iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
Monsieur le Président Macron montez ces escaliers et du haut du Mémorial des Martyrs sachez que pendant 132 ans de colonisation et près de 8 ans de guerre il y a eu plus de 6 millions de victimes. Les familles de ces martyrs méritent aussi votre "pardon" et la reconnaissance au nom de la France.
Par rapport à la période de cette Guerre de Libération de l’Algérie, il serait plus que temps que ce ne soient pas des petits pas effectués les uns après les autres pour tenter de satisfaire une clientèle électorale, mais que la France reconnaisse enfin sa responsabilité globale dans l’organisation de tous ces crimes d’état (17 octobre 1961, 8 février 1962,...), ces crimes contre l’humanité (tortures, viols, corvées de bois, crevettes Bigeard, camps d’internement – pudiquement appelés de regroupement--,...) ces crimes de guerre (utilisation du napalm, du gaz Vx et Sarin, les essais nucléaires...) et les condamne très clairement. Il en va de l’honneur de notre pays, du respect des valeurs républicaines de la France.
Nous avions rendez-vous à l’entrée du cimetière d’El Madania (Clos Salembier) pour un hommage à l’aspirant Henri Maillot. Nous avons vu arriver une petite dame vêtue modestement mais avec goût, une brassée de roses rouges dans les bras. C’était Yvette la sœur d’Henri. Depuis, les membres de l’association France-El Djazaïr étaient restés en liaison avec elle et nous allions la saluer lors de chacun de nos voyages à Alger. En 2006, nous l’avions invitée à Nîmes pour un séjour au cours duquel elle avait pu visiter le département du Gard et participer à une rencontre au Cercle Monique Jourdan, à l’invitation de Martine Gayraud , la secrétaire départementale du PCF. Yvette s’est éteinte samedi… Elle était la mémoire vivante de l’épopée héroïque d’Henri Maillot.
Yvette Maillot, Bernard Deschamps, au Pont du Gard
Michèle Malclès, Yvette Maillot, Annie Deschamps
Qui était l’aspirant Henri Maillot ?
« Né le 21 janvier 1928 à Alger, Henri Maillot, adhéra au parti communiste en 1943. Il effectua son service militaire à Maison-Carrée, dans une unité du Train à compter d’avril 1948. Il parvint à entrer à l’École des Elèves sous-officiers de Cherchell, même s’il était « fiché » comme communiste par la Sécurité militaire. Après un stage à Tours, il fut promu aspirant du Train en janvier 1949.
Après son service, il travailla à la comptabilité du journal communiste Alger Républicain. Il participait aux tentatives de rapprochement avec les …nationalistes algériens..
En octobre 1955, il fut rappelé sous les drapeaux à Miliana en tant qu’aspirant, au 57e Bataillon de tirailleurs algériens (BTA) Dès décembre 1955, Henri Maillot envisagea de dérober des armes, l’information remontant jusqu’à la direction des Combattants de la Libération (CDL), organisation clandestine créée après l’interdiction du PCA. Une première tentative échoua en février 1956 faute du concours du FLN. Au cours de la seconde quinzaine de mars […] la direction du PCA détermina les lieux de l’embuscade, la forêt de Baïnem.
Le 3 avril, alors qu’ils traveraient la forêt de Baïnem, Henri Maillot sortit son pistolet et intima l’ordre au chauffeur de s’engager dans un chemin. Vers 12 heures 30, le camion s’arrêta, plusieurs personnes sortirent des fourrés et transbordèrent l’armement dans un véhicule. Le commando déroba ainsi 74 revolvers, 10 pistolets automatiques, 121 pistolets mitrailleurs et 63 fusils, avec de nombreuses cartouches.Henri Maillot rejoignit le « maquis rouge » mis en place par les CDL le 15 mai. Ce maquis d’une quinzaine de personnes était implanté dans l’ouest algérois, près d’Orléansville, dans le douar des Beni-Boudouane où il fut abattu ainsi que Maurice Laban et deux autres patriotes par les harkis du caïd Boualam, futur bachagha, acquis à l’Algérie française.
L’annonce de la mort d’Henri Maillot déclencha un véritable déluge d’articles. À l’exception de Libération et de l’Humanité, proches ou liés au PCF, tous les journaux utilisèrent les qualificatifs de « félon » et de « traître ». Le 9 juin, le PCA publia un tract au titre éloquent, « Gloire à Henri Maillot héros de la cause nationale. »(Extraits du Maitron)
Nous partageons la douleur des nièces et neveux d’Yvette et de leur famille. Qu’ils trouvent ici le témoignage de l’amitié profonde que nous lui portions.
Bernard DESCHAMPS
Yvette Maillot souvenirs
d’une Française restée en Algérie
En juillet 1962, alors que l’Algérie vient d’obtenir son indépendance, des centaines de milliers de pieds-noirs quittent le pays. FRANCE 24 est allé à la rencontre d'Yvette Maillot, une Française qui a fait le choix de rester.
Nous étions en 2012 c’est la visite qu’Yvette Maillot attendait depuis la déclaration d’indépendance du 5 juillet 1962. À 85 ans, la vieille dame a reçu, il y a quelques semaines, une délégation d’officiels algériens dans le jardin de sa villa du Clos-Salembier, quartier sur les hauteurs d’Alger, où elle vit depuis les années 1930 et où les citronniers, figuiers et grenadiers plantés par son père n’ont pas survécu aux années.
L’Algérie française a disparu depuis un demi-siècle, mais Yvette est restée. Vêtue d’une jolie djellaba, elle a écouté poliment la délégation lui proposer de renommer, lors du cinquantenaire de l’indépendance du pays, sa petite rue en l'honneur de son frère, Henri Maillot, mort pour la cause algérienne.
Yvette Maillot tient les documents certifiant la mort de son frère. Ces quelques pages dactylographiées expliquent pourquoi elle a décidé de rester alors que déclaration d’indépendance et règlements de compte poussaient 200 000 de ses compatriotes à embarquer pour l’Hexagone.
"Pas question de choisir entre la valise et le cercueil"
Yvette Maillot dans le jardin de sa villa du Clos-Salembier, à Alger. (photo : Mehdi Chebil / FRANCE 24)
"Pour moi et ma famille, il n’était pas question de choisir entre la valise et le cercueil comme les autres pieds-noirs… Le cercueil, nous l’avions déjà !", déclare Yvette en se remémorant ce jour du printemps 1956 où trois camions bourrés de militaires français ont investi la villa du Clos-Salembier à la recherche de son frère.
C'est à ce moment que la famille d’Yvette apprend la désertion de l’aspirant Henri Maillot, qui a rejoint un maquis acquis à la cause indépendantiste. Militant communiste de longue date, son frère a décidé de rejoindre les rangs de l’insurrection après avoir assisté à l’écrasement de la révolte de Constantine, un an plus tôt.
Affecté à l’arsenal d’Alger, il est parti avec un camion rempli d’armes qu’il a remis aux insurgés algériens. Un ancien combattant algérien, ami d’Yvette, se souvient du butin providentiel ramené ce jour-là par le "moudjahid français" : 120 mitraillettes, 80 revolvers, 65 fusils Lebel et une grande quantité de munitions.
Du jour au lendemain, Yvette est licenciée de l’atelier de couture où elle exerçait depuis une dizaine d’années. La maison familiale est symboliquement saisie par la justice, qui menace de l’expulser. Pour les partisans de l’Algérie française, elle devient la sœur du "traître Maillot" et un groupe d’ultras nommé "La main rouge" essaie de la kidnapper à deux reprises.
"Je vivais cloîtrée avec ma mère et ma sœur. Un jour, je me suis rendue aux funérailles d’un membre de ma famille, au cimetière du Chemin des crêtes. Quand j’ai vu le cortège funéraire, je n’en ai pas cru mes yeux. Un de mes oncles éloignés était habillé avec une redingote noire en queue de pie, avec une boutonnière affichant son soutien à l’OAS. Je me suis sentie en danger et je me suis enfuie dès que le corps était dans la tombe", rapporte Yvette.
C’est l’époque où l’affrontement entre forces pro et anti-coloniales dérape, où les luttes intestines au sein de chaque camp se soldent par des massacres de plus en plus sanglants.
L'indépendance, la fin d'un calvaire
Yvette voit avec horreur l’Algérie s’enfoncer dans la nuit. Le maquis d’Henri Maillot est démantelé au cours d’une opération spéciale de l’armée française, dont le dénouement rivalise de cruauté avec les pires exactions de la guerre.
Après l’avoir abattu, les anciens camarades de l’aspirant Maillot accrochent son cadavre à l’arrière de leur blindé avant de le traîner sur une quinzaine de kilomètres en guise d’exemple. Yvette est alors définitivement adoptée par les moudjahidines, qui considèrent son frère comme un véritable patriote algérien et un martyr. Tandis que le quartier du Clos-Salembier se vide de ses habitants européens, Yvette attend impatiemment la victoire des souverainistes algériens. La proclamation d’indépendance du 5 juillet 1962 marque la fin d’un calvaire.
"On a tellement souffert pour cette indépendance, on l’attendait avec impatience… Sept ans de guerre pour qu’on puisse revivre !", s’exclame Yvette.
Impliquée contre son gré dans la grande histoire du conflit franco-algérien, Yvette garde prudemment ses distances vis-à-vis des soubresauts politiques de l’Algérie du FLN. Les Algériens reconnaissent unanimement qu’elle "est ici chez elle" et la réputation de patriote de son frère protège sa famille des exactions qui ont visé d’autres Européens.
En plus de son passeport français, Yvette reçoit une carte d’identité algérienne dès 1963. Elle profite de la paix pour voyager, met les pieds dans l’Hexagone pour la première fois en 1967 et découvre avec émerveillement le métro à Paris. Mais son âme reste attachée à la terre où ses ancêtres sont établis depuis les années 1860 et elle ne reste jamais bien longtemps loin de sa villa algéroise.
Depuis sa terrasse, Yvette regarde les habitations en parpaing voisines qui ont remplacé les champs de son enfance. On devine, cinquante mètres plus bas, la ruelle Fernand Iveton, nommé d’après un autre pied-noir guillotiné pour avoir rejoint les insurgés algériens. Après réflexion, Yvette a demandé aux officiels algériens que sa rue ne soit pas rebaptisée du nom de son frère.
"C’est trop tard maintenant, les autorités auraient dû faire ça il y a cinquante ans", conclut-elle.
Cérémonie de recueillement en hommage
à Henri Maillot, martyr
de la Révolution algérienne
Employé en tant que comptable au quotidien Alger Républicain, il est mobilisé par l`armée française comme aspirant en 1956 dans la région de Méliana. Le 4 avril de la même année, il déserte et prend le maquis en détournant un camion d`armes. Il meurt sous les balles de l`armée coloniale le 5 juin 1956 à Chlef
Un hommage a été rendu samedi au cimetière chrétien de Diar-Essaâda (El Mouradia) à Alger, au chahid Henri Maillot lors d`une cérémonie de commémoration à l’occasion du 62ème anniversaire de sa mort, le 5 juin 1956, sous les balles des forces d`occupation coloniale.
La cérémonie de recueillement s`est déroulée en présence d’anciens moudjahidines et moudjahidates et du ministre de la Communication, Djamel Kaouane..
Pour le ministre de la Communication, “Henri Maillot, à l’instar de Fernand Yveton, Maurice Audin et le couple Chaulet sont des Algériens, des martyrs pour certains et des moudjahidines pour d’autres, donnant l’exemple du couple Chaulet qui a participé activement à l’oeuvre de la reconstruction du pays”.
“C’est un hommage justifié à ces fils de l’Algérie, qui ont contribué à la libération de notre pays”, a-t-il soutenu.
Pour sa part, la moudjahida Ighilahriz a indiqué que “les Français qui ont défendu l’Algérie, dont Henri Maillot, étaient nos frères, des chouhadas. Ils ont été arrêtés et torturés comme nous”.
Une gerbe de fleurs a été déposée devant la tombe d’Henri Maillot, dont les qualités, notamment son engagement pour la liberté, son humanisme et son combat pour l’indépendance de l’Algérie ont été soulignées.
Né le 11 janvier 1928 à Alger, d`une famille européenne, Henri Maillot rejoint très tôt le PCA (Parti communiste algérien) après avoir été secrétaire général de l`Union de la jeunesse démocratique algérienne.
Employé en tant que comptable au quotidien Alger Républicain, il est mobilisé par l`armée française comme aspirant en 1956 dans la région de Méliana. Le 4 avril de la même année, il déserte et prend le maquis en détournant un camion d`armes. Il meurt sous les balles de l`armée coloniale le 5 juin 1956 à Chlef.
Nous, membres de la famille du chahid Henri Maillot, mort au champ d’honneur les armes à la main le 5 juin 1956, osons briser le silence que nous nous sommes imposés pendant 55 ans. Et pour cause, notre frère et oncle est victime d’un ostracisme et d’un déni de reconnaissance énigmatique que d’aucuns n’arrivent à expliquer. Il demeure banni du panthéon réservé aux martyrs au même titre que son ami et voisin de quartier, le chahid Fernand Iveton, guillotiné à Serkadji le 11 février 1957. C’est pour cette raison que des centaines de citoyens se font un devoir de venir se recueillir sur leurs tombes chaque année les jours anniversaire de leur «mort». Au mois de juin 2015, l’APS a publié une dépêche dans laquelle le chahid Henri Maillot était qualifié «d’ami de la Révolution algérienne». Un impair lourd de sens et qui illustre on ne peut mieux le sort réservé aux chouhada et moudjahidine d’origine européenne. Il est regrettable de rappeler certains faits historiques et d’actualité pour prouver notre appartenance et notre attachement à notre patrie l’Algérie. – La famille Maillot est installée en Algérie depuis six générations et ne l’a jamais quittée en dépit de tous les drames qui ont secoué notre pays. – Le chahid Henri Maillot a offert ce qu’il avait de plus précieux pour défendre sa patrie : sa vie. – Le père du chahid Henri Maillot était secrétaire du syndicat des travailleurs de la ville d’Alger (mairie d’Alger). Il a été licencié pour avoir déclenché une grève pour réclamer les droits et plus de dignité pour les éboueurs musulmans. – A l’indépendance tous les membres de la famille Maillot ont opté pour la nationalité algérienne au détriment de la nationalité française. Pour s’en convaincre davantage, il suffit de lire la lettre que le chahid Henri Maillot a envoyée à la presse parisienne pour justifier sa désertion avec un camion rempli d’armes et de munitions. Dans cette lettre, il disait : «Il y a quelques mois de cela, Jules Roy, écrivain et colonel de l’armée française», disait : « Si j’étais musulman je serais du côté des fellagas. Moi je ne suis pas musulman mais je considère l’Algérie comme ma patrie et je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Et ma place est au côté de ceux qui ont engagé le combat libérateur… Ce n’est pas une lutte de religion ni de race, comme voudraient le faire croire certains possédants de ce pays, mais une lutte d’opprimés contre leurs oppresseurs sans distinction de races ni d’origines… Notre victoire est certaine… En désertant avec un camion rempli d’armes, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon peuple et de ma patrie…» Afin de préserver la mémoire de Henri et les idéaux pour lesquels il s’est sacrifié, nous n’avons jamais rien demandé d’autre qu’une reconnaissance. Nous aimerions voir son nom gravé sur le fronton d’un lycée, d’une université, d’une cité ou bien lui dédier un lieu de mémoire pour que son sacrifice pour une Algérie libre, indépendante, fraternelle, tolérante et juste ne soit pas vain. Car la grandeur et la noblesse de notre révolution est d’avoir été portée et défendue par des femmes et des hommes de différentes origines raciales, religieuses et culturelles. C’est cela que nous devons inculquer aux jeunes générations algériennes. Ce sera une juste reconnaissance qui le sortira de la nuit de l’oubli où il a été longtemps confiné, à l’instar d’autres martyrs algériens d’origine étrangère. Quant aux moudjahidate et moudjahidine d’origine étrangère vivant en Algérie, ils sont en train de nous quitter l’un après l’autre dans l’anonymat le plus complet. Il est grand temps de leur rendre un vibrant hommage et recueillir leurs témoignages. Gloire à tous nos martyrs La famille MAILLOT
Pour information, l’hôpital Mohamed Lamine Debaghine ex Maillot à Bab El Oued n’a pas porté le nom d’Henri Maillot mais celui de François Clément Maillot, le médecin qui codifia l’usage de la quinine contre le paludisme en 1834.
