respiratoires». «Donc, c’est assez banal», a-t-il dit. «Si on essaye de replacer ça dans le cadre des épidémies, on constate que s’agissant des crises sanitaires d’été, comme la canicule de 2003, on peut les détecter très aisément, c’est une proposition que j’avais faite lorsque j’ai présenté un rapport au ministère de la Santé mais la Direction générale de la santé n’avait pas voulu en tenir compte.»
«Si on essaye de voir, si là, actuellement, la crise sanitaire a une incidence sur la mortalité en France, la réponse est non», a indiqué le professeur Raoult, selon lequel les crises sanitaires qui, pendant l’hiver, jouaient une différence significative se situent en 1997, 2000, 2009 et 2017, mais on est très loin, si on cumule les mois de décembre à mars de la crise sanitaire de 2017 où il y avait énormément de grippe H3N2, il se trouve que cette année, il y a eu beaucoup moins de grippes et beaucoup moins de VRS (virus respiratoire syncytial, ndlr), ce qui fait que la mortalité liée à ce nouveau virus n’est pas visible significativement dans l’ensemble de la population».
«Bien entendu, il y a d’autres phénomènes, c’est multifactoriel, mais j’avais prédit que cette crise sanitaire ne modifierait pas l’espérance de vie des Français, pas plus qu’en Chine d’ailleurs où 3 000 ou 4 000 morts ne modifient pas l’espérance de vie de plus d’un milliards de Chinois», a expliqué l’infectiologue pour lequel «c’est bien de faire face aux crises sanitaires, à condition de les gérer sans angoisse et sans inquiétude en étant le plus professionnel possible».
L’épidémie du coronavirus étant de portée internationale, ce qui vaut pour la France vaut aussi pour tous les pays touchés par ce germe pathogène qui a chamboulé le monde et semé la panique sur l’ensemble de la planète.
Qu’en penser de ce virus qui semble être fait pour faire le vide ? C’est un agent infectieux, un peu désastreux pour les hommes, qui vide les lieux. Sans raison apparente. Séance tenante. La science reconnaît avoir rarement connue une pente aussi glissante… au point de se sentir insuffisante, inopérante… Pour ne pas mourir bête, on est tentés de mener l’enquête pour savoir quel bien peut-on tirer de ce mal qui retourne toutes les têtes ! Examinons les effets secondaires de ce fléau qui s’est abattu sur nous d’une manière primaire… et se demander, face au virus qui en profite le plus ? Question avouons-le, un peu cynique mais qui a un sens et une portée politique. Primo : On peut commencer par attirer l’attention sur un intérêt d’apparence anecdotique alors qu’il est systémique, lié à l’écosystème qui pose à l’humanité ses plus gros problèmes… Mais on peut dire que les ravages de ce virus profitent aux minéraux, aux végétaux, aux animaux… qui bénéficient comme d’un moment de répit. D’une trêve, de la réalisation d’un vieux rêve : L’homme ne leur marche plus dessus, de moins en moins, à cause de son « internement »qu’on appelle : confinement pour lui faire avaler la pilule et pour qu’il ne quitte pas sa petite cellule. Secundo : L’intérêt démographique : il y a trop d’êtres qui font trembler la planète et qui la vident de toutes ses ressources nourricières comme l’eau ou l’air… Qui dit mieux que ce virus qui entraine de plus en plus d’hommes et de femmes à quitter les lieux, à commencer par les plus vieux et en finissant par les plus nécessiteux. Tertio : L’intérêt économique : Manifestement, les pays sont à l’arrêt et ne produisent plus de nouvelles denrées, mais en attendant, ils se débarrassent de tous leurs parasites : les très faibles, les très pauvres, les très malades et les très vieux, de tous les retraités qui pèsent et lèsent leur Majesté. Coronavirus c’est un terminus pour ceux qui ont un besoin vital de transports en commun… au sens propre comme au sens figuré. Quarto : L’intérêt politique : La gouvernance mondiale est en vacances. Plus de pression mais seulement une légitime répression pour que le monde soit bien tenu en laisse sans réunion, ni communion. Les gouvernants ont désormais le temps de prendre leur temps pour asseoir leur pouvoir ou surseoir à leur devoir. Plus de révolution en vue, tout le monde a désormais intérêt à prendre de nouvelles résolutions… Pour sortir de soi, de chez soi, de prison !
Quinto : Et enfin l’intérêt paradigmatique qui nous incite tous et sans exception à changer de modèle de paradigme, de système de fonctionnement, puisque l’on sait désormais qu’on peut vivre et mourir autrement… Sans usure, ni démesure.
https://www.la-croix.com/France/Securite/Racisme-tabou-police-nationale-2020-05-01-1201092126