En soutien à la famille Maillot, le Collectif novembre accompagne l’appel de sa famille en vous invitant lire l’hommage que lui rendu Mohamed Bouhamidi en 2015. En 2015 pour la publication d’un beau livre qui regroupait certaines de ses créations de résistance, Mustapha Boutadjine me demandait un texte sur Henri Maillot et un autre sur les années de terrorisme. J’ai écrit les deux textes en illustration de ses magnifiques illustrations. Je découvre des années après la traduction, en 2017, par Ali Ibrahim des « Années de plomb ». J’ai publié cette traduction et republie le texte en français des « Années de plomb » et de celui de Maillot. Mes plus vifs remerciements vont à Ali Ibrahim pour sa traduction et pour l’occasion qu’il m’offre de re-proposer leur lecture.
Henri Maillot Un chemin d’exception. Texte de Mohamed Bouhamidi sur Henri Maillot pour le thème «Insurgés» extrait du livre de Mustapha Boutadjine «Collage Résistant(s)», édité par Helvétius. Paris septembre 2015
I N S U R G É S.
Les morts d’août 1955 n’ont pas vu ton regard.* Ils l’ont habité. Je les entends derrière ta photo. On me demande de parler de toi. Je préfère que cela soit en ce soixantième anniversaire de râles qui t’ont révélé à l’indigène que t’habitais déjà. Le soixantième de ta renaissance à la fratrie indigène dans les yeux des paysans du Dahra et des frères heureux des armes que tu avais délibéré de voler le jour de ces massacres. Ta mort je ne saurais en parler. Je peux résumer ta vie. Né à Alger en 1928 dans une famille pied-noir-stop-Ami de Fernand Iveton, l’autre Arabe de Salembier et son voisin-stop-Militant du Parti communiste algérien (PCA)-stop-Secrétaire général de l’Union de la jeunesse démocratique algérienne ce qui n’est pas rien-stop-Représente l’Algérie dans des congrès de la jeunesse à Prague et à Varsovie-stop-Employé par Alger Républicain-stop-Déserte et détourne un camion d’armes et de munitions le 4 avril 1956 : 132 mitraillettes,140 revolvers, 57 fusils, un lot de grenades-stop-Remet les armes à l’ALN-stop-Rejoint le groupe de combattants communistes, de ce même Dahra-stop- Condamné à mort le 22 mai par le tribunal militaire d’Alger-stop-Meurt le mardi 5 juin 1956 au djebel Deragua tué par la harka du bachagha Boualem et des soldats français-stop-A crié « Vive l’Algérie » face à ses bourreaux-stop… Tu n’es dans les histoires officielles ou savantes que sur des marges. Impossible d’oublier ton acte et impossible de parler pleinement de toi. Trop de charge dans ton engagement. Trop de sens pour être dans une case de manuel. Tu es dans la métahistoire, camarade, pas dans l’anecdote. Soixante ans après je lis sur des sites pieds-noirs « Henri Maillot, officier félon ». Officier passé à l’ennemi. L’ennemi c’était nous la multitude de ce pays. Interdit pour toi d’être notre frère sous peine de félonie. La fraternité avait ce seul chemin, que tu as montré, de passer vers notre rive. Chemin d’exception que j’essaye de regarder les yeux fermés à t’imaginer… Mohamed Bouhamidi
L’aspirant Henri Maillot, né en Algérie (Alger) le 11 janvier 1928 anticolonialiste et militant du Parti Communiste Algérien, détourne un camion d’armes en 1956, remis aux aux maquis de l’ALN après accord entre responsables du FLN et du PCA. Fait prisonnier au cours d’un accrochage dans lequel meurent, le 2 juin 1956, trois de ses compagnons, il est fait prisonnier, torturé puis assassiné d’une rafale de mitraillette. * Henri Maillot a assisté aux massacres des paysans de la région de Skikda perpétrés par l’armée française et les colons en août 1955 en représailles d’une offensive de l’ALN dans la même région de Skikda.
De Mohamed Rebah : Auteur de «Des Chemins et des Hommes»
Au fronton de l’histoire : Le camion d’armes d’Henri Maillot Par Nour, Overblog, 3 juin 2013.
Le 5 avril 1956, La Dépêche Quotidienne, organe de la grosse colonisation, criant à la trahison, ouvre sa «Une» sur une information sensationnelle : «Dans l’après-midi d’hier, mystérieuse disparition d’un important chargement d’armes dans la forêt de Baïnem». Le camion détourné contenait 123 mitraillettes, 140 revolvers, 57 fusils, un lot de grenades et divers uniformes. De quoi armer plusieurs commandos. On apprend que l’homme qui a mené l’opération est l’aspirant Henri Maillot, réserviste de la classe 28, rappelé au 57e bataillon des Tirailleurs algériens. Militant du Parti communiste algérien (PCA) clandestin, Henri Maillot pensa à subtiliser des armes à l’armée d’occupation au profit de l’Armée de Libération nationale dès son affectation au mois d’octobre 1955 à la caserne de Miliana, à l’ouest d’Alger, où étaient installés de nombreux réservistes fraîchement débarqués de France. Il se confia à son camarade de parti, William Sportisse, qu’il rencontra lors d’une permission, à la fin décembre, à Alger. La direction du PCA clandestin, informée, transmit son accord sans tarder.
L’opération militaire, supervisée par Bachir Hadj Ali, secrétaire du parti et coordonnateur des Combattants de la libération (branche militaire du PCA, créée au mois de juin 1955), connut son épilogue le mercredi 4 avril 1956 vers midi. Le camion Ford, sorti de la caserne de Miliana à 7h du matin, avait pris la route d’Alger avec à son bord Henri Maillot, chef du convoi. Après un arrêt de deux heures à l’Arsenal (ERM) de Belcourt où fut déchargée une partie des armes, le camion a été détourné vers la forêt de Baïnem, à l’ouest d’Alger, où, embusqué dans les broussailles, un commando des Combattants de la libération (Jean Farrugia, Joseph Grau et Clément Oculi) attendait.
Pour des raisons de sécurité, la remise des armes à l’ALN se déroula en plusieurs étapes. L’acheminement des armes vers les maquis fut assuré par les Combattants de la libération des zones d’Alger et de Blida. La réception d’un premier lot par la direction d’Alger du FLN intervint quelques jours après le détournement du camion, selon le témoignage de Mokhtar Bouchafa, adjoint du commandant de l’ALN de la région d’Alger, Amar Ouamrane, futur colonel de la Wilaya IV. Une partie des armes de guerre transportées à Blida par Jean Farrugia dans le camion de Belkacem Bouguerra fut remise au groupe Guerrab-Saâdoun-Maillot, en route vers le maquis de l’Ouarsenis.
La fourniture d’armes de guerre à l’ALN fut comme une réponse au souci exprimé par Abane Ramdane dans son courrier, envoyé le 15 mars 1956, à la délégation extérieure du FLN installée au Caire. «… Si les communistes veulent nous fournir des armes, souligne-t-il dans sa missive, il est dans nos intentions d’accepter le Parti communiste algérien en tant que parti au sein du FLN, si les communistes sont en mesure de nous armer…» C’est dans ce contexte que la première rencontre eut lieu les premiers jours de mai 1956, par un après-midi printanier, dans le cabinet dentaire de Mokrane Bouchouchi, place Bugeaud (Place Emir Abdelkader), face au siège du 19e Corps d’armée, au cœur d’Alger, entre Abane Ramdane et Bachir Hadj Ali, assistés respectivement de Benyoucef Benkhedda et de Sadek Hadjerès. Cette rencontre au sommet avait été arrangée par l’homme de confiance de Abane, Lakhdar Rebah, dit El Ghazal (quelques jours avant son arrestation à Kouba par les parachutistes de Massu).
Évoquant cette rencontre, l’officier de l’ALN devenu historien, Mohamed Téguia, écrit dans son livre témoignage L’Algérie en guerre : «Elle fut l’objet de félicitationss de Abane qui rendit hommage aux communistes… (Il) fit connaître son projet de promouvoir l’aspirant Maillot comme lieutenant, en l’affectant en Kabylie.» Les discussions aboutirent au mois de juin 1956 à la signature des accords FLN-PCA. Maintenant, «il n’existe qu’une seule armée contrôlée par le FLN», déclare le PCA clandestin. L’intégration «en bloc» des Combattants de la libération dans les maquis de la Wilaya IV (l’Arbaâ, Palestro (Lakhdaria), Ténès, Cherchell, Zaccar, Chlef et autres lieux de combat) fut supervisée par Amar Ouamrane.
Dans un communiqué signé de lui et adressé aux agences et organes de presse, Henri Maillot donna la signification de son geste : «L’écrivain français Jules Roy, colonel d’aviation, écrivait il y a quelques mois : si j’étais musulman, je serais du côté des ‘‘fellagas’’. Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples… Il ne s’agit pas d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race… En livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour le combat libérateur, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés.»
Henri Maillot tombe au champ d’honneur à l’âge de 28 ans, dans la matinée du 5 juin 1956, dans le djebel Derraga (rive gauche du Chéliff), mitraillé par les soldats français. Maurice Laban, Belkacem Hannoun et Djillali Moussaoui sont morts à ses côtés, les armes à la main. Abdelkader Zelkaoui, capturé la veille, avait été froidement assassiné. La guerre pour l’indépendance est à son vingtième mois. «Le camion d’armes d’Henri Maillot» entre dans la légende. La date du 4 avril 1956 s’inscrit au fronton de l’histoire.
Nous, membres de la famille du chahid Henri Maillot, mort au champ d’honneur les armes à la main le 5 juin 1956, osons briser le silence que nous nous sommes imposés pendant 55 ans. Et pour cause, notre frère et oncle est victime d’un ostracisme et d’un déni de reconnaissance énigmatique que d’aucuns n’arrivent à expliquer. Il demeure banni du panthéon réservé aux martyrs au même titre que son ami et voisin de quartier, le chahid Fernand Iveton, guillotiné à Serkadji le 11 février 1957. C’est pour cette raison que des centaines de citoyens se font un devoir de venir se recueillir sur leurs tombes chaque année les jours anniversaire de leur «mort». Au mois de juin 2015, l’APS a publié une dépêche dans laquelle le chahid Henri Maillot était qualifié «d’ami de la Révolution algérienne». Un impair lourd de sens et qui illustre on ne peut mieux le sort réservé aux chouhada et moudjahidine d’origine européenne.
Il est regrettable de rappeler certains faits historiques et d’actualité pour prouver notre appartenance et notre attachement à notre patrie l’Algérie. – La famille Maillot est installée en Algérie depuis six générations et ne l’a jamais quittée en dépit de tous les drames qui ont secoué notre pays. – Le chahid Henri Maillot a offert ce qu’il avait de plus précieux pour défendre sa patrie : sa vie. – Le père du chahid Henri Maillot était secrétaire du syndicat des travailleurs de la ville d’Alger (mairie d’Alger). Il a été licencié pour avoir déclenché une grève pour réclamer les droits et plus de dignité pour les éboueurs musulmans. – A l’indépendance tous les membres de la famille Maillot ont opté pour la nationalité algérienne au détriment de la nationalité française.
Pour s’en convaincre davantage, il suffit de lire la lettre que le chahid Henri Maillot a envoyée à la presse parisienne pour justifier sa désertion avec un camion rempli d’armes et de munitions. Dans cette lettre, il disait : «Il y a quelques mois de cela, Jules Roy, écrivain et colonel de l’armée française», disait : « Si j’étais musulman je serais du côté des fellagas. Moi je ne suis pas musulman mais je considère l’Algérie comme ma patrie et je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Et ma place est au côté de ceux qui ont engagé le combat libérateur… Ce n’est pas une lutte de religion ni de race, comme voudraient le faire croire certains possédants de ce pays, mais une lutte d’opprimés contre leurs oppresseurs sans distinction de races ni d’origines… Notre victoire est certaine… En désertant avec un camion rempli d’armes, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon peuple et de ma patrie…»
Afin de préserver la mémoire de Henri et les idéaux pour lesquels il s’est sacrifié, nous n’avons jamais rien demandé d’autre qu’une reconnaissance. Nous aimerions voir son nom gravé sur le fronton d’un lycée, d’une université, d’une cité ou bien lui dédier un lieu de mémoire pour que son sacrifice pour une Algérie libre, indépendante, fraternelle, tolérante et juste ne soit pas vain. Car la grandeur et la noblesse de notre révolution est d’avoir été portée et défendue par des femmes et des hommes de différentes origines raciales, religieuses et culturelles.
C’est cela que nous devons inculquer aux jeunes générations algériennes. Ce sera une juste reconnaissance qui le sortira de la nuit de l’oubli où il a été longtemps confiné, à l’instar d’autres martyrs algériens d’origine étrangère. Quant aux moudjahidate et moudjahidine d’origine étrangère vivant en Algérie, ils sont en train de nous quitter l’un après l’autre dans l’anonymat le plus complet. Il est grand temps de leur rendre un vibrant hommage et recueillir leurs témoignages.
Gloire à tous nos martyrs
La famille MAILLOT
Pour information, l’hôpital Mohamed Lamine Debaghine ex Maillot à Bab El Oued n’a pas porté le nom d’Henri Maillot mais celui de François Clément Maillot, le médecin qui codifia l’usage de la quinine contre le paludisme en 1834.
En soutien à la famille Maillot, le Collectif novembre accompagne l’appel de sa famille en vous invitant lire l’hommage que lui rendu Mohamed Bouhamidi en 2015. En 2015 pour la publication d’un beau livre qui regroupait certaines de ses créations de résistance, Mustapha Boutadjine me demandait un texte sur Henri Maillot et un autre sur les années de terrorisme. J’ai écrit les deux textes en illustration de ses magnifiques illustrations. Je découvre des années après la traduction, en 2017, par Ali Ibrahim des « Années de plomb ». J’ai publié cette traduction et republie le texte en français des « Années de plomb » et de celui de Maillot. Mes plus vifs remerciements vont à Ali Ibrahim pour sa traduction et pour l’occasion qu’il m’offre de re-proposer leur lecture.
Henri Maillot Un chemin d’exception. Texte de Mohamed Bouhamidi sur Henri Maillot pour le thème «Insurgés» extrait du livre de Mustapha Boutadjine «Collage Résistant(s)», édité par Helvétius. Paris septembre 2015
I N S U R G É S. Les morts d’août 1955 n’ont pas vu ton regard.* Ils l’ont habité. Je les entends derrière ta photo. On me demande de parler de toi. Je préfère que cela soit en ce soixantième anniversaire de râles qui t’ont révélé à l’indigène que t’habitais déjà. Le soixantième de ta renaissance à la fratrie indigène dans les yeux des paysans du Dahra et des frères heureux des armes que tu avais délibéré de voler le jour de ces massacres. Ta mort je ne saurais en parler. Je peux résumer ta vie. Né à Alger en 1928 dans une famille pied-noir-stop-Ami de Fernand Iveton, l’autre Arabe de Salembier et son voisin-stop-Militant du Parti communiste algérien (PCA)-stop-Secrétaire général de l’Union de la jeunesse démocratique algérienne ce qui n’est pas rien-stop-Représente l’Algérie dans des congrès de la jeunesse à Prague et à Varsovie-stop-Employé par Alger Républicain-stop-Déserte et détourne un camion d’armes et de munitions le 4 avril 1956 : 132 mitraillettes,140 revolvers, 57 fusils, un lot de grenades-stop-Remet les armes à l’ALN-stop-Rejoint le groupe de combattants communistes, de ce même Dahra-stop- Condamné à mort le 22 mai par le tribunal militaire d’Alger-stop-Meurt le mardi 5 juin 1956 au djebel Deragua tué par la harka du bachagha Boualem et des soldats français-stop-A crié « Vive l’Algérie » face à ses bourreaux-stop… Tu n’es dans les histoires officielles ou savantes que sur des marges. Impossible d’oublier ton acte et impossible de parler pleinement de toi. Trop de charge dans ton engagement. Trop de sens pour être dans une case de manuel. Tu es dans la métahistoire, camarade, pas dans l’anecdote. Soixante ans après je lis sur des sites pieds-noirs « Henri Maillot, officier félon ». Officier passé à l’ennemi. L’ennemi c’était nous la multitude de ce pays. Interdit pour toi d’être notre frère sous peine de félonie. La fraternité avait ce seul chemin, que tu as montré, de passer vers notre rive. Chemin d’exception que j’essaye de regarder les yeux fermés à t’imaginer… Mohamed Bouhamidi
L’aspirant Henri Maillot, né en Algérie (Alger) le 11 janvier 1928 anticolonialiste et militant du Parti Communiste Algérien, détourne un camion d’armes en 1956, remis aux aux maquis de l’ALN après accord entre responsables du FLN et du PCA. Fait prisonnier au cours d’un accrochage dans lequel meurent, le 2 juin 1956, trois de ses compagnons, il est fait prisonnier, torturé puis assassiné d’une rafale de mitraillette. * Henri Maillot a assisté aux massacres des paysans de la région de Skikda perpétrés par l’armée française et les colons en août 1955 en représailles d’une offensive de l’ALN dans la même région de Skikda. …………… ……………
De Mohamed Rebah : Auteur de «Des Chemins et des Hommes» Au fronton de l’histoire : Le camion d’armes d’Henri Maillot Par Nour, Overblog, 3 juin 2013. Le 5 avril 1956, La Dépêche Quotidienne, organe de la grosse colonisation, criant à la trahison, ouvre sa «Une» sur une information sensationnelle : «Dans l’après-midi d’hier, mystérieuse disparition d’un important chargement d’armes dans la forêt de Baïnem». Le camion détourné contenait 123 mitraillettes, 140 revolvers, 57 fusils, un lot de grenades et divers uniformes. De quoi armer plusieurs commandos. On apprend que l’homme qui a mené l’opération est l’aspirant Henri Maillot, réserviste de la classe 28, rappelé au 57e bataillon des Tirailleurs algériens. Militant du Parti communiste algérien (PCA) clandestin, Henri Maillot pensa à subtiliser des armes à l’armée d’occupation au profit de l’Armée de Libération nationale dès son affectation au mois d’octobre 1955 à la caserne de Miliana, à l’ouest d’Alger, où étaient installés de nombreux réservistes fraîchement débarqués de France. Il se confia à son camarade de parti, William Sportisse, qu’il rencontra lors d’une permission, à la fin décembre, à Alger. La direction du PCA clandestin, informée, transmit son accord sans tarder. L’opération militaire, supervisée par Bachir Hadj Ali, secrétaire du parti et coordonnateur des Combattants de la libération (branche militaire du PCA, créée au mois de juin 1955), connut son épilogue le mercredi 4 avril 1956 vers midi. Le camion Ford, sorti de la caserne de Miliana à 7h du matin, avait pris la route d’Alger avec à son bord Henri Maillot, chef du convoi. Après un arrêt de deux heures à l’Arsenal (ERM) de Belcourt où fut déchargée une partie des armes, le camion a été détourné vers la forêt de Baïnem, à l’ouest d’Alger, où, embusqué dans les broussailles, un commando des Combattants de la libération (Jean Farrugia, Joseph Grau et Clément Oculi) attendait.
Pour des raisons de sécurité, la remise des armes à l’ALN se déroula en plusieurs étapes. L’acheminement des armes vers les maquis fut assuré par les Combattants de la libération des zones d’Alger et de Blida. La réception d’un premier lot par la direction d’Alger du FLN intervint quelques jours après le détournement du camion, selon le témoignage de Mokhtar Bouchafa, adjoint du commandant de l’ALN de la région d’Alger, Amar Ouamrane, futur colonel de la Wilaya IV. Une partie des armes de guerre transportées à Blida par Jean Farrugia dans le camion de Belkacem Bouguerra fut remise au groupe Guerrab-Saâdoun-Maillot, en route vers le maquis de l’Ouarsenis.
La fourniture d’armes de guerre à l’ALN fut comme une réponse au souci exprimé par Abane Ramdane dans son courrier, envoyé le 15 mars 1956, à la délégation extérieure du FLN installée au Caire. «… Si les communistes veulent nous fournir des armes, souligne-t-il dans sa missive, il est dans nos intentions d’accepter le Parti communiste algérien en tant que parti au sein du FLN, si les communistes sont en mesure de nous armer…» C’est dans ce contexte que la première rencontre eut lieu les premiers jours de mai 1956, par un après-midi printanier, dans le cabinet dentaire de Mokrane Bouchouchi, place Bugeaud (Place Emir Abdelkader), face au siège du 19e Corps d’armée, au cœur d’Alger, entre Abane Ramdane et Bachir Hadj Ali, assistés respectivement de Benyoucef Benkhedda et de Sadek Hadjerès. Cette rencontre au sommet avait été arrangée par l’homme de confiance de Abane, Lakhdar Rebah, dit El Ghazal (quelques jours avant son arrestation à Kouba par les parachutistes de Massu).
Évoquant cette rencontre, l’officier de l’ALN devenu historien, Mohamed Téguia, écrit dans son livre témoignage L’Algérie en guerre : «Elle fut l’objet de félicitationss de Abane qui rendit hommage aux communistes… (Il) fit connaître son projet de promouvoir l’aspirant Maillot comme lieutenant, en l’affectant en Kabylie.» Les discussions aboutirent au mois de juin 1956 à la signature des accords FLN-PCA. Maintenant, «il n’existe qu’une seule armée contrôlée par le FLN», déclare le PCA clandestin. L’intégration «en bloc» des Combattants de la libération dans les maquis de la Wilaya IV (l’Arbaâ, Palestro (Lakhdaria), Ténès, Cherchell, Zaccar, Chlef et autres lieux de combat) fut supervisée par Amar Ouamrane.
Dans un communiqué signé de lui et adressé aux agences et organes de presse, Henri Maillot donna la signification de son geste : «L’écrivain français Jules Roy, colonel d’aviation, écrivait il y a quelques mois : si j’étais musulman, je serais du côté des ‘‘fellagas’’.
Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples… Il ne s’agit pas d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race… En livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour le combat libérateur, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés.»
Henri Maillot tombe au champ d’honneur à l’âge de 28 ans, dans la matinée du 5 juin 1956, dans le djebel Derraga (rive gauche du Chéliff), mitraillé par les soldats français. Maurice Laban, Belkacem Hannoun et Djillali Moussaoui sont morts à ses côtés, les armes à la main. Abdelkader Zelkaoui, capturé la veille, avait été froidement assassiné. La guerre pour l’indépendance est à son vingtième mois. «Le camion d’armes d’Henri Maillot» entre dans la légende. La date du 4 avril 1956 s’inscrit au fronton de l’histoire.
Par Mohamed Rebah Auteur Des Chemins et des Hommes, préface d’Ahmed Akkache, Éditions Mille Feuilles, Alger, novembre 2009.
ht23 septembre 202tps://lapatrienews.dz/henri-maillot-le-chahid-oublie-communique-de-la-famille-du-chahid/
Le Dr Smaïl Boulbina, porte-parole du Comité national pour la restitution de Baba Merzoug, a animé dans la matinée d’hier, au Bastion 23 (Alger), une conférence de presse sur l’histoire de ce canon conservé à Brest (France), depuis le 19e siècle.
Dans son intervention, le conférencier est revenu minutieusement sur le “Bienfaiteur d’Alger”, depuis sa naissance en 1542, ses années de gloire dans la protection d’Alger, jusqu’à sa déportation en France.
Il a, en effet, rédigé un rapport intitulé “Mythe de la consulaire”. Vérité sur la mort de Jean Le Vacher, ce rapport est appuyé par des documents d’archives et dans lequel il apporte des informations sur “la manipulation de la vie opérationnelle de Baba Merzoug, de 1542 à 1830 (288 ans), presque trois siècles, afin de justifier son rapt et sa déportation” et “l’inculpation de Baba Merzoug, désarmé, inoffensif, depuis 1666, accusé d’avoir été l’arme du supplice du consul et vicaire apostolique, Jean Le Vacher, en 1683” (détails sur le rapport dans l’édition du 19 septembre).
Au sujet de ce document envoyé aux chefs de gouvernement algérien et français, le Dr. Boublina a rappelé que depuis la création du comité en 2011, plusieurs lettres ont été envoyées, notamment à Sarkozy, à Macron et dernièrement à François Gouyette, ambassadeur de France en Algérie, “mais nous n’avons jamais reçu de réponses”, regrette-t-il. Pourtant, l’historien Benjamin Stora a cité Baba Merzoug dans son rapport et a proposé la création d’une commission mixte pour sa restitution.
Le Dr. Boublina a conclu son intervention en espérant que le canon soit restitué pour le 1er novembre prochain, et ce, après 191 ans de sa déportation en France. Il a, entre autres, pour projet d’organiser une “Ziyara Baba Merzoug”, où seront invités des historiens, chercheurs et universitaires à découvrir ce monument de la puissance algérienne.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), proclamé le 19 septembre 1958, avait été le "grand instrument de la victoire finale" de Algérie combattante contre le colonisateur français, qui avait occupé le pays depuis 1830, a affirmé samedi le président de l’Association des anciens du ministère de l'Armement et des Liaisons générales (MALG), Daho Ould-Kablia.
"Quoi qu'il en soit, l'Histoire finira par reconnaitre le mérite de l'action du GPRA qui a été le grand instrument de la victoire finale" contre la France coloniale, a assuré M. Ould Kablia à l'APS, à l'occasion de la commémoration du 63 anniversaire de la création du GPRA.
La création du GPRA représentait un "acte fondateur" d'un système de direction aux normes d'Etat avec son administration, ses missions régaliennes, ses règles de gestion et son budget au service d'un cap et d'un agenda.
Il disposait de moyens de liaisons et de communication, avec sa presse, sa radio, ses services diplomatiques et représentations dans de nombreuses capitales et à l'ONU ainsi que des services de logistique et de sécurité.
Pour M. Ould Kablia, son bilan, reconnu internationalement, est la somme des réalisations de chacun de ses membres et de leur service, ajoutant qu'il avait élargi la reconnaissance du combat légitime du peuple algérien, conforté sa représentativité dans les conférences, les forums et les débats régionaux, arabes, africains et internationaux, notamment à l'ONU.
"Ses dirigeants (du GPRA) ont été reçus dans les plus grandes capitales. Il (GPRA) a neutralisé les tentatives de diversion et de division à l'intérieur et à l'extérieur, notamment sur les richesses du Sahara et isolé la France coloniale à l'ONU", a-t-il soutenu.
Pour lui, le grand mérite également du GPRA avait été de construire et de mener un dossier de négociation, selon son propre agenda, avec "intelligence et fermeté" pour aboutir au résultat "le plus conforme aux exigences" de son objectif de liberté et de souveraineté.
M.Ould Kablia a indiqué, toutefois, que le GPRA avait traversé de dures épreuves, puisque son parcours n'a pas été "toujours facile", en raison des "effets dévastateurs" d'une guerre menée de manière "barbare" par l'armée coloniale française contre le peuple algérien.
Le GPRA a connu, a-t-il rappelé, des "tentatives de déstabilisation", notamment au plan intérieur , dues à des "dissensions" internes et des "malentendus" qui se sont accentués avec la proximité de la fin de l'épreuve de la Libération, sans oublier, a-t-ajouté, les "manœuvres sournoises" des pays voisins avec leurs revendications territoriales.
L'ancien ministre de l'Intérieur a relevé que le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) avait "presque toujours tranché avec autorité pour apaiser les tensions", mais cela "n'avait pas suffi dans le cadre de la grave crise qui avait opposé le GPRA à l'Etat major général".
Pour lui, "la sagesse, la droiture et la compétence" de ses premiers dirigeants, à savoir Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda (les deux présidents successifs du GPRA) et la foi des différents ministres qui ont assumé "les lourdes" responsabilités de la conduite de la guerre et de la politique auraient pu, si la raison avait prévalu et mis au second rang les "ambitions malsaines" de pouvoir, donner un visage "diffèrent" de l'Algérie au lendemain de l'indépendance.
Lors du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 54, ses principaux dirigeants notamment les neuf historiques n'avaient pas l'opportunité de bien coordonner leurs actions. Toutefois, cette situation avait été réglée avec la tenue du Congrès de la Soummam le 20 août 1956 qui avait abouti à la mise en place d'une direction collégiale, le Comité de coordination et d'exécution (CCE).
Mais le CCE avait fini par "atteindre ses limites" et n'avait pas tous les moyens de bien coordonner la lutte efficacement, d'où la nécessité d'aller vers une direction "plus représentative et élargie", à savoir le GPRA.
C'est Aït Ahmed (alors en prison avec ses autres compagnons) qui avait suggéré la création d'un gouvernement provisoire à même d'être plus représentatif et plus crédible sur la scène internationale.
Créé en pleine guerre de libération nationale, le GPRA s’est imposé, en un temps très court, non seulement comme la voix de l’Algérie en lutte, mais aussi comme le vecteur de l'internationalisation et la mobilisation autour de la cause algérienne contre le colonialisme français.
La création du GPRA est intervenue en application des décisions du CNRA, lors de sa réunion au Caire du 20 au 27 août 1957, au cours de laquelle il a été décidé de sa proclamation officielle le 19 septembre 1958. La constitution du GPRA était ainsi la concrétisation par le CCE des résolutions adoptées par le CNRA.
C'est ainsi que le GPRA s'est imposé comme représentant légitime du peuple algérien lors des négociations d'Evian, sanctionnées par la signature du cessez-le-feu le 19 mars 1962 qui a abouti par la suite à l'indépendance de l’Algérie, le 5 juillet de la même année.
«C’est par la vérité qu’on apprend à connaître les hommes et non par les hommes qu’on connaît la vérité.» (Emir Abdelkader. Rappel à l’intelligent)
Il y a quelque temps, un groupe de «touristes», il faut dire d'un genre assez particulier, était entré en contact avec moi, après un périple dans notre pays. Je dis d'un genre assez particulier car ils étaient tous ce que les historiens de «l'autre côté» appellent «des anciens d'Algérie». Plus prosaïquement, des anciens appelés et rappelés de la dernière guerre coloniale de la France. «La sale guerre» ! Celle qui a été faite contre notre peuple, contre sa liberté, contre le bon sens. Contre l'Histoire. Enfin, qu'est-ce qu'une guerre coloniale sinon une guerre a rebrousse-poil de la Raison? Tous ces touristes qui visitaient leur propre histoire étaient venus avec leurs enfants et certains leurs petits-enfants. Trois générations ! C'est ainsi que j'ai fait connaissance des personnages qui m'avaient dans leur mire et qui étaient ma cible quelques cheveux sur la tête, quelques tonsures en moins bien des années après. Non, ils n'étaient pas venus avec des corbeilles de regrets et des couffins de repentance. Mais comme des anciens soldats avec chacun sa propre conscience et ce qu'elle trimballe secrètement. Ils ont marché de leurs pas incertains de vieillards, là où ils avaient jadis crapahuté. Dans aucune des régions qu'ils avaient traversées, ils n'avaient rencontré de haine, ni essuyé d'affront. Nul n'a craché à leur passage ! Ils ont suscité la curiosité et au pire l'indifférence. Ils me l'ont dit avec de l'étonnement plein les mots. Sans doute auront-ils saisi ce qu'ils auraient dû comprendre au temps du grand tourment : que le seul ennemi du peuple algérien était le colonialisme. Le seul colonialisme. C'est ainsi qu'il vint à l'esprit de Claude Herbiet, écrivain et lui-même ancien appelé, de me solliciter pour écrire la postface de son livre qu'il a intitulé «Ni Héros ni salauds». Claude Herbiet est connu des cinéphiles algériens qui ont vu le film de son fils Laurent Herbiet, Mon Colonel, dont les extérieurs ont été tournés à Sétif et El-Eulma, Alger et Constantine. Voici donc ma réponse à ses questionnements. Dès qu’il ouvre les yeux sur l’existence, le colonisé ne voit pas l’image de sa mère tant elle est obscurcie par l’ombre spectrale de la terrible condition du monde dans lequel il vient d’exhaler son premier souffle de vie. Poussière de misère, la peur sera sa compagne, la faim sa locataire, l’offense son quotidien. Peu de mots sont suffisamment tragiques pour être susceptibles de traduire l’immense détresse du non-citoyen dans sa propre patrie, arbre sans racines sur son propre sol, oued sans sa source et son lit. Eclat de rien dans le néant. Le colonialisme n’est pas injuste, il est l’Injustice. Il n’existe que par l’iniquité. Et lorsqu’on le vêt de la morale et du droit, il prend la forme horrible que nous lui avons connue en Algérie et que nous avons combattue. Que l’on ne se méprenne pas, ceux qui, par un brumeux matin du 14 juin 1830, ont débarqué sur les plages de Sidi-Fredj, ne venaient pas annoncer le début d’une semaine culturelle, mais commencer d’interminables représentations d’une guerre médiévale. Ils ne venaient pas donner une œuvre de Molière, ils n’étaient pas là pour nous lire des fragments des Méditations poétiques de Monsieur de Lamartine ou construire un lycée français à Alger. Sabre au clair, baïonnette au canon, les gibernes bourrées de cartouches, la barbe en bataille, ils étaient 37 000 facteurs pour porter ce fameux message civilisateur d’une France, encore irrésolue dans son choix, entre la République et la monarchie. Savaient-ils seulement que ce pays qu’ils prétendaient civiliser comptait autant, sinon plus, d’écoles qu’ils n’en avaient laissé en France ? Pour ceux qui ne connaissent pas la suite, ils peuvent, à loisir, le faire dans les mémoires rivalisant d’horreurs des cruels généraux et autres traînards de sabres qui ont peuplé ce sinistre siècle. Ni la haine ni la rancœur ne sont le levain de la colère. Les humiliés et offensés ne se soulèvent pas pour des raisons morales, ou parce qu’ils éprouvent à un moment ou à un autre de leur drame des sentiments littéraires. Nous aussi, nous rêvions de liberté. Pourtant, ce mot le plus doux d’entre tous était bien gravé sur le fronton des mairies. Mais il ne s’adressait pas à nous. Nous, nous ne connaissions que celui qui s’écrit par la pointe de l’épée, lorsqu’elle lacère notre chair. Celui qui s’inscrit sur les murs froids des prisons, celui qu’on rumine sur les chemins de l’exil. Celui qu’on lâche comme une ultime prière en regardant la mort. Enfant, lorsque je chapardais de l’argent à mon frère pour aller au cinéma, j’allais voir des films égyptiens, on disait à l’époque des «films arabes». Nous voyons dans un émerveillement sans égal l’éblouissante Nadia Lotfi, ou autre Samia Gamal descendre un escalier impérial se dirigeant vers Farid El Atrach, chanteur à la voix de velours, avant qu’ils n’embarquent ensemble dans une limousine américaine et qu’ils ne s’embrassent langoureusement, tout comme les acteurs hollywoodiens ou ceux des films de Grémillon. Les Arabes pouvaient donc être et faire comme les Américains ou les Français ? Pourquoi pas nous ? Et me voilà rêvant et nous voilà songeant au jour où, nous aussi, nous attendrions au bas de l’escalier cette star au déhanchement étourdissant. C’était aussi cela la liberté. Non la liberté de le faire, mais la liberté de l’être. D’être comme les autres. Du loin, de là-bas, des rizières d’Indochine, nous parvenait le fracas des armes. Les Vietnamiens, conduits par Oncle Ho, défiaient la puissance coloniale. Ici, en Algérie, des leaders politiques aux noms de légende, porteurs de l’espérance collective, entraient et sortaient de prison comme on va et on quitte son travail, canalisant la colère et entretenant une flamme patriotique. Le peuple français n’était pas notre problème. L’Algérie a de tout temps été une terre d’asile et d’accueil. Le colonialisme était notre ennemi. Il nous fallait le réduire. Quand nous avions appris que nos voisins au Maroc et en Tunisie avaient emboîté le pas aux Indochinois, nous nous étions dit : «Et nous alors, c’est pour quand ?» Lorsque le baroud a tonné dans nos villes et nos montagnes, tous les jeunes Algériens ont poussé le même cri d’espoir et de soulagement. Enfin ! Il n’en fallait pas plus. Pas plus que l’étincelle qui luisait dans nos yeux, pour porter sur la terre et le ciel qui couvait dans nos cœurs. Nous avions dans nos gènes notre motivation, nous qui avions été nourris au lait amer du sein de l’injustice. Il ne faut pas se leurrer. C’est tout un peuple qui a embrassé la Révolution. Et sans lui, nous n’aurions pas connu ce jour. Plus haut est le défi, plus grande est l’audace. Mais il ne faut pas tricher, et pour ne pas verser dans l’extase et le néoréalisme soviétique, encore en vogue à cette époque du début de la guerre d’Algérie, nous nous disions au fond de notre âme, secrètement, sans se regarder : «Pourvu que le feu vive. Pourvu que le feu tienne. Qu’il résiste, au moins une année.» En mars 1955, comme on se rend à un rendez-vous qu’on a retenu de longue date, je ne voulais pas rater celui que j’avais fixé avec moi-même pour ce jour-là ! Citadin, ignorant tout de la vie du djebel, je découvrais qui est resté en moi comme un organe de plus dans mon corps. Là, sous la conduite de chefs simples et valeureux et aux côtés de vaillants compagnons, j’ai connu l’ineffable chance de participer au travail politico militaire de pénétrations des déchras. De la mobilisation des populations rurales et de conquêtes de confiance populaire. Il fallait être aveugle, sourd, ou feindre d’être les deux à la fois pour ne pas voir cette symbiose. Prétendre le contraire, c’est ignorer tout de l’histoire profonde de ce pays, des valeurs essentielles du peuple algérien. Le système colonial, dans la sinistre utilisation de l’ignorance des jeunes recrues venues de leur Ardèche natale ou du fond du Limousin, arrachées par l’obligation du service militaire au quartier parisien ou aux corons du Nord, a joué à fond la carte des rebelles arabocommunistes, pour faire croire que la guerre dans laquelle ils ont été précipités était celle de la civilisation contre la barbarie. Et comble de tout, ils utiliseront quelques populations affidées pour soutenir que les Algériens sont contre leur propre indépendance ! Quelle ineptie ! Existe-t-il sur cette terre quelqu’un qui prétendrait que les chaînes de l’esclavage valent plus que la liberté ? Comme on apprend le goût des choses, on s’habitue au goût du sang. C’est une guerre sans merci qui s’engagera entre les jeunesses des deux rives, avec ceci de particulier est qu’elle ne se déroule pas dans le Languedoc, la Picardie ou le Jura. Que les B26 déversaient leurs charges de napalm sur les contreforts du Djurdjura, que les chars labouraient de leurs chenilles d’acier les villages de Bouzegza et de Zbar-bar, que même les jeunes appelés brûlaient le diss des gourbis des monts de la Daïa avant que ne le fassent les G’Is, virtuoses du Zippo, à Song My au Vietnam. Pour notre part, nous ne pouvions pas cesser notre combat, sans que nous ayons atteint l’objectif pour lequel nous l’avions engagé. Notre but était simple : l’indépendance de l'Algérie. Ce que nous ne saisissons pas en revanche, c’était ce que poursuivaient les dirigeants français. Ils savaient leur entêtement à contre-courant de l’histoire. Mais alors pourquoi tant d’acharnement ? Pourtant ce peuple de France voyait d’un œil inquiet ses enfants embarquer dans des navires gris pour un voyage incertain au bout duquel se déroulait un combat douteux. Avec moins de publicité que dans les départs tonitruants de cor et de trompette, en métropole on débarquait le soir entre chien et loup sur les quais des ports et le tarmac des aérodromes militaires des bières de zinc numérotées. Les mères, les sœurs, les épouses, les fiancés de France ont tenté en 1955, 1956, 1957, en vain, d’empêcher qu’on envoie dans cette aventure coloniale leurs enfants, frères et époux. Mais les larmes de toutes les «femmes courage» du monde ne peuvent pas couvrir le son du canon qui tonne, même si c’est à des milliers de lieues. C’est à croire que c’est le canon qui a inventé les larmes des femmes. Beaucoup d’amis de notre peuple ont refusé la déraison des politiques. Ils étaient objecteurs de conscience, porteurs de valises, membres du réseau Francis Janson, journalistes, intellectuels et artistes signataires du Manifeste des 121, et quelques déserteurs, à chanter avec Mouloudji le poème de Boris Vian : «Monsieur le Président, je vous fais une lettre…»Commandant Azzedine A tous ces amis de France auxquels j’ai posé la question de savoir la portée profonde de leur geste, au risque, eux qui, souvent, étaient des résistants contre le nazisme et l’occupation de leur pays, d’être qualifiés de traîtres à leur patrie, ils ont invariablement répondu que ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait pour la France et pour son honneur même si, incidemment, le combat des Algériens en a bénéficié d’une façon ou d’une autre. Face à eux, les politiques de la IVe République finissante tout comme ceux de la Ve naissante se sont ligués pour confier à l’armée les pouvoirs spéciaux. Plus les hommes s’aguerrissaient, plus la guerre se durcissait. Une guerre totale désignée par un étrange euphémisme qui ne disparaîtra que plus de 40 ans après sa fin : «Les opérations de maintien de l’ordre.» Quelle tartufferie ! A la question d’un journaliste qui lui demandait : «Quelle est votre stratégie ?» M’hammed Yazid, ancien ministre de l’Information du Gouvernement provisoire de la Révolution algérienne (GPRA), a répondu : «Elle consiste en un moussebel – supplétif de l’ALN — armé d’un fusil de chasse, avec dans sa poche pour tout viatique un petit bout de galette et un oignon. Il est emmitouflé dans sa kachabia ou son burnous, embusqué derrière un rocher. Il voit arriver un convoi militaire avec tout ce qu’il compte de véhicules de guerre, allant du half-track au char en passant par les véhicules blindés de transport de troupes. Il ajuste son fusil de chasse et de deux coups de feu, chatouille la carrosserie d’acier blindé du char. Voilà que tout le convoi s’immobilise, déverse sur le moussebel qui a déjà disparu un déluge de feu. Voici l’aviation qui intervient et tranquillement notre maquisard se replie à travers les talwegs. Parvenu au PC, il confie à ses supérieurs qu’il a fait une embuscade à un convoi militaire.» Combien cela a-t-il coûté à l’ALN ? Combien cela a-t-il coûté à la France ? A l’inverse de l’armée ennemie, laquelle traîne derrière elle ses cantines et ses arsenaux, notre logistique se réduisait à l’essentiel, elle se trouvait partout à travers le pays. Ce n’était pas le luxe, je le concède, mais l’essentiel y était. Nous mangions ce que mangeait le fellah qui nous a nourris aux premiers temps de l’insurrection puis que nous avons pris en charge une fois ses vivres se sont raréfiés, faute de renouvellement. Nous n’avions pas évidemment de véhicules, le champ de bataille ne s’y prêtait pas. Nous marchions de jour comme de nuit. Notre mobilité était un atout stratégique. Durant les premiers mois, ces déplacements fréquents et soutenus étaient destinés à rallier le plus de mechtas et de déchras pour mobiliser et organiser les populations. Par la suite, elle nous permettait après chaque action de sortir d’un encerclement de l’adversaire qui utilisait tous les moyens rapides qu’il avait à profusion à sa disposition, particulièrement l’aviation, pour nous inscrire dans un cercle calculé avec pour données la vitesse moyenne d’un homme de troupe, l’heure à laquelle nous avions organisé l’embuscade par exemple. Nous faussions tous ces calculs par des marches soutenues. Ainsi, aussitôt l’engagement terminé, nous nous lancions à toute vitesse à travers oueds et reliefs. Aucun instant de répit n’était autorisé. Arrivés dans une déchra, nous nous contentions d’un morceau de galette et d’un café, avant de reprendre notre marathon engagé l’après-midi qui pouvait durer jusqu’au lendemain. Une fois sortis du cercle infernal, il nous arrivait souvent de regarder de loin l’aviation et l’artillerie de l’armée déclencher l’enfer sur la terre. Peu nombreux, peu d’armes, notre objectif était inversement proportionnel à nos moyens militaires. C’est pour cela qu’il était interdit de mourir. Nous nous répétions souvent cet adage transformé par un compagnon de combat qui s’appelait Abderrahmane Laala : «Rien ne sert de mourir, il faut vaincre et courir.» C’est ainsi que le fusil de chasse a posé le problème de l’indépendance nationale et qu’il a provoqué, par son obstination, les négociations à Evian. De toutes les façons, l’appel lancé par les dirigeants de la Révolution le 1er novembre 1954 n’excluait aucun moyen pour atteindre le but qu’elle s’était promis. Je m’étonne souvent que l’on me pose la question relative à «la parole que j’ai donnée» au général Massu. A ma connaissance et depuis la nuit des temps, le premier devoir d’un prisonnier est de s’évader. Un droit reconnu, du reste, par la convention de Genève. J’ai été arrêté deux fois. La première le 14 juillet 1956. Je me suis évadé en octobre de la même année de la prison de Tablat, avec 13 personnes que j’ai emmenées avec moi. Une évasion qui, sans exagérer, était spectaculaire. Elle s’est soldée par la mort d’un gardien et la récupération de trois armes de guerre. Paradoxalement, personne n’en souffle mot. En revanche, lorsque Massu a voulu me retourner contre les miens, ce sujet est devenu d’un navrant ridicule. Quoi ? J’ai donné à Massu «ma parole» que j’allais revenir ? Et puis quoi encore ! Massu était le chef de l’armée d’occupation. Il était de ce fait mon ennemi. Ce n’était pas un copain. Je n’ai pas fait avec lui une partie de poker que j’ai perdue et auquel je dois reconnaître une dette de jeu ! Que voulait Massu ? Il voulait que je trahisse la cause pour laquelle je me suis engagé à 20 ans ! Que je trahisse les miens, alors que mon devoir de patriote me commande de reprendre le combat de mes compagnons. Massu voulait que je devienne un salaud, un traître à mon pays. Un renégat, un félon. Parce que je lui ai donné ma parole. Pour la petite histoire, en1975, à la parution de mon premier livre On nous appelait fellagas, un exemplaire de l’ouvrage avec, en page de garde cette dédicace :
«Au général Massu»
Que pouvez faire la victime entre les mains de son bourreau ? Faillir à votre sens de l’honneur ou répondre à l’appel de la lutte révolutionnaire, à l’appel du peuple ? Aujourd’hui, j’en suis sûr, vous avez la réponse. Ce livre, du moins, vous en donnera les clefs. Si vous le désirez, je vous expliquerai de vive voix ma décision. Un combattant de la liberté
Il me répondit :
«Je vous remercie de m’avoir adressé votre livre. «Le passé est mort» : il faut donc l’expliquer simplement. Votre «nègre» a tendance à le dramatiser, c’est dommage. Vous avez bien baroudé contre nous et par tous les moyens. Chapeau ! Mais vous étiez militairement battus et vous devez votre indépendance au général de Gaulle. Qu’elle vous soit profitable ! Soyez heureux et secouez la rancune, je n’en ai aucune à votre égard.» Signé Massu
En fait il voulait m’utiliser dans le cadre de la politique des contacts locaux préconisée par de Gaulle. C’était pour couper la résistance algérienne en deux. Ceux de l’intérieure contre ceux de l’extérieur. C’était un piège grossier. J’ai fait semblant de marcher dans sa combine et je suis retourné au maquis pour leur dire ce que la France veut en réalité. Avec l’échec de mon retournement, c’est toute la politique mise en branle par le général de Gaulle qui a été mise à terre. Je considère cette affaire comme une de mes plus grandes victoires sur le plan politique. Quant au salut amical que vous me proposez ici, il est vrai je le lance à travers mon témoignage à tous les amis de l’Algérie, tous ceux qui, par leurs actes, y compris les plus infimes, ont contribué à rendre à ce peuple et à son pays ce que l’humanité a de toujours placé au-dessus de la vie : LA LIBERTÉ. Nous en avons été privés, nous en connaissons aujourd’hui le prix : 8 000 villages rasés. 2 250 000 personnes dans des camps de regroupement. Toute l’Algérie était devenue zone interdite. Un million d’hectares de forêts réduit en cendres. La ligne Morice et la ligne Challe pour enfermer les Algériens dans un immense ghetto. Il y avait en Algérie en permanence au minimum 600 000 appelés et rappelés appuyés par 300 000 supplétifs harkis et goumiers, sans compter la milice européenne. J’ai 13 blessures dans mon corps, un frère aîné enlevé à Alger par les services français et dont on ne sait même pas, jusqu’à ce jour, où ils l’on fait disparaître. Et ces centaines et centaines de milliers de morts… Nous ne nous battions pas pour coloniser la Corse ou l’Aquitaine. Nous nous battions pour être libres. Des femmes et des hommes libres sur une terre libre où tous nos amis peuvent, aujourd’hui, librement, nous rendre visite.
Ci-dessus les bourreaux de la République dans la France coloniale
ILS ÉTAIENT DEUX CENT VINGT-DEUX DÉCAPITÉS PAR LA GUILLOTINE
Dans leur opération de répression de la lutte pour l’indépendance, les autorités coloniales usèrent d’une arme sauvage : la guillotine.
Une machine de guerre infernale. De 1956 à 1958, il y a eu 16 exécutions doubles, 15 multiples, 8 quadruples, une quintuple. Pour la seule année 1957, 82 condamnés à mort ont été exécutés : 41 à Alger, 7 à Oran et 34 à Constantine.
Premier à monter sur l’échafaud : Ahmed Zabana
Ahmed Zabana a été décapité par la guillotine le 19 juin 1956, à 4 heures du matin, dans la cour de la prison de Serkadji.
Le Conseil supérieur français de la magistrature avait scellé son sort lors de sa réunion du 5 juin 1956. Il avait suivi la directive du chef du gouvernement, Guy Mollet – « la sanction doit immédiatement suivre l’arrêt » – donnée en Conseil des ministres quatre mois auparavant, le 15 février.
De son côté, le Secrétaire d’Etat à la guerre, Max Lejeune, socialiste de la SFIO, partisan convaincu de l’Algérie française, appuyait l’appel des Français d’Algérie : « Les sentences doivent être exécutées ». A la date du 15 février 1956, 253 condamnations à mort avaient été prononcées dont 163 par contumace. 90 détenus se trouvaient donc dans les couloirs de la mort des prisons.
La condamnation à mort le 30 mai 1956 d’Ahmed Zabana figurait parmi les 55 sentences confirmées par la Cour de Cassation.
Le 19 juin 1956, le bourreau en titre s’appelait André Berger, « Monsieur Alger » ; Maurice Meissonnier, aidé de son fils Fernand, était son adjoint.
UN BOURREAU FRANÇAIS – Attention, les propos tenus dans cette vidéo peuvent choquer. Au lendemain de la date anniversaire de l’abolition de la peine de mort, nous avons choisi de vous montrer ce témoignage rare, celui d’un des derniers bourreaux à avoir exercé. Pour lui, la peine de mort, ce n’est pas qu’un débat de société. La peine de mort, il l’a sentie. Ressentie même, entre ses mains, alors qu’il tenait la tête de condamnés au moment où la lame réalisait son funeste objet. Fernand Meyssonnier a exécuté 200 personnes dont des femmes et au moins un innocent. Il le sait, et pourtant, vous allez l’entendre, il n’a aucun problème de conscience. Fascinant. Poignant. Et terrible.
Le 11 décembre 2012 anniversaire des manifestations contre l'horreur coloniale du 11 au 18 décembre 1961 est une triste occasion pour parler des bourreaux français Fernand Meyssonnier et son père Maurice Meyssonnier ont guillotiné 222 militants du FLN avant sa retraite tranquille dans le Vaucluse, même des français qui soutenait l'indépendance de l'Algérie tel Fernand Yveton, militant communiste, ont été guillotinés. Après avoir refusé l'entrevue avec un prêtre, Yveton avait été conduit à l'échafaud guillotiné à l'aube du 11 février 1957, à Alger et est mort courageusement pour défier la lâcheté de la colonisation française. il s'appelait Fernand comme son bourreau !!!
Ces sinistres bourreaux ont battu le record de Sanson le bourreau de Louis XVI. Fernand Meyssonnier est devenu par la suite un disciple de Jean-Marie Le Pen, président du Front national et connu pour la torture durant la guerre d'Algérie. Le père Meyssonnier était le roi de la farce. Il se moquait des Juifs et des Arabes. La bonté divine a fait que le Maurice soit emporté en enfer par un cancer de la gorge, en 1963, à Nice et son rejeton par un cancer du foie.
Meyssonnier, bourreau à Alger
De 1947 à 1961, il a participé à l'exécution de quelque 200 personnes
Fernand Meyssonnier, qui a décapité 200 condamnés, ne supporte pas qu'on l'appelle «bourreau», mot vil à ses yeux et impropre à ses hautes fonctions : «J'étais exécuteur des sentences criminelles», dit-il avec fierté dans son livre (1). Issu d'une lignée de guillotineurs d'Alger son parrain et son père le furent , ce pied-noir de 75 ans a érigé sous sa maison à Fontaine-de-Vaucluse ses «bois de justice» avec le couperet tranchant. Cet engin de mort était le clou de son musée de la Justice et des Châtiments, qu'il avait fondé en 1992 et fermé en 1998, avec hache et corde d'exécution, entraves de bagnards, instruments de torture et tête coupée dans du formol. Il l'avait monté soi-disant au nom de l'Histoire. Il regrette, sous le même prétexte, de ne pas avoir filmé les exécutions en Algérie. Sollicité par Libération, Fernand Meyssonnier a fini par refuser l'interview, son entourage redoutant que notre journal «opposé à la peine de mort» le traite de «boucher».
Curé ou danseur. Aide bénévole de son père à partir de 1947, Fernand Meyssonnier ne devient son premier adjoint que dix ans plus tard. Car les places dans l'équipe du bourreau sont très prisées en raison des avantages sociaux qu'elles confèrent en ces temps d'Algérie française. Payés par l'Etat un salaire d'ouvrier, les exécuteurs tiennent tous un restaurant ou un bistrot à Alger. La table du café Laperlier des Meyssonnier reçoit tout ce qu'Alger compte de coloniaux, de députés et de commissaires. A 14 ans, le fils avait abandonné ses rêves d'enfant de choeur : devenir curé ou danseur d'opéra. Apprenti mécano aux ateliers de la Poste, il avait fabriqué une maquette de guillotine (modèle Berger 1868) pour l'anniversaire de son père. C'est à l'âge de 16 ans qu'il assiste, «impressionné», à sa première exécution. A Batna, dans le Constantinois, un «indigène qui avait assassiné un gardien de prison» bascule en priant «Allah Akbar» : «Au milieu d'un Allah Ak..., dans un bruit sourd, la lame tchak... lui coupe la parole. deux jets de sang pfffiou... giclent à trois ou quatre mètres. Ahhh... j'étais tellement oppressé, un petit cri comme ça ahhh... quand même ça m'a impressionné [...]. D'un coup, il n'a plus de tête, il vit plus.» (1)
Avec l'habitude, Fernand Meyssonnier se blinde et se concentre sur la technique. Coopté dans l'équipe de cinq, il remplit les fonctions de «photographe», celui qui «voit arriver la tête du condamné à travers l'oeil de la lunette» et le cramponne derrière les oreilles : «Tenir une tête qui vous reste entre les mains après la chute de la lame, c'est quelque chose de très impressionnant qu'on ne peut pas vraiment expliquer», écrit-il. Après, il la jette dans la «corbeille». Une photo du livre légendée «repas froid à trois heures du matin» le montre avec l'équipe en déplacement en train de prendre le casse-croûte sur la corbeille à cadavres décapités. Il y avait des rituels pour les bourreaux comme le coup de rhum, la chemise blanche et la cravate noire avant d'officier, «rapide», mais «sans haine». Après, lui se lavait. Pas à cause du sang et de la mort, mais «c'est le fait de toucher un homme malhonnête, moralement pourri». Il était tellement persuadé qu'ils étaient «tous d'affreux criminels» qu'il n'a jamais cauchemardé. «Après l'exécution, on rentrait chez nous comme un entrepreneur après son travail ou un chirurgien qui vient de faire une opération, ni plus ni moins.»
«A la chaîne». Il y avait des «coutumes» pour les condamnés à mort. Les «parricides», comme Mohamed Hamasi à Blida en 1947, étaient amenés devant la guillotine «avec un bandeau noir sur les yeux et un drap blanc sur les épaules». En cas d'exécution multiple, «le plus coupable» passait en dernier, comme le chef de bande des poseurs de bombes des stades d'El-Biar et d'Hussein-Dey en 1956 (17 morts) qui avait revendiqué le «carnage». Pendant les «événements» en Algérie, les exécuteurs ont été réquisitionnés pour tuer les indépendantistes du FLN, mais ont rechigné, car «normalement, les politiques auraient dû être fusillés» par les militaires : «Nous, on ne faisait que les droits communs [...]. Même Sanson, qui a fait le roi [le bourreau de Louis XVI, ndlr] et tout, il est passé à travers la Révolution.» Mais les exécuteurs d'Alger ont obéi aux ordres et décroché une «prime de risque», ainsi qu'une «prime de tête», sans compter les frais de montage de la guillotine, qui a servi comme jamais. «Oui, pendant le FLN, c'était à la chaîne», se vante Meyssonnier, «de juin 56 à août 58, cent quarante et un terroristes» tranchés. Et, si de Gaulle n'avait pas fait la «paix des braves» et «gracié neuf cents condamnés à mort, j'aurais dépassé à coup sûr Sanson». En 1961, il a pris la tangente pour Tahiti, où il a vécu de divers boulots, comme organisateur en 1976 de balades en corbillard pour touristes américains.
(1) Paroles de bourreau, Ed. Imago, 2002. Recueilli par l'anthropologue Jean-Michel Bessette, auteur d'Il était une fois la guillotine (Alternatives) et Sociologie du crime (PUF).
François Mitterrand "Je ne suis pas favorable à la peine de mort"... et pourtant... pendant la guerre d'Algérie... "Enfin il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis"...
Le 17 septembre 1981, quand Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, défend devant les députés son texte portant sur l'abolition de la peine de mort, six hommes attendent dans les quartiers des condamnés à mort des geôles françaises. Leur destin a croisé la grande histoire. La plupart auraient été guillotinés si l'abolition n'avait pas été votée, si la France n'avait pas définitivement tournée la page la plus sanglante de sa justice.
30 ans après l'abolition de la peine de mort, il inscrit son propos entre l'élection de Robet Badinter à l'Assemblée Nationale, une plaidoirie qui résonne encore tant elle a marqué les esprits : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, des exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain les pages sanglantes de notre justice seront tournées. ».
Entre le 10 mais 1981, jour de l'élection de François Mitterrand, et ce jour d'automne 1981, le débat sur la fin de la peine de mort rythme le calendrier de l'histoire politique; judiciaire et humaine du pays. Le documentaire se propose de revenir sur la grande histoire, en s'attachant à montrer comment une sorte de course s'était installée entre ceux qui veulent supprimer du code pénal la condamnation à mort et ceux, encore nombreux dans les tribunaux, qui continuent à envoyer les hommes sur l'échafaud.
Entre pouvoir abolitionniste et opinion publique majoritaire pour "le maintien du châtiment suprême", ce film raconte ce que fut le destin des derniers morts-vivants de la république, coincés qu'ils étaient entre la grande histoire politique et celle de leur vie condamnés à avoir la tête tranchée. La loi sur l'abolition de la peine de mort restera à jamais comme une des plus importantes votées sous la Vème République, probablement la seule qui aurait été rejetée par le peuple français s'il avait été consulté.
« Les rescapés de la guillotine » donne surtout la parole en exclusivité aux principaux concernés par cette décision, à commencer par un condamné à mort de l’époque. René, 27 ans au temps de l’abolition, est l’un des six rescapés condamnés à avoir la tête tranchée. Après avoir purgé sa peine, il est aujourd’hui libre et accepte pour la première fois de raconter son histoire.
Parmi les autres intervenants, on compte Fernand Meyssonnier, ancien « exécuteur en chef des arrêts criminels », autrement dit bourreau, qui explique le fonctionnement de cette machine sous laquelle sont tombées plus de 200 têtes, et témoigne de la monstruosité et de la violence du supplice.
Fervent défenseur de l’abolition depuis les années 1970, Robert Badinter raconte comment, après la condamnation à mort de l’un de ses clients simple complice d’un crime, il s’est engagé à combattre avec ferveur cette justice qui tue. Près de dix ans d’un dur labeur à plaider cette cause devant les tribunaux, avec de simples mots comme unique arme pour sauver la peau de ceux qu’il défend.
De nombreux autres témoignages permettent de mieux appréhender ce pan décisif de l’Histoire politique, sociale et judiciaire de la Vème République.
Le comédien Charles Berling, prête sa voix à ce documentaire, une incarnation légitime pour celui qui à déjà interprété Robert Badinter pour l’adaptation télévisée des ouvrages de l’ancien garde des Sceaux, « L’Abolition » et « L’Exécution ».
A VOTRE ATTENTION :
Ce documentaire a été diffusé en 2011
Robert Badinter est né
le 30 mars 1928 à Paris
Il restera l'homme qui a fait
abolir en France
la peine de mort
Avocat, homme politique, ex ministre de la Justice
Dans l'hémicycle, l'atmosphère est solennelle. Ils sont venus nombreux, pour le soutenir ou le huer. Robert Badinter garde des Sceaux, monte à la tribune, son texte tant de fois réécrit à la main. La France a les yeux rivés sur le petit écran de télévision. L'émotion est à son comble. Lorsqu'il prend la parole, c'est un discours mémorable, une plaidoirie, la dernière de ce combat acharné qui fut celui de sa vie. "J'ai l'honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale d'abolir la peine de mort en France". Nous sommes le 30 septembre 1981, l'abolition de la peine de mort est votée.
Une belle victoire qui vient conclure un douloureux engagement. Lui qui a subi sans faillir à sa cause, des années durant, les insultes à la sortie du Palais de Justice, les magistrats qui se détournaient, les menaces de mort, les lettres par centaines qui le conspuaient. S'il est difficile de l'imaginer aujourd'hui, le monde se partageait alors entre ceux qui voyaient en la peine de mort un juste châtiment, et les autres, un acte barbare.
A l'origine, une blessure profonde qui l'a longtemps taraudé. Le 24 novembre 1972, à l'aube, à la prison de la Santé à Paris, on guillotine deux hommes : Claude Buffet et Roger Bontems. Robert Badinter est l'avocat de Bontems contre qui la cour n'avait retenu que la complicité, reconnaissant qu'il "n'avait pas donné la mort" à une infirmière et d'un gardien de la centrale de Clairvaux. Une injustice qu'il n'oubliera jamais : guillotiner quelqu'un qui n'avait jamais tué personne.
"... après le verdict, lorsque l'accusé avait sauvé sa tête, il fallait s'en aller bien souvent par un escalier dérobé pour éviter la colère de la foule"
Ce tragique évènement marque le début de son combat contre la peine de mort. En 1977, il accepte de défendrePatrick Henry, kidnappeur et meurtrier d'un petit garçon de sept ans en 1976. Contre toute attente, la cour d'assise de l'Aube condamne ce dernier à la réclusion criminelle à perpétuité. La plaidoirie de Robert Badinter avait réussi à retourner les jurés de Troyes. Il avait fait témoigner des experts chargés d'expliquer le fonctionnement de la guillotine. "Choisirez-vous de couper un homme en deux ?" leur demande-t-il enfin. Les jurés répondront par la négative. C'est sa première grande victoire contre la "veuve noire".
Dans L'Abolition (Fayard), le livre qui retrace son parcours, il écrit : "De ces moments, à Troyes, dans la salle de la cour d'assises où je plaidais pour Patrick Henry, demeure vivante en moi cette impression singulière que je ne défendais pas seulement la vie de Patrick Henry, mais à nouveau celle de Bontems. Tout ce que je n'avais pas su dire pour lui jaillissait à présent pour cet autre assis derrière moi. 'Le mort saisit le vif' dit un vieux brocard juridique. Ce jour-là, dans ce box derrière moi, l'un était devenu l'autre".
A la fin des années 70, il enchaîne six procès consécutifs et sauve la tête de nombreux condamnés qui devaient être rejugés. La Cour de cassation cassait les arrêts. Il symbolise désormais le combat contre la peine capitale. "On entrait au palais de justice par la grande porte, et après le verdict, lorsque l'accusé avait sauvé sa tête, il fallait s'en aller bien souvent par un escalier dérobé pour éviter la colère de la foule", se souvient-il dans un entretien en 2001 avec l'AFP.
L'homme est tout entier dévoué à sa cause. Il est comme habité. On vient écouter ses plaidoiries qu'il n'écrit pas. "L'écriture c'est la mort de l'éloquence en justice", confie-t-il en 2006 au Journal du Dimanche. "C'est après le procès Buffet-Bontems et leur exécution que j'ai vraiment compris ce que la peine de mort signifiait... Injustifiable. Inacceptable. S'y ajoutait autre chose qui était en moi latent... Un rapport à la mort. C'est ce qui a fait que l'homme introverti que je suis devenait dans ces occasions-là, pour ces plaidoiries où il s'agissait d'arracher un homme à la mort, quelqu'un « d'autre». Ce n'était pas le métier d'avocat."
"Dès que je plaide, je sens mon père là, debout à côté de moi"
Non, il y avait certainement une affaire personnelle, un rapport particulier à la mort, peut-être le souvenir de son père arrêté par la Gestapo sous ses yeux, à Lyon en 1943, qui ne reviendra jamais du camp de Sobibor où il fut interné. L'avocat confiera au JDD en 2006 : "Dès que je plaide, je sens mon père là, debout à côté de moi".
Robert Badinter est né à Paris le 30 mars 1928. Ses parents étaient juifs immigrés venus de Bessarabie, naturalisés français. Il grandit dans un milieu modeste. Après la guerre, il commence des études de Lettres et de Droit, décroche la licence dans les deux disciplines. Boursier, il part ensuite étudier aux Etats-Unis et obtient en 1949 le diplôme de Master of Arts à l'université de Columbia.
Revenu en France, il s'inscrit au Barreau de Paris en 1951 et commence sa carrière d'avocat comme collaborateur d'Henry Torrès. Il obtient son doctorat en droit en 1952 et l'agrégation en 1965. Il est nommé Professeur des Facultés de Droit en 1966. Parallèlement à sa carrière universitaire, il fonde en 1965 avec Jean-Denis Bredin un cabinet d'avocats. Il participe à la défense du Baron Edouard-Jean Empain après l'enlèvement de celui-ci, est l'avocat de grands cinéastes comme Charlie Chaplin, exerce aussi bien comme avocat d'affaires (Boussac, talc Morhange, l'Agha Khan etc.) que de droit commun. Son dernier procès avant de devenir ministre de la Justice est celui contre le négationniste Robert Faurisson, qu'il fait condamner en 1981, et cela avant la loi Gayssot de 1990.
Ami fidèle de François Mitterrand, il entreprend de convertir ses victoires judiciaires en réforme politique. L'abolition fait partie du programme de la gauche aux élections. François Mitterrand est élu président de la République et nomme Robert Badinter ministre de la Justice (du 23 juin 1981 au 18 février 1986). La marche politique vers l'abolition débute, avec le point d'orgue que l'on sait, un bel après midi de septembre dans une Assemblée nationale pleine à craquer :"Lorsque j'ai pris la parole à la tribune de l'Assemblée, j'ai eu un moment d'émotion très intense. Je n'aurais jamais pensé, lorsque j'allais plaider dans ces cours d'assises, que ce serait un jour moi qui, devant le Parlement, prononcerais ces paroles magiques." (dans L'Abolition).
A la Chancellerie, il a présenté et défendu les textes de lois devant le Parlement, en faveur de la suppression de la Cour de sûreté de l'Etat (1981) et des tribunaux militaires (1982), ainsi que des lois accordant de nouveaux droits aux victimes. Il a également présidé la commission chargée de rédiger le nouveau Code pénal, adopté en 1992, en remplacement du Code napoléonien. Il a pris de nombreuses mesures pour humaniser les prisons. Des réformes qui lui valent d'être violemment stigmatisé, tout en renforçant sa stature d'homme de conviction.
"Aucune démocratie n'a le droit de disposer de la vie d'un citoyen. Là s'arrête le pouvoir d'un Etat"
En 1996, François Mitterrand le nomme président du Conseil constitutionnel. Il réussit en neuf ans et quatre alternances politiques à l'ériger en institution incontournable de la République. Sénateur des Hauts-de-Seine depuis 1995 , il est réélu en 2004. "Une manière intellectuellement intéressante de continuer à participer au processus législatif", reconnait dans une interview au Point en 1999, cet infatigable défenseur des droits de l'homme, de la souveraineté du peuple et de la République.
Travailleur acharné, il a aussi participé aux travaux de la Convention de Bruxelles pour l'élaboration de la Constitution européenne. En novembre 2003, il a été désigné par le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan pour siéger dans le Comité de seize personnalités internationales chargé de proposer une réforme de l'ONU.
Hors normes. Robert Badinter s'est forgé avec une exigence d'airain un personnage qui force aujourd'hui le respect. Il est devenu une icône, un "mythe". La route qu'il a défrichée, à coups de convictions et de courage, pourfendant les esprits étriqués, s'il n'en a jamais dévié, c'est parce qu'il n'a jamais bradé son idéal. Son combat pour l'abolition de la peine de mort, il l'a poursuivi à l'étranger. Il y a tellement de pays encore à convaincre.
"Le jour viendra où il n'y aura plus, sur la surface de cette Terre, de condamné mis à mort au nom de la justice. Je ne verrai pas ce jour-là... Aucune démocratie n'a le droit de disposer de la vie d'un citoyen. Là s'arrête le pouvoir d'un Etat", écrit-il dans Contre la peine de mort (Fayard). L'affaire de sa vie.
17 septembre 1981
Débat parlementaire sur la peine de mort - extraits du discours de Robert Badinter : "Je demande l'abolition de la peine de mort en France... Je dis simplement en rappelant la trace de Jaurès : La peine de mort est contraire à ce que l'homme a depuis 2000 ans rêvé de plus noble, contraire à l'esprit du christianisme et de la révolution... il n'a jamais été établi de corrélation quelconque entre l'existence de la peine de mort et la courbe de criminalité... la mort et la souffrance des victimes appelle en contre partie le sacrifice expiatoire. Conviction d'une justice sûre de son infaillibilité.
http://www.micheldandelot1.com/
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Cette année 2021 marque le soixantième anniversaire du massacre parisien du 17 octobre 1961. Dans « Ici on noya les Algériens » (Le passager clandestin), l’historien Fabrice Riceputi rend hommage au combat de Jean-Luc Einaudi pour le sortir de l’oubli. Extraits du texte que j’ai écrit pour soutenir ce livre salutaire.
« Sous le pont Saint-Michel coule le sang » : chaque fois que je franchis la Seine à cet endroit de Paris, que dominent la Préfecture de police et le vieux Palais de justice, j’improvise cette rengaine, dérivée du vers qui ouvre LePont Mirabeau, le célèbre poème de Guillaume Apollinaire. Apposée sur l’un des parapets, une plaque discrète témoigne désormais de cette tragédie, moins visible que les grandes lettres noires peintes à l’époque par des militants solidaires de la cause anticolonialiste algérienne, dont une photographie anonyme garde le souvenir : « Ici on noie les Algériens ».
Aux éditions Le passager clandestin, 18 euros.
La date du 17 octobre 1961 fait partie de notre histoire, et nous devons la regarder en face. C’est à Paris qu’une manifestation pacifique de travailleurs alors français – « Français musulmans d’Algérie », selon la dénomination officielle –, venus protester avec leurs familles contre le couvre-feu raciste qui les visait, eux et eux seuls, fut sauvagement réprimée par la police de la capitale, sur ordre de son chef, le préfet Maurice Papon. Une Saint-Barthélemy coloniale dont les historiens évaluent aujourd’hui les victimes à près de 300 morts, sans compter de nombreux blessés et des milliers d’interpellés, souvent expulsés vers des camps d’internement en Algérie. […]
À travers la figure exemplaire de Jean-Luc Einaudi, ce livre de Fabrice Riceputi (Ici on noya lesAlgériens, aux éditions Le passager clandestin, 18 euros) rend hommage à celles et ceux, historien·nes et militant·es, militant·es devenus historien·nes, qui ne se sont pas tus et qui ont choisi de parler. Et de parler clair et franc. Car, dans cette longue bataille mémorielle qui se poursuit encore, il ne s’agit pas seulement d’entendre l’appel à la vérité de l’histoire mais d’être au rendez-vous, aujourd’hui même, d’un passé plein d’à présent.
Le 17 octobre 1961 est une date française aussi bien qu’algérienne. Cette manifestation est certes un des jalons de la conquête de son indépendance, si chèrement payée, par le peuple algérien : organisée par la Fédération de France du FLN, le Front de libération nationale qui menait la lutte pour l’indépendance, elle entendait consolider le rapport de force face à un pouvoir gaulliste qui, tout en engageant des pourparlers de paix, voulait affaiblir et diviser son interlocuteur indépendantiste. Mais elle est aussi un moment essentiel de notre propre histoire nationale, de ces moments dont le souvenir fonde, pour l’avenir, une mémoire éveillée, empreinte de lucidité et de fraternité.
Le 17 octobre 1961 est d’abord une manifestation légitime contre une décision administrative sans précédent depuis le régime de Vichy : un couvre-feu raciste, fondé sur des critères ethniques. Le 5 octobre 1961, le préfet de police de la Seine, Maurice Papon (dont on découvrira plus tard le rôle dans la déportation des Juifs à la préfecture de Gironde, en tant que membre de l’administration française collaborant avec les nazis), impose, au prétexte de la lutte contre les indépendantistes algériens assimilés à des « terroristes », un couvre-feu visant les « Français musulmans d’Algérie ». Ils doivent s’abstenir de circuler de 20 h 30 à 5 h 30 du matin, et les débits de boissons qu’ils tiennent ou qu’ils fréquentent doivent fermer chaque jour à 19 heures.
Le 17 octobre 1961 est ensuite une manifestation du peuple travailleur de la région parisienne, d’ouvriers et d’employés accompagnés de leurs familles, venus souvent des bidonvilles, notamment celui de Nanterre, immense, où cette main-d’œuvre industrielle était en quelque sorte parquée. Ce soir-là, c’est une partie de la classe ouvrière française, dont les cohortes ont toujours été renouvelées par l’immigration, qui défilait pacifiquement sur les boulevards de la capitale, avec cette joie d’avoir su braver l’interdit, la honte et l’humiliation. Avec surtout une grande dignité, celle de ceux qui n’ont d’autre richesse que leur travail, portée jusque dans l’habillement soigné des manifestants. D’ailleurs, le couvre-feu de Maurice Papon prévoyait une seule exception, celle des ouvriers travaillant en trois-huit, contraints d’embaucher en pleine nuit, qui devaient produire une attestation pour pouvoir circuler.
Le 17 octobre 1961 est enfin la plus terrible répression policière d’une manifestation pacifique dans l’histoire moderne de notre République. Les consignes des organisateurs étaient strictes, au point de se traduire par des fouilles préalables des manifestants : pas de violences, pas d’armes, pas même de simples canifs. La violence qui s’est abattue sur les manifestants, parfois même avant qu’ils ne se constituent en cortèges, dès leur interpellation sur la base d’un tri ethnique à la sortie du métro, fut d’une férocité inimaginable. Il n’y eut pas seulement les dizaines de disparus – frappés à mort, jetés à la Seine, tués par balles –, mais aussi onze mille arrestations, et une foultitude d’hommes parqués plusieurs jours durant, sans aucune assistance, dans l’enceinte du Palais des sports de la Porte de Versailles. […]
Quelques mois plus tard, le 8 février 1962, cette violence s’abattait de nouveau, au métro Charonne, sur une manifestation non violente pour la paix en Algérie dont le Parti communiste et la CGT furent les initiateurs. Or l’immense émotion soulevée par les neuf morts de Charonne a longtemps fait écran au souvenir des dizaines de victimes du 17 octobre 1961. Comme si les seconds faisaient partie de notre histoire française, tandis que les premiers étaient assignés à la seule cause algérienne. Suivant pas à pas la route arpentée par Jean-Luc Einaudi, Fabrice Riceputi déploie avec autant de pédagogie que de rigueur historiennes tous les enjeux politiques de cette occultation. Et nous fait comprendre pourquoi le combat mené pour y mettre fin dépasse le seul événement lui-même et recouvre l’actualité persistante, en France, du passé colonial.
« La bataille d’Einaudi », titre initial de son livre dans sa première édition de 2015, fut celle d’un homme et d’un militant emblématique d’une génération venue au souci du monde et des autres à travers la solidarité avec les peuples opprimés et les minorités dominées. Rendre visible le 17 octobre 1961, c’était obliger la France et sa République à affronter et à assumer une vérité douloureuse qui bat au cœur de la part algérienne de notre histoire et de notre peuple. Tel fut le sens de l’appel lancé en 2011, pour son cinquantenaire, par Mediapart, réclamant la reconnaissance officielle de ce massacre colonialiste et raciste commis sur ordre de l’autorité gouvernementale par des policiers de la République française. En voici le texte :
« Il y a cinquante ans, le préfet de Police de la Seine, Maurice Papon, avec l’accord du gouvernement, imposa un couvre-feu visant exclusivement tous les Français musulmans d’Algérie.
« Ce couvre-feu raciste entraîna une réaction pacifique des Algériens, sous la forme d’une manifestation dans les rues de Paris. Au soir du mardi 17 octobre 1961, ils furent près de trente mille, hommes, femmes et enfants, à défiler pacifiquement sur les grandes artères de la capitale pour revendiquer le droit à l’égalité et défendre l’indépendance de l’Algérie.
« La répression policière de cette protestation non violente est une des pages les plus sombres de notre histoire. Longtemps dissimulée à l’opinion et désormais établie par les historiens, elle fut féroce : onze mille arrestations, des dizaines d’assassinats, dont de nombreux manifestants noyés dans la Seine, tués par balles, frappés à mort.
« Le temps est venu d’une reconnaissance officielle de cette tragédie dont la mémoire est aussi bien française qu’algérienne. Les victimes oubliées du 17 octobre 1961 travaillaient, habitaient et vivaient en France. Nous leur devons cette justice élémentaire, celle du souvenir.
« Reconnaître les crimes du 17 octobre 1961, c’est aussi ouvrir les pages d’une histoire apaisée entre les deux rives de la Méditerranée. En 2012, l’Algérie fêtera cinquante ans d’une indépendance qui fut aussi une déchirure française. A l’orée de cette commémoration, seule la vérité est gage de réconciliation.
« Ni vengeance, ni repentance, mais justice de la vérité et réconciliation des peuples : c’est ainsi que nous construirons une nouvelle fraternité franco-algérienne. »
Dix ans ont passé qui prouvent que nous ne sommes pas au bout de nos peines et que, plus que jamais, nous devons poursuivre « la bataille d’Einaudi » ainsi que l’explique Fabrice Riceputi dans un dernier chapitre inédit. Aujourd’hui, alors que paraît cette nouvelle édition, les nombreux signataires de l’appel lancé par Mediapart seraient officiellement voués aux gémonies et cloués au pilori, symboles du « séparatisme », supposés « islamo-gauchistes » et incarnation de « l’anti-France ».
Que de régression en une décennie quand l’on compare la grande diversité des signatures de cet appel de 2011, soutenu à l’époque par toutes les forces politiques de la gauche française, à l’actuel climat idéologique, aussi politiquement nauséabond, que médiatiquement dominant ! La chasse aux sorcières décoloniales est officiellement ouverte à l’Université par un pouvoir macronien qui, avec le soutien de l’intelligentsia néoconservatrice, fait la courte échelle à l’extrême droite tandis qu’au Parlement, les député·s socialistes s’abstiennent (en première lecture) sur un projet de loi qui, pourtant, porte atteinte à nos libertés fondamentales au prétexte de la lutte contre un « séparatisme » imaginaire visant, en réalité, toute dissidence, toute radicalité, toute audace émancipatrice.
Trop tôt disparu, trois ans après, le 22 mars 2014, Jean-Luc Einaudi figurait évidemment au nombre des signataires de cet appel de Mediapart. C’est peu dire qu’il y avait toute sa place. Vingt ans auparavant, lors du trentième anniversaire du massacre, la parution en octobre 1991 de son livre, La bataille de Paris au Seuil, avait radicalement modifié le rapport de force dans l’affrontement entre le déni officiel et l’exigence de vérité.
Non pas qu’Einaudi fut le premier ou le seul, bien au contraire. Il y avait eu, dès novembre 1961, Ratonnades à Paris de Paulette Péju, aux éditions François Maspero, immédiatement saisi par la police – Paulette Péju dont Gilles Manceron exhumera, en 2011, un manuscrit inédit, co-écrit avec son compagnon Marcel Péju, Le 17 octobre des Algériens. En 1983, le roman Meurtres pour mémoire, paru dans la « Série noire » de Gallimard, propulsait le massacre dans l’imaginaire national en même temps qu’il imposait un jeune écrivain, Didier Daeninckx.
En 1985, six ans avant La bataille de Paris, Michel Levine publiait, chez Ramsay, Les ratonnades d’octobre avec ce sous-titre : Un meurtre collectif à Paris en 1961. Enfin, en octobre 1991, en même temps que paraissait le livre de Jean-Luc Einaudi, l’association « Au nom de la mémoire » animée par Mehdi Lalaoui, éditait Le silence du fleuve sous la signature d’Anne Tristan, dont le texte poignant était accompagné d’une exhaustive recherche iconographique des preuves photographiques, notamment de l’indomptable reporter Elie Kagan, portant témoignage de la violence de la répression.
Mais ce n’est pas parce que la vérité était connue, établie par des témoins, illustrée par des écrivains, racontée par des associations, qu’elle était audible et, encore moins, entendue. L’événement Einaudi, c’est d’avoir mis fin à cette surdité dominante. Et de l’avoir fait grâce à un travail de recherche d’une ampleur alors inégalée, dont Riceputi raconte la genèse. Avec une infinie modestie devant l’ampleur de la tâche, doublée du fier sentiment d’accomplir une mission décisive, cet éducateur de métier s’est fait historien en forçant absences et silences. Absences des témoins survivants du massacre qu’il alla patiemment retrouver puis longuement écouter en Algérie même, mettant en œuvre une pratique sensible de l’histoire orale qui donnait corps et chair à l’événement. Silences des archives, verrouillées et cadenassées, qu’il réussit à percer avec l’aide de deux archivistes révoltés par l’imposition de la raison d’État à la vérité historique, lesquels payèrent le tribut de leur audace, tels des lanceurs d’alerte en avance sur leurs institutions.
Ce faisant, Jean-Luc Einaudi est de ceux qui ont sauvé une génération, celle des engagements de 1968 et d’après. Militant communiste oppositionnel, ayant rejoint autour de Jacques Jurquet (1922-2020) la dissidence du Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF), il aurait pu, comme certaines figures notables de cette époque où « le fond de l’air était rouge », pour reprendre une formule du cinéaste Chris Marker, jeter ses idéaux aux orties des illusions dès lors qu’au tournant des années 1980, ils n’étaient plus portés par le vent favorable des mobilisations populaires et des contestations juvéniles. Ce fut tout l’inverse : refusant les tentations du reniement et du carriérisme, il transforma son militantisme partisan en engagement vital. De l’un à l’autre, il conserva la pratique de l’enquête de terrain, c’est-à-dire le souci de la parole des premiers concernés, la méfiance pour les généralisations abstraites et la recherche entêtée de la vérité des faits.
Resté éducateur pour la jeunesse, Einaudi se fit ainsi historien des obscurs et des sans-grade, dans le sillage de l’histoire du mouvement social théorisée et pratiquée par Jean Maitron, l’inventeur du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Car La bataille de Paris, prolongé en 2001 chez Fayard par une nouvelle enquête, Octobre 1961, un massacre à Paris, n’est qu’un titre parmi de nombreux autres d’une œuvre foisonnante où des investigations historiques inédites côtoient des portraits humains originaux. Tous ces travaux sont comme un pont jeté entre les deux rives de la Méditerranée, liant indissolublement les luttes émancipatrices en France et en Algérie. Einaudi donne ainsi vie aux causes communes partagées par des hommes et des femmes pour qui l’égalité n’était pas un mot abstrait mais une histoire vécue.
Son œuvre rend hommage à la part de lumière du communisme dans sa version internationaliste, de fraternisation des peuples sans hiérarchie d’origine, de culture ou de condition. Commencée en 1986 avec Fernand Iveton, martyr du Parti communiste algérien, guillotiné sous un gouvernement socialiste dont François Mitterrand était ministre de la justice, elle se poursuivit en 1991 par une enquête sur un centre de torture, à Constantine, la ferme Améziane, dont les responsables n’ont jamais été inquiétés : deux livres publiés chez L’Harmattan. Puis vint l’événement de La bataille de Paris, complété en 2009 par Scènes de la guerre d’Algérie en France, au Cherche Midi, et suivi d’autres enquêtes, non seulement sur la guerre d’Algérie avec Le dossier Younsi, aux Éditions Tirésias, dévoilement du procès secret et des aveux d’un chef du FLN en France – son dernier livre, paru en 2013 –, mais aussi sur cette jeunesse reléguée qu’il avait choisi d’accompagner professionnellement – Les mineurs délinquants, chez Fayard en 1995, et Traces, en 2006, aux Éditions du Sextant, plongée dans les registres d’écrou d’une maison de redressement sous l’Occupation.
Mais, de tous les livres d’Einaudi, ceux qui m’émeuvent plus particulièrement sont ses biographies des héros ordinaires de cette résistance farouche à l’injustice. Certes des hommes, tels Maurice Laban, Algérien communiste, internationaliste et, donc, indépendantiste (Le Cherche Midi, 1999) ; Georges Mattéi, franc-tireur, passeur de frontières et fabricant de faux papiers (Éditions du Sextant, 2004) ; ou Georges Arnold, ce prêtre du Prado dont la foi chrétienne fut d’entière révolte (Desclée de Brouwer, 2007). Mais aussi, et surtout, deux femmes dont les destins ont croisé la quête de Jean-Luc Einaudi. Et, sans doute, l’ont inspiré.
Un rêve algérien (PUF, 2001), sous-titré Histoire de Lisette Vincent, un femme d’Algérie, et Baya, d’Alger à Marseille (Non Lieu, 2011), biographie de la compagne de son camarade Jaques Jurquet qui fut une pionnière du féminisme en Algérie sous la bannière du Parti communiste algérien, sont des récits jumeaux. Deux femmes engagées contre toutes les dominations, de classe ou de sexe, d’origine, de genre ou de race, sans en excepter aucune, sans hiérarchiser, trier ou relativiser. Deux hautes figures qui, au-delà de leurs proches, seraient plongées dans l’oubli sans ces portraits sensibles et généreux d’Einaudi. Deux belles personnes qui, grâce aux recherches de l’éducateur historien, se sont enfin retrouvées à la fin de leurs vies après avoir été camarades durant leur militantisme algérien.
Au-delà du 17 octobre 1961, le récit de Fabrice Riceputi donne à voir cet humanisme concret, tout en actes et tissé de précautions, dont sont empreints les travaux de Jean-Luc Einaudi. À l’image de sa vie même, celle d’un homme de conviction qui ne faisait pas carrière, habité par le salut des autres plutôt que par le souci de soi. S’il réussit si bien à nous le communiquer, c’est sans doute parce que Riceputi, qui fut aussi militant dans sa jeunesse, est de la même trempe. Professeur d’histoire en collège, il est ainsi l’artisan d’un exceptionnel tombeau numérique qui offre une sépulture virtuelle aux milliers de disparu·e·s de la guerre d’Algérie. Le site 1000autres.org recueille, rassemble et recoupe récits, témoignages, documents sur celles et ceux qui furent « enlevés, détenus clandestinement, torturés et parfois assassinés par l’armée française ».
Pour l’heure, un seul lieu de mémoire porte officiellement témoignage dans notre Hexagone des crimes commis par la France pendant la guerre d’Algérie : c’est le cénotaphe de Maurice Audin, tombe sans corps au cimetière parisien du Père-Lachaise du jeune mathématicien communiste algérois mort sous la torture en 1957. Aussi bienvenue soit-elle, la reconnaissance tardive de son assassinat par l’armée française, à mots encore retenus par François Hollande en 2014, plus explicites sous Emmanuel Macron en 2018, ne suffit pas à rendre justice à la longue cohorte des supplicié·e·s. Il manque toujours, à l’instar du discours prononcé en 1995 par Jacques Chirac à Paris sur l’emplacement du Vél d’Hiv pour reconnaître la participation de l’État français de Vichy à la destruction des Juifs d’Europe, une parole officielle ayant le courage, au nom de la République française, de proclamer l’injustice foncière du colonialisme et de présenter à la face du monde les excuses de l’État français pour les crimes commis contre d’autres peuples.
Jean-Luc Einaudi a dévoué sa vie à l’exigence de cette parole salvatrice qui, loin de diviser et fracturer, nous apaiserait et nous libérerait, à la fois consolatrice et réconciliatrice. Tant que le placard à mémoires blessées et meurtries restera verrouillé, tant qu’un passé non révolu continuera de nécroser le présent, bref tant que la question coloniale ne sera pas soldée, la diversité de notre peuple léguée par sa longue histoire coloniale continuera d’être humiliée et bafouée tandis que ses causes communes démocratiques et sociales se heurteront à un mur de diabolisation et de stigmatisation. Car colonialisme et racisme ont indéfectiblement partie liée : nul combat abouti contre le second, ses discriminations ordinaires et son idéologie meurtrière, si le premier est encore louangé ou honoré. […]
Antifascisme, antiracisme et anticolonialisme marchent de concert. Qu’ils divergent, qu’ils soient dissociés ou opposés, et la brèche par laquelle s’engouffreront les idéologies inégalitaires ne cessera de s’agrandir. Tel est le message que nous ont légué celles et ceux qui ont soutenu le droit du peuple algérien à être libre de sa destinée, à ne plus être infériorisé et discriminé, à revendiquer cette égalité en dignité et en droit que proclament des principes universels et qu’ont nié les dominations coloniales. Ce fut le sens de la vie et de l’œuvre de Jean-Luc Einaudi, toute de passion décoloniale dressée face à la citadelle certes branlante mais toujours debout des préjugés et des privilèges où se complaisent tenants des civilisations, nations, cultures, origines, naissances, etc., supérieures à d’autres.
À rebours des inutiles guerres des mémoires et des fratricides concurrences des victimes, l’énoncé de la vérité sur le passé permet de se reconnaître dans le présent et de se découvrir pour le futur. C’est cet usage collectif du passé qu’avaient su inventer, avec Nelson Mandela et Desmond Tutu, les militants du combat contre l’apartheid en Afrique du Sud, au lendemain de la chute du régime raciste. L’épilogue de la Constitution provisoire de l’Afrique du Sud de 1993 utilise un mot des langues bantoues, ubuntu, qui désigne « la qualité inhérente au fait d’être une personne avec d’autres personnes ».
C’est, en d’autres termes, un appel à la relation, par-dessus les drames et les blessures, que ce premier texte constitutionnel traduisait ainsi : « L’adoption de cette Constitution pose la fondation solide sur laquelle le peuple d’Afrique du Sud transcendera les divisions et les luttes du passé qui ont engendré de graves violations des droits de l’homme, la transgression des principes d’humanité au cours de conflits violents, et un héritage de haine, de peur, de culpabilité et de vengeance. Nous pouvons maintenant y faire face, sur la base d’un besoin de compréhension et non de vengeance, d’un besoin de réparation et non de représailles, d’un besoin d’ubuntu et non de victimisation. »
L’histoire algérienne de la France, qui touche directement des millions de Français, leurs proches et leurs descendances – parce qu’ils en viennent, parce qu’ils en sont issus, parce qu’ils y ont participé, parce qu’ils en ont été témoins ou acteurs, etc. –, attend encore son ubuntu. Mais ce geste à venir concerne aussi, plus largement, notre rapport collectif au long passé d’empire colonial de la France, dont 1962 marque la fin bien que nos outre-mers d’aujourd’hui, des Antilles à la Nouvelle-Calédonie, en soulignent encore la persistance. Il nous revient de réinventer cette relation d’humanité mutuelle où se refonde durablement la politique des peuples, en lieu et place des intérêts à courte vue des gouvernants.
« Il n’est pas interdit, écrivait en 2004 l’historien Maurice Olender en introduction à un numéro de sa revue Le genre humain autour de la commission Vérité et Réconciliation sud-africaine, de s’inspirer de cette forme d’humanité mutuelle qui fait que ce qui blesse l’un atteint l’autre, que ce qui panse l’un guérit l’autre, que ce qui autorise la mémoire et l’oubli des uns et des autres ouvre l’avenir à des projets politiques communs. » Tel serait le sens de cette nouvelle fraternité franco-algérienne à laquelle Jean-Luc Einaudi a dévoué sa vie, dans l’idée d’une pratique sensible de la politique, d’intuition de la relation et d’écoute de l’autre.
Faisant l’histoire de l’occultation du 17 octobre 1961, Gilles Manceron, préfacier de la première édition de ce livre, raconte qu’au soir du 8 février 1962, à la prison de la Santé, un Français emprisonné pour son soutien au FLN, entendit soudain un silence de plomb, alors que circulait la nouvelle des morts de Charonne. Puis, poursuit ce témoin, « d’un seul coup, on a entendu, avec l’accent algérien, monter la Marseillaise, le “Allons enfants de la patrie”. Je vous assure qu’on était tous là à se tenir la main, et là une émotion... qui rejaillit encore aujourd’hui. C’était leur hommage aux morts de Charonne, qui étaient contre la guerre d’Algérie... et qui étaient aussi leurs morts ».
Comme ceux de Charonne le sont pour les Algériens, les morts du 17 octobre 1961 sont, eux aussi, les nôtres. Pourtant, rappelait Anne Tristan, en clôture de son Silence du fleuve, le souvenir de Charonne servit longtemps à les occulter : « Les funérailles fleuves de février glissent dans les rues de Paris, effaçant des esprits les méandres glauques de la Seine. Les victimes du 17 se noient cette fois dans la mémoire des Français. Depuis, ce silence qui sépare l’humanité n’a pas été comblé. »
Car il n’est d’autre séparatisme que l’oubli des autres, et plus particulièrement des opprimés, exploités et dominés. D’autre séparatisme que l’indifférence à leur sort, le refus de l’entraide, la haine de la fraternité. Contre ce déni d’humanité où se ruine notre propre condition d’être humain, l’anticolonialisme dresse un humanisme radical, sans frontières d’origine ni privilèges de naissance ni préjugés d’apparence. Et c’est bien pourquoi sa force subversive est intacte, au point de susciter une grande peur des bien-pensants acharnés à la discréditer et à la calomnier.
Soldat de la France Libre qui, par le détour la cause algérienne, devint le chantre des Damnés de la terre, le Martiniquais Frantz Fanon leur avait répondu par anticipation, dès 1952, avec cette injonction qu’aurait pu énoncer Jean-Luc Einaudi tant toute sa vie, il y fut fidèle : « Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se trouve. »
Oui, où qu’il se trouve. D’où qu’il vienne. Quel qu’il soit. […]
Remise sur le tapis dès que les relations entre Alger et Paris se grippent, la surenchère sur la colonisation est de nouveau réactualisée. Alors que le parlement algérien envisage d’adopter une loi criminalisant le colonialisme français, la réaction à cette décision, « regrettable » selon les termes d’Eric Besson, ministre de l’immigration et l’identité nationale, prend désormais corps avec l’intention de créer une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie. Le projet est sur les rails, et c’est à Claude Bébéar, le président d’honneur du groupe d’assurance Axa, qu’incombe cette mission.
En effet, reçu le 24 mars dernier par Hubert Falco, le secrétaire d’Etat à la Défense et aux anciens combattants, Bébéar devait peaufiner les statuts de la Fondation, dont il devrait être le président. Matignon ayant validé sa création, la fondation devrait être lancée officiellement cet été.
L’idée de cette fondation a vu le jour en 2005 avec le vote de la loi « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », initié par l’ancien président Chirac. Paradoxalement, c’est ce même Chirac qui avait abrogé le très controversé article 4 de la loi du 23 février 2005 portant sur la glorification de la colonisation française en Afrique et dans les pays du Maghreb, et souhaité parapher avec « son ami » Bouteflika, un traité d’amitié Franco-Algérien.
Avec Sarkozy, la politique étrangère dite « pro-arabe » de Chirac est enterrée, laissant place à un niet de la France à toute forme de repentance exigée par l’Algérie. Depuis les relations en dents de scie entre les deux pays se manifestent souvent sous forme de chantages aux droits de l’homme, côté français (notamment l’affaire des disparus de la décennie noire), et la reconnaissance des crimes coloniaux, côté algérien.
Claude Bébéar doit donc jouer un numéro d’équilibriste afin de ménager les sensibilités- les pieds-noirs, les harkis, les anciens combattants français- et dans le même temps veiller à ne pas léser les intérêts diplomatiques de la France.
L’OAS au Mémorial d’Afrique du nord
Voilà qui va compliquer encore plus la tâche de Claude Bébéar : Le très influent député de la majorité UMP, Patrick Balkany, a demandé fin mars à Hubert Falco, s’il n’était pas possible et opportun politiquement pour la droite Sarcozyste d’inscrire au Mémorial d’Afrique du Nord les noms des morts, partisans de l’Algérie-Française, tués dans la répression de la manifestation organisée par l’OAS le 26 mars 1962 à Alger.
Balkany souhaite obtenir cette reconnaissance officielle, car, paraît-il, il lorgne le poste de porte parole de la Fédération des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie à l’Assemblée.
La guerre d’indépendance algérienne est l’une des plus marquantes de l’histoire du continent africain. En effet, sous domination française, les algériens ont lutté de toute les forces pour arracher leur indépendance. Ce fut une période qui a marqué les consciences collectives.
La guerre d’indépendance s’est faite dans la douleur, le sang et les larmes. Pendant de nombreuses années, c’est tout un peuple qui s’est levé pour dire stop à la colonisation. Les algériens étaient prêts à payer le prix fort pour avoir leur indépendance et effectivement ils ont payé ce prix.
Pour rester maître de l’Algérie, la France a commisdes atrocités et nombreuses d’entre elles ne sont malheureusement pas relatées dans l’histoire. Les leaders de la résistance algérienne furent traqués, torturés et assassinés. Mais malgré cela, le peuple a tenu bon et a finalement arraché son indépendance.
Guerre psychologique
La France était prête à tout pour annihiler toutes velléités indépendantistes. Tout récemment, des archives publiées qui ont été relayées par le journal Le Monde ont montré que la France voulait tordre le cou à l’image de la femme musulmane algérienne pour créer une sorte de confusion et demeurer au pouvoir.
Il faut savoir qu’à cette époque, l’Algérie disposait de spécialistes de la guerre psychologique. Ils avaient notamment pour mission de pousser des femmes algériennes à refuser de porter le voile pour manifester leur soutien à la France. Une des photos des archives est assez interpellatrice.
On y voit une femme algérienne très embarrassée qui applaudit et se voit enlever son haïk un vêtement qui a une forte valeur traditionnelle dans la culture maghrébine. La scène se déroulait au niveau du gouvernement général d’Alger, le 18 mai 1958. Elle a été savamment orchestrée par la France. Les archives qui viennent d’être publiées représentent un pan important de l’histoire algérienne.
